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Les répercussions de la victoire de Nawrocki en Pologne

Grande analyse de l’élection présidentielle polonaise


Les répercussions de la victoire de Nawrocki en Pologne
L’historien Karol Nawrocki, soutenu par le PiS, a été élu nouveau président de la Pologne. Nawrocki a obtenu 50,9 % des voix, devançant le maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowski, qui a recueilli 49,1 %. Varsovie, 1er juin 2025 © Jaap Arriens/Sipa USA/SIPA

La Pologne semble prête à replonger dans le conservatisme, ou, diront certains à Bruxelles, l’illibéralisme. Un vote de confiance, prévu le 11 juin, apparait comme un quitte ou double pour un Donald Tusk en sursis.


L’élection de Karol Nawrocki, conservateur et pro-Trump, le 1er juin dernier à la présidence polonaise ne bouleverse pas l’équilibre institutionnel du pays. Mais elle marque un retour des conservateurs dans un pays bien plus puissant qu’il ne l’était à la fin des années du parti Droit et Justice (PiS). 

Son élection remet en cause l’élan pro-européen enclenché depuis 2023 par Donald Tusk, ce qui pourrait provoquer une recomposition politique de grande ampleur et déstabiliser l’ensemble du flanc est de l’Union européenne.

Une Pologne redevenue « fréquentable »

La Pologne oscille entre tentations communautaires autour du projet européen et révolution conservatrice d’un peuple qui ne veut pas mourir. 

De 2015 à 2023, le parti Droit et Justice (PiS) a gouverné le pays, portant parfois atteintes à l’indépendance de la justice, à la liberté de la presse et aux droits fondamentaux. En opposition constante avec Bruxelles, Varsovie s’était rapprochée de Budapest, formant avec Viktor Orban un bloc illibéral hostile aux ingérences de Bruxelles. Dans ce duo, la Pologne apparaissait plus puissante, mais aussi plus isolée. Une Europe à deux vitesses entre celle des libéraux et des conservateurs se dessinait alors.

Mais, avec la victoire de Donald Tusk en 2023, qui fut saluée comme un retour de la Pologne au cœur de l’Europe, cette époque semblait révolue. L’ancien président du Conseil européen incarne une Pologne ouverte, libérale, déterminée à restaurer l’État de droit et à réengager un dialogue constructif avec Bruxelles. Ses premiers mois au pouvoir ont permis de débloquer les fonds européens gelés, de relancer la coopération en matière de défense, et de redonner à Varsovie un rôle central dans le soutien à l’Ukraine. La Pologne était redevenue fréquentable, mieux : elle était redevenue stratégique.

Une onde de choc aux conséquences importantes

Karol Nawrocki n’a pas les clés du gouvernement, mais il a celles du blocage. En tant que président, il dispose d’un droit de veto législatif qu’il faut une majorité qualifiée (trois cinquièmes des voix) pour surmonter. Or, la coalition de Tusk ne dispose que d’une majorité simple. En d’autres termes, toutes les grandes réformes (de la justice aux médias publics en passant par l’éducation) risquent désormais de se heurter à une opposition présidentielle déterminée.

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Pour réagir, Donald Tusk a convoqué un vote de confiance, prévu le 11 juin. L’objectif : tester la solidité de sa majorité, donner un signal de fermeté, mais aussi, peut-être, provoquer un électrochoc politique. Car sa coalition est fragile, fondée sur des équilibres instables. Si le vote tourne à l’échec, la perspective d’élections législatives anticipées deviendra réelle. Et dans le climat actuel, les sondages indiquent une dynamique en faveur du PiS, qui pourrait reprendre le pouvoir, cette fois avec l’appui de forces encore plus radicales. Le court épisode libéral de 2023-2025 serait alors effacé par une vague conservatrice assumée. 

Le pire scénario pour Bruxelles

À Bruxelles, cette perspective inquiète. Premièrement, la Pologne pourrait être un nouveau pays politiquement paralysé après la situation de blocage en France, en Espagne et en Allemagne. Si Donald Tusk perd son vote de confiance, le pays pourrait entrer dans une période d’instabilité prolongée avec une future campagne électorale dure. Si, au contraire, sa majorité résiste, il devra composer avec un président hostile, forçant des compromis ou condamnant certaines réformes à l’enlisement. Or, la Pologne, pays dépensant le plus pour sa défense désormais, avait retrouvé ces derniers mois une place centrale dans l’équation européenne, au moment même où l’Union fait face à des défis inédits : la guerre en Ukraine et l’élection de Donald Trump. 

Deuxième crainte, le retour de la vague populiste et néoconservatrice. Karol Nawrocki défend une lecture conservatrice, religieuse et nationaliste de l’histoire polonaise. Très proche des milieux catholiques traditionnalistes, il a, dès son discours de victoire, mis en avant les « racines chrétiennes » de la nation et dénoncé « les tentations idéologiques venues de l’Ouest ». Après la défaite de l’AUR en Roumanie, l’Europe avait cru avoir contenu la contagion populiste, mais la séquence polonaise pourrait relancer l’offensive des droites illibérales avec la Hongrie d’Orban, la Slovaquie de Fico, et peut-être bientôt la Tchéquie (avec des élections en octobre), pour constituer un nouvel axe de blocage. Ces pays, bien que parfois isolés, savent s’allier pour neutraliser les projets communautaires : conditionnalité des fonds européens, sanctions contre la Russie, réforme institutionnelle, etc. Autant de chantiers qui pourraient être bloqués par un axe de refus assumé.

Troisième crainte, au moment où l’Union européenne cherche à s’affirmer comme puissance géopolitique, à renforcer son autonomie de défense et à préparer son élargissement vers les Balkans et l’Est, toute division interne est un coup porté à sa crédibilité. Une Pologne qui bloque, qui réactive ses vieux contentieux juridiques et qui s’isole à nouveau serait une entrave majeure à ces ambitions. D’autant plus que Varsovie est un acteur central de la politique de soutien à l’Ukraine. Si elle change de ligne, ou si elle s’enlise dans une crise institutionnelle, l’impact pourrait être régional.

L’élection de Karol Nawrocki à la présidence polonaise ne doit pas être sous-estimée. Ce n’est pas un simple changement de visage à la tête de l’État : c’est un signal, une alerte, un réveil. Elle montre que le reflux populiste n’est pas acquis, que les équilibres libéraux restent fragiles. Les élections polonaises ont montré que le pays reste divisé entre deux franges que tout oppose. Ce clivage, à l’image de ce qu’on peut observer dans d’autres pays, ne constitue pas une exception polonaise, mais une tendance de fond qu’il ne faut pas prendre à la légère. 

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales 

Marine Audinette, Analyste au Millénaire




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Pierre Clairé est spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe et Directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

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