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Ils étaient nés en 1936…

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Nicole Croisille, l’une des plus belles voix françaises et Philippe Labro, le prince des médias viennent de nous quitter. Monsieur Nostalgie se souvient…


Hier encore, un ami journaliste me demandait : C’est quoi, pour toi, l’esprit français ? Alors, je remontais à Villon, j’enjambais Rabelais, je filais chez Larbaud dans le Bourbonnais, je me risquais à flirter avec Morand, je n’oubliais pas de parler de ce bon vieux bigleux de Prévert aux paupières lourdes tout en me laissant ceinturer par le phrasé d’Aragon. Pour le narguer, j’évoquais même Jean-Pierre Rives et Yannick Noah sans oublier Carlos et Nino Ferrer. Mon cabas est profond, il n’est pas sectaire, j’y entasse les sportifs et les écrivains, les starlettes et les beaux mecs, les non-alignés et les amuseurs du dimanche, les vignes de mon pays au début de l’automne et la Seine boueuse qui vient cogner sur les quais de la Mégisserie. Chacun son folklore, chacun son identité.

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Esprits français percutés par les lueurs américaines

Et puis ce matin, la réponse m’a été donnée. La triste actualité me l’apporte sur un plateau d’argent avec ces deux actes de décès. Nicole Croisille et Philippe Labro étaient nés en 1936 à une saison d’intervalle, ils étaient dans le registre des professions oisives et essentielles, c’est-à-dire le divertissement et l’art populaire, la chanson frissonnante et le cinéma d’élite, deux figures de mon enfance, deux visages qui charrient tant de souvenirs. Je pourrais affirmer aujourd’hui à cet ami qu’ils incarnaient l’esprit français bien que ces deux-là eussent été très tôt percutés par les lueurs américaines ; planaient sur leur tête, le parfum de JFK et les boîtes de jazz de New-York. Les belles demeures des Hamptons et les voix cassées des champs de coton. Oui, c’était ça l’esprit français, l’érotisme canaille d’une chanteuse pouvant tendre son arc, de la tragédie à la comédie, moduler ses cordes à nous arracher des larmes et nous emplir d’une joie frivole et puis, cet aventurier des salles de presse, cet ambitieux qui, du journalisme au cinéma, de l’écriture aux paroles d’un tube, d’une radio luxembourgeoise aux studios Eclair d’Épinay-sur-Seine, voulait goûter à tous les plaisirs et à tous les honneurs.

Ogres de travail

En leur temps, ces deux personnalités ont été célébrées, primées, jalousées, moquées, tendrement aimées pour leurs défauts visibles, ils agaçaient car tout semblait leur réussir ; benoîtement, ils nous donnaient de leurs nouvelles en passant à la télévision chez Guy Lux ou Drucker, chez Pivot ou au micro de RTL. Ces deux personnalités publiques étaient des ogres de travail. Le grand âge arrivant au galop, elles n’avaient pas complètement disparu de nos imaginaires. À chaque fois, même affaiblies par les pépins de santé, on les trouvait dignes et élégantes, piquantes et courtoises sans être trop mielleuses, ce qui est un exploit dans les métiers de communication. Dans une France qui valide tant de fausses valeurs et de pleurnicheurs du soir, ces deux-là conservaient une forme d’élégance dans leur apparence et leur propos. Ça paraît peut-être banal, ridicule, anecdotique, mais à l’heure des sauvageries et des faillites intellectuelles, on se sentait bien avec eux, on n’avait pas honte de nos artistes.

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Dans nos provinces, on trouvait même que Nicole, son carré court blanc éclatant et ses mains d’harpiste et Philippe, sa gueule d’acteur et son allure d’éternel étudiant de la Ivy League donnaient du lustre à notre nation. Avec eux, on se sentait respectés. Compris. Ce matin en apprenant leur disparition, j’ai eu deux flashs. J’ai revu Nicole en duo avec Mort Shuman à Genève pour une émission enregistrée en public sur la RTS. Ensemble, ils interprètent au débotté, naturellement comme seuls les grands professionnels savent briller ; ça semble improvisé, facile, ils se chambrent, ils se taquinent, ils s’apprivoisent, ils nous amusent. Leur duo est drôle et d’une intelligence folle. Mort donne la note au piano, et Nicole enflamme l’auditoire, elle envoie les mots de « Parlez-moi de lui » tout en puissance cristalline. Elle foudroie. Elle nous terrasse. Elle est géniale de charme et d’émotion. Elle nous transperce. Nicole en robe lamée, prend possession de nos friches intérieures, à la manière d’une Barbra Streisand. Quand je repense à Philippe, ce sont des noms qui surgissent, des codes personnels : Bart Cordell, la famille Galazzi, le nonce, etc… J’aime le cinéma de Labro qui n’était pas comme celui de tous ces réalisateurs révolutionnaires subventionnés car il aimait sincèrement les puissants. J’aimais son manichéisme soyeux. J’aime L’Héritier, L’Alpagueur et même Rive droite, rive gauche. J’aime le triangle amoureux, Jean-Paul entouré de Maureen Kerwin et de Carla Gravina. J’aime passionnément Charles Denner. Nicole et Philippe étaient des artistes car ils nous ont fait changer de peau. Parlez-nous encore longtemps d’eux !

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La perte de contrôle de l’État sonne la fin d’un monde

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De concert, MM. Philippe, Retailleau, Attal ou Darmanin déplorent l’ensauvagement de la société et fustigent le laxisme de la justice française, à la suite des émeutes et pillages ayant suivi la victoire du PSG. Mais le peuple français sera-t-il prêt à « renverser la table » avec ceux-là mêmes qui sont au pouvoir depuis des années, sans avoir su faire preuve de la fermeté qu’ils réclament aujourd’hui ?


« Je suis en colère », dit Edouard Philippe, ancien Premier ministre, à la une du Point. « Je suis en colère, comme beaucoup de Français », a semblablement déclaré Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, lundi, en réaction aux violences urbaines, majoritairement issues de cités d’immigration, ayant accompagné la victoire du PSG samedi soir à Munich, en Ligue des champions. « Il faut faire évoluer radicalement la loi », a renchéri mardi Gérald Darmanin, garde des Sceaux, après les premiers jugements bienveillants rendus contre les interpellés.

Implacable toi-même !

Emmanuel Macron avait déclaré, dimanche : « Nous poursuivrons, nous punirons, on sera implacables »… Seul François Bayrou, Premier ministre, a gardé le silence; peut-être pour faire oublier son angélisme qui lui faisait dire en 2007 que « même dans la plus lointaine banlieue on est heureux d’être français ». Un vent de panique souffle sur le gouvernement. Il ne maîtrise plus rien. L’État a perdu le contrôle des finances publiques, de l’immigration de masse, de la transmission culturelle, du maintien de l’ordre, des réponses pénales. L’abandon du pouvoir saute aux yeux, même s’il mime encore l’autorité en interdisant de fumer sur les plages ou les parcs dès le 1er juillet ou en ayant convoqué lundi les patrons des réseaux sociaux pour tenter de les contrôler. Or ce sont ces réseaux libres qui sont devenus indispensables à la démocratie. Ils ont, une fois de plus, brisé le récit officiel melliflu répercuté par les médias dominants s’arrêtant à la version unique d’une rencontre sportive « bon enfant », d’une « liesse populaire ». Ce n’est que mardi que Le Parisien a titré : « Quelle honte ! » en évoquant enfin « deux nuits de saccage ». Mais que diable est allé faire Retailleau dans cette galère ! Son salut est dans la démission.

A ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente aujourd’hui: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

On coule

La colère française ne se reconnaitra jamais dans les désolations partagées des politiques : ils ont avalisé ce système qui prend l’eau. Une rupture radicale avec ce monde dépassé permettra de remettre les esprits à l’endroit. En cela, le ministre de l’Intérieur, qui porte une alternative crédible, n’a aucun intérêt à cautionner plus longtemps un centrisme incapable de s’autoréformer. La décision des députés, l’autre jour, de supprimer les ZFE (zones à faible émission) a été prise après la mobilisation de la société civile, menée par Alexandre Jardin sur les réseaux sociaux. Cette France invisible, qui s’éloigne des médias traditionnels et des partis de gouvernement, est appelée à s’affirmer dans le débat public en usant des nouveaux outils de communication et de son bon sens du terrain.

Face à elle, la caste est condamnée à se caricaturer dans un entre-soi salonnard cherchant à se protéger d’un « populisme » qui n’est que le désir des gens de corriger cinquante années d’erreurs idéologiques.

L’image que donne la France au monde, avec ces intifadas dans les villes et ces communautés qui s’affrontent dans un racisme parfois meurtrier, est effrayante. Entendre le chef de l’État remercier le Qatar, propriétaire du PSG depuis 2011, alors même que cet État soutient les Frères musulmans, le Hamas et l’islamisation des cités, est révoltant de légèreté. Tout ce monde doit partir. Il faut tout reconstruire.

Causeur: A-t-on le droit de défendre Israël?

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Jamais la réprobation d’Israël n’avait atteint un tel paroxysme. L’accusation de génocide se banalise, bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes. Tel est le constat d’Elisabeth Lévy qui présente notre dossier spécial. « Israël est devenu l’autre nom du mal ». Et l’interminable guerre de Gaza divise les soutiens d’Israël. À l’instar de Delphine Horvilleur, certains dénoncent publiquement la poursuite de la guerre et les attaques de Netanyahou contre l’État de droit, suscitant colère et désarroi dans la rue juive. Pour Gil Mihaely, les critiques de Delphine Horvilleur mêlent – et emmêlent – position morale et opinion politique. Elles réveillent une querelle profonde née de la tension entre deux définitions du judaïsme, théologique et politique. Alors que la synthèse israélienne ne permet plus de réduire les fractures qui traversent le monde juif, il est urgent de penser l’État juif. Il s’agit aussi, nous explique Noémie Halioua, d’une longue tradition d’affrontements internes quasi constitutive de l’identité israélienne. Les détracteurs de Delphine Horvilleur ne lui reprochent pas d’exprimer ses idées, mais de se parer d’une supériorité morale pour les défendre.

Le numéro de juin est disponible aujourd’hui sur le site Internet, et demain chez votre marchand de journaux.

Denis Olivennes, qui se confie à Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, a soutenu Israël dans sa guerre contre le Hamas. Mais face à la tournure du conflit, le président d’Éditis et de CMI France dénonce désormais la politique menée par Benjamin Netanyahou qu’il estime prisonnier de l’extrême droite. Le risque étant de voir l’État juif devenir un État paria. Selon lui, « être juif, c’est une exigence morale. Même pour un État ». Pour l’historien Georges Bensoussan, la tribune de Delphine Horvilleur reflète la fracture entre la rue juive et les notables de la communauté. Selon lui, les personnalités qui accusent Israël de faillite morale sont d’abord soucieuses de leur respectabilité sociale et médiatique. Vincent Hervouët, grand spécialiste de politique estrangère, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy, a couvert suffisamment de conflits pour ne pas prendre pour argent comptant la communication des belligérants et se méfier des analyses moralisantes. Une qualité rare au sein d’une profession si conformiste. Enfin, Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, qui se confie aussi à notre directrice de la rédaction, pense que dans cette période de grande tension, où tous les Juifs du monde sont tenus pour responsables de la politique de Netanyahou, il est inopportun d’accabler Israël. « La critique du gouvernement israélien est légitime, la condamnation morale du pays me semble bien imprudente ».

Frères musulmans : mission invisible

Causeur consacre un mini-dossier à l’activisme des Frères musulmans en France dont le rapport Gouyette-Courtade décrit les réseaux solides, les stratégies masquées et les menaces réelles. Comme le soulignent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau. La vraie limite du rapport, c’est qu’il ne propose pas de nouvelles mesures fortes pour endiguer la progression de l’islamisme politique en France. Spécialiste mondialement reconnu de la Syrie, Fabrice Balanche sait parfaitement de quoi les Frères musulmans sont capables et n’hésite pas à le dire. Il livre son témoignage à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Enragés par sa lucidité et son expertise, les islamo-gauchistes qui règnent à Lyon 2 depuis des années tentent de le faire taire. Pas sûr qu’ils y parviennent. Céline Pina enquête sur l’islam politique au niveau local en France, où pour consolider leur base électorale, des élus municipaux cèdent au clientélisme communautaire, pendant que j’explique comment le Royaume Uni est devenu la tête de pont des organisations islamistes internationales pour conquérir l’Europe.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente les accusations de « diffusion d’images à caractère pornographique de mineurs » portées contre Bastien Vivès. Le seul crime de l’ex-enfant chéri de la BD française, c’est d’avoir dessiné certaines joyeuses obscénités. Pourtant, il a été traité, au cours d’une enquête, comme s’il avait potentiellement commis des actes de pédo-criminalité. Ses livres sont retirés de la vente et il fait l’objet de tombereaux d’insultes sur les réseaux sociaux. Devant les arguments de son avocat, Richard Malka, expliquant la différence entre la réalité et la fiction, et soulevant une question de compétence territoriale, le procès a été renvoyé et n’aura peut-être jamais lieu. Conclusion : « la Justice se ridiculise quand elle prétend combattre le mal en interdisant sa représentation ».

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Nicolas Bedos est lui aussi victime d’une tentative de mise à mort sociale par les nouvelles ligues de vertu. Il raconte sa descente aux enfers de MeToo dans La Soif de honte. Pour Elisabeth Lévy, ce que lui reproche le tribunal médiatico-féministe, au-delà des faits pénalement repréhensibles, c’est d’avoir été un séducteur volage et égoïste. Sous couvert de justice, il s’agit d’imposer une nouvelle morale. Voulez-vous mourir légalement assisté ? La réponse de Cyril Bennasar est : « Plutôt crever ! » Selon lui, la mort souffrait d’un vide juridique, la loi euthanasie l’a comblé. Le monde flou du privé, de l’intime et du discret a vécu, le droit et la transparence s’imposent. On mourra désormais dans le cadre prévu pour, assisté et couvert légalement. Loup Viallet a enquêté sur Awassir, une association parrainée par le président Tebboune et hébergée par la Grande mosquée de Paris, dont l’objectif est de transformer la diaspora en une force politique au service du régime d’Alger. Se confiant à Bérénice Levet, le géographe Christophe Guilluy approfondit sa réflexion sur la France périphérique. Délaissant les chiffres pour les lettres, son nouvel essai prend la forme de la fable, pour mieux décrire le fossé qui sépare les élites déconnectées des gens ordinaires.

Parmi nos chroniqueurs réguliers, Olivier Dartigolles parle de la faillite et du déshonneur de tous ceux à gauche qui, pour des raisons électoralistes, n’entérineraient pas une rupture définitive avec LFI. Emmanuelle Ménard nous entretient de l’euthanasie, du débat télévisé du chef de l’État et du complotisme d’Aymeric Caron. Jean-Jacques Netter se penche sur le coût de nos prisons, le prix de l’électricité, et les promesses du gouvernement de supprimer un tiers des comités Théodule de la République. Pour Ivan Rioufol, le conformisme médiatique nazifie la démocratie israélienne, abandonne Boualem Sansal et nie l’entrisme islamiste. Enfin, Gilles-William Goldnadel ne revient pas de la tribune, publiée par 900 artistes en marge du Festival de Cannes, qui condamne le « silence » sur le « génocide » à Gaza.

Côté culture, la chanteuse et comédienne Caroline Loeb raconte à Yannis Ezziadi ses années Palace. Elle a été une des créatures peuplant les nuits de la boîte mythique du Faubourg-Montmartre. Le Tout-Paris s’y mêlait à des inconnus hauts en couleurs dans un tourbillon de fêtes, de sexe, de drogue et de créativité. Jonathan Siksou nous raconte la vie en rose : au cœur d’une nature préservée adossée à la colline de Grasse, les jardiniers de Lancôme entretiennent avec passion le Domaine de la Rose. Ce conservatoire horticole dédié aux professionnels de la parfumerie ouvre ses portes au grand public. Julien San Frax fait le portrait du communiquant Timothée Gaget qui bataille sur la scène médiatique pour défendre ceux qui font le « made in France », et Emmanuel Tresmontant rend hommage à « La tribune des critiques de disques », cette émission qui, chaque dimanche après-midi sur France Musique, réunit critiques et musiciens animés par un idéal de beauté pour débattre interprétation et direction d’orchestre.

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Dans les romans de Mario Vargas Llosa, il y a des pages magnifiques sur les liens qui unissent l’homme et la femme. Georgia Ray met en valeur le côté furieusement érotique du prix Nobel de littérature. Le goût de l’érotisme n’était pas étranger non plus au grand acteur, Michel Simon, mort il y a 50 ans, dont Pascal Louvrier nous rappelle la boulimie de travail (150 pièces, 140 films). Vincent Roy nous présente le nouveau roman de Jean Le Gall qui plonge dans les méandres de la crise existentielle d’un homme politique dans la Rome des années 1960, tandis que Jean Chauvet parcourt les salles obscures où il trouve un Denis Podalydès en majesté, un réjouissant polar camerounais et une comédie bobo insupportable. « Bobo » et « insupportable » ? Pour nos lecteurs, il ne peut s’agir au fond que d’une tautologie…

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Scientifiques trop genrés

Face à la pénurie d’ingénieurs et d’informaticiens, la France tente de remonter la pente en misant sur les lycéennes. Mais, la stratégie du gouvernement fondée sur la dénonciation de stéréotypes de genre dès la maternelle occulte l’essentiel


Selon un rapport de l’Institut Montaigne publié le 20 mai, l’économie française manque cruellement d’ingénieurs et d’informaticiens. Il faudrait en former 100 000 de plus par an, estiment les auteurs, Éric Labaye, ancien président de Polytechnique, et Aiman Ezzat, directeur général de Capgemini. Une gageure. Car le niveau en sciences des élèves de notre pays est dramatiquement faible.

D’après la dernière enquête internationale Timms, parue en décembre, le score moyen en mathématiques dans les classes de CM1 est le plus bas de toute l’Europe. Et celui mesuré en 4e est à peine plus satisfaisant, puisque notre pays arrive à se hisser glorieusement à l’avant-dernière place, devant la Roumanie…

Face à cette catastrophe nationale, la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne a une idée : attirer davantage les filles, du moins celles qui échappent à la terrible baisse de niveau général, vers les filières scientifiques. Excellent projet sans aucun doute. Sauf que le « Plan filles et maths », lancé voilà quelques jours par la Rue de Grenelle, s’appuie sur une étude complètement à côté de la plaque.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Hors l’élitisme républicain, pas de salut pour l’École

À en croire les pédagogues qui l’ont rédigée, les lycéennes brillantes seraient peu nombreuses à opter pour des études d’ingénieur (où elles ne représentent que 25 % des effectifs) à cause des « stéréotypes de genre » qui seraient relayés dès la maternelle par les enseignants. Qui peut gober une telle fable ? Qui peut croire que le personnel de l’Éducation nationale, cette corporation féminisée à 75 % et dont les deux tiers des membres votent à gauche, serait un bastion sexiste ?

Si l’on veut comprendre pourquoi tant de demoiselles douées se détournent des sciences, il conviendrait plutôt d’interroger un autre stéréotype, écolo-wokiste celui-là, qui leur est professé à longueur de scolarité : le lieu commun selon lequel l’industrie et la technologie sont mauvaises pour la planète et aliénantes pour l’homme. Dans un monde où les émotions et la communication sont présentées par la gauche, qui a troqué la rationalité contre le romantisme, comme la clé du progrès, doit-on s’étonner si les fortes en thème conçoivent les lettres et les sciences humaines comme la voie royale ?

Allo, allo Monsieur le répondeur ?

La voix royale… La petite tornade cannoise passée, le cinéma reprend le chemin des salles obscures avec un Denis Podalydès en majesté


Sur le papier, on pouvait craindre le pire de la comédie française écrite par-dessus la jambe. Ne serait-ce qu’en lisant le synopsis, cette quatrième de couverture cinématographique : « Baptiste, un imitateur de talent, ne parvient pas à vivre de son art. Un jour, il est approché par Pierre Chozène, romancier célèbre mais discret, constamment dérangé par les appels incessants de son éditeur, sa fille, son ex-femme… Pierre, qui a besoin de calme pour écrire son texte le plus ambitieux, propose alors à Baptiste de devenir son “répondeur”, en se faisant tout simplement passer pour lui au téléphone. Peu à peu, celui-ci ne se contente pas d’imiter l’écrivain : il développe son personnage. » À cette seule lecture, on se dit que le générique devrait d’abord créditer Edmond Rostand et son tandem Cyrano-Christian. Mais, comme d’habitude, tout réside dans la façon dont on s’empare d’une bonne idée, comment on l’adapte, comment on la travaille. Bref, comment on fait oublier le plagiat initial pour parvenir à une vraie situation originale. Et c’est assurément ce qui se passe ici : en adaptant Le Répondeur,livre de Luc Blanvillain, la réalisatrice Fabienne Godet et sa scénariste Claire Barré ont réussi le double examen de passage : faire oublier Rostand, tout en laissant le roman adapté vivre sa vie littéraire. Autrement dit, le film existe par lui-même, avec son univers autonome et sa capacité à nous faire sourire régulièrement.

Les précédents films de Fabienne Godet plaidaient plutôt en sa faveur, même si on peine jusqu’ici à trouver un fil directeur. Ses cinq longs métrages oscillent entre un film sur l’entreprise et ses démons (Sauf le respect que je vous dois), un portrait du braqueur Michel Vaujour (Ne me libérez pas, je m’en charge), une comédie dramatique avec Benoît Poelvoorde (Une place sur la Terre), un film « choral » sur la résilience (Nos vies formidables) et, beaucoup moins réussi, un road-movie existentiel (Si demain). En arpentant avec Le Répondeur le terrain de la comédie, elle prouve une fois de plus son éclectisme. Tant pis pour l’idée de film d’auteur mais, dans le cas présent, tant mieux dans la mesure où les comédies françaises brillent plus par leur médiocrité d’écriture et de réalisation que par leur inspiration. Ce qui fédère peut-être la courte filmographie de cette cinéaste sexagénaire, c’est un amour manifeste des acteurs poids lourds dans leur catégorie : Olivier Gourmet et Benoît Poelvoorde notamment. Ici, c’est le toujours étonnant Denis Podalydès qui s’y colle, avec un allant incontestable. Il est plus que parfait en romancier à succès constamment remis à sa place par le catastrophique jugement paternel. À la fois très lâche et très courageux, il navigue entre la tentation du désert et le confort de la reconnaissance. Il pourrait évidemment jeter aux orties son téléphone portable et rompre toutes relations sociales. Comme le fait, soit dit en passant, Rodolphe Martin, le héros du nouveau et délicieux roman de Patrice Leconte, La Tentation du lac (Arthaud). Mais non, Pierre Chozène choisit, lui, la voie particulièrement tordue de la voix d’autrui… Et, comme il se doit, l’imitateur voudra devenir l’imité, ou du moins prendre les commandes de sa vie puisqu’il y est en quelque sorte autorisé. Salif Cissé incarne avec brio ce Baptiste chargé de répondre au téléphone d’un autre. Et, il faut le dire, ce duo de comédiens fonctionne à merveille – Podalydès retrouvant les vieilles mais efficaces ficelles d’un répertoire classique qu’il connaît par cœur. On se laisse alors entraîner avec plaisir dans cette comédie assurément sans prétention. Il va de soi que c’est la voix de Podalydès que l’on entend durant tout le film, même quand elle est portée par Salif Cissé. Ce « doublage » permanent crée un décalage savoureux qui contribue à la réussite de l’ensemble. Comme une célébration de la voix de l’acteur, au-delà du corps et de l’apparence : c’est la voix qui fait spectacle d’abord et avant tout.

1h42

Gouverner sans gouverner: l’étrange stratégie de Wilders

Pays-Bas. M. Wilders quitte la coalition gouvernementale parce que ses partenaires ont refusé de signer un plan très strict sur l’immigration qu’il voulait imposer rapidement. Il n’est pas certain que cette stratégie renforce ou affaiblisse sa position en vue de nouvelles élections, raconte notre correspondant.


L’équipe de rêve de la droite néerlandaise, avec M. Geert Wilders comme Premier ministre fantôme, s’est écroulée après 11 mois et un jour de bisbilles internes interminables.

Mardi 3 juin, Geert Wilders a brusquement retiré les ministres de son Parti pour la Liberté (PVV) de la coalition gouvernementale quadripartite qui avait promis, menacé ont dit certains, de mener la politique d’immigration et d’asile la plus sévère que le pays ait jamais connue.

Les Pays-Bas de nouveau plongés dans l’incertitude

Wilders avait exigé la signature des trois dirigeants des partis « amis » au bas de son programme en dix points renforçant encore la politique migratoire. Et cela en envoyant l’armée aux frontières à la chasse aux clandestins, en rendant impossible toute réunification familiale et en fermant autant de foyers de demandeurs d’asile possible.

Quand les partenaires ainsi malmenés ont refusé de signer, M. Wilders a annoncé mardi matin le retrait de ses ministres, plongeant le pays dans l’incertitude. Visiblement sous le choc, les partenaires éconduits ont accusé M. Wilders de se comporter en kamikaze. Ou, pire, de préparer le retour de la gauche en cas d’élections anticipées…

Et dire que cela avait si bien commencé pour la droite quand, fin 2023, le PVV de M. Wilders était devenu de loin le plus grand parti aux législatives. Après de laborieuses négociations, le leader populiste avait conclu en juin 2024 un accord gouvernemental avec les libéraux du parti VVD, le Mouvement Citoyens-Paysans (BBB) et le Nouveau Contrat Social (NSC). Assurée d’une majorité confortable au Parlement, la coalition l’était également de dissensions internes. Le NSC, scission du parti chrétien démocrate, avait le plus hésité à rejoindre M. Wilders, accusé de racisme antimusulman après avoir exprimé le souhait de voir moins de Marocains aux Pays-Bas. Puisque grand vainqueur des élections, M. Wilders aurait dû être nommé ministre selon une tradition bien établie. Ce qui aurait posé un problème pour un homme qui, depuis 2004, vit sous des menaces de mort d’organisations islamistes, et sous stricte protection policière. En plus, on peut parier que le monde arabo-musulman ne l’aurait pas porté dans son cœur. Et que dire des réactions des « jeunes des quartiers », vus par M. Wilders comme de la racaille, tout comme d’ailleurs de celles des journalistes ?

Au revoir, M. Dick Schoof

En lieu et en place de M. Wilders, c’est donc M. Dick Schoof, ancien dirigeant de services de sécurité, sans étiquette, qui fut nommé Premier ministre. Le pauvre ! Au Parlement, M. Wilders n’a jamais manqué l’occasion de le rabrouer pour son inexpérience. Drôles de scènes parlementaires, où Wilders se comportait tantôt en Premier ministre fantôme, tantôt en adversaire du véritable et éphémère dirigeant du gouvernement.

En cas de probables élections législatives anticipées, comment jugeront les fans de M. Wilders son sabordage d’un gouvernement qui avait éveillé tant d’espoirs à droite ? Au sein de son parti, c’est le silence total ce mardi matin. Toute critique du chef omniscient y revient à un renvoi immédiat. Et même si M. Wilders devait connaître un second triomphe électoral, de potentiels partenaires gouvernementaux y réfléchiront cette fois à deux fois avant de lier leur sort à celui qui peut ainsi les lâcher sur un coup de tête.

Délit de sale gosse

L’éditorial de juin d’Elisabeth Lévy


J’avoue. Je suis coupable de recel et de diffusion de littérature à caractère pédopornographique. Et pas qu’un peu. Il y en a plein ma bibliothèque. Passons sur la Bible et les deux filles de Loth, ces salopes qui enivrent leur père pour le violer. Mais prenez la petite Volanges dans Les Liaisons dangereuses : d’accord, elle est bien contente de voir le loup – qui n’est pas celui de son fiancé attitré, trop niais pour la déniaiser. Pire, la friponne en redemande. Le problème, c’est qu’à 13 ans, elle n’a pas pu consentir. Valmont est donc coupable de viol, Laclos d’apologie du viol et ma pomme, de recel des mêmes crimes. Et puis, il n’y a pas que les mots, il y a aussi les images. Heureusement, les mangas avec Japonaises en socquettes, c’est pas mon truc. Mais j’aimerais savoir où est passé l’album de Gotlib où cette coquine de Cosette taille une pipe à ce vieux pervers de Jean Valjean, je crois que je l’ai passé à ma nièce de 9 ans. Mon compte est bon. Et à moins que vous ayez arrêté la BD à Tintin et la littérature au Petit Prince (deux héros parfaitement asexués), le vôtre aussi.

J’ai l’air de blaguer mais pas du tout. Le 27 mai, Bastien Vivès, ex-enfant chéri de la BD française a comparu devant le tribunal de Nanterre pour « diffusion d’images à caractère pornographique de mineurs ». On se dit que le gars estl’un de ces gros dégoûtants qui se masturbent devant des photos de gamine et que c’est bien fait pour lui. Sauf qu’on n’a aucun acte ni propos délictueux à lui reprocher. Son seul crime, c’est de dessiner. En particulier trois ouvrages pornos-rigolos (vendus sous plastique): La Décharge mentale, Les Melons de la colère et Petit Paul, récit des aventures érotiques d’un garçon à gros pénis qui lutine des femmes à gros seins – dont sa mère me semble-t-il. Si ça se trouve, ça a donné des idées tordues à certains lecteurs. Fin 2022, ces joyeuses obscénités choquent des étudiants des écoles d’art d’Angoulême qui dénoncent « la banalisation et l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité » et obtiennent par voie de pétition l’annulation d’une exposition consacrée au dessinateur. Ils font froid dans le dos, les artistes de demain. Dans la foulée, trois associations de protection de l’enfance qui doivent manquer de vrais enfants à protéger saisissent la justice. Les réseaux sociaux font le reste : Vivès est un pédo-pornographe et, pourquoi s’arrêter là, un pédophile. Il reçoit des tombereaux d’insultes, des menaces de mort, ses livres sont retirés de la vente. Le cauchemar ordinaire des victimes de chasses aux sorcières.

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Le plus inquiétant, c’est que la Justice se soumet à l’air du temps. En 2019, la section « mineurs » du parquet de Nanterre, saisie de plaintes similaires contre les mêmes ouvrages, avait eu la seule réaction raisonnable : les jeter au panier. Trois ans plus tard, la même section du même parquet estime au contraire indispensable d’engager des poursuites. Pendant deux ans et demi, des policiers et des magistrats travaillent pour protéger Petit Paul et sa sœur Magalie des agissements criminels de leur créateur. Celui-ci est soumis à un test ADN, comme s’il y avait de vraies victimes, interrogé sur ses pratiques masturbatoires et inscrit au fichier des délinquants sexuels. Pour des dessins. Les enquêteurs estimant que l’absence de dents de sagesse prouve que Petit Paul est mineur, Malka produit une étude affirmant que de très nombreux adultes en sont dépourvus. Ils veulent aussi savoir si Petit Paul était consentant (sic). « Et les Romains, dans Astérix, ils sont consentants pour prendre des tartes ? » s’amuse Richard Malka, l’avocat du dessinateur. Il croit cependant nécessaire de préciser dans ses conclusions adressées à la cour que Petit Paul et Magalie ne sont pas des êtres humains, mais des « créatures oniriques aux caractéristiques physiques n’existant pas, puisque Petit Paul est doté d’un sexe de 80 centimètres et que toutes les femmes apparaissant dans cette BD ont des poitrines singulièrement disproportionnées ». On en est là : un avocat doit expliquer à des juges qu’il y a une différence entre la réalité et la fiction. Malka ayant soulevé un problème de compétence territoriale, le procès a été renvoyé et peut-être n’aura-t-il jamais lieu. Il est possible que quelqu’un au parquet de Nanterre finisse par comprendre que la Justice se ridiculise quand elle prétend combattre le mal en interdisant sa représentation. Mais ce précédent risque de donner des ailes aux ligues de vertu et autres lobbys hargneux qui n’existent que par leurs criailleries numériques et leurs manigances judiciaires et trouveront dans la fiction des perspectives infinies de plaintes et de proscriptions. Remarquez, quand on sera tous en taule, on pourra au moins se raconter des blagues cochonnes.

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A69: le «nécessaire réalisme» de la Cour Administrative de Toulouse

Après trois mois de pause café XXL, les pelleteuses de l’A69 peuvent reprendre du service… mais avec une épée de Damoclès au-dessus du capot. Chaque jour d’arrêt coûte un bras, rappellent les défenseurs du projet. Le Conseil d’Etat donnera son avis définitif en 2026…


C’est le célèbre conseiller d’Etat David Kessler qui a parlé le premier du « nécessaire réalisme » du juge administratif. Que voulait-il dire par là ? Eh bien que sur les dossiers qui s’y prêtaient le juge devait faire preuve, à côté des règles juridiques parfois complexes, d’un sens des réalités. Un peu comme le réalisme en matière de peinture, le droit administratif doit aussi juger la réalité d’un dossier telle qu’elle est, sans en obérer les aspects les plus « gênants ». Ainsi, au rebours du Tribunal administratif de la « ville rose », la Cour Administrative d’Appel (CAA) a décidé de la reprise du chantier de l’A 69 entre Toulouse et Castres.

Un bref historique

Depuis plusieurs décennies, la route nationale 126 (RN 126) constitue l’axe principal entre Verfeil et Castres. De plus en plus accidentogène, elle supporte un trafic en constante augmentation, entraînant des temps de parcours allongés et des embouteillages fréquents. La majorité des élus locaux (notamment des secteurs de Castres et de Mazamet) réclament soit un élargissement, soit une autoroute. En 1996, est ouverte l’autoroute A680, une bretelle de 8 km à 2 × 1 voies sans séparateur central, reliant l’autoroute A68 à la RN126 et devant intégrer à terme l’autoroute A69. Le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres est relancé dans les années 2000.

Le groupe pharmaceutique Laboratoires Pierre Fabre, premier employeur privé du Tarn (environ 5000 employés) est à l’origine principal du projet. Ses dirigeants mènent ainsi des actions de lobbying en ce sens auprès des décideurs politiques. Ils jugent l’absence de desserte autoroutière négative pour la compétitivité économique et l’attractivité du territoire sur lequel il est implanté. « Nous remettrons en cause notre développement local si l’autoroute n’est pas finalisée », prévient même le groupe[1].

En 2000 et en 2008, ouvrent respectivement les déviations de Soual et de Puylaurens, deux voies rapides. Elles préfigurent la future autoroute. Au début des années 2010, une première enquête publique est ouverte. Opposé au projet, Jean-Louis Borloo accepte de signer la décision de mise en concession autoroutière de Castres-Toulouse sur pression de François Fillon alors Premier ministre. En mai 2013, François Hollande, en visite à Castres chez Pierre Fabre,  s’engage alors publiquement en faveur du projet de l’autoroute A69 et affirme dans son discours que « cette infrastructure aurait dû être faite depuis des années ». Cet engagement va accélérer grandement le projet. D’autant qu’un an plus tard, le même président Hollande renforce son soutien au projet en demandant au préfet de la région Occitanie de lancer les études préalables nécessaires pour obtenir la déclaration d’utilité publique (Pauline Graulle, Jade Lindgaard et Emmanuel Riondé, « A69 : l’histoire d’un acharnement d’État », sur Mediapart, 20 octobre 2023). L’autoroute A69 est donc une opération classée priorité nationale qui figure parmi les priorités identifiées dans la Loi d’orientation des mobilités promulguée par le ministère de la Transition écologique. Elle est déclarée d’Utilité Publique le 19 juillet 2018 par le gouvernement d’Edouard Philippe. En février 2021, la ministre de la transition écologique Élisabeth Borne lance la procédure d’appel d’offres. Le 16 avril 2022, le Premier ministre Jean Castex signe le décret du contrat de concession avec Atosca, futur concessionnaire chargé de l’exploitation du péage de l’autoroute A69 et qui assure jusque-là sa construction. Les travaux débutent en mars 2023.

En faveur de sa construction, l’A69 doit assurer la liaison entre la rocade de Castres et l’autoroute A680, desservant un vaste territoire au sein de l’aire urbaine toulousaine. Elle constitue un maillon essentiel pour les déplacements en Occitanie, répondant notamment aux besoins de désenclavement et de développement des bassins de vie et d’emploi de Castres et Mazamet, fortement dépendants de la métropole régionale toulousaine.

Cette nouvelle infrastructure vise également à offrir un haut niveau de service aux usagers, en leur garantissant un gain de temps significatif. Enfin, selon ses défenseurs, le projet permettrait de réduire le nombre d’accidents par rapport à l’itinéraire actuel.

La déclaration d’utilité publique du projet prévoit un comité de suivi des mesures compensatoires composé de façon la plus représentative possible. L’État annonce que 87 millions d’euros sont prévus dans la séquence Éviter-réduire-compenser, et qu’il est notamment prévu « cinq fois plus d’arbres replantés que d’arbres coupés ». Fin 2023, l’État rappelle que « les services instructeurs, chargés de la police de l’environnement, sont pleinement mobilisés sur ce chantier majeur pour vérifier que les mesures réglementaires sont bien appliquées sur le terrain » et que des « non-conformités ont pu être constatées et certaines d’entre elles ont donné lieu à des mises en demeure ».

Les écologistes figurent au premier rang des opposants à ce projet de construction. Mais aussi l’autorité environnementale (une entité indépendante, chargée de l’évaluation environnementale dans la plupart des pays de l’UE) qui souligne des lacunes dans l’analyse socio-économique du projet, considérant qu’« elle repose sur des données de trafic (…) désormais obsolètes ». Cette même autorité craint aussi, et même surtout, un impact négatif du projet sur l’environnement : fragmentation du territoire, consommation de sols naturels et agricoles, impact sur la biodiversité et la rupture des continuités écologiques, altérations du paysage et des aménités des territoires, pollution de l’air et les risques sanitaires induits, préservation des zones humides, consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport de l’enquête publique indique qu’« aucune démonstration concrète (ndlr: d’un impact économique favorable) n’est présentée ni aucun chiffrage évalué[2] ». 

Au printemps 2023, une mobilisation à l’appel des Soulèvements de la Terre, de la confédération paysanne et d’Extinction Rebellion regroupe entre 4 500 et 8 200 militants écologistes contre le projet. Il y a une occupation des lieux de travaux avec notamment dès l’été 2023 des manifestants, dits « écureuils », qui aménagent des cabanes dans les arbres. A l’automne ils sont évacués par les forces de l’ordre. La contestation aura son sommet le 10 février 2024, avec Greta Thunberg ainsi que d’autres jeunes militants environnementaux européens présents à la manifestation, près de Soual. L’Etat consacre quelques 2 millions d’euros pour ramener l’ordre dans ce secteur[3]. Enfin, des chercheurs de l’Institut national universitaire Champollion (université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées) indiquent qu’aucune étude n’a permis de lier la création d’une infrastructure de transport au développement social et économique d’un territoire.  

Parcours juridique

Le 19 juin 2023, plusieurs associations déposent donc un recours devant le Tribunal administratif de Toulouse  contre les autorisations environnementales permettant la réalisation du chantier, dans le but d’obtenir la suspension des travaux et l’abandon définitif.

Saisi en première instance, le 27 février 2025, à la surprise générale, le tribunal administratif de Toulouse a arrêté le chantier de cette autoroute (avec effet immédiat) entamé en 2023. La rapporteure publique a demandé l’annulation de l’autorisation environnementale de ce chantier, car il n’a pas de « raison impérative d’intérêt public majeur ». L’exécutif et des parlementaires pro-A69 ont lancé des offensives. Le 24 mars, l’Etat fait appel. « Je soutiens évidemment cet appel », déclare dès le lendemain Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. « Nous chercherons à défendre l’idée que ce projet est un projet d’importance majeure », a-t-elle poursuivi. « Nous estimons que c’est un projet de désenclavement et un projet qui est très important pour les habitantes et les habitants de ce territoire », a-t-elle défendu.

Conscients du caractère essentiel de ce projet en matière de développement et des conséquences désastreuses en matière d’emplois (près de 1000 menacés par cette fermeture), des sénateurs lancent une offensive au Parlement afin de faire voter une loi de validation de reprise. Ainsi, le 7 mai ils déposent une proposition de loi en ce sens. Le 15 mai 2025, le Sénat adopte largement un texte pour tenter d’obtenir la reprise du chantier. Quelques jours après, il en est de même à l’Assemblée nationale. A noter que cette voie parlementaire prévoit d’autoriser la poursuite de la construction de l’A69, sans attendre que la cour d’appel administrative se prononce sur le fond du dossier. 

Les pro A 69 crient victoire. Les militants écologistes, qui luttent de longue date contre le chantier, ont vivement critiqué cette proposition de loi, dénonçant une « attaque contre la séparation des pouvoirs ». Le problème, c’est que le juge administratif ne relève pas de l’autorité judiciaire telle que définie au Titre VIII de la Constitution. Et combien de commissions d’enquête se multiplient, depuis quelques décennies, pendant que des procédures judiciaires se déroulent ! Alors que c’est prohibé. Là, c’est de l’interférence flagrante dans la séparation des pouvoirs.

Le 19 mai le rapporteur public, Frédéric Diard, dont les avis sont généralement suivis par les juridictions administratives, fait savoir qu’il recommande à la CAA de Toulouse d’ordonner la reprise du chantier. Il l’a répété le 21 mai, lors de l’audience d’examen de la requête de l’Etat de sursis à exécution. Selon lui, l’importance des villes de Castres, Mazamet et Toulouse justifie « par nature qu’elles soient reliées par des infrastructures routières rapides », comme le sont d’autres villes occitanes d’importance, telles Albi, Foix, Carcassonne ou Cahors, toutes reliées à Toulouse par l’autoroute, a-t-il notamment souligné. Alice Terrasse, l’avocate du collectif La voie est libre, s’est élevée contre la position du rapporteur public, en martelant qu’ « il n’y a pas de projet qui ‘par nature’ disposerait d’une raison impérative d’intérêt public majeur », nécessaire pour autoriser ce type de chantier. Il est cependant des projets dont le réalisme le plus élémentaire contraint à admettre qu’ils sont d’« intérêt public majeur ». Celui de l’A69 en relève. Le mercredi 28 mai 2025, la CAA de Toulouse a autorisé la reprise des travaux sur l’A69. La cour a tranché : « La cour administrative d’appel de Toulouse prononce le sursis à l’exécution des jugements rendus le 27 février annulant les autorisations environnementales délivrées par l’État ». « Bonne nouvelle ! », a réagi sur X, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Précisons cependant que la Cour s’est prononcée sur un recours à court terme déposé par l’Etat pour redémarrer ce chantier de 53 km. Ensuite, dans plusieurs mois, elle devra rendre une décision définitive sur l’avenir de cette infrastructure.

« On est consternés » : le collectif La Voie est libre va « saisir le conseil d’Etat » après cette décision. Malgré cette nouvelle procédure devant le Conseil d’Etat (qui n’est pas suspensive),  « le chantier va reprendre dans les trois prochains mois », engendrant « des dégâts pour rien », se désole Alain Hébrard, membre du collectif. Il est mis en avant « une suspicion de décision hautement politique ». Les opposants ne renoncent pas et estiment que « le projet A69 est toujours illégal et la procédure au fond en appel nous donnera raison », écrit La Voie est libre. L’association estime que « par le refus de motiver leur décision, les juges du sursis admettent implicitement que les arguments de l’État sont vides et très insuffisants pour pouvoir motiver leur décision. Nous sommes donc confiants pour la suite », ajoute le collectif.

A la vérité ce qu’a décidé la CAA ce n’est ni plus ni moins qu’un sursis à exécution permettant de redémarrer. Mais il ne règle rien sur le fond. La décision définitive n’est pas attendue avant 2026. En attendant, c’est une course contre la montre qui s’enclenche.

Des réalités économiques conséquentes

L’interruption du chantier n’a rien d’anodin. Notamment en matière économique. Depuis fin février, les travaux sont figés. Ouvrages inachevés, matériel immobilisé, équipes redéployées.

Pour les entreprises mobilisées sur le tracé, il va falloir tout remettre en ordre de marche. La reprise immédiate n’a rien d’un simple redémarrage : il faut reprendre les chaînes logistiques, réorganiser les plannings, rebriefer les personnels… Il y a aussi derrière tout cela, une réalité économique dont les écolos ont l’art de se ficher. Selon le gouvernement, l’arrêt du chantier a coûté plus de 25 millions d’euros. Voici le détail. L’association Via81, favorable au projet, avait notamment relayé un coût immédiat de 5 millions d’euros lié à la mise à l’arrêt du chantier, puis un coût compris entre 180.000 et 200.000 euros par jour sans travaux. Des chiffres contestés par les opposants, qui les estiment « gonflés » (mais n’en fournissent pas de leur côté, ou alors très évasifs).

Toujours selon le gouvernement, la « sécurisation des ouvrages en cours de construction représente 1.860.00 euros » et « la démobilisation des ressources », à savoir le millier d’ouvriers et les engins, a coûté, elle, « 4.825.000 euros ». Puis, toujours selon les chiffres avancés par le gouvernement, « les coûts de sécurisation du chantier s’élèvent à 165.000 euros par jour » et « les mesures environnementales représentent une charge de 46.000 euros par jour ».

Alors, qui va payer ? « À ce stade, on n’en sait rien », commente une source proche du dossier. Après tout, comme l’estime Mme Garrido[4], on peut aussi dire « ce sont des fonds privés des entreprises. C’est leur problème ! ». Avec un tel anticapitalisme primaire, tout est permis ! Bien sûr, les entreprises qui s’affairent sur ce chantier sont privées. Avec des ouvriers qui souquent ferme pour le mener à bien. Quel mépris pour eux que cette réflexion stupide de l’ancienne affidée de Mélenchon ! Sauf que les partenaires publics payent aussi pour cette A 69. L’Etat en tout premier lieu. Donc le contribuable. Les collectivités territoriales, ensuite. Donc le contribuable encore. Et puis lorsqu’une société licencie ou fait faillite, à cause d’un projet torpillé par les écolos les plus obtus d’Europe, il s’ensuit des mesures d’accompagnement social (chômage) nourries pour une large part par le contribuable. D’ailleurs combien de talibans de l’écologie française paient d’impôts dans notre pays ? C’est un autre débat… De toute façon, nous sommes persuadés que le Conseil d’Etat, sur cette « affaire de l’ A 69 »,  saura rester sur le même cap que la CAA de Toulouse. Celui du réalisme. « L’écologie, telle que promulguée dans ses vérités définitives par une autorité suprême, s’affaire à ostraciser socialement ceux qui s’avisent d’en discuter les dogmes. » (Chanta Delsol).


[1] ladepeche.fr, 29 novembre 2024

[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/09/25/l-a69-toulouse-castres-est-elle-justifiee-comprendre-le-debat-sur-ce-projet-d-autoroute

[3] « 2,76 millions d’euros : le coût de la répression des opposants à l’A69 », Reporterre, 30 mars 2024

[4] LCI, 31 Mai

T’as pas une clope ?

Elisabeth Lévy, fumeuse, nous a parlé du PSG et du capitaine Dreyfus dans son billet matinal. Mais pas uniquement. Nous vous proposons d’écouter sa chronique.


Je m’interroge sur les priorités de nos gouvernants. Ce week-end a prouvé une nouvelle fois que l’Etat ne parvient plus à garantir la sécurité des rassemblements populaires. Et pour cause : les sanctions, difficiles à mettre en œuvre, sont dérisoires ou absentes. Sur 202 gardes à vues à Paris, il y a eu 13 déferrements au tribunal. Pour le reste : classements sans suite, convocations devant un délégué du procureur (contribution citoyenne), 16 ordonnances pénales (procédure simplifiée). Bref, on nous endort avec les arrestations mais la réalité c’est que la plupart des fauteurs de troubles ne seront pas sanctionnés et que beaucoup des mineurs s’en sortiront avec une petite tape sur les doigts. Et que le même spectacle désolant se reproduira lors de la prochaine victoire ou défaite du PSG ou de l’équipe de France.

Y’a qu’à, faut qu’on

Certes, il n’y a pas de solution simple face à des mineurs hors de contrôle. Mais cela devrait être la priorité de nos gouvernants. Et qu’a fait le parlement, hier ? Voté une loi pour élever le capitaine Dreyfus au grade de général ! Une loi qui ne mange pas de pain et ne sert à rien sinon à faire la promotion de son promoteur, Gabriel Attal. Une loi à peu près aussi utile que celle qui vise à supprimer le Code noir que propose François Bayrou. Abroger une loi qui n’est pas appliquée depuis 1848, c’est en effet une urgence.

A ne pas manquer, le nouveau magazine Causeur: A-t-on le droit de défendre Israël?

Toute la France sait que le capitaine Dreyfus était innocent. Je ne pense pas qu’on va lutter contre l’antisémitisme d’aujourd’hui en s’agitant contre celui d’hier. Et s’agissant du Code noir de 1685, rappelons plutôt que la France a été l’un des premiers pays à abolir l’esclavage.

Est-ce à dire que les pouvoirs publics ne devraient s’occuper que de sécurité et de délinquance ?

En tout cas, ce que les Français reprochent à leurs gouvernants n’est pas que le Code noir n’ait pas été officiellement abrogé, c’est leur impuissance notamment en matière de sécurité.

La faiblesse de l’État face aux délinquants contraste avec sa sévérité avec les gens honnêtes. A ce titre, l’interdiction de la cigarette à l’extérieur semble être une mesure punitive pour les fumeurs plus qu’une protection pour les autres. Quoi que racontent les croisés de l’anti-tabac, vous n’allez pas attraper le cancer parce que des gens fument dans la rue où vous vous baladez. Ce n’est plus une mesure sanitaire mais une sorte de morale sociale (exactement comme les masques à l’extérieur pendant le Covid). Céline disait qu’un jour tous les plaisirs de pauvres seront interdits.  Nous y sommes. Quant à moi, j’arrêterai de fumer dans la rue quand on pourra s’y promener sans risque.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

Christian Krohg, l’émotion du nord

Le musée d’Orsay propose la première rétrospective en dehors de Scandinavie d’un peintre norvégien majeur: Christian Krohg. L’occasion de découvrir une œuvre d’une profondeur exceptionnelle. 


Métropoles et colonies d’artistes

Christian Krohg (1852-1925) naît à Oslo, alors appelée Kristiania, dans un milieu aisé. Après des études de droit, il se réoriente vers la peinture. Pour se former, il se rend d’abord à Berlin où il partage un appartement avec Max Klinger, artiste allemand particulièrement doué et imaginatif. En côtoyant diverses personnalités, sa vocation de représenter la vie des hommes et des femmes de son temps s’affirme.

Krohg réside ensuite à Paris et à Grez-sur-Loing, colonie artistique en bordure de forêt de Fontainebleau. C’est dans ces lieux et en observant des maîtres comme Jules Bastien-Lepage que son naturalisme accède à une réelle finesse.

Rentré en Norvège, il multiplie les activités, devenant non seulement peintre, mais aussi journaliste, militant et auteur de romans. Il évolue dans la bohème d’Oslo où il côtoie Ibsen. C’est là qu’il rencontre Oda, femme très belle et très libre. Pendant près de dix ans, il revient à Paris comme enseignant à la fameuse Académie Colarossi. Il réside souvent à Skagen[1], colonie d’artistes à la pointe nord du Danemark. Finalement, il rentre à Oslo où il devient professeur et enseigne à des élèves comme Edward Munch.

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Peintre et observateur de son temps

Krohg s’illustre souvent par une picturalité très mature, donnant beaucoup de saveur à ses œuvres. Avec lui, on jouit d’une vraie musique des formes. Ajoutons qu’il a un sens aigu des cadrages surprenants. Il aime peindre la vie des gens du peuple et des souffrants. Par exemple, sa Jeune fille malade (1881), tout en nuances de blanc, est à la fois d’une retenue déchirante et d’une rare virtuosité. « Vous devez, dit-il, peindre de manière à toucher, émouvoir, scandaliser ou réjouir le public par ce qui vous a vous-même réjoui, ému, scandalisé ou touché. »

Christian Krohg, Jeune fille malade, 1881, Huile sur toile, Nasjonalmuseet, Oslo, © NasjonalmuseetBørre Høstland

Les femmes, la fatigue et la prostitution

C’est probablement par son attention à la condition des femmes qu’il se révèle particulièrement intéressant. À part Antonio Fillol, en Espagne, peu d’artistes de cette époque explorent autant ce sujet. Krohg montre d’abord la fatigue des femmes entre le travail et la maternité. Il est également très préoccupé par la prostitution. Cela lui inspire son roman, Albertine. C’est aussi un thème de peintures, notamment pour une grande composition (1885) qui remue le public norvégien.

Une exposition « découverte »

Cette exposition Krohg s’avère donc d’un intérêt exceptionnel. Elle a été programmée par Christophe Leribault lors de son bref passage à la présidence du musée, avant d’être magnifiquement orchestrée par Servane Dargnies. C’est le type d’exposition que l’on aimerait voir très souvent au musée d’Orsay.


À voir absolument

« Christian Krohg (1852-1925) : le peuple du Nord », musée d’Orsay, jusqu’au 27 juillet. 16 € l’entrée

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[1] Le musée d’Orsay a récemment exposé l’excellente Harriet Backer, également active à Skagen.

Ils étaient nés en 1936…

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© T.F.1-CHARZAT CHRISTOPHE/TF1/SIPA ANDERSEN ULF/SIPA

Nicole Croisille, l’une des plus belles voix françaises et Philippe Labro, le prince des médias viennent de nous quitter. Monsieur Nostalgie se souvient…


Hier encore, un ami journaliste me demandait : C’est quoi, pour toi, l’esprit français ? Alors, je remontais à Villon, j’enjambais Rabelais, je filais chez Larbaud dans le Bourbonnais, je me risquais à flirter avec Morand, je n’oubliais pas de parler de ce bon vieux bigleux de Prévert aux paupières lourdes tout en me laissant ceinturer par le phrasé d’Aragon. Pour le narguer, j’évoquais même Jean-Pierre Rives et Yannick Noah sans oublier Carlos et Nino Ferrer. Mon cabas est profond, il n’est pas sectaire, j’y entasse les sportifs et les écrivains, les starlettes et les beaux mecs, les non-alignés et les amuseurs du dimanche, les vignes de mon pays au début de l’automne et la Seine boueuse qui vient cogner sur les quais de la Mégisserie. Chacun son folklore, chacun son identité.

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Esprits français percutés par les lueurs américaines

Et puis ce matin, la réponse m’a été donnée. La triste actualité me l’apporte sur un plateau d’argent avec ces deux actes de décès. Nicole Croisille et Philippe Labro étaient nés en 1936 à une saison d’intervalle, ils étaient dans le registre des professions oisives et essentielles, c’est-à-dire le divertissement et l’art populaire, la chanson frissonnante et le cinéma d’élite, deux figures de mon enfance, deux visages qui charrient tant de souvenirs. Je pourrais affirmer aujourd’hui à cet ami qu’ils incarnaient l’esprit français bien que ces deux-là eussent été très tôt percutés par les lueurs américaines ; planaient sur leur tête, le parfum de JFK et les boîtes de jazz de New-York. Les belles demeures des Hamptons et les voix cassées des champs de coton. Oui, c’était ça l’esprit français, l’érotisme canaille d’une chanteuse pouvant tendre son arc, de la tragédie à la comédie, moduler ses cordes à nous arracher des larmes et nous emplir d’une joie frivole et puis, cet aventurier des salles de presse, cet ambitieux qui, du journalisme au cinéma, de l’écriture aux paroles d’un tube, d’une radio luxembourgeoise aux studios Eclair d’Épinay-sur-Seine, voulait goûter à tous les plaisirs et à tous les honneurs.

Ogres de travail

En leur temps, ces deux personnalités ont été célébrées, primées, jalousées, moquées, tendrement aimées pour leurs défauts visibles, ils agaçaient car tout semblait leur réussir ; benoîtement, ils nous donnaient de leurs nouvelles en passant à la télévision chez Guy Lux ou Drucker, chez Pivot ou au micro de RTL. Ces deux personnalités publiques étaient des ogres de travail. Le grand âge arrivant au galop, elles n’avaient pas complètement disparu de nos imaginaires. À chaque fois, même affaiblies par les pépins de santé, on les trouvait dignes et élégantes, piquantes et courtoises sans être trop mielleuses, ce qui est un exploit dans les métiers de communication. Dans une France qui valide tant de fausses valeurs et de pleurnicheurs du soir, ces deux-là conservaient une forme d’élégance dans leur apparence et leur propos. Ça paraît peut-être banal, ridicule, anecdotique, mais à l’heure des sauvageries et des faillites intellectuelles, on se sentait bien avec eux, on n’avait pas honte de nos artistes.

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Dans nos provinces, on trouvait même que Nicole, son carré court blanc éclatant et ses mains d’harpiste et Philippe, sa gueule d’acteur et son allure d’éternel étudiant de la Ivy League donnaient du lustre à notre nation. Avec eux, on se sentait respectés. Compris. Ce matin en apprenant leur disparition, j’ai eu deux flashs. J’ai revu Nicole en duo avec Mort Shuman à Genève pour une émission enregistrée en public sur la RTS. Ensemble, ils interprètent au débotté, naturellement comme seuls les grands professionnels savent briller ; ça semble improvisé, facile, ils se chambrent, ils se taquinent, ils s’apprivoisent, ils nous amusent. Leur duo est drôle et d’une intelligence folle. Mort donne la note au piano, et Nicole enflamme l’auditoire, elle envoie les mots de « Parlez-moi de lui » tout en puissance cristalline. Elle foudroie. Elle nous terrasse. Elle est géniale de charme et d’émotion. Elle nous transperce. Nicole en robe lamée, prend possession de nos friches intérieures, à la manière d’une Barbra Streisand. Quand je repense à Philippe, ce sont des noms qui surgissent, des codes personnels : Bart Cordell, la famille Galazzi, le nonce, etc… J’aime le cinéma de Labro qui n’était pas comme celui de tous ces réalisateurs révolutionnaires subventionnés car il aimait sincèrement les puissants. J’aimais son manichéisme soyeux. J’aime L’Héritier, L’Alpagueur et même Rive droite, rive gauche. J’aime le triangle amoureux, Jean-Paul entouré de Maureen Kerwin et de Carla Gravina. J’aime passionnément Charles Denner. Nicole et Philippe étaient des artistes car ils nous ont fait changer de peau. Parlez-nous encore longtemps d’eux !

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La perte de contrôle de l’État sonne la fin d’un monde

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Le garde des Sceaux et le président de la République visitent une prison à Vendin-le-Vieil (62), le 14 mai 2025 © Christian Liewig-pool/SIPA

De concert, MM. Philippe, Retailleau, Attal ou Darmanin déplorent l’ensauvagement de la société et fustigent le laxisme de la justice française, à la suite des émeutes et pillages ayant suivi la victoire du PSG. Mais le peuple français sera-t-il prêt à « renverser la table » avec ceux-là mêmes qui sont au pouvoir depuis des années, sans avoir su faire preuve de la fermeté qu’ils réclament aujourd’hui ?


« Je suis en colère », dit Edouard Philippe, ancien Premier ministre, à la une du Point. « Je suis en colère, comme beaucoup de Français », a semblablement déclaré Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, lundi, en réaction aux violences urbaines, majoritairement issues de cités d’immigration, ayant accompagné la victoire du PSG samedi soir à Munich, en Ligue des champions. « Il faut faire évoluer radicalement la loi », a renchéri mardi Gérald Darmanin, garde des Sceaux, après les premiers jugements bienveillants rendus contre les interpellés.

Implacable toi-même !

Emmanuel Macron avait déclaré, dimanche : « Nous poursuivrons, nous punirons, on sera implacables »… Seul François Bayrou, Premier ministre, a gardé le silence; peut-être pour faire oublier son angélisme qui lui faisait dire en 2007 que « même dans la plus lointaine banlieue on est heureux d’être français ». Un vent de panique souffle sur le gouvernement. Il ne maîtrise plus rien. L’État a perdu le contrôle des finances publiques, de l’immigration de masse, de la transmission culturelle, du maintien de l’ordre, des réponses pénales. L’abandon du pouvoir saute aux yeux, même s’il mime encore l’autorité en interdisant de fumer sur les plages ou les parcs dès le 1er juillet ou en ayant convoqué lundi les patrons des réseaux sociaux pour tenter de les contrôler. Or ce sont ces réseaux libres qui sont devenus indispensables à la démocratie. Ils ont, une fois de plus, brisé le récit officiel melliflu répercuté par les médias dominants s’arrêtant à la version unique d’une rencontre sportive « bon enfant », d’une « liesse populaire ». Ce n’est que mardi que Le Parisien a titré : « Quelle honte ! » en évoquant enfin « deux nuits de saccage ». Mais que diable est allé faire Retailleau dans cette galère ! Son salut est dans la démission.

A ne pas manquer, notre nouveau numéro en vente aujourd’hui: Causeur #135: A-t-on le droit de défendre Israël?

On coule

La colère française ne se reconnaitra jamais dans les désolations partagées des politiques : ils ont avalisé ce système qui prend l’eau. Une rupture radicale avec ce monde dépassé permettra de remettre les esprits à l’endroit. En cela, le ministre de l’Intérieur, qui porte une alternative crédible, n’a aucun intérêt à cautionner plus longtemps un centrisme incapable de s’autoréformer. La décision des députés, l’autre jour, de supprimer les ZFE (zones à faible émission) a été prise après la mobilisation de la société civile, menée par Alexandre Jardin sur les réseaux sociaux. Cette France invisible, qui s’éloigne des médias traditionnels et des partis de gouvernement, est appelée à s’affirmer dans le débat public en usant des nouveaux outils de communication et de son bon sens du terrain.

Face à elle, la caste est condamnée à se caricaturer dans un entre-soi salonnard cherchant à se protéger d’un « populisme » qui n’est que le désir des gens de corriger cinquante années d’erreurs idéologiques.

L’image que donne la France au monde, avec ces intifadas dans les villes et ces communautés qui s’affrontent dans un racisme parfois meurtrier, est effrayante. Entendre le chef de l’État remercier le Qatar, propriétaire du PSG depuis 2011, alors même que cet État soutient les Frères musulmans, le Hamas et l’islamisation des cités, est révoltant de légèreté. Tout ce monde doit partir. Il faut tout reconstruire.

Causeur: A-t-on le droit de défendre Israël?

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de juin


Jamais la réprobation d’Israël n’avait atteint un tel paroxysme. L’accusation de génocide se banalise, bien au-delà des cercles islamo-mélenchonistes. Tel est le constat d’Elisabeth Lévy qui présente notre dossier spécial. « Israël est devenu l’autre nom du mal ». Et l’interminable guerre de Gaza divise les soutiens d’Israël. À l’instar de Delphine Horvilleur, certains dénoncent publiquement la poursuite de la guerre et les attaques de Netanyahou contre l’État de droit, suscitant colère et désarroi dans la rue juive. Pour Gil Mihaely, les critiques de Delphine Horvilleur mêlent – et emmêlent – position morale et opinion politique. Elles réveillent une querelle profonde née de la tension entre deux définitions du judaïsme, théologique et politique. Alors que la synthèse israélienne ne permet plus de réduire les fractures qui traversent le monde juif, il est urgent de penser l’État juif. Il s’agit aussi, nous explique Noémie Halioua, d’une longue tradition d’affrontements internes quasi constitutive de l’identité israélienne. Les détracteurs de Delphine Horvilleur ne lui reprochent pas d’exprimer ses idées, mais de se parer d’une supériorité morale pour les défendre.

Le numéro de juin est disponible aujourd’hui sur le site Internet, et demain chez votre marchand de journaux.

Denis Olivennes, qui se confie à Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, a soutenu Israël dans sa guerre contre le Hamas. Mais face à la tournure du conflit, le président d’Éditis et de CMI France dénonce désormais la politique menée par Benjamin Netanyahou qu’il estime prisonnier de l’extrême droite. Le risque étant de voir l’État juif devenir un État paria. Selon lui, « être juif, c’est une exigence morale. Même pour un État ». Pour l’historien Georges Bensoussan, la tribune de Delphine Horvilleur reflète la fracture entre la rue juive et les notables de la communauté. Selon lui, les personnalités qui accusent Israël de faillite morale sont d’abord soucieuses de leur respectabilité sociale et médiatique. Vincent Hervouët, grand spécialiste de politique estrangère, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy, a couvert suffisamment de conflits pour ne pas prendre pour argent comptant la communication des belligérants et se méfier des analyses moralisantes. Une qualité rare au sein d’une profession si conformiste. Enfin, Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, qui se confie aussi à notre directrice de la rédaction, pense que dans cette période de grande tension, où tous les Juifs du monde sont tenus pour responsables de la politique de Netanyahou, il est inopportun d’accabler Israël. « La critique du gouvernement israélien est légitime, la condamnation morale du pays me semble bien imprudente ».

Frères musulmans : mission invisible

Causeur consacre un mini-dossier à l’activisme des Frères musulmans en France dont le rapport Gouyette-Courtade décrit les réseaux solides, les stratégies masquées et les menaces réelles. Comme le soulignent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction, les médias et la gauche dénoncent l’islamophobie, la stigmatisation et l’amalgame. Pour eux, le problème n’est pas l’islam séparatiste mais la droite Retailleau. La vraie limite du rapport, c’est qu’il ne propose pas de nouvelles mesures fortes pour endiguer la progression de l’islamisme politique en France. Spécialiste mondialement reconnu de la Syrie, Fabrice Balanche sait parfaitement de quoi les Frères musulmans sont capables et n’hésite pas à le dire. Il livre son témoignage à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Enragés par sa lucidité et son expertise, les islamo-gauchistes qui règnent à Lyon 2 depuis des années tentent de le faire taire. Pas sûr qu’ils y parviennent. Céline Pina enquête sur l’islam politique au niveau local en France, où pour consolider leur base électorale, des élus municipaux cèdent au clientélisme communautaire, pendant que j’explique comment le Royaume Uni est devenu la tête de pont des organisations islamistes internationales pour conquérir l’Europe.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy commente les accusations de « diffusion d’images à caractère pornographique de mineurs » portées contre Bastien Vivès. Le seul crime de l’ex-enfant chéri de la BD française, c’est d’avoir dessiné certaines joyeuses obscénités. Pourtant, il a été traité, au cours d’une enquête, comme s’il avait potentiellement commis des actes de pédo-criminalité. Ses livres sont retirés de la vente et il fait l’objet de tombereaux d’insultes sur les réseaux sociaux. Devant les arguments de son avocat, Richard Malka, expliquant la différence entre la réalité et la fiction, et soulevant une question de compétence territoriale, le procès a été renvoyé et n’aura peut-être jamais lieu. Conclusion : « la Justice se ridiculise quand elle prétend combattre le mal en interdisant sa représentation ».

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Nicolas Bedos est lui aussi victime d’une tentative de mise à mort sociale par les nouvelles ligues de vertu. Il raconte sa descente aux enfers de MeToo dans La Soif de honte. Pour Elisabeth Lévy, ce que lui reproche le tribunal médiatico-féministe, au-delà des faits pénalement repréhensibles, c’est d’avoir été un séducteur volage et égoïste. Sous couvert de justice, il s’agit d’imposer une nouvelle morale. Voulez-vous mourir légalement assisté ? La réponse de Cyril Bennasar est : « Plutôt crever ! » Selon lui, la mort souffrait d’un vide juridique, la loi euthanasie l’a comblé. Le monde flou du privé, de l’intime et du discret a vécu, le droit et la transparence s’imposent. On mourra désormais dans le cadre prévu pour, assisté et couvert légalement. Loup Viallet a enquêté sur Awassir, une association parrainée par le président Tebboune et hébergée par la Grande mosquée de Paris, dont l’objectif est de transformer la diaspora en une force politique au service du régime d’Alger. Se confiant à Bérénice Levet, le géographe Christophe Guilluy approfondit sa réflexion sur la France périphérique. Délaissant les chiffres pour les lettres, son nouvel essai prend la forme de la fable, pour mieux décrire le fossé qui sépare les élites déconnectées des gens ordinaires.

Parmi nos chroniqueurs réguliers, Olivier Dartigolles parle de la faillite et du déshonneur de tous ceux à gauche qui, pour des raisons électoralistes, n’entérineraient pas une rupture définitive avec LFI. Emmanuelle Ménard nous entretient de l’euthanasie, du débat télévisé du chef de l’État et du complotisme d’Aymeric Caron. Jean-Jacques Netter se penche sur le coût de nos prisons, le prix de l’électricité, et les promesses du gouvernement de supprimer un tiers des comités Théodule de la République. Pour Ivan Rioufol, le conformisme médiatique nazifie la démocratie israélienne, abandonne Boualem Sansal et nie l’entrisme islamiste. Enfin, Gilles-William Goldnadel ne revient pas de la tribune, publiée par 900 artistes en marge du Festival de Cannes, qui condamne le « silence » sur le « génocide » à Gaza.

Côté culture, la chanteuse et comédienne Caroline Loeb raconte à Yannis Ezziadi ses années Palace. Elle a été une des créatures peuplant les nuits de la boîte mythique du Faubourg-Montmartre. Le Tout-Paris s’y mêlait à des inconnus hauts en couleurs dans un tourbillon de fêtes, de sexe, de drogue et de créativité. Jonathan Siksou nous raconte la vie en rose : au cœur d’une nature préservée adossée à la colline de Grasse, les jardiniers de Lancôme entretiennent avec passion le Domaine de la Rose. Ce conservatoire horticole dédié aux professionnels de la parfumerie ouvre ses portes au grand public. Julien San Frax fait le portrait du communiquant Timothée Gaget qui bataille sur la scène médiatique pour défendre ceux qui font le « made in France », et Emmanuel Tresmontant rend hommage à « La tribune des critiques de disques », cette émission qui, chaque dimanche après-midi sur France Musique, réunit critiques et musiciens animés par un idéal de beauté pour débattre interprétation et direction d’orchestre.

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Dans les romans de Mario Vargas Llosa, il y a des pages magnifiques sur les liens qui unissent l’homme et la femme. Georgia Ray met en valeur le côté furieusement érotique du prix Nobel de littérature. Le goût de l’érotisme n’était pas étranger non plus au grand acteur, Michel Simon, mort il y a 50 ans, dont Pascal Louvrier nous rappelle la boulimie de travail (150 pièces, 140 films). Vincent Roy nous présente le nouveau roman de Jean Le Gall qui plonge dans les méandres de la crise existentielle d’un homme politique dans la Rome des années 1960, tandis que Jean Chauvet parcourt les salles obscures où il trouve un Denis Podalydès en majesté, un réjouissant polar camerounais et une comédie bobo insupportable. « Bobo » et « insupportable » ? Pour nos lecteurs, il ne peut s’agir au fond que d’une tautologie…

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Scientifiques trop genrés

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© D.R.

Face à la pénurie d’ingénieurs et d’informaticiens, la France tente de remonter la pente en misant sur les lycéennes. Mais, la stratégie du gouvernement fondée sur la dénonciation de stéréotypes de genre dès la maternelle occulte l’essentiel


Selon un rapport de l’Institut Montaigne publié le 20 mai, l’économie française manque cruellement d’ingénieurs et d’informaticiens. Il faudrait en former 100 000 de plus par an, estiment les auteurs, Éric Labaye, ancien président de Polytechnique, et Aiman Ezzat, directeur général de Capgemini. Une gageure. Car le niveau en sciences des élèves de notre pays est dramatiquement faible.

D’après la dernière enquête internationale Timms, parue en décembre, le score moyen en mathématiques dans les classes de CM1 est le plus bas de toute l’Europe. Et celui mesuré en 4e est à peine plus satisfaisant, puisque notre pays arrive à se hisser glorieusement à l’avant-dernière place, devant la Roumanie…

Face à cette catastrophe nationale, la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne a une idée : attirer davantage les filles, du moins celles qui échappent à la terrible baisse de niveau général, vers les filières scientifiques. Excellent projet sans aucun doute. Sauf que le « Plan filles et maths », lancé voilà quelques jours par la Rue de Grenelle, s’appuie sur une étude complètement à côté de la plaque.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Hors l’élitisme républicain, pas de salut pour l’École

À en croire les pédagogues qui l’ont rédigée, les lycéennes brillantes seraient peu nombreuses à opter pour des études d’ingénieur (où elles ne représentent que 25 % des effectifs) à cause des « stéréotypes de genre » qui seraient relayés dès la maternelle par les enseignants. Qui peut gober une telle fable ? Qui peut croire que le personnel de l’Éducation nationale, cette corporation féminisée à 75 % et dont les deux tiers des membres votent à gauche, serait un bastion sexiste ?

Si l’on veut comprendre pourquoi tant de demoiselles douées se détournent des sciences, il conviendrait plutôt d’interroger un autre stéréotype, écolo-wokiste celui-là, qui leur est professé à longueur de scolarité : le lieu commun selon lequel l’industrie et la technologie sont mauvaises pour la planète et aliénantes pour l’homme. Dans un monde où les émotions et la communication sont présentées par la gauche, qui a troqué la rationalité contre le romantisme, comme la clé du progrès, doit-on s’étonner si les fortes en thème conçoivent les lettres et les sciences humaines comme la voie royale ?

Allo, allo Monsieur le répondeur ?

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© Tandem

La voix royale… La petite tornade cannoise passée, le cinéma reprend le chemin des salles obscures avec un Denis Podalydès en majesté


Sur le papier, on pouvait craindre le pire de la comédie française écrite par-dessus la jambe. Ne serait-ce qu’en lisant le synopsis, cette quatrième de couverture cinématographique : « Baptiste, un imitateur de talent, ne parvient pas à vivre de son art. Un jour, il est approché par Pierre Chozène, romancier célèbre mais discret, constamment dérangé par les appels incessants de son éditeur, sa fille, son ex-femme… Pierre, qui a besoin de calme pour écrire son texte le plus ambitieux, propose alors à Baptiste de devenir son “répondeur”, en se faisant tout simplement passer pour lui au téléphone. Peu à peu, celui-ci ne se contente pas d’imiter l’écrivain : il développe son personnage. » À cette seule lecture, on se dit que le générique devrait d’abord créditer Edmond Rostand et son tandem Cyrano-Christian. Mais, comme d’habitude, tout réside dans la façon dont on s’empare d’une bonne idée, comment on l’adapte, comment on la travaille. Bref, comment on fait oublier le plagiat initial pour parvenir à une vraie situation originale. Et c’est assurément ce qui se passe ici : en adaptant Le Répondeur,livre de Luc Blanvillain, la réalisatrice Fabienne Godet et sa scénariste Claire Barré ont réussi le double examen de passage : faire oublier Rostand, tout en laissant le roman adapté vivre sa vie littéraire. Autrement dit, le film existe par lui-même, avec son univers autonome et sa capacité à nous faire sourire régulièrement.

Les précédents films de Fabienne Godet plaidaient plutôt en sa faveur, même si on peine jusqu’ici à trouver un fil directeur. Ses cinq longs métrages oscillent entre un film sur l’entreprise et ses démons (Sauf le respect que je vous dois), un portrait du braqueur Michel Vaujour (Ne me libérez pas, je m’en charge), une comédie dramatique avec Benoît Poelvoorde (Une place sur la Terre), un film « choral » sur la résilience (Nos vies formidables) et, beaucoup moins réussi, un road-movie existentiel (Si demain). En arpentant avec Le Répondeur le terrain de la comédie, elle prouve une fois de plus son éclectisme. Tant pis pour l’idée de film d’auteur mais, dans le cas présent, tant mieux dans la mesure où les comédies françaises brillent plus par leur médiocrité d’écriture et de réalisation que par leur inspiration. Ce qui fédère peut-être la courte filmographie de cette cinéaste sexagénaire, c’est un amour manifeste des acteurs poids lourds dans leur catégorie : Olivier Gourmet et Benoît Poelvoorde notamment. Ici, c’est le toujours étonnant Denis Podalydès qui s’y colle, avec un allant incontestable. Il est plus que parfait en romancier à succès constamment remis à sa place par le catastrophique jugement paternel. À la fois très lâche et très courageux, il navigue entre la tentation du désert et le confort de la reconnaissance. Il pourrait évidemment jeter aux orties son téléphone portable et rompre toutes relations sociales. Comme le fait, soit dit en passant, Rodolphe Martin, le héros du nouveau et délicieux roman de Patrice Leconte, La Tentation du lac (Arthaud). Mais non, Pierre Chozène choisit, lui, la voie particulièrement tordue de la voix d’autrui… Et, comme il se doit, l’imitateur voudra devenir l’imité, ou du moins prendre les commandes de sa vie puisqu’il y est en quelque sorte autorisé. Salif Cissé incarne avec brio ce Baptiste chargé de répondre au téléphone d’un autre. Et, il faut le dire, ce duo de comédiens fonctionne à merveille – Podalydès retrouvant les vieilles mais efficaces ficelles d’un répertoire classique qu’il connaît par cœur. On se laisse alors entraîner avec plaisir dans cette comédie assurément sans prétention. Il va de soi que c’est la voix de Podalydès que l’on entend durant tout le film, même quand elle est portée par Salif Cissé. Ce « doublage » permanent crée un décalage savoureux qui contribue à la réussite de l’ensemble. Comme une célébration de la voix de l’acteur, au-delà du corps et de l’apparence : c’est la voix qui fait spectacle d’abord et avant tout.

1h42

Gouverner sans gouverner: l’étrange stratégie de Wilders

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M. Wilders s'adresse à la presse après avoir retiré son parti de la coalition gouvernementale, La Haye, 3 juin 2025 © Peter Dejong/AP/SIPA

Pays-Bas. M. Wilders quitte la coalition gouvernementale parce que ses partenaires ont refusé de signer un plan très strict sur l’immigration qu’il voulait imposer rapidement. Il n’est pas certain que cette stratégie renforce ou affaiblisse sa position en vue de nouvelles élections, raconte notre correspondant.


L’équipe de rêve de la droite néerlandaise, avec M. Geert Wilders comme Premier ministre fantôme, s’est écroulée après 11 mois et un jour de bisbilles internes interminables.

Mardi 3 juin, Geert Wilders a brusquement retiré les ministres de son Parti pour la Liberté (PVV) de la coalition gouvernementale quadripartite qui avait promis, menacé ont dit certains, de mener la politique d’immigration et d’asile la plus sévère que le pays ait jamais connue.

Les Pays-Bas de nouveau plongés dans l’incertitude

Wilders avait exigé la signature des trois dirigeants des partis « amis » au bas de son programme en dix points renforçant encore la politique migratoire. Et cela en envoyant l’armée aux frontières à la chasse aux clandestins, en rendant impossible toute réunification familiale et en fermant autant de foyers de demandeurs d’asile possible.

Quand les partenaires ainsi malmenés ont refusé de signer, M. Wilders a annoncé mardi matin le retrait de ses ministres, plongeant le pays dans l’incertitude. Visiblement sous le choc, les partenaires éconduits ont accusé M. Wilders de se comporter en kamikaze. Ou, pire, de préparer le retour de la gauche en cas d’élections anticipées…

Et dire que cela avait si bien commencé pour la droite quand, fin 2023, le PVV de M. Wilders était devenu de loin le plus grand parti aux législatives. Après de laborieuses négociations, le leader populiste avait conclu en juin 2024 un accord gouvernemental avec les libéraux du parti VVD, le Mouvement Citoyens-Paysans (BBB) et le Nouveau Contrat Social (NSC). Assurée d’une majorité confortable au Parlement, la coalition l’était également de dissensions internes. Le NSC, scission du parti chrétien démocrate, avait le plus hésité à rejoindre M. Wilders, accusé de racisme antimusulman après avoir exprimé le souhait de voir moins de Marocains aux Pays-Bas. Puisque grand vainqueur des élections, M. Wilders aurait dû être nommé ministre selon une tradition bien établie. Ce qui aurait posé un problème pour un homme qui, depuis 2004, vit sous des menaces de mort d’organisations islamistes, et sous stricte protection policière. En plus, on peut parier que le monde arabo-musulman ne l’aurait pas porté dans son cœur. Et que dire des réactions des « jeunes des quartiers », vus par M. Wilders comme de la racaille, tout comme d’ailleurs de celles des journalistes ?

Au revoir, M. Dick Schoof

En lieu et en place de M. Wilders, c’est donc M. Dick Schoof, ancien dirigeant de services de sécurité, sans étiquette, qui fut nommé Premier ministre. Le pauvre ! Au Parlement, M. Wilders n’a jamais manqué l’occasion de le rabrouer pour son inexpérience. Drôles de scènes parlementaires, où Wilders se comportait tantôt en Premier ministre fantôme, tantôt en adversaire du véritable et éphémère dirigeant du gouvernement.

En cas de probables élections législatives anticipées, comment jugeront les fans de M. Wilders son sabordage d’un gouvernement qui avait éveillé tant d’espoirs à droite ? Au sein de son parti, c’est le silence total ce mardi matin. Toute critique du chef omniscient y revient à un renvoi immédiat. Et même si M. Wilders devait connaître un second triomphe électoral, de potentiels partenaires gouvernementaux y réfléchiront cette fois à deux fois avant de lier leur sort à celui qui peut ainsi les lâcher sur un coup de tête.

Délit de sale gosse

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Elisabeth Levy © Hannah Assouline

L’éditorial de juin d’Elisabeth Lévy


J’avoue. Je suis coupable de recel et de diffusion de littérature à caractère pédopornographique. Et pas qu’un peu. Il y en a plein ma bibliothèque. Passons sur la Bible et les deux filles de Loth, ces salopes qui enivrent leur père pour le violer. Mais prenez la petite Volanges dans Les Liaisons dangereuses : d’accord, elle est bien contente de voir le loup – qui n’est pas celui de son fiancé attitré, trop niais pour la déniaiser. Pire, la friponne en redemande. Le problème, c’est qu’à 13 ans, elle n’a pas pu consentir. Valmont est donc coupable de viol, Laclos d’apologie du viol et ma pomme, de recel des mêmes crimes. Et puis, il n’y a pas que les mots, il y a aussi les images. Heureusement, les mangas avec Japonaises en socquettes, c’est pas mon truc. Mais j’aimerais savoir où est passé l’album de Gotlib où cette coquine de Cosette taille une pipe à ce vieux pervers de Jean Valjean, je crois que je l’ai passé à ma nièce de 9 ans. Mon compte est bon. Et à moins que vous ayez arrêté la BD à Tintin et la littérature au Petit Prince (deux héros parfaitement asexués), le vôtre aussi.

J’ai l’air de blaguer mais pas du tout. Le 27 mai, Bastien Vivès, ex-enfant chéri de la BD française a comparu devant le tribunal de Nanterre pour « diffusion d’images à caractère pornographique de mineurs ». On se dit que le gars estl’un de ces gros dégoûtants qui se masturbent devant des photos de gamine et que c’est bien fait pour lui. Sauf qu’on n’a aucun acte ni propos délictueux à lui reprocher. Son seul crime, c’est de dessiner. En particulier trois ouvrages pornos-rigolos (vendus sous plastique): La Décharge mentale, Les Melons de la colère et Petit Paul, récit des aventures érotiques d’un garçon à gros pénis qui lutine des femmes à gros seins – dont sa mère me semble-t-il. Si ça se trouve, ça a donné des idées tordues à certains lecteurs. Fin 2022, ces joyeuses obscénités choquent des étudiants des écoles d’art d’Angoulême qui dénoncent « la banalisation et l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité » et obtiennent par voie de pétition l’annulation d’une exposition consacrée au dessinateur. Ils font froid dans le dos, les artistes de demain. Dans la foulée, trois associations de protection de l’enfance qui doivent manquer de vrais enfants à protéger saisissent la justice. Les réseaux sociaux font le reste : Vivès est un pédo-pornographe et, pourquoi s’arrêter là, un pédophile. Il reçoit des tombereaux d’insultes, des menaces de mort, ses livres sont retirés de la vente. Le cauchemar ordinaire des victimes de chasses aux sorcières.

À lire aussi, Annabelle Piquet : Procès Bastien Vivès: de mauvais desseins?

Le plus inquiétant, c’est que la Justice se soumet à l’air du temps. En 2019, la section « mineurs » du parquet de Nanterre, saisie de plaintes similaires contre les mêmes ouvrages, avait eu la seule réaction raisonnable : les jeter au panier. Trois ans plus tard, la même section du même parquet estime au contraire indispensable d’engager des poursuites. Pendant deux ans et demi, des policiers et des magistrats travaillent pour protéger Petit Paul et sa sœur Magalie des agissements criminels de leur créateur. Celui-ci est soumis à un test ADN, comme s’il y avait de vraies victimes, interrogé sur ses pratiques masturbatoires et inscrit au fichier des délinquants sexuels. Pour des dessins. Les enquêteurs estimant que l’absence de dents de sagesse prouve que Petit Paul est mineur, Malka produit une étude affirmant que de très nombreux adultes en sont dépourvus. Ils veulent aussi savoir si Petit Paul était consentant (sic). « Et les Romains, dans Astérix, ils sont consentants pour prendre des tartes ? » s’amuse Richard Malka, l’avocat du dessinateur. Il croit cependant nécessaire de préciser dans ses conclusions adressées à la cour que Petit Paul et Magalie ne sont pas des êtres humains, mais des « créatures oniriques aux caractéristiques physiques n’existant pas, puisque Petit Paul est doté d’un sexe de 80 centimètres et que toutes les femmes apparaissant dans cette BD ont des poitrines singulièrement disproportionnées ». On en est là : un avocat doit expliquer à des juges qu’il y a une différence entre la réalité et la fiction. Malka ayant soulevé un problème de compétence territoriale, le procès a été renvoyé et peut-être n’aura-t-il jamais lieu. Il est possible que quelqu’un au parquet de Nanterre finisse par comprendre que la Justice se ridiculise quand elle prétend combattre le mal en interdisant sa représentation. Mais ce précédent risque de donner des ailes aux ligues de vertu et autres lobbys hargneux qui n’existent que par leurs criailleries numériques et leurs manigances judiciaires et trouveront dans la fiction des perspectives infinies de plaintes et de proscriptions. Remarquez, quand on sera tous en taule, on pourra au moins se raconter des blagues cochonnes.

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A69: le «nécessaire réalisme» de la Cour Administrative de Toulouse

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À Castres, les partisans de l'A69 dénoncent le gachis du chantier mis à l'arrêt, le 8 mars 2025 © Christian Bellavia/SIPA

Après trois mois de pause café XXL, les pelleteuses de l’A69 peuvent reprendre du service… mais avec une épée de Damoclès au-dessus du capot. Chaque jour d’arrêt coûte un bras, rappellent les défenseurs du projet. Le Conseil d’Etat donnera son avis définitif en 2026…


C’est le célèbre conseiller d’Etat David Kessler qui a parlé le premier du « nécessaire réalisme » du juge administratif. Que voulait-il dire par là ? Eh bien que sur les dossiers qui s’y prêtaient le juge devait faire preuve, à côté des règles juridiques parfois complexes, d’un sens des réalités. Un peu comme le réalisme en matière de peinture, le droit administratif doit aussi juger la réalité d’un dossier telle qu’elle est, sans en obérer les aspects les plus « gênants ». Ainsi, au rebours du Tribunal administratif de la « ville rose », la Cour Administrative d’Appel (CAA) a décidé de la reprise du chantier de l’A 69 entre Toulouse et Castres.

Un bref historique

Depuis plusieurs décennies, la route nationale 126 (RN 126) constitue l’axe principal entre Verfeil et Castres. De plus en plus accidentogène, elle supporte un trafic en constante augmentation, entraînant des temps de parcours allongés et des embouteillages fréquents. La majorité des élus locaux (notamment des secteurs de Castres et de Mazamet) réclament soit un élargissement, soit une autoroute. En 1996, est ouverte l’autoroute A680, une bretelle de 8 km à 2 × 1 voies sans séparateur central, reliant l’autoroute A68 à la RN126 et devant intégrer à terme l’autoroute A69. Le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres est relancé dans les années 2000.

Le groupe pharmaceutique Laboratoires Pierre Fabre, premier employeur privé du Tarn (environ 5000 employés) est à l’origine principal du projet. Ses dirigeants mènent ainsi des actions de lobbying en ce sens auprès des décideurs politiques. Ils jugent l’absence de desserte autoroutière négative pour la compétitivité économique et l’attractivité du territoire sur lequel il est implanté. « Nous remettrons en cause notre développement local si l’autoroute n’est pas finalisée », prévient même le groupe[1].

En 2000 et en 2008, ouvrent respectivement les déviations de Soual et de Puylaurens, deux voies rapides. Elles préfigurent la future autoroute. Au début des années 2010, une première enquête publique est ouverte. Opposé au projet, Jean-Louis Borloo accepte de signer la décision de mise en concession autoroutière de Castres-Toulouse sur pression de François Fillon alors Premier ministre. En mai 2013, François Hollande, en visite à Castres chez Pierre Fabre,  s’engage alors publiquement en faveur du projet de l’autoroute A69 et affirme dans son discours que « cette infrastructure aurait dû être faite depuis des années ». Cet engagement va accélérer grandement le projet. D’autant qu’un an plus tard, le même président Hollande renforce son soutien au projet en demandant au préfet de la région Occitanie de lancer les études préalables nécessaires pour obtenir la déclaration d’utilité publique (Pauline Graulle, Jade Lindgaard et Emmanuel Riondé, « A69 : l’histoire d’un acharnement d’État », sur Mediapart, 20 octobre 2023). L’autoroute A69 est donc une opération classée priorité nationale qui figure parmi les priorités identifiées dans la Loi d’orientation des mobilités promulguée par le ministère de la Transition écologique. Elle est déclarée d’Utilité Publique le 19 juillet 2018 par le gouvernement d’Edouard Philippe. En février 2021, la ministre de la transition écologique Élisabeth Borne lance la procédure d’appel d’offres. Le 16 avril 2022, le Premier ministre Jean Castex signe le décret du contrat de concession avec Atosca, futur concessionnaire chargé de l’exploitation du péage de l’autoroute A69 et qui assure jusque-là sa construction. Les travaux débutent en mars 2023.

En faveur de sa construction, l’A69 doit assurer la liaison entre la rocade de Castres et l’autoroute A680, desservant un vaste territoire au sein de l’aire urbaine toulousaine. Elle constitue un maillon essentiel pour les déplacements en Occitanie, répondant notamment aux besoins de désenclavement et de développement des bassins de vie et d’emploi de Castres et Mazamet, fortement dépendants de la métropole régionale toulousaine.

Cette nouvelle infrastructure vise également à offrir un haut niveau de service aux usagers, en leur garantissant un gain de temps significatif. Enfin, selon ses défenseurs, le projet permettrait de réduire le nombre d’accidents par rapport à l’itinéraire actuel.

La déclaration d’utilité publique du projet prévoit un comité de suivi des mesures compensatoires composé de façon la plus représentative possible. L’État annonce que 87 millions d’euros sont prévus dans la séquence Éviter-réduire-compenser, et qu’il est notamment prévu « cinq fois plus d’arbres replantés que d’arbres coupés ». Fin 2023, l’État rappelle que « les services instructeurs, chargés de la police de l’environnement, sont pleinement mobilisés sur ce chantier majeur pour vérifier que les mesures réglementaires sont bien appliquées sur le terrain » et que des « non-conformités ont pu être constatées et certaines d’entre elles ont donné lieu à des mises en demeure ».

Les écologistes figurent au premier rang des opposants à ce projet de construction. Mais aussi l’autorité environnementale (une entité indépendante, chargée de l’évaluation environnementale dans la plupart des pays de l’UE) qui souligne des lacunes dans l’analyse socio-économique du projet, considérant qu’« elle repose sur des données de trafic (…) désormais obsolètes ». Cette même autorité craint aussi, et même surtout, un impact négatif du projet sur l’environnement : fragmentation du territoire, consommation de sols naturels et agricoles, impact sur la biodiversité et la rupture des continuités écologiques, altérations du paysage et des aménités des territoires, pollution de l’air et les risques sanitaires induits, préservation des zones humides, consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport de l’enquête publique indique qu’« aucune démonstration concrète (ndlr: d’un impact économique favorable) n’est présentée ni aucun chiffrage évalué[2] ». 

Au printemps 2023, une mobilisation à l’appel des Soulèvements de la Terre, de la confédération paysanne et d’Extinction Rebellion regroupe entre 4 500 et 8 200 militants écologistes contre le projet. Il y a une occupation des lieux de travaux avec notamment dès l’été 2023 des manifestants, dits « écureuils », qui aménagent des cabanes dans les arbres. A l’automne ils sont évacués par les forces de l’ordre. La contestation aura son sommet le 10 février 2024, avec Greta Thunberg ainsi que d’autres jeunes militants environnementaux européens présents à la manifestation, près de Soual. L’Etat consacre quelques 2 millions d’euros pour ramener l’ordre dans ce secteur[3]. Enfin, des chercheurs de l’Institut national universitaire Champollion (université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées) indiquent qu’aucune étude n’a permis de lier la création d’une infrastructure de transport au développement social et économique d’un territoire.  

Parcours juridique

Le 19 juin 2023, plusieurs associations déposent donc un recours devant le Tribunal administratif de Toulouse  contre les autorisations environnementales permettant la réalisation du chantier, dans le but d’obtenir la suspension des travaux et l’abandon définitif.

Saisi en première instance, le 27 février 2025, à la surprise générale, le tribunal administratif de Toulouse a arrêté le chantier de cette autoroute (avec effet immédiat) entamé en 2023. La rapporteure publique a demandé l’annulation de l’autorisation environnementale de ce chantier, car il n’a pas de « raison impérative d’intérêt public majeur ». L’exécutif et des parlementaires pro-A69 ont lancé des offensives. Le 24 mars, l’Etat fait appel. « Je soutiens évidemment cet appel », déclare dès le lendemain Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique. « Nous chercherons à défendre l’idée que ce projet est un projet d’importance majeure », a-t-elle poursuivi. « Nous estimons que c’est un projet de désenclavement et un projet qui est très important pour les habitantes et les habitants de ce territoire », a-t-elle défendu.

Conscients du caractère essentiel de ce projet en matière de développement et des conséquences désastreuses en matière d’emplois (près de 1000 menacés par cette fermeture), des sénateurs lancent une offensive au Parlement afin de faire voter une loi de validation de reprise. Ainsi, le 7 mai ils déposent une proposition de loi en ce sens. Le 15 mai 2025, le Sénat adopte largement un texte pour tenter d’obtenir la reprise du chantier. Quelques jours après, il en est de même à l’Assemblée nationale. A noter que cette voie parlementaire prévoit d’autoriser la poursuite de la construction de l’A69, sans attendre que la cour d’appel administrative se prononce sur le fond du dossier. 

Les pro A 69 crient victoire. Les militants écologistes, qui luttent de longue date contre le chantier, ont vivement critiqué cette proposition de loi, dénonçant une « attaque contre la séparation des pouvoirs ». Le problème, c’est que le juge administratif ne relève pas de l’autorité judiciaire telle que définie au Titre VIII de la Constitution. Et combien de commissions d’enquête se multiplient, depuis quelques décennies, pendant que des procédures judiciaires se déroulent ! Alors que c’est prohibé. Là, c’est de l’interférence flagrante dans la séparation des pouvoirs.

Le 19 mai le rapporteur public, Frédéric Diard, dont les avis sont généralement suivis par les juridictions administratives, fait savoir qu’il recommande à la CAA de Toulouse d’ordonner la reprise du chantier. Il l’a répété le 21 mai, lors de l’audience d’examen de la requête de l’Etat de sursis à exécution. Selon lui, l’importance des villes de Castres, Mazamet et Toulouse justifie « par nature qu’elles soient reliées par des infrastructures routières rapides », comme le sont d’autres villes occitanes d’importance, telles Albi, Foix, Carcassonne ou Cahors, toutes reliées à Toulouse par l’autoroute, a-t-il notamment souligné. Alice Terrasse, l’avocate du collectif La voie est libre, s’est élevée contre la position du rapporteur public, en martelant qu’ « il n’y a pas de projet qui ‘par nature’ disposerait d’une raison impérative d’intérêt public majeur », nécessaire pour autoriser ce type de chantier. Il est cependant des projets dont le réalisme le plus élémentaire contraint à admettre qu’ils sont d’« intérêt public majeur ». Celui de l’A69 en relève. Le mercredi 28 mai 2025, la CAA de Toulouse a autorisé la reprise des travaux sur l’A69. La cour a tranché : « La cour administrative d’appel de Toulouse prononce le sursis à l’exécution des jugements rendus le 27 février annulant les autorisations environnementales délivrées par l’État ». « Bonne nouvelle ! », a réagi sur X, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Précisons cependant que la Cour s’est prononcée sur un recours à court terme déposé par l’Etat pour redémarrer ce chantier de 53 km. Ensuite, dans plusieurs mois, elle devra rendre une décision définitive sur l’avenir de cette infrastructure.

« On est consternés » : le collectif La Voie est libre va « saisir le conseil d’Etat » après cette décision. Malgré cette nouvelle procédure devant le Conseil d’Etat (qui n’est pas suspensive),  « le chantier va reprendre dans les trois prochains mois », engendrant « des dégâts pour rien », se désole Alain Hébrard, membre du collectif. Il est mis en avant « une suspicion de décision hautement politique ». Les opposants ne renoncent pas et estiment que « le projet A69 est toujours illégal et la procédure au fond en appel nous donnera raison », écrit La Voie est libre. L’association estime que « par le refus de motiver leur décision, les juges du sursis admettent implicitement que les arguments de l’État sont vides et très insuffisants pour pouvoir motiver leur décision. Nous sommes donc confiants pour la suite », ajoute le collectif.

A la vérité ce qu’a décidé la CAA ce n’est ni plus ni moins qu’un sursis à exécution permettant de redémarrer. Mais il ne règle rien sur le fond. La décision définitive n’est pas attendue avant 2026. En attendant, c’est une course contre la montre qui s’enclenche.

Des réalités économiques conséquentes

L’interruption du chantier n’a rien d’anodin. Notamment en matière économique. Depuis fin février, les travaux sont figés. Ouvrages inachevés, matériel immobilisé, équipes redéployées.

Pour les entreprises mobilisées sur le tracé, il va falloir tout remettre en ordre de marche. La reprise immédiate n’a rien d’un simple redémarrage : il faut reprendre les chaînes logistiques, réorganiser les plannings, rebriefer les personnels… Il y a aussi derrière tout cela, une réalité économique dont les écolos ont l’art de se ficher. Selon le gouvernement, l’arrêt du chantier a coûté plus de 25 millions d’euros. Voici le détail. L’association Via81, favorable au projet, avait notamment relayé un coût immédiat de 5 millions d’euros lié à la mise à l’arrêt du chantier, puis un coût compris entre 180.000 et 200.000 euros par jour sans travaux. Des chiffres contestés par les opposants, qui les estiment « gonflés » (mais n’en fournissent pas de leur côté, ou alors très évasifs).

Toujours selon le gouvernement, la « sécurisation des ouvrages en cours de construction représente 1.860.00 euros » et « la démobilisation des ressources », à savoir le millier d’ouvriers et les engins, a coûté, elle, « 4.825.000 euros ». Puis, toujours selon les chiffres avancés par le gouvernement, « les coûts de sécurisation du chantier s’élèvent à 165.000 euros par jour » et « les mesures environnementales représentent une charge de 46.000 euros par jour ».

Alors, qui va payer ? « À ce stade, on n’en sait rien », commente une source proche du dossier. Après tout, comme l’estime Mme Garrido[4], on peut aussi dire « ce sont des fonds privés des entreprises. C’est leur problème ! ». Avec un tel anticapitalisme primaire, tout est permis ! Bien sûr, les entreprises qui s’affairent sur ce chantier sont privées. Avec des ouvriers qui souquent ferme pour le mener à bien. Quel mépris pour eux que cette réflexion stupide de l’ancienne affidée de Mélenchon ! Sauf que les partenaires publics payent aussi pour cette A 69. L’Etat en tout premier lieu. Donc le contribuable. Les collectivités territoriales, ensuite. Donc le contribuable encore. Et puis lorsqu’une société licencie ou fait faillite, à cause d’un projet torpillé par les écolos les plus obtus d’Europe, il s’ensuit des mesures d’accompagnement social (chômage) nourries pour une large part par le contribuable. D’ailleurs combien de talibans de l’écologie française paient d’impôts dans notre pays ? C’est un autre débat… De toute façon, nous sommes persuadés que le Conseil d’Etat, sur cette « affaire de l’ A 69 »,  saura rester sur le même cap que la CAA de Toulouse. Celui du réalisme. « L’écologie, telle que promulguée dans ses vérités définitives par une autorité suprême, s’affaire à ostraciser socialement ceux qui s’avisent d’en discuter les dogmes. » (Chanta Delsol).


[1] ladepeche.fr, 29 novembre 2024

[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/09/25/l-a69-toulouse-castres-est-elle-justifiee-comprendre-le-debat-sur-ce-projet-d-autoroute

[3] « 2,76 millions d’euros : le coût de la répression des opposants à l’A69 », Reporterre, 30 mars 2024

[4] LCI, 31 Mai

T’as pas une clope ?

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DR.

Elisabeth Lévy, fumeuse, nous a parlé du PSG et du capitaine Dreyfus dans son billet matinal. Mais pas uniquement. Nous vous proposons d’écouter sa chronique.


Je m’interroge sur les priorités de nos gouvernants. Ce week-end a prouvé une nouvelle fois que l’Etat ne parvient plus à garantir la sécurité des rassemblements populaires. Et pour cause : les sanctions, difficiles à mettre en œuvre, sont dérisoires ou absentes. Sur 202 gardes à vues à Paris, il y a eu 13 déferrements au tribunal. Pour le reste : classements sans suite, convocations devant un délégué du procureur (contribution citoyenne), 16 ordonnances pénales (procédure simplifiée). Bref, on nous endort avec les arrestations mais la réalité c’est que la plupart des fauteurs de troubles ne seront pas sanctionnés et que beaucoup des mineurs s’en sortiront avec une petite tape sur les doigts. Et que le même spectacle désolant se reproduira lors de la prochaine victoire ou défaite du PSG ou de l’équipe de France.

Y’a qu’à, faut qu’on

Certes, il n’y a pas de solution simple face à des mineurs hors de contrôle. Mais cela devrait être la priorité de nos gouvernants. Et qu’a fait le parlement, hier ? Voté une loi pour élever le capitaine Dreyfus au grade de général ! Une loi qui ne mange pas de pain et ne sert à rien sinon à faire la promotion de son promoteur, Gabriel Attal. Une loi à peu près aussi utile que celle qui vise à supprimer le Code noir que propose François Bayrou. Abroger une loi qui n’est pas appliquée depuis 1848, c’est en effet une urgence.

A ne pas manquer, le nouveau magazine Causeur: A-t-on le droit de défendre Israël?

Toute la France sait que le capitaine Dreyfus était innocent. Je ne pense pas qu’on va lutter contre l’antisémitisme d’aujourd’hui en s’agitant contre celui d’hier. Et s’agissant du Code noir de 1685, rappelons plutôt que la France a été l’un des premiers pays à abolir l’esclavage.

Est-ce à dire que les pouvoirs publics ne devraient s’occuper que de sécurité et de délinquance ?

En tout cas, ce que les Français reprochent à leurs gouvernants n’est pas que le Code noir n’ait pas été officiellement abrogé, c’est leur impuissance notamment en matière de sécurité.

La faiblesse de l’État face aux délinquants contraste avec sa sévérité avec les gens honnêtes. A ce titre, l’interdiction de la cigarette à l’extérieur semble être une mesure punitive pour les fumeurs plus qu’une protection pour les autres. Quoi que racontent les croisés de l’anti-tabac, vous n’allez pas attraper le cancer parce que des gens fument dans la rue où vous vous baladez. Ce n’est plus une mesure sanitaire mais une sorte de morale sociale (exactement comme les masques à l’extérieur pendant le Covid). Céline disait qu’un jour tous les plaisirs de pauvres seront interdits.  Nous y sommes. Quant à moi, j’arrêterai de fumer dans la rue quand on pourra s’y promener sans risque.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

Christian Krohg, l’émotion du nord

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Christian Krohg, La Barre sous le vent ! (détail) 1882 © Photo : Nasjonalmuseet / Jaques Lathion

Le musée d’Orsay propose la première rétrospective en dehors de Scandinavie d’un peintre norvégien majeur: Christian Krohg. L’occasion de découvrir une œuvre d’une profondeur exceptionnelle. 


Métropoles et colonies d’artistes

Christian Krohg (1852-1925) naît à Oslo, alors appelée Kristiania, dans un milieu aisé. Après des études de droit, il se réoriente vers la peinture. Pour se former, il se rend d’abord à Berlin où il partage un appartement avec Max Klinger, artiste allemand particulièrement doué et imaginatif. En côtoyant diverses personnalités, sa vocation de représenter la vie des hommes et des femmes de son temps s’affirme.

Krohg réside ensuite à Paris et à Grez-sur-Loing, colonie artistique en bordure de forêt de Fontainebleau. C’est dans ces lieux et en observant des maîtres comme Jules Bastien-Lepage que son naturalisme accède à une réelle finesse.

Rentré en Norvège, il multiplie les activités, devenant non seulement peintre, mais aussi journaliste, militant et auteur de romans. Il évolue dans la bohème d’Oslo où il côtoie Ibsen. C’est là qu’il rencontre Oda, femme très belle et très libre. Pendant près de dix ans, il revient à Paris comme enseignant à la fameuse Académie Colarossi. Il réside souvent à Skagen[1], colonie d’artistes à la pointe nord du Danemark. Finalement, il rentre à Oslo où il devient professeur et enseigne à des élèves comme Edward Munch.

A lire aussi, Georgia Ray: Coups de pinceaux et blessures

Peintre et observateur de son temps

Krohg s’illustre souvent par une picturalité très mature, donnant beaucoup de saveur à ses œuvres. Avec lui, on jouit d’une vraie musique des formes. Ajoutons qu’il a un sens aigu des cadrages surprenants. Il aime peindre la vie des gens du peuple et des souffrants. Par exemple, sa Jeune fille malade (1881), tout en nuances de blanc, est à la fois d’une retenue déchirante et d’une rare virtuosité. « Vous devez, dit-il, peindre de manière à toucher, émouvoir, scandaliser ou réjouir le public par ce qui vous a vous-même réjoui, ému, scandalisé ou touché. »

Christian Krohg, Jeune fille malade, 1881, Huile sur toile, Nasjonalmuseet, Oslo, © NasjonalmuseetBørre Høstland

Les femmes, la fatigue et la prostitution

C’est probablement par son attention à la condition des femmes qu’il se révèle particulièrement intéressant. À part Antonio Fillol, en Espagne, peu d’artistes de cette époque explorent autant ce sujet. Krohg montre d’abord la fatigue des femmes entre le travail et la maternité. Il est également très préoccupé par la prostitution. Cela lui inspire son roman, Albertine. C’est aussi un thème de peintures, notamment pour une grande composition (1885) qui remue le public norvégien.

Une exposition « découverte »

Cette exposition Krohg s’avère donc d’un intérêt exceptionnel. Elle a été programmée par Christophe Leribault lors de son bref passage à la présidence du musée, avant d’être magnifiquement orchestrée par Servane Dargnies. C’est le type d’exposition que l’on aimerait voir très souvent au musée d’Orsay.


À voir absolument

« Christian Krohg (1852-1925) : le peuple du Nord », musée d’Orsay, jusqu’au 27 juillet. 16 € l’entrée

Christian Krohg (1852-1925) Le Peuple du Nord Catalogue officiel de l'exposition

Price: 39,00 €

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[1] Le musée d’Orsay a récemment exposé l’excellente Harriet Backer, également active à Skagen.