Bécassine se souvient de l’émotion, assez pathétique il faut bien le dire, lorsqu’elle avait ouvert sa boîte aux lettres et avait découvert un courrier publicitaire de La Redoute… qui lui souhaitait son anniversaire !
C’était une première et c’était il y a des années-lumière, disons le siècle dernier. Et comme son fils avait oublié, La Redoute au nom redoutable s’était avérée charitable et avait compensé l’oubli filial. Ils sont doués, tout de même, pensa-t-elle une fois calmée, ils savent y faire ! Et comment connaissent-ils ma date de naissance ?! Aucune idée, mais le fait est qu’ils la connaissaient et s’en servaient, avec en prime, l’usage du prénom devenu obligatoire dans notre société, faussement fraternel. Pareil avec le tutoiement. Par exemple, Bécassine aime des gens qu’elle vouvoie et tutoie des gens qu’elle n’aime pas, tout ça parce que dans l’entreprise où elle travaille, on doit se tutoyer. Mais revenons à La Redoute qu’elle n’a plus de raison de redouter depuis qu’elle a reçu cette jolie carte avec des fleurs et une chemise de nuit à moins cinquante pour cent. Depuis, l’idée s’est propagée et tout le monde s’est mis à lui souhaiter son anniversaire et sa fête : Monoprix, Darty, Boulanger, Yves Rocher etc.
Et comme tout le monde s’y est mis, il a fallu, forcément, trouver autre chose, creuser davantage le filon, se creuser par la même occasion les méninges, et trouver l’astuce, la ruse pour faire durer le commerce et l’existence de chacun. Ainsi, ce matin, Bécassine a reçu deux mails, et quelle ne fut sa surprise lorsqu’elle en découvrit le contenu :
Damart : Joyeux non anniversaire.
Darty : Joyeux demi-anniversaire.

On imagine l’effervescence dans les bureaux marketing de Damart. Quoi inventer ?! Il faut du neuf, du jamais vu, de l’innovant ! Et il y a eu un petit malin pour proposer de fêter un « joyeux non-anniversaire » ! Spectaculaire, il faut bien le dire, et pas forcément bien trouvé. Car cela vous renvoie à une inexistence qui, pour peu que vous soyez d’humeur sombre, peut entraîner de sacrés dégâts. Vous imaginez la résonance d’une telle phrase ?! Toutes les fois où on ne vous l’a pas souhaité ! Et si ça se trouve, mes parents ne voulaient pas de moi ?! Bref, souhaiter un non-anniversaire est une ânerie sans nom, ils manquent d’idées les gars de la publicité !
Quant à ceux d’à côté, qui doivent avoir les mêmes publicistes, ils ont trafiqué le machin de telle sorte que ce soit moins dur à lire et à entendre, mais le résultat n’est pas mieux. Souhaiter un demi-anniversaire, c’est comme offrir un demi-gâteau, un demi-cadeau, une chaussette sur deux ; c’est chiche, c’est mesquin, c’est petit ! Et après, ils vont faire quoi ? Ils vont vous souhaiter un tiers d’anniversaire, un quart, un douzième ? Face à tout cela sans compter tout le reste, Bécassine n’a qu’une seule envie désormais : qu’on lui souhaite bon courage… et pas une « belle » journée.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !




