Un mois après l’assassinat du frère du militant Amine Kessaci, le président Macron s’est une nouvelle fois rendu à Marseille pour déclarer la guerre au narcotrafic en début de semaine
Le 29 octobre dernier au Brésil, à Rio, la police a mené l’opération la plus meurtrière de son histoire contre un cartel. 132 morts, des explosions, des corps mutilés et un bilan tel que l’ONU a demandé une enquête[1]. Voilà ce qui arrive dans un pays qui a laissé prospérer des gangs devenus si puissants qu’ils rançonnent l’eau, l’électricité et octroient des droits de passage arbitraires. En 2025, près de 5 millions de Brésiliens vivent sous la coupe des criminels contre lesquels l’État mène des actions de guerre.
La France prend aussi ce chemin. Depuis 2020, c’est une déferlante des narcotrafiquants et des mafieux qui inondent la France de drogues, d’armes, amassent des fortunes[2] et règlent leurs comptes à coup d’assassinats et de « guerre des gangs » à ciel ouvert. À tel point que les autorités qualifient le phénomène de « narcoterrorisme. »
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Marseille, Toulouse, Grenoble, l’Île-de-France, toute la France est aux prises avec le narcotrafic qui ferait « travailler » 200 000 personnes, majoritairement des jeunes hommes fascinés par l’argent facile, la violence et les films de gangsters américains.
Devenir une marque pour gagner en crédibilité
Contrairement aux « sociétés du silence »[3] qui prospèrent par une discrétion absolue, les nouveaux acteurs du narcotrafic deviennent visibles et jouent le jeu de la communication : DZ Mafia, Black Manjak Family, Yoda … Ces noms sont devenus des marques grâce à leur utilisation des réseaux sociaux pour recruter et faire de la communication. Le plus puissant, victorieux de la « guerre des gangs » en 2023 (49 morts) est la DZ Mafia, qui dirige l’ensemble des trafics du sud de la France et a des ramifications en Espagne, au Maroc, en Italie et en Hollande. Il est surveillé et poursuivi par les autorités qui redoutent un scénario mexicain où son pouvoir serait tel qu’il concurrencerait celui de l’État. D’ailleurs, pourquoi cette mafia réfrénerait ses ambitions ? On n’a jamais vu une organisation criminelle reculer d’elle-même. Il a fallu la vaincre, comme en témoigne la chute de Cosa Nostra et de son capo dei capi, Toto Riina.

Rap et administration
Les narcos ont décidé de diversifier leurs activités en faisant irruption dans le rap français[4]. Le succès financier et le pouvoir des rappeurs en ont fait des cibles de choix pour les mafieux, menant à des extorsions, du chantage et des assassinats ciblés. Le milieu de la musique est devenu la proie de « narcoproducteurs » qui, grâce au silence des maisons de disques, étendent le business des mafias. En revanche, les rappeurs ciblés vivent comme des fugitifs, tandis que les producteurs rechignent à dénicher des talents de peur d’être aux prises avec les gangs.
Enfin, les cas de corruption dans l’administration existent et risquent de se multiplier à mesure que les cartels seront plus riches, plus armés et plus effrayants. En 2023, l’Agence Française Anti-Corruption indiquait que les gendarmes et les policiers avaient enregistré 934 infractions d’atteinte à la probité dont 6% liés au trafic de stupéfiants (greffiers, douaniers). Cela augmente la probabilité de voir des magistrats et des politiques menacés si puissamment qu’ils n’auront d’autres choix que de céder à la mafia. Ce risque est l’un des plus dangereux car c’est l’État qui vacillerait. En somme, c’est l’Italie de la Cosa Nostra.
Que faire ?
Si les mafias progressent en France, c’est parce que l’État ne cesse de reculer sur tous les plans. La faute est générale et concerne aussi bien les consommateurs qui financent ce système, que les élus politiques qui n’ont pas assez fait pour enrayer ce fléau. Les opérations « places nettes » ou « zéro téléphone » en prison, bien que très médiatisées, sont insuffisantes et ne résolvent rien. La politique a ses défauts, notamment ceux de l’immédiateté et des impératifs de communication. Les opérations anti-drogue coûtent chères et prennent du temps avant que l’on en voie les résultats, ce qui va à l’encontre des stratégies de communication des élus qui doivent avoir des résultats rapides à présenter aux citoyens pour les rassurer et s’assurer de leur vote pour une potentielle réélection.
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La France et ses responsables doivent avoir le courage de prendre ce problème de front et ne doivent plus tergiverser. Il faut mener une lutte anti-mafia nationale, ambitieuse et suffisamment financée pour l’être. Il faut qu’elle soit soutenue par tous les élus et les partis politiques. Au-delà des calculs électoraux, c’est un combat national où aucun acteur ne peut rester neutre car, telle la pieuvre, la mafia étend son emprise et son pouvoir chaque jour qui passe. Si nous ne nous prenons pas les décisions qui s’imposent, le risque est que certains pans du territoire français tombent aux mains des cartels. La fiction d’une « Francia Nostra » [5] n’est pas si loin.
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[1] A ce sujet, on peut relire le papier de Driss Ghali : https://www.causeur.fr/rio-les-faubourgs-du-desordre-favelas-comando-vermelho-morts-28-octobre-318167
[2] Entre 3 et 7 milliards d’euros d’après l’OFAST, voir note ici : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2025-01/note-bilan-offre-stups-2023_0.pdf
[3] Voir livre de Jean-François Gayraud, Les sociétés du silence, chez Fayard
[4] Voir le livre de Joan Tilouine, Paul Deutschmann et Simon Piel, L’Empire, chez Flammarion
[5] « Notre France », en référence au nom de l’organisation mafieuse sicilienne « Costa Nostra » (notre chose).
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