Le conflit au Soudan oppose les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, soutenues par des islamistes et attachées à un pouvoir central autoritaire, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti, qui se présentent comme favorables à une transition civile et à un État fédéral. Après plus de deux ans de guerre, le conflit est enlisé, les médiations internationales ont échoué, et le pays est plongé dans une crise humanitaire majeure aggravée par des tensions ethniques. Analyse.
Plus de deux ans et deux mois après le déclenchement de la guerre entre les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide, menées par le général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), le paysage soudanais s’enlise dans une crise multidimensionnelle, où s’entrelacent les intérêts régionaux et les dynamiques locales, tandis que les tentatives de médiation internationale échouent face à une réalité politique et sécuritaire d’une extrême complexité.
Selon les estimations des Nations Unies, la guerre a engendré plus de 15 millions de déplacés internes et de réfugiés, tandis que des milliers de personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations militaires incontrôlées. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a qualifié la situation de « l’une des pires catastrophes humanitaires actuelles », avertissant que « le conflit menace de déchirer entièrement le Soudan et d’entraîner toute la région dans une instabilité durable ».
Des médiations piégées : échec récurrent ou absence de volonté ?
En mai 2023, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont lancé l’initiative de Djeddah pour établir un dialogue direct entre les deux parties belligérantes. Bien qu’un accord de principes ait été signé, engageant les parties au respect du droit humanitaire et à faciliter l’acheminement de l’aide, celui-ci est resté lettre morte. Un rapport de l’International Crisis Group (ICG) publié en décembre 2024 souligne que « l’initiative de Djeddah manque de mécanismes de suivi concrets, les engagements reposant uniquement sur la bonne foi des parties ».
Par ailleurs, les efforts de médiation régionaux menés notamment par l’Union africaine et l’organisation IGAD ont échoué, en raison des divisions internes au sein des instances régionales et des ingérences divergentes d’acteurs internationaux aux intérêts contradictoires.
La souffrance des civils : tragédie continue et accusations croisées
Au Darfour, l’une des régions les plus touchées, les populations font face à des menaces répétées de massacres et de déplacements forcés. Le 4 juin 2025, Human Rights Watch a publié un rapport documentant l’utilisation par l’armée soudanaise de bombes non guidées lors de bombardements sur des quartiers résidentiels de la ville de Nyala, causant des dizaines de morts un acte qualifié par l’organisation de « violation flagrante du droit de la guerre ».
Un précédent rapport publié le 25 février 2025 avait révélé un massacre dans le village de Tayba, dans l’État d’Al Jazira, perpétré par des milices islamistes alliées à l’armée. Ce massacre a coûté la vie à 26 civils, majoritairement des femmes et des enfants, et a été qualifié de « crime pouvant relever du nettoyage ethnique ».
Conflit d’intérêts : coup d’arrêt à la transition civile et retour des ambitions islamistes
La crise dépasse désormais le cadre militaire pour refléter un conflit politique interne exacerbé. Depuis le coup d’État d’octobre 2021, au cours duquel l’armée dirigée par Al-Burhan a renversé le gouvernement civil de transition, toutes les tentatives de former un gouvernement consensuel ont échoué. Les islamistes cherchent à rétablir leur influence historique sur l’État, notamment au sein de l’armée et des services de sécurité.
Selon Rosalind Marsden, spécialiste de la Corne de l’Afrique au sein du think tank Chatham House : « L’armée soudanaise n’a jamais réellement rompu avec son alliance avec les islamistes, malgré ses prétentions de neutralité. Des alliances discrètes entre hauts gradés de l’armée et les réseaux de l’ancien régime entravent tout véritable processus de démocratisation ».
Cette collusion suscite l’inquiétude des mouvements civils armés, tels que le Mouvement pour la justice et l’égalité et l’Armée de libération du Soudan – branche Minni Minawi, qui réclament un rééquilibrage politique fondé sur l’Accord de paix de Juba signé en 2020. Cependant, les rivalités autour du partage du pouvoir et des ressources ont paralysé la transition et rendu toute médiation internationale otage de ces divisions internes.
Tensions ethniques et tribales : le Darfour comme miroir des fractures
Au cœur de la crise, le Darfour subit une intensification des tensions ethniques, notamment contre des groupes non arabes tels que les Zaghawas. Un rapport publié par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en mai 2025 indique que le déplacement forcé des populations zaghawas a dépassé les 220 000 personnes en un an, en raison d’attaques menées par des groupes paramilitaires soutenus par l’armée.
Des analystes estiment que cette marginalisation systématique exacerbe le sentiment d’exclusion parmi plusieurs communautés africaines du Soudan, risquant de transformer le conflit politique en guerre ethnique à grande échelle, difficilement maîtrisable.
Entre idéologie et terrain : polarisation extrême sans issue
Les Forces de soutien rapide ont tenté de se repositionner comme un acteur ouvert au dialogue avec les civils. Elles ont exprimé leur disposition à accepter des revendications politiques liées à un État fédéral, à la justice transitionnelle et à un cessez-le-feu une attitude qui leur a valu un certain soutien parmi la jeunesse, les mouvements civils et les courants laïques.
De leur côté, les forces armées s’appuient sur le soutien des islamistes, qui considèrent les revendications civiles comme une menace à « l’identité islamique de l’État ». Le pays se retrouve ainsi face à deux visions opposées : soit un retour à un pouvoir central dominé par une alliance militaro-islamiste, soit une transition vers un État civil pour tous les Soudanais.
Une paix conditionnelle et des paris risqués
Entre initiatives internationales avortées, ingérences régionales ambiguës et divisions locales profondes, l’avenir du Soudan reste suspendu à une équation difficile à résoudre. Sans consensus interne réel ni pression internationale efficace pour imposer des mécanismes de reddition de comptes et stopper l’afflux d’armes, toute tentative d’apaisement restera une solution de façade.
C’est dans ce contexte que l’appel du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, lancé en mai, résonne comme un avertissement stratégique : « Le Soudan n’a pas seulement besoin d’une trêve, mais d’une volonté politique collective capable de reconstruire l’État sur les ruines de la guerre et des divisions. Sans cela, la paix restera un mirage poursuivi par une nation en lente désintégration ».