Un parfum d’été dans l’air, et on a envie de se nettoyer les neurones avec un roman noir, mais un bon, écrit par un styliste aux inspirations bluffantes, qui signe une intrigue originale, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette catégorie surchargée. Les Éditions Kubik proposent une collection exigeante intitulée « Outrenoir ». La maison, située dans le XIIe arrondissement de Paris, relancée en 2022, après une période de mise en sommeil, est dirigée par Christian Carisey, philosophe de formation, auteur de plusieurs romans, dont L’opération Jackson Pollock (Kubik, janvier 2025). Parmi le catalogue, après hésitation, tant les résumés des ouvrages publiés cette année sont alléchants, j’ai jeté mon dévolu sur L’Affaire Pénélope Marsh, et j’avoue ne pas avoir été déçu.
Pénélope Marsh entend des voix depuis la fin de l’enfance, de mauvaises voix qui lui ordonnent de tuer, et non de sauver comme Jeanne d’Arc. De tuer d’abord des poules parce que « ça pue, ça fait du boucan ». Alors Pénélope Marsh s’exécute, elle tape dans la poule idiote. C’est le début, ça va s’intensifier. Pamela a vingt-deux ans, elle est née dans une ferme, elle est myope, avec un nez de furet. Elle a obtenu son bac avec mention, elle n’est pas idiote, ça aggrave son cas. Son père est mort dans un accident de la route, cadavre en bouillie, méconnaissable. Sa mère rencontre un « gros, un transpirant ». Elle lui est soumise, jeu sado-maso, pas tendance Catherine Robbe-Grillet, tendance bien dégueu. Paméla le saigne comme un porc. Puis elle étouffe sa mère, toute creusée par le cancer. Elle obéit aux voix qui « squattent » au fond de son crâne. Elle a une mission, en fait, elle lutte contre les parasites, les nuisibles. Il y a du boulot. Les voix insistent : « Tu dois libérer les esprits tourmentés. »
Vaste programme. Elle bute une fille blonde, mauvais genre, prostituée et camée. Le hic, c’est que l’auteur, Anixa Carrie, instille dans l’esprit du lecteur le doute. A-t-elle rêvé son meurtre ou a-t-elle vraiment liquidé la blondasse à grosses fesses, vulgaire ? La réalité est souvent trompeuse. Le rêve peut paraître davantage certain. Pénélope continue à subir les oukases des voix, avec « des mots à balles réelles ». L’auteur a du souffle, il nous tient en haleine, on ne lâche pas l’affaire. On suit la jeune exaltée dans sa vieille Dodge « couleur eau sale ». La schizophrène achète, avec l’héritage de sa mère, une maison au bord d’une rivière. Elle finit par tuer dans des conditions atroces le propriétaire, un vicieux qui lisait des revues pornos. Mais voici l’arrivée d’un flic, l’inspecteur Clévelin. Un méticuleux. La fille nous raconte son histoire sanglante, elle se repasse les scènes, elle est en boucle, ça donne le tournis au lecteur, il finit par être contaminé par le mécanisme déréglé de Pénélope qu’on n’arrive pas à détester complètement. Elle balance : « C’est la vision que j’ai de la vie. Une garce bien pire que la mort. » Ou encore : « Il y a une multitude de morts. Il n’y a pas une unique image de la mort, c’est faux. » Est-elle totalement condamnable ? Est-elle une rédemptrice qui mérite notre clémence, dans un monde où la perversité domine ? Est-elle totalement cintrée ? On veut savoir, on poursuit dans la noirceur à peine éclairée par « la lumière pisseuse des phares poussiéreux de la Dodge ». Cette bagnole achetée à la casse, elle est bizarre, elle finit par avancer toute seule, direction un cimetière. Le flic réapparait, c’est bien un fouineur, il a retrouvé le porte-clés de la vieille bagnole sur le lieu d’un des crimes de Pénélope. La suite réserve son lot de surprises, jusqu’à la dernière ligne.
Anixa Carrie, L’Affaire Pénélope Marsh, Kubik Éditions. 168 pages
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