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À bientôt 80 ans, « La tribune des critiques de disques » est la doyenne des émissions de Radio France. Chaque dimanche après-midi sur France Musique, critiques et musiciens animés par un idéal de beauté débattent interprétation et direction d’orchestre. Le public en redemande.


La France peut se prévaloir de certaines institutions sacrées sans lesquelles notre vie quotidienne serait insupportable. Parmi ces trésors nationaux, citons la Sécurité sociale, l’hôpital public et… France Musique ! Le soin du corps et le soin de l’âme. On n’en dira pas autant, hélas, de France Culture (devenue un clone de France Inter) dont on écoutait pourtant religieusement, à l’heure du déjeuner, le « Panorama » animé par Jacques Duchateau et Michel Bydlowski (qui en février 1998 se jeta par la fenêtre de son bureau de la Maison ronde après que la direction eut décidé de mettre fin à son émission jugée « trop élitiste »).

Un désert de culture

En 1987, le philosophe américain Allan Bloom publiait un livre prophétique (vendu à un million d’exemplaires) : L’Âme désarmée : essai sur le déclin de la culture générale (réédité aux Belles Lettres en 2019). Ce disciple de Leo Strauss décrivait comment les étudiants américains s’étaient peu à peu détournés de la grande culture classique européenne (Shakespeare et Beethoven) au profit de l’idéologie narcissique du développement personnel, se privant ainsi des armes essentielles qui leur auraient permis de résister à la barbarie de la société de consommation basée sur le pur affect. Quarante ans après, on ne peut que faire le même constat chez nous, tant paraît lointaine cette France où Delacroix et Berlioz ornaient nos billets de banque tandis que les classes populaires regardaient avec respect, à la télé, les « Dossiers de l’écran » (1967-1991) et « Alain Decaux raconte » (1969-1987).

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Dans ce désert, France Musique est une oasis culturelle où l’on vient s’abreuver, un petit Collège de France accessible à tous, chaque animateur possédant une voix, une diction, une personnalité, un talent de conteur qui tranchent avec le phrasé monocorde et blasé de la plupart des autres journalistes dont le discours est plus que jamais contaminé par les horripilants tics de langage à la mode (comme ce « du coup » à chaque phrase pour combler le vide de la pensée).

À côté de Bach et de Debussy, le jazz, le rock, la pop, la variété, la musique de film, les musiques du monde, la comédie musicale et les créations contemporaines sont très largement défendus avec une érudition toujours mise au service du plaisir.

La tribune des critiques de disques 

Et puis… il y a l’émission phare du dimanche après-midi que tous les mélomanes adorent « détester » depuis des lustres en buvant leur thé de Chine : « La tribune des critiques de disques » ! Créée en 1946 sous le nom de « Club des amateurs de disques », c’est la doyenne de Radio France (« Le masque et la plume » datant de 1955) et un vrai hymne au disque qui demeure une invention géniale : Le Chant de la Terre de Mahler par Bruno Walter et Kathleen Ferrier, Le clavier bien tempéré de Bach par Glenn Gould ou Kind of Blue de Miles Davis (enregistré en une seule prise) sont des œuvres d’art à part entière qui ont accompagné des millions de vies au même titre que les tableaux de Monet ou les romans de Stefan Zweig.

Au lendemain de la guerre, donc, voici un groupe de poètes animés par un idéal de beauté et pour qui la radio doit faire entrer la grande littérature et la grande musique dans les foyers des Français les plus modestes. Née en 1944, la Radiodiffusion française regroupe alors des gens comme Pierre Tchernia, Michel Bouquet, Raymond Queneau, Francis Ponge, Jean Tardieu, Boris Vian et un certain Armand Panigel qui voue une passion aux disques. C’est sous son impulsion que l’émission est créée, le principe étant de réunir les meilleurs critiques musicaux de l’époque et de les faire réagir à des écoutes de disques, en direct. Les discussions sont totalement improvisées, chacun donnant son avis dans un nuage de fumée de cigarettes et de pipes. Très vite, le succès est fulgurant, d’autant plus que naît au même moment l’âge d’or du disque vinyle (porté par les grandes stars françaises de l’époque comme Samson François, Jean-Pierre Rampal, Alexandre Lagoya et Maurice André qui vendent des millions d’albums) et qu’apparaissent ensuite simultanément la hi-fi, la stéréophonie et la modulation de fréquence pour un confort d’écoute optimale. Les joutes verbales passionnées entre les critiques musicaux (Jacques Bourgeois, Antoine Goléa, Jean Roy et Armand Panigel) deviennent célèbres pour leurs excès : « Tout ça est très bien mais c’est au fond une situation tragique : comment un criminel pareil peut-il arriver à être Leonard Bernstein ? » (Antoine Goléa)…

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Ces empoignades vont d’ailleurs inspirer à Jean Yanne un sketch fameux (deux routiers s’engueulant dans leur camion au sujet des quatuors de Beethoven) et poussent Peter Ustinov à parodier l’émission en imitant les voix de tous les critiques : « — Moi, je l’aime sans l’admirer. — Moi, je l’admire sans l’aimer. — C’est très mal fait, c’est mal calculé, et c’est beaucoup trop lent ! »

Depuis 2014, « La tribune des critiques de disques », animée avec enthousiasme par le musicologue et ancien directeur de Classica, Jérémie Rousseau, est suivie par 350 000 auditeurs tous les dimanches. L’écoute des disques à l’aveugle demeure la règle (comme on goûte des vins sans voir l’étiquette), mais les débats entre invités se font à fleuret moucheté, comme si les critiques d’aujourd’hui tendaient à choisir des versions consensuelles au détriment de versions plus radicales. On se surprend ainsi à parfois regretter la passion qui caractérisait l’émission quand certains ténors de la critique musicale (comme Patrick Szersnovicz, surnommé « Tchernobyl ») défendaient de façon volcanique leur version préférée. Avec sa chaude voix de baryton, Jérémie Rousseau a imprimé sa marque à la « Tribune » en invitant des musiciens et des chefs d’orchestre capables d’apporter au débat une vision plus pragmatique des chefs-d’œuvre. Grâce à lui, on a aussi pu découvrir ces dernières années des talents vivants prodigieux comme le pianiste coréen Yunchan Lim, incroyable dans les Études d’exécution transcendante de Liszt et auprès de qui Daniil Trifonov lui-même semble jouer comme un petit garçon bien sage… À l’approche de ses 80 ans, on ne peut que souhaiter longue vie à « La tribune des critiques de disques » !

France tv: un sens de l’éthique qui fait tiquer


Succédant à Anne-Sophie Lapix – celle-ci ayant été quelque onze années à la manœuvre – Léa Salamé va devenir prochainement le visage et la voix du 20 heures de France 2. D’aucuns, espiègles ou ronchons, au choix, ajouteraient au visage et à la voix ce qu’on peut appeler l’esprit maison. La maison en question étant le service public d’information. (Vous savez, celui qui fonctionne sur les sous du contribuable.) Le lecteur averti sait donc parfaitement de quel esprit il s’agit. C’est celui qui fait florès notamment dans les matinales de France Inter, où officiait jusqu’alors Madame Salamé, en compagnie de Patrick Cohen – qu’on ne présente plus – lui aussi pénétré comme il convient de ce même esprit.  

La continuité semble donc assurée. La bonne parole à l’office du matin de la Maison ronde, et désormais son prolongement vespéral sur France 2. On peut dire que, à environ une année d’une campagne électorale pour des présidentielles, ce coup stratégique doit être salué bien bas. Ceux qui se seraient aventurés à rêver d’une espèce de rééquilibrage idéologique au sein du service public d’info en sont donc pour leurs frais. L’ouverture n’est toujours pas de mise. 

Cependant, il y a mieux encore. La nouvelle icône du 20 heures de France 2 a pour compagnon un homme politique – de gauche, cela s’entend – dont il se dit qu’il pourrait être lui-même partant pour la course à l’Élysée. Rien d’illégal dans tout cela, bien évidemment. Mais curieux sens de l’éthique tout de même du côté de France Télévision. 

Je précise qu’il n’est absolument pas question pour moi – si peu que ce soit – d’émettre le moindre doute sur l’intégrité intellectuelle et morale de Léa Salamé. Elle est une vraie professionnelle et pratique sa discipline avec un indéniable talent. Il s’agit seulement de souligner ce qui pourrait plus ou moins s’apparenter, sinon à un conflit d’intérêt, du moins à un risque de rupture d’égalité.

À ce jour, le compagnon de la nouvelle recrue du 20 heures n’ayant nullement envisagé de se déporter, ayant même déclaré qu’il ne voyait aucun problème dans cette évolution de sa situation domestique, il semble donc acquis qu’il ne verrait là aucun obstacle à son éventuelle candidature.

Risque de rupture d’égalité, disais-je. 

En raison de son poste éminent, du fait de son rôle de vigie de l’actualité politique, la présentatrice vedette se trouvera tout naturellement et en permanence placée aux premières loges pour observer et connaître les manœuvres, les plans, les préparatifs, les adaptations de campagne des états-majors des concurrents.   

Certes ce serait tomber dans la facilité – diffamatoire au demeurant – de penser une seule seconde que la journaliste concernée pourrait être tentée d’en faire profiter le candidat qui lui est à l’évidence le plus proche, non seulement affectivement, mais aussi idéologiquement. Je le redis, il n’est absolument pas question de cela.

Toutefois, ce qui me semble déjà problématique en soi, c’est juste que par cette nomination, survenant à ce moment politique tout de même particulier, elle se trouve mise en situation de suspicion. Aussi, il m’étonne que, à France Télévision, on n’ait pas su anticiper ce qui, selon moi, – au risque de m’avancer un peu trop – devrait conduire les adversaires à pousser de très hauts cris. Voire à se rouler par terre…  

La chute d’Imane Khelif

La boxeuse Imane Khelif serait finalement… un homme! Une enquête révèle que sa réalité biologique a été soigneusement dissimulée au grand public: porteuse de chromosomes XY et atteinte d’un trouble rare du développement sexuel, elle aurait été protégée pendant des années par les autorités sportives algériennes et son cas particulier soigneusement ignoré par le Comité Olympique International.


On dispose aujourd’hui des éléments permettant de reconstituer l’étonnant parcours d’Imane Khelif, accusée par de nombreux médias et personnalités d’avoir remporté une médaille d’or de boxe féminine aux JO 2024 de Paris par une imposture. Cette accusation semble aujourd’hui étayée par la concordance entre l’enquête du média en ligne, Le Correspondant, dirigé par le journaliste franco-algérien Djaffer Ait Aoudia, et d’autres documents pertinents.

Une petite fille très sportive

La petite Imane naît dans une famille très pauvre d’une ville reculée d’Algérie. Dès l’âge de six ans, elle se passionne pour le sport, jouant d’abord au football avec les garçons de son village, où elle se distingue par sa robustesse. À 16 ans, sur les conseils du frère d’une amie, elle découvre la boxe au club de Tiaret, à 10 km de chez elle, où l’entraîneur cherche à former une équipe féminine.  

Lors d’une visite médicale de routine, le médecin féminin Nacera Ammoura observe sa poitrine à la pilosité généreuse, lui demande d’enlever son short. Imane se met à hurler, menaçant de parler à son père et de porter plainte.

Le médecin n’abandonne pas, soutenu par ses collègues de la médecine du sport, et décide de savoir si Imane est un homme ou une femme et veut envoyer un prélèvement de sang en France pour effectuer un caryotype. Khelif refuse, et le personnel médical n’a pas les moyens de l’y contraindre. Seule la Fédération algérienne de boxe avait le pouvoir de la mettre face à ses responsabilités. Le docteur Ammoura saisit donc sa hiérarchie, dans un rapport à la fédération d’avril 2018. Le directeur de la Fédération de Boxe décide, après avoir parlé au ministre des sports, d’écarter… le médecin. Un endocrinologue situé à 400 km de distance rédige en septembre 2018 un simple certificat sans résultat de tests : « Bilan hormonal normal… sexe féminin » (document reproduit par Le Correspondant). Imane continue à s’entraîner et multiplie les stages internationaux, notamment à Las Vegas et en Floride, où elle affronte des boxeuses de haut niveau. Chaque fois qu’on met son identité sexuelle en doute, elle brandit son certificat de complaisance. Le jeu continue jusqu’aux Championnats du monde féminins de boxe amateur de New Delhi en mars 2023.

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Cette supercherie apparemment couverte par le Secrétaire Général du Comité Olympique Algérien et par le ministre des Sports algérien fonctionne pendant cinq années d’ascension de « la boxeuse » : en 2018, Imane remporte la 17e place aux Championnats du monde féminins de boxe amateur à New Delhi ; en 2019, elle participe aux Championnats du monde en Russie et aux Jeux africains ; en 2020, elle représente l’Algérie aux JO de Tokyo, atteignant les quarts de finale ; en 2022, médaille d’or au tournoi Strandja Memorial, première boxeuse algérienne à atteindre une finale mondiale à Istanbul (médaille d’argent), médailles d’or aux Jeux méditerranéens (Oran) et aux Championnats d’Afrique (Maputo).

La controverse naît donc en mars 2023, lorsque Imane est disqualifiée des Championnats du monde à New Delhi par l’International Boxing Association (IBA) suite à un test chromosomique qui se révèle XY (masculin). En fait, l’IBA a disqualifié rétrospectivement Imane Khelif et la Taïwanaise Lin Yu-ting des Championnats de New Delhi sur la base de tests médicaux réalisés au cours de ces mêmes Championnats et lors des Championnats de 2022 à Istanbul. Selon l’IBA, « les deux athlètes ne répondaient pas aux critères d’éligibilité requis et se sont avérées avoir des avantages compétitifs par rapport aux autres concurrentes féminines ». Les détails des tests sont restés confidentiels, mais le président de l’IBA, Umar Kremlev, a confié à l’agence russe, TASS, que les deux athlètes avaient des chromosomes XY. Le média en ligne, 3 Wire Sports, a reproduit un extrait du test de New Delhi.

En août 2023, Khelif est néanmoins autorisée à participer aux JO 2024 de Paris dirigés par le Comité international olympique (CIO) qui estime qu’un passeport suffit à établir l’identité sexuelle. Lors des JO, Imane remporte une médaille d’or, battant l’Italienne Angela Carini (par abandon après 46 secondes), la Hongroise Anna Luca Hamori, la Thaïlandaise Janjaem Suwannapheng, et la Chinoise Yang Liu en finale.

Dans le contexte des JO 2024 de Paris, l’affaire déclenche une polémique où l’on accuse des figures traitées de conservatrices comme JK Rowling ou Elon Musk d’entretenir des rumeurs infondées. Imane prétend porter plainte pour harcèlement moral en raison des attaques en ligne et des fuites présumées de son dossier médical. Le paradoxe est qu’elle est soutenue par les partisans du genre qui en font une star LGBTQ+, alors qu’Imane nie être transgenre et affirme être une femme.

Enfin, la vérité éclate

Le média en ligne Le Correspondant révélera en octobre 2024 qu’un rapport du Professeur Young de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre à Paris, daté de juin 2023 et donc antérieur à la décision du CIO du mois d’août de cette année, avait confirmé de nouveau le caryotype XY et diagnostiqué une anomalie génétique, nommée déficit en 5-alpha réductase de type 2. Ce déficit est une condition génétique rare qui affecte la conversion de la testostérone en dihydrotestostérone (DHT), hormone cruciale pour le développement des caractéristiques sexuelles masculines pendant la vie fœtale et la puberté. Avec un déficit en 5-AR2, les organes génitaux externes peuvent ne pas se développer complètement comme ceux d’un garçon, ressemblant plutôt à ceux d’une fille à la naissance, ou être ambigus.

À la puberté, la testostérone, bien que non convertie efficacement en DHT, peut induire des traits masculins comme l’augmentation de la musculature, mais les caractéristiques sexuelles secondaires comme la pilosité faciale et corporelle peuvent être réduites, et les organes génitaux peuvent rester petits. Un déficit en 5-AR2 affecte donc le développement des caractéristiques sexuelles de sorte que les individus puissent être initialement élevés ou s’identifier comme féminins. Le Pr Young constate en outre l’absence de seins et d’ovaires, la présence de testicules de taille normale dans l’abdomen (produisant un taux de testostérone masculin), un vagin court, pas d’utérus et une hypertrophie clitoridienne.

Il faut souligner le fait que le sexe biologique est déterminé par le caryotype (XX ou XY) et par les gonades (ovaires ou testicules). Les individus souffrant d’un déficit en 5-AR2 sont de sexe masculin, car ils possèdent des chromosomes XY et des testicules fonctionnels. L’aspect physique ambigu ou féminisé à la naissance est une conséquence du déficit en DHT, mais n’affecte pas leur sexe biologique. Le déficit en 5-AR2 relève du pseudo-hermaphrodisme, discordance entre le sexe génétique/gonadique (mâle) et l’apparence externe (ambiguë ou féminisée), due au manque de DHT. Dans le vrai hermaphrodisme on a la présence de tissu testiculaire et ovarien chez le même individu, avec des caractéristiques sexuelles potentiellement ambiguës.

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Le Comité Olympique International a reçu le dossier médical du Pr Young, en juin 2023 – fourni par Imane Khelif lui-même. Les journalistes qui posaient des questions sur la condition médicale d’Imane Khelif ont reçu pour toute réponse : « Le comité de sélection ne se base pas sur des analyses médicales et prend des décisions souveraines ». Pourtant, en août 2024, la boxeuse bulgare Joana Nwamerue, qui a affronté Imane Khelif lors de séances d’entraînement à Sofia, affirmait que Khelif était un homme : puissance masculine, techniques masculines… L’équipe de boxe algérienne (qui connaissait le dossier médical) lui a expliqué : « Imane n’est pas un homme. C’est une femme qui vit dans les montagnes avec sa famille et ses parents. Il se peut qu’il y ait un changement au niveau de la testostérone, des chromosomes, etc. » L’air de la montagne a des effets surprenants…

Imane se brûle les ailes

Mais on ne peut continuer à raconter éternellement des fables. Le 30 mai 2025, la nouvelle organisation mondiale de boxe, World Boxing, chargée d’organiser les épreuves de boxe lors des Jeux olympiques de Los Angeles 2028, a publié un communiqué instaurant une nouvelle règle officielle : les athlètes au caryotype XY seront exclus de la catégorie féminine. Le président de la Fédération précise que la boxeuse algérienne devra se soumettre à un test avant de pouvoir participer à toute compétition, à commencer par la Coupe féminine d’Eindhoven du 5 au 10 juin 2025, où Imane Khelif était inscrite, mais ne s’est pas présentée. Le président de la World Boxing s’est excusé plus tard d’avoir cité nommément Imane Khelif. 

Imane, qui était montée trop haut s’est brûlé les ailes comme Icare. La presse, qui a étouffé si longtemps le scandale, continue dans une certaine mesure à le faire. Libération dénonce les « polémiques nauséabondes » alimentées par des spéculations sur le genre de Khelif, alors qu’il ne s’agit pas de son genre, mais de son sexe biologique. Le quotidien britannique le Daily Telegraph a fait preuve de moins d’indulgence, déclarant: « Imane Khelif scandal brings everlasting shame on the IOC » (Le scandale Imane Khelif jette une honte éternelle sur le Comité Olympique International).

L’Algérie semble décidée à arrêter les frais : le ministre des Sports a été remplacé en novembre 2024, et – selon Le Correspondant – on y reproche à l’entraîneur d’Imane Khelif d’avoir facilité la participation de l’athlète aux Jeux de Paris 2024, tout en sachant quelle était sa vraie condition génétique. Il se peut aussi que l’Algérie n’ait pas envie d’entrer en conflit ouvert avec Donald Trump, qui a déjà refusé le visa d’entrée aux États-Unis d’Imane Khelif pour les JO 2028 de Los Angeles.

Gentleman cambrioleur

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Angelo Rinaldi fut un critique littéraire redouté. D’anciens et (parfois) féroces textes sont republiés. L’œuvre de l’écrivain a été marquée par la solitude, la foi tourmentée et un culte du style, se remémore notre chroniqueur.


Angelo Rinaldi est mort le 7 mai 2025. Sa disparition a suscité de nombreux témoignages touchants, de Pierre Michon à Stéphane Barsacq, en passant par Louis-Henri de la Rochefoucauld. Il était né à Bastia, le 17 juin 1940, un jour avant le fameux appel du général de Gaulle invitant à résister et ne pas coucher avec le pétainisme dont nous ne sommes pas totalement sortis. Rinaldi était gaulliste de gauche, mais anti-Mitterrand, n’oubliant jamais ses origines modestes. Il était devenu le sniper de Saint-Germain-des-Prés, exécutant ce qu’il pensait être les fausses valeurs de la littérature contemporaine. Pour lui, un écrivain, c’était ça : « Une voix, un style, un tempérament, une expérience, un inconscient, des impressions d’enfance. » Le style, surtout. Alors ce salarié de la critique, qui avait débuté comme chroniqueur judiciaire à Nice matin, tirait sur les invalides de l’oreille – car un style, ça se reconnait à l’oreille. J’avoue avoir un peu de mal à évoquer avec détachement Rinaldi, même si je devine derrière son regard noisette – le regard des tireurs d’élite – et ses jugements assassins une grande sensibilité portée sur la mélancolie, et une non moins grande solitude.

Légende noire

J’ai cherché des éléments biographiques sur le net. J’ai trouvé un long témoignage sur le site de L’Express, mais l’un de ses fidèles amis, qui lui a rendu visite à la Fondation Rothschild et l’a accompagné au seuil de la mort, m’a dit que le texte était diffamatoire. Un peu de mal, donc, à en parler, même si son ultime livre, Les roses et les épines, un recueil de ses plus percutantes chroniques, m’y pousse, car mes amis littéraires, ceux qui, avec leurs livres, vous soutiennent dans les moments de dépression, ont été, peu ou prou, malmenés – le terme se veut modéré – par Rinaldi. Je me souviens de la remarque de Michel Déon : « Rinaldi tire sur tout ce qui le dépasse. Et comme il mesure 1m50 ! »

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Dans le recueil, Rinaldi est fidèle à sa légende noire. Il ne loupe jamais sa cible. C’est féroce, le trait d’humour ne manque pas, et c’est, reconnaissons-le, parfois subtil. Rinaldi est un écorché vif, érudit, au fond peut-être pas si méchant que ça. Mais sa souffrance, dont j’ignore exactement l’origine, finit par le rendre exaspérant. Et c’est une erreur, car l’autre face du personnage est plutôt attachante. Je veux parler du Rinaldi romancier. Dans ses critiques, il lui arrive de glisser une confidence. Il faut être attentif, et éviter de tempêter contre lui, quand il dégomme un auteur qu’on révère – Simenon, Sollers, Robbe-Grillet, Claude Simon (grand styliste pourtant), etc. À propos d’Albert Camus, rangé dans la catégorie des auteurs qu’il aime « un peu », il y a cet aveu : « La pauvreté, quand on l’a connue dans l’enfance, avec son cortège de menues humiliations, ayant la même vertu que les sacrements, sépare à jamais de ceux qui ne l’ont pas subie, quelle que soit la suite. » Et d’ajouter : « Il aura manqué au génie de Sartre de ne pas s’être lavé ce que je pense dans l’évier de la cuisine. »

Cambriolages

L’un des fils rouges suivi par Rinaldi, une sorte d’idée fixe, reste le déchirement intérieur que vit le croyant homosexuel ; la foi inébranlable, écartelée par la passion non avouable – et condamnée par le Code pénal jusqu’en 1982. Le seul écrivain, selon lui, qui ait résolu le dilemme de la Croix et de la chair, c’est Marcel Jouhandeau – chaque année je lui rends visite au cimetière de Montmartre. Dans son article daté du 12 août 1974, Rinaldi rappelle l’estime littéraire qu’il porte à l’auteur des Journaliers : « Avec ses malices, ses tourments religieux, son appétit de jouissance, son perpétuel balancement entre les garçons, dont la beauté le damne, et Dieu, dont la beauté l’absout. »

Si Rinaldi, souvent, nous crispe, il lui arrive de nous faire sourire. Par exemple, quand il résume l’œuvre de Le Clézio : « Dans l’ensemble, les ouvrages de M. Le Clézio font songer au bulletin de la météo quand le présentateur annonce une persistance du temps couvert avec passage de très belles éclaircies. » Ou encore lorsqu’il l’achève d’une balle dans la tête en le comparant à « du Saint-John Perse délavé ». Très vite, cependant, notre esprit s’assombrit. À propos de Claude Simon, alors que ses analyses psychologiques ne manquent pas de pertinence, Rinaldi frise la faute de goût : « L’ensemble, à l’exception de quelques moments de lyrisme, est d’un laborieux qui exclut le moindre souffle de grâce. »

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Tout cela, au fond, n’a guère d’importance aujourd’hui. Rinaldi et ses cibles appartiennent à un même monde avec des approches, non plus opposées, mais complémentaires. Ses chroniques nous permettent de garder l’œil sur le meilleur des uns et des autres. Car Rinaldi avait ses écrivains de cœur, à commencer par Céline, dont il a su percevoir l’essence de son œuvre : « (…) il a besoin de l’horrible pour nourrir sa verve, satisfaire son appétit de désastres, (…) il n’est à l’aise que dans la malédiction et la boue dont il pétrit ses livres. » Ce monde, quand Rinaldi était le critique le plus redouté de France – à L’Express, au Figaro littéraire – comprenait environ 10 000 lecteurs – des lecteurs capables de lire aussi bien Gracq que Sollers. Ce « chiffre d’or » n’a sûrement pas augmenté. Il aurait même tendance à avoir maigri. Or l’affaiblissement de la lecture produit de très bons esclaves.

Angelo Rinaldi était très subjectif, il ne s’en cachait pas. Lui qui avait fini par rejoindre les rangs de l’Académie française, après avoir obtenu le Prix Femina en 1974, écrivait, lucide, le 10 novembre 1989 : « Dans le livre qu’on visite – qu’on cambriole, en fait – on laisse ses empreintes digitales aux inspecteurs de la postérité dont le flair ne sera pas forcément supérieur au nôtre. »

Angelo Rinaldi, Les roses et les épines, Chroniques littéraires, Éditions des instants. 272 pages

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De Cannes à France Inter, un festival anti-État juif

En marge du Festival de Cannes, 900 artistes du cinéma ont publié une tribune condamnant le « silence » sur le« génocide » à Gaza. Parmi eux, Catherine Deneuve. Le président d’Avocats sans frontières n’en est toujours pas revenu.


J’ai beau l’avoir prédit, j’en suis quand même un peu surpris.

Dans mon Journal de guerre, j’écrivais dès le 10 octobre 2023 : « J’entends ici prendre date. Le grand pogrom commis par les islamonazis a trois jours et la vraie riposte d’Israël n’a pas encore commencé. Je ne donne pas encore trois jours pour qu’Israël soit nazifié et les Arabes de Palestine peints en martyrs génocidés. Et le chef de l’armée israélienne ne sera pas Montgomery, mais Rommel. Tsahal sera la Reischwehr. »

Car je connaissais mes classiques : entre une armée de soldats juifs blancs en uniforme et une troupe de terroristes basanés en haillons, je savais bien vers qui le cœur à gauche malade de l’idéologie médiatique n’allait pas tarder à balancer. Le tout fouetté par le Nombre et l’Argent. Et je savais aussi que la riposte juive de l’État pogromisé n’allait pas être plus timide que celle des alliés d’hier au-dessus de l’Allemagne hitlérienne ou de la France occupée, ou plus tard au-dessus de Raqqa. Et je savais aussi que les tueurs de gamins ou les violeurs de femmes se terraient sous les hôpitaux, les écoles et les mosquées, à jouer à qui perd ses enfants gagne.

Mais je suis tout de même un peu surpris. Je savais pour Mélenchon, je savais pour Le Monde et pour Libération. Mais Catherine Deneuve… Qui dans une de ces pétitions où le monde artistique sait montrer son courage depuis l’occupation ose le mot « génocide ». Je ne pourrais plus jamais écouter comme avant l’air des Parapluies.

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Pour le reste, point de surprise. Le Monde reprend les bilans victimaires de la « Défense civile » en dissimulant qu’il s’agit du Hamas. France Inter les reprend comme s’il s’agissait du Journal officiel sans même donner leur source. Et tant pis si j’ai déjà fait condamner cette pratique par l’Arcom. Pourquoi voulez-vous qu’elle s’amende puisqu’elle n’en reçoit pas ? Quant à son responsable de politique internationale, Pierre Haski (ancien de Libération et vice-président de Reporters sans frontières), il a réussi l’exploit journalistique de consacrer mercredi matin un éditorial évidemment et unilatéralement critique à Israël, sans dire un mot sur l’attentat terroriste au cri de « Free Palestine » au musée juif de Washington. Il n’a donc pas pu dire que les deux Israéliens assassinés étaient membres de l’AJC, une organisation progressiste et pacifiste.

Pour finir par France 2, la chaîne enchaînée par l’idéologie, laisse passer sans s’excuser un Ardisson comparant Gaza à Auschwitz, égaré par un docteur Pitti, faux humanitaire mais vrai admirateur du Hamas qui avait, lui, comparé Gaza au ghetto de Varsovie. Ardisson, au moins, a demandé pardon.

Je me console comme je peux en pensant que, pour pouvoir continuer à crier « Free Israël », il vaut tout de même mieux gagner la guerre réelle que l’ingagnable guerre médiatique. 

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Pourquoi les anges volent-ils?


Il avait des lettres, mais n’était pas un homme de lettres, enclin qu’il était plutôt, en prévision d’un prochain petit creux, à fourrer des petits fours dans ses poches lors de cocktails qui, pour être mondains, n’étaient en fait point de son monde.

Sa vie, il nous la relata au travers de divers récits tous aussi foutraques qu’endiablés, et toujours vernis à l’acide encaustique comme dirait ma concierge, à l’enseigne de ses différents postes : Vacances en Indo, Vacances à Saint-Tropez, Vacances au Tchad, enfin (de carrière), Vacances au Conseil d’Etat. Par son épouse avait-il ses entrées dans la famille gaulliste, lui-même se classant plutôt parmi les gaulliens critiques. À un moment, s’estimant suffisamment rompu à gratter des arrêts et histoire de se changer les idées (à défaut de pouvoir, on n’a pas dit influencer mais influer sur celles de ses collègues), et alors que la France cherchait à se doter d’un nouveau Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie, il candidata auprès de Dominique de Vilpin, lequel, à défaut d’idées, lui aurait bien fait changer d’air, si le sien d’air, en l’occurrence, – et en toutes les autres que peut bien rencontrer dans sa carrière un haut magistrat de l’ordre administratif -, n’avait été si original.

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En l’espèce, nous retrouvons (feu) notre conseiller d’État, plus sans horaires qu’honoraire, dans la peau du ci-devant Romain de Cherchemidi, en goguette dans un genre Club Med, entouré d’une cour gouailleuse : une Josiane, genre cagole de Marseille sous les traits d’une piquante beurette multifonctionnelle, comme on ne dit plus, une Juliette, sous-préfète de Condom-sur-Baïse, dans le Gers. En arrière-plan (cul ou platonique), comme il se doit, on retrouve au téléphone (portable) la Comtesse, née Diane de Bonneval, alias Théodrade Bichette de Bonménage, Gros Lapin, le bon ami comme on ne dit toujours plus de Josiane, et Monsieur Pichegru, époux légitime de la sous-préfète.

Seules les mauvaises langues et les mauvais critiques soutiendront que cette littérature-là ne mange pas de pain. Au contraire, pour qui sait la lire, a-t-elle la consistance, le moelleux et la drôlerie roborative de la vraie vie délicatement pince-sans-rire.


Dans la même veine (parfois de sang bleu) s’inscrit le dernier opus en date du Petit théâtre de Rouart qu’il nous est donné, quoique différemment, d’apprécier tout autant que le grand.

Ici, sans l’écrire, je dis je. Voici les clefs, opératives diraient certains, qui, à l’unisson du rythme d’un Labiche, d’un Courteline ou, à un moindre degré, de Roger Vitrac, permettent de renvoyer à l’Histoire ou à l’actualité certains personnages. Le Président, c’est ce président de chambre de cour d’appel, du genre grand bourgeois, pas mauvais dans le fond, mais prêt à presque tout pour être promu. On a compris que toute la nuance, ou toute la comédie, ou toute la tragédie, comme vous voudrez (ou, plutôt, comme le voudra le fatum des dieux qui sont en l’espèce l’auteur même) tient dans ce « presque », oscillant entre les termes de ce triptyque qui a nom « mission, compromission, corruption », le tout sous les auspices de l’ambition. Ce personnage, nombre d’entre nous l’ont croisé ou y ont eu affaire. Eugénie, l’épouse du Président, revêt bien des traits de la mère de l’auteur, ce dernier nous écrivant qu’elle « est bonté même » ; c’est là en effet sa signature, et nous la laissons donc sans jugement moral aucun gentiment s’encanailler avec Roman Popovitch, l’immigré de service, « vingt-cinq ans, très beau, SDF yougoslave [yougoslave ? Et pourquoi donc, si ce n’est pas inconsciente réminiscence du Delon de l’affaire Markovic] », bien-nommé homme à tout faire de la maison qui « se lave en plein vent au robinet de la cour. » Chez Pierre, il y a du Rouart au même âge (25 ans), quelqu’un, comme on dit, qui se cherche, et son contraire aussi : une passion pour l’ébénisterie, activité à laquelle Augustin Rouart voulut un temps que son fils se consacra. Virginie, la fille de la maison, a, comme de coutume, fait « peu d’études » et ne connaît que peu de centres d’intérêt. À l’image des jeunes filles de son temps, elle ne voit pas où le mal, pour ne pas dire qu’elle ne voit pas grand-chose.

Après avoir lu ces deux pièces, on songe à ce mot qu’on devrait graver au fronton de tous les cimetières, de tous les théâtres, et qu’aimait à citer Jean d’Ormesson : Pourquoi les anges volent-ils ? Parce qu’ils se prennent eux-mêmes à la légère.


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Catholicisme et communisme

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Un roman magistral, édifiant ; voilà ce que propose Valère Staraselski avec Les Passagers de la cathédrale, une sorte de Neveu de Rameau à cinq personnages qui dialoguent sur le catholicisme et le communisme, la vie et la mort. L’extrême gauche radicale et intolérante va râler. C’est fait pour. 


Avec Les passagers de la cathédrale, son dernier livre, Valère Staraselski nous propose une sorte de Neveu de Rameau. Mais ici, ils ne sont pas deux à dialoguer, mais cinq, quatre hommes et une femme : François Koseltzov, un double de l’auteur, Louis Massardier, un ancien universitaire, communiste à l’ancienne, Darius, ami iranien de François (il a passé dix-huit mois dans les geôles de Khomeiny), Thierry Roy alias Chéri-Bibi gardien au musée Carnavalet, et Katiuscia Ferrier, une jeune femme très sensuelle et délicieuse. Ils échangent aux abords de la cathédrale de Meaux, ou au bord du canal de l’Ourcq. Ils évoquent la vie, la mort, la foi, la politique ; ils sont tous chamboulés par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Dans leurs propos, il est souvent question du catholicisme et du communisme, de l’engagement. Explications de l’auteur.


« Un peuple sans mémoire est un peuple sans défense… »

Causeur. Pourquoi ce roman ? Et comment est-il né ?

Valère Staraselski : La littérature sert, me semble-t-il, à montrer ce qu’on ne voit pas très bien. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, en proie à une indicible stupeur mêlée de tristesse et de révolte, moi le communiste athée, j’ai écrit un article Les Passagers de la cathédrale paru dans L’Humanité et La Croix où je disais que « l’intense émotion qui frappe les catholiques s’étend non seulement aux autres croyants mais bien plus largement à celles et ceux en qui les valeurs humanistes sont ancrées. » L’article est devenu un roman-contrepied de contre-vérités sur notre histoire assénées par des politiques à court terme (pléonasme aujourd’hui) et des intellectuels médiatiques triomphants qui commettent l’erreur de penser que l’on peut ignorer notre héritage. Exemple, sur la négation des racines chrétiennes de l’Europe se dresse fort heureusement un Pierre-Henri Tavoillot : « Oui, la civilisation européenne est bien l’héritière du christianisme. Bien sûr cette civilisation européenne a aussi connu le racisme, le sexisme, le colonialisme comme toutes les autres. En revanche, c’est la seule dans toute l’histoire de l’humanité, qui les a dépassés. Or, on s’acharne aujourd’hui à la haïr pour ce qu’elle a été la seule à dénoncer. » Dans la clairière de Châteaubriant où l’on honore toujours les 27 otages fusillés par les troupes d’occupation allemandes en octobre 1941, j’ai appris, très jeune, qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans défense…

Est-ce exagéré de dire que vous faites un parallèle entre le catholicisme et le communisme ?

Dans le roman, je rapporte ce que m’a dit Bernard Marris un soir : « Le communisme n’est qu’un christianisme athée. » Il l’a d’ailleurs écrit. Il y a eu les distanciations et condamnations récurrentes de l’Eglise contre l’émergence, puis contre les expériences communistes. Expériences qui se sont trop souvent révélées, pour le moins, comme des religions sans miséricorde. Mais le communisme ne peut se ramener à une pédagogie établie sur des massacres comme le catholicisme ne peut se réduire à Torquemada ou à l’élimination des Incas. En outre, je constate qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de jeunes, parmi de nombreux autres catéchumènes, militants communistes qui affichent leur foi. L’un d’eux, qui se destine à entrer dans les ordres monacaux, a rédigé la préface de mon Voyage à Assise (N.D.L.R. : Bérénice éditions nouvelles ; 45 p. ; 10 € ; mars 2025). A ce propos, écoutons, Paul Vaillant-Couturier dans Au service de l’esprit en 1936 : « Le capitalisme entend faire du ventre, le principal organe de l’humanité, et transformer l’esprit en marchandise. Sous son règne, toutes les valeurs immatérielles sont devenues des marchandises. Le capitalisme avilit la morale. Il s’attaque aux valeurs les plus sacrées comme un acide. Il dissout la moralité ! Les communistes (…) se sentent très près des bâtisseurs de cathédrales. » En 1970, le dirigeant communiste Jean Kanapa déclarait quant à lui : « Nous ne parviendrons à construire le socialisme en France que lorsque nous saurons intégrer réellement les données positives de la culture chrétienne à celles du marxisme. » Ça vient de loin et de nos jours, ça reprend assez fort.

« Calvin a facilité l’essor du capitalisme »

Vos personnages sont attachants ; plus vrais que nature. Comment définiriez-vous Louis Massardier, « l’homme de la tempête et de la cathédrale » ?

Si les personnages ont de l’épaisseur, c’est que l’écrivain s’oublie pour observer… Massardier ? Une centrale nucléaire de vie, une tour Montparnasse de culture, un maelstrom d’intelligence doté d’un cœur qui bat très fort. Un honnête homme ce Massardier qui lit Marx et Louis Aragon mais aussi Barrès et Alain de Benoist.

À lire aussi : Maximilien Friche ou la folle espérance d’un salut par le Verbe

Vous dites de lui que c’est un communiste mais « à long terme ». Qu’entendez-vous par là ?

Les humains ont créé le catholicisme où l’Alliance (invention juive), ce contrat avec une instance supérieure appelée Dieu, est réalisée par le Christ qui lance : « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir.  » Mais le fait nouveau est que l’Alliance selon le Christ a pour moteur l’amour. Si ce n’est pas révolutionnaire, ça ! Massardier, vieux militant communiste français, pense qu’il n’y a pas de raison que nous ne parvenions, à terme, à dépasser la ploutocratie pour une « société réglée » dont parle Antonio Gramsci. D’ailleurs, a-t-on vraiment le choix si nous ne voulons pas que l’autodestruction en cours l’emporte ?

François Koseltov ? Ne serait-ce pas un peu votre double ?

Un peu, oui, il y a longtemps…

Vous égratignez un peu le protestantisme en rappelant – à juste titre – que Calvin serait à l’origine du prêt avec intérêt ; pouvez-vous revenir sur cette affirmation ?

Pour l’Eglise, il fallait prêter sans rien attendre en retour car dans la Bible le prêt avec intérêt est inique aux yeux de Dieu. Dans sa Lettre sur l’usure (1545), Calvin a légitimé l’usure du versement d’un intérêt dans le cas d’un prêt productif servant à financer la création d’un surcroît de richesse. Le Vatican le rendra licite en 1917 et l’Eglise catholique ne lèvera sa condamnation du prêt à intérêt qu’en 1930. S’il ne l’a pas provoqué, Calvin a facilité l’essor d’un capitalisme certes créateur mais aussi prédateur faute de contre-pouvoir…

Quel est votre préféré : Dieu ou Marx ? Et pourquoi ?

Pardon, mais je n’esquive pas la question : Pierre Paolo Pasolini. Parce qu’il a amorcé dans sa vie comme dans son œuvre ce que le philosophe Slavoj Zizek défend : « Oui, le marxisme est dans le droit fil du christianisme ; oui, le christianisme et le marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, les nouvelles spiritualités. L’héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes. » Comment ne pas songer au Compromis historique entre le Parti communiste italien et la Démocratie chrétienne avorté par l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges alliées objectives des intérêts américains ? Si on ne rabat pas tout sur le sociétal et sur une vision anachronique de l’Histoire comme le fait pour l’essentiel la Doxa gauchiste qui occupe des avant-postes médiatiques et a confisqué bien des pouvoirs depuis des décennies, il faut bien reconnaître que l’Eglise catholique, apostolique et romaine contemporaine s’est placée depuis quelque temps déjà dans le camp progressiste. Heureusement qu’elle est là !

L’intolérance ambiante

Quelle est la part de réalité dans notre roman ? Vous résidez à Meaux ; Chéri-Bibi ressemble fortement à l’un de vos amis, gardien de musée… Et les autres (Massardier, Darius, etc.) vous ont-ils été inspirés par des êtres existants ou sont-ils le fruit d’une pure fiction ?

Toute la réalité, rien que la réalité, je le jure, revue et présentée via l’imaginaire. Mais la réalité tout entière dans « le roman où mentir permet d’atteindre la vérité » nous rappelle Aragon.

Jean-Luc Mélenchon, très ému après le témoignage d’une musulmane lors de la marche contre l’islamophobie, Paris, 27 avril 2025 © SEVGI/SIPA

Que pensez-vous de la gauche actuelle ? Et de Mélenchon ?

Quand j’étais jeune, on taxait la droite de la plus bête du monde. Ça s’est inversé. Et salement ! À gauche, le peuple a été évacué, la direction des partis de gauche (à l’exception du Parti communiste profond) sont confisqués par les représentants des couches moyennes supérieures qui, pour se donner le beau rôle, sont prêts à tous les dénis et les compromissions possibles, n’hésitant pas à jouer la logique des extrêmes.  Cette « petite gauche », triomphante aujourd’hui, est limitée et fière de l’être et le paie cash dans les urnes. Mélenchon n’est, selon le mot de Nietzche, que « le comédien de son idéal ». Seulement son idéal n’est commandé que par la vanité. Ce personnage, qui fascine les foules du ressentiment, est donc non seulement vain et destructeur pour son propre camp mais néfaste et dangereux pour la France.

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Ne pensez-vous pas que la société actuelle souffre d’une terrible intolérance ? Les gens d’opinions différentes ne se parlent plus… Contrairement à autrefois juste après mai 68. Pourquoi ?

L’intolérance bien réelle, vous avez raison, est la marque d’un repli qui s’explique, selon moi, par une atomisation de la société où seule la lutte de tous contre tous supplante le besoin de vie commune.

Quels sont vos écrivains préférés ?

En ce moment, Hans Fallada, Panaït Istrati… L’incipit des Chardons du Baragan du Roumain Istrati : « Au ciel et sur la terre, la vie reprenait sa marche, élevait ses chants sincères, appelait au bonheur – pendant que l’homme semait la mort et descendait plus bas que l’animal. »

Un prochain livre ?

Oui, mais les obstacles seront nombreux, alors chut. Si, une chose encore : dans ce monde impossible, un roman est un signe de possible vie.


Les Passagers de la Cathédrale, Valère Staraselski ; le cherche midi ; 246 p.

Les passagers de la cathédrale

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Voyage à Assise, Valère Staraselski ; Bérénice éditions nouvelles ; 45 p.

Voyage a Assise

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Jésus-Christ, scénariste hollywoodien

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Pierre Joncquez explore dans son nouvel ouvrage l’influence originale des Évangiles dans le cinéma hollywoodien. Des films populaires des années 80 et 90, apparemment éloignés de tout message religieux, contiennent en fait de nombreuses références bibliques.


Pierre Joncquez vient de publier aux Éditions Salvator un ouvrage sur l’étonnante inspiration d’Hollywood par les Évangiles. L’auteur présente cette hypothèse avec brio et beaucoup d’esprit. 

Malgré quelques controverses sur sa paternité, le cinéma est bien une invention française, et le marché a largement été dominé à ses débuts par les productions françaises et européennes. Mais le retard a vite été rattrapé quand quelques pionniers américains se sont installés sous le soleil californien, dans les environs de Los Angeles, aux côtés des parcelles d’une promotion immobilière nommée « Hollywood », à la recherche de luminosité, mais surtout d’absences de syndicats sur la côte ouest et à l’abri de la pression des taxes du trust Edison qui avait le monopole de la vente de pellicule…

L’immense historien du cinéma, Georges Sadoul (1904-1967) a relaté avec précision les débuts de l’art et de l’industrie du cinéma. Il rappelle notamment ce qu’il nomme « La première crise du cinéma de 1907-1908 » alors que celui-ci stagnait comme un divertissement de foires : « Beaucoup croyaient le cinéma prêt à mourir. Des salles obscures se vidaient et faisaient faillite. La “crise du sujet“ avait sa part dans cette décadence ».

Les Européens vont être dans les premiers à proposer de véritables histoires pour scénariser les films. Les Américains vont suivre et avec le succès que l’on sait, faisant en sorte que Hollywood domine encore de nos jours largement le marché mondial de l’audiovisuel et aussi l’imaginaire collectif…

Pas tout de suite évident…

Mais où aller chercher ces histoires racontées sur grand écran ? Dans un premier temps on se tourne vers la littérature, à l’image du projet français « Film d’Art » pour lequel on fait appel à Anatole France ou Edmond Rostand.

Et quelle plus universelle littérature que celle des Évangiles ? Si tant est qu’on accepte ces dernières davantage comme des biographies antiques…

Il n’est donc pas si étonnant de trouver des éléments évangéliques dans les histoires racontées par le cinéma, surtout depuis que celui-ci est dominé par les États-Unis, un pays qui bien que « laïque », donne une place et une visibilité très importante à la religion, essentiellement chrétienne, dans la sphère publique.

Pierre Joncquez recherche et trouve surtout des références aux Évangiles dans des films hollywoodiens auxquels on ne penserait pas immédiatement – Cela serait trop simple avec « Les Dix commandements » de Cecil B. DeMille (1956) ou « La Passion du Christ » de Mel Gibson (2004)… 

A lire aussi : « Mission impossible, The Final Reckoning » : Ne boudons pas notre plaisir !

Pierre Joncquez cible ainsi des films « cultes », issus de la culture populaire « VHS » des années 80 et 90, qui ne semblent pas forcément avoir de lien avec les Évangiles de « Piège de cristal » (1988) en passant par le dessin animé « Le Roi lion » (1994) et jusqu’à « La soupe aux choux » (1981), oui oui… (Seule exception à l’origine nord américaine des films présentés).


En lisant les chapitres dédiés à chaque film, on peut être sceptique au départ et se dire qu’il s’agit de simples coïncidences, voire de biais cognitifs de l’auteur, car il est toujours possible de trouver des détails dans une œuvre pouvant être orientés dans le sens de notre propos…

Et pourtant, on adhère rapidement aux démonstrations de Pierre Joncquez dont les recherches sont érudites et documentées, tout en n’étant jamais pontifiantes, mais au contraire pleines d’humour – On trouve même un tableau synthétique de la « continuité » entre Moïse, Jésus et… Superman pour sa version cinématographique de 1978 !

À chaque chapitre, on est curieux et en attente de voir comment l’auteur va arriver à nous convaincre de l’influence plus ou moins cachée des Évangiles dans une superproduction hollywoodienne que rien ne disposait à porter un message biblique…

Objectif caché ?

C’est ainsi que l’auteur compare par exemple le film de science-fiction « Terminator » (1984) à l’annonciation, le film d’action « Piège de cristal » (1988) à la Passion du Christ, la comédie « Un jour sans fin » (1993) à la purification de l’âme au purgatoire, etc.  

Peut-il s’agir d’un objectif non avoué d’évangélisation par les majors hollywoodiennes ?

L’influence quasi officielle de la religion dans le cinéma américain appartient normalement au passé. Le temps du Code Hays, du nom du sénateur et président de l’association des producteurs et distributeurs américains, qui a imposé des recommandations morales et une autocensure puritaine au cinéma entre les années trente et cinquante, est révolu.

Mais il peut s’agir d’une sorte de cryptomnésie, la mémorisation inconsciente qui réapparaît, comme cela arrive parfois à des artistes de bonne foi. Ou bien, s’agit-il simplement de la preuve que la Bible reste une influence majeure des scénaristes et « La plus grande histoire jamais contée » du nom du film de 1965 de George Stevens…

Touchdown: Journal de guerre

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Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


C’est un dimanche de fin mai sous une lumière grise, dans les allées des Buttes-Chaumont (19e arrondissement). Un homme, au crépuscule de sa vie, habillé avec soin, portant la kippa, me salue et engage la discussion. À la fin de notre échange, nos deux mains se serrent. C’est un lien d’humanité, d’émotion partagée, dans une époque qui peut de nouveau faire la bascule et mener au pire.

Le vieux monsieur aux yeux si clairs voulait me remercier pour mes propos « équilibrés et raisonnables » sur le conflit israélo-palestinien. Il a aussi exprimé son désaccord « total » avec la stratégie militaire du gouvernement Nétanyahou. J’ai écouté et peu parlé. Puis, je nous ai simplement souhaité « le meilleur ». En empoignant mes deux mains, il a répondu : « J’ai espoir… j’ai espoir. »

Alors que le carnage et la dévastation se poursuivent à Gaza, et que les objectifs de guerre du gouvernement israélien ne sont plus la libération des otages, mais l’occupation de l’enclave et de la Cisjordanie, est-il possible de critiquer Israël sans être accusé d’antisémitisme ? De dire que jamais, par le passé, l’extrême droite israélienne, avec Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir aux affaires, n’avait eu une telle influence ? Et qu’avec eux et Benjamin Nétanyahou, le gouvernement israélien est devenu le principal adversaire d’Israël ?

À lire aussi : Israël contre l’islamisme: un réveil pour la France endormie?

Est-il possible de faire la distinction entre les criminels du Hamas, responsables du pogrom du 7-Octobre, et la population civile de Gaza qui vit un véritable enfer depuis plus de vingt mois ? Pour certains, il n’y a pas de civils palestiniens innocents. Tous, y compris les enfants, seraient une seule et même menace, celle d’une Palestine de « la rivière à la mer ». Les terroristes du Hamas n’ont-ils pas beaucoup à gagner face à une telle rhétorique ? C’est ce que je reproche le plus à Nétanyahou : d’avoir fait le choix des islamistes du Hamas et non celui de l’Autorité palestinienne, de n’avoir jamais privilégié une solution à deux États, de poursuivre cette guerre pour se maintenir au pouvoir, d’isoler dramatiquement son pays sur la scène internationale, d’être le Premier ministre israélien d’une monstrueuse défaite politique et morale.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, il faut aussi dire la faillite et le déshonneur des Insoumis et de celles et ceux qui, à gauche, pour des raisons électoralistes, n’acteraient pas une rupture définitive avec LFI. La nazification d’Israël est une saloperie sans nom. Faire de tous les juifs les responsables de la politique du gouvernement Nétanyahou en est une autre. L’antisémitisme n’est en rien « résiduel ». Il est le poison de l’époque qui vient s’il continue à s’installer ici et ailleurs. Si la gauche se cherche quelques combats à mener, celui-ci est à prendre à bras-le-corps, car il dit le monde que nous voulons et celui dont nous ne voulons pas. Il dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas.

C’est déjà pas mal par les temps que nous traversons…

Atlas baisse les bras… et la France aussi 

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Dans la course à l’innovation, la France semble se retirer doucement mais résolument du jeu, se désole notre contributrice, expatriée aux Etats-Unis. La France ne bénéficie ni de l’autoritarisme productif de la Chine, ni du dynamisme individualiste des États-Unis. L’État y est omniprésent mais impuissant. 


Alors que le président de la République participait, le 5 mai, à la conférence « Choose Europe for Science » et qu’il avait accueilli quelques semaines plus tôt, au Grand Palais, « le sommet de l’IA », exemple de planification à la française où l’on se gargarise d’objectifs mondiaux et de promesses d’investissements, une question persiste : ces grandes messes ont-elles réellement le pouvoir de susciter le succès ?

Stagnation

Selon un rapport de l’OCDE publié en mars 2025, la dépense intérieure brute en recherche et développement a baissé en France de 0,5 % en 2023, tandis que la Chine enregistrait une hausse de 8,7 % et les États-Unis une progression plus modeste de 1,7 %.

D’après les données du Nature Index, qui classe les pays selon le nombre d’articles publiés dans des revues scientifiques prestigieuses, la France stagne depuis une dizaine d’années à la sixième place, avec une production en recul constant. Pendant ce temps, la Chine caracole en tête.
Dans le domaine des modèles d’intelligence artificielle, ChatGPT incarne la suprématie technologique des États-Unis, tandis que la Chine concentre 15 % des entreprises mondiales du secteur et arrive en tête des dépôts de brevets.

La France ne bénéficie ni de l’autoritarisme productif de la Chine, ni du dynamisme individualiste des États-Unis. L’État y est omniprésent mais impuissant. Le secteur privé est toléré mais suspecté. Les intellectuels sont admirés mais sous-financés.

Lorsque je découvris La Grève (Atlas Shrugged), dont m’avait parlé une collègue américaine, cette dystopie d’Ayn Rand érigée en hommage à l’individu créateur, je fus d’abord frappée de n’en avoir jamais entendu parler, malgré sa notoriété : il est considéré comme l’ouvrage le plus influent aux États-Unis après la Bible. Je ne m’attendais pas non plus à y trouver une grille de lecture aussi éclairante pour comprendre le déclin de la France en matière d’innovation.

Le titre français, La Grève, est d’ailleurs révélateur. Dans l’imaginaire collectif français, la grève évoque spontanément une lutte sociale, menée par des ouvriers réclamant justice face à des employeurs perçus comme cupides. Or, le roman de Rand met en scène une dynamique tout autre : il ne s’agit pas d’une révolte mais d’un retrait volontaire de ceux qui soutiennent le monde en créant. Les « Atlas », métaphores des esprits productifs et novateurs, cessent d’agir parce que leur attachement à la création matérielle est méprisé. En ce sens, le titre français trahit un malentendu culturel : l’œuvre ne décrit pas une action collective et revendicative, mais une abdication individuelle, presque stoïcienne, face à un monde devenu hostile à l’excellence.

Le vaccin qui n’a jamais vu le jour

Vue d’outre-Atlantique, où je travaille désormais, l’érosion de la France n’est plus une impression diffuse mais une réalité saisissante. L’échec à produire un vaccin anti-Covid, en pleine urgence mondiale, quand les États-Unis, la Chine ou la Russie y sont parvenus, ne relève pas seulement d’un déficit de performance. Il révèle un mal plus profond : la France semble se retirer doucement mais résolument du jeu.

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En pleine pandémie, il n’était pas absurde d’espérer que la France, patrie de Louis Pasteur, figure parmi les nations à l’avant-garde. Pourtant, le vaccin de Sanofi connut des retards avant d’être relégué, et l’Institut Pasteur abandonna discrètement son candidat après des résultats décevants en phase précoce. Certains ont imputé cet échec à la complexité réglementaire, au manque d’investissement ou à un malheureux concours de circonstances. Peut-être…

Dans son roman, Ayn Rand décrit un monde où les créateurs de génie se retirent, non par protestation, mais par lassitude. Fatigués d’être dénigrés pour leur égoïsme matérialiste et entravés par un système qui punit l’excellence et récompense la médiocrité, ils disparaissent.

Un système qui punit l’excellence

La France s’enorgueillit d’un modèle censé conjuguer solidarité sociale et dynamisme économique. Mais en pratique, on se retrouve dans une situation absurde où le mérite, érigé en valeur suprême, devient suspect dès qu’il débouche sur la réussite, notamment financière. J’ai longtemps cru à ce système.  

À mon arrivée aux États-Unis, je contemplais avec méfiance cette société qui valorise intensément le travail, jusqu’à soupçonner les nécessiteux d’être responsables de leur sort. Je percevais cette idéologie méritocratique poussée à l’extrême comme un aveuglement cruel.
Je portais encore en moi cette lecture française selon laquelle le succès est le fruit des privilèges, et la richesse, donc, doit être redistribuée.

Mais il y a en France cette méfiance profonde envers la richesse, renforcée par la Révolution française, qui a désigné les riches comme ennemis a priori du peuple. Qu’ils soient aristocrates d’hier ou bourgeois d’aujourd’hui, ils portent l’héritage d’un ordre injuste.
Il existe peut-être aussi une dimension plus spirituelle. En France, fille aînée de l’Église, l’austérité est perçue comme vertu et la richesse comme facteur de corruption, conformément à la morale catholique. À l’inverse, les États-Unis, héritiers de l’éthique protestante du travail (selon Max Weber), valorisent l’effort comme devoir moral et considèrent la réussite comme le juste fruit du labeur : travailler et innover justifient un revenu plus élevé.

Ce contraste explique peut-être pourquoi, en France, les entrepreneurs doivent se justifier de leur succès, alors qu’aux États-Unis, on leur demande simplement comment ils y sont parvenus.

Logicisme

Dans Atlas Shrugged, Rand tourne en dérision l’éloge de la médiocrité et l’adoration de l’absurde. Elle met en scène un intellectuel vantant la restriction de la commercialisation des ouvrages… surtout ceux qui se vendent trop bien. Cela rappelle certains événements récents en France, où des auteurs confidentiels bénéficient d’une large couverture médiatique tandis qu’une chaîne populaire se voit supprimée.

Plus encore, Rand décrit un monde où, au nom d’un altruisme dévoyé, les dirigeants imposent l’arrêt d’industries prospères, sacrifiant toute amélioration matérielle. Cela rappelle le démantèlement du fleuron nucléaire français, ou encore l’obligation faite à EDF de vendre son électricité en dessous de ses coûts.

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Quand on m’interrogea sur l’échec vaccinal français, je pensai à cette obsession nationale pour les belles théories. À cette manie de préférer l’élégance conceptuelle à l’expérimentation. À ces virologues défendant une stratégie originale mais sans doute difficile à mettre en œuvre dans des délais aussi courts : vacciner par voie nasale. Pendant ce temps, Pfizer, pragmatique, lançait ses essais cliniques sur une technologie déjà maîtrisée. Ce qui manque en France, c’est peut-être cette humilité propre aux entrepreneurs : essayer, se tromper et apprendre de ses erreurs.

Rigidité

Où sont passés nos Atlas français, les Eiffel, Schneider, Blériot, Dassault ? Autrefois, l’innovation passait par l’industrie lourde, aux cycles longs et à fort ancrage national. Aujourd’hui, elle repose sur les technologies dématérialisées et le capital-risque, qui exigent une flexibilité dont la France manque cruellement.

Je ne m’attarderai pas sur la rigidité du droit du travail ou sur le poids de l’administration, déjà dénoncés par Bernard Arnault ou François-Henri Pinault. Je préfère souligner ce qui, dans la culture, bride les esprits créatifs.

Mon parcours, de la recherche en neurosciences à la médecine, puis à la microbiologie, est vu en France comme erratique. Aux États-Unis, il est perçu comme adaptatif et courageux.
Ici, des parents organisent des levées de fonds pour que les élèves créent de vraies mini-entreprises. Gagner de l’argent n’est pas honteux.

J’ai aussi été frappée par la liberté de ton de jeunes techniciens, souvent étudiants, interrogeant un chercheur invité avec une acuité remarquable. En France, nos amphis restent figés et les étudiants notent en silence.

C’est ce climat où l’initiative est valorisée plus que l’évitement de l’erreur, qui nourrit l’innovation. Le drame du vaccin français ne réside pas dans l’absence de talents, mais dans un système qui étouffe l’audace et bride l’imagination.

Vers un réveil ?

La pensée d’Ayn Rand n’est pas exempte de critiques. Son rejet de l’altruisme est moralement discutable, et sa vision dystopique caricaturale. Mais sa défense de l’esprit créateur et sa mise en garde contre les belles âmes qui sacrifient l’individu au nom d’un idéal abstrait restent puissantes. Sa « grève des cerveaux » a déjà commencé en France, non par des disparitions spectaculaires, mais par une migration discrète ou un renoncement intérieur.

Ce qui frappe, c’est le silence autour de ce livre en France. Aucune traduction pendant un demi-siècle. Rand reste méconnue. Même les féministes l’ignorent, alors que son héroïne, Dagny Taggart, refuse de céder, raisonne en termes d’action et incarne une féminité sans culpabilité.

Rand était juive, et dans le judaïsme, l’homme n’est pas fait pour contempler le monde, mais pour le transformer. Atlas Shrugged se moque du fatalisme dont l’intellectuel s’entoure pour justifier son apathie.

Le déclin est-il inéluctable ? Non. La France a su renaître. Mais les réformes ne suffiront pas. Il faut une révolution idéologique. Récompenser ceux qui bâtissent, non ceux qui réglementent. Oser faire, plutôt que planifier.

Sinon, les créateurs continueront de s’éclipser. Et la France, lentement mais sûrement, poursuivra son effacement. Non dans le fracas. Mais dans le silence du renoncement.

La Grève : Atlas Shrugged

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Vinyles Vidi Vici

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Jérémie Rousseau © Hannah Assouline

À bientôt 80 ans, « La tribune des critiques de disques » est la doyenne des émissions de Radio France. Chaque dimanche après-midi sur France Musique, critiques et musiciens animés par un idéal de beauté débattent interprétation et direction d’orchestre. Le public en redemande.


La France peut se prévaloir de certaines institutions sacrées sans lesquelles notre vie quotidienne serait insupportable. Parmi ces trésors nationaux, citons la Sécurité sociale, l’hôpital public et… France Musique ! Le soin du corps et le soin de l’âme. On n’en dira pas autant, hélas, de France Culture (devenue un clone de France Inter) dont on écoutait pourtant religieusement, à l’heure du déjeuner, le « Panorama » animé par Jacques Duchateau et Michel Bydlowski (qui en février 1998 se jeta par la fenêtre de son bureau de la Maison ronde après que la direction eut décidé de mettre fin à son émission jugée « trop élitiste »).

Un désert de culture

En 1987, le philosophe américain Allan Bloom publiait un livre prophétique (vendu à un million d’exemplaires) : L’Âme désarmée : essai sur le déclin de la culture générale (réédité aux Belles Lettres en 2019). Ce disciple de Leo Strauss décrivait comment les étudiants américains s’étaient peu à peu détournés de la grande culture classique européenne (Shakespeare et Beethoven) au profit de l’idéologie narcissique du développement personnel, se privant ainsi des armes essentielles qui leur auraient permis de résister à la barbarie de la société de consommation basée sur le pur affect. Quarante ans après, on ne peut que faire le même constat chez nous, tant paraît lointaine cette France où Delacroix et Berlioz ornaient nos billets de banque tandis que les classes populaires regardaient avec respect, à la télé, les « Dossiers de l’écran » (1967-1991) et « Alain Decaux raconte » (1969-1987).

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Dans ce désert, France Musique est une oasis culturelle où l’on vient s’abreuver, un petit Collège de France accessible à tous, chaque animateur possédant une voix, une diction, une personnalité, un talent de conteur qui tranchent avec le phrasé monocorde et blasé de la plupart des autres journalistes dont le discours est plus que jamais contaminé par les horripilants tics de langage à la mode (comme ce « du coup » à chaque phrase pour combler le vide de la pensée).

À côté de Bach et de Debussy, le jazz, le rock, la pop, la variété, la musique de film, les musiques du monde, la comédie musicale et les créations contemporaines sont très largement défendus avec une érudition toujours mise au service du plaisir.

La tribune des critiques de disques 

Et puis… il y a l’émission phare du dimanche après-midi que tous les mélomanes adorent « détester » depuis des lustres en buvant leur thé de Chine : « La tribune des critiques de disques » ! Créée en 1946 sous le nom de « Club des amateurs de disques », c’est la doyenne de Radio France (« Le masque et la plume » datant de 1955) et un vrai hymne au disque qui demeure une invention géniale : Le Chant de la Terre de Mahler par Bruno Walter et Kathleen Ferrier, Le clavier bien tempéré de Bach par Glenn Gould ou Kind of Blue de Miles Davis (enregistré en une seule prise) sont des œuvres d’art à part entière qui ont accompagné des millions de vies au même titre que les tableaux de Monet ou les romans de Stefan Zweig.

Au lendemain de la guerre, donc, voici un groupe de poètes animés par un idéal de beauté et pour qui la radio doit faire entrer la grande littérature et la grande musique dans les foyers des Français les plus modestes. Née en 1944, la Radiodiffusion française regroupe alors des gens comme Pierre Tchernia, Michel Bouquet, Raymond Queneau, Francis Ponge, Jean Tardieu, Boris Vian et un certain Armand Panigel qui voue une passion aux disques. C’est sous son impulsion que l’émission est créée, le principe étant de réunir les meilleurs critiques musicaux de l’époque et de les faire réagir à des écoutes de disques, en direct. Les discussions sont totalement improvisées, chacun donnant son avis dans un nuage de fumée de cigarettes et de pipes. Très vite, le succès est fulgurant, d’autant plus que naît au même moment l’âge d’or du disque vinyle (porté par les grandes stars françaises de l’époque comme Samson François, Jean-Pierre Rampal, Alexandre Lagoya et Maurice André qui vendent des millions d’albums) et qu’apparaissent ensuite simultanément la hi-fi, la stéréophonie et la modulation de fréquence pour un confort d’écoute optimale. Les joutes verbales passionnées entre les critiques musicaux (Jacques Bourgeois, Antoine Goléa, Jean Roy et Armand Panigel) deviennent célèbres pour leurs excès : « Tout ça est très bien mais c’est au fond une situation tragique : comment un criminel pareil peut-il arriver à être Leonard Bernstein ? » (Antoine Goléa)…

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Ces empoignades vont d’ailleurs inspirer à Jean Yanne un sketch fameux (deux routiers s’engueulant dans leur camion au sujet des quatuors de Beethoven) et poussent Peter Ustinov à parodier l’émission en imitant les voix de tous les critiques : « — Moi, je l’aime sans l’admirer. — Moi, je l’admire sans l’aimer. — C’est très mal fait, c’est mal calculé, et c’est beaucoup trop lent ! »

Depuis 2014, « La tribune des critiques de disques », animée avec enthousiasme par le musicologue et ancien directeur de Classica, Jérémie Rousseau, est suivie par 350 000 auditeurs tous les dimanches. L’écoute des disques à l’aveugle demeure la règle (comme on goûte des vins sans voir l’étiquette), mais les débats entre invités se font à fleuret moucheté, comme si les critiques d’aujourd’hui tendaient à choisir des versions consensuelles au détriment de versions plus radicales. On se surprend ainsi à parfois regretter la passion qui caractérisait l’émission quand certains ténors de la critique musicale (comme Patrick Szersnovicz, surnommé « Tchernobyl ») défendaient de façon volcanique leur version préférée. Avec sa chaude voix de baryton, Jérémie Rousseau a imprimé sa marque à la « Tribune » en invitant des musiciens et des chefs d’orchestre capables d’apporter au débat une vision plus pragmatique des chefs-d’œuvre. Grâce à lui, on a aussi pu découvrir ces dernières années des talents vivants prodigieux comme le pianiste coréen Yunchan Lim, incroyable dans les Études d’exécution transcendante de Liszt et auprès de qui Daniil Trifonov lui-même semble jouer comme un petit garçon bien sage… À l’approche de ses 80 ans, on ne peut que souhaiter longue vie à « La tribune des critiques de disques » !

France tv: un sens de l’éthique qui fait tiquer

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La journaliste Léa Salamé en 2022 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Succédant à Anne-Sophie Lapix – celle-ci ayant été quelque onze années à la manœuvre – Léa Salamé va devenir prochainement le visage et la voix du 20 heures de France 2. D’aucuns, espiègles ou ronchons, au choix, ajouteraient au visage et à la voix ce qu’on peut appeler l’esprit maison. La maison en question étant le service public d’information. (Vous savez, celui qui fonctionne sur les sous du contribuable.) Le lecteur averti sait donc parfaitement de quel esprit il s’agit. C’est celui qui fait florès notamment dans les matinales de France Inter, où officiait jusqu’alors Madame Salamé, en compagnie de Patrick Cohen – qu’on ne présente plus – lui aussi pénétré comme il convient de ce même esprit.  

La continuité semble donc assurée. La bonne parole à l’office du matin de la Maison ronde, et désormais son prolongement vespéral sur France 2. On peut dire que, à environ une année d’une campagne électorale pour des présidentielles, ce coup stratégique doit être salué bien bas. Ceux qui se seraient aventurés à rêver d’une espèce de rééquilibrage idéologique au sein du service public d’info en sont donc pour leurs frais. L’ouverture n’est toujours pas de mise. 

Cependant, il y a mieux encore. La nouvelle icône du 20 heures de France 2 a pour compagnon un homme politique – de gauche, cela s’entend – dont il se dit qu’il pourrait être lui-même partant pour la course à l’Élysée. Rien d’illégal dans tout cela, bien évidemment. Mais curieux sens de l’éthique tout de même du côté de France Télévision. 

Je précise qu’il n’est absolument pas question pour moi – si peu que ce soit – d’émettre le moindre doute sur l’intégrité intellectuelle et morale de Léa Salamé. Elle est une vraie professionnelle et pratique sa discipline avec un indéniable talent. Il s’agit seulement de souligner ce qui pourrait plus ou moins s’apparenter, sinon à un conflit d’intérêt, du moins à un risque de rupture d’égalité.

À ce jour, le compagnon de la nouvelle recrue du 20 heures n’ayant nullement envisagé de se déporter, ayant même déclaré qu’il ne voyait aucun problème dans cette évolution de sa situation domestique, il semble donc acquis qu’il ne verrait là aucun obstacle à son éventuelle candidature.

Risque de rupture d’égalité, disais-je. 

En raison de son poste éminent, du fait de son rôle de vigie de l’actualité politique, la présentatrice vedette se trouvera tout naturellement et en permanence placée aux premières loges pour observer et connaître les manœuvres, les plans, les préparatifs, les adaptations de campagne des états-majors des concurrents.   

Certes ce serait tomber dans la facilité – diffamatoire au demeurant – de penser une seule seconde que la journaliste concernée pourrait être tentée d’en faire profiter le candidat qui lui est à l’évidence le plus proche, non seulement affectivement, mais aussi idéologiquement. Je le redis, il n’est absolument pas question de cela.

Toutefois, ce qui me semble déjà problématique en soi, c’est juste que par cette nomination, survenant à ce moment politique tout de même particulier, elle se trouve mise en situation de suspicion. Aussi, il m’étonne que, à France Télévision, on n’ait pas su anticiper ce qui, selon moi, – au risque de m’avancer un peu trop – devrait conduire les adversaires à pousser de très hauts cris. Voire à se rouler par terre…  

La chute d’Imane Khelif

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Victoire de l'Algérienne Imane Khelif face à la Chinoise Yang Liu en finale de boxe féminine des 66 kg lors des Jeux Olympiques de Paris 2024 au stade Roland-Garros, à Paris le 9 août © JEANNE ACCORSINI/SIPA

La boxeuse Imane Khelif serait finalement… un homme! Une enquête révèle que sa réalité biologique a été soigneusement dissimulée au grand public: porteuse de chromosomes XY et atteinte d’un trouble rare du développement sexuel, elle aurait été protégée pendant des années par les autorités sportives algériennes et son cas particulier soigneusement ignoré par le Comité Olympique International.


On dispose aujourd’hui des éléments permettant de reconstituer l’étonnant parcours d’Imane Khelif, accusée par de nombreux médias et personnalités d’avoir remporté une médaille d’or de boxe féminine aux JO 2024 de Paris par une imposture. Cette accusation semble aujourd’hui étayée par la concordance entre l’enquête du média en ligne, Le Correspondant, dirigé par le journaliste franco-algérien Djaffer Ait Aoudia, et d’autres documents pertinents.

Une petite fille très sportive

La petite Imane naît dans une famille très pauvre d’une ville reculée d’Algérie. Dès l’âge de six ans, elle se passionne pour le sport, jouant d’abord au football avec les garçons de son village, où elle se distingue par sa robustesse. À 16 ans, sur les conseils du frère d’une amie, elle découvre la boxe au club de Tiaret, à 10 km de chez elle, où l’entraîneur cherche à former une équipe féminine.  

Lors d’une visite médicale de routine, le médecin féminin Nacera Ammoura observe sa poitrine à la pilosité généreuse, lui demande d’enlever son short. Imane se met à hurler, menaçant de parler à son père et de porter plainte.

Le médecin n’abandonne pas, soutenu par ses collègues de la médecine du sport, et décide de savoir si Imane est un homme ou une femme et veut envoyer un prélèvement de sang en France pour effectuer un caryotype. Khelif refuse, et le personnel médical n’a pas les moyens de l’y contraindre. Seule la Fédération algérienne de boxe avait le pouvoir de la mettre face à ses responsabilités. Le docteur Ammoura saisit donc sa hiérarchie, dans un rapport à la fédération d’avril 2018. Le directeur de la Fédération de Boxe décide, après avoir parlé au ministre des sports, d’écarter… le médecin. Un endocrinologue situé à 400 km de distance rédige en septembre 2018 un simple certificat sans résultat de tests : « Bilan hormonal normal… sexe féminin » (document reproduit par Le Correspondant). Imane continue à s’entraîner et multiplie les stages internationaux, notamment à Las Vegas et en Floride, où elle affronte des boxeuses de haut niveau. Chaque fois qu’on met son identité sexuelle en doute, elle brandit son certificat de complaisance. Le jeu continue jusqu’aux Championnats du monde féminins de boxe amateur de New Delhi en mars 2023.

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Cette supercherie apparemment couverte par le Secrétaire Général du Comité Olympique Algérien et par le ministre des Sports algérien fonctionne pendant cinq années d’ascension de « la boxeuse » : en 2018, Imane remporte la 17e place aux Championnats du monde féminins de boxe amateur à New Delhi ; en 2019, elle participe aux Championnats du monde en Russie et aux Jeux africains ; en 2020, elle représente l’Algérie aux JO de Tokyo, atteignant les quarts de finale ; en 2022, médaille d’or au tournoi Strandja Memorial, première boxeuse algérienne à atteindre une finale mondiale à Istanbul (médaille d’argent), médailles d’or aux Jeux méditerranéens (Oran) et aux Championnats d’Afrique (Maputo).

La controverse naît donc en mars 2023, lorsque Imane est disqualifiée des Championnats du monde à New Delhi par l’International Boxing Association (IBA) suite à un test chromosomique qui se révèle XY (masculin). En fait, l’IBA a disqualifié rétrospectivement Imane Khelif et la Taïwanaise Lin Yu-ting des Championnats de New Delhi sur la base de tests médicaux réalisés au cours de ces mêmes Championnats et lors des Championnats de 2022 à Istanbul. Selon l’IBA, « les deux athlètes ne répondaient pas aux critères d’éligibilité requis et se sont avérées avoir des avantages compétitifs par rapport aux autres concurrentes féminines ». Les détails des tests sont restés confidentiels, mais le président de l’IBA, Umar Kremlev, a confié à l’agence russe, TASS, que les deux athlètes avaient des chromosomes XY. Le média en ligne, 3 Wire Sports, a reproduit un extrait du test de New Delhi.

En août 2023, Khelif est néanmoins autorisée à participer aux JO 2024 de Paris dirigés par le Comité international olympique (CIO) qui estime qu’un passeport suffit à établir l’identité sexuelle. Lors des JO, Imane remporte une médaille d’or, battant l’Italienne Angela Carini (par abandon après 46 secondes), la Hongroise Anna Luca Hamori, la Thaïlandaise Janjaem Suwannapheng, et la Chinoise Yang Liu en finale.

Dans le contexte des JO 2024 de Paris, l’affaire déclenche une polémique où l’on accuse des figures traitées de conservatrices comme JK Rowling ou Elon Musk d’entretenir des rumeurs infondées. Imane prétend porter plainte pour harcèlement moral en raison des attaques en ligne et des fuites présumées de son dossier médical. Le paradoxe est qu’elle est soutenue par les partisans du genre qui en font une star LGBTQ+, alors qu’Imane nie être transgenre et affirme être une femme.

Enfin, la vérité éclate

Le média en ligne Le Correspondant révélera en octobre 2024 qu’un rapport du Professeur Young de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre à Paris, daté de juin 2023 et donc antérieur à la décision du CIO du mois d’août de cette année, avait confirmé de nouveau le caryotype XY et diagnostiqué une anomalie génétique, nommée déficit en 5-alpha réductase de type 2. Ce déficit est une condition génétique rare qui affecte la conversion de la testostérone en dihydrotestostérone (DHT), hormone cruciale pour le développement des caractéristiques sexuelles masculines pendant la vie fœtale et la puberté. Avec un déficit en 5-AR2, les organes génitaux externes peuvent ne pas se développer complètement comme ceux d’un garçon, ressemblant plutôt à ceux d’une fille à la naissance, ou être ambigus.

À la puberté, la testostérone, bien que non convertie efficacement en DHT, peut induire des traits masculins comme l’augmentation de la musculature, mais les caractéristiques sexuelles secondaires comme la pilosité faciale et corporelle peuvent être réduites, et les organes génitaux peuvent rester petits. Un déficit en 5-AR2 affecte donc le développement des caractéristiques sexuelles de sorte que les individus puissent être initialement élevés ou s’identifier comme féminins. Le Pr Young constate en outre l’absence de seins et d’ovaires, la présence de testicules de taille normale dans l’abdomen (produisant un taux de testostérone masculin), un vagin court, pas d’utérus et une hypertrophie clitoridienne.

Il faut souligner le fait que le sexe biologique est déterminé par le caryotype (XX ou XY) et par les gonades (ovaires ou testicules). Les individus souffrant d’un déficit en 5-AR2 sont de sexe masculin, car ils possèdent des chromosomes XY et des testicules fonctionnels. L’aspect physique ambigu ou féminisé à la naissance est une conséquence du déficit en DHT, mais n’affecte pas leur sexe biologique. Le déficit en 5-AR2 relève du pseudo-hermaphrodisme, discordance entre le sexe génétique/gonadique (mâle) et l’apparence externe (ambiguë ou féminisée), due au manque de DHT. Dans le vrai hermaphrodisme on a la présence de tissu testiculaire et ovarien chez le même individu, avec des caractéristiques sexuelles potentiellement ambiguës.

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Le Comité Olympique International a reçu le dossier médical du Pr Young, en juin 2023 – fourni par Imane Khelif lui-même. Les journalistes qui posaient des questions sur la condition médicale d’Imane Khelif ont reçu pour toute réponse : « Le comité de sélection ne se base pas sur des analyses médicales et prend des décisions souveraines ». Pourtant, en août 2024, la boxeuse bulgare Joana Nwamerue, qui a affronté Imane Khelif lors de séances d’entraînement à Sofia, affirmait que Khelif était un homme : puissance masculine, techniques masculines… L’équipe de boxe algérienne (qui connaissait le dossier médical) lui a expliqué : « Imane n’est pas un homme. C’est une femme qui vit dans les montagnes avec sa famille et ses parents. Il se peut qu’il y ait un changement au niveau de la testostérone, des chromosomes, etc. » L’air de la montagne a des effets surprenants…

Imane se brûle les ailes

Mais on ne peut continuer à raconter éternellement des fables. Le 30 mai 2025, la nouvelle organisation mondiale de boxe, World Boxing, chargée d’organiser les épreuves de boxe lors des Jeux olympiques de Los Angeles 2028, a publié un communiqué instaurant une nouvelle règle officielle : les athlètes au caryotype XY seront exclus de la catégorie féminine. Le président de la Fédération précise que la boxeuse algérienne devra se soumettre à un test avant de pouvoir participer à toute compétition, à commencer par la Coupe féminine d’Eindhoven du 5 au 10 juin 2025, où Imane Khelif était inscrite, mais ne s’est pas présentée. Le président de la World Boxing s’est excusé plus tard d’avoir cité nommément Imane Khelif. 

Imane, qui était montée trop haut s’est brûlé les ailes comme Icare. La presse, qui a étouffé si longtemps le scandale, continue dans une certaine mesure à le faire. Libération dénonce les « polémiques nauséabondes » alimentées par des spéculations sur le genre de Khelif, alors qu’il ne s’agit pas de son genre, mais de son sexe biologique. Le quotidien britannique le Daily Telegraph a fait preuve de moins d’indulgence, déclarant: « Imane Khelif scandal brings everlasting shame on the IOC » (Le scandale Imane Khelif jette une honte éternelle sur le Comité Olympique International).

L’Algérie semble décidée à arrêter les frais : le ministre des Sports a été remplacé en novembre 2024, et – selon Le Correspondant – on y reproche à l’entraîneur d’Imane Khelif d’avoir facilité la participation de l’athlète aux Jeux de Paris 2024, tout en sachant quelle était sa vraie condition génétique. Il se peut aussi que l’Algérie n’ait pas envie d’entrer en conflit ouvert avec Donald Trump, qui a déjà refusé le visa d’entrée aux États-Unis d’Imane Khelif pour les JO 2028 de Los Angeles.

Gentleman cambrioleur

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Le journaliste et écrivain Angelo Rinaldi prenant la pose en 1995 © BERTRAND/NECO/SIPA

Angelo Rinaldi fut un critique littéraire redouté. D’anciens et (parfois) féroces textes sont republiés. L’œuvre de l’écrivain a été marquée par la solitude, la foi tourmentée et un culte du style, se remémore notre chroniqueur.


Angelo Rinaldi est mort le 7 mai 2025. Sa disparition a suscité de nombreux témoignages touchants, de Pierre Michon à Stéphane Barsacq, en passant par Louis-Henri de la Rochefoucauld. Il était né à Bastia, le 17 juin 1940, un jour avant le fameux appel du général de Gaulle invitant à résister et ne pas coucher avec le pétainisme dont nous ne sommes pas totalement sortis. Rinaldi était gaulliste de gauche, mais anti-Mitterrand, n’oubliant jamais ses origines modestes. Il était devenu le sniper de Saint-Germain-des-Prés, exécutant ce qu’il pensait être les fausses valeurs de la littérature contemporaine. Pour lui, un écrivain, c’était ça : « Une voix, un style, un tempérament, une expérience, un inconscient, des impressions d’enfance. » Le style, surtout. Alors ce salarié de la critique, qui avait débuté comme chroniqueur judiciaire à Nice matin, tirait sur les invalides de l’oreille – car un style, ça se reconnait à l’oreille. J’avoue avoir un peu de mal à évoquer avec détachement Rinaldi, même si je devine derrière son regard noisette – le regard des tireurs d’élite – et ses jugements assassins une grande sensibilité portée sur la mélancolie, et une non moins grande solitude.

Légende noire

J’ai cherché des éléments biographiques sur le net. J’ai trouvé un long témoignage sur le site de L’Express, mais l’un de ses fidèles amis, qui lui a rendu visite à la Fondation Rothschild et l’a accompagné au seuil de la mort, m’a dit que le texte était diffamatoire. Un peu de mal, donc, à en parler, même si son ultime livre, Les roses et les épines, un recueil de ses plus percutantes chroniques, m’y pousse, car mes amis littéraires, ceux qui, avec leurs livres, vous soutiennent dans les moments de dépression, ont été, peu ou prou, malmenés – le terme se veut modéré – par Rinaldi. Je me souviens de la remarque de Michel Déon : « Rinaldi tire sur tout ce qui le dépasse. Et comme il mesure 1m50 ! »

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Dans le recueil, Rinaldi est fidèle à sa légende noire. Il ne loupe jamais sa cible. C’est féroce, le trait d’humour ne manque pas, et c’est, reconnaissons-le, parfois subtil. Rinaldi est un écorché vif, érudit, au fond peut-être pas si méchant que ça. Mais sa souffrance, dont j’ignore exactement l’origine, finit par le rendre exaspérant. Et c’est une erreur, car l’autre face du personnage est plutôt attachante. Je veux parler du Rinaldi romancier. Dans ses critiques, il lui arrive de glisser une confidence. Il faut être attentif, et éviter de tempêter contre lui, quand il dégomme un auteur qu’on révère – Simenon, Sollers, Robbe-Grillet, Claude Simon (grand styliste pourtant), etc. À propos d’Albert Camus, rangé dans la catégorie des auteurs qu’il aime « un peu », il y a cet aveu : « La pauvreté, quand on l’a connue dans l’enfance, avec son cortège de menues humiliations, ayant la même vertu que les sacrements, sépare à jamais de ceux qui ne l’ont pas subie, quelle que soit la suite. » Et d’ajouter : « Il aura manqué au génie de Sartre de ne pas s’être lavé ce que je pense dans l’évier de la cuisine. »

Cambriolages

L’un des fils rouges suivi par Rinaldi, une sorte d’idée fixe, reste le déchirement intérieur que vit le croyant homosexuel ; la foi inébranlable, écartelée par la passion non avouable – et condamnée par le Code pénal jusqu’en 1982. Le seul écrivain, selon lui, qui ait résolu le dilemme de la Croix et de la chair, c’est Marcel Jouhandeau – chaque année je lui rends visite au cimetière de Montmartre. Dans son article daté du 12 août 1974, Rinaldi rappelle l’estime littéraire qu’il porte à l’auteur des Journaliers : « Avec ses malices, ses tourments religieux, son appétit de jouissance, son perpétuel balancement entre les garçons, dont la beauté le damne, et Dieu, dont la beauté l’absout. »

Si Rinaldi, souvent, nous crispe, il lui arrive de nous faire sourire. Par exemple, quand il résume l’œuvre de Le Clézio : « Dans l’ensemble, les ouvrages de M. Le Clézio font songer au bulletin de la météo quand le présentateur annonce une persistance du temps couvert avec passage de très belles éclaircies. » Ou encore lorsqu’il l’achève d’une balle dans la tête en le comparant à « du Saint-John Perse délavé ». Très vite, cependant, notre esprit s’assombrit. À propos de Claude Simon, alors que ses analyses psychologiques ne manquent pas de pertinence, Rinaldi frise la faute de goût : « L’ensemble, à l’exception de quelques moments de lyrisme, est d’un laborieux qui exclut le moindre souffle de grâce. »

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Tout cela, au fond, n’a guère d’importance aujourd’hui. Rinaldi et ses cibles appartiennent à un même monde avec des approches, non plus opposées, mais complémentaires. Ses chroniques nous permettent de garder l’œil sur le meilleur des uns et des autres. Car Rinaldi avait ses écrivains de cœur, à commencer par Céline, dont il a su percevoir l’essence de son œuvre : « (…) il a besoin de l’horrible pour nourrir sa verve, satisfaire son appétit de désastres, (…) il n’est à l’aise que dans la malédiction et la boue dont il pétrit ses livres. » Ce monde, quand Rinaldi était le critique le plus redouté de France – à L’Express, au Figaro littéraire – comprenait environ 10 000 lecteurs – des lecteurs capables de lire aussi bien Gracq que Sollers. Ce « chiffre d’or » n’a sûrement pas augmenté. Il aurait même tendance à avoir maigri. Or l’affaiblissement de la lecture produit de très bons esclaves.

Angelo Rinaldi était très subjectif, il ne s’en cachait pas. Lui qui avait fini par rejoindre les rangs de l’Académie française, après avoir obtenu le Prix Femina en 1974, écrivait, lucide, le 10 novembre 1989 : « Dans le livre qu’on visite – qu’on cambriole, en fait – on laisse ses empreintes digitales aux inspecteurs de la postérité dont le flair ne sera pas forcément supérieur au nôtre. »

Angelo Rinaldi, Les roses et les épines, Chroniques littéraires, Éditions des instants. 272 pages

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De Cannes à France Inter, un festival anti-État juif

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Catherine Deneuve à Cannes © Joel C Ryan/Invision/AP/SIPA

En marge du Festival de Cannes, 900 artistes du cinéma ont publié une tribune condamnant le « silence » sur le« génocide » à Gaza. Parmi eux, Catherine Deneuve. Le président d’Avocats sans frontières n’en est toujours pas revenu.


J’ai beau l’avoir prédit, j’en suis quand même un peu surpris.

Dans mon Journal de guerre, j’écrivais dès le 10 octobre 2023 : « J’entends ici prendre date. Le grand pogrom commis par les islamonazis a trois jours et la vraie riposte d’Israël n’a pas encore commencé. Je ne donne pas encore trois jours pour qu’Israël soit nazifié et les Arabes de Palestine peints en martyrs génocidés. Et le chef de l’armée israélienne ne sera pas Montgomery, mais Rommel. Tsahal sera la Reischwehr. »

Car je connaissais mes classiques : entre une armée de soldats juifs blancs en uniforme et une troupe de terroristes basanés en haillons, je savais bien vers qui le cœur à gauche malade de l’idéologie médiatique n’allait pas tarder à balancer. Le tout fouetté par le Nombre et l’Argent. Et je savais aussi que la riposte juive de l’État pogromisé n’allait pas être plus timide que celle des alliés d’hier au-dessus de l’Allemagne hitlérienne ou de la France occupée, ou plus tard au-dessus de Raqqa. Et je savais aussi que les tueurs de gamins ou les violeurs de femmes se terraient sous les hôpitaux, les écoles et les mosquées, à jouer à qui perd ses enfants gagne.

Mais je suis tout de même un peu surpris. Je savais pour Mélenchon, je savais pour Le Monde et pour Libération. Mais Catherine Deneuve… Qui dans une de ces pétitions où le monde artistique sait montrer son courage depuis l’occupation ose le mot « génocide ». Je ne pourrais plus jamais écouter comme avant l’air des Parapluies.

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Pour le reste, point de surprise. Le Monde reprend les bilans victimaires de la « Défense civile » en dissimulant qu’il s’agit du Hamas. France Inter les reprend comme s’il s’agissait du Journal officiel sans même donner leur source. Et tant pis si j’ai déjà fait condamner cette pratique par l’Arcom. Pourquoi voulez-vous qu’elle s’amende puisqu’elle n’en reçoit pas ? Quant à son responsable de politique internationale, Pierre Haski (ancien de Libération et vice-président de Reporters sans frontières), il a réussi l’exploit journalistique de consacrer mercredi matin un éditorial évidemment et unilatéralement critique à Israël, sans dire un mot sur l’attentat terroriste au cri de « Free Palestine » au musée juif de Washington. Il n’a donc pas pu dire que les deux Israéliens assassinés étaient membres de l’AJC, une organisation progressiste et pacifiste.

Pour finir par France 2, la chaîne enchaînée par l’idéologie, laisse passer sans s’excuser un Ardisson comparant Gaza à Auschwitz, égaré par un docteur Pitti, faux humanitaire mais vrai admirateur du Hamas qui avait, lui, comparé Gaza au ghetto de Varsovie. Ardisson, au moins, a demandé pardon.

Je me console comme je peux en pensant que, pour pouvoir continuer à crier « Free Israël », il vaut tout de même mieux gagner la guerre réelle que l’ingagnable guerre médiatique. 

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Pourquoi les anges volent-ils?

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D.R

Il avait des lettres, mais n’était pas un homme de lettres, enclin qu’il était plutôt, en prévision d’un prochain petit creux, à fourrer des petits fours dans ses poches lors de cocktails qui, pour être mondains, n’étaient en fait point de son monde.

Sa vie, il nous la relata au travers de divers récits tous aussi foutraques qu’endiablés, et toujours vernis à l’acide encaustique comme dirait ma concierge, à l’enseigne de ses différents postes : Vacances en Indo, Vacances à Saint-Tropez, Vacances au Tchad, enfin (de carrière), Vacances au Conseil d’Etat. Par son épouse avait-il ses entrées dans la famille gaulliste, lui-même se classant plutôt parmi les gaulliens critiques. À un moment, s’estimant suffisamment rompu à gratter des arrêts et histoire de se changer les idées (à défaut de pouvoir, on n’a pas dit influencer mais influer sur celles de ses collègues), et alors que la France cherchait à se doter d’un nouveau Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie, il candidata auprès de Dominique de Vilpin, lequel, à défaut d’idées, lui aurait bien fait changer d’air, si le sien d’air, en l’occurrence, – et en toutes les autres que peut bien rencontrer dans sa carrière un haut magistrat de l’ordre administratif -, n’avait été si original.

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En l’espèce, nous retrouvons (feu) notre conseiller d’État, plus sans horaires qu’honoraire, dans la peau du ci-devant Romain de Cherchemidi, en goguette dans un genre Club Med, entouré d’une cour gouailleuse : une Josiane, genre cagole de Marseille sous les traits d’une piquante beurette multifonctionnelle, comme on ne dit plus, une Juliette, sous-préfète de Condom-sur-Baïse, dans le Gers. En arrière-plan (cul ou platonique), comme il se doit, on retrouve au téléphone (portable) la Comtesse, née Diane de Bonneval, alias Théodrade Bichette de Bonménage, Gros Lapin, le bon ami comme on ne dit toujours plus de Josiane, et Monsieur Pichegru, époux légitime de la sous-préfète.

Seules les mauvaises langues et les mauvais critiques soutiendront que cette littérature-là ne mange pas de pain. Au contraire, pour qui sait la lire, a-t-elle la consistance, le moelleux et la drôlerie roborative de la vraie vie délicatement pince-sans-rire.


Dans la même veine (parfois de sang bleu) s’inscrit le dernier opus en date du Petit théâtre de Rouart qu’il nous est donné, quoique différemment, d’apprécier tout autant que le grand.

Ici, sans l’écrire, je dis je. Voici les clefs, opératives diraient certains, qui, à l’unisson du rythme d’un Labiche, d’un Courteline ou, à un moindre degré, de Roger Vitrac, permettent de renvoyer à l’Histoire ou à l’actualité certains personnages. Le Président, c’est ce président de chambre de cour d’appel, du genre grand bourgeois, pas mauvais dans le fond, mais prêt à presque tout pour être promu. On a compris que toute la nuance, ou toute la comédie, ou toute la tragédie, comme vous voudrez (ou, plutôt, comme le voudra le fatum des dieux qui sont en l’espèce l’auteur même) tient dans ce « presque », oscillant entre les termes de ce triptyque qui a nom « mission, compromission, corruption », le tout sous les auspices de l’ambition. Ce personnage, nombre d’entre nous l’ont croisé ou y ont eu affaire. Eugénie, l’épouse du Président, revêt bien des traits de la mère de l’auteur, ce dernier nous écrivant qu’elle « est bonté même » ; c’est là en effet sa signature, et nous la laissons donc sans jugement moral aucun gentiment s’encanailler avec Roman Popovitch, l’immigré de service, « vingt-cinq ans, très beau, SDF yougoslave [yougoslave ? Et pourquoi donc, si ce n’est pas inconsciente réminiscence du Delon de l’affaire Markovic] », bien-nommé homme à tout faire de la maison qui « se lave en plein vent au robinet de la cour. » Chez Pierre, il y a du Rouart au même âge (25 ans), quelqu’un, comme on dit, qui se cherche, et son contraire aussi : une passion pour l’ébénisterie, activité à laquelle Augustin Rouart voulut un temps que son fils se consacra. Virginie, la fille de la maison, a, comme de coutume, fait « peu d’études » et ne connaît que peu de centres d’intérêt. À l’image des jeunes filles de son temps, elle ne voit pas où le mal, pour ne pas dire qu’elle ne voit pas grand-chose.

Après avoir lu ces deux pièces, on songe à ce mot qu’on devrait graver au fronton de tous les cimetières, de tous les théâtres, et qu’aimait à citer Jean d’Ormesson : Pourquoi les anges volent-ils ? Parce qu’ils se prennent eux-mêmes à la légère.


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Catholicisme et communisme

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Valère Saraselski © D.R.

Un roman magistral, édifiant ; voilà ce que propose Valère Staraselski avec Les Passagers de la cathédrale, une sorte de Neveu de Rameau à cinq personnages qui dialoguent sur le catholicisme et le communisme, la vie et la mort. L’extrême gauche radicale et intolérante va râler. C’est fait pour. 


Avec Les passagers de la cathédrale, son dernier livre, Valère Staraselski nous propose une sorte de Neveu de Rameau. Mais ici, ils ne sont pas deux à dialoguer, mais cinq, quatre hommes et une femme : François Koseltzov, un double de l’auteur, Louis Massardier, un ancien universitaire, communiste à l’ancienne, Darius, ami iranien de François (il a passé dix-huit mois dans les geôles de Khomeiny), Thierry Roy alias Chéri-Bibi gardien au musée Carnavalet, et Katiuscia Ferrier, une jeune femme très sensuelle et délicieuse. Ils échangent aux abords de la cathédrale de Meaux, ou au bord du canal de l’Ourcq. Ils évoquent la vie, la mort, la foi, la politique ; ils sont tous chamboulés par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Dans leurs propos, il est souvent question du catholicisme et du communisme, de l’engagement. Explications de l’auteur.


« Un peuple sans mémoire est un peuple sans défense… »

Causeur. Pourquoi ce roman ? Et comment est-il né ?

Valère Staraselski : La littérature sert, me semble-t-il, à montrer ce qu’on ne voit pas très bien. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, en proie à une indicible stupeur mêlée de tristesse et de révolte, moi le communiste athée, j’ai écrit un article Les Passagers de la cathédrale paru dans L’Humanité et La Croix où je disais que « l’intense émotion qui frappe les catholiques s’étend non seulement aux autres croyants mais bien plus largement à celles et ceux en qui les valeurs humanistes sont ancrées. » L’article est devenu un roman-contrepied de contre-vérités sur notre histoire assénées par des politiques à court terme (pléonasme aujourd’hui) et des intellectuels médiatiques triomphants qui commettent l’erreur de penser que l’on peut ignorer notre héritage. Exemple, sur la négation des racines chrétiennes de l’Europe se dresse fort heureusement un Pierre-Henri Tavoillot : « Oui, la civilisation européenne est bien l’héritière du christianisme. Bien sûr cette civilisation européenne a aussi connu le racisme, le sexisme, le colonialisme comme toutes les autres. En revanche, c’est la seule dans toute l’histoire de l’humanité, qui les a dépassés. Or, on s’acharne aujourd’hui à la haïr pour ce qu’elle a été la seule à dénoncer. » Dans la clairière de Châteaubriant où l’on honore toujours les 27 otages fusillés par les troupes d’occupation allemandes en octobre 1941, j’ai appris, très jeune, qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans défense…

Est-ce exagéré de dire que vous faites un parallèle entre le catholicisme et le communisme ?

Dans le roman, je rapporte ce que m’a dit Bernard Marris un soir : « Le communisme n’est qu’un christianisme athée. » Il l’a d’ailleurs écrit. Il y a eu les distanciations et condamnations récurrentes de l’Eglise contre l’émergence, puis contre les expériences communistes. Expériences qui se sont trop souvent révélées, pour le moins, comme des religions sans miséricorde. Mais le communisme ne peut se ramener à une pédagogie établie sur des massacres comme le catholicisme ne peut se réduire à Torquemada ou à l’élimination des Incas. En outre, je constate qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de jeunes, parmi de nombreux autres catéchumènes, militants communistes qui affichent leur foi. L’un d’eux, qui se destine à entrer dans les ordres monacaux, a rédigé la préface de mon Voyage à Assise (N.D.L.R. : Bérénice éditions nouvelles ; 45 p. ; 10 € ; mars 2025). A ce propos, écoutons, Paul Vaillant-Couturier dans Au service de l’esprit en 1936 : « Le capitalisme entend faire du ventre, le principal organe de l’humanité, et transformer l’esprit en marchandise. Sous son règne, toutes les valeurs immatérielles sont devenues des marchandises. Le capitalisme avilit la morale. Il s’attaque aux valeurs les plus sacrées comme un acide. Il dissout la moralité ! Les communistes (…) se sentent très près des bâtisseurs de cathédrales. » En 1970, le dirigeant communiste Jean Kanapa déclarait quant à lui : « Nous ne parviendrons à construire le socialisme en France que lorsque nous saurons intégrer réellement les données positives de la culture chrétienne à celles du marxisme. » Ça vient de loin et de nos jours, ça reprend assez fort.

« Calvin a facilité l’essor du capitalisme »

Vos personnages sont attachants ; plus vrais que nature. Comment définiriez-vous Louis Massardier, « l’homme de la tempête et de la cathédrale » ?

Si les personnages ont de l’épaisseur, c’est que l’écrivain s’oublie pour observer… Massardier ? Une centrale nucléaire de vie, une tour Montparnasse de culture, un maelstrom d’intelligence doté d’un cœur qui bat très fort. Un honnête homme ce Massardier qui lit Marx et Louis Aragon mais aussi Barrès et Alain de Benoist.

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Vous dites de lui que c’est un communiste mais « à long terme ». Qu’entendez-vous par là ?

Les humains ont créé le catholicisme où l’Alliance (invention juive), ce contrat avec une instance supérieure appelée Dieu, est réalisée par le Christ qui lance : « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir.  » Mais le fait nouveau est que l’Alliance selon le Christ a pour moteur l’amour. Si ce n’est pas révolutionnaire, ça ! Massardier, vieux militant communiste français, pense qu’il n’y a pas de raison que nous ne parvenions, à terme, à dépasser la ploutocratie pour une « société réglée » dont parle Antonio Gramsci. D’ailleurs, a-t-on vraiment le choix si nous ne voulons pas que l’autodestruction en cours l’emporte ?

François Koseltov ? Ne serait-ce pas un peu votre double ?

Un peu, oui, il y a longtemps…

Vous égratignez un peu le protestantisme en rappelant – à juste titre – que Calvin serait à l’origine du prêt avec intérêt ; pouvez-vous revenir sur cette affirmation ?

Pour l’Eglise, il fallait prêter sans rien attendre en retour car dans la Bible le prêt avec intérêt est inique aux yeux de Dieu. Dans sa Lettre sur l’usure (1545), Calvin a légitimé l’usure du versement d’un intérêt dans le cas d’un prêt productif servant à financer la création d’un surcroît de richesse. Le Vatican le rendra licite en 1917 et l’Eglise catholique ne lèvera sa condamnation du prêt à intérêt qu’en 1930. S’il ne l’a pas provoqué, Calvin a facilité l’essor d’un capitalisme certes créateur mais aussi prédateur faute de contre-pouvoir…

Quel est votre préféré : Dieu ou Marx ? Et pourquoi ?

Pardon, mais je n’esquive pas la question : Pierre Paolo Pasolini. Parce qu’il a amorcé dans sa vie comme dans son œuvre ce que le philosophe Slavoj Zizek défend : « Oui, le marxisme est dans le droit fil du christianisme ; oui, le christianisme et le marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, les nouvelles spiritualités. L’héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes. » Comment ne pas songer au Compromis historique entre le Parti communiste italien et la Démocratie chrétienne avorté par l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges alliées objectives des intérêts américains ? Si on ne rabat pas tout sur le sociétal et sur une vision anachronique de l’Histoire comme le fait pour l’essentiel la Doxa gauchiste qui occupe des avant-postes médiatiques et a confisqué bien des pouvoirs depuis des décennies, il faut bien reconnaître que l’Eglise catholique, apostolique et romaine contemporaine s’est placée depuis quelque temps déjà dans le camp progressiste. Heureusement qu’elle est là !

L’intolérance ambiante

Quelle est la part de réalité dans notre roman ? Vous résidez à Meaux ; Chéri-Bibi ressemble fortement à l’un de vos amis, gardien de musée… Et les autres (Massardier, Darius, etc.) vous ont-ils été inspirés par des êtres existants ou sont-ils le fruit d’une pure fiction ?

Toute la réalité, rien que la réalité, je le jure, revue et présentée via l’imaginaire. Mais la réalité tout entière dans « le roman où mentir permet d’atteindre la vérité » nous rappelle Aragon.

Jean-Luc Mélenchon, très ému après le témoignage d’une musulmane lors de la marche contre l’islamophobie, Paris, 27 avril 2025 © SEVGI/SIPA

Que pensez-vous de la gauche actuelle ? Et de Mélenchon ?

Quand j’étais jeune, on taxait la droite de la plus bête du monde. Ça s’est inversé. Et salement ! À gauche, le peuple a été évacué, la direction des partis de gauche (à l’exception du Parti communiste profond) sont confisqués par les représentants des couches moyennes supérieures qui, pour se donner le beau rôle, sont prêts à tous les dénis et les compromissions possibles, n’hésitant pas à jouer la logique des extrêmes.  Cette « petite gauche », triomphante aujourd’hui, est limitée et fière de l’être et le paie cash dans les urnes. Mélenchon n’est, selon le mot de Nietzche, que « le comédien de son idéal ». Seulement son idéal n’est commandé que par la vanité. Ce personnage, qui fascine les foules du ressentiment, est donc non seulement vain et destructeur pour son propre camp mais néfaste et dangereux pour la France.

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Ne pensez-vous pas que la société actuelle souffre d’une terrible intolérance ? Les gens d’opinions différentes ne se parlent plus… Contrairement à autrefois juste après mai 68. Pourquoi ?

L’intolérance bien réelle, vous avez raison, est la marque d’un repli qui s’explique, selon moi, par une atomisation de la société où seule la lutte de tous contre tous supplante le besoin de vie commune.

Quels sont vos écrivains préférés ?

En ce moment, Hans Fallada, Panaït Istrati… L’incipit des Chardons du Baragan du Roumain Istrati : « Au ciel et sur la terre, la vie reprenait sa marche, élevait ses chants sincères, appelait au bonheur – pendant que l’homme semait la mort et descendait plus bas que l’animal. »

Un prochain livre ?

Oui, mais les obstacles seront nombreux, alors chut. Si, une chose encore : dans ce monde impossible, un roman est un signe de possible vie.


Les Passagers de la Cathédrale, Valère Staraselski ; le cherche midi ; 246 p.

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Voyage à Assise, Valère Staraselski ; Bérénice éditions nouvelles ; 45 p.

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Jésus-Christ, scénariste hollywoodien

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Arnold Schwarzenegger dans "The Terminator" (1984) © REX FEATURES/SIPA

Pierre Joncquez explore dans son nouvel ouvrage l’influence originale des Évangiles dans le cinéma hollywoodien. Des films populaires des années 80 et 90, apparemment éloignés de tout message religieux, contiennent en fait de nombreuses références bibliques.


Pierre Joncquez vient de publier aux Éditions Salvator un ouvrage sur l’étonnante inspiration d’Hollywood par les Évangiles. L’auteur présente cette hypothèse avec brio et beaucoup d’esprit. 

Malgré quelques controverses sur sa paternité, le cinéma est bien une invention française, et le marché a largement été dominé à ses débuts par les productions françaises et européennes. Mais le retard a vite été rattrapé quand quelques pionniers américains se sont installés sous le soleil californien, dans les environs de Los Angeles, aux côtés des parcelles d’une promotion immobilière nommée « Hollywood », à la recherche de luminosité, mais surtout d’absences de syndicats sur la côte ouest et à l’abri de la pression des taxes du trust Edison qui avait le monopole de la vente de pellicule…

L’immense historien du cinéma, Georges Sadoul (1904-1967) a relaté avec précision les débuts de l’art et de l’industrie du cinéma. Il rappelle notamment ce qu’il nomme « La première crise du cinéma de 1907-1908 » alors que celui-ci stagnait comme un divertissement de foires : « Beaucoup croyaient le cinéma prêt à mourir. Des salles obscures se vidaient et faisaient faillite. La “crise du sujet“ avait sa part dans cette décadence ».

Les Européens vont être dans les premiers à proposer de véritables histoires pour scénariser les films. Les Américains vont suivre et avec le succès que l’on sait, faisant en sorte que Hollywood domine encore de nos jours largement le marché mondial de l’audiovisuel et aussi l’imaginaire collectif…

Pas tout de suite évident…

Mais où aller chercher ces histoires racontées sur grand écran ? Dans un premier temps on se tourne vers la littérature, à l’image du projet français « Film d’Art » pour lequel on fait appel à Anatole France ou Edmond Rostand.

Et quelle plus universelle littérature que celle des Évangiles ? Si tant est qu’on accepte ces dernières davantage comme des biographies antiques…

Il n’est donc pas si étonnant de trouver des éléments évangéliques dans les histoires racontées par le cinéma, surtout depuis que celui-ci est dominé par les États-Unis, un pays qui bien que « laïque », donne une place et une visibilité très importante à la religion, essentiellement chrétienne, dans la sphère publique.

Pierre Joncquez recherche et trouve surtout des références aux Évangiles dans des films hollywoodiens auxquels on ne penserait pas immédiatement – Cela serait trop simple avec « Les Dix commandements » de Cecil B. DeMille (1956) ou « La Passion du Christ » de Mel Gibson (2004)… 

A lire aussi : « Mission impossible, The Final Reckoning » : Ne boudons pas notre plaisir !

Pierre Joncquez cible ainsi des films « cultes », issus de la culture populaire « VHS » des années 80 et 90, qui ne semblent pas forcément avoir de lien avec les Évangiles de « Piège de cristal » (1988) en passant par le dessin animé « Le Roi lion » (1994) et jusqu’à « La soupe aux choux » (1981), oui oui… (Seule exception à l’origine nord américaine des films présentés).


En lisant les chapitres dédiés à chaque film, on peut être sceptique au départ et se dire qu’il s’agit de simples coïncidences, voire de biais cognitifs de l’auteur, car il est toujours possible de trouver des détails dans une œuvre pouvant être orientés dans le sens de notre propos…

Et pourtant, on adhère rapidement aux démonstrations de Pierre Joncquez dont les recherches sont érudites et documentées, tout en n’étant jamais pontifiantes, mais au contraire pleines d’humour – On trouve même un tableau synthétique de la « continuité » entre Moïse, Jésus et… Superman pour sa version cinématographique de 1978 !

À chaque chapitre, on est curieux et en attente de voir comment l’auteur va arriver à nous convaincre de l’influence plus ou moins cachée des Évangiles dans une superproduction hollywoodienne que rien ne disposait à porter un message biblique…

Objectif caché ?

C’est ainsi que l’auteur compare par exemple le film de science-fiction « Terminator » (1984) à l’annonciation, le film d’action « Piège de cristal » (1988) à la Passion du Christ, la comédie « Un jour sans fin » (1993) à la purification de l’âme au purgatoire, etc.  

Peut-il s’agir d’un objectif non avoué d’évangélisation par les majors hollywoodiennes ?

L’influence quasi officielle de la religion dans le cinéma américain appartient normalement au passé. Le temps du Code Hays, du nom du sénateur et président de l’association des producteurs et distributeurs américains, qui a imposé des recommandations morales et une autocensure puritaine au cinéma entre les années trente et cinquante, est révolu.

Mais il peut s’agir d’une sorte de cryptomnésie, la mémorisation inconsciente qui réapparaît, comme cela arrive parfois à des artistes de bonne foi. Ou bien, s’agit-il simplement de la preuve que la Bible reste une influence majeure des scénaristes et « La plus grande histoire jamais contée » du nom du film de 1965 de George Stevens…

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Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

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Le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou s'exprime lors d'une conférence de presse à Jérusalem, le 21 mai 2025 © Ronen Zvulun/AP/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


C’est un dimanche de fin mai sous une lumière grise, dans les allées des Buttes-Chaumont (19e arrondissement). Un homme, au crépuscule de sa vie, habillé avec soin, portant la kippa, me salue et engage la discussion. À la fin de notre échange, nos deux mains se serrent. C’est un lien d’humanité, d’émotion partagée, dans une époque qui peut de nouveau faire la bascule et mener au pire.

Le vieux monsieur aux yeux si clairs voulait me remercier pour mes propos « équilibrés et raisonnables » sur le conflit israélo-palestinien. Il a aussi exprimé son désaccord « total » avec la stratégie militaire du gouvernement Nétanyahou. J’ai écouté et peu parlé. Puis, je nous ai simplement souhaité « le meilleur ». En empoignant mes deux mains, il a répondu : « J’ai espoir… j’ai espoir. »

Alors que le carnage et la dévastation se poursuivent à Gaza, et que les objectifs de guerre du gouvernement israélien ne sont plus la libération des otages, mais l’occupation de l’enclave et de la Cisjordanie, est-il possible de critiquer Israël sans être accusé d’antisémitisme ? De dire que jamais, par le passé, l’extrême droite israélienne, avec Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir aux affaires, n’avait eu une telle influence ? Et qu’avec eux et Benjamin Nétanyahou, le gouvernement israélien est devenu le principal adversaire d’Israël ?

À lire aussi : Israël contre l’islamisme: un réveil pour la France endormie?

Est-il possible de faire la distinction entre les criminels du Hamas, responsables du pogrom du 7-Octobre, et la population civile de Gaza qui vit un véritable enfer depuis plus de vingt mois ? Pour certains, il n’y a pas de civils palestiniens innocents. Tous, y compris les enfants, seraient une seule et même menace, celle d’une Palestine de « la rivière à la mer ». Les terroristes du Hamas n’ont-ils pas beaucoup à gagner face à une telle rhétorique ? C’est ce que je reproche le plus à Nétanyahou : d’avoir fait le choix des islamistes du Hamas et non celui de l’Autorité palestinienne, de n’avoir jamais privilégié une solution à deux États, de poursuivre cette guerre pour se maintenir au pouvoir, d’isoler dramatiquement son pays sur la scène internationale, d’être le Premier ministre israélien d’une monstrueuse défaite politique et morale.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, il faut aussi dire la faillite et le déshonneur des Insoumis et de celles et ceux qui, à gauche, pour des raisons électoralistes, n’acteraient pas une rupture définitive avec LFI. La nazification d’Israël est une saloperie sans nom. Faire de tous les juifs les responsables de la politique du gouvernement Nétanyahou en est une autre. L’antisémitisme n’est en rien « résiduel ». Il est le poison de l’époque qui vient s’il continue à s’installer ici et ailleurs. Si la gauche se cherche quelques combats à mener, celui-ci est à prendre à bras-le-corps, car il dit le monde que nous voulons et celui dont nous ne voulons pas. Il dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas.

C’est déjà pas mal par les temps que nous traversons…

Atlas baisse les bras… et la France aussi 

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Emmanuel Macron au salon viva technology (2025) © Stephane Lemouton/SIPA

Dans la course à l’innovation, la France semble se retirer doucement mais résolument du jeu, se désole notre contributrice, expatriée aux Etats-Unis. La France ne bénéficie ni de l’autoritarisme productif de la Chine, ni du dynamisme individualiste des États-Unis. L’État y est omniprésent mais impuissant. 


Alors que le président de la République participait, le 5 mai, à la conférence « Choose Europe for Science » et qu’il avait accueilli quelques semaines plus tôt, au Grand Palais, « le sommet de l’IA », exemple de planification à la française où l’on se gargarise d’objectifs mondiaux et de promesses d’investissements, une question persiste : ces grandes messes ont-elles réellement le pouvoir de susciter le succès ?

Stagnation

Selon un rapport de l’OCDE publié en mars 2025, la dépense intérieure brute en recherche et développement a baissé en France de 0,5 % en 2023, tandis que la Chine enregistrait une hausse de 8,7 % et les États-Unis une progression plus modeste de 1,7 %.

D’après les données du Nature Index, qui classe les pays selon le nombre d’articles publiés dans des revues scientifiques prestigieuses, la France stagne depuis une dizaine d’années à la sixième place, avec une production en recul constant. Pendant ce temps, la Chine caracole en tête.
Dans le domaine des modèles d’intelligence artificielle, ChatGPT incarne la suprématie technologique des États-Unis, tandis que la Chine concentre 15 % des entreprises mondiales du secteur et arrive en tête des dépôts de brevets.

La France ne bénéficie ni de l’autoritarisme productif de la Chine, ni du dynamisme individualiste des États-Unis. L’État y est omniprésent mais impuissant. Le secteur privé est toléré mais suspecté. Les intellectuels sont admirés mais sous-financés.

Lorsque je découvris La Grève (Atlas Shrugged), dont m’avait parlé une collègue américaine, cette dystopie d’Ayn Rand érigée en hommage à l’individu créateur, je fus d’abord frappée de n’en avoir jamais entendu parler, malgré sa notoriété : il est considéré comme l’ouvrage le plus influent aux États-Unis après la Bible. Je ne m’attendais pas non plus à y trouver une grille de lecture aussi éclairante pour comprendre le déclin de la France en matière d’innovation.

Le titre français, La Grève, est d’ailleurs révélateur. Dans l’imaginaire collectif français, la grève évoque spontanément une lutte sociale, menée par des ouvriers réclamant justice face à des employeurs perçus comme cupides. Or, le roman de Rand met en scène une dynamique tout autre : il ne s’agit pas d’une révolte mais d’un retrait volontaire de ceux qui soutiennent le monde en créant. Les « Atlas », métaphores des esprits productifs et novateurs, cessent d’agir parce que leur attachement à la création matérielle est méprisé. En ce sens, le titre français trahit un malentendu culturel : l’œuvre ne décrit pas une action collective et revendicative, mais une abdication individuelle, presque stoïcienne, face à un monde devenu hostile à l’excellence.

Le vaccin qui n’a jamais vu le jour

Vue d’outre-Atlantique, où je travaille désormais, l’érosion de la France n’est plus une impression diffuse mais une réalité saisissante. L’échec à produire un vaccin anti-Covid, en pleine urgence mondiale, quand les États-Unis, la Chine ou la Russie y sont parvenus, ne relève pas seulement d’un déficit de performance. Il révèle un mal plus profond : la France semble se retirer doucement mais résolument du jeu.

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En pleine pandémie, il n’était pas absurde d’espérer que la France, patrie de Louis Pasteur, figure parmi les nations à l’avant-garde. Pourtant, le vaccin de Sanofi connut des retards avant d’être relégué, et l’Institut Pasteur abandonna discrètement son candidat après des résultats décevants en phase précoce. Certains ont imputé cet échec à la complexité réglementaire, au manque d’investissement ou à un malheureux concours de circonstances. Peut-être…

Dans son roman, Ayn Rand décrit un monde où les créateurs de génie se retirent, non par protestation, mais par lassitude. Fatigués d’être dénigrés pour leur égoïsme matérialiste et entravés par un système qui punit l’excellence et récompense la médiocrité, ils disparaissent.

Un système qui punit l’excellence

La France s’enorgueillit d’un modèle censé conjuguer solidarité sociale et dynamisme économique. Mais en pratique, on se retrouve dans une situation absurde où le mérite, érigé en valeur suprême, devient suspect dès qu’il débouche sur la réussite, notamment financière. J’ai longtemps cru à ce système.  

À mon arrivée aux États-Unis, je contemplais avec méfiance cette société qui valorise intensément le travail, jusqu’à soupçonner les nécessiteux d’être responsables de leur sort. Je percevais cette idéologie méritocratique poussée à l’extrême comme un aveuglement cruel.
Je portais encore en moi cette lecture française selon laquelle le succès est le fruit des privilèges, et la richesse, donc, doit être redistribuée.

Mais il y a en France cette méfiance profonde envers la richesse, renforcée par la Révolution française, qui a désigné les riches comme ennemis a priori du peuple. Qu’ils soient aristocrates d’hier ou bourgeois d’aujourd’hui, ils portent l’héritage d’un ordre injuste.
Il existe peut-être aussi une dimension plus spirituelle. En France, fille aînée de l’Église, l’austérité est perçue comme vertu et la richesse comme facteur de corruption, conformément à la morale catholique. À l’inverse, les États-Unis, héritiers de l’éthique protestante du travail (selon Max Weber), valorisent l’effort comme devoir moral et considèrent la réussite comme le juste fruit du labeur : travailler et innover justifient un revenu plus élevé.

Ce contraste explique peut-être pourquoi, en France, les entrepreneurs doivent se justifier de leur succès, alors qu’aux États-Unis, on leur demande simplement comment ils y sont parvenus.

Logicisme

Dans Atlas Shrugged, Rand tourne en dérision l’éloge de la médiocrité et l’adoration de l’absurde. Elle met en scène un intellectuel vantant la restriction de la commercialisation des ouvrages… surtout ceux qui se vendent trop bien. Cela rappelle certains événements récents en France, où des auteurs confidentiels bénéficient d’une large couverture médiatique tandis qu’une chaîne populaire se voit supprimée.

Plus encore, Rand décrit un monde où, au nom d’un altruisme dévoyé, les dirigeants imposent l’arrêt d’industries prospères, sacrifiant toute amélioration matérielle. Cela rappelle le démantèlement du fleuron nucléaire français, ou encore l’obligation faite à EDF de vendre son électricité en dessous de ses coûts.

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Quand on m’interrogea sur l’échec vaccinal français, je pensai à cette obsession nationale pour les belles théories. À cette manie de préférer l’élégance conceptuelle à l’expérimentation. À ces virologues défendant une stratégie originale mais sans doute difficile à mettre en œuvre dans des délais aussi courts : vacciner par voie nasale. Pendant ce temps, Pfizer, pragmatique, lançait ses essais cliniques sur une technologie déjà maîtrisée. Ce qui manque en France, c’est peut-être cette humilité propre aux entrepreneurs : essayer, se tromper et apprendre de ses erreurs.

Rigidité

Où sont passés nos Atlas français, les Eiffel, Schneider, Blériot, Dassault ? Autrefois, l’innovation passait par l’industrie lourde, aux cycles longs et à fort ancrage national. Aujourd’hui, elle repose sur les technologies dématérialisées et le capital-risque, qui exigent une flexibilité dont la France manque cruellement.

Je ne m’attarderai pas sur la rigidité du droit du travail ou sur le poids de l’administration, déjà dénoncés par Bernard Arnault ou François-Henri Pinault. Je préfère souligner ce qui, dans la culture, bride les esprits créatifs.

Mon parcours, de la recherche en neurosciences à la médecine, puis à la microbiologie, est vu en France comme erratique. Aux États-Unis, il est perçu comme adaptatif et courageux.
Ici, des parents organisent des levées de fonds pour que les élèves créent de vraies mini-entreprises. Gagner de l’argent n’est pas honteux.

J’ai aussi été frappée par la liberté de ton de jeunes techniciens, souvent étudiants, interrogeant un chercheur invité avec une acuité remarquable. En France, nos amphis restent figés et les étudiants notent en silence.

C’est ce climat où l’initiative est valorisée plus que l’évitement de l’erreur, qui nourrit l’innovation. Le drame du vaccin français ne réside pas dans l’absence de talents, mais dans un système qui étouffe l’audace et bride l’imagination.

Vers un réveil ?

La pensée d’Ayn Rand n’est pas exempte de critiques. Son rejet de l’altruisme est moralement discutable, et sa vision dystopique caricaturale. Mais sa défense de l’esprit créateur et sa mise en garde contre les belles âmes qui sacrifient l’individu au nom d’un idéal abstrait restent puissantes. Sa « grève des cerveaux » a déjà commencé en France, non par des disparitions spectaculaires, mais par une migration discrète ou un renoncement intérieur.

Ce qui frappe, c’est le silence autour de ce livre en France. Aucune traduction pendant un demi-siècle. Rand reste méconnue. Même les féministes l’ignorent, alors que son héroïne, Dagny Taggart, refuse de céder, raisonne en termes d’action et incarne une féminité sans culpabilité.

Rand était juive, et dans le judaïsme, l’homme n’est pas fait pour contempler le monde, mais pour le transformer. Atlas Shrugged se moque du fatalisme dont l’intellectuel s’entoure pour justifier son apathie.

Le déclin est-il inéluctable ? Non. La France a su renaître. Mais les réformes ne suffiront pas. Il faut une révolution idéologique. Récompenser ceux qui bâtissent, non ceux qui réglementent. Oser faire, plutôt que planifier.

Sinon, les créateurs continueront de s’éclipser. Et la France, lentement mais sûrement, poursuivra son effacement. Non dans le fracas. Mais dans le silence du renoncement.

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