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L’opéra trouble de Britten

Le théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, accueille Le Tour d’écrou, opéra de Benjamin Britten inspiré d’une nouvelle de Henry James. Il y est question de spectres, de fantasmes, de perversion et d’innocence…


Sont-ils les spectres effroyables des maléfiques créatures, gouvernante et valet, qui naguère encore vivaient là, sur ce domaine de Bly, et qui, après leurs morts sordides, reviennent hanter les deux enfants dont ils avaient la charge pour continuer à les pervertir ? Ou sont-ils les fruits malsains nés de l’imagination enfiévrée d’une jeune femme, fille de pasteur anglican engluée dans une morale puritaine propre à générer tous les fantasmes, et dont le délire de pureté et d’innocence fait naître des revenants qui n’existent jamais qu’à ses yeux ?

Ni Henry James, dans sa nouvelle Le Tour d’écrou publiée en 1898, ni Benjamin Britten qui s’en inspire pour son opéra créé en 1954 à Venise, ne daignent dissiper le doute, cette ambiguïté permettant au lecteur ou à l’auditeur d’interpréter le drame à sa façon. Permettant surtout à chacun de laisser galoper son imagination et d’y mêler ses propres angoisses, ses propres terreurs. Fantômes réels ou fantasmes d’une psyché assez délétère pour les créer ? Les deux réponses possibles sont autant de sujets d’interprétation et d’inquiétude. « Qu’est-ce donc que la vérité ? », interroge Nietzsche cité dans le programme. « Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées… : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont ».

Les désordres de l’âme

Au Théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, l’Allemande Andrea Breth qui assure la mise en scène n’en dit sans doute pas davantage que James et Britten. Elle n’impose pas franchement une version plutôt qu’une autre, même si la jeune gouvernante en charge des deux enfants paraît être tout de même la première victime de ce qui pourrait être des hallucinations. Mais en voulant illustrer, scène après scène, les désordres de l’âme humaine et en recourant pour ce faire à de multiples figurants qui doublent parfois les protagonistes du drame, ainsi qu’à une esthétique qui rappelle un surréalisme à la Magritte, elle assène un bavardage visuel à ce point étouffant qu’il finit par interdire tout libre arbitre au spectateur.


Des placards démesurés

Les tableaux qui défilent sans cesse sont incontestablement très esthétiques. Les remarquables décors conçus par Raimund Orfeo Voigt, composés d’immenses panneaux coulissants ménagent des perspectives vertigineuses à la Delvaux et métamorphosent l’espace avec une savante ingéniosité. Les portes immenses ou les placards démesurés encadrent ou dévorent des personnages aux costumes d’une élégance sévère de Carla Teti, uniformément noirs ou gris… les éclairages inquiétants et subtils d’Alexander Koppelmann… tout contribue à la sombre magie des images. Mais multipliés à l’envi, encombrant l’espace et le drame, s’imposant sans cesse au regard, ces tableaux finissent par occulter la musique et tuer toute velléité d’imagination ou de rêverie, dissipant le mystère de cette œuvre et beaucoup de sa poésie.

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Étrangeté vénéneuse

Pourtant l’interprétation musicale du Tour d’écrou que donne le chef espagnol Antonio Mendez, à la tête de l’Orchestre de chambre de la Monnaie est propre à servir l’étrangeté vénéneuse de la partition. Sa direction est vigoureuse, intelligente et porte le drame avec éloquence. Et les artistes lyriques sont aussi de bons acteurs. De la jeune gouvernante incarnée par Sally Matthews à la Miss Jessel d’Allison Cook ou à la Mrs Grose de Carole Wilson, les trois cantatrices sont remarquables. Et dans le rôle de cet ex-valet perverti jusqu’à l’os, ce Peter Quint qui veut s’emparer du corps et de l’âme du jeune Miles, Julian Hubbard est très bien. Cependant, la présence quasi permanente sur scène des deux spectres, et donc la volonté délibérée d’effacer leurs soudaines apparitions aux yeux de la jeune gouvernante et sans doute à ceux des enfants, Miles et Flora, cette omniprésence nuit infiniment à la dimension maléfique de leurs personnages et à la portée du drame. Quant au dédoublement de Miles, incarné par deux garçons si dissemblables physiquement, Samuel Brasseur-Kulk et Noah Vanmeerhaegue, elle apparaît parfaitement gratuite. Ou alors elle s’affiche comme une lourde façon de traduire et l’angélisme et la noirceur de l’enfant possédé. Et pourquoi, dès lors, n’avoir retenu que Katharina Bierweiler pour interpréter le rôle de Flora quand elle est elle-même tout aussi double et dissimulée ?

La mise-en-scène de ce Tour d’écrou, hélas ! ne déploie pas la noire et glaçante étrangeté que résume si tragiquement le funeste appel de Quint tentant d’engloutir Miles dans son univers de damné.


Le Tour d’écrou, opéra de chambre de Benjamin Britten.
Les 8, 10, 12 et 14 mai 2024. Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles.
Location : 00 32 2 229 12 11

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Benhessa et Bigot ferraillent contre la dissolution de notre démocratie dans l’UE

Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot nous offrent un livre instructif et pédagogique sur la construction européenne et ses verrouillages successifs qui ont assis définitivement la primauté du droit sur toute autre considération. À l’heure des prochaines élections européennes, on y trouvera les propositions des différents partis concernant l’Union et les réponses « impitoyables » que nos deux auteurs leur apportent. Cependant, n’étant pas du genre résigné, Messieurs Benhessa et Bigot proposent une solution inédite : le Bruxit…


Genèse d’une servitude

Et, forcément, d’une ignorance, l’une n’allant pas sans l’autre. «  Qui connaît le règlement REACH, la CSRD, la CSDD, le CBAM, le SEQE, cette légion d’acronymes qui renvoient aux contraintes environnementales imposées par l’Union ? » Personne, sinon les technocrates intéressés. «  Qui sait que les gouvernements reçoivent de Bruxelles des GOPE (grandes orientations des Politiques Économiques), révisées chaque année, qu’ils doivent suivre à la lettre ? Qui sait que l’Europe discute, en ce moment même, d’une révision des traités pour supprimer le droit de veto des pays et se transformer en super-État ? » Etc.  Au fond, l’histoire de l’Europe est celle d’un rapt, voire d’un viol, qui renvoie étrangement au mythe grec auquel notre continent doit son nom[1]. « Et le rapt commence tôt. En 1951, le traité de Paris, institua la communauté européenne du charbon et de l’acier. À son service est créée à Luxembourg une Cour formée de sept juges chargés d’interpréter et d’appliquer son droit. Un dénommé Robert Lecourt, avocat eurolâtre, présidera cette cour et publiera par la suite un livre au titre si évocateur : « L’Europe des juges » !(…) «  Le 4 décembre 1974, ils (les juges) consacrent l’effet direct des directives, y compris lorsqu’elles n’ont pas été transposées par le Parlement français. (…) La loi, expression de la volonté populaire depuis 1789, chute de son trône. »

Du post-national au post-démocratique, un penseur s’impose

La nation est devenue trop petite et elle a l’inconvénient d’avoir des frontières. Ah, les frontières !  La bête noire des cosmopolites qui se sentent partout chez eux dans le monde sauf chez eux précisément, hormis dans les métropoles qui toutes se ressemblent. Dans une très belle métaphore, Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot font une analogie entre le corps de chaque être humain et celui d’un pays. Chacun a besoin d’une enveloppe charnelle, de corps précisément, de limite ; et je renvoie aux textes de Régis Debray (Eloge des frontières) et à Delphine Horvilleur dans son analyse de ce qui se passa après avoir mangé le fruit de la connaissance : Adam et Eve se trouvèrent séparés et couverts d’une tunique de peau. C’est peu dire donc que l’Europe nous fait la peau ! Nos frontières, devenues poreuses, nous mélangent tous dans un grand magma ; retour au chaos originel.

Mais de l’abandon de l’idée de nation et de pays, s’ensuit aussi celui de la démocratie. « Le déficit démocratique de l’Union n’est pas le fait d’une erreur de parcours, mais le souhait délibéré des Pères fondateurs de nier la volonté des peuples »(…) Helmut Kohl, dans un entretien de 2002 rendu public en 2013 par le Daily Mail, avouait : « Je savais que je ne pourrais jamais gagner un référendum en Allemagne. ( …) j’ai agi comme un dictateur ». Quant à Jean-*Claude Junker, au moment de la crise grecque, il n’hésita pas à dire : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Enfin, Günther Oettinger, en charge du Budget et des Ressources humaines de l’Union, énonça tranquillement la menace suivante : « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter ». Mussolini en rêvait, l’UE l’a fait.

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La seule exception démocratique, en France du moins, que le dogme libéral eut tôt fait de trahir avec le traité de Lisbonne, fut le référendum de 2005 où le « non » l’emporta avec 54,68% des voix. Mais « Bruxelles a dit : pas de référendum, Et Emmanuel Macron de renchérir, le 4 octobre 2023, pour commémorer les 65 ans de la Vème République, qui plus est : « Disons-le avec clarté, étendre le champ du référendum (…) ne saurait se permettre de se soustraire aux règles de l’État de droit. » Et, d’ailleurs, les auteurs soulignent, à ce propos, que l’Europe trouve de formidables relais dans les pays eux-mêmes et en veulent pour preuve la façon dont le président de la République française en a appelé au Conseil d’État pour retoquer sa loi sur l’immigration. La dissolution ? Le référendum ? De vieilles lunes ! Les individus ayant remplacé les citoyens, on n’en finira plus de promouvoir des libertés au service des premiers et de nier les droits les plus essentiels des seconds.

Le philosophe allemand Jürgen Habermas. Wikimedia commons.

Le penseur de l’idéologie européenne s’appelle Jürgen Habermas : « Hanté par la culpabilité de l’Allemagne – son père fut officier et fonctionnaire du IIIème Reich – Habermas passe sa vie à répéter le même mantra : pour endiguer le retour de la peste brune, il faut «remplacer le sentiment affectif d’appartenance à la nation comme entité historique concrète par l’adhésion rationnelle aux seuls principes de l’État de droit en tant que base d’une identité post-nationale ». Reste que le « patriotisme constitutionnel » a la sécheresse et l’épaisseur du papier et nous voue à une totale désincarnation…

Pour redevenir de chair et d’os, proposition pour une « sortie d’Égypte »

Nos deux auteurs affirment qu’il nous faut sortir de « l’emprise » psychologique et politique de ceréflexe pavlovien : hors l’Europe, point de salut ! Et du faux obstacle juridique, puisque l’article 50 nous permet de le faire.

Alors, certes, comparaison n’est pas raison, mais notre juriste et notre politologue rappellent que « la Résistance a considéré que le vote des pleins pouvoirs à Pétain était frappé d’illégalité, et nul ne le lui a reproché. » Certes, l’UE n’est pas Vichy. « Il n’empêche, la juxtaposition du scrutin de juillet 1940 et de la ratification du traité de Lisbonne en février 2008 révèle plusieurs analogies. » Mais, précisent Benhessa et Bigot, « si le grand départ les effraie, il reste une option (…) : réviser notre Constitution pour verrouiller la supériorité de nos lois, et, en parallèle, lancer une « négociation finale » avec nos partenaires. (…) La Commission, bastion du grand dévoiement, doit retrouver sa fonction de simple secrétariat du Conseil. Le droit de veto doit être rétabli et sacralisé. Cette révolution porte un nom : le Bruxit. Bouter Bruxelles hors de l’UE !

Pour conclure et encourager ce geste, il est rappelé que « sans la France, le projet européen s’écroulerait comme un château de cartes. Parce qu’elle est son fondateur historique, son architecte en chef et l’un de ses principaux sponsors. »

Pari risqué ? Walter Benjamin disait que la catastrophe c’est lorsque les choses suivent leur cours. Faire le pari proposé ici est risqué, mais tout pari l’est et l’Histoire ne saurait s’en passer.

On marche sur la tête: La France, l'UE et les mensonges

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[1] Dans la mythologie grecque, Europe, belle jeune fille, est enlevée par Zeus déguisé en aimable taureau qui va le devenir moins lorsqu’il l’enlèvera et l’emportera au-delà des mers pour la violer sous un saule.

LR et Reconquête jouent leur survie politique

La classe politique en mots: chacun a ses raisons…


La fin de la semaine dernière a été tellement riche et même surabondante en matière d’entretiens politiques qu’il est impossible de ne pas attirer l’attention sur eux. Qu’on songe aux quatre pages dont le président a bénéficié dans la Tribune Dimanche, à Éric Ciotti, à Gérald Darmanin, à Éric Zemmour dialoguant avec Marion Maréchal dans le Journal du Dimanche et au débat au Grand Jury entre les têtes de listes pour les élections européennes… Au risque de choquer, j’ai eu l’impression qu’une lecture et une écoute superficielles offraient des dénonciations faciles, des vœux pieux inévitables, des volontarismes martelés, des argumentations qui, pour chacune, avaient leurs raisons, des évidences qui, s’ajoutant les unes aux autres, donnaient de notre classe politique, du président aux ministres, des responsables de partis aux candidats en lice pour le 9 juin, une image apparemment homogène, un paysage sans ruptures ni extravagances. Comme un immense territoire qui rapidement survolé estompait ses frontières et ses clivages. C’était la classe politique en mots, avec ses abstractions généreuses, son volontarisme affiché, sa morale exhibée, ses promesses qui seraient tenues, ici son rêve de révolution, là son envie de réformer.

Macron pense pouvoir relancer Hayer

Véritablement, il n’est personne qui n’avait pas ses raisons, qui n’accrochait pas au moins des fragments de vérité. Le sentiment que cette pluralité inspirait était d’abord l’absurdité des empoignades féroces, des confrontations violentes, des détestations personnelles se substituant à un dialogue démocratique civilisé qu’il aurait été simple de mettre en œuvre si les idées avaient été suffisamment acceptables pour autoriser des échanges tranquilles.

Mais, derrière le langage, sous la commodité des questions permettant de libérer des réponses trop peu précises, une fois dépassées les apparences présumant la bonne foi, l’intelligence, la sincérité et l’intérêt national, que de différences tenant autant à la faiblesse des convictions qu’aux psychologies les énonçant !

Un président de la République qui, sans être bousculé, était un peu court sur les raisons du probable succès du RN le 9 juin. Il s’enorgueillissait de tout ce qu’il aurait paraît-il accompli sur les plans de la santé, de l’industrie et du régalien quand les retards ont été considérables et sa prise de conscience trop longtemps différée. Content de lui et de son bilan. Évoquant le futur comme si on n’avait encore rien vu ! Il ne s’expliquait pas sur le médiocre impact de sa propre parole sur la campagne de Valérie Hayer.

Anti-Bardella primaires

Les candidats pour le 9 juin : tous contre Jordan Bardella qui est forcément l’homme à abattre puisqu’il a creusé l’écart. Il a des faiblesses sur lesquelles ses adversaires ne l’attaquent pas assez, de sorte qu’il s’appuie sur ses forces, d’abord l’immigration et l’insécurité s’accroissant. Valérie Hayer estimable, compétente à Bruxelles mais dépassée. Marion Maréchal coincée entre l’obligation de s’en prendre au RN et l’envie de le ménager. Manon Aubry tentant de redorer un peu l’image de LFI en focalisant sur l’éthique européenne : elle a raison. François-Xavier Bellamy et Raphaël Gluksmann, si éloignés mais au fond si proches. Deux rationalités, deux esprits, deux honnêtetés contraintes de s’opposer mais presque à l’unisson sur l’essentiel qui est de rendre l’Europe forte et sans complaisance pour les puissances violant les droits de l’homme.

A lire aussi, Céline Pina: Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?

Gérald Darmanin a engagé un combat contre les Frères Musulmans. Leur idéologie est d’autant plus dangereuse qu’elle use d’une emprise subtile et redoutable dans beaucoup de secteurs de notre vie nationale. Avec habileté et compétence – un ministre qui fait tout ce qu’on lui permet d’accomplir ! -, Gérald Darmanin use des chemins professionnels pour qu’on sache que ses ambitions politiques ne sont pas en sommeil.

LR à bout de souffle

Éric Ciotti qui ne brille pas à la tête de LR, même s’il a su résister au jeunisme à tout prix pour la composition de la liste conduite par François-Xavier Bellamy, continue à creuser le sillon de la faiblesse régalienne du président et à dénoncer la faillite de l’autorité de l’État. Pour être pertinente, sa charge ne devrait pas lui interdire de donner un souffle épique et inventif à un parti qui mérite infiniment mieux que les jeux-je d’appareil, à répudier d’autant plus qu’une forme de minorité politique et parlementaire impose une unité de résistance.

Entre Éric Zemmour et Marion Maréchal, le jeu de rôles serait drôle si nous n’étions pas, avec « Reconquête! », dans un registre sérieux, quasiment de survie. L’un et l’autre font semblant de n’être pas en désaccord sur l’essentiel alors que tout fait apparaître – la structuration de leur pensée, leur conception du futur politique, le ressentiment ou la tentation à l’égard du RN, leur personnalité et leur psychologie – des antagonismes d’autant plus perceptibles que par tactique ils cherchent à les gommer. Sans convaincre à mon sens.

Si la politique n’était qu’une affaire de mots, un vaste aréopage, un forum urbain, nous ne serions pas en France si mal lotis. Aucune des personnalités que j’ai citée n’est méprisable même si certaines ne sont pas à la hauteur de l’excellente opinion qu’elles ont d’elles-mêmes. Mais la politique, c’est de l’action, du courage, de la morale se colletant avec le feu du réel, de la constance, le refus de la démagogie. De la grandeur et à la fois de la simplicité. Ce n’est plus se réfugier derrière l’édredon doux et ouaté du « chacun a ses raisons » mais plonger dans la vraie vie de la France et du monde.

Nos diplomates, entre idéaux et pragmatisme

À travers vingt portraits, de Mazarin à Sergueï Lavrov, en passant par Talleyrand et Kissinger, Grands diplomates parcourt quatre siècles d’histoire politique, d’abord européenne, puis mondiale. C’est un important ouvrage collectif sorti chez Perrin début 2024, sous la direction d’Hubert Védrine.


Le livre a fait le choix d’éliminer les princes pour se consacrer à des hommes a priori de second plan. Certains ont été Premiers ministres, certes (William Pitt l’Ancien, Benjamin Disraeli), d’autres ont eu des notoriétés de stars hollywoodiennes. Aristocrates ou roturiers, dandies raffinés ou Prussiens rustiques et dégarnis, nés dans le bain diplomatique ou arrivés à lui par hasard, ils ont tous en commun une certaine vivacité intellectuelle. La voie diplomatique a parfois été un moyen de se faire un chemin malgré des extractions médiocres. Dans certains cas, elle a été leur plafond de verre : Boutros Boutros-Ghali, Egyptien copte marié en seconde noce à une juive, n’a jamais pu prétendre à une place au gouvernement égyptien hormis lors de brèves mais intenses intérims (il s’est rattrapé en devenant secrétaire général de l’ONU). Pour Kissinger, l’accès à la présidence des Etats-Unis a été bloqué par sa naissance, en 1923, en Bavière.

Dans la tête des grands fauves

La lecture successive des chapitres permet de repérer quelques drôles de zigues parmi cette galerie de portraits. Metternich, ambassadeur d’Autriche à Paris de 1806 à 1809, qui se met d’abord dans la roue de l’Empire français conquérant en attendant sa première faiblesse, est qualifié par ses illustres contemporains de « plus grand menteur du siècle » (presque un hommage). William Pitt, qui a commandé l’Angleterre lors de la guerre de Sept Ans, alterne « des moments d’activités et d’exaltation intenses avec des phases de torpeur et de mélancolie d’une profonde noirceur », avant qu’un mariage, à quarante-six ans, ne l’aide à retrouver du poil de la bête – et à chasser la France d’Amérique du Nord.

Malgré de tels travers, ils sont pourtant des éléments de modération, aux prises avec l’hybris des princes. Au service du Roi de France, l’Italien Mazarin ne perd pas de vue l’équilibre européen. C’est toujours l’équilibre continental qui éloigne Talleyrand de Napoléon, à qui il reproche de voir « trop grand et trop loin ». Même Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe depuis 2004 et unique personnage contemporain évoqué dans le livre, semble avoir émis des réticences au moment de l’annexion de la Crimée en 2014, craignant les réactions occidentales. Une propension moins visible chez un Bismarck, ambassadeur de l’idée d’ « égoïsme étatique », qui le pousse à annexer l’Alsace et la Moselle, créant une tenace rancœur de l’autre côté du Rhin… Sur le long terme, une erreur.

Les pragmatiques purs et les autres

C’est aussi une aptitude à l’audace, à la ruse, au coup de maître, à la pensée en dehors du cadre qui se retrouve chez les personnages dépeints par le livre. Il en faut quand Mazarin, cardinal de son état, accueille l’aide du puritain Cromwell pour contrer les Espagnols – alors que Charles II, roi d’Angleterre, se tient en exil en France, auprès de son cousin Louis XIV. De toute façon, Cromwell n’en a plus que pour un an à vivre, et le Commonwealth avec, ce qui n’a pas échappé au ministre français. Il en faut aussi à Choiseul et à Kaunitz, conseiller de Marie-Thérèse d’Autriche, pour rapprocher France et Autriche, ennemis héréditaires, contre la menace anglo-prussienne, lors du renversement des alliances opéré en 1756. Quant à Talleyrand, il parvient par un magnifique tour de passe-passe à assoir la France à la table de la Sainte-Alliance lors du Congrès de Vienne, après vingt-six années de chaos révolutionnaire diffusé par la même France dans toute l’Europe. Il en faut aussi à Edouard Chevardnadzé, ministre des affaires étrangères de l’URSS à partir de 1985, pour sortir de la logique lénino-marxiste de lutte des classes appliquée à la politique extérieure – et donc, à terme, pour sortir de la guerre froide.

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La perméabilité de ces personnages aux idéologies du moment est fluctuante : c’est déjà un pré-droitdelhommisme, ou en tout cas la défense des « valeurs », qui pousse Vergennes, secrétaire d’Etat des affaires étrangères de Louis XVI, à soutenir les insurgés américains contre l’Angleterre. Zbigniew Brzezinski, conseiller de Carter, enfermé dans la logique de la guerre froide, saisit mal ce qui se passe en Iran en 1979 et arme les moudjahidines en Afghanistan la même année. Les photographies du natif de Varsovie, kalachnikov à la main, avec ses amis islamistes, tourneront allègrement au lendemain du 11-Septembre. Et puis, il y a les pragmatiques purs. Bismarck courtise d’abord les faveurs de Napoléon III, puis lui tend un piège qui entraîne la chute du Second Empire. Aucun vernis idéologique pour expliquer tout ça, juste une succession d’opportunités. C’est aussi un sens aigu du pragmatisme qui pousse Kissinger à se tourner vers la Chine de Mao, pour prendre de revers le bloc soviétique, ou à laisser le Pakistan réprimer violement le Bangladesh, en 1971, car le Pakistan était un élément essentiel pour le rapprochement entre la Chine et les Etats-Unis.

Les grands fauves se reconnaissent entre eux

Un aspect intéressant de l’ouvrage est de réussir à faire des passerelles entre les personnages. Dans le chapitre que Jean-Christophe Buisson consacre à Molotov, on voit le diplomate patauger d’abord avec Ribbentropp, puis avec Hitler, lors de la brève entente germano-soviétique. Le diplomate soviétique promène le dictateur allemand à l’Ermitage et ose lui couper la parole. La deuxième rencontre est celle de trop et prépare la rupture à venir entre les deux régimes totalitaires – et l’attaque d’Hitler.

On monte en gamme lorsque l’histoire fait se croiser Benjamin Disraeli et Otto von Bismarck, en 1878, lors du Congrès de Berlin, qui doit régler l’épineuse question des Balkans. Le premier ministre britannique, anobli par la reine et par ailleurs brillant romancier, bien que très affaibli, est le seul à pouvoir dominer le chancelier allemand, impressionné par le flegme de son homologue. Le Prussien tonne : « Le vieux Juif, ça c’est un homme ! ». Quant à la rencontre entre Zhou Enlai, premier ministre de Mao, et Kissinger, elle débouche sur de longues discussions philosophiques, le diplomate américain n’étant pas mécontent de trouver chez son homologue confucéen un interlocuteur de son niveau intellectuel. Emmanuel Hecht, dans le chapitre consacré à Zhou Enlai, revient aussi sur la « diplomatie du ping-pong » et sur l’aventure de Glenn Gowan, pongiste américain, qui se retrouve par erreur dans le bus de la délégation chinoise et qui finit par se retrouver devant la muraille de Chine, offrant de beaux clichés à l’amorce du réchauffement sino-américain. L’ouvrage n’oublie pas ce que la Grande Histoire et le rapprochement d’immenses blocs géopolitiques doivent au petit bout de la lorgnette.

Grands diplomates Les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours, dirigé par Hubert Védrine, 2024, Perrin.

Grands diplomates: Les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours.

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«En français, ma voix est plus libre!»

L’écrivain Omar Youssef Souleimane a retrouvé en France ce qu’il pensait ne plus voir en fuyant la Syrie : l’islam politique. Son amour de la poésie et de la langue française l’a sauvé de l’obscurantisme. Mais il s’alarme d’observer qu’en France, toute une jeunesse endoctrinée considère que l’islam est sa nationalité.


Causeur. Vous racontez comment vous êtes devenu français par la langue. Y a-t-il une autre manière de le devenir ?

Omar Youssef Souleimane. Être français est basé sur trois piliers. Il y a l’attachement : je suis amoureux de la France. Il y a l’appartenance qui se traduit par l’engagement à défendre ce pays devenu le mien de toutes les manières possibles. Il fait partie de moi et je fais partie de lui. Mais le plus important, la clef pour devenir français, c’est la langue. On ne peut pas découvrir les traditions de ce pays, son histoire, son quotidien, si on ne connaît pas sa langue. Ce n’est pas seulement une manière de communiquer, c’est aussi une partie de notre personnalité. Aujourd’hui, je ne parle quasiment plus l’arabe, mais quand il m’arrive de le parler, ma voix change. En français, ma voix est plus libre et plus puissante.

Vous racontez une scène survenue à l’aéroport de Beyrouth. Voyant que vous êtes né à Damas, le policier vous demande des documents improbables dans l’espoir de vous extorquer un billet. Le Syrien en vous commence à avoir peur et à trembler, mais le Français se rebiffe.

Le Français en moi me protège. C’est toute la valeur d’être français. Ce pays m’a donné la dignité, la citoyenneté. En Syrie, nous naissons comme des exilés ; nous n’avons ni droits ni devoirs. Le paradoxe, c’est qu’à Beyrouth, une fois sorti de l’aéroport, parler arabe a éveillé en moi une nostalgie pour cette terre. Elle fait partie de moi. Je ne veux pas l’enfouir, mais plutôt l’intégrer à ce que je suis aujourd’hui.

Vous rêvez en français ou en arabe ?

En français. Je ne crois pas que l’on puisse rêver dans une langue et écrire dans une autre. Mais l’arabe est ma langue intime, celle de l’enfance. Alors, je pleure en arabe.

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L’acculturation se joue sur des détails. Par exemple, dans le monde arabe, il faut arriver à un dîner les mains vides alors qu’en France, c’est un manque de savoir-vivre. La sociabilité orientale vous manque-t-elle ?

L’individualisme européen a de très bons côtés : on est libre, on vit comme on veut. J’écris, je lis, je dis ce que je pense. Là-bas, on n’est jamais seul. Mais si on a l’ombre d’un problème, on peut compter sur les voisins, la famille, les amis. Cette solidarité peut me manquer en effet. Mais je préfère l’individualisme occidental. J’ai eu la chance d’arriver jeune en France et j’ai pu recommencer à zéro, accéder aux codes sociaux français. Par exemple, je ne savais pas comment draguer ici ! En Syrie, faire un compliment à une femme, c’est déjà une invitation. Si on lui dit qu’elle a de jolis souliers et qu’elle ne réagit pas, c’est un râteau.

Rappelons qu’à 7 ans, dans votre école syrienne, vous criez « Mort à Israël ! » et « Gloire au grand prêtre ! » tous les matins. Plus tard, votre père, qui est passablement fanatique, emmène toute la famille en Arabie saoudite où vous résidez le 11-Septembre. Vous admirez Ben Laden… Tout ça est finalement banal.

Et cela s’explique largement par le fait que, depuis la chute de l’Empire ottoman, le Proche-Orient est dominé par l’islam politique djihadiste financé par les pétrodollars. Cet islam politique s’est imposé par la haine et la peur de l’autre. Cet « autre » peut être un pays arabe, mais c’est avant tout Israël, l’ennemi sioniste. On grandit dans la haine d’Israël et de tous les juifs. Le mot « juif » est une insulte.

Il y a déjà pas mal de versets antijuifs dans le Coran, non ?

Oui, il y a un problème avec le Coran comme avec tous les textes sacrés, mais le fait nouveau, c’est qu’on prétend les appliquer à la lettre.

 Comment vous en êtes-vous sorti avant même d’arriver en France ?

Pour me récompenser de mes bonnes notes au lycée, mon père m’a offert un ordinateur. J’étais motivé : je voulais étudier l’architecture pour bombarder des tours comme les djihadistes du 11-Septembre ! Mais la vie est un miracle. Grâce à cet ordinateur, j’ai pu accéder à internet et lire autre chose que de la propagande intégriste. Par exemple, j’ai lu Descartes et Taha Houssein, un philosophe égyptien qui parle du doute. Ayant appliqué ce doute au Coran, j’ai découvert qu’on n’a pas besoin de religion pour vivre. Que la religion était le problème, pas la solution. J’avais 17 ans. Et j’en avais 25 quand je suis arrivé en France.

En somme, quand tant de jeunes se radicalisent sur internet, vous vous y êtes déradicalisé.

Les jeunes qui suivent mes ateliers d’écriture passent entre trois et quatre heures par jour sur les réseaux. Les comptes TikTok les plus suivis proposent soit des vidéos de danse, soit des vidéos de radicalisation, quelle qu’elle soit. Internet peut aussi aider à la lutte contre l’extrémisme. En Syrie, en 2011, au début du printemps arabe, Facebook était le réseau des jeunes. En dehors des réseaux, il n’y avait pas de médias, neutres et libres.

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N’est-ce pas aussi l’amour de la littérature qui vous a protégé de l’endoctrinement ?

En effet. La joie de la littérature, cette sensibilité au pouvoir des mots, comme dit Paul Éluard, a été essentielle. Les mots d’Éluard ont beaucoup plus de valeur que ceux de Mahomet. Il faut remplacer la parole du prophète par celle du poète. Curieusement, au Proche-Orient, même dans les familles les plus intégristes, la poésie est sacrée, comme vecteur de l’islam et de l’identité arabe. On est obligé d’apprendre des poèmes très anciens. Et cette poésie qu’on m’apprenait comme élément de discours religieux m’a ouvert les yeux sur autre chose que la religion : la liberté.

Comment ont réagi vos proches, sachant que l’islam condamne l’apostasie ?

J’ai annoncé mon athéisme à 18 ans. Je ne voulais pas le cacher à mon entourage. J’ai perdu quasiment tous mes amis. Ma famille m’a renié pendant des années, finalement, certains m’ont accepté comme j’étais. Il faut dire que, pour aggraver mon cas, j’avais commencé à étudier la littérature arabe, une honte dans une famille de scientifiques. Pourtant, je n’avais aucun ami pratiquant, car une partie de ma génération, celle qui a passé le bac dans les années 2000, en a ras le bol de la religion ! Mais si j’avais déclaré mon athéisme publiquement, j’aurais pu être assassiné. En France, des jeunes sont surpris quand je leur dis que je ne suis pas musulman. Pour eux, si on naît musulman, on reste musulman. Pour eux l’islam n’est pas une religion ou une origine, c’est une nationalité. C’est la base du séparatisme et de leur crise identitaire.

La vie de ces jeunes est plus facile que la vôtre à votre arrivée. Et pourtant avec eux, nous avons échoué.

C’est ce qui m’attriste. J’ai vécu un an et demi à Bobigny, et j’ai vu que toutes ces villes de banlieue parisienne avaient leur bibliothèque, leur médiathèque, leur stade… Le budget culturel est énorme. J’aurais rêvé de grandir comme ces jeunes. Par rapport à ce que j’ai connu, ces jeunes ne manquent de rien. Mais ils baignent dans la haine de la France. Ce n’est pas de leur faute, c’est celle des imams radicaux et du discours manipulateur qu’ils suivent sur internet. Ils sont manipulés.

La désaffiliation n’est pas limitée aux jeunes musulmans…

J’ai l’impression qu’être malheureux fait partie de la culture française. À l’époque des gilets jaunes, des manifestants m’ont carrément dit que la France de Macron, c’était la même chose que la Syrie de Bachar el-Assad mais qu’ici, c’était une dictature masquée. Dictature sanitaire, dictature policière, dictature capitaliste, on met ce mot à toutes les sauces. Et c’est dangereux, car face à une dictature, la violence est légitime.

Dans Une chambre en exil, vous racontez comment vous avez retrouvé à Bobigny l’islam politique que vous aviez fui en Syrie.

C’est le cas de beaucoup de jeunes : venus en France pour fuir l’islamisme, ils l’ont retrouvé ici. Mais ici, les islamistes sont plus dangereux, car ils sont libres. En Syrie, en 1982, à Hama, 30 000 personnes ont été massacrées par Rifaat el-Assad (l’oncle de Bachar). En France, on les laisse propager leur discours de haine sur les réseaux sociaux, ils peuvent même vendre des livres interdits en Syrie ! J’ai publié une enquête sur les librairies islamiques. C’est un autre monde qu’on laisse prospérer. Ces imams qui appellent à la haine de la France n’ont pas le courage de mettre les pieds au Maghreb ou dans n’importe quel pays musulman car, là-bas, ils sont tabassés. Ils profitent des faiblesses de notre démocratie. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas appliquer la démocratie, la loi, la justice, mais il faut être prudent et conscient de ce qu’ils font. Il faut le faire pour protéger les musulmans de France, pris en otage par cette idéologie.

Des Algériens nous disent qu’on emprunte la même pente que l’Algérie, des Iraniens, que la France, c’est l’Iran de 1979… Est-il minuit moins le quart ?

Oui ! Car une fois que les islamistes occupent un terrain, ils imposent leurs normes. Les islamistes sont intelligents, ils se préparent. Voyez comment ils étaient infiltrés en Syrie, c’est exactement ce qui se passe en France aujourd’hui. Ma grand-mère n’était pas voilée dans les années 1970, j’ai vu des photos d’elle à la plage, avec ses amis. Pour ma mère, ses parents ne savaient pas ce qu’est la « vraie religion ». C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société, à se construire une base, sans doute une majorité. Ils ont diffusé des poèmes, des discours sur la valeur du voile chez une femme libre, etc. Petit à petit, le voile est devenu la norme sociale. En Syrie comme à Argenteuil.

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La dimension anthropologique centrale, c’est le contrôle du corps des femmes. Shemseddine a été tué parce qu’il échangeait avec une jeune fille ; Samara s’est fait tabasser parce qu’elle était en minijupe…

Ce que l’Église a fait en Europe au Moyen Âge, l’islam radical le fait aujourd’hui au Proche-Orient, et tente de l’imposer ici. Il instrumentalise et manipule le corps des femmes qui serait, en soi, une honte. Une femme qui commence à se découvrir serait le symptôme d’une société corrompue. Actuellement, 80 % des jeunes de moins de 14 ans ont déjà regardé du porno – y compris les jeunes musulmans. Paradoxalement, une prof de collège qui montre à ses élèves un tableau représentant Diane et ses amies nues est menacée de mort ! C’est lié à la frustration sexuelle et à la misogynie de la société patriarcale arabe. Des professeurs de lycée racontent qu’ils donnent des cours techniques sur la reproduction, mais se gardent bien de parler de sexualité par peur des élèves et des parents, alors que des jeunes filles le réclament !

Comment mener le combat aux côtés des musulmans qui veulent être français comme les autres ?

Il faut y aller. Être sur place, remplacer la parole des imams par celle de la laïcité. On dit que la nature a horreur du vide : une fois ces quartiers vides de culture, les imams et les extrémistes prospèrent. Ce sont eux qu’il faut remplacer.

Carte postale représentant la station balnéaire syrienne de Lattaquié au début des 1970. « C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société syrienne… »

Peut-on dire : « colonisons nos quartiers » ?

Je dirai plutôt les réintégrer : il faut d’un côté que notre culture réinvestisse nos établissements scolaires et, de l’autre, il faut inonder les réseaux sociaux d’un discours laïque inspirant. Il faut montrer à ces jeunes que la laïcité est un sujet moderne, un sujet de jeunes. Il faut lui dire : c’est votre pays, vous êtes chez vous.

Allez donc dire ça aux profs qui craignent d’être agressés ou pire…

Vous avez raison. Personnellement, je me sens seul. Ceux et surtout celles qui osent parler mettent leur vie en jeu. Pendant que les néoféministes défendent l’écriture inclusive et le burkini, il y a dans nos banlieues des jeunes femmes courageuses en danger. Je les appelle les « vraies féministes ». Certes, ceux qui osent parler sont minoritaires, mais ceux qui en ont marre sont nombreux. Il faut les réveiller ! Ce qui nous manque, c’est l’union et la représentation. Il nous faut des associations et des politiciens. On a aussi besoin d’imams modernes, capables de réformer l’enseignement de l’islam.

Donc, la France que nous aimons ne va pas disparaître ?

Non ! Jamais ! Notre pays est attentiste, mais un jour il y aura une issue. La France est grande.


Omar Youssef Souleymane est écrivain. Il a notamment publié Une chambre en exil (2023) et Être français (2022), chez Flammarion.

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France Inter rattrapée par la patrouille de l’Arcom

Le président d’Avocats Sans Frontières revient sur le succès qu’il vient de remporter auprès du gendarme de l’audiovisuel.


Si ce n’est pas moi qui en parle, personne n’en parlera.

France Inter et consorts adorent communiquer sur les remontrances de l’autorité suprême en matière d’audiovisuel, j’ai nommé l’Arcom. Mais seulement quand il s’agit de CNews, C8 ou d’autres chaînes d’un groupe possédé par un industriel catholique et breton que l’on prétend prospère. Dans ces circonstances, l’on sent dans le propos des journalistes du service public une jouissance orgasmique. La satisfaction semble être moindre lorsqu’il s’agit d’eux-mêmes. J’ai en effet noté leur peu d’entrain à faire la publicité sur l’admonestation adressée à France Inter concernant une saisine émanant d’Avocats sans frontières.

Le Hamas, pas la source idéale

Mon lecteur me pardonnera donc de parler de moi – il sait combien j’y répugne –, mais le sujet m’y contraint. L’association d’avocats que je préside et qui se rit des frontières, à rebours de votre serviteur, avait en effet saisi l’Arcom pour un problème précis et de haute importance. Je reproduis ci-après fidèlement certains passages qui feront comprendre l’intérêt du litige :

« Lundi 8 janvier à 22 heures, dans le bulletin d’informations de la radio de service public France Inter, la journaliste a indiqué sèchement et sans la moindre prudence : “À Gaza aujourd’hui, 242 personnes ont été tuées.”

À plusieurs reprises, je me suis ému de ce que trop souvent, les radios publiques indiquaient le bilan victimaire dans le territoire précité, sans préciser leur source d’information : le Hamas, organisation officiellement classée comme terroriste par la France.

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Certains médias ont désormais l’élémentaire honnêteté professionnelle d’indiquer que les renseignements fournis par ce mouvement sont sujets à caution et invérifiables. C’est ainsi, par exemple, que lors de l’affaire de l’hôpital gazaoui prétendument bombardé par Israël, selon des informations trop hâtives (car en fait par le Djihâd islamique), le Hamas avait annoncé la mort de 400 civils. Il s’avérera plus tard qu’une quinzaine de personnes avaient été atteintes sur le parking de l’hôpital.

Mais dans le cas du bulletin d’informations incriminé du 8 janvier, nous sommes dans le cadre d’informations livrées par une organisation terroriste et pourtant rapportées par France Inter sans précaution comme une sorte de Journal officiel. Nous sommes dans le cadre de la délivrance péremptoire, sans même l’usage du conditionnel, d’informations présentées comme précises mais sans vérification et sans même l’honnêteté et l’objectivité professionnelles élémentaires de mentionner leur source douteuse.

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Pour finir, je pense qu’il est utile d’ajouter que le conflit israélo-palestinien a malheureusement des conséquences parfois tragiques sur le territoire national. Raison impérieuse d’exiger des responsables chargés de délivrer des informations sur ce conflit d’être rigoureux professionnellement… »

Le 11 avril, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, m’a adressé un courrier ès qualité dans lequel il fait droit à cette saisine sur le fondement des textes en vigueur relatifs à l’honnêteté et l’indépendance de l’information.

C’est dans ces conditions qu’il écrit sévèrement :

« L’Arcom a fermement demandé à la société Radio France de veiller, à l’avenir, à ce que la question du conflit israélo-palestinien, d’une sensibilité toute particulière, soit traitée sur ses antennes avec la plus grande rigueur. »

Je jure que, depuis, je n’ai plus entendu ni France Inter ni France Info relayer un bilan du Hamas.

Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule

La même semaine, décidément pénible pour l’odieux visuel de sévices publics hier encore en majesté, Patrick Cohen, qui officie sur la 5, s’est lui aussi fait taper sur le micro par l’Arcom pour avoir évoqué la mort du jeune Thomas à Crépol sans l’élémentaire prudence que requérait le drame. On ne respecte décidément plus personne.

Si ce n’est pas moi qui en parle, ce n’est pas Le Monde, Libération ou Télérama qui en parleront.

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Pivot, l’homme qui multipliait les livres

Disparition du journaliste et animateur littéraire Bernard Pivot à l’âge de 89 ans dont l’émission « Apostrophes » aura marqué plusieurs générations


Chez les auteurs non célèbres, c’est-à-dire ceux qui végètent à moins de 1 000 exemplaires vendus (ce qui est fort honorable en 2024), l’ère Pivot à l’antenne apparaît comme un âge d’or, le temps béni des vendredis soir où dans la moiteur d’un plateau, l’illustre inconnu, professeur de banlieue, kiosquier timide ou aventurier du bocage, réussirait à braquer les librairies de France.

Faiseur de rois

À cette époque-là, on parlait de ventes à six chiffres et d’à-valoir roboratifs. On raconte même que certains écrivains, après leur passage dans « Apostrophes », purent s’offrir un appartement dans Paris intra-muros. La rumeur court que les attachées de presse à sa vue défaillaient dans les couloirs d’Antenne 2, que l’on essayait de le soudoyer en flacons de Bourgogne pour être invité entre Jean d’O et Edmonde Charles-Roux, que l’on faisait du gringue à ses assistants pour que l’animateur-prodige, faiseur de rois et de reines de l’édition, montre ostensiblement la jaquette de son roman, à la toute fin de son émission. Sans Pivot dans sa manche, les prix d’automne vous passaient sous le nez. Sans la lumière brumeuse de son studio, point d’invitations tentatrices aux salons du livre, de files d’attente pleines d’amour défendu, de dédicaces giboyeuses, et surtout point d’obséquiosité de la part des éditeurs qui insistent pour que vous entriez dans leur écurie. Pivot valait sésame dans les cercles privés et les revues les plus confidentielles. Sans lui, vous étiez transparent. Il validait l’acte d’écrire, lui donnait une réalité tangible et trébuchante. Si l’ENA fait le haut fonctionnaire par son « grand oral », Pivot matérialisait l’écrivain, lui octroyant la légitimité et la confiance pour persévérer dans cette profession si aventureuse. Un écrivain vu chez Pivot avait du crédit devant son banquier. On exagère peut-être le phénomène, on fantasme, on grossit l’audimat, on pense naïvement que la France entière se passionnait pour Jacques Lanzmann, Michel Tournier, Geneviève Dormann et Georges Conchon alors que le public se vautrait au même moment devant les strass de Guy Lux et le décor 100 % plastique de la Cinq de feu Silvio Berlusconi.

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Un mirage ?

Pivot est ce mirage d’une télévision lettrée entre Giscard à la barre et Tonton à la francisque, un poil exigeant et démago mais tellement « province », une télévision de qualité qui s’écharpe sur les écrivains-collaborateurs et s’interroge sur les vertus d’une troisième voie scandinave. Du temps de Pivot, on pensait sérieusement que l’on pouvait encore réguler le capitalisme, que la lecture demeurerait ce vice impuni et que les écrivains dotés d’un épais collier de barbe, la clope au bec et le pantalon velours à grosses côtes, représentaient l’acmé de la société intellectuelle la plus évoluée. Aujourd’hui, avec sa disparition, nous perdons une forme de candeur.

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Au fond de nous, nous savions bien que la littérature était déjà entre les mains des marchands et des activistes, bringuebalée entre l’idéologie repentante et l’oukase permanent. Pivot fut le premier à faire entrer le loup dans la bergerie. Après lui, un écrivain devait fixer la caméra sans trembler et capter le regard de la ménagère, la responsable des achats. Le talent et le style sont une bien maigre consolation face à la télégénie, l’esbroufe et face aux personnalités hypertrophiées. Après lui, un écrivain eut l’obligation d’imprimer l’écran et les esprits par une parlotte étudiée, avec moult éléments de langage et poses exagérées, une assurance feinte et des allergies superfétatoires. Peu importe le système de défense ou d’attaque adopté, qu’il soit sur la réserve, bégayant à la manière Modiano ou florentin façon Jouhandeau, l’écrivain devint un acteur comme un autre de sa propre mise en scène médiatique. Le téléspectateur était désormais en attente d’un spectacle. Souvent, il l’eut. Pivot aimait le fracas courtois, l’ébullition juste avant que l’émission ne tourne au chaos. S’il fit le bonheur des bêtisiers avec quelques épisodes soulographiques mémorables, Pivot a été cette lanterne sur un biotope littéraire presque trop folklorique pour être crédible. Je crois bien que grâce à lui, nous avons d’abord aimé les écrivains avant de les lire. Dans la langueur de nos provinces, Pivot fut un merveilleux enlumineur, un indispensable intercesseur, car déjà l’école avait abandonné le Lagarde et Michard pour des méthodes alternatives. Je lui dois tant d’émois, l’accent rocailleux de Henri Vincenot qui fascina en une soirée la France entière, l’anarcho-goguenardise de Léo Malet, le sarcasme débonnaire d’A.D.G, la tête frisée de Kléber Haedens ou la rondeur broussailleuse d’un Jean-Pierre Enard. Nous pataugions joyeusement dans son bouillon de culture.

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France-Vietnam: la réconciliation inopinée

À l’occasion de la commémoration des 70 ans de la bataille de Diên Biên Phu, un ministre français est officiellement invité pour la première fois. L’occasion pour Paris de resserrer ses liens avec Hanoï, sur fond de tensions avec le géant chinois.


Pour la première fois depuis la chute du camp retranché français de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, le Vietnam a invité la France à la commémoration de cette bataille, « la plus longue, furieuse, meurtrière » entre les deux belligérants, mais qui mit fin, soudain, à une guerre d’Indochine engagée huit ans plus tôt, dans la foulée de la Libération, et dont personne n’entrevoyait alors une issue proche.

Pour la représenter à ce 70ème anniversaire dont le point d’orgue a été un défilé militaire de 12 000 hommes à Diên Biên Phu[1], à proximité du théâtre des opérations, aujourd’hui une ville de 80 000 habitants prospère, alors qu’à l’époque elle n’était qu’une bourgade au milieu de rizières, elle a délégué son ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, et la ministre des Anciens combattants, Patricia Mirallés. Cette invitation scelle une réconciliation inopinée qui semblait il y a encore peu improbable. Elle a été précédée par l’annonce le 29 mars de la restitution par Hanoï de six dépouilles de soldats français tombés à Diên Biên Phu et de leur rapatriement.

Défaite héroïque

 « C’est un moment très important, a souligné en substance l’ambassadeur de France à Hanoi, Olivier Brochet, auprès de la presse locale, confirmant l’acceptation par Paris de l’invitation. Nous montrons au monde entier notre capacité à regarder le passé ensemble et à le prendre tel qu’il est (complexe et tragique). Nos deux pays se retrouvent, pour construire l’avenir, sur un ancien champ de bataille. » Où ils s’affrontèrent, pas dans une de ces batailles, disons, « classiques », comme toutes les guerres en sont le théâtre, mais dans une bataille dantesque, déluge volcanique de feu, à la mort garantie. Devenue mythique, elle a inspiré celle du film Apocalypse Now.

Aucune cérémonie spéciale n’est, en revanche, prévue en France. Comme tous les ans depuis 2005, dans le cadre de la Journée nationale des morts pour la patrie, un rituel et, donc convenu, hommage sera rendu aux soldats tombés en Indochine, le 8 juin, à Fréjus, au mémorial qui leur est dédié, en présence d’un seul représentant du gouvernement, la ministre des Anciens combattants. Pour le moment, aucun représentant du Vietnam n’y a été invité.

La chute de Diên Biên Phu, bien qu’elle soit en réalité un des plus hauts faits d’armes de l’histoire guerrière de la France, « une défaite héroïque » comme l’a qualifiée Lucien Bodard[2], grand reporter et écrivain, qui a suivi le conflit indochinois de bout en bout, est toujours vécu par l’armée française comme un vain et humiliant sacrifice.

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Pendant 56 jours, 12 000 hommes, légionnaires, parachutistes, tirailleurs du Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (CEFEO), composé que d’engagés[3], Français mais aussi d’Espagnols, Italiens, Allemands, également de Nord-africains et Africains de la Coloniale, de Vietnamiens, Thaïs recrutés, eux, sur place, résisteront aux orages d’obus, aux averses de roquettes, aux mitraillages nourris, aux vagues d’assaut à répétition, aux corps-à-corps fatals, dans la boue, sous un ciel bas sans étoiles, strié par les balles traçantes, les fusées éclairantes, au milieu de boules de feu provoquées par les impacts des projectiles de tous calibres, de casemates éventrées, de cadavres gisant dans le fond des tranchées, dans un vacarme de déflagrations, avant de capituler faute de munitions, affamés, décharnés, brisés physiquement, épuisés mentalement. Alors que pour les Vietnamiens, cette bataille victorieuse contre toute logique et au coût humain considérable, est considérée comme « le 14 juillet des colonisés » et la prise du camp retranché est assimilée à celle de la Bastille par les révolutionnaires de 1789. Les historiens estiment que Diên Biên Phu a donné une impulsion aux mouvements de libération nationale à travers le monde. Ils avaient la preuve que le colonisateur pouvait être vaincu par les armes.

Un long chemin vers la réconciliation

Le premier pas vers cette réconciliation a été un film coproduit par la France et le Vietnam, intitulé Diên Biên Phu, sorti en 1992, qui avait été tourné justement par un ancien combattant et prisonnier français du Viet Minh, Pierre Schoendoerffer[4]. Le second, la visite l’année suivante de François Mitterrand, la première d’un président de la République à Hanoï depuis l’indépendance du Vietnam. Il put se rendre sur le lieu de la bataille, une vallée de 4 sur 19 km, orientée nord-sud, à titre privé. Néanmoins, dans le toast qu’il porta à son homologue Duc Anh, il salua « les retrouvailles entre les deux nations ». Il ajouta : « il reste une affinité (entre elles) qui ne demande qu’à s’épanouir malgré les épreuves… et quelles épreuves !… »

Le troisième a été l’érection en 1994 d’un obélisque sur les lieux de la bataille à la mémoire des tués du Corps expéditionnaire, à l’initiative personnelle, et sur ses propres deniers, d’un ancien légionnaire allemand, Rolf Rodel. En 1998, le gouvernement vietnamien prend en charge son entretien, et il est officiellement inauguré l’année suivante.

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Enfin, le quatrième est la visite d’Edouard Philippe en 2018 alors qu’il était Premier ministre. A la différence de Mitterrand, lui visitera les vestiges de la bataille à titre officiel. Il déposera une gerbe au pied des deux mémoriaux, le vietnamien et le français, mais les officiels vietnamiens ne l’accompagneront pas à ce dernier. Dans sa brève allocution, reprenant une initiative française de 2014, il invitera les deux parties à « avoir un regard apaisé sur le passé ». Cette année-là, à l’occasion du 60ème anniversaire, la France, sous la présidence de François Hollande, avait proposé une démarche de « mémoire apaisée ». Elle était restée sans suite.

Qu’est-ce donc qui a poussé Hanoi à vouloir maintenant partager avec Paris un passé commun douloureux ? Sans doute une volonté de prendre ses distances avec la Chine, au voisinage parfois pesant, surtout dans le contexte de tension avec Taïwan et les États-Unis. En février et mars 1979, une brève guerre opposa le Vietnam et la Chine à propos d’un insignifiant litige frontalier pas entre les deux pays mais avec le Cambodge. Pourtant, sans l’aide massive à la fois en armement et en conseils de Pékin, le Viet Minh n’aurait certainement pas pu vaincre la France à Diên Biên Phu. La génération de la guerre qui pouvait se sentir redevable envers la Chine n’est plus. Elle a aussi emporté avec elle ses ressentiments envers la puissance coloniale. Le renouvellement de générations a sonné l’heure non pas de l’oubli mais de la raison. Les dirigeants vietnamiens estiment probablement que le moment est opportun de s’affirmer davantage sur la scène internationale, politiquement et économiquement. Et quoi de plus symbolique qu’une réconciliation avec l’ennemi d’hier, à l’instar de la réconciliation franco-allemande après la Seconde guerre.

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[1] Diên (administration) Biên (frontalier) Phu (district). Traduction de Diên Biên Phu (Administration – ou préfecture – du district frontalier). Son vrai nom en thaï est Muong Tenth : Village du ciel.

[2] Lucien Bodard, prix Goncourt 1981, auteur d’une remarquable trilogie indochinoise : L’Enlisement, l’Humiliation, L’Aventure. Auteur aujourd’hui oublié, au style alluvionnaire, qui mérite d’être redécouvert.

[3] Une loi datant du 9/12/50 interdisait dans son article 7, l’envoi du contingent sur un théâtre d’opérations situé hors du territoire national. L’Algérie étant trois départements français, à la différence de l’Indochine, c’est qu’il explique qu’on y fit appel au contingent pour y mener… « des opérations de police ».

[4] Pierre Schoendoerffer, cinéaste écrivain, auteur de la 317ème section, témoignage sur le désarroi du soldat dans une guerre sans sens, et aussi, du documentaire sur la guerre du Vietnam, La Colonne Anderson.   

Nassira El Moaddem, Matisse: poussée de fièvre identitaire en France

Quand la haine anti-française partout se déchaîne…


Les Français vont-ils accepter longtemps de se faire humilier ? Le camp du bien, c’est-à-dire de la diversité, leur réserve désormais la morgue du conquérant. L’antisémitisme islamisé, qui s’exhibe jusqu’au sein des lycées et des universités sous le faux nez des diatribes anti-israéliennes, fait école. Une semblable haine anti-française lui succède. Elle se revendique avec la même bonne conscience.

L’affaire Nassira El Moaddem

Exemple récent : journaliste liée à France Inter, la Franco-marocaine Nassira El Moaddem a reçu le soutien de la directrice de la radio publique, Adèle Van Reeth, après avoir tweeté le 30 avril, en réaction à un rappel de la Fédération française de football (FFF) à respecter la laïcité dans le port des maillots : « Pays de racistes dégénérés. Il n’y a pas d’autres mots. La honte ». Van Reeth n’a pas relevé ce racisme primaire du colon face à l’indigène; mais a dénoncé les réactions que El Moadden a suscitées. Tweet de la patronne de la radio d’État : « Les attaques racistes qu’elle subit sont inacceptables. Elle a tout mon soutien ». Le mécanisme victimaire, qui permet aux adversaires de la laïcité de se dire agressés et en légitime défense, a été ici avalisé dans son outrance. Non seulement la France est réduite à une nation de sous-hommes mais ces amas de ploucs n’ont pas le droit de moufter, sinon avec des mots choisis par leurs maîtres. Or cette rhétorique anti-française est identifiée. Elle puise dans l’offensive de l’islam politique qui voit la laïcité comme son ennemi et la contestation de son suprémacisme comme une inacceptable résistance.

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Reste la question : les Français ordinaires sont-ils prêts à obéir ? Il est légitime de suggérer à Melle El Moaddem de quitter la France, si son pays est le repoussoir qu’elle décrit. La maltraitance des citoyens est, plus généralement, devenue insupportable. Robert Ménard y participe en justifiant, le 3 mai sur LCI, que « des jeunes filles et garçons français se fassent tuer pour l’Ukraine ». Le Crif est dans ce même mépris des Français ordinaires quand son président, Yonathan Arfi, soutient, ce lundi dans Le Figaro, que « les Juifs se sont toujours tenus à l’écart des partis populistes ». Ce rejet du peuple a conduit samedi les Restos du Cœur à exiger la démission de Colombe, 60 ans, du bénévolat que cette bénéficiaire du RSA assurait. Colombe a eu le tort d’assister à un meeting de Marine Le Pen le 1er mai et d’avoir témoigné sur TF1, les larmes aux yeux, du « monde de fous » qu’elle devait endurer sous la menace des huissiers. Sa vidéo, déchirante, a comptabilisé plus de cinq millions de vues.

Châteauroux pleure Matisse

Samedi, à Châteauroux, près de 10 000 personnes ont suivi la « marche blanche » après le meurtre de Matisse, 15 ans, par un jeune Afghan du même âge. Une vidéo antérieure au drame montre le tueur vociférant : « Wallah, j’ai trop la haine (…) Je vais sonner chez ce fils de pute (…) Sur la tête de ma mère, je vais lui niquer sa mère ». Le père de Matisse a récusé toute récupération politique dans une lettre à son fils : « Mon matou, ma grosse loutre, tu étais un vrai gentil ». Mais la gentillesse a-t-elle encore un sens quand la haine anti-française partout se déchaîne?

Touche pas à ta sœur !

Samara tabassée à Montpellier, Shemseddine battu à mort à Viry-Châtillon, Rachid poignardé à Bordeaux. Dans de nombreux quartiers de France, la charia devient la norme commune et l’islam, la véritable nationalité d’une grande partie de la jeunesse musulmane. Si Gabriel Attal a osé nommer le mal, la Macronie s’est empressée de noyer le poisson islamiste dans le grand bain de la violence des jeunes. Reste à savoir s’il n’est pas trop tard pour la reconquête.


Sa langue n’a pas tremblé. Le 18 avril, sur BFM, rompant avec l’évitement sémantique qui tient lieu de ligne politique à son camp, Gabriel Attal lâche les mots qui fâchent France Inter. Réagissant au meurtre de Shemseddine, survenu quelques jours après le passage à tabac de Samara, le Premier ministre parle de « l’entrisme islamiste » sévissant dans des écoles où il impose « les préceptes de la charia ». Ces mots font écho à ceux de Mila qui, quelques jours plus tôt, dénonçait la police des mœurs à l’œuvre dans certains établissements.

Nos petits Talibans

On dira que le Premier ministre découvre la lune et que, depuis l’assassinat de Samuel Paty (en réalité bien avant), nul ne peut plus ignorer l’islamisation conquérante de certains quartiers, ni le fait que l’école est la cible d’une offensive encouragée de mille façons par les caïds de quartier et les influenceurs islamistes. De plus, Attal avait à peine ouvert un œil que le reste de la Macronie s’empressait de le refermer, noyant le poisson islamiste dans le grand bain de la violence des jeunes TikTokés, de l’ensauvagement général et de personne ne respecte plus l’autorité ma bonne dame. S’en est suivi l’habituel concours de proclamations martiales et passablement comique. On a entendu Prisca Thevenot, l’impayable porte-parole du gouvernement (poste décidément maudit) déclarer que « l’autorité doit s’appliquer partout, pour tous », Nicole Belloubet, promettre que son « bras ne tremblera pas » et, pour finir, le président jurer que « nous serons intraitables ». Nous sommes sauvés.

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Le mot chien ne mord pas et le mot autorité n’inspire pas le respect. Cependant, avant les actes, il y a toujours des mots. On ne peut pas déplorer en boucle le déni d’État et ricaner quand le voile se déchire, serait-ce tardivement et timidement. Que le Premier ministre investisse un champ lexical généralement réservé à la « fachosphère » (espace désignant tout ce qui se trouve politiquement à droite d’Olivier Faure), ce n’est pas rien. D’ailleurs, si les Insoumis ont hurlé à l’islamophobie, Libé et Le Monde ne se sont même pas fendus d’éditos pour dénoncer la nauséabondisation des esprits. Tout fout le camp, même l’antifascisme.

Il faut dire que les militants de l’aveuglement ont pris de sérieux coups de réel sur la caboche. D’abord, le 26 mars, le proviseur du lycée Maurice-Ravel jette l’éponge à quelques semaines de la retraite. L’État se couche devant une gamine arrogante et menaçante, et il habille cyniquement sa capitulation de respect de convenances personnelles – c’est vrai, le proviseur préférait rester en vie. Ensuite, le 2 avril, le passage à tabac de Samara, coupable de coquetterie. Le 4, l’agression de Shemseddine qui mourra le 5, par deux bas du front qui prétendent garder la vertu de leur sœur. Enfin le 10, sur les quais de la Garonne, Rachid est tué parce qu’il picole le jour de l’Aïd. Sans oublier tous ceux, musulmans ou pas, à qui on pourrit la vie parce qu’ils ont osé boire ou fumer pendant le ramadan – comme si c’était la moindre des choses que toute la France se mette à l’heure islamique.

Ce qui se joue sur notre sol, et pour partie à l’intérieur de la société musulmane, c’est un conflit anthropologique. Dans les endroits où l’islam est majoritaire, son expression la plus littérale, donc la plus séparatiste, devient la norme à laquelle chacun et surtout chacune doit se soumettre. Bien plus qu’une religion, c’est une frontière identitaire. Sa première cible, ce sont donc les membres du groupe qui ont l’outrecuidance de vouloir lui échapper, les kouffars musulmans, équivalent des sociaux-traîtres pour les communistes. Pour la jeunesse des quartiers, explique l’écrivain Omar Youssef Souleimane, l’islam n’est pas une origine ou une religion, c’est une nationalité. Le crime de Samara, Shemseddine, Rachid, c’est d’être français. En s’assimilant à nos mœurs, ils violent la loi du clan.

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Reste la question vertigineuse qui hante de nombreux Français : est-il trop tard ? Qui, des forces de la soumission ou de celle du refus, gagnera la guerre qui se joue dans les tréfonds mentaux de la société ? À coups de lâchetés parées de bienveillance et de calculs électoraux crapoteux, on a abandonné une génération à l’influence des Frères. Pendant que les vestales féministes se déchaînaient contre le mâle blanc, des territoires entiers sont devenus des zones d’oppression des femmes. Toutes les études montrent que les islamistes ont gagné la bataille de la jeunesse – et pas seulement musulmane. Venez comme vous êtes, l’idéologie McDo fait des ravages chez les adolescents et chez les profs. À en croire un sondage Ifop/Licra de mars, 52 % des lycéens voudraient autoriser le port des signes religieux à l’école. Pire, la même proportion est hostile au droit de critiquer les religions. Autrement dit, nos merveilleuses générations futures aimeraient bien rétablir le délit de blasphème. Tout ça pour ça.

Impossible de dire s’il est minuit moins le quart ou minuit et quart. Mais l’invocation rituelle de la laïcité, devenue l’arme fatale contre l’islamisme, ne suffira pas à protéger les intégrés des intégristes, ni à obliger ces derniers à rentrer dans le rang républicain. Surtout que le progressisme, pour l’accommoder à la sauce multiculti, en a fait un concept aussi sucré, gentillet et inopérant que le vivre-ensemble. La laïcité française, ce n’est pas chacun fait ce qui lui plaît. Ce n’est pas l’accueil bienveillant de toutes les religions, mais la discrétion et la retenue qui leur sont imposées. En vertu de quoi, l’individu a le droit de s’émanciper de son groupe et l’État, le devoir de lui en garantir la possibilité.

Être français est un privilège

« La laïcité n’est pas une contrainte, c’est une liberté », ose Gabriel Attal. Ce propos n’est pas seulement faux, il est la clef de notre impuissance. Le Premier ministre prétend combattre l’entrisme islamiste, mais répugne à employer la contrainte. Surtout, ne froissons personne. On endiguera certainement l’islamisation à coups de stages de citoyenneté.

Il n’y a pas de solution miracle et indolore. La volonté de reconquête affichée par Gabriel Attal sera crédible quand elle aura été signifiée clairement aux principaux intéressés. Les plus hautes autorités de l’État doivent rappeler solennellement la règle du jeu à nos compatriotes musulmans – qui ont le droit d’être traités en adultes. En France, tu ne ramènes pas ta religion à tout bout de champ, en France, on a le droit de se moquer de ton dieu, en France, une fille en minijupe n’est pas en accès libre. En France, tu touches pas à ta sœur.  Être français est un privilège. Il a un prix.

L’opéra trouble de Britten

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© Bernd Uhlig

Le théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, accueille Le Tour d’écrou, opéra de Benjamin Britten inspiré d’une nouvelle de Henry James. Il y est question de spectres, de fantasmes, de perversion et d’innocence…


Sont-ils les spectres effroyables des maléfiques créatures, gouvernante et valet, qui naguère encore vivaient là, sur ce domaine de Bly, et qui, après leurs morts sordides, reviennent hanter les deux enfants dont ils avaient la charge pour continuer à les pervertir ? Ou sont-ils les fruits malsains nés de l’imagination enfiévrée d’une jeune femme, fille de pasteur anglican engluée dans une morale puritaine propre à générer tous les fantasmes, et dont le délire de pureté et d’innocence fait naître des revenants qui n’existent jamais qu’à ses yeux ?

Ni Henry James, dans sa nouvelle Le Tour d’écrou publiée en 1898, ni Benjamin Britten qui s’en inspire pour son opéra créé en 1954 à Venise, ne daignent dissiper le doute, cette ambiguïté permettant au lecteur ou à l’auditeur d’interpréter le drame à sa façon. Permettant surtout à chacun de laisser galoper son imagination et d’y mêler ses propres angoisses, ses propres terreurs. Fantômes réels ou fantasmes d’une psyché assez délétère pour les créer ? Les deux réponses possibles sont autant de sujets d’interprétation et d’inquiétude. « Qu’est-ce donc que la vérité ? », interroge Nietzsche cité dans le programme. « Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées… : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont ».

Les désordres de l’âme

Au Théâtre royal de la Monnaie, à Bruxelles, l’Allemande Andrea Breth qui assure la mise en scène n’en dit sans doute pas davantage que James et Britten. Elle n’impose pas franchement une version plutôt qu’une autre, même si la jeune gouvernante en charge des deux enfants paraît être tout de même la première victime de ce qui pourrait être des hallucinations. Mais en voulant illustrer, scène après scène, les désordres de l’âme humaine et en recourant pour ce faire à de multiples figurants qui doublent parfois les protagonistes du drame, ainsi qu’à une esthétique qui rappelle un surréalisme à la Magritte, elle assène un bavardage visuel à ce point étouffant qu’il finit par interdire tout libre arbitre au spectateur.


Des placards démesurés

Les tableaux qui défilent sans cesse sont incontestablement très esthétiques. Les remarquables décors conçus par Raimund Orfeo Voigt, composés d’immenses panneaux coulissants ménagent des perspectives vertigineuses à la Delvaux et métamorphosent l’espace avec une savante ingéniosité. Les portes immenses ou les placards démesurés encadrent ou dévorent des personnages aux costumes d’une élégance sévère de Carla Teti, uniformément noirs ou gris… les éclairages inquiétants et subtils d’Alexander Koppelmann… tout contribue à la sombre magie des images. Mais multipliés à l’envi, encombrant l’espace et le drame, s’imposant sans cesse au regard, ces tableaux finissent par occulter la musique et tuer toute velléité d’imagination ou de rêverie, dissipant le mystère de cette œuvre et beaucoup de sa poésie.

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Étrangeté vénéneuse

Pourtant l’interprétation musicale du Tour d’écrou que donne le chef espagnol Antonio Mendez, à la tête de l’Orchestre de chambre de la Monnaie est propre à servir l’étrangeté vénéneuse de la partition. Sa direction est vigoureuse, intelligente et porte le drame avec éloquence. Et les artistes lyriques sont aussi de bons acteurs. De la jeune gouvernante incarnée par Sally Matthews à la Miss Jessel d’Allison Cook ou à la Mrs Grose de Carole Wilson, les trois cantatrices sont remarquables. Et dans le rôle de cet ex-valet perverti jusqu’à l’os, ce Peter Quint qui veut s’emparer du corps et de l’âme du jeune Miles, Julian Hubbard est très bien. Cependant, la présence quasi permanente sur scène des deux spectres, et donc la volonté délibérée d’effacer leurs soudaines apparitions aux yeux de la jeune gouvernante et sans doute à ceux des enfants, Miles et Flora, cette omniprésence nuit infiniment à la dimension maléfique de leurs personnages et à la portée du drame. Quant au dédoublement de Miles, incarné par deux garçons si dissemblables physiquement, Samuel Brasseur-Kulk et Noah Vanmeerhaegue, elle apparaît parfaitement gratuite. Ou alors elle s’affiche comme une lourde façon de traduire et l’angélisme et la noirceur de l’enfant possédé. Et pourquoi, dès lors, n’avoir retenu que Katharina Bierweiler pour interpréter le rôle de Flora quand elle est elle-même tout aussi double et dissimulée ?

La mise-en-scène de ce Tour d’écrou, hélas ! ne déploie pas la noire et glaçante étrangeté que résume si tragiquement le funeste appel de Quint tentant d’engloutir Miles dans son univers de damné.


Le Tour d’écrou, opéra de chambre de Benjamin Britten.
Les 8, 10, 12 et 14 mai 2024. Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles.
Location : 00 32 2 229 12 11

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Benhessa et Bigot ferraillent contre la dissolution de notre démocratie dans l’UE

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Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot. DR.

Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot nous offrent un livre instructif et pédagogique sur la construction européenne et ses verrouillages successifs qui ont assis définitivement la primauté du droit sur toute autre considération. À l’heure des prochaines élections européennes, on y trouvera les propositions des différents partis concernant l’Union et les réponses « impitoyables » que nos deux auteurs leur apportent. Cependant, n’étant pas du genre résigné, Messieurs Benhessa et Bigot proposent une solution inédite : le Bruxit…


Genèse d’une servitude

Et, forcément, d’une ignorance, l’une n’allant pas sans l’autre. «  Qui connaît le règlement REACH, la CSRD, la CSDD, le CBAM, le SEQE, cette légion d’acronymes qui renvoient aux contraintes environnementales imposées par l’Union ? » Personne, sinon les technocrates intéressés. «  Qui sait que les gouvernements reçoivent de Bruxelles des GOPE (grandes orientations des Politiques Économiques), révisées chaque année, qu’ils doivent suivre à la lettre ? Qui sait que l’Europe discute, en ce moment même, d’une révision des traités pour supprimer le droit de veto des pays et se transformer en super-État ? » Etc.  Au fond, l’histoire de l’Europe est celle d’un rapt, voire d’un viol, qui renvoie étrangement au mythe grec auquel notre continent doit son nom[1]. « Et le rapt commence tôt. En 1951, le traité de Paris, institua la communauté européenne du charbon et de l’acier. À son service est créée à Luxembourg une Cour formée de sept juges chargés d’interpréter et d’appliquer son droit. Un dénommé Robert Lecourt, avocat eurolâtre, présidera cette cour et publiera par la suite un livre au titre si évocateur : « L’Europe des juges » !(…) «  Le 4 décembre 1974, ils (les juges) consacrent l’effet direct des directives, y compris lorsqu’elles n’ont pas été transposées par le Parlement français. (…) La loi, expression de la volonté populaire depuis 1789, chute de son trône. »

Du post-national au post-démocratique, un penseur s’impose

La nation est devenue trop petite et elle a l’inconvénient d’avoir des frontières. Ah, les frontières !  La bête noire des cosmopolites qui se sentent partout chez eux dans le monde sauf chez eux précisément, hormis dans les métropoles qui toutes se ressemblent. Dans une très belle métaphore, Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot font une analogie entre le corps de chaque être humain et celui d’un pays. Chacun a besoin d’une enveloppe charnelle, de corps précisément, de limite ; et je renvoie aux textes de Régis Debray (Eloge des frontières) et à Delphine Horvilleur dans son analyse de ce qui se passa après avoir mangé le fruit de la connaissance : Adam et Eve se trouvèrent séparés et couverts d’une tunique de peau. C’est peu dire donc que l’Europe nous fait la peau ! Nos frontières, devenues poreuses, nous mélangent tous dans un grand magma ; retour au chaos originel.

Mais de l’abandon de l’idée de nation et de pays, s’ensuit aussi celui de la démocratie. « Le déficit démocratique de l’Union n’est pas le fait d’une erreur de parcours, mais le souhait délibéré des Pères fondateurs de nier la volonté des peuples »(…) Helmut Kohl, dans un entretien de 2002 rendu public en 2013 par le Daily Mail, avouait : « Je savais que je ne pourrais jamais gagner un référendum en Allemagne. ( …) j’ai agi comme un dictateur ». Quant à Jean-*Claude Junker, au moment de la crise grecque, il n’hésita pas à dire : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Enfin, Günther Oettinger, en charge du Budget et des Ressources humaines de l’Union, énonça tranquillement la menace suivante : « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter ». Mussolini en rêvait, l’UE l’a fait.

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La seule exception démocratique, en France du moins, que le dogme libéral eut tôt fait de trahir avec le traité de Lisbonne, fut le référendum de 2005 où le « non » l’emporta avec 54,68% des voix. Mais « Bruxelles a dit : pas de référendum, Et Emmanuel Macron de renchérir, le 4 octobre 2023, pour commémorer les 65 ans de la Vème République, qui plus est : « Disons-le avec clarté, étendre le champ du référendum (…) ne saurait se permettre de se soustraire aux règles de l’État de droit. » Et, d’ailleurs, les auteurs soulignent, à ce propos, que l’Europe trouve de formidables relais dans les pays eux-mêmes et en veulent pour preuve la façon dont le président de la République française en a appelé au Conseil d’État pour retoquer sa loi sur l’immigration. La dissolution ? Le référendum ? De vieilles lunes ! Les individus ayant remplacé les citoyens, on n’en finira plus de promouvoir des libertés au service des premiers et de nier les droits les plus essentiels des seconds.

Le philosophe allemand Jürgen Habermas. Wikimedia commons.

Le penseur de l’idéologie européenne s’appelle Jürgen Habermas : « Hanté par la culpabilité de l’Allemagne – son père fut officier et fonctionnaire du IIIème Reich – Habermas passe sa vie à répéter le même mantra : pour endiguer le retour de la peste brune, il faut «remplacer le sentiment affectif d’appartenance à la nation comme entité historique concrète par l’adhésion rationnelle aux seuls principes de l’État de droit en tant que base d’une identité post-nationale ». Reste que le « patriotisme constitutionnel » a la sécheresse et l’épaisseur du papier et nous voue à une totale désincarnation…

Pour redevenir de chair et d’os, proposition pour une « sortie d’Égypte »

Nos deux auteurs affirment qu’il nous faut sortir de « l’emprise » psychologique et politique de ceréflexe pavlovien : hors l’Europe, point de salut ! Et du faux obstacle juridique, puisque l’article 50 nous permet de le faire.

Alors, certes, comparaison n’est pas raison, mais notre juriste et notre politologue rappellent que « la Résistance a considéré que le vote des pleins pouvoirs à Pétain était frappé d’illégalité, et nul ne le lui a reproché. » Certes, l’UE n’est pas Vichy. « Il n’empêche, la juxtaposition du scrutin de juillet 1940 et de la ratification du traité de Lisbonne en février 2008 révèle plusieurs analogies. » Mais, précisent Benhessa et Bigot, « si le grand départ les effraie, il reste une option (…) : réviser notre Constitution pour verrouiller la supériorité de nos lois, et, en parallèle, lancer une « négociation finale » avec nos partenaires. (…) La Commission, bastion du grand dévoiement, doit retrouver sa fonction de simple secrétariat du Conseil. Le droit de veto doit être rétabli et sacralisé. Cette révolution porte un nom : le Bruxit. Bouter Bruxelles hors de l’UE !

Pour conclure et encourager ce geste, il est rappelé que « sans la France, le projet européen s’écroulerait comme un château de cartes. Parce qu’elle est son fondateur historique, son architecte en chef et l’un de ses principaux sponsors. »

Pari risqué ? Walter Benjamin disait que la catastrophe c’est lorsque les choses suivent leur cours. Faire le pari proposé ici est risqué, mais tout pari l’est et l’Histoire ne saurait s’en passer.

On marche sur la tête: La France, l'UE et les mensonges

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[1] Dans la mythologie grecque, Europe, belle jeune fille, est enlevée par Zeus déguisé en aimable taureau qui va le devenir moins lorsqu’il l’enlèvera et l’emportera au-delà des mers pour la violer sous un saule.

LR et Reconquête jouent leur survie politique

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Le Grand Jury RTL avec les têtes de listes aux européennes, dimanche 5 mai 2024. Capture YouTube / RTL

La classe politique en mots: chacun a ses raisons…


La fin de la semaine dernière a été tellement riche et même surabondante en matière d’entretiens politiques qu’il est impossible de ne pas attirer l’attention sur eux. Qu’on songe aux quatre pages dont le président a bénéficié dans la Tribune Dimanche, à Éric Ciotti, à Gérald Darmanin, à Éric Zemmour dialoguant avec Marion Maréchal dans le Journal du Dimanche et au débat au Grand Jury entre les têtes de listes pour les élections européennes… Au risque de choquer, j’ai eu l’impression qu’une lecture et une écoute superficielles offraient des dénonciations faciles, des vœux pieux inévitables, des volontarismes martelés, des argumentations qui, pour chacune, avaient leurs raisons, des évidences qui, s’ajoutant les unes aux autres, donnaient de notre classe politique, du président aux ministres, des responsables de partis aux candidats en lice pour le 9 juin, une image apparemment homogène, un paysage sans ruptures ni extravagances. Comme un immense territoire qui rapidement survolé estompait ses frontières et ses clivages. C’était la classe politique en mots, avec ses abstractions généreuses, son volontarisme affiché, sa morale exhibée, ses promesses qui seraient tenues, ici son rêve de révolution, là son envie de réformer.

Macron pense pouvoir relancer Hayer

Véritablement, il n’est personne qui n’avait pas ses raisons, qui n’accrochait pas au moins des fragments de vérité. Le sentiment que cette pluralité inspirait était d’abord l’absurdité des empoignades féroces, des confrontations violentes, des détestations personnelles se substituant à un dialogue démocratique civilisé qu’il aurait été simple de mettre en œuvre si les idées avaient été suffisamment acceptables pour autoriser des échanges tranquilles.

Mais, derrière le langage, sous la commodité des questions permettant de libérer des réponses trop peu précises, une fois dépassées les apparences présumant la bonne foi, l’intelligence, la sincérité et l’intérêt national, que de différences tenant autant à la faiblesse des convictions qu’aux psychologies les énonçant !

Un président de la République qui, sans être bousculé, était un peu court sur les raisons du probable succès du RN le 9 juin. Il s’enorgueillissait de tout ce qu’il aurait paraît-il accompli sur les plans de la santé, de l’industrie et du régalien quand les retards ont été considérables et sa prise de conscience trop longtemps différée. Content de lui et de son bilan. Évoquant le futur comme si on n’avait encore rien vu ! Il ne s’expliquait pas sur le médiocre impact de sa propre parole sur la campagne de Valérie Hayer.

Anti-Bardella primaires

Les candidats pour le 9 juin : tous contre Jordan Bardella qui est forcément l’homme à abattre puisqu’il a creusé l’écart. Il a des faiblesses sur lesquelles ses adversaires ne l’attaquent pas assez, de sorte qu’il s’appuie sur ses forces, d’abord l’immigration et l’insécurité s’accroissant. Valérie Hayer estimable, compétente à Bruxelles mais dépassée. Marion Maréchal coincée entre l’obligation de s’en prendre au RN et l’envie de le ménager. Manon Aubry tentant de redorer un peu l’image de LFI en focalisant sur l’éthique européenne : elle a raison. François-Xavier Bellamy et Raphaël Gluksmann, si éloignés mais au fond si proches. Deux rationalités, deux esprits, deux honnêtetés contraintes de s’opposer mais presque à l’unisson sur l’essentiel qui est de rendre l’Europe forte et sans complaisance pour les puissances violant les droits de l’homme.

A lire aussi, Céline Pina: Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?

Gérald Darmanin a engagé un combat contre les Frères Musulmans. Leur idéologie est d’autant plus dangereuse qu’elle use d’une emprise subtile et redoutable dans beaucoup de secteurs de notre vie nationale. Avec habileté et compétence – un ministre qui fait tout ce qu’on lui permet d’accomplir ! -, Gérald Darmanin use des chemins professionnels pour qu’on sache que ses ambitions politiques ne sont pas en sommeil.

LR à bout de souffle

Éric Ciotti qui ne brille pas à la tête de LR, même s’il a su résister au jeunisme à tout prix pour la composition de la liste conduite par François-Xavier Bellamy, continue à creuser le sillon de la faiblesse régalienne du président et à dénoncer la faillite de l’autorité de l’État. Pour être pertinente, sa charge ne devrait pas lui interdire de donner un souffle épique et inventif à un parti qui mérite infiniment mieux que les jeux-je d’appareil, à répudier d’autant plus qu’une forme de minorité politique et parlementaire impose une unité de résistance.

Entre Éric Zemmour et Marion Maréchal, le jeu de rôles serait drôle si nous n’étions pas, avec « Reconquête! », dans un registre sérieux, quasiment de survie. L’un et l’autre font semblant de n’être pas en désaccord sur l’essentiel alors que tout fait apparaître – la structuration de leur pensée, leur conception du futur politique, le ressentiment ou la tentation à l’égard du RN, leur personnalité et leur psychologie – des antagonismes d’autant plus perceptibles que par tactique ils cherchent à les gommer. Sans convaincre à mon sens.

Si la politique n’était qu’une affaire de mots, un vaste aréopage, un forum urbain, nous ne serions pas en France si mal lotis. Aucune des personnalités que j’ai citée n’est méprisable même si certaines ne sont pas à la hauteur de l’excellente opinion qu’elles ont d’elles-mêmes. Mais la politique, c’est de l’action, du courage, de la morale se colletant avec le feu du réel, de la constance, le refus de la démagogie. De la grandeur et à la fois de la simplicité. Ce n’est plus se réfugier derrière l’édredon doux et ouaté du « chacun a ses raisons » mais plonger dans la vraie vie de la France et du monde.

Nos diplomates, entre idéaux et pragmatisme

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Hubert Védrine, ancien ministre © Image d'archive BERTRAND LANGLOIS / POOL / AFP

À travers vingt portraits, de Mazarin à Sergueï Lavrov, en passant par Talleyrand et Kissinger, Grands diplomates parcourt quatre siècles d’histoire politique, d’abord européenne, puis mondiale. C’est un important ouvrage collectif sorti chez Perrin début 2024, sous la direction d’Hubert Védrine.


Le livre a fait le choix d’éliminer les princes pour se consacrer à des hommes a priori de second plan. Certains ont été Premiers ministres, certes (William Pitt l’Ancien, Benjamin Disraeli), d’autres ont eu des notoriétés de stars hollywoodiennes. Aristocrates ou roturiers, dandies raffinés ou Prussiens rustiques et dégarnis, nés dans le bain diplomatique ou arrivés à lui par hasard, ils ont tous en commun une certaine vivacité intellectuelle. La voie diplomatique a parfois été un moyen de se faire un chemin malgré des extractions médiocres. Dans certains cas, elle a été leur plafond de verre : Boutros Boutros-Ghali, Egyptien copte marié en seconde noce à une juive, n’a jamais pu prétendre à une place au gouvernement égyptien hormis lors de brèves mais intenses intérims (il s’est rattrapé en devenant secrétaire général de l’ONU). Pour Kissinger, l’accès à la présidence des Etats-Unis a été bloqué par sa naissance, en 1923, en Bavière.

Dans la tête des grands fauves

La lecture successive des chapitres permet de repérer quelques drôles de zigues parmi cette galerie de portraits. Metternich, ambassadeur d’Autriche à Paris de 1806 à 1809, qui se met d’abord dans la roue de l’Empire français conquérant en attendant sa première faiblesse, est qualifié par ses illustres contemporains de « plus grand menteur du siècle » (presque un hommage). William Pitt, qui a commandé l’Angleterre lors de la guerre de Sept Ans, alterne « des moments d’activités et d’exaltation intenses avec des phases de torpeur et de mélancolie d’une profonde noirceur », avant qu’un mariage, à quarante-six ans, ne l’aide à retrouver du poil de la bête – et à chasser la France d’Amérique du Nord.

Malgré de tels travers, ils sont pourtant des éléments de modération, aux prises avec l’hybris des princes. Au service du Roi de France, l’Italien Mazarin ne perd pas de vue l’équilibre européen. C’est toujours l’équilibre continental qui éloigne Talleyrand de Napoléon, à qui il reproche de voir « trop grand et trop loin ». Même Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe depuis 2004 et unique personnage contemporain évoqué dans le livre, semble avoir émis des réticences au moment de l’annexion de la Crimée en 2014, craignant les réactions occidentales. Une propension moins visible chez un Bismarck, ambassadeur de l’idée d’ « égoïsme étatique », qui le pousse à annexer l’Alsace et la Moselle, créant une tenace rancœur de l’autre côté du Rhin… Sur le long terme, une erreur.

Les pragmatiques purs et les autres

C’est aussi une aptitude à l’audace, à la ruse, au coup de maître, à la pensée en dehors du cadre qui se retrouve chez les personnages dépeints par le livre. Il en faut quand Mazarin, cardinal de son état, accueille l’aide du puritain Cromwell pour contrer les Espagnols – alors que Charles II, roi d’Angleterre, se tient en exil en France, auprès de son cousin Louis XIV. De toute façon, Cromwell n’en a plus que pour un an à vivre, et le Commonwealth avec, ce qui n’a pas échappé au ministre français. Il en faut aussi à Choiseul et à Kaunitz, conseiller de Marie-Thérèse d’Autriche, pour rapprocher France et Autriche, ennemis héréditaires, contre la menace anglo-prussienne, lors du renversement des alliances opéré en 1756. Quant à Talleyrand, il parvient par un magnifique tour de passe-passe à assoir la France à la table de la Sainte-Alliance lors du Congrès de Vienne, après vingt-six années de chaos révolutionnaire diffusé par la même France dans toute l’Europe. Il en faut aussi à Edouard Chevardnadzé, ministre des affaires étrangères de l’URSS à partir de 1985, pour sortir de la logique lénino-marxiste de lutte des classes appliquée à la politique extérieure – et donc, à terme, pour sortir de la guerre froide.

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La perméabilité de ces personnages aux idéologies du moment est fluctuante : c’est déjà un pré-droitdelhommisme, ou en tout cas la défense des « valeurs », qui pousse Vergennes, secrétaire d’Etat des affaires étrangères de Louis XVI, à soutenir les insurgés américains contre l’Angleterre. Zbigniew Brzezinski, conseiller de Carter, enfermé dans la logique de la guerre froide, saisit mal ce qui se passe en Iran en 1979 et arme les moudjahidines en Afghanistan la même année. Les photographies du natif de Varsovie, kalachnikov à la main, avec ses amis islamistes, tourneront allègrement au lendemain du 11-Septembre. Et puis, il y a les pragmatiques purs. Bismarck courtise d’abord les faveurs de Napoléon III, puis lui tend un piège qui entraîne la chute du Second Empire. Aucun vernis idéologique pour expliquer tout ça, juste une succession d’opportunités. C’est aussi un sens aigu du pragmatisme qui pousse Kissinger à se tourner vers la Chine de Mao, pour prendre de revers le bloc soviétique, ou à laisser le Pakistan réprimer violement le Bangladesh, en 1971, car le Pakistan était un élément essentiel pour le rapprochement entre la Chine et les Etats-Unis.

Les grands fauves se reconnaissent entre eux

Un aspect intéressant de l’ouvrage est de réussir à faire des passerelles entre les personnages. Dans le chapitre que Jean-Christophe Buisson consacre à Molotov, on voit le diplomate patauger d’abord avec Ribbentropp, puis avec Hitler, lors de la brève entente germano-soviétique. Le diplomate soviétique promène le dictateur allemand à l’Ermitage et ose lui couper la parole. La deuxième rencontre est celle de trop et prépare la rupture à venir entre les deux régimes totalitaires – et l’attaque d’Hitler.

On monte en gamme lorsque l’histoire fait se croiser Benjamin Disraeli et Otto von Bismarck, en 1878, lors du Congrès de Berlin, qui doit régler l’épineuse question des Balkans. Le premier ministre britannique, anobli par la reine et par ailleurs brillant romancier, bien que très affaibli, est le seul à pouvoir dominer le chancelier allemand, impressionné par le flegme de son homologue. Le Prussien tonne : « Le vieux Juif, ça c’est un homme ! ». Quant à la rencontre entre Zhou Enlai, premier ministre de Mao, et Kissinger, elle débouche sur de longues discussions philosophiques, le diplomate américain n’étant pas mécontent de trouver chez son homologue confucéen un interlocuteur de son niveau intellectuel. Emmanuel Hecht, dans le chapitre consacré à Zhou Enlai, revient aussi sur la « diplomatie du ping-pong » et sur l’aventure de Glenn Gowan, pongiste américain, qui se retrouve par erreur dans le bus de la délégation chinoise et qui finit par se retrouver devant la muraille de Chine, offrant de beaux clichés à l’amorce du réchauffement sino-américain. L’ouvrage n’oublie pas ce que la Grande Histoire et le rapprochement d’immenses blocs géopolitiques doivent au petit bout de la lorgnette.

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«En français, ma voix est plus libre!»

Omar Youssef Souleimane. © Hannah Assouline

L’écrivain Omar Youssef Souleimane a retrouvé en France ce qu’il pensait ne plus voir en fuyant la Syrie : l’islam politique. Son amour de la poésie et de la langue française l’a sauvé de l’obscurantisme. Mais il s’alarme d’observer qu’en France, toute une jeunesse endoctrinée considère que l’islam est sa nationalité.


Causeur. Vous racontez comment vous êtes devenu français par la langue. Y a-t-il une autre manière de le devenir ?

Omar Youssef Souleimane. Être français est basé sur trois piliers. Il y a l’attachement : je suis amoureux de la France. Il y a l’appartenance qui se traduit par l’engagement à défendre ce pays devenu le mien de toutes les manières possibles. Il fait partie de moi et je fais partie de lui. Mais le plus important, la clef pour devenir français, c’est la langue. On ne peut pas découvrir les traditions de ce pays, son histoire, son quotidien, si on ne connaît pas sa langue. Ce n’est pas seulement une manière de communiquer, c’est aussi une partie de notre personnalité. Aujourd’hui, je ne parle quasiment plus l’arabe, mais quand il m’arrive de le parler, ma voix change. En français, ma voix est plus libre et plus puissante.

Vous racontez une scène survenue à l’aéroport de Beyrouth. Voyant que vous êtes né à Damas, le policier vous demande des documents improbables dans l’espoir de vous extorquer un billet. Le Syrien en vous commence à avoir peur et à trembler, mais le Français se rebiffe.

Le Français en moi me protège. C’est toute la valeur d’être français. Ce pays m’a donné la dignité, la citoyenneté. En Syrie, nous naissons comme des exilés ; nous n’avons ni droits ni devoirs. Le paradoxe, c’est qu’à Beyrouth, une fois sorti de l’aéroport, parler arabe a éveillé en moi une nostalgie pour cette terre. Elle fait partie de moi. Je ne veux pas l’enfouir, mais plutôt l’intégrer à ce que je suis aujourd’hui.

Vous rêvez en français ou en arabe ?

En français. Je ne crois pas que l’on puisse rêver dans une langue et écrire dans une autre. Mais l’arabe est ma langue intime, celle de l’enfance. Alors, je pleure en arabe.

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L’acculturation se joue sur des détails. Par exemple, dans le monde arabe, il faut arriver à un dîner les mains vides alors qu’en France, c’est un manque de savoir-vivre. La sociabilité orientale vous manque-t-elle ?

L’individualisme européen a de très bons côtés : on est libre, on vit comme on veut. J’écris, je lis, je dis ce que je pense. Là-bas, on n’est jamais seul. Mais si on a l’ombre d’un problème, on peut compter sur les voisins, la famille, les amis. Cette solidarité peut me manquer en effet. Mais je préfère l’individualisme occidental. J’ai eu la chance d’arriver jeune en France et j’ai pu recommencer à zéro, accéder aux codes sociaux français. Par exemple, je ne savais pas comment draguer ici ! En Syrie, faire un compliment à une femme, c’est déjà une invitation. Si on lui dit qu’elle a de jolis souliers et qu’elle ne réagit pas, c’est un râteau.

Rappelons qu’à 7 ans, dans votre école syrienne, vous criez « Mort à Israël ! » et « Gloire au grand prêtre ! » tous les matins. Plus tard, votre père, qui est passablement fanatique, emmène toute la famille en Arabie saoudite où vous résidez le 11-Septembre. Vous admirez Ben Laden… Tout ça est finalement banal.

Et cela s’explique largement par le fait que, depuis la chute de l’Empire ottoman, le Proche-Orient est dominé par l’islam politique djihadiste financé par les pétrodollars. Cet islam politique s’est imposé par la haine et la peur de l’autre. Cet « autre » peut être un pays arabe, mais c’est avant tout Israël, l’ennemi sioniste. On grandit dans la haine d’Israël et de tous les juifs. Le mot « juif » est une insulte.

Il y a déjà pas mal de versets antijuifs dans le Coran, non ?

Oui, il y a un problème avec le Coran comme avec tous les textes sacrés, mais le fait nouveau, c’est qu’on prétend les appliquer à la lettre.

 Comment vous en êtes-vous sorti avant même d’arriver en France ?

Pour me récompenser de mes bonnes notes au lycée, mon père m’a offert un ordinateur. J’étais motivé : je voulais étudier l’architecture pour bombarder des tours comme les djihadistes du 11-Septembre ! Mais la vie est un miracle. Grâce à cet ordinateur, j’ai pu accéder à internet et lire autre chose que de la propagande intégriste. Par exemple, j’ai lu Descartes et Taha Houssein, un philosophe égyptien qui parle du doute. Ayant appliqué ce doute au Coran, j’ai découvert qu’on n’a pas besoin de religion pour vivre. Que la religion était le problème, pas la solution. J’avais 17 ans. Et j’en avais 25 quand je suis arrivé en France.

En somme, quand tant de jeunes se radicalisent sur internet, vous vous y êtes déradicalisé.

Les jeunes qui suivent mes ateliers d’écriture passent entre trois et quatre heures par jour sur les réseaux. Les comptes TikTok les plus suivis proposent soit des vidéos de danse, soit des vidéos de radicalisation, quelle qu’elle soit. Internet peut aussi aider à la lutte contre l’extrémisme. En Syrie, en 2011, au début du printemps arabe, Facebook était le réseau des jeunes. En dehors des réseaux, il n’y avait pas de médias, neutres et libres.

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N’est-ce pas aussi l’amour de la littérature qui vous a protégé de l’endoctrinement ?

En effet. La joie de la littérature, cette sensibilité au pouvoir des mots, comme dit Paul Éluard, a été essentielle. Les mots d’Éluard ont beaucoup plus de valeur que ceux de Mahomet. Il faut remplacer la parole du prophète par celle du poète. Curieusement, au Proche-Orient, même dans les familles les plus intégristes, la poésie est sacrée, comme vecteur de l’islam et de l’identité arabe. On est obligé d’apprendre des poèmes très anciens. Et cette poésie qu’on m’apprenait comme élément de discours religieux m’a ouvert les yeux sur autre chose que la religion : la liberté.

Comment ont réagi vos proches, sachant que l’islam condamne l’apostasie ?

J’ai annoncé mon athéisme à 18 ans. Je ne voulais pas le cacher à mon entourage. J’ai perdu quasiment tous mes amis. Ma famille m’a renié pendant des années, finalement, certains m’ont accepté comme j’étais. Il faut dire que, pour aggraver mon cas, j’avais commencé à étudier la littérature arabe, une honte dans une famille de scientifiques. Pourtant, je n’avais aucun ami pratiquant, car une partie de ma génération, celle qui a passé le bac dans les années 2000, en a ras le bol de la religion ! Mais si j’avais déclaré mon athéisme publiquement, j’aurais pu être assassiné. En France, des jeunes sont surpris quand je leur dis que je ne suis pas musulman. Pour eux, si on naît musulman, on reste musulman. Pour eux l’islam n’est pas une religion ou une origine, c’est une nationalité. C’est la base du séparatisme et de leur crise identitaire.

La vie de ces jeunes est plus facile que la vôtre à votre arrivée. Et pourtant avec eux, nous avons échoué.

C’est ce qui m’attriste. J’ai vécu un an et demi à Bobigny, et j’ai vu que toutes ces villes de banlieue parisienne avaient leur bibliothèque, leur médiathèque, leur stade… Le budget culturel est énorme. J’aurais rêvé de grandir comme ces jeunes. Par rapport à ce que j’ai connu, ces jeunes ne manquent de rien. Mais ils baignent dans la haine de la France. Ce n’est pas de leur faute, c’est celle des imams radicaux et du discours manipulateur qu’ils suivent sur internet. Ils sont manipulés.

La désaffiliation n’est pas limitée aux jeunes musulmans…

J’ai l’impression qu’être malheureux fait partie de la culture française. À l’époque des gilets jaunes, des manifestants m’ont carrément dit que la France de Macron, c’était la même chose que la Syrie de Bachar el-Assad mais qu’ici, c’était une dictature masquée. Dictature sanitaire, dictature policière, dictature capitaliste, on met ce mot à toutes les sauces. Et c’est dangereux, car face à une dictature, la violence est légitime.

Dans Une chambre en exil, vous racontez comment vous avez retrouvé à Bobigny l’islam politique que vous aviez fui en Syrie.

C’est le cas de beaucoup de jeunes : venus en France pour fuir l’islamisme, ils l’ont retrouvé ici. Mais ici, les islamistes sont plus dangereux, car ils sont libres. En Syrie, en 1982, à Hama, 30 000 personnes ont été massacrées par Rifaat el-Assad (l’oncle de Bachar). En France, on les laisse propager leur discours de haine sur les réseaux sociaux, ils peuvent même vendre des livres interdits en Syrie ! J’ai publié une enquête sur les librairies islamiques. C’est un autre monde qu’on laisse prospérer. Ces imams qui appellent à la haine de la France n’ont pas le courage de mettre les pieds au Maghreb ou dans n’importe quel pays musulman car, là-bas, ils sont tabassés. Ils profitent des faiblesses de notre démocratie. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas appliquer la démocratie, la loi, la justice, mais il faut être prudent et conscient de ce qu’ils font. Il faut le faire pour protéger les musulmans de France, pris en otage par cette idéologie.

Des Algériens nous disent qu’on emprunte la même pente que l’Algérie, des Iraniens, que la France, c’est l’Iran de 1979… Est-il minuit moins le quart ?

Oui ! Car une fois que les islamistes occupent un terrain, ils imposent leurs normes. Les islamistes sont intelligents, ils se préparent. Voyez comment ils étaient infiltrés en Syrie, c’est exactement ce qui se passe en France aujourd’hui. Ma grand-mère n’était pas voilée dans les années 1970, j’ai vu des photos d’elle à la plage, avec ses amis. Pour ma mère, ses parents ne savaient pas ce qu’est la « vraie religion ». C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société, à se construire une base, sans doute une majorité. Ils ont diffusé des poèmes, des discours sur la valeur du voile chez une femme libre, etc. Petit à petit, le voile est devenu la norme sociale. En Syrie comme à Argenteuil.

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La dimension anthropologique centrale, c’est le contrôle du corps des femmes. Shemseddine a été tué parce qu’il échangeait avec une jeune fille ; Samara s’est fait tabasser parce qu’elle était en minijupe…

Ce que l’Église a fait en Europe au Moyen Âge, l’islam radical le fait aujourd’hui au Proche-Orient, et tente de l’imposer ici. Il instrumentalise et manipule le corps des femmes qui serait, en soi, une honte. Une femme qui commence à se découvrir serait le symptôme d’une société corrompue. Actuellement, 80 % des jeunes de moins de 14 ans ont déjà regardé du porno – y compris les jeunes musulmans. Paradoxalement, une prof de collège qui montre à ses élèves un tableau représentant Diane et ses amies nues est menacée de mort ! C’est lié à la frustration sexuelle et à la misogynie de la société patriarcale arabe. Des professeurs de lycée racontent qu’ils donnent des cours techniques sur la reproduction, mais se gardent bien de parler de sexualité par peur des élèves et des parents, alors que des jeunes filles le réclament !

Comment mener le combat aux côtés des musulmans qui veulent être français comme les autres ?

Il faut y aller. Être sur place, remplacer la parole des imams par celle de la laïcité. On dit que la nature a horreur du vide : une fois ces quartiers vides de culture, les imams et les extrémistes prospèrent. Ce sont eux qu’il faut remplacer.

Carte postale représentant la station balnéaire syrienne de Lattaquié au début des 1970. « C’est seulement après avoir perdu le combat contre Assad, en 1982, que les Frères musulmans ont commencé à noyauter la société syrienne… »

Peut-on dire : « colonisons nos quartiers » ?

Je dirai plutôt les réintégrer : il faut d’un côté que notre culture réinvestisse nos établissements scolaires et, de l’autre, il faut inonder les réseaux sociaux d’un discours laïque inspirant. Il faut montrer à ces jeunes que la laïcité est un sujet moderne, un sujet de jeunes. Il faut lui dire : c’est votre pays, vous êtes chez vous.

Allez donc dire ça aux profs qui craignent d’être agressés ou pire…

Vous avez raison. Personnellement, je me sens seul. Ceux et surtout celles qui osent parler mettent leur vie en jeu. Pendant que les néoféministes défendent l’écriture inclusive et le burkini, il y a dans nos banlieues des jeunes femmes courageuses en danger. Je les appelle les « vraies féministes ». Certes, ceux qui osent parler sont minoritaires, mais ceux qui en ont marre sont nombreux. Il faut les réveiller ! Ce qui nous manque, c’est l’union et la représentation. Il nous faut des associations et des politiciens. On a aussi besoin d’imams modernes, capables de réformer l’enseignement de l’islam.

Donc, la France que nous aimons ne va pas disparaître ?

Non ! Jamais ! Notre pays est attentiste, mais un jour il y aura une issue. La France est grande.


Omar Youssef Souleymane est écrivain. Il a notamment publié Une chambre en exil (2023) et Être français (2022), chez Flammarion.

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France Inter rattrapée par la patrouille de l’Arcom

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L’Édito du 27 novembre 2023 de Patrick Cohen sur Crépol. © Capture d'écran youtube/C à Vous.

Le président d’Avocats Sans Frontières revient sur le succès qu’il vient de remporter auprès du gendarme de l’audiovisuel.


Si ce n’est pas moi qui en parle, personne n’en parlera.

France Inter et consorts adorent communiquer sur les remontrances de l’autorité suprême en matière d’audiovisuel, j’ai nommé l’Arcom. Mais seulement quand il s’agit de CNews, C8 ou d’autres chaînes d’un groupe possédé par un industriel catholique et breton que l’on prétend prospère. Dans ces circonstances, l’on sent dans le propos des journalistes du service public une jouissance orgasmique. La satisfaction semble être moindre lorsqu’il s’agit d’eux-mêmes. J’ai en effet noté leur peu d’entrain à faire la publicité sur l’admonestation adressée à France Inter concernant une saisine émanant d’Avocats sans frontières.

Le Hamas, pas la source idéale

Mon lecteur me pardonnera donc de parler de moi – il sait combien j’y répugne –, mais le sujet m’y contraint. L’association d’avocats que je préside et qui se rit des frontières, à rebours de votre serviteur, avait en effet saisi l’Arcom pour un problème précis et de haute importance. Je reproduis ci-après fidèlement certains passages qui feront comprendre l’intérêt du litige :

« Lundi 8 janvier à 22 heures, dans le bulletin d’informations de la radio de service public France Inter, la journaliste a indiqué sèchement et sans la moindre prudence : “À Gaza aujourd’hui, 242 personnes ont été tuées.”

À plusieurs reprises, je me suis ému de ce que trop souvent, les radios publiques indiquaient le bilan victimaire dans le territoire précité, sans préciser leur source d’information : le Hamas, organisation officiellement classée comme terroriste par la France.

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Certains médias ont désormais l’élémentaire honnêteté professionnelle d’indiquer que les renseignements fournis par ce mouvement sont sujets à caution et invérifiables. C’est ainsi, par exemple, que lors de l’affaire de l’hôpital gazaoui prétendument bombardé par Israël, selon des informations trop hâtives (car en fait par le Djihâd islamique), le Hamas avait annoncé la mort de 400 civils. Il s’avérera plus tard qu’une quinzaine de personnes avaient été atteintes sur le parking de l’hôpital.

Mais dans le cas du bulletin d’informations incriminé du 8 janvier, nous sommes dans le cadre d’informations livrées par une organisation terroriste et pourtant rapportées par France Inter sans précaution comme une sorte de Journal officiel. Nous sommes dans le cadre de la délivrance péremptoire, sans même l’usage du conditionnel, d’informations présentées comme précises mais sans vérification et sans même l’honnêteté et l’objectivité professionnelles élémentaires de mentionner leur source douteuse.

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Pour finir, je pense qu’il est utile d’ajouter que le conflit israélo-palestinien a malheureusement des conséquences parfois tragiques sur le territoire national. Raison impérieuse d’exiger des responsables chargés de délivrer des informations sur ce conflit d’être rigoureux professionnellement… »

Le 11 avril, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, m’a adressé un courrier ès qualité dans lequel il fait droit à cette saisine sur le fondement des textes en vigueur relatifs à l’honnêteté et l’indépendance de l’information.

C’est dans ces conditions qu’il écrit sévèrement :

« L’Arcom a fermement demandé à la société Radio France de veiller, à l’avenir, à ce que la question du conflit israélo-palestinien, d’une sensibilité toute particulière, soit traitée sur ses antennes avec la plus grande rigueur. »

Je jure que, depuis, je n’ai plus entendu ni France Inter ni France Info relayer un bilan du Hamas.

Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule

La même semaine, décidément pénible pour l’odieux visuel de sévices publics hier encore en majesté, Patrick Cohen, qui officie sur la 5, s’est lui aussi fait taper sur le micro par l’Arcom pour avoir évoqué la mort du jeune Thomas à Crépol sans l’élémentaire prudence que requérait le drame. On ne respecte décidément plus personne.

Si ce n’est pas moi qui en parle, ce n’est pas Le Monde, Libération ou Télérama qui en parleront.

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Pivot, l’homme qui multipliait les livres

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Bernard Pivot avec Catherine Matausch, "Les dicos d'or', 1995 © MNEBINGER/SIPA

Disparition du journaliste et animateur littéraire Bernard Pivot à l’âge de 89 ans dont l’émission « Apostrophes » aura marqué plusieurs générations


Chez les auteurs non célèbres, c’est-à-dire ceux qui végètent à moins de 1 000 exemplaires vendus (ce qui est fort honorable en 2024), l’ère Pivot à l’antenne apparaît comme un âge d’or, le temps béni des vendredis soir où dans la moiteur d’un plateau, l’illustre inconnu, professeur de banlieue, kiosquier timide ou aventurier du bocage, réussirait à braquer les librairies de France.

Faiseur de rois

À cette époque-là, on parlait de ventes à six chiffres et d’à-valoir roboratifs. On raconte même que certains écrivains, après leur passage dans « Apostrophes », purent s’offrir un appartement dans Paris intra-muros. La rumeur court que les attachées de presse à sa vue défaillaient dans les couloirs d’Antenne 2, que l’on essayait de le soudoyer en flacons de Bourgogne pour être invité entre Jean d’O et Edmonde Charles-Roux, que l’on faisait du gringue à ses assistants pour que l’animateur-prodige, faiseur de rois et de reines de l’édition, montre ostensiblement la jaquette de son roman, à la toute fin de son émission. Sans Pivot dans sa manche, les prix d’automne vous passaient sous le nez. Sans la lumière brumeuse de son studio, point d’invitations tentatrices aux salons du livre, de files d’attente pleines d’amour défendu, de dédicaces giboyeuses, et surtout point d’obséquiosité de la part des éditeurs qui insistent pour que vous entriez dans leur écurie. Pivot valait sésame dans les cercles privés et les revues les plus confidentielles. Sans lui, vous étiez transparent. Il validait l’acte d’écrire, lui donnait une réalité tangible et trébuchante. Si l’ENA fait le haut fonctionnaire par son « grand oral », Pivot matérialisait l’écrivain, lui octroyant la légitimité et la confiance pour persévérer dans cette profession si aventureuse. Un écrivain vu chez Pivot avait du crédit devant son banquier. On exagère peut-être le phénomène, on fantasme, on grossit l’audimat, on pense naïvement que la France entière se passionnait pour Jacques Lanzmann, Michel Tournier, Geneviève Dormann et Georges Conchon alors que le public se vautrait au même moment devant les strass de Guy Lux et le décor 100 % plastique de la Cinq de feu Silvio Berlusconi.

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Un mirage ?

Pivot est ce mirage d’une télévision lettrée entre Giscard à la barre et Tonton à la francisque, un poil exigeant et démago mais tellement « province », une télévision de qualité qui s’écharpe sur les écrivains-collaborateurs et s’interroge sur les vertus d’une troisième voie scandinave. Du temps de Pivot, on pensait sérieusement que l’on pouvait encore réguler le capitalisme, que la lecture demeurerait ce vice impuni et que les écrivains dotés d’un épais collier de barbe, la clope au bec et le pantalon velours à grosses côtes, représentaient l’acmé de la société intellectuelle la plus évoluée. Aujourd’hui, avec sa disparition, nous perdons une forme de candeur.

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Au fond de nous, nous savions bien que la littérature était déjà entre les mains des marchands et des activistes, bringuebalée entre l’idéologie repentante et l’oukase permanent. Pivot fut le premier à faire entrer le loup dans la bergerie. Après lui, un écrivain devait fixer la caméra sans trembler et capter le regard de la ménagère, la responsable des achats. Le talent et le style sont une bien maigre consolation face à la télégénie, l’esbroufe et face aux personnalités hypertrophiées. Après lui, un écrivain eut l’obligation d’imprimer l’écran et les esprits par une parlotte étudiée, avec moult éléments de langage et poses exagérées, une assurance feinte et des allergies superfétatoires. Peu importe le système de défense ou d’attaque adopté, qu’il soit sur la réserve, bégayant à la manière Modiano ou florentin façon Jouhandeau, l’écrivain devint un acteur comme un autre de sa propre mise en scène médiatique. Le téléspectateur était désormais en attente d’un spectacle. Souvent, il l’eut. Pivot aimait le fracas courtois, l’ébullition juste avant que l’émission ne tourne au chaos. S’il fit le bonheur des bêtisiers avec quelques épisodes soulographiques mémorables, Pivot a été cette lanterne sur un biotope littéraire presque trop folklorique pour être crédible. Je crois bien que grâce à lui, nous avons d’abord aimé les écrivains avant de les lire. Dans la langueur de nos provinces, Pivot fut un merveilleux enlumineur, un indispensable intercesseur, car déjà l’école avait abandonné le Lagarde et Michard pour des méthodes alternatives. Je lui dois tant d’émois, l’accent rocailleux de Henri Vincenot qui fascina en une soirée la France entière, l’anarcho-goguenardise de Léo Malet, le sarcasme débonnaire d’A.D.G, la tête frisée de Kléber Haedens ou la rondeur broussailleuse d’un Jean-Pierre Enard. Nous pataugions joyeusement dans son bouillon de culture.

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France-Vietnam: la réconciliation inopinée

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Jacques Perrin et Bruno Crémer dans "La 317e Section" (1965) de Pierre Schoendoerffer © MARY EVANS/SIPA

À l’occasion de la commémoration des 70 ans de la bataille de Diên Biên Phu, un ministre français est officiellement invité pour la première fois. L’occasion pour Paris de resserrer ses liens avec Hanoï, sur fond de tensions avec le géant chinois.


Pour la première fois depuis la chute du camp retranché français de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, le Vietnam a invité la France à la commémoration de cette bataille, « la plus longue, furieuse, meurtrière » entre les deux belligérants, mais qui mit fin, soudain, à une guerre d’Indochine engagée huit ans plus tôt, dans la foulée de la Libération, et dont personne n’entrevoyait alors une issue proche.

Pour la représenter à ce 70ème anniversaire dont le point d’orgue a été un défilé militaire de 12 000 hommes à Diên Biên Phu[1], à proximité du théâtre des opérations, aujourd’hui une ville de 80 000 habitants prospère, alors qu’à l’époque elle n’était qu’une bourgade au milieu de rizières, elle a délégué son ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, et la ministre des Anciens combattants, Patricia Mirallés. Cette invitation scelle une réconciliation inopinée qui semblait il y a encore peu improbable. Elle a été précédée par l’annonce le 29 mars de la restitution par Hanoï de six dépouilles de soldats français tombés à Diên Biên Phu et de leur rapatriement.

Défaite héroïque

 « C’est un moment très important, a souligné en substance l’ambassadeur de France à Hanoi, Olivier Brochet, auprès de la presse locale, confirmant l’acceptation par Paris de l’invitation. Nous montrons au monde entier notre capacité à regarder le passé ensemble et à le prendre tel qu’il est (complexe et tragique). Nos deux pays se retrouvent, pour construire l’avenir, sur un ancien champ de bataille. » Où ils s’affrontèrent, pas dans une de ces batailles, disons, « classiques », comme toutes les guerres en sont le théâtre, mais dans une bataille dantesque, déluge volcanique de feu, à la mort garantie. Devenue mythique, elle a inspiré celle du film Apocalypse Now.

Aucune cérémonie spéciale n’est, en revanche, prévue en France. Comme tous les ans depuis 2005, dans le cadre de la Journée nationale des morts pour la patrie, un rituel et, donc convenu, hommage sera rendu aux soldats tombés en Indochine, le 8 juin, à Fréjus, au mémorial qui leur est dédié, en présence d’un seul représentant du gouvernement, la ministre des Anciens combattants. Pour le moment, aucun représentant du Vietnam n’y a été invité.

La chute de Diên Biên Phu, bien qu’elle soit en réalité un des plus hauts faits d’armes de l’histoire guerrière de la France, « une défaite héroïque » comme l’a qualifiée Lucien Bodard[2], grand reporter et écrivain, qui a suivi le conflit indochinois de bout en bout, est toujours vécu par l’armée française comme un vain et humiliant sacrifice.

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Pendant 56 jours, 12 000 hommes, légionnaires, parachutistes, tirailleurs du Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (CEFEO), composé que d’engagés[3], Français mais aussi d’Espagnols, Italiens, Allemands, également de Nord-africains et Africains de la Coloniale, de Vietnamiens, Thaïs recrutés, eux, sur place, résisteront aux orages d’obus, aux averses de roquettes, aux mitraillages nourris, aux vagues d’assaut à répétition, aux corps-à-corps fatals, dans la boue, sous un ciel bas sans étoiles, strié par les balles traçantes, les fusées éclairantes, au milieu de boules de feu provoquées par les impacts des projectiles de tous calibres, de casemates éventrées, de cadavres gisant dans le fond des tranchées, dans un vacarme de déflagrations, avant de capituler faute de munitions, affamés, décharnés, brisés physiquement, épuisés mentalement. Alors que pour les Vietnamiens, cette bataille victorieuse contre toute logique et au coût humain considérable, est considérée comme « le 14 juillet des colonisés » et la prise du camp retranché est assimilée à celle de la Bastille par les révolutionnaires de 1789. Les historiens estiment que Diên Biên Phu a donné une impulsion aux mouvements de libération nationale à travers le monde. Ils avaient la preuve que le colonisateur pouvait être vaincu par les armes.

Un long chemin vers la réconciliation

Le premier pas vers cette réconciliation a été un film coproduit par la France et le Vietnam, intitulé Diên Biên Phu, sorti en 1992, qui avait été tourné justement par un ancien combattant et prisonnier français du Viet Minh, Pierre Schoendoerffer[4]. Le second, la visite l’année suivante de François Mitterrand, la première d’un président de la République à Hanoï depuis l’indépendance du Vietnam. Il put se rendre sur le lieu de la bataille, une vallée de 4 sur 19 km, orientée nord-sud, à titre privé. Néanmoins, dans le toast qu’il porta à son homologue Duc Anh, il salua « les retrouvailles entre les deux nations ». Il ajouta : « il reste une affinité (entre elles) qui ne demande qu’à s’épanouir malgré les épreuves… et quelles épreuves !… »

Le troisième a été l’érection en 1994 d’un obélisque sur les lieux de la bataille à la mémoire des tués du Corps expéditionnaire, à l’initiative personnelle, et sur ses propres deniers, d’un ancien légionnaire allemand, Rolf Rodel. En 1998, le gouvernement vietnamien prend en charge son entretien, et il est officiellement inauguré l’année suivante.

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Enfin, le quatrième est la visite d’Edouard Philippe en 2018 alors qu’il était Premier ministre. A la différence de Mitterrand, lui visitera les vestiges de la bataille à titre officiel. Il déposera une gerbe au pied des deux mémoriaux, le vietnamien et le français, mais les officiels vietnamiens ne l’accompagneront pas à ce dernier. Dans sa brève allocution, reprenant une initiative française de 2014, il invitera les deux parties à « avoir un regard apaisé sur le passé ». Cette année-là, à l’occasion du 60ème anniversaire, la France, sous la présidence de François Hollande, avait proposé une démarche de « mémoire apaisée ». Elle était restée sans suite.

Qu’est-ce donc qui a poussé Hanoi à vouloir maintenant partager avec Paris un passé commun douloureux ? Sans doute une volonté de prendre ses distances avec la Chine, au voisinage parfois pesant, surtout dans le contexte de tension avec Taïwan et les États-Unis. En février et mars 1979, une brève guerre opposa le Vietnam et la Chine à propos d’un insignifiant litige frontalier pas entre les deux pays mais avec le Cambodge. Pourtant, sans l’aide massive à la fois en armement et en conseils de Pékin, le Viet Minh n’aurait certainement pas pu vaincre la France à Diên Biên Phu. La génération de la guerre qui pouvait se sentir redevable envers la Chine n’est plus. Elle a aussi emporté avec elle ses ressentiments envers la puissance coloniale. Le renouvellement de générations a sonné l’heure non pas de l’oubli mais de la raison. Les dirigeants vietnamiens estiment probablement que le moment est opportun de s’affirmer davantage sur la scène internationale, politiquement et économiquement. Et quoi de plus symbolique qu’une réconciliation avec l’ennemi d’hier, à l’instar de la réconciliation franco-allemande après la Seconde guerre.

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[1] Diên (administration) Biên (frontalier) Phu (district). Traduction de Diên Biên Phu (Administration – ou préfecture – du district frontalier). Son vrai nom en thaï est Muong Tenth : Village du ciel.

[2] Lucien Bodard, prix Goncourt 1981, auteur d’une remarquable trilogie indochinoise : L’Enlisement, l’Humiliation, L’Aventure. Auteur aujourd’hui oublié, au style alluvionnaire, qui mérite d’être redécouvert.

[3] Une loi datant du 9/12/50 interdisait dans son article 7, l’envoi du contingent sur un théâtre d’opérations situé hors du territoire national. L’Algérie étant trois départements français, à la différence de l’Indochine, c’est qu’il explique qu’on y fit appel au contingent pour y mener… « des opérations de police ».

[4] Pierre Schoendoerffer, cinéaste écrivain, auteur de la 317ème section, témoignage sur le désarroi du soldat dans une guerre sans sens, et aussi, du documentaire sur la guerre du Vietnam, La Colonne Anderson.   

Nassira El Moaddem, Matisse: poussée de fièvre identitaire en France

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La journaliste Nassira El Moaddem (ici au micro de France inter en 2019) a qualifié sur X (ex-Twitter) la France de "pays de racistes dégénérés". DR.

Quand la haine anti-française partout se déchaîne…


Les Français vont-ils accepter longtemps de se faire humilier ? Le camp du bien, c’est-à-dire de la diversité, leur réserve désormais la morgue du conquérant. L’antisémitisme islamisé, qui s’exhibe jusqu’au sein des lycées et des universités sous le faux nez des diatribes anti-israéliennes, fait école. Une semblable haine anti-française lui succède. Elle se revendique avec la même bonne conscience.

L’affaire Nassira El Moaddem

Exemple récent : journaliste liée à France Inter, la Franco-marocaine Nassira El Moaddem a reçu le soutien de la directrice de la radio publique, Adèle Van Reeth, après avoir tweeté le 30 avril, en réaction à un rappel de la Fédération française de football (FFF) à respecter la laïcité dans le port des maillots : « Pays de racistes dégénérés. Il n’y a pas d’autres mots. La honte ». Van Reeth n’a pas relevé ce racisme primaire du colon face à l’indigène; mais a dénoncé les réactions que El Moadden a suscitées. Tweet de la patronne de la radio d’État : « Les attaques racistes qu’elle subit sont inacceptables. Elle a tout mon soutien ». Le mécanisme victimaire, qui permet aux adversaires de la laïcité de se dire agressés et en légitime défense, a été ici avalisé dans son outrance. Non seulement la France est réduite à une nation de sous-hommes mais ces amas de ploucs n’ont pas le droit de moufter, sinon avec des mots choisis par leurs maîtres. Or cette rhétorique anti-française est identifiée. Elle puise dans l’offensive de l’islam politique qui voit la laïcité comme son ennemi et la contestation de son suprémacisme comme une inacceptable résistance.

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Reste la question : les Français ordinaires sont-ils prêts à obéir ? Il est légitime de suggérer à Melle El Moaddem de quitter la France, si son pays est le repoussoir qu’elle décrit. La maltraitance des citoyens est, plus généralement, devenue insupportable. Robert Ménard y participe en justifiant, le 3 mai sur LCI, que « des jeunes filles et garçons français se fassent tuer pour l’Ukraine ». Le Crif est dans ce même mépris des Français ordinaires quand son président, Yonathan Arfi, soutient, ce lundi dans Le Figaro, que « les Juifs se sont toujours tenus à l’écart des partis populistes ». Ce rejet du peuple a conduit samedi les Restos du Cœur à exiger la démission de Colombe, 60 ans, du bénévolat que cette bénéficiaire du RSA assurait. Colombe a eu le tort d’assister à un meeting de Marine Le Pen le 1er mai et d’avoir témoigné sur TF1, les larmes aux yeux, du « monde de fous » qu’elle devait endurer sous la menace des huissiers. Sa vidéo, déchirante, a comptabilisé plus de cinq millions de vues.

Châteauroux pleure Matisse

Samedi, à Châteauroux, près de 10 000 personnes ont suivi la « marche blanche » après le meurtre de Matisse, 15 ans, par un jeune Afghan du même âge. Une vidéo antérieure au drame montre le tueur vociférant : « Wallah, j’ai trop la haine (…) Je vais sonner chez ce fils de pute (…) Sur la tête de ma mère, je vais lui niquer sa mère ». Le père de Matisse a récusé toute récupération politique dans une lettre à son fils : « Mon matou, ma grosse loutre, tu étais un vrai gentil ». Mais la gentillesse a-t-elle encore un sens quand la haine anti-française partout se déchaîne?

Touche pas à ta sœur !

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Des groupes d’adolescents dans une rue de Nantes, avant la rentrée scolaire, 31 août 2023 © LOIC VENANCE/AFP

Samara tabassée à Montpellier, Shemseddine battu à mort à Viry-Châtillon, Rachid poignardé à Bordeaux. Dans de nombreux quartiers de France, la charia devient la norme commune et l’islam, la véritable nationalité d’une grande partie de la jeunesse musulmane. Si Gabriel Attal a osé nommer le mal, la Macronie s’est empressée de noyer le poisson islamiste dans le grand bain de la violence des jeunes. Reste à savoir s’il n’est pas trop tard pour la reconquête.


Sa langue n’a pas tremblé. Le 18 avril, sur BFM, rompant avec l’évitement sémantique qui tient lieu de ligne politique à son camp, Gabriel Attal lâche les mots qui fâchent France Inter. Réagissant au meurtre de Shemseddine, survenu quelques jours après le passage à tabac de Samara, le Premier ministre parle de « l’entrisme islamiste » sévissant dans des écoles où il impose « les préceptes de la charia ». Ces mots font écho à ceux de Mila qui, quelques jours plus tôt, dénonçait la police des mœurs à l’œuvre dans certains établissements.

Nos petits Talibans

On dira que le Premier ministre découvre la lune et que, depuis l’assassinat de Samuel Paty (en réalité bien avant), nul ne peut plus ignorer l’islamisation conquérante de certains quartiers, ni le fait que l’école est la cible d’une offensive encouragée de mille façons par les caïds de quartier et les influenceurs islamistes. De plus, Attal avait à peine ouvert un œil que le reste de la Macronie s’empressait de le refermer, noyant le poisson islamiste dans le grand bain de la violence des jeunes TikTokés, de l’ensauvagement général et de personne ne respecte plus l’autorité ma bonne dame. S’en est suivi l’habituel concours de proclamations martiales et passablement comique. On a entendu Prisca Thevenot, l’impayable porte-parole du gouvernement (poste décidément maudit) déclarer que « l’autorité doit s’appliquer partout, pour tous », Nicole Belloubet, promettre que son « bras ne tremblera pas » et, pour finir, le président jurer que « nous serons intraitables ». Nous sommes sauvés.

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Le mot chien ne mord pas et le mot autorité n’inspire pas le respect. Cependant, avant les actes, il y a toujours des mots. On ne peut pas déplorer en boucle le déni d’État et ricaner quand le voile se déchire, serait-ce tardivement et timidement. Que le Premier ministre investisse un champ lexical généralement réservé à la « fachosphère » (espace désignant tout ce qui se trouve politiquement à droite d’Olivier Faure), ce n’est pas rien. D’ailleurs, si les Insoumis ont hurlé à l’islamophobie, Libé et Le Monde ne se sont même pas fendus d’éditos pour dénoncer la nauséabondisation des esprits. Tout fout le camp, même l’antifascisme.

Il faut dire que les militants de l’aveuglement ont pris de sérieux coups de réel sur la caboche. D’abord, le 26 mars, le proviseur du lycée Maurice-Ravel jette l’éponge à quelques semaines de la retraite. L’État se couche devant une gamine arrogante et menaçante, et il habille cyniquement sa capitulation de respect de convenances personnelles – c’est vrai, le proviseur préférait rester en vie. Ensuite, le 2 avril, le passage à tabac de Samara, coupable de coquetterie. Le 4, l’agression de Shemseddine qui mourra le 5, par deux bas du front qui prétendent garder la vertu de leur sœur. Enfin le 10, sur les quais de la Garonne, Rachid est tué parce qu’il picole le jour de l’Aïd. Sans oublier tous ceux, musulmans ou pas, à qui on pourrit la vie parce qu’ils ont osé boire ou fumer pendant le ramadan – comme si c’était la moindre des choses que toute la France se mette à l’heure islamique.

Ce qui se joue sur notre sol, et pour partie à l’intérieur de la société musulmane, c’est un conflit anthropologique. Dans les endroits où l’islam est majoritaire, son expression la plus littérale, donc la plus séparatiste, devient la norme à laquelle chacun et surtout chacune doit se soumettre. Bien plus qu’une religion, c’est une frontière identitaire. Sa première cible, ce sont donc les membres du groupe qui ont l’outrecuidance de vouloir lui échapper, les kouffars musulmans, équivalent des sociaux-traîtres pour les communistes. Pour la jeunesse des quartiers, explique l’écrivain Omar Youssef Souleimane, l’islam n’est pas une origine ou une religion, c’est une nationalité. Le crime de Samara, Shemseddine, Rachid, c’est d’être français. En s’assimilant à nos mœurs, ils violent la loi du clan.

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Reste la question vertigineuse qui hante de nombreux Français : est-il trop tard ? Qui, des forces de la soumission ou de celle du refus, gagnera la guerre qui se joue dans les tréfonds mentaux de la société ? À coups de lâchetés parées de bienveillance et de calculs électoraux crapoteux, on a abandonné une génération à l’influence des Frères. Pendant que les vestales féministes se déchaînaient contre le mâle blanc, des territoires entiers sont devenus des zones d’oppression des femmes. Toutes les études montrent que les islamistes ont gagné la bataille de la jeunesse – et pas seulement musulmane. Venez comme vous êtes, l’idéologie McDo fait des ravages chez les adolescents et chez les profs. À en croire un sondage Ifop/Licra de mars, 52 % des lycéens voudraient autoriser le port des signes religieux à l’école. Pire, la même proportion est hostile au droit de critiquer les religions. Autrement dit, nos merveilleuses générations futures aimeraient bien rétablir le délit de blasphème. Tout ça pour ça.

Impossible de dire s’il est minuit moins le quart ou minuit et quart. Mais l’invocation rituelle de la laïcité, devenue l’arme fatale contre l’islamisme, ne suffira pas à protéger les intégrés des intégristes, ni à obliger ces derniers à rentrer dans le rang républicain. Surtout que le progressisme, pour l’accommoder à la sauce multiculti, en a fait un concept aussi sucré, gentillet et inopérant que le vivre-ensemble. La laïcité française, ce n’est pas chacun fait ce qui lui plaît. Ce n’est pas l’accueil bienveillant de toutes les religions, mais la discrétion et la retenue qui leur sont imposées. En vertu de quoi, l’individu a le droit de s’émanciper de son groupe et l’État, le devoir de lui en garantir la possibilité.

Être français est un privilège

« La laïcité n’est pas une contrainte, c’est une liberté », ose Gabriel Attal. Ce propos n’est pas seulement faux, il est la clef de notre impuissance. Le Premier ministre prétend combattre l’entrisme islamiste, mais répugne à employer la contrainte. Surtout, ne froissons personne. On endiguera certainement l’islamisation à coups de stages de citoyenneté.

Il n’y a pas de solution miracle et indolore. La volonté de reconquête affichée par Gabriel Attal sera crédible quand elle aura été signifiée clairement aux principaux intéressés. Les plus hautes autorités de l’État doivent rappeler solennellement la règle du jeu à nos compatriotes musulmans – qui ont le droit d’être traités en adultes. En France, tu ne ramènes pas ta religion à tout bout de champ, en France, on a le droit de se moquer de ton dieu, en France, une fille en minijupe n’est pas en accès libre. En France, tu touches pas à ta sœur.  Être français est un privilège. Il a un prix.