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Lula: un anti-trumpisme d’opérette

Rio ne répond plus


Lula: un anti-trumpisme d’opérette
Le président Lula et son épouse Rosangela à Brasilia, le 7 septembre 2023 © Eraldo Peres/AP/SIPA

Au Brésil, le président Lula se pose en adversaire résolu de Donald Trump. D’après notre correspondant à Sao Paulo, ces bruyantes protestations permettent surtout au leader socialiste de ne pas parler de son système verrouillé de l’intérieur et insignifiant à l’extérieur.


Dans la famille da Silva, je vous présente Rosangela, l’épouse du président Lula. Tout le monde l’appelle « Janja ». Ancienne cadre dans le secteur de l’énergie, elle aurait, dit-on, inventé le slogan de réélection de son mari  (« L’amour vaincra la haine »), peu de temps après l’avoir épousé en 2022. Mais c’est avec une formule beaucoup moins amène que la quinquagénaire a accédé à la notoriété planétaire, le 16 novembre à Rio de Janeiro lors d’un colloque altermondialiste.

Ce jour-là, alors que Janja s’exprimait, micro à la main, au milieu de jeunes gens acquis à sa cause, un bruit étrange a soudain retenti dans la salle. Rien de grave, sans doute une ampoule qui venait d’éclater. Sauf que l’espace d’un instant, l’hypothèse fantaisiste d’un attentat fomenté par Elon Musk a traversé l’esprit de la première dame, qui, pour faire rire son auditoire, a lancé, en anglais, sous les applaudissements : « Fuck you, Elon Musk ! »

Étalement de vertu

On ne saurait mieux résumer l’état d’esprit de l’élite brésilienne de gauche face à l’alternance politique qui vient d’avoir lieu aux États-Unis. Dans le pays, colère, rage et hystérie sont partout. Par exemple, si vous ouvrez votre poste, vous verrez les présentatrices Daniela Lima et Andreia Sadi, équivalentes respectives de Léa Salamé et d’Apolline de Malherbe, faire la moue à chaque fois qu’elles prononcent le nom de Donald Trump. Un étalement de vertu beaucoup plus décomplexé que ce que l’on observe en Europe dans les milieux médiatico-politiques. Au Brésil, si les progressistes sont indignés par le nouveau locataire de la Maison-Blanche, ce n’est pas à cause de ses positions sur l’Ukraine, Gaza ou le libre-échange, mais parce qu’il a sorti brutalement Lula de sa zone de confort.

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Durant le mandat de Joe Biden, le président brésilien jouissait du « parapluie médiatique et diplomatique américain ». Il était applaudi à Washington à chaque fois qu’il arrivait à mettre des bâtons dans les roues, avec ses méthodes déloyales, de quiconque, dans le camp conservateur, avait une chance de le battre lors de la prochaine élection en 2026, à commencer par Jair Bolsonaro, son prédécesseur, condamné en 2023 à huit ans d’inéligibilité par le Tribunal supérieur électoral (TSE). Censure, entorses aux droits de la défense, poursuites engagées sur la base de crimes qui n’existent pas dans le code pénal, tout était pardonné à Lula au nom de la lutte contre le populisme, les fake news et les « discours de haine ».

Occupée par des dossiers plus brûlants, la nouvelle administration Trump n’a pas encore eu le temps de traiter le cas du Brésil. Mais tout porte à croire que plusieurs opérations mijotent à feu doux. En mars, des membres républicains du Congrès de Washington ont déposé un projet de loi pour annuler le visa d’Alexandre de Moraes, le président du TSE. Un élu républicain, Rich McCormick, vient même de suggérer à Trump de confisquer tous les biens enregistrés aux États-Unis au nom de ce précieux allié de Lula. Sueurs froides dans les cercles du pouvoir brésilien, où l’on apprécie la Floride et ses belles propriétés en bord de mer.

Le Sud global ne se laisse pas faire

Face à ces signes avant-coureurs d’hostilité, Lula riposte d’ores et déjà. « Il ne sert à rien que Trump élève la voix depuis là où il est, j’ai appris à ne pas avoir peur des gens qui gesticulent et menacent », a-t-il déclaré, certes plus poliment que sa femme, dans un discours à Belo Horizonte le 11 mars.

Quelques jours auparavant, il s’était adressé à ses homologues des BRICS (le groupe des pays émergents les plus riches de la planète) pour les appeler à constituer une alternative au« chaos » et à « l’incertitude » provoqués selon lui par Trump. Lors de cette intervention, le président brésilien n’avait que le mot « multilatéralisme » à la bouche, comme on invoque le nom d’un saint lorsqu’on est dans une mauvaise passe. Pas sûr toutefois qu’il ait été entendu : quinze jours après, loin des instances internationales et des formats de négociation internationale classiques, la Russie, membre fondateur des BRICS, a entamé, en Arabie Saoudite, elle aussi ralliée au club, des pourparlers sur l’Ukraine avec les États-Unis.

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Lula, lui, n’est à l’aise que dans les grands forums mondiaux où l’on brasse du vent en appelant, avec des trémolos dans la voix, à l’avènement d’un futur radieux, d’une monnaie commune internationale et de Nations unies réformées. Seulement, dès que l’on met ces chimères de côté et que l’on rentre dans le concret, le président brésilien n’a aucun projet d’influence en Amérique latine, aucun désir de tisser des liens avec l’Afrique (dont son pays est pourtant l’enfant légitime), pas davantage l’intention d’occuper la place qui devrait être la sienne dans la géopolitique de l’Atlantique, ni de s’exprimer sur le choc des civilisations alors que son pays incarne une diversité relativement heureuse. Tout juste se contente-t-il d’afficher sa proximité avec Vladimir Poutine, à côté de qui il a assisté le 9 mai à Moscou à la parade de 80 ans de la victoire sur le nazisme, en présence d’une brochette de leaders autoritaires du « Sud global » : Xi Jinping, Nicolas Maduro, Alexandre Loukachenko…

Quand le Brésil se réveillera (ou pas)…

Au fond, la bourgeoisie pro-Lula veut tout simplement qu’on la laisse tranquille, isolée dans son coin, barricadée derrière les tarifs douaniers, l’insécurité juridique et l’ultra-violence de son pays. Elle veut bien des capitaux spéculatifs (des transferts d’argent d’une place boursière à une autre) mais pas d’investisseurs directs qui pourraient faire de l’ombre aux champions nationaux. Un huis clos qui profite à l’oligarchie locale. Il faut dire que le banquet est immense : services financiers, télécoms, mines, agriculture etc. On croit le Brésil ouvert sur le monde, il n’est qu’entrouvert, juste ce qu’il faut pour éviter que l’argent change de mains.

Alors certes, Trump a donné un coup de taser à l’ordre mondial et Lula, comme bien d’autres, s’est réveillé les cheveux en bataille. Mais le président brésilien est un pragmatique. Il comprendra tôt ou tard qu’il faut lâcher du lest sur la répression politique de ses opposants de droite, histoire de ne pas attirer sur lui les foudres des milieux conservateurs américains. Et il se rendra vite compte que Trump, un pragmatique comme lui, a besoin d’un Brésil faible et insignifiant, incapable de tenir son rang dans l’hémisphère ouest. En gesticulant comme il le fait, Lula rassure l’oncle Donald, car il continue ainsi de saboter son pays et de lui interdire, encore et toujours, de transformer son immense potentiel en réalité.

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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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