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Difficile réveil pour l’anesthésiste Frédéric Péchier

Reconnu coupable de 30 empoisonnements et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans par la cour d'assises de Besançon, le médecin a fait appel vendredi dernier


Difficile réveil pour l’anesthésiste Frédéric Péchier
Frédéric Péchier et son avocat Me Randall Schwerdorffer, Besançon, 15 septembre 2025 © Sabrina Dolidze/SIPA

Je me sens tout à fait responsable pour autant je ne me sens pas coupable.
Georgina Dufoix (lors de l’affaire du sang contaminé, en 1992).

Comparer, c’est comprendre.
Eugène-Edmond Thaller (1851-1918), juriste spécialisé en droit comparé.


Les meurtriers en série semblent être une spécialité plutôt anglo-saxonne et germanique; on ne compte plus les assassinats commis par les disciples du Dr Mabuse et des infirmiers au Royaume-Unis et en Allemagne. Rappelons qu’un illustre prestataire du serment d’Hippocrate, le Dr Josef Mengele, est passé à l’histoire comme digne représentant de la science et de la recherche médicale allemandes.

Au terme d’un procès à grand déploiement, d’une durée de deux mois, après celui de Cédric Jubillar (qui a dit que les Américains exercent encore un monopole en la matière?), le Dr Péchier serait donc l’auteur de 30 empoisonnements, dont 12 mortels, qui auraient été commis de 2007 à 2018. Un scénario digne d’Agatha Christie, et qui rappelle aussi un grand classique du 7e art, « The abominable Dr. Phibes ».

Il faudrait en conclure qu’il y a eu reprise d’une vénérable tradition de ce côté-ci de la Manche et en deçà du Rhin.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur la valeur du verdict, et l’on ne s’étendra pas sur les nombreuses différences entre la procédure pénale inquisitoire à la française, et la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne. En l’espèce, la réflexion sera très étroitement circonscrite à la notion de l’équité procédurale. 

Il tombe sous le sens que, contrairement aux affaires de meurtre « banales » (si l’on ose dire), étaient au cœur des débats des questions scientifiques de très haute technicité. D’où le rôle encore plus déterminant du témoin expert.

Or, en France, les experts sont missionnés par les magistrats et non pas par les parties. Ainsi, selon les savants traités de procédure pénale, l’expert intervient de manière impartiale, mais, en pratique, il a parfois un peu tendance à être plus réceptif aux thèses de l’accusation (toujours de manière subconsciente, évidemment). Cela, au final, lèse l’accusé sur le plan de la théorique égalité des armes.

Deux épisodes précis de ce procès interpellent le juriste anglo-saxon et/ou le comparatiste.

Après avoir fait preuve de bonne volonté au début du procès en répondant aux questions, l’accusé a obtenu de la présidente de la Cour l’autorisation de poser des questions aux experts judiciaires médico-légaux, qui avaient conclu que deux patients « avaient pu être » (on appréciera l’euphémisme) victimes d’une intoxication malveillante à l’adrénaline. Il leur a alors demandé de s’exprimer sur les effets de l’adrénaline lorsque ce produit reste plusieurs jours dans une poche de perfusion, évoquant le cas d’une autre patiente victime d’un arrêt cardiaque suspect.

Coup de théâtre! La présidente Delphine Thibierge lui a alors interdit d’interroger les experts sur un cas abordé quelques semaines auparavant; il devait s’en tenir aux seuls dossiers du jour.

Vu que son droit à une défense pleine et entière venait d’être bafoué, l’accusé a alors rationnellement décidé de ne plus répondre aux questions. Voici l’édifiant dialogue.

SAYNÈTE PREMIÈRE

LA PRÉSIDENTE et LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER,

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, d’un ton ferme.

-Je ne répondrai à aucune question aujourd’hui.

LA PRÉSIDENTE affectant un ton ingénu.

-Pourquoi ?

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, répliquant d’un ton toujours ferme.

-Il m’a été refusé le droit d’interroger les experts sur des questions qui me semblent fondamentales : la durée de vie et l’efficacité de l’adrénaline mélangée dans différentes poches de soluté, surtout quand cette dernière est exposée à l’air, dans le cas d’une poche percée.

LA PRÉSIDENTE, hautaine et hargneuse.

-C’est une possibilité, ce n’est pas un droit.

Choquante révélation pour le justiciable français lambda, qui en a le souffle coupé.

Faisant fi du droit au silence de l’accusé, la présidente se met à le bombarder de questions, qui sont autant de fléchettes au curare.

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, déterminé

-Je garde le silence.

LA PRÉSIDENTE, alors qu’elle venait de lui refuser

les informations qui lui auraient permis de donner le fond sa pensée.

-Dans le cas Bardot, les experts ont conclu à un empoisonnement, qu’en pensez-vous ?


LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, cliniquement.

-Je garde le silence.

LA PRÉSIDENTE, ironiquement.

-Dans la foulée [!], des antidépresseurs vous ont été prescrits, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, imperturbable.

-Je garde le silence.

(…)

LA PRÉSIDENTE d’un air qui se veut compatissant, 

mais qui annonce une messe presque dite.

-Un juré me demande s’il n’est pas dommage de perdre la possibilité de vous défendre ?

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, répond logiquement.

-Je pense qu’un toxicologue doit trancher sur la diminution de l’efficacité de l’adrénaline dans une poche..

LA PRÉSIDENTE, tendant une embuscade.

– Dans le cas Bardot opéré un lundi vous étiez la veille un dimanche à la clinique de 17h17 à 19h20, qu’y faisiez vous ?

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, évitant l’embuscade.

-Je garde le silence.

SAYNÈTE II

Me STÉPHANE GIURANNA, avocat des parties civiles et LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER

Me STÉPHANE GIURANNA

-Avez-vous empoisonné Kévin Bardot ?

LE DOCTEUR FRÉDÉRIC PÉCHIER, qui répond immédiatement et fermement.

-Non!

Me STÉPHANE GIURANNA, qui réplique en tonnant, avec des effets de manche.

-Ces cas vous embarrassent. Vous êtes égoïste monsieur Péchier, vous ne répondez que quand ça vous arrange ! Kévin Bardot, cela fait neuf ans qu’il attend ce moment. Vous prenez cette cour en otage, lâche ! Maître chanteur ! Indigne ! Bravo ! Je n’ai pas d’autre question.

Est assez piquante la dernière phrase, vu que sa dernière intervention ne constituait pas une question, mais un vomissement d’insultes. On peut comprendre que la mission de Me Giuranna consistait à défendre les intérêts de ses clients, mais, à ses yeux, quelle outrecuidance qu’un accusé qui invoque son droit absolu de garder le silence et de ne pas se soumettre comme un mouton à la religion de l’aveu, chère à Tomas de Torquemada! Au Royaume-Uni, cet éclat, qui eût été plus légitime pendant une répétition au cours Florent, lui eût valu une condamnation pour outrage au tribunal (« contempt of Court » en v.o.).

Est nettement plus sinistre le comportement de la présidente de la Cour d’assises. Si celui-là a vulgairement aspergé l’accusé de vitriol, celle-ci a plus insidieusement « cuisiné » l’accusé en saupoudrant sa gamelle de petites doses d’arsenic, dont l’effet cumulatif était inéluctable. Et, élément gênant pour le ministère public, il affrontait un accusé qui, exceptionnellement, pouvait être son propre expert et guerroyer efficacement contre les experts accusateurs. À défaut de chloroforme, on se rabat sur la muselière.

(Pour autant, reconnaissons que la présidente, qui ne néglige aucun détail, s’est quand même judicieusement abstenue de demander la date de première communion de l’accusé).

Si la culture anglo-saxonne constitue un terreau dans lequel peuvent plus facilement s’épanouir les « cériales qui leurrent », elle a au moins produit un système procédural plus respectueux de la présomption d’innocence et des droits de la défense, qui sont dus tant au petit voleur de pommes qu’au dictateur génocidaire allégués, peu importe le caractère de prime abord écrasant des faits reprochés. Cela dit, tous les systèmes judiciaires se rejoignent lorsque l’affaire est médiatique : la machine judiciaire ne sombre alors jamais dans la narcose de l’anesthésie budgétaire.

Le verdict que vient de rendre la Cour d’Assises du Doubs (lequel, à ce stade, ne prouve rien dans un sens ou dans l’autre) ne résisterait pas cinq minutes à l’examen d’une cour d’appel anglo-saxonne. Mais, en doulce France, cadre de Madame Bovary, toute cette sauce frelatée passe comme dans du beurre rance. Cédric Jubillar est en bonne compagnie. Une autre affaire à suivre. Il y aura un acte II, le procès en appel.

Il faut espérer que la prochaine salle d’audience sera une vraie salle de réveil.

Et joyeuses fêtes! Mais gare à l’alcool bu sans modération, qui peut causer un coma éthylique.




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