Au Canada, la fin de « l’exception religieuse » dans la poursuite des discours haineux ne sera pas sans conséquences – et n’est peut-être pas indispensable selon notre chroniqueur.
La haine est fille de la crainte.
Tertullien.
Un peu de mépris épargne beaucoup de haine.
Jacques Deval.
La haine renfermée est plus dangereuse que la haine ouverte.
Denis Diderot.
Nul n’est prophète en son pays. Il fallait donc que l’esprit voltairien se concrétisât aux États-Unis, pays qui est devenu la lumière des nations en matière de liberté d’expression, laquelle est consacrée et protégée, non pas dans n’importe quel amendement de la Constitution, mais, quel symbole, dans le tout premier. Après l’indépendance, on a eu le sens des priorités. Comme le constate de manière indéfectible la Cour suprême américaine, ce texte ne fait aucune exception pour les discours dits « haineux ». Grosso modo, les seules limites sont les menaces et la diffamation visant des personnes spécifiques et le risque de trouble imminent à l’ordre public.
Le Canada constitue bien une société distincte en ce que son Code criminel (suivant peut-être l’exemple français) sanctionne non seulement le négationnisme, mais les discours haineux et incitations de toutes sortes, sauf le moyen de défense suivant (l’exception religieuse) :
« [L’accusé] a, de bonne foi [le mot est bien choisi!], exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument ».
On a dénoncé une lacune dans la loi pénale canadienne que le Parlement canadien vient de combler en abolissant cette exception.
Il est utile de rappeler les événements qui sont à l’origine de cette modification.
A Montréal, l’imam autoproclamé Adil Charkaoui a prononcé des discours en octobre 2023 au cours de manifestations propalestiniennes. Voici (en v.f.) un extrait de son éloquence : « Allah, charge-toi de ces agresseurs sionistes. Allah, charge-toi des ennemis du peuple de Gaza. Allah, recense-les tous un par un puis extermine-les, et n’exclus aucun d’eux ! » (la v.o. n’est malheureusement pas disponible).
D’une part, d’aucuns virent en lui un « extrémiste » appelant « à exterminer les juifs ». D’autre part, l’intéressé a onctueusement répliqué qu’il s’agissait d’un appel à Dieu, et que n’a jamais été prononcé le mot « Juif ».
Au final, nulle poursuite ne fut engagée contre lui. Voici le sybillin communiqué du ministère public :
« la preuve ne permet pas de prouver hors de tout doute raisonnable que les paroles prononcées constituent de l’incitation à la haine à l’endroit d’un groupe identifiable au sens de la disposition du Code criminel applicable, considérant l’interprétation qui en est faite par les tribunaux »
Ce texte vise :
« Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix ».
(Incidemment, on se demande comment l’enquête a pu être aussi chronophage (environ 8 mois) vu que la réponse était évidente au bout de quelques minutes, après simple lecture des textes au regard des faits, qui étaient constants).
Décryptage.
On peut supposer que les procureurs ne sont pas éternisés à envisager un délicat débat d’« identification » politico-sémantique concernant les termes « juifs » et « sionistes », et leur possible chevauchement. Il est permis de conjecturer que la solution fut encore plus simple.
M. Charkaoui rappelle, avec pertinence, qu’il s’est alors borné à adresser sa supplique (qui ne pèche pas par excès d’humanisme) au seul Allah. S’en offusquer, c’est prendre au sérieux un délire qui relève plus de la psychiatrie que du droit pénal; c’est là accorder un peu trop d’importance audit Allah, tant sur le plan de son existence que de ses pouvoirs ou de sa volonté d’intervention sur terre. (La situation eût pu être différente s’il avait lancé un appel aux séides (de chair et surtout de sang) d’Allah à perpétrer des actes de violence). Au minimum, en l’espèce, une « violation de la paix » était tout simplement inconcevable et des accusations ne pouvaient tenir la route plus de cinq minutes.
Le communiqué des procureurs est évasif, mais il est fort probable que l’exception religieuse n’a même pas joué dans cette affaire : on évoque « la » disposition, au singulier, du Code criminel applicable et son interprétation jurisprudentielle. Le serviteur d’Allah en cause n’a exprimé aucune opinion, de bonne ou de mauvaise foi, sur un quelconque sujet religieux, même s’il a invité son Créateur, par sa prière adressée directement à ce dernier, à châtier des mécréants, une démarche sans conteste religieuse (qui s’inscrit dans une respectable tradition plus que millénaire), d’où l’équivoque. Mais qu’importe? Cette confusion, savamment entretenue dans les milieux politiques a… incité le législateur à agir à cet égard. Cependant, il s’aventure ainsi dans des sables mouvants.
Le chef de l’opposition conservatrice, Pierre Poilièvre voit, correctement, dans cette mesure une atteinte plus générale à la liberté d’expression et à la liberté de religion : le nouveau texte « criminalisera des passages de la Bible, du Coran, de la Torah et d’autres textes sacrés ». La réponse outragée du ministre fédéral de la justice Sean Fraser? Il « n’empêchera en aucun cas, à mon avis (sic), un leader religieux de lire ses textes sacrés. Il ne criminalisera pas la foi et, selon moi, suggérer (en v.o., « soutenir » en v.f.) le contraire revient à dénaturer les valeurs défendues par les grandes religions du pays et du monde entier ».
Quelques mots sur ces valeurs.
Il faut inviter le ministre à (re)lire, par exemple, dans l’Ancien Testament, le livre de Josué, un chef d’œuvre en matière d’extermination ordonnée et planifiée. Il n’est plus vraiment d’actualité vu que les Amalécites se font rares au Proche-Orient, encore que certains millénaristes israéliens d’idéologie catégoriquement préhellénistique, y voient une possible source d’inspiration au sujet d’une population plus contemporaine. Par contre, la malédiction visant les juifs déicides (sionistes ou non), prônée par les Evangiles (surtout johannique) depuis deux mille ans, y est toujours bien exposée, même si le concile de Vatican II a décrété une trêve en 1965.
(Petit florilège des enseignements attribués à un (in)certain Yehochoua de Natzrat : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison… Celui qui n’est pas avec moi est contre moi… Le blasphème contre l’Esprit ne sera point pardonné… Quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir, etc. ». On trouvera de nombreux autres messages d’amour du prochain du même acabit, sténographiquement consignés, en compulsant le Nouveau Testament, en vente dans toutes bonnes librairies).
La lettre de la nouvelle loi canadienne réfute donc clairement les rassérénantes déclarations du ministre. Cela dit, la panique n’est pas de mise pour le croyant et le clerc ordinaires : en pratique, ils pourront, la plupart du temps, compter sur la circonspecte cécité des forces de l’ordre, sous réserve de poursuites sélectives, toujours possibles (les juges seront alors appelés à trancher de subtils points de théologie…). Quant aux auteurs mêmes de ces textes, ils sont évidemment hors de portée depuis de nombreuses lunes, expiant leurs péchés pour l’éternité dans les marmites infernales.
Retenons surtout que la nouvelle loi n’a aucune incidence sur la rhétorique Charkaouesque. Tout ça pour ça. (L’obstination de Pierre Poilièvre à réclamer l’emprisonnement du tribun – une manie chez lui, comme le sait Justin Trudeau – révèle une sinistre et incohérente malhonnêteté intellectuelle). Encore que le législateur canadien a quand même fait œuvre utile en donnant une éclairante et bien nécessaire définition de la « haine » : « sentiment plus fort que le dédain ou l’aversion et comportant de la détestation ou du dénigrement ». On comprend nettement mieux maintenant. Dissuasion assurée pour les Charkaoui.
Sur le plan des principes, le législateur canadien, et français, seraient bien avisés de s’inspirer de l’esprit américano-voltairien et, au lieu d’en faciliter la diffusion et le retentissement, de traiter par un silence méprisant les psychoses, « codées » ou non, que les vociférants gourous puisent dans la lecture littérale de légendes et symboles conçus il y a des siècles et des millénaires afin de terrifier le bédouin illettré lambda et ainsi d’assurer la cohésion sociale minimale du kfar, du qarya et de Trifouilly-les-Oies.
Mais autant prêcher dans le désert.
PS. Voici l’émouvant témoignage d’une musulmane opprimée au Québec par la population d’accueil, à savoir les « Kebs » (âmes sensibles s’abstenir) :
« Ils veulent nous assimiler… Mais à quoi exactement ? À boire jusqu’à perdre la raison, à conduire sous influence et à mettre en danger la vie d’innocents? À banaliser les relations sans engagement, à coucher avec tout ce qui bouge, jusqu’à contracter des maladies et briser des familles?, À avoir des enfants avec plusieurs partenaires, au point où parfois on ne sait même plus qui est le père biologique?, Abandonné les parents dans des CHSLD ! [Note : EHPAD en France] Si c’est cela leur modèle, alors non, nous n’en voulons pas. Nos valeurs — la famille, la responsabilité, la pudeur, le respect, la stabilité — ne sont pas un obstacle, elles sont une protection. Mais c’est nos préjugés des antimusulman! Mais nous refusons de nous laisser entraîner dans un mode de vie qui détruit les repères, la dignité et la morale. Nous savons qui nous sommes, et personne ne pourra nous assimiler à un modèle qui ne reflète ni notre histoire, ni notre foi, ni notre identité. »
Hadjira Belkacem une femme fièrement voilée !
Association de la sépulture musulmane au Québec[1]
[1] https://www.facebook.com/photo/?fbid=885357094057657
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !




