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Beaubourg: on ferme (encore) !


Beaubourg: on ferme (encore) !
Le centre Georges-Pompidou en travaux, juin 2024 © MASTAR/SIPA

Le centre Pompidou ferme ses portes pour au moins cinq ans de travaux. Cet énième chantier s’annonce pharaonique tant le bâtiment de Renzo Piano vieillit mal. Derrière ses façades de verre et d’acier se cache une institution mal gérée, boudée par les visiteurs et dont le bilan culturel est discutable.


Le centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, autrement dit « Beaubourg », entame une longue période de travaux. Cette fermeture a été l’occasion de célébrer un bilan jugé mirifique par une fête grandiose avec feu d’artifice. Il n’est pourtant pas certain qu’il y ait matière à pavoiser : l’institution qui incarne le centralisme culturel est un gouffre financier, elle s’acharne à imposer un art contemporain officiel et sa fréquentation est en chute libre.

Une utopie graphique transposée en bâtiment

Beaubourg, c’est d’abord un édifice inauguré en 1977. L’œuvre de Renzo Piano et Richard Rogers, et surtout de l’ingénieur Peter Rice, s’inscrit dans un courant de pensée porté par la revue anglaise Archigram. Dans la tradition des Piranèse, on y imagine des architectures utopiques, nourries de science-fiction et de pop art. Des villes nomades suspendues à des montgolfières voguent au-dessus de raffineries proliférantes. Cet imaginaire graphique devient réalité à Beaubourg avec d’inédites fantaisies décoratives à base de tuyauteries multicolores.

Les utopies ne vieillissent pas toujours bien. D’abord, les aspects techniques, sans doute traités imprudemment à l’époque, nécessitent des cascades de rénovations. Ensuite, comment ne pas remarquer que cette architecture prétendant incarner le progrès est restée sans suite ? Même ses créateurs ont abandonné cette veine, comme on peut l’observer à la « Cité judiciaire », le nouveau palais de justice de Paris[1]. Il y a aussi le refus assumé d’intégration dans la ville, question toujours discutée. Signalons enfin que Beaubourg demande à être classé prématurément monument historique, mais est-ce une priorité alors que la tour Eiffel ne l’est toujours pas ?

Un dinosaure parisien hors de contrôle

Le centre Pompidou est un établissement public employant plus de 1 000 salariés et doté d’un budget annuel de 130 millions d’euros. Concentrer à Paris des moyens aussi considérables (à l’échelle de la création plastique) a désespéré nombre de partisans de la décentralisation.

Ayant perdu les deux tiers de sa fréquentation initiale, Beaubourg attire environ 2,5 millions de visiteurs par an[2], soit deux fois moins que le musée d’Orsay. Le public, peu attiré par les collections permanentes, vient principalement (aux deux tiers) voir les expositions temporaires, notamment celles ayant pour thème des célébrités (Dali, Magritte, Jeff Koons, etc.). L’institution a beau multiplier les accroches ludiques, colorées, voire subversives, ou encore se mettre à la remorque des grandes idées militantes dans l’air du temps, en règle générale elle ne passionne guère les foules. Les tickets d’entrée n’apportent que 10 % des recettes (60 % pour Orsay). Autre souci : le centre aspire à un rayonnement international, mais comme le regrette la Cour des comptes, « le visitorat du Centre Pompidou demeure majoritairement français, et de surcroît francilien[3] ». À ceci s’ajoutent nombre de dysfonctionnements pointés par la Cour : tutelle ministérielle « insuffisante », archaïsmes administratifs, attributions de primes « sans bases réglementaires », pot de départ à 74 000 euros, etc.

Aussi cher que Notre-Dame

Le centre a déjà dû fermer deux ans pour travaux en 1997. Cette fois, au moins cinq années seront nécessaires. Aux impératifs techniques (amiante, sécurité, etc.) s’ajoutent de nouvelles idées d’équipements culturels et surtout la construction d’un grand site à Massy. En outre, la « marque Beaubourg » entend se démultiplier à travers le monde. Aux 600 millions d’euros prévus s’additionneront les pertes de recettes et des dérapages déjà annoncés. La facture dépassera probablement celle de Notre-Dame (700 millions). Mais contrairement à ce qui s’est passé pour la cathédrale, c’est le contribuable qui paiera.

Extension du domaine de l’art contemporain officiel

« Navire amiral » de l’art dit contemporain en France, Beaubourg s’efforce tout bonnement de faire prévaloir son idéologie à travers la construction d’un grand récit. Ainsi est-il organisé dès son ouverture une série de méga-expositions dont l’objet est de réécrire l’histoire mondiale de l’art français : « Paris-New York »(1977),« Paris-Berlin » (1978), « Paris-Moscou » (1979), « Paris-Paris » (1981). La suite s’inscrit dans ce sillage. Prenons l’exemple de « Paris-Moscou[4] ». Beaubourg missionne alors des équipes pour trouver des créateurs oubliés permettant de construire le récit souhaité, en occultant ou discréditant les autres, citons notamment Nesterov, les frères Tkachev et Deïneka. Accepterait-on d’être privé des films d’Eisenstein ou de la musique de Chostakovitch ?

Les collections permanentes, encore visibles récemment, témoignent de la continuité de cette ligne. L’accrochage y est présenté comme « une référence pour chacun des grands mouvements artistiques des xxe et xxie siècles ». Or, on n’y montre que les courants modernes et contemporains. Une confusion est entretenue entre l’histoire de l’art du xxe siècle – très diverse – et celle de la filiation moderne-contemporaine, jugée seule valable. C’est au point que beaucoup de gens n’imaginent aucune différence entre ces deux notions.

Nombre de collectionneurs débutants sont guidés par leur plaisir. Une association, l’Adiaf (Association pour la diffusion internationale de l’art français), se donne pour ambition de les faire progresser avec l’aide des curateurs de Beaubourg. Ces derniers, omniprésents, prodiguent des conseils, accompagnent des visites, rencontres, voyages, et remettent le prix Marcel-Duchamp. Au total, ce sont 300 grands collectionneurs français qui sont tombés peu ou prou dans l’orbite de Beaubourg.

Certains opposants, comme le blogueur « Nicole Esterolle », demandent un moratoire sur ce genre d’interventions de l’État qui perturbe gravement l’écosystème de la création en France. On pourrait a minima exiger du service public plus de neutralité et de respect de la diversité des opinions artistiques.


[1] Renzo Piano,2017.

[2] Hors bibliothèque hébergée.

[3] « La gestion du centre national d’art et de culture Georges-Pompidou »,Cour des comptes, 2024.

[4] Voir Causeur, n° 67, avril 2019.

Décembre 2025 – #140

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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