À Bruxelles, lors d’un conseil municipal, la socialiste Saliha Raïss a invité les Belges que le voile islamique dérange à dégager.
Lors du dernier Conseil communal, l’Échevine de la très islamique et tristement célèbre commune de Molenbeek, Saliha Raïss, a, dans un français simplifié qui sent bon la connaissance du Coran et très peu celle de Rabelais, expliqué que les Molenbeekois qu’heurte quotidiennement la vue de femmes bâchées comme du mobilier de jardin avant la pluie, pouvaient quitter leur ancestrale municipalité. Charmant ! Rappelons tout de même que si, à l’instar des Pieds-Noirs, la masse des immigrés et leur nombreuse descendance étaient priées de quitter la Belgique, ils ont, eux, un pays où aller. Pas les Belges qui seraient contraints par nos invités du désert de partir !
Gauche décérébrée
Drapée, non de la toge de la vertu mais bien du tchador de la soumission, elle dénonce la présence de commentaires « racistes et récurrents » sous des publications Facebook du MR (Centre droit) local, particulièrement à propos des femmes portant le voile. « C’est du racisme que vous cautionnez et banalisez », assène-t-elle, sortant LE joker de la gauche décérébrée. N’importe quel esprit sensé ne verrait guère de lien entre race et religion, mais discernerait sans difficulté celui qui unit le port du voile au machisme le plus répugnant. Mais Saliha Raïss est une élue du parti Vooruit (socialiste flamand) par la grâce de la flamandisation systémique et du gauchisme culturel qui, l’un et l’autre gangrènent la Région bruxelloise. Elle n’a jamais gagné un centime qui ne soit sorti de la poche du contribuable belge, certes, mais elle détecte avec délectation du racisme dans toute critique du mahométisme, même le plus attardé.
Bien évidemment, le conseiller communal Didier Millis (MR) a mâlement assuré n’avoir jamais cautionné de tels propos. « Je n’ai pas de leçon à recevoir après 30 ans dans l’enseignement. S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est le racisme », affirme-t-il virilement. Non, mais !
Le président dudit MR, le bouillonnant Georges-Louis Bouchez a également dégainé sur « X », dénonçant « une négation de la neutralité de l’État » et s’interrogeant : « Où est le racisme dans ce cas ? Le PS soutient-il ces propos ? ».
A ce jour, on ignore si le PS soutient ce propos, mais ce qui est certain, c’est que le MR, lui, n’a rien trouvé de plus malin que d’envoyer un cheval de Troie musulman à la Commission européenne, en la personne de Hadja Lahbib qui, elle, soutient sans vergogne ce genre de propos et voudrait peut-être même aller plus loin, demandant la criminalisation du blasphème s’il moque l’islam (et uniquement l’islam).
Cette crise molenbeekoise est peut-être l’occasion ou jamais pour le MR de clarifier sa position sur l’entrisme islamique qui vérole toutes nos institutions et de balayer chez lui, dans les coins. Il s’occupera après de Vooruit.
🤯 Voilà la notion de vivre ensemble selon la gauche… 🌹 Cette dame c’est Saliha Raiss, élue sur une liste PS Vooruit, échevine à #Molenbeek. 🗣️ Et elle explique, avec ce rire forcé, nerveux et arrogant que si vous êtes en faveur l’interdiction des signes convictionnels dans… pic.twitter.com/qALMS9E1GD
Thomas Mann publiait son chef-d’œuvre La Montagne magique en 1924
Par quelle ironie prémonitoire Thomas Mann a-t-il baptisé du nom de Berghof le sanatorium alpin où le jeune ingénieur hambourgeois Hans Castorp, héros de La Montagne magique, rejoint Joachim Ziemsse, son cousin tuberculeux, en cure de longue durée dans ces hauteurs helvètes ? Commencé d’écrire dès 1912, publié en 1924, son plus célèbre roman (à moins que ce ne soit la magistrale saga des Buddenbrook, due à un auteur alors âgé de 25 ans à peine, ou La Mort à Venise, nouvelle génialement transposée à l’écran, comme l’on sait, par Visconti en 1971) ne pouvait évidemment anticiper la dimension symbolique que prendrait pour la postérité l’homonymie de la future résidence d’Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises, occupée par ce dernier à partir de 1927.
800 pages bien serrées
La fièvre monte au Berghof, prescience de l’hécatombe de la Grande Guerre, dans le microcosme de cette station de Davos où la phtisie décime les patients, allégorie du mal rampant qui ronge la civilisation européenne, et dont le thermomètre fixe la mesure clinique : « Joli comme un bijou, l’instrument en verre reposait dans un écrin de velours rouge capitonné, dont le moulage en creux épousait parfaitement le profil. Les degrés étaient figurés par des traits rouges, les dixièmes par des traits noirs. Sous les chiffres rouges, la partie inférieure, qui allait en se rétrécissant, était pleine d’un mercure à l’éclat miroitant dont la colonne fraîche était basse, bien inférieure au degré normal de la chaleur animale… »
Cette prose vertigineuse est admirablement restituée dans la récente traduction de Claire de Oliveira. Elle coule ses mélodieux arpèges dans un très beau volume nappé de blanc, paru en 2016 sous les auspices de Fayard – presque 800 pages bien serrées. Consacrée par l’usage, millésimée 1931 tout de même et maintes fois rééditée depuis, la première traduction de feu Maurice Betz avait figé pour longtemps Der Zauberberg en français dans un classicisme élégant, qui estompait la drôlerie, la saveur acide, l’ironie mordante du fécond écrivain natif de Lubeck. Voilà donc rafraîchie, pour le lecteur non-germaniste, cette langue du monde d’hier, musicale entre toutes.
Trois documentaires sur Arte
Dans la langueur estivale, votre serviteur a donc revisité cette envoûtante Montagne magique, transcrite à nouveaux frais, pour s’étonner d’ailleurs que notre temps, si avide de commémorations improbables, ait à ce point négligé de fêter en 2025 le centenaire de quelques éminences, quasiment passées à la trappe, tels Pierre Louÿs ou Erik Satie, sans compter l’oubli caractérisé du bicentenaire de Dominique Vivant Denon, l’auteur du délicieux Point de lendemain et inspirateur du musée du Louvre.
Trêve de digression, Thomas Mann (1875-1955) a beau incarner en quelque sorte le ‘’Goethe’’ du XXème siècle, il n’a droit quant à lui, en guise de célébration pour le cent cinquantième anniversaire de sa naissance, qu’à trois documentaires en accès libre sur Arte. Couronné par le Prix Nobel en 1929, le grand homme demeure statufié dans sa posture d’humaniste bienséant, transfuge de l’hitlérisme – rappelons que Mann s’exile du Reich nazi dès 1933, d’abord en Suisse puis aux Etats-Unis, se voit déchu de la nationalité allemande en 1936, devient citoyen américain en 1944, mais retournera vivre en Europe où s’achève sa longue vie.
Les exégètes et médias ne se bousculant pas au portillon de l’hommage rétrospectif sensément dû au fabuleux romancier de Tonio Kröger, de Joseph et ses frères ou du Docteur Faustus, également essayiste (cf. Wagner et notre temps, Goethe et Tolstoï, etc.), il faut saluer la réédition du Cahier de L’Herne qui lui était consacré en 1973, sous la direction du regretté Frédéric Tristan (1931-2022), l’auteur épatant, aujourd’hui trop délaissé, du Dieu des mouches ou du Singe égal du ciel.
Dans le grand format « bottin » de la collection, le présent Cahier réunit nombre de riches études : sur Thomas Mann et son frère Heinrich (par André Banuls), par exemple ; sur La phrase ‘’mannienne’’ ou La Maladie (par Michel Deguy), ou encore sur Thomas Mann et la traduction (par Louise Servicen) ; sur son commerce avec André Gide (par Janine Buenzod)… Feu le pape de l’existentialisme chrétien Gabriel Marcel y traite de l’influence de Nietzsche sur son œuvre. S’y insère également quelques pages d’une correspondance de Thomas Mann avec le chef d’orchestre Bruno Walter ; tel extrait du Journal de Charles du Bos millésimé 1926 ; un article de l’élégant critique et académicien Edmond Jaloux, figure alors incontournable ; un échange de discours à la Sorbonne entre Thomas Mann et Maurice Boucher en 1950 ; les réflexions du jeune Mann sur La Mort dans son Journal de l’an 1897 ; les conférences qu’il donna sur Goethe en 1937 devant la Société des Nations… Un Dialogue sur le malaise, beau texte signé du Tristan susnommé, voisine avec les très émouvants Appels aux Allemands où, depuis sa terre d’exil, Mann, à la radio, exhorte ses compatriotes à résister: « L’Allemagne hitlérienne n’a ni tradition, ni avenir. Elle ne fait que détruire et c’est la destruction qu’elle connaîtra, clame-t-il lucide, dès avril 1942. Puisse-t-il renaître de sa chute une Allemagne qui sache se souvenir et espérer, à laquelle il soit donné d’aimer, en regardant en arrière, ce qui a existé jadis et, en avant, vers l’avenir de l’humanité. Ainsi, au lieu d’une haine à mort, elle méritera l’amour des peuples ». En 1945, Mann célèbre avec la défaite « l’heure du retour de l’Allemagne à ce qui est humain ».
Remarquable jalon de ce Cahier de l’Herne décidément bienvenu, dans un texte de haute tenue, Marguerite Yourcenar évoque « la phrase même de Mann, cette phrase un peu lente, parfois lourdement descriptive, traînant avec elle dans le dialogue les précautions oratoires et les formules courtoises d’un monde révolu, […] moins hermétique qu’exégétique ». Elle avance avec beaucoup de justesse qu’ « il serait vain d’expliquer l’œuvre de Mann par une série de réactions aux drames politiques de son temps. On peut même dire, ajoute la romancière des Mémoires d’Hadrien, que cet écrivain en particulier a adopté vis-à-vis des événements la même attitude à demi distante qui fut celle de Goethe et d’Erasme à l’égard du leur ; si ces livres, conclut-elle lumineusement, contiennent en eux, comme des miroirs concaves, une image concentrée de l’Allemagne des cinquante dernières années, c’est précisément parce que l’auteur a refusé de mêler aux procédés du roman les procédés du journalisme ». De Mann, dans un autre texte intitulé La rencontre avec le démon, Maurice Blanchot écrit subtilement qu’ « il s’effrayait de donner raison, sous quelque forme que ce soit, aux puissances nocturnes avec lesquelles, courageusement, il a refusé de frayer dans le monde, mais dont il pressent qu’écrivain et poète, il est à leur merci, car il leur doit, comme tout artiste véritable, une grande part de sa puissance créatrice et de sa profondeur humaine » […] « – pressentiment redoutable, énigmatique, où se joue l’ambiguïté de la destinée créatrice, – qui fait de toute l’œuvre de Thomas Mann, et peut-être de toute œuvre, une approche de la tragédie faustienne ».
On est tout de même en droit de regretter qu’exhumé à bon escient ce mémorable et bien solitaire Cahier de l’Herne n’ait pas été, plus d’un demi-siècle après sa parution, enrichi de contributions inédites. Signe de la désaffection des grands classiques, en 2025, par les chercheurs contemporains, à l’adresse d’un lectorat chaque jour plus clairsemé ?
A lire :
La Montagne magique, roman de Thomas Mann. Traduction de Claire de Oliveira. Fayard, 780 p., 2016.
A voir : documentaires Thomas Mann et les Buddenbrook (54mn) ; Thomas Mann for ever (30mn) ; La Montagne magique – Thomas Mann et son roman emblématique (53mn). Sur Arte TV, en accès libre.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
« J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux », disait l’humoriste (!) François Mauriac. En ce qui me concerne, de nos bons amis d’Outre-Rhin, j’apprécie la bière, certains vins blancs, la choucroute, certains musiciens et écrivains. Et j’adore les magasins Lidl. Il y en a justement un près de mon domicile ; je m’y rends souvent car c’est beaucoup moins cher que dans d’autres grandes surfaces qui affichent des prix délirants et qui se fichent carrément du monde. Ma Sauvageonne s’y rend aussi souvent, mais dans un autre car, vous l’avais-je dit, lectrices et lecteurs adulés, nous faisons tanière à part. L’autre jour, alors que je me trouvais sur le parking de l’enseigne teutonne à deux pas de chez moi, mon attention fut attirée par un livre qui gisait, mal en point, entre deux voitures. Il s’agissait des Lauriers roses, de Joseph Kessel. Que faisait-il là ? Mon imagination se mit en branle. Je voyais l’opus tomber de la portière d’une voiture, victime d’un automobiliste lecteur et distrait. Je l’apercevais entre les mains d’un SDF qui le lisait entre deux séances de mendicité près de l’abri des caddies ; l’homme, féru de littérature, prénommé Robert, exerçait la profession de professeur de français dans un lycée catholique de la ville avant de déchoir, de divorcer, de s’abîmer la santé aux anis et au vin rouge de qualité médiocre en bouteilles plastique. Enfin, j’imaginais Yvonne, notre jument bien aimée, que j’avais initié aux plaisirs de la lecture. Mais je me repris bien vite car, elle m’avait confié que ses écrivains préférés restaient Roger Vailland, le résistant-communiste libertin au style morandien, et Kléber Haedens, le monarchiste éclairé et tolérant. À moins que, curieuse comme elle est, elle se fût rapprochée de Kessel qui, en 1936, fit travailler le créateur des Mauvais coups, dans Confessions, l’hebdomadaire illustré qu’il venait de fonder… J’abandonnai le livre, attrapai un caddie et fonçai vers le rayon bières pour me saisir de deux Perlembourg, 50 cl, vendue au prix de 0,60 € l’unité, une dépense dérisoire pour accéder au nirvana de l’ivresse légère et de l’oubli temporaire de notre brutale société. Mes petites courses faites, alors que je me rendais à ma voiture, je fus pris d’un remords et me dirigeai vers l’endroit où Joseph gisait. Il n’était plus là. Disparu. De retour chez moi, je fis une recherche sur Internet afin de savoir ce que racontaient ces fameux Lauriers roses. Je tombais sur un texte de présentation de Folio qui en dit ceci : « Ce troisième volume du grand roman de Joseph Kessel nous montre Richard Dalleau devenu, en 1922, un avocat réputé et recherché. Les affaires fructueuses et retentissantes viennent à lui, dont chacune ajoute à sa gloire. En même temps, il se plonge avec frénésie dans les plaisirs violents. Il veut, semble-t-il, épuiser tout ce que la vie parisienne offre de jouissances – souvent frelatées – au lendemain de la guerre, mais son appétit est tel, et sa robustesse si grande, que ces jouissances semblent inépuisables. Tout un monde de joueurs, de buveurs d’intoxiqués gravite autour de lui, et il en respire l’atmosphère avec délices. Il laisse carrière à son goût pour les femmes, et il éveille en toutes celles qu’il approche une passion profonde, aussi bien chez les pures comme la douce Christiane de la Tersée que chez les corrompues comme Geneviève Bernan. Indifférent aux drames que sa sensualité suscite, il va toujours de l’avant, brûle les étapes, entraîne son frère Daniel dans cette course, pour tout autre épuisante… » Je me mis à espérer qu’Yvonne, ma jument littéraire et dipsomane, n’eût pas lu ce roman où baguenaudent, mélancoliques et désespérés, « des buveurs intoxiqués »…
Monsieur Nostalgie aura passé tout l’été devant son poste de télévision à regarder du sport et ce n’est pas fini, car la Coupe du Monde féminine de rugby à XV bat son plein en ce moment en Angleterre.
Au 31 août de cette année, je n’ai jamais été aussi affûté. Mordant. Presque carnassier sur la page blanche. D’habitude, avant la reprise de septembre, j’ai le souffle court et le pas fainéant du travailleur devant la porte de son usine. Par le passé, trop souvent, je capitulais à la vue des romans toujours aussi nombreux, toujours aussi volumineux qui encombraient mon bureau et qui minaient mon moral estival. La rentrée littéraire et ses nouveautés sont les devoirs du critique professionnel. Le foncier du coureur d’endurance. La sueur du lecteur assermenté. Son sacerdoce. Trop de livres qu’on lira avec déplaisir et trop de mots mal ajustés qui nous feront croire à une épidémie dyslexique. Chacun sa croix. En 2022, j’ai même failli abandonner le métier pour raison de santé. Plus la force, plus le goût à tenter de comprendre la prose des autres, la mienne m’étant déjà assez étrangère comme ça. J’avais épuisé mes ressources physiques et le mental ne suivait plus. Il me fallait un électrochoc. L’envie d’avoir envie. Certains confrères m’ont conseillé la sophrologie, l’hypnose, la cryothérapie et même un stage en altitude. Je n’éliminais plus l’acide lactique des kilomètres de pages avalés dans la douleur et l’effort. J’ai dû revoir totalement la façon de m’entraîner et d’envisager mon activité. D’abord privilégier les courtes distances, ne jamais s’aventurer sur l’ultratrail des 400 pages, ensuite alterner les genres, ne pas enchaîner plus de trois autofictions par semaine sous peine de burn-out et évidemment arrêter les ouvrages « écrits » par des hommes politiques. Cette drogue-là est pire que la malbouffe, elle vous bouche les artères. On devrait même condamner les éditeurs qui persistent dans cette carambouille.
Mais cette année, je pète le feu. Donnez-moi du Angot, du Ernaux, du Nothomb ! Même pas mal. J’encaisse. Cette résistance, je la dois à un été entièrement passé devant la télévision et notamment sur le service public qui dans le domaine du sport accessible à tous, c’est-à-dire « gratuit », propose un spectacle de qualité. Ne pas le reconnaître est faire preuve d’aveuglement idéologique. Quel autre groupe est capable de produire autant d’émotion et diffuser en intégralité des événements internationaux avec des rédactions et des moyens techniques conséquents ? De Paris-Roubaix aux Mondiaux de natation en passant par Roland-Garros et les 24 Heures du Mans, France Télévisions ne démérite pas sur le terrain du sport. L’information en continu qui commente à bas coût et demeure d’une pauvreté créatrice sans nom ne peut décemment rivaliser sur ce champ-là. Quand l’une est une chambre d’écho lointaine, l’autre fait l’actualité. Les images ne mentent pas. J’arrive donc début septembre galvanisé par mes deux « Tour de France ».
En termes de puissance narrative, d’intensité, de feu dans les jambes, je ne départage toujours pas la montée de la rue Lepic de Pogi avec Pauline à la Plagne. Rohmer est battu sur la ligne. Dalida ne veut plus mourir sur scène. La Grande Librairie devrait s’inspirer de cette dramaturgie-là pour choisir les invités de son plateau. Les coureuses du Tour de France ont enflammé la fin de ce mois de juillet par leurs performances et ont fait grimper notre niveau d’exigence. Il n’y a pas eu de guerre des sexes mais un seul vainqueur, le cyclisme professionnel si souvent et abondamment décrié. De la Bretagne à la Savoie, le vélo fut roi et reine. La classe de Ferrand-Prévot a quelque chose de magique et de communicatif, tout le contraire du marigot de nos assemblées. Quelque chose de sincère, frais, puissant et enlevé. Un panache à la française, une démonstration éclairante, l’éclatante vérité d’une championne. J’espère que son coup de pédale sera l’objet de rédaction dans toutes les écoles de France. Que des instituteurs inspirés demanderont à leurs élèves de raconter le col de la Madeleine comme jadis Le coup de foudre dans l’Aubisque de Merckx délayait les plumes Sergent-Major.
Cet automne, dans les cours de récréation, on parlera encore des exploits des Brestoises, Maëva Squiban et Cédrine Kerbaol. Et l’on se souviendra qu’à Châtel, le dimanche de la 9ème étape, jour du sacre en jaune de Pauline, Jeannie Longo, la discrète, l’indispensable, la pionnière était là. Alors, on se rappellera d’où vient le cyclisme féminin, ce qui l’endura et supporta. La longévité de Jeannie nous fera penser à Mélina Robert-Michon, championne de France du lancer du disque pour la 24ème fois. Je crois que les records sont le meilleur remède au blues du chroniqueur littéraire.
Il suffit, aujourd’hui, de lever un sourcil devant une image, de laisser tomber une parole de doute, pour être jeté dans l’enfer symbolique de l’« extrême droite ».
Non pas celle de l’histoire, avec ses chemises noires ou ses régimes criminels, mais une extrême droite spectrale, imaginaire, forgée par les prêtres d’une religion nouvelle : la religion des victimes sacrées.
Voyez Gaza. Quiconque ose dire que les photographies d’enfants squelettiques à côté de mères obèses aux joues rebondies ne suffisent pas à prouver une famine générale est aussitôt jeté au bûcher médiatique. Celui qui rappelle que le Hamas fabrique de la mort avec ses boucliers humains est voué aux gémonies. Celui qui observe que les mots « génocide » ou « extermination » sont des hyperboles sans pertinence juridique se retrouve classé, au mieux, parmi les indifférents, au pire, parmi les complices.
Ainsi s’abolit le droit même de regarder, d’interroger, de discerner. On ne voit plus. On croit.
Le grand classement
Il en va de même pour tout ce qui touche aux plaies de notre temps.
• Dire que l’immigration massive bouleverse la société française : extrême droite.
• Constater l’ensauvagement des villes, l’impossibilité de vivre dans certains quartiers : extrême droite.
• Exiger que la loi soit appliquée, que les criminels soient punis : extrême droite.
Même logique sur le plan international :
• Défendre le droit d’Israël à exister : extrême droite israélienne.
• Douter des fables de famine totale à Gaza : extrême droite sioniste.
• Évoquer le rôle de l’Iran dans l’embrasement du Proche-Orient : extrême droite américaine, « néo-conservatrice ».
Tout se résume à un réflexe pavlovien : les prêtres de l’indignation désignent, classent, excommunient.
Une guerre civile dans les têtes
Ce n’est plus la politique, mais la liturgie d’une démocratie mourante. Les mots ne servent plus à discuter, mais à exclure. La nuance n’est plus qu’un vice. La vérité n’est plus une recherche, mais un catéchisme. On ne demande pas : « Que s’est-il passé ? Quelles sont les preuves ? » On exige : « De quel camp es-tu ? »
Ainsi se fabrique une guerre civile mentale, plus redoutable que celle des armes, car elle ronge les consciences. Dans ce monde de l’amalgame, l’esprit critique devient un blasphème. Douter, c’est trahir. Examiner, c’est nier. Demander des preuves, c’est se compromettre avec l’ennemi.
La décadence occidentale
Tout cela ne dit pas seulement la violence des passions politiques. Cela dit la fatigue spirituelle de l’Occident. Cet Occident vidé de Dieu, qui n’a plus que les idoles de l’humanitaire et les cultes de substitution. Cet Occident qui transforme chaque conflit en un Golgotha médiatique, chaque enfant en icône, chaque ruine en relique.
Mais ce monde de larmes et d’anathèmes n’a plus de colonne vertébrale. Il ne croit pas à la vérité, seulement à l’émotion. Il n’aime pas la justice, seulement la mise en scène de la souffrance. Et il se condamne ainsi à errer dans le simulacre, à n’être plus qu’un théâtre d’ombres où l’on rejoue, jusqu’à la nausée, la comédie du Bien contre le Mal.
Le doute comme crime
Il n’y a pas de salut dans ce monde sans nuance. Celui qui doute devient le pestiféré moderne, le réprouvé, celui qui porte la marque maudite de l’extrême droite. Non pas parce qu’il rêve de dictature ou de haine raciale, mais parce qu’il refuse l’aveuglement.
Le doute, jadis vertu cardinale de l’esprit occidental, est devenu un crime. Le soupçon rationnel, l’examen, la recherche d’une vérité qui ne soit pas seulement le fruit d’une propagande, sont bannis. On ne discute pas avec celui qui doute : on le désigne, on l’expulse, on le réduit au silence.
Épilogue
Il reste alors cette évidence tragique : l’Occident ne se bat plus contre ses ennemis, mais contre lui-même. Son vrai combat n’est pas à Gaza, ni dans les banlieues, ni face à ses frontières. Il est dans sa propre incapacité à tolérer le doute, à accepter le conflit comme épreuve de vérité.
Un monde où l’on ne peut plus dire qu’une mère obèse contredit l’image d’un enfant famélique est un monde qui a déjà choisi la cécité. Un monde qui a perdu le droit de voir.
L’hôtel abbatial de Lunéville (54), bien connu de nos lecteurs, nous enchante encore une fois ! Sa dernière exposition, conçue, réalisée par Jean-Louis Janin Daviet et les gens qui l’entourent, nous entraîne dans le sillage de voyageurs, qu’on peut légitimement qualifier de Grands Touristes. Lancés sur les routes du vieux continent par un mouvement « d’admiration », des pèlerins de l’art et des Antiquités grecques et latines achevaient par l’exemple leur apprentissage des humanités et, in situ, leur initiation à la Beauté : « Mon idée des Romains s’est bien accrue par la vue de leurs édifices[1]. »
Grand voyage plutôt que Grand Tour
Il n’est pas inutile de convoquer quelques-uns des plus prestigieux voyageurs qui ont brillamment incarné la curiosité occidentale pour l’horizon toujours fuyant. Certes, l’esprit de conquête et d’accaparement, l’intérêt des empires, la fièvre de l’or, le lucre tiré des épices ne sont pas étrangers aux expéditions, mais il est arrivé que le commerce des denrées favorisât celui des idées.
Marco, grand « routard»
Dans l’ordre du voyage périlleux, avant le très subtil Jésuite Matteo Ricci (1552-1610) lui aussi passionné de la Chine, et après le franciscain Jean de Plan Carpin (1181 ?-1252) qui le précéda chez les Tartares, paraît dans la galerie des très illustres « routards » supérieurs Marco Polo (1254-1324). Un peu plus qu’explorateur, il fut Vénitien par naissance, marchand par destination, ethnologue par hasard, géographe sans y penser, journaliste sans le savoir, diplomate du Grand Khan, encyclopédiste et mémorialiste par plaisir. Cependant, si sa « tournée » l’entraîna fort loin, elle ne constitue pas exactement ce que les Anglais appelèrent, au XVIIe siècle, le Grand Tour.
Le Tintoret, Mariage de la ViergeHubert Robert, Lavandières (détail)
Montaigne, un grand tour… sur lui-même, avec tous
Avec Montaigne se dessine la silhouette de l’Européen moderne, analyste de ses sensations, certes attaché à ses racines, mais fort curieux de savoir jusqu’où elles s’étendent et, parfois, où elles naissent. Sa définition du voyage n’aura point navré les personnages présents dans les galeries de l’Hôtel Abbatial : «[…]le voyage me semble un exercice profitable. L’âme y a une continuelle exercitation, à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Et je ne sache point meilleure école, comme j’ai dit souvent, à façonner la vie, que de lui proposer incessamment la diversité de tant d’autres vies, fantaisies, et usances : et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature. » (Montaigne, Les essais, III, 9)
Son humeur est égale, qu’il rapporte une conversation philosophique ou qu’il mesure les effets d’une eau thermale sur ses reins, sa rate, et tout l’appareil compliqué de ses entrailles : « Le Mardi 16 de Mai, […] comme je sentois toujours des vents dans le bas-ventre & dans les intestins, quoique sans douleur & sans qu’il y en eût dans mon estomach, j’appréhendai que l’eau n’en fût particulièrement la cause, & je discontinuai d’en boire[2] ».
Calculs et picotements
Il souffre de la gravelle (calculs rénaux) qui lui font pisser des cailloux bien trop gros pour la voie qu’ils empruntent, ou encore des jets de sable qui creusent mille canaux douloureux dans l’urètre : « Le sable que je rendois continuellement (par les urines) me paroissoit beaucoup plus raboteux que de coutume, & me causoit tous les jours je ne sai quels picotemens à la verge[3]. »
Tout l’intérêt de sa lecture tient à la variété des sujets qu’il traite, presque sans hiérarchie, explorateur de son être intime, des peuples et des mœurs. À qui mieux qu’à Montaigne s’applique la formule fameuse de Terence : « Homo sum, humani a me nihil alienum » (« Homme je suis, rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ? « La chaleur alors ne paroissoit pas plus forte qu’en France. Cependant, pour l’éviter dans ces chambres d’auberge, j’étois forcé la nuit de dormir sur la table de la salle, où je faisois mettre des matelats & des draps, & cela faute de pouvoir trouver un logement commode ; car cette ville n’est pas bonne pour les étrangers. J’usois encore de cet expédient pour éviter les punaises, dont tous les lits sont fort infectés[4] ».
Il y a bien une manière de touriste chez Montaigne, et, dans sa compagnie, on s’approche du « modèle » de Lunéville (mais le sieur de Montaigne est unique et ne souffre d’aucun préjugé « de classe ») …
Le Tour italien de Mme du Boccage
C’est elle, si fine, si perspicace et si « artiste», qui nous introduit dans le Grand Tour. Saluons Anne-Marie du Boccage (1710-1802), et le récit de ses pérégrinations italiennes, parfaitement à l’aise entre l’Antiquité latine et les prodiges de la Renaissance : « Les fontaines, les places occupent aussi un grand terrain. Rome moderne a peut-être autant de beautés que l’antique (elle donne alors la traduction d’une inscription) :
Qui voit les superbes débris De Rome antique qu’on déplore, Peut dire : Rome fut jadis. Qui voit les marbres, les lambris Dont l’art aujourd’hui la décore, Peut dire : Rome vit encore.
Ainsi qu’on le constate également chez les pratiquants du Grand Tour, elle peut se prévaloir de recommandations, qui lui ouvrent les portes des meilleures maisons : « J’ai le bonheur d’y être recommandée à la Comtesse Simonetti, protectrice de tout ce qui vient de Paris, qui y fait faire les habits, en parle bien la langue, en a toute la politesse […]. (XVIIe lettre). Et ce commentaire, paradoxal et pertinent si l’on pense aux fouilles menées en Italie, qui ont trouvé place chez les collectionneurs (voir Marquis de Campana, gentleman-collectionneur), dans les cabinets de curiosité, enfin dans les musées : « Que nous avons d’obligation aux destructeurs, qui mirent sous terre les chefs-d’œuvre de l’antiquité ! Souvent on les y trouve bien conservés ; l’air les aurait noircis et rongés. Rome antique eut, sans doute, autant de colonnes et de figures de marbre que d’habitants. Depuis tant de siècles qu’on en déterre, toute l’Europe en orne les cabinets, et l’on compte encore soixante mille statues ou bustes dans la ville ou les environs » (XXVIe lettre).
Et c’est tout naturellement qu’Anne-Marie du Boccage nous conduit à Lunéville, dans les salons de l’hôtel abbatial, superbement restaurés.
Putto, école de Guido Reni (1575-1642)L’habit bleu
Lunéville dans le Grand Tour
L’exposition Voyage en Italie est comme un beau secret de voyage révélé, comme la mémoire persistante d’un enchantement, comme le souvenir ineffaçable d’un séjour dans un lieu de belle civilisation, cependant suspendue entre son apparition et son effacement. Ce « studiolo d’un abbé connaisseur », est une manière de fiction-vraie (Lunéville figure effectivement sur l’itinéraire de certains Grands Tourneurs, grâce à la réputation de ses princes et de son roi, à l’allure et à l’aménagement de son château : « On croyait à peine avoir changé de lieu quand on passait de Versailles à Lunéville. » Voltaire dixit).
Tout commence lorsque… « au soir du 13 mars 1763, une lourde voiture, précédant trois autres véhicules de service de moindre ampleur, s’arrête devant la porte de l’hostellerie du sieur Charles Gantrelle à Lunéville, logeant hommes, équipages, voitures et chevaux. En descend prestement Francis Ingram Seymour-Conway, Viscount Beauchamp, à peine âgé de vingt ans, suivi de son Tutor, le respectable sexagénaire Walter Bowman. Déjà membre de la Chambre des Communes Irlandaise, le futur Ministre et deuxième Marquis de Hertford (arrière-grand-père du célébrissime collectionneur Sir Richard Wallace) entame son Grand Tour en France et en Italie… ».
Et défile le somptueux cortège des voyageurs du Beau : le goût de l’antique latinité, la taille des habits, les tables dressées de cristal et d’argenterie, les partitions musicales, les saveurs, les parfums… On entraîne le visiteur dans la traversée immobile des mille décors d’un sortilège italien, entre la fin du XVIe siècle et le XVIIIe, qui mobilise les raffinements d’une époque.
Lunéville… l’Italie n’a jamais été aussi proche.
Exposition Voyage en Italie ou le studiolo d’un abbé connaisseur au XVIIIe siècle, avec de nombreux prêts d’œuvres des collections de François de Bernard, Marc de Ricci, Benoit d’Amat, Pierre Muller et Denis Quênot. Jusqu’au 2 novembre 2025, Hôtel Abbatial, 1 place Saint-Rémy, 54329 Lunéville. Entrée: 3€
[1] « Lettres de madame du Boccage, contenant ses voyages en France, en Angleterre, en Hollande et en Italie, faits pendant les années 1750. 1757. & 1758 »
[2] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
[3] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
[4] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
Après les propos du Premier ministre Bayrou, le débat national s’anime sur la responsabilité des « boomers » dans le creusement de la dette…
« Vous vivez comme si vous étiez destiné à vivre éternellement ; aucune pensée pour votre fragilité ne vous vient à l’esprit, vous ne tenez pas compte du temps qui s’est déjà écoulé », disait Sénèque. Dans le conflit générationnel entre les « boomers » et les générations qui les ont succédé, se faisant jour au plus fort d’une crise de la dette prévue et prévisible de longue date, l’un des principaux reproches fait à ces derniers est qu’ils ont profité d’une vie plus clémente, globalement plus agréable : plein emploi, immobilier accessible, criminalité modérée et autres joyeusetés. Ils en ont profité sans penser aux conséquences, sans même avoir à l’esprit qu’eux aussi allaient disparaitre.
Loto générationnel
Il faut l’admettre, les boomers nous gonflent. Ils ont gagné au loto générationnel. Et par-dessus le marché, se montrent-ils égoïstes, jouisseurs, donneurs de leçons devant l’éternel. Étant désormais des « schnocks », comme l’excellente revue du même nom, ceux qui furent longtemps synonymes d’éternelle jeunesse sont devenus des morts en sursis, rejetés par leurs enfants et leurs petits-enfants. Ils sont même caricaturés en « Bernard et Chantal », moqués avec ce même humour cynique qu’ils ont utilisé pour pourfendre leurs propres parents, les détruire à l’aune de la fin de l’histoire qui repointe désormais son nez à la porte de la France.
Il fut donc surprenant d’entendre François Bayrou s’attaquer ainsi frontalement aux « boomers », cette clientèle électorale si appréciée des partis politiques. Le Premier ministre, tel un condamné à mort assénant ses dernières vérités à un entourage familial sidéré, n’y est pas allé par quatre chemins en expliquant que « ce seront les plus jeunes des Français, qui devront payer la dette pendant toute leur vie » et que les seuls à ne pas le comprendre étaient au fond ces « boomers qui considèrent que tout va très bien » du haut de leurs pensions bien assises sur la multipropriété immobilière – que, bien sûr, ils rechignent à transmettre à leurs enfants qui hériteront à soixante ans largement passés.
Quelle époque
Si l’analyse est en partie exagérée, elle n’en recèle pas moins une large part de vérité. Mais les « boomers » n’ont pas fait seuls le choix des retraites par répartition, de la dépense publique massive, du système d’assistance, et, plus généralement, du corset fiscal qui emprisonne désormais la France. Tout au plus peut-on leur reprocher d’avoir participé au zeitgeist dépensier et irénique des années 80 mitterrandiennes qui ont conduit la France là où elle se trouve aujourd’hui : dans une zone de dangerosité extrême pour sa prospérité future. Reste qu’il ne suffit pas de pleurer sur le lait renversé, comme diraient les boomers. Il faut agir au présent. Et le présent impose, c’est vrai, de revoir de fond en comble le modèle de financement de l’État français… qui repose beaucoup trop sur « Nicolas » et ses indécentes contributions fiscales.
La levée de bouclier contre François Bayrou fut d’ailleurs massive. Pascal Praud ou Henri Guaino y sont notamment allés de leurs saillies rageuses. Sans compter, évidemment, les voix venues de la gauche. Les « boomers » sont particulièrement urticants pour la jeunesse d’aujourd’hui, sûrement plus prude et moins rêveuse – et pour cause. Ils ont évité les années Sida, rap, télé-réalité, terrorisme islamiste et influenceurs Tiktok. Il y a de quoi être jaloux. Dans les années 60 et 70, tout était moins cher. Une montre de luxe ne vous coûtait pas le quart de ce qu’elle vaut aujourd’hui. Quant à l’immobilier, n’en parlons même pas ; les classes moyennes pouvaient acheter un appartement dans Paris intramuros sans aucune difficulté particulière.
Vu de 2025, se souvenir du pouvoir d’achat du passé semblerait presque irréel. Ils avaient de quoi être heureux nos braves « boomers », et leurs parents avec. Quelle époque aussi pour le masculin occidental… Une ère bénie des dieux qu’on pourrait résumer en une image, celle de Jean-Pierre Marielle jaugeant le superbe derrière de Jeanne Goupil dans Les Galettes de Pont-Aven. James Bond n’était alors pas encore un culturiste imberbe, et les sex-symbols des gamins jouant dans des séries télévisées de la Walt Disney Company ou des « instagrameurs » narcissiques.
Le « progrès » ne se conjuguait alors pas avec la violence aveugle et les restrictions, les privations, la chape de plomb du politiquement correct, le règne des imberbes et des tatouages, les lives de Jean Pormanove ou les débats stériles en boucle à la télévision. Il est d’ailleurs fort possible que les « zoomers » nous fassent regretter les « boomers ». Ces derniers avaient au moins pour eux de produire du bon cinéma et de la bonne musique. Pour autant, leur fin de règne médiatique a aussi quelque chose d’assez jouissif. Ils ont si longtemps confisqué tout débat, genre d’enfants-rois aux certitudes acquises par le mérite de la naissance, qu’il y a un parfum de vengeance bienvenu dans le petit théâtre médiatique qui se joue présentement.
Démagogique ? Sûrement. Mais il serait temps de penser de nouveau la société française autour de la transmission future et non plus à l’aune de ses intérêts immédiats. Ce fut la règle durant des millénaires. L’est-ce encore ? On peut en douter. En réalité, c’est la génération entre les boomers et les zoomers qui a déjà payé l’addition et continuera de la payer. Elle a été broyée.
Jean Pruvost nous propose un voyage érudit et ludique au cœur des mots liés à Dieu
Jean Pruvost est un de nos plus fameux encyclopédistes, dans les deux sens du terme : d’une part, il collectionne ou, plutôt, accumule avec méticulosité chez lui des centaines de dictionnaires et d’encyclopédies, d’autre part, fait-il œuvre d’esprit encyclopédique en déroulant sa science des mots en une farandole d’ouvrages qui n’ont peut-être, selon certains, qu’un seul défaut qui est d’avoir oublié de mettre en application ce précepte donné à ses journalistes par un ancien directeur du Monde : « faites chiant ! »
« Anecdoctes »
Son dernier livre en date consacré, comme on dit dans le jargon, aux occurrences du mot « Dieu » commence mal : il nous cite en exergue du « Jean-Luc Marion » et du « Monseigneur Claude Dagens » sur lesquels on ne s’étendra pas, si ce n’est pour dire que, tous deux de l’Académie française, oui, tous deux, à défaut d’exécration, font bien rigoler, le premier pour ses obscurités pontifiantes et gratuites dans lesquelles il se prend parfois lui-même les pieds, le second, en raison du fait que son élection dans la noble compagnie a seulement été dû à ce qu’il fut, alors, le seul haut prélat normalien et classé « intellectuel » que l’Académie avait alors sous la main…
Mais revenons au texte : en trois cents pages pleines de doctes anecdoctes, nous parcourons l’Histoire de la religiosité française de l’Antiquité (en la matière, souvent biblique, donc hébraïque) à nos jours (laïques, donc agnostiques de droit), bien que ce soit avant tout Église (la religion catholique romaine), cléricature, dévots et objets de dévotion, grenouilles, crapauds et autres animaux de bénitiers qui, – au travers des mots dont usent les siens (et ses adversaires) pour dire, louer ou blasphémer le nom de Dieu – qui nous sont ici racontés. Et, pour ce faire, c’est beaucoup plus la littérature que Pruvost prend en ligne de compte que les écrits des Pères et Docteurs de l’Église. L’auteur ne s’aventure pas à théologiser et on ne doit pas s’attendre à voir opérer des rapprochements entre le nom de Dieu (tel qu’il transparaît) dans les religions et sagesses orientales (taoïsme, shintoïsme, bouddhisme, hindouisme etc) et le Dieu trinitaire « officiel », ou académique, tel qu’il est acté dans les statuts du Conseil œcuménique des Églises (certaines églises membres du COE, au reste, ayant eu le droit d’émettre des « réserves » sur cette tentative de définition au moment de leur adhésion.)
Tout bon encyclopédiste ne peut que compiler, donc piller. En conséquence, et à bon escient (théologique, du moins), et pour reprendre la formule de Paul Valéry, notre auteur n’explore que les aires/ères dominées concomitamment par Jérusalem, Rome et Athènes, écartant à juste titre de son champ d’étude la religion de la soumission absolue à Dieu, l’islam, souvent improprement qualifiée de troisième « Religion du Livre ».
Secrets
Pour ne pas risquer d’encourir le grief visé en tête de cet article, et que Hubert Beuve-Méry considérait comme une qualité journalistique, nous n’aborderons pas le ‘‘gros’’ du texte, et qui est sans doute le plus passionnant : l’étymologie.
Jean Pruvost écrit exactement que « découvrir dans cet étymon une première orientation, un germe encore perceptible dans le mot tel que nous le comprenons à l’époque où nous vivons, prendre ainsi en compte l’évolution qu’il a vécue au cours des siècles mais aussi des langues par lesquelles il a été véhiculé, se révèle éminemment instructif. » De la sorte, faudrait-il mettre en application cette saine approche pour comprendre – exemple en cent – pourquoi il y aurait lieu de tenter une systémique du vocabulaire en le mettant, en réseau vertical et horizontal(à la manière avec laquelle un logicien comme Kurt Gödel procéda au siècle dernier pour l’arithmétique).
La chose est envisageable. Nous avons dit ici que ce livre, avec ces deux exergues susvisés, avait mal commencé. Mais voici qu’il finit fort bien puisque, dans sa dernière ligne, il cite Paul de Sinety, orné de ses fonctions de Délégué général à la langue française et aux langues de France. Jean Pruvost ne croit pas si bien dire. Notre délégué est tout désigné pour, tant faire se peut, dispenser les rudiments d’une méthode capable non certes de pénétrer le « divin », mais, tout au moins, mieux cerner Les Secrets des mots (titre, d’ailleurs, d’un de ses précédents livres), ledit secret étant bien souvent celui de nos pensées.
Jean Pruvost, Dieu à travers les mots et leur histoire, Desclée de Brouwer, 344 p., 2025.
« Tiens, lis ça. C’est le meilleur livre que j’aie jamais lu », m’a dit un ami en me tendant un exemplaire d’un siècle jauni, dont la vie ne tenait qu’à un morceau de scotch gris. C’était mal me connaître, car chez moi, les éloges superlatifs se soldent toujours en déception. D’où mon refus discret, au fil des ans, de vénérer certains écrivains adoubés par je ne sais quels gourous des lettres. Mais, ignorant l’auteur en question, et respectant les goûts de mon ami, j’ouvrai, avec moult prudence, ces pages défraîchies.
Or, il ne m’avait pas prévenu que j’allais faire connaissance avec l’un des plus grands romanciers juifs d’Europe centrale, au même titre que Franz Kafka et Stefan Zweig – ce dernier, par ailleurs, lui ayant voué une admiration sans bornes.
Bien que la postérité ait la mémoire ingrate, Joseph Roth (1894-1939) occupa, dans la vie littéraire de son époque, une place de premier rang. Né dans la ville galicienne de Brody, aux confins de l’Empire austro-hongrois, Roth grandit dans un milieu traditionnel, le laissant fortement marqué par le judaïsme (Brody compta en effet la plus grande communauté juive d’Europe de l’Est, jusqu’à son extermination par les nazis en 1942-43). Un amour des mots le poussa à suivre des cours de philosophie et de lettres allemandes à l’Université de Vienne.
Mais toute sa vie, Roth se fit le défenseur de sa véritable patrie spirituelle : l’Empire austro-hongrois. Il ressentit le déclin de ce pays comme le sien propre, sa décomposition, comme un exil profond, et la mort de l’empereur François-Joseph, comme celle de son père (d’autant plus qu’il avait perdu celui-ci très jeune, laissant un manque de figure paternelle). Durant la Grande guerre, il s’engagea comme journaliste et censeur de l’armée. Plus tard, il publia plusieurs romans nostalgiques sur le déclin de l’Autriche-Hongrie, notamment La Marche de Radetzky (1932), qu’on peut lire à côté du Monde d’hier de Zweig.
Malgré nombre d’échecs sentimentaux et financiers, Roth maintint un rythme soutenu d’articles, de romans et de feuilletons, portant un regard affiné sur les sociétés viennoise, puis berlinoise, où il s’installe en 1920. Lorsque Hitler s’empare du pouvoir en 1933, la question ne se pose pas pour cet écrivain juif et libéral : il fuit, vivant en nomade entre la France, la Pologne, la Belgique, les Pays-Bas…
Les dernières années de sa vie passèrent dans une succession de chambres d’hôtels aperçues à travers des bouteilles vides. Qui plus est, les appuis financiers de son ami Zweig n’atténueront pas son alcoolisme, ni sa santé vacillante. Les exils s’accumulent : après son Autriche-Hongrie natale et son Allemagne adoptive, l’hôtel parisien où il demeura dix ans, rue de Tournon, fut démoli. Sûrement a-t-il vu, encore une fois, ce délabrement comme le sien propre… Le coup de grâce survint avec la nouvelle du suicide de son ami, le dramaturge Ernst Toller, le 22 mai 1939. Cinq jours plus tard, Joseph Roth mourut d’une pneumonie empirée par le sevrage abrupt de l’alcool, tandis qu’outre-Rhin, les nazis brûlaient ses livres.
Un shtetl miséreux
Dans Job, roman d’un homme simple (1930), nous suivons un certain Mendel Singer, dans un shtetl (ghetto juif) de Galicie. Père de famille, enseignant la Torah aux enfants du village dans sa modeste cuisine, rien ne différencie Mendel des autres habitants, si ce n’est sa foi inébranlable, et sa certitude que la main de Dieu le guidera à travers toute épreuve. Car les épreuves ne manquent pas, pour ces villageois à la merci du froid, de la misère et des pogroms.
Justement, au fil du roman, Dieu prendra un malin plaisir à accabler Mendel Singer d’épreuves, malgré sa foi – ou plutôt, en raison de celle-ci. Certaines familles aisées du village, l’ayant soutenu pendant des années, le délaissent, ou le trahissent. Rêvant de transmettre ses valeurs religieuses et familiales à ses enfants, voilà qu’une de ses filles s’enfuit avec des Cosaques. Ses deux fils aînés, l’avenir de sa lignée, lui seront arrachés pour servir dans l’armée russe, et son dernier sera né épileptique et mutique. Mais envers et contre tout, Mendel se réfugie dans la douceur de la religion et dans les voies secrètes le reliant à Dieu, seule consolation pour les supplices du monde…
Plus tard, une opportunité se présente : s’installer à New York. Quitter ce shtetl miséreux, ce quotidien sans issue. Mais quitter, aussi, ses deux fils mobilisés, ainsi que le petit dernier, handicapé, refusé à la douane… Celui-ci sera confié à contrecœur à une famille voisine, dans une maison délabrée, et ils partiront, Mendel, sa femme, et sa fille reprise aux mains des Cosaques.
La grande ville ne leur offrira pas mieux. Au contraire : Mendel constatera qu’en quittant la misère du village natal, il abandonnait aussi sa simplicité, son enracinement, sa spiritualité. Opprimé chez lui, malheureux ailleurs : un exil qui colle à la peau de ces Juifs errants. De plus, les épreuves de Dieu ne connaissent nulle frontière : faillites, décès et incertitudes continueront de ronger cet homme simple, d’année en année. Ce Job du XXe siècle gardera-t-il sa foi ? Son démiurge l’en récompensera-t-il ?
Ce qui frappe, dans la lecture de cette saga familiale, c’est la simplicité du style de Joseph Roth, renfermant une sagesse et une spiritualité profondes. La tradition juive est décrite en long et en large, mais de manière accessible. Tout ce qu’il demande au lecteur, c’est un esprit tourné vers la lumière, et un pressentiment de l’absolu. La vie reculée du shtetl, comme celle, frénétique, de la métropole, sont dépeintes à travers le regard touchant d’un vieillard qui ne s’épuise jamais dans sa quête du bonheur, malgré une vie bonne à semer la haine. C’est pourquoi les pages se tournent de plus en plus vite, à mesure que se multiplient les interrogations sur l’avenir de sa famille, les épreuves qui s’éternisent, et une foi de plus en plus difficile à justifier, mais d’autant plus belle.
Pour un lecteur du troisième millénaire, les thèmes de Job, roman d’un homme simple résonnent encore plus fort. Il n’est pas insensé de croire que Joseph Roth avait pressenti, dans la destruction de sa Galicie juive et de sa vieille Europe, l’avancée du superficiel, du déracinement, et l’effacement du spirituel, du pérenne. En plus de la tendresse du récit, ayant fait couler plus d’une larme chez ceux à qui je l’ai offert, et sa poésie religieuse, si rare de nos jours, se glisse un message : mieux vaut être un Job, obstiné dans son espoir, qu’un Caïn, éternel cynique.
L’écrivain et metteur en scène Wajdi Mouawad a publié, juste avant l’été, sa Leçon inaugurale du Collège de France, prononcée le 6 février 2025.
L’intitulé de cette leçon inaugurale du Collège de France, L’ombre en soi qui écrit, en annonçait la forte dimension littéraire. En effet, la chaire inaugurée porte sur « l’invention de l’Europe par les langues et les cultures », programme extrêmement prometteur de la part d’un homme de théâtre, c’est-à-dire d’un homme du verbe. Dans cette « Leçon », Wajdi Mouawad nous livre toutes les clefs de ce verbe, dans le théâtre et dans le roman. Et il le fait avec simplicité et, surtout, une grande sincérité, notamment lorsqu’il parle de son enfance bouleversée par la guerre.
Un nom associé au théâtre contemporain
Wajdi Mouawad étant d’origine libanaise, on peut rappeler brièvement, d’abord son enfance chaotique, dans un pays ravagé par la guerre civile. Mouawad, né en 1968 à Beyrouth, émigre avec sa famille en 1978. Il fait étape en France, puis au Québec, où il effectue des études d’art dramatique et commence à écrire des pièces et à monter des spectacles. Après y avoir connu assez tôt le succès, il revient en France. Le nom de Wajdi Mouawad sera couramment associé, grâce surtout à ses propres œuvres dramatiques, au théâtre contemporain, mais je remarque qu’il a monté aussi beaucoup de classiques, par exemple Macbeth en 1992, ou Six personnages en quête d’auteur de Pirandello, en 2001. On voit dès lors la diversité de son inspiration. En 2002, il commence à publier des romans,dont Anima en 2012. Wajdi Mouawad, c’est important à noter dans le contexte libanais, est chrétien maronite, mais sans mettre en avant cette confession. Sa vision de l’homme est humaniste et universaliste. Pour lui, l’homme ne se définit pas par ses croyances, mais par sa générosité. C’est une position morale qui lui a valu d’être très critiqué au Liban, lorsqu’il s’est associé à des artistes israéliens.
Aussi bien, Wajdi Mouawad revient de loin, pour ainsi dire. Son enfance, dans un Liban meurtri, l’obsède toujours. La guerre est un drame qu’on n’oublie pas, et Mouawad l’évoque à plusieurs reprises dans sa Leçon. Ainsi, tout petit, il subit un bombardement. Il écrit : « À ses parents accourus l’enfant parvient à peine à articuler une phrase. Il reste là, hébété, défait pour toujours. » Le sang joue un rôle fondamental dans l’imaginaire de Mouawad. Il intervient dans son théâtre, qui n’est que « tragédie » tout du long : « Et puisque la tragédie, déclare-t-il dans sa Leçon, est une affaire de sacrifice, levons le rideau vers cette scène inaugurale qui nous ouvrira la porte du sang. » Pour conclure ceci : « Car le sang, il faudra bien, à un moment ou à un autre, y venir et qu’il soit versé. » Mouawad a joint l’action à la parole, à la fin de la Leçon : il s’est fait faire sur l’estrade une prise de sang, et a maculé de liquide rouge son corps offert au public présent, comme une illustration frappante, dirais-je, du vers de Valéry : « L’argile rouge a bu la blanche espèce ».
La vocation littéraire comme effraction
Wajdi Mouawad nous expose, dans cette Leçon, quel sera son programme au Collège de France. Les langues et les cultures, c’est aussi et surtout l’écriture. Dans de très belles pages, Mouawad nous raconte comment sa vocation littéraire est née, dans son enfance précisément. Il a eu du mal à s’intégrer à l’école, et ses professeurs se sont désintéressés de son cas, mais pas sa mère qui l’a encouragé à continuer et à aller dans son sens à lui.
Mouawad alors se rêvait tout éveillé en « poisson-soi », comme il disait de manière innocente, pour se raconter des contes de fées. « Entrer dans l’écriture est un rituel », précise-t-il, ajoutant : « Oser l’effraction. Aller là où il nous est interdit d’aller. Ne pas leur demander la permission. L’écriture n’est jamais un territoire que l’on peut revendiquer pour soi. »
L’impossibilité d’accueillir l’Autre
Mouawad reprend volontiers la maxime de Peter Sloterdijk : « L’ingratitude n’est qu’un synonyme de manque de culture. » Tous deux déplorent d’une même manière l’égoïsme généralisé de notre société, le terme « égoïsme » étant la plupart du temps pudiquement minoré en « individualisme ». Mouawad voudrait échapper à ce « nombrilisme » qui nous caractérise et qui frise le non-sens. À quel type d’être humain est-on arrivé ? Mouawad répond : « Un humain disant je pour lui-même, écrit-il, condamné à ne témoigner que de lui-même par incapacité d’être autant accueilli par l’Autre que d’accueillir lui-même cet Autre. » C’est une question éthique.
Pour Wajdi Mouawad, notre seul espoir réside dans l’élaboration de récits tragiques. À quoi sert l’écriture ? Réponse de notre conférencier : à faire de la poésie, car « tout ce qui n’est pas poème est trahison ». Par sa cohérence très convaincante, très réfléchie, et digne d’un enseignement (auquel, si on est parisien, on peut assister au Collège de France, ou qu’on peut suivre sur Internet), l’œuvre de Wajdi Mouawad, puisant dans la tragédie grecque pour éclairer notre modernité, apporte quelque chose de profondément original — une de ces révélations que nous dispense parfois le théâtre, quand il demeure fidèle à ses origines…
Wajdi Mouawad, L’Ombre en soi qui écrit. Leçon inaugurale au Collège de France, jeudi 6 février 2025. Éd. Du Collège de France, 57 pages.
À Bruxelles, lors d’un conseil municipal, la socialiste Saliha Raïss a invité les Belges que le voile islamique dérange à dégager.
Lors du dernier Conseil communal, l’Échevine de la très islamique et tristement célèbre commune de Molenbeek, Saliha Raïss, a, dans un français simplifié qui sent bon la connaissance du Coran et très peu celle de Rabelais, expliqué que les Molenbeekois qu’heurte quotidiennement la vue de femmes bâchées comme du mobilier de jardin avant la pluie, pouvaient quitter leur ancestrale municipalité. Charmant ! Rappelons tout de même que si, à l’instar des Pieds-Noirs, la masse des immigrés et leur nombreuse descendance étaient priées de quitter la Belgique, ils ont, eux, un pays où aller. Pas les Belges qui seraient contraints par nos invités du désert de partir !
Gauche décérébrée
Drapée, non de la toge de la vertu mais bien du tchador de la soumission, elle dénonce la présence de commentaires « racistes et récurrents » sous des publications Facebook du MR (Centre droit) local, particulièrement à propos des femmes portant le voile. « C’est du racisme que vous cautionnez et banalisez », assène-t-elle, sortant LE joker de la gauche décérébrée. N’importe quel esprit sensé ne verrait guère de lien entre race et religion, mais discernerait sans difficulté celui qui unit le port du voile au machisme le plus répugnant. Mais Saliha Raïss est une élue du parti Vooruit (socialiste flamand) par la grâce de la flamandisation systémique et du gauchisme culturel qui, l’un et l’autre gangrènent la Région bruxelloise. Elle n’a jamais gagné un centime qui ne soit sorti de la poche du contribuable belge, certes, mais elle détecte avec délectation du racisme dans toute critique du mahométisme, même le plus attardé.
Bien évidemment, le conseiller communal Didier Millis (MR) a mâlement assuré n’avoir jamais cautionné de tels propos. « Je n’ai pas de leçon à recevoir après 30 ans dans l’enseignement. S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est le racisme », affirme-t-il virilement. Non, mais !
Le président dudit MR, le bouillonnant Georges-Louis Bouchez a également dégainé sur « X », dénonçant « une négation de la neutralité de l’État » et s’interrogeant : « Où est le racisme dans ce cas ? Le PS soutient-il ces propos ? ».
A ce jour, on ignore si le PS soutient ce propos, mais ce qui est certain, c’est que le MR, lui, n’a rien trouvé de plus malin que d’envoyer un cheval de Troie musulman à la Commission européenne, en la personne de Hadja Lahbib qui, elle, soutient sans vergogne ce genre de propos et voudrait peut-être même aller plus loin, demandant la criminalisation du blasphème s’il moque l’islam (et uniquement l’islam).
Cette crise molenbeekoise est peut-être l’occasion ou jamais pour le MR de clarifier sa position sur l’entrisme islamique qui vérole toutes nos institutions et de balayer chez lui, dans les coins. Il s’occupera après de Vooruit.
🤯 Voilà la notion de vivre ensemble selon la gauche… 🌹 Cette dame c’est Saliha Raiss, élue sur une liste PS Vooruit, échevine à #Molenbeek. 🗣️ Et elle explique, avec ce rire forcé, nerveux et arrogant que si vous êtes en faveur l’interdiction des signes convictionnels dans… pic.twitter.com/qALMS9E1GD
Thomas Mann publiait son chef-d’œuvre La Montagne magique en 1924
Par quelle ironie prémonitoire Thomas Mann a-t-il baptisé du nom de Berghof le sanatorium alpin où le jeune ingénieur hambourgeois Hans Castorp, héros de La Montagne magique, rejoint Joachim Ziemsse, son cousin tuberculeux, en cure de longue durée dans ces hauteurs helvètes ? Commencé d’écrire dès 1912, publié en 1924, son plus célèbre roman (à moins que ce ne soit la magistrale saga des Buddenbrook, due à un auteur alors âgé de 25 ans à peine, ou La Mort à Venise, nouvelle génialement transposée à l’écran, comme l’on sait, par Visconti en 1971) ne pouvait évidemment anticiper la dimension symbolique que prendrait pour la postérité l’homonymie de la future résidence d’Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises, occupée par ce dernier à partir de 1927.
800 pages bien serrées
La fièvre monte au Berghof, prescience de l’hécatombe de la Grande Guerre, dans le microcosme de cette station de Davos où la phtisie décime les patients, allégorie du mal rampant qui ronge la civilisation européenne, et dont le thermomètre fixe la mesure clinique : « Joli comme un bijou, l’instrument en verre reposait dans un écrin de velours rouge capitonné, dont le moulage en creux épousait parfaitement le profil. Les degrés étaient figurés par des traits rouges, les dixièmes par des traits noirs. Sous les chiffres rouges, la partie inférieure, qui allait en se rétrécissant, était pleine d’un mercure à l’éclat miroitant dont la colonne fraîche était basse, bien inférieure au degré normal de la chaleur animale… »
Cette prose vertigineuse est admirablement restituée dans la récente traduction de Claire de Oliveira. Elle coule ses mélodieux arpèges dans un très beau volume nappé de blanc, paru en 2016 sous les auspices de Fayard – presque 800 pages bien serrées. Consacrée par l’usage, millésimée 1931 tout de même et maintes fois rééditée depuis, la première traduction de feu Maurice Betz avait figé pour longtemps Der Zauberberg en français dans un classicisme élégant, qui estompait la drôlerie, la saveur acide, l’ironie mordante du fécond écrivain natif de Lubeck. Voilà donc rafraîchie, pour le lecteur non-germaniste, cette langue du monde d’hier, musicale entre toutes.
Trois documentaires sur Arte
Dans la langueur estivale, votre serviteur a donc revisité cette envoûtante Montagne magique, transcrite à nouveaux frais, pour s’étonner d’ailleurs que notre temps, si avide de commémorations improbables, ait à ce point négligé de fêter en 2025 le centenaire de quelques éminences, quasiment passées à la trappe, tels Pierre Louÿs ou Erik Satie, sans compter l’oubli caractérisé du bicentenaire de Dominique Vivant Denon, l’auteur du délicieux Point de lendemain et inspirateur du musée du Louvre.
Trêve de digression, Thomas Mann (1875-1955) a beau incarner en quelque sorte le ‘’Goethe’’ du XXème siècle, il n’a droit quant à lui, en guise de célébration pour le cent cinquantième anniversaire de sa naissance, qu’à trois documentaires en accès libre sur Arte. Couronné par le Prix Nobel en 1929, le grand homme demeure statufié dans sa posture d’humaniste bienséant, transfuge de l’hitlérisme – rappelons que Mann s’exile du Reich nazi dès 1933, d’abord en Suisse puis aux Etats-Unis, se voit déchu de la nationalité allemande en 1936, devient citoyen américain en 1944, mais retournera vivre en Europe où s’achève sa longue vie.
Les exégètes et médias ne se bousculant pas au portillon de l’hommage rétrospectif sensément dû au fabuleux romancier de Tonio Kröger, de Joseph et ses frères ou du Docteur Faustus, également essayiste (cf. Wagner et notre temps, Goethe et Tolstoï, etc.), il faut saluer la réédition du Cahier de L’Herne qui lui était consacré en 1973, sous la direction du regretté Frédéric Tristan (1931-2022), l’auteur épatant, aujourd’hui trop délaissé, du Dieu des mouches ou du Singe égal du ciel.
Dans le grand format « bottin » de la collection, le présent Cahier réunit nombre de riches études : sur Thomas Mann et son frère Heinrich (par André Banuls), par exemple ; sur La phrase ‘’mannienne’’ ou La Maladie (par Michel Deguy), ou encore sur Thomas Mann et la traduction (par Louise Servicen) ; sur son commerce avec André Gide (par Janine Buenzod)… Feu le pape de l’existentialisme chrétien Gabriel Marcel y traite de l’influence de Nietzsche sur son œuvre. S’y insère également quelques pages d’une correspondance de Thomas Mann avec le chef d’orchestre Bruno Walter ; tel extrait du Journal de Charles du Bos millésimé 1926 ; un article de l’élégant critique et académicien Edmond Jaloux, figure alors incontournable ; un échange de discours à la Sorbonne entre Thomas Mann et Maurice Boucher en 1950 ; les réflexions du jeune Mann sur La Mort dans son Journal de l’an 1897 ; les conférences qu’il donna sur Goethe en 1937 devant la Société des Nations… Un Dialogue sur le malaise, beau texte signé du Tristan susnommé, voisine avec les très émouvants Appels aux Allemands où, depuis sa terre d’exil, Mann, à la radio, exhorte ses compatriotes à résister: « L’Allemagne hitlérienne n’a ni tradition, ni avenir. Elle ne fait que détruire et c’est la destruction qu’elle connaîtra, clame-t-il lucide, dès avril 1942. Puisse-t-il renaître de sa chute une Allemagne qui sache se souvenir et espérer, à laquelle il soit donné d’aimer, en regardant en arrière, ce qui a existé jadis et, en avant, vers l’avenir de l’humanité. Ainsi, au lieu d’une haine à mort, elle méritera l’amour des peuples ». En 1945, Mann célèbre avec la défaite « l’heure du retour de l’Allemagne à ce qui est humain ».
Remarquable jalon de ce Cahier de l’Herne décidément bienvenu, dans un texte de haute tenue, Marguerite Yourcenar évoque « la phrase même de Mann, cette phrase un peu lente, parfois lourdement descriptive, traînant avec elle dans le dialogue les précautions oratoires et les formules courtoises d’un monde révolu, […] moins hermétique qu’exégétique ». Elle avance avec beaucoup de justesse qu’ « il serait vain d’expliquer l’œuvre de Mann par une série de réactions aux drames politiques de son temps. On peut même dire, ajoute la romancière des Mémoires d’Hadrien, que cet écrivain en particulier a adopté vis-à-vis des événements la même attitude à demi distante qui fut celle de Goethe et d’Erasme à l’égard du leur ; si ces livres, conclut-elle lumineusement, contiennent en eux, comme des miroirs concaves, une image concentrée de l’Allemagne des cinquante dernières années, c’est précisément parce que l’auteur a refusé de mêler aux procédés du roman les procédés du journalisme ». De Mann, dans un autre texte intitulé La rencontre avec le démon, Maurice Blanchot écrit subtilement qu’ « il s’effrayait de donner raison, sous quelque forme que ce soit, aux puissances nocturnes avec lesquelles, courageusement, il a refusé de frayer dans le monde, mais dont il pressent qu’écrivain et poète, il est à leur merci, car il leur doit, comme tout artiste véritable, une grande part de sa puissance créatrice et de sa profondeur humaine » […] « – pressentiment redoutable, énigmatique, où se joue l’ambiguïté de la destinée créatrice, – qui fait de toute l’œuvre de Thomas Mann, et peut-être de toute œuvre, une approche de la tragédie faustienne ».
On est tout de même en droit de regretter qu’exhumé à bon escient ce mémorable et bien solitaire Cahier de l’Herne n’ait pas été, plus d’un demi-siècle après sa parution, enrichi de contributions inédites. Signe de la désaffection des grands classiques, en 2025, par les chercheurs contemporains, à l’adresse d’un lectorat chaque jour plus clairsemé ?
A lire :
La Montagne magique, roman de Thomas Mann. Traduction de Claire de Oliveira. Fayard, 780 p., 2016.
A voir : documentaires Thomas Mann et les Buddenbrook (54mn) ; Thomas Mann for ever (30mn) ; La Montagne magique – Thomas Mann et son roman emblématique (53mn). Sur Arte TV, en accès libre.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
« J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux », disait l’humoriste (!) François Mauriac. En ce qui me concerne, de nos bons amis d’Outre-Rhin, j’apprécie la bière, certains vins blancs, la choucroute, certains musiciens et écrivains. Et j’adore les magasins Lidl. Il y en a justement un près de mon domicile ; je m’y rends souvent car c’est beaucoup moins cher que dans d’autres grandes surfaces qui affichent des prix délirants et qui se fichent carrément du monde. Ma Sauvageonne s’y rend aussi souvent, mais dans un autre car, vous l’avais-je dit, lectrices et lecteurs adulés, nous faisons tanière à part. L’autre jour, alors que je me trouvais sur le parking de l’enseigne teutonne à deux pas de chez moi, mon attention fut attirée par un livre qui gisait, mal en point, entre deux voitures. Il s’agissait des Lauriers roses, de Joseph Kessel. Que faisait-il là ? Mon imagination se mit en branle. Je voyais l’opus tomber de la portière d’une voiture, victime d’un automobiliste lecteur et distrait. Je l’apercevais entre les mains d’un SDF qui le lisait entre deux séances de mendicité près de l’abri des caddies ; l’homme, féru de littérature, prénommé Robert, exerçait la profession de professeur de français dans un lycée catholique de la ville avant de déchoir, de divorcer, de s’abîmer la santé aux anis et au vin rouge de qualité médiocre en bouteilles plastique. Enfin, j’imaginais Yvonne, notre jument bien aimée, que j’avais initié aux plaisirs de la lecture. Mais je me repris bien vite car, elle m’avait confié que ses écrivains préférés restaient Roger Vailland, le résistant-communiste libertin au style morandien, et Kléber Haedens, le monarchiste éclairé et tolérant. À moins que, curieuse comme elle est, elle se fût rapprochée de Kessel qui, en 1936, fit travailler le créateur des Mauvais coups, dans Confessions, l’hebdomadaire illustré qu’il venait de fonder… J’abandonnai le livre, attrapai un caddie et fonçai vers le rayon bières pour me saisir de deux Perlembourg, 50 cl, vendue au prix de 0,60 € l’unité, une dépense dérisoire pour accéder au nirvana de l’ivresse légère et de l’oubli temporaire de notre brutale société. Mes petites courses faites, alors que je me rendais à ma voiture, je fus pris d’un remords et me dirigeai vers l’endroit où Joseph gisait. Il n’était plus là. Disparu. De retour chez moi, je fis une recherche sur Internet afin de savoir ce que racontaient ces fameux Lauriers roses. Je tombais sur un texte de présentation de Folio qui en dit ceci : « Ce troisième volume du grand roman de Joseph Kessel nous montre Richard Dalleau devenu, en 1922, un avocat réputé et recherché. Les affaires fructueuses et retentissantes viennent à lui, dont chacune ajoute à sa gloire. En même temps, il se plonge avec frénésie dans les plaisirs violents. Il veut, semble-t-il, épuiser tout ce que la vie parisienne offre de jouissances – souvent frelatées – au lendemain de la guerre, mais son appétit est tel, et sa robustesse si grande, que ces jouissances semblent inépuisables. Tout un monde de joueurs, de buveurs d’intoxiqués gravite autour de lui, et il en respire l’atmosphère avec délices. Il laisse carrière à son goût pour les femmes, et il éveille en toutes celles qu’il approche une passion profonde, aussi bien chez les pures comme la douce Christiane de la Tersée que chez les corrompues comme Geneviève Bernan. Indifférent aux drames que sa sensualité suscite, il va toujours de l’avant, brûle les étapes, entraîne son frère Daniel dans cette course, pour tout autre épuisante… » Je me mis à espérer qu’Yvonne, ma jument littéraire et dipsomane, n’eût pas lu ce roman où baguenaudent, mélancoliques et désespérés, « des buveurs intoxiqués »…
Monsieur Nostalgie aura passé tout l’été devant son poste de télévision à regarder du sport et ce n’est pas fini, car la Coupe du Monde féminine de rugby à XV bat son plein en ce moment en Angleterre.
Au 31 août de cette année, je n’ai jamais été aussi affûté. Mordant. Presque carnassier sur la page blanche. D’habitude, avant la reprise de septembre, j’ai le souffle court et le pas fainéant du travailleur devant la porte de son usine. Par le passé, trop souvent, je capitulais à la vue des romans toujours aussi nombreux, toujours aussi volumineux qui encombraient mon bureau et qui minaient mon moral estival. La rentrée littéraire et ses nouveautés sont les devoirs du critique professionnel. Le foncier du coureur d’endurance. La sueur du lecteur assermenté. Son sacerdoce. Trop de livres qu’on lira avec déplaisir et trop de mots mal ajustés qui nous feront croire à une épidémie dyslexique. Chacun sa croix. En 2022, j’ai même failli abandonner le métier pour raison de santé. Plus la force, plus le goût à tenter de comprendre la prose des autres, la mienne m’étant déjà assez étrangère comme ça. J’avais épuisé mes ressources physiques et le mental ne suivait plus. Il me fallait un électrochoc. L’envie d’avoir envie. Certains confrères m’ont conseillé la sophrologie, l’hypnose, la cryothérapie et même un stage en altitude. Je n’éliminais plus l’acide lactique des kilomètres de pages avalés dans la douleur et l’effort. J’ai dû revoir totalement la façon de m’entraîner et d’envisager mon activité. D’abord privilégier les courtes distances, ne jamais s’aventurer sur l’ultratrail des 400 pages, ensuite alterner les genres, ne pas enchaîner plus de trois autofictions par semaine sous peine de burn-out et évidemment arrêter les ouvrages « écrits » par des hommes politiques. Cette drogue-là est pire que la malbouffe, elle vous bouche les artères. On devrait même condamner les éditeurs qui persistent dans cette carambouille.
Mais cette année, je pète le feu. Donnez-moi du Angot, du Ernaux, du Nothomb ! Même pas mal. J’encaisse. Cette résistance, je la dois à un été entièrement passé devant la télévision et notamment sur le service public qui dans le domaine du sport accessible à tous, c’est-à-dire « gratuit », propose un spectacle de qualité. Ne pas le reconnaître est faire preuve d’aveuglement idéologique. Quel autre groupe est capable de produire autant d’émotion et diffuser en intégralité des événements internationaux avec des rédactions et des moyens techniques conséquents ? De Paris-Roubaix aux Mondiaux de natation en passant par Roland-Garros et les 24 Heures du Mans, France Télévisions ne démérite pas sur le terrain du sport. L’information en continu qui commente à bas coût et demeure d’une pauvreté créatrice sans nom ne peut décemment rivaliser sur ce champ-là. Quand l’une est une chambre d’écho lointaine, l’autre fait l’actualité. Les images ne mentent pas. J’arrive donc début septembre galvanisé par mes deux « Tour de France ».
En termes de puissance narrative, d’intensité, de feu dans les jambes, je ne départage toujours pas la montée de la rue Lepic de Pogi avec Pauline à la Plagne. Rohmer est battu sur la ligne. Dalida ne veut plus mourir sur scène. La Grande Librairie devrait s’inspirer de cette dramaturgie-là pour choisir les invités de son plateau. Les coureuses du Tour de France ont enflammé la fin de ce mois de juillet par leurs performances et ont fait grimper notre niveau d’exigence. Il n’y a pas eu de guerre des sexes mais un seul vainqueur, le cyclisme professionnel si souvent et abondamment décrié. De la Bretagne à la Savoie, le vélo fut roi et reine. La classe de Ferrand-Prévot a quelque chose de magique et de communicatif, tout le contraire du marigot de nos assemblées. Quelque chose de sincère, frais, puissant et enlevé. Un panache à la française, une démonstration éclairante, l’éclatante vérité d’une championne. J’espère que son coup de pédale sera l’objet de rédaction dans toutes les écoles de France. Que des instituteurs inspirés demanderont à leurs élèves de raconter le col de la Madeleine comme jadis Le coup de foudre dans l’Aubisque de Merckx délayait les plumes Sergent-Major.
Cet automne, dans les cours de récréation, on parlera encore des exploits des Brestoises, Maëva Squiban et Cédrine Kerbaol. Et l’on se souviendra qu’à Châtel, le dimanche de la 9ème étape, jour du sacre en jaune de Pauline, Jeannie Longo, la discrète, l’indispensable, la pionnière était là. Alors, on se rappellera d’où vient le cyclisme féminin, ce qui l’endura et supporta. La longévité de Jeannie nous fera penser à Mélina Robert-Michon, championne de France du lancer du disque pour la 24ème fois. Je crois que les records sont le meilleur remède au blues du chroniqueur littéraire.
Il suffit, aujourd’hui, de lever un sourcil devant une image, de laisser tomber une parole de doute, pour être jeté dans l’enfer symbolique de l’« extrême droite ».
Non pas celle de l’histoire, avec ses chemises noires ou ses régimes criminels, mais une extrême droite spectrale, imaginaire, forgée par les prêtres d’une religion nouvelle : la religion des victimes sacrées.
Voyez Gaza. Quiconque ose dire que les photographies d’enfants squelettiques à côté de mères obèses aux joues rebondies ne suffisent pas à prouver une famine générale est aussitôt jeté au bûcher médiatique. Celui qui rappelle que le Hamas fabrique de la mort avec ses boucliers humains est voué aux gémonies. Celui qui observe que les mots « génocide » ou « extermination » sont des hyperboles sans pertinence juridique se retrouve classé, au mieux, parmi les indifférents, au pire, parmi les complices.
Ainsi s’abolit le droit même de regarder, d’interroger, de discerner. On ne voit plus. On croit.
Le grand classement
Il en va de même pour tout ce qui touche aux plaies de notre temps.
• Dire que l’immigration massive bouleverse la société française : extrême droite.
• Constater l’ensauvagement des villes, l’impossibilité de vivre dans certains quartiers : extrême droite.
• Exiger que la loi soit appliquée, que les criminels soient punis : extrême droite.
Même logique sur le plan international :
• Défendre le droit d’Israël à exister : extrême droite israélienne.
• Douter des fables de famine totale à Gaza : extrême droite sioniste.
• Évoquer le rôle de l’Iran dans l’embrasement du Proche-Orient : extrême droite américaine, « néo-conservatrice ».
Tout se résume à un réflexe pavlovien : les prêtres de l’indignation désignent, classent, excommunient.
Une guerre civile dans les têtes
Ce n’est plus la politique, mais la liturgie d’une démocratie mourante. Les mots ne servent plus à discuter, mais à exclure. La nuance n’est plus qu’un vice. La vérité n’est plus une recherche, mais un catéchisme. On ne demande pas : « Que s’est-il passé ? Quelles sont les preuves ? » On exige : « De quel camp es-tu ? »
Ainsi se fabrique une guerre civile mentale, plus redoutable que celle des armes, car elle ronge les consciences. Dans ce monde de l’amalgame, l’esprit critique devient un blasphème. Douter, c’est trahir. Examiner, c’est nier. Demander des preuves, c’est se compromettre avec l’ennemi.
La décadence occidentale
Tout cela ne dit pas seulement la violence des passions politiques. Cela dit la fatigue spirituelle de l’Occident. Cet Occident vidé de Dieu, qui n’a plus que les idoles de l’humanitaire et les cultes de substitution. Cet Occident qui transforme chaque conflit en un Golgotha médiatique, chaque enfant en icône, chaque ruine en relique.
Mais ce monde de larmes et d’anathèmes n’a plus de colonne vertébrale. Il ne croit pas à la vérité, seulement à l’émotion. Il n’aime pas la justice, seulement la mise en scène de la souffrance. Et il se condamne ainsi à errer dans le simulacre, à n’être plus qu’un théâtre d’ombres où l’on rejoue, jusqu’à la nausée, la comédie du Bien contre le Mal.
Le doute comme crime
Il n’y a pas de salut dans ce monde sans nuance. Celui qui doute devient le pestiféré moderne, le réprouvé, celui qui porte la marque maudite de l’extrême droite. Non pas parce qu’il rêve de dictature ou de haine raciale, mais parce qu’il refuse l’aveuglement.
Le doute, jadis vertu cardinale de l’esprit occidental, est devenu un crime. Le soupçon rationnel, l’examen, la recherche d’une vérité qui ne soit pas seulement le fruit d’une propagande, sont bannis. On ne discute pas avec celui qui doute : on le désigne, on l’expulse, on le réduit au silence.
Épilogue
Il reste alors cette évidence tragique : l’Occident ne se bat plus contre ses ennemis, mais contre lui-même. Son vrai combat n’est pas à Gaza, ni dans les banlieues, ni face à ses frontières. Il est dans sa propre incapacité à tolérer le doute, à accepter le conflit comme épreuve de vérité.
Un monde où l’on ne peut plus dire qu’une mère obèse contredit l’image d’un enfant famélique est un monde qui a déjà choisi la cécité. Un monde qui a perdu le droit de voir.
Hubert Robert, Lavandières (détail). Seconde moitié du XVIIIème siècle.
Le Grand Tour passe par Lunéville
L’hôtel abbatial de Lunéville (54), bien connu de nos lecteurs, nous enchante encore une fois ! Sa dernière exposition, conçue, réalisée par Jean-Louis Janin Daviet et les gens qui l’entourent, nous entraîne dans le sillage de voyageurs, qu’on peut légitimement qualifier de Grands Touristes. Lancés sur les routes du vieux continent par un mouvement « d’admiration », des pèlerins de l’art et des Antiquités grecques et latines achevaient par l’exemple leur apprentissage des humanités et, in situ, leur initiation à la Beauté : « Mon idée des Romains s’est bien accrue par la vue de leurs édifices[1]. »
Grand voyage plutôt que Grand Tour
Il n’est pas inutile de convoquer quelques-uns des plus prestigieux voyageurs qui ont brillamment incarné la curiosité occidentale pour l’horizon toujours fuyant. Certes, l’esprit de conquête et d’accaparement, l’intérêt des empires, la fièvre de l’or, le lucre tiré des épices ne sont pas étrangers aux expéditions, mais il est arrivé que le commerce des denrées favorisât celui des idées.
Marco, grand « routard»
Dans l’ordre du voyage périlleux, avant le très subtil Jésuite Matteo Ricci (1552-1610) lui aussi passionné de la Chine, et après le franciscain Jean de Plan Carpin (1181 ?-1252) qui le précéda chez les Tartares, paraît dans la galerie des très illustres « routards » supérieurs Marco Polo (1254-1324). Un peu plus qu’explorateur, il fut Vénitien par naissance, marchand par destination, ethnologue par hasard, géographe sans y penser, journaliste sans le savoir, diplomate du Grand Khan, encyclopédiste et mémorialiste par plaisir. Cependant, si sa « tournée » l’entraîna fort loin, elle ne constitue pas exactement ce que les Anglais appelèrent, au XVIIe siècle, le Grand Tour.
Le Tintoret, Mariage de la ViergeHubert Robert, Lavandières (détail)
Montaigne, un grand tour… sur lui-même, avec tous
Avec Montaigne se dessine la silhouette de l’Européen moderne, analyste de ses sensations, certes attaché à ses racines, mais fort curieux de savoir jusqu’où elles s’étendent et, parfois, où elles naissent. Sa définition du voyage n’aura point navré les personnages présents dans les galeries de l’Hôtel Abbatial : «[…]le voyage me semble un exercice profitable. L’âme y a une continuelle exercitation, à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Et je ne sache point meilleure école, comme j’ai dit souvent, à façonner la vie, que de lui proposer incessamment la diversité de tant d’autres vies, fantaisies, et usances : et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature. » (Montaigne, Les essais, III, 9)
Son humeur est égale, qu’il rapporte une conversation philosophique ou qu’il mesure les effets d’une eau thermale sur ses reins, sa rate, et tout l’appareil compliqué de ses entrailles : « Le Mardi 16 de Mai, […] comme je sentois toujours des vents dans le bas-ventre & dans les intestins, quoique sans douleur & sans qu’il y en eût dans mon estomach, j’appréhendai que l’eau n’en fût particulièrement la cause, & je discontinuai d’en boire[2] ».
Calculs et picotements
Il souffre de la gravelle (calculs rénaux) qui lui font pisser des cailloux bien trop gros pour la voie qu’ils empruntent, ou encore des jets de sable qui creusent mille canaux douloureux dans l’urètre : « Le sable que je rendois continuellement (par les urines) me paroissoit beaucoup plus raboteux que de coutume, & me causoit tous les jours je ne sai quels picotemens à la verge[3]. »
Tout l’intérêt de sa lecture tient à la variété des sujets qu’il traite, presque sans hiérarchie, explorateur de son être intime, des peuples et des mœurs. À qui mieux qu’à Montaigne s’applique la formule fameuse de Terence : « Homo sum, humani a me nihil alienum » (« Homme je suis, rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ? « La chaleur alors ne paroissoit pas plus forte qu’en France. Cependant, pour l’éviter dans ces chambres d’auberge, j’étois forcé la nuit de dormir sur la table de la salle, où je faisois mettre des matelats & des draps, & cela faute de pouvoir trouver un logement commode ; car cette ville n’est pas bonne pour les étrangers. J’usois encore de cet expédient pour éviter les punaises, dont tous les lits sont fort infectés[4] ».
Il y a bien une manière de touriste chez Montaigne, et, dans sa compagnie, on s’approche du « modèle » de Lunéville (mais le sieur de Montaigne est unique et ne souffre d’aucun préjugé « de classe ») …
Le Tour italien de Mme du Boccage
C’est elle, si fine, si perspicace et si « artiste», qui nous introduit dans le Grand Tour. Saluons Anne-Marie du Boccage (1710-1802), et le récit de ses pérégrinations italiennes, parfaitement à l’aise entre l’Antiquité latine et les prodiges de la Renaissance : « Les fontaines, les places occupent aussi un grand terrain. Rome moderne a peut-être autant de beautés que l’antique (elle donne alors la traduction d’une inscription) :
Qui voit les superbes débris De Rome antique qu’on déplore, Peut dire : Rome fut jadis. Qui voit les marbres, les lambris Dont l’art aujourd’hui la décore, Peut dire : Rome vit encore.
Ainsi qu’on le constate également chez les pratiquants du Grand Tour, elle peut se prévaloir de recommandations, qui lui ouvrent les portes des meilleures maisons : « J’ai le bonheur d’y être recommandée à la Comtesse Simonetti, protectrice de tout ce qui vient de Paris, qui y fait faire les habits, en parle bien la langue, en a toute la politesse […]. (XVIIe lettre). Et ce commentaire, paradoxal et pertinent si l’on pense aux fouilles menées en Italie, qui ont trouvé place chez les collectionneurs (voir Marquis de Campana, gentleman-collectionneur), dans les cabinets de curiosité, enfin dans les musées : « Que nous avons d’obligation aux destructeurs, qui mirent sous terre les chefs-d’œuvre de l’antiquité ! Souvent on les y trouve bien conservés ; l’air les aurait noircis et rongés. Rome antique eut, sans doute, autant de colonnes et de figures de marbre que d’habitants. Depuis tant de siècles qu’on en déterre, toute l’Europe en orne les cabinets, et l’on compte encore soixante mille statues ou bustes dans la ville ou les environs » (XXVIe lettre).
Et c’est tout naturellement qu’Anne-Marie du Boccage nous conduit à Lunéville, dans les salons de l’hôtel abbatial, superbement restaurés.
Putto, école de Guido Reni (1575-1642)L’habit bleu
Lunéville dans le Grand Tour
L’exposition Voyage en Italie est comme un beau secret de voyage révélé, comme la mémoire persistante d’un enchantement, comme le souvenir ineffaçable d’un séjour dans un lieu de belle civilisation, cependant suspendue entre son apparition et son effacement. Ce « studiolo d’un abbé connaisseur », est une manière de fiction-vraie (Lunéville figure effectivement sur l’itinéraire de certains Grands Tourneurs, grâce à la réputation de ses princes et de son roi, à l’allure et à l’aménagement de son château : « On croyait à peine avoir changé de lieu quand on passait de Versailles à Lunéville. » Voltaire dixit).
Tout commence lorsque… « au soir du 13 mars 1763, une lourde voiture, précédant trois autres véhicules de service de moindre ampleur, s’arrête devant la porte de l’hostellerie du sieur Charles Gantrelle à Lunéville, logeant hommes, équipages, voitures et chevaux. En descend prestement Francis Ingram Seymour-Conway, Viscount Beauchamp, à peine âgé de vingt ans, suivi de son Tutor, le respectable sexagénaire Walter Bowman. Déjà membre de la Chambre des Communes Irlandaise, le futur Ministre et deuxième Marquis de Hertford (arrière-grand-père du célébrissime collectionneur Sir Richard Wallace) entame son Grand Tour en France et en Italie… ».
Et défile le somptueux cortège des voyageurs du Beau : le goût de l’antique latinité, la taille des habits, les tables dressées de cristal et d’argenterie, les partitions musicales, les saveurs, les parfums… On entraîne le visiteur dans la traversée immobile des mille décors d’un sortilège italien, entre la fin du XVIe siècle et le XVIIIe, qui mobilise les raffinements d’une époque.
Lunéville… l’Italie n’a jamais été aussi proche.
Exposition Voyage en Italie ou le studiolo d’un abbé connaisseur au XVIIIe siècle, avec de nombreux prêts d’œuvres des collections de François de Bernard, Marc de Ricci, Benoit d’Amat, Pierre Muller et Denis Quênot. Jusqu’au 2 novembre 2025, Hôtel Abbatial, 1 place Saint-Rémy, 54329 Lunéville. Entrée: 3€
[1] « Lettres de madame du Boccage, contenant ses voyages en France, en Angleterre, en Hollande et en Italie, faits pendant les années 1750. 1757. & 1758 »
[2] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
[3] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
[4] Michel de Montaigne « Journal du voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne »
Après les propos du Premier ministre Bayrou, le débat national s’anime sur la responsabilité des « boomers » dans le creusement de la dette…
« Vous vivez comme si vous étiez destiné à vivre éternellement ; aucune pensée pour votre fragilité ne vous vient à l’esprit, vous ne tenez pas compte du temps qui s’est déjà écoulé », disait Sénèque. Dans le conflit générationnel entre les « boomers » et les générations qui les ont succédé, se faisant jour au plus fort d’une crise de la dette prévue et prévisible de longue date, l’un des principaux reproches fait à ces derniers est qu’ils ont profité d’une vie plus clémente, globalement plus agréable : plein emploi, immobilier accessible, criminalité modérée et autres joyeusetés. Ils en ont profité sans penser aux conséquences, sans même avoir à l’esprit qu’eux aussi allaient disparaitre.
Loto générationnel
Il faut l’admettre, les boomers nous gonflent. Ils ont gagné au loto générationnel. Et par-dessus le marché, se montrent-ils égoïstes, jouisseurs, donneurs de leçons devant l’éternel. Étant désormais des « schnocks », comme l’excellente revue du même nom, ceux qui furent longtemps synonymes d’éternelle jeunesse sont devenus des morts en sursis, rejetés par leurs enfants et leurs petits-enfants. Ils sont même caricaturés en « Bernard et Chantal », moqués avec ce même humour cynique qu’ils ont utilisé pour pourfendre leurs propres parents, les détruire à l’aune de la fin de l’histoire qui repointe désormais son nez à la porte de la France.
Il fut donc surprenant d’entendre François Bayrou s’attaquer ainsi frontalement aux « boomers », cette clientèle électorale si appréciée des partis politiques. Le Premier ministre, tel un condamné à mort assénant ses dernières vérités à un entourage familial sidéré, n’y est pas allé par quatre chemins en expliquant que « ce seront les plus jeunes des Français, qui devront payer la dette pendant toute leur vie » et que les seuls à ne pas le comprendre étaient au fond ces « boomers qui considèrent que tout va très bien » du haut de leurs pensions bien assises sur la multipropriété immobilière – que, bien sûr, ils rechignent à transmettre à leurs enfants qui hériteront à soixante ans largement passés.
Quelle époque
Si l’analyse est en partie exagérée, elle n’en recèle pas moins une large part de vérité. Mais les « boomers » n’ont pas fait seuls le choix des retraites par répartition, de la dépense publique massive, du système d’assistance, et, plus généralement, du corset fiscal qui emprisonne désormais la France. Tout au plus peut-on leur reprocher d’avoir participé au zeitgeist dépensier et irénique des années 80 mitterrandiennes qui ont conduit la France là où elle se trouve aujourd’hui : dans une zone de dangerosité extrême pour sa prospérité future. Reste qu’il ne suffit pas de pleurer sur le lait renversé, comme diraient les boomers. Il faut agir au présent. Et le présent impose, c’est vrai, de revoir de fond en comble le modèle de financement de l’État français… qui repose beaucoup trop sur « Nicolas » et ses indécentes contributions fiscales.
La levée de bouclier contre François Bayrou fut d’ailleurs massive. Pascal Praud ou Henri Guaino y sont notamment allés de leurs saillies rageuses. Sans compter, évidemment, les voix venues de la gauche. Les « boomers » sont particulièrement urticants pour la jeunesse d’aujourd’hui, sûrement plus prude et moins rêveuse – et pour cause. Ils ont évité les années Sida, rap, télé-réalité, terrorisme islamiste et influenceurs Tiktok. Il y a de quoi être jaloux. Dans les années 60 et 70, tout était moins cher. Une montre de luxe ne vous coûtait pas le quart de ce qu’elle vaut aujourd’hui. Quant à l’immobilier, n’en parlons même pas ; les classes moyennes pouvaient acheter un appartement dans Paris intramuros sans aucune difficulté particulière.
Vu de 2025, se souvenir du pouvoir d’achat du passé semblerait presque irréel. Ils avaient de quoi être heureux nos braves « boomers », et leurs parents avec. Quelle époque aussi pour le masculin occidental… Une ère bénie des dieux qu’on pourrait résumer en une image, celle de Jean-Pierre Marielle jaugeant le superbe derrière de Jeanne Goupil dans Les Galettes de Pont-Aven. James Bond n’était alors pas encore un culturiste imberbe, et les sex-symbols des gamins jouant dans des séries télévisées de la Walt Disney Company ou des « instagrameurs » narcissiques.
Le « progrès » ne se conjuguait alors pas avec la violence aveugle et les restrictions, les privations, la chape de plomb du politiquement correct, le règne des imberbes et des tatouages, les lives de Jean Pormanove ou les débats stériles en boucle à la télévision. Il est d’ailleurs fort possible que les « zoomers » nous fassent regretter les « boomers ». Ces derniers avaient au moins pour eux de produire du bon cinéma et de la bonne musique. Pour autant, leur fin de règne médiatique a aussi quelque chose d’assez jouissif. Ils ont si longtemps confisqué tout débat, genre d’enfants-rois aux certitudes acquises par le mérite de la naissance, qu’il y a un parfum de vengeance bienvenu dans le petit théâtre médiatique qui se joue présentement.
Démagogique ? Sûrement. Mais il serait temps de penser de nouveau la société française autour de la transmission future et non plus à l’aune de ses intérêts immédiats. Ce fut la règle durant des millénaires. L’est-ce encore ? On peut en douter. En réalité, c’est la génération entre les boomers et les zoomers qui a déjà payé l’addition et continuera de la payer. Elle a été broyée.
Jean Pruvost nous propose un voyage érudit et ludique au cœur des mots liés à Dieu
Jean Pruvost est un de nos plus fameux encyclopédistes, dans les deux sens du terme : d’une part, il collectionne ou, plutôt, accumule avec méticulosité chez lui des centaines de dictionnaires et d’encyclopédies, d’autre part, fait-il œuvre d’esprit encyclopédique en déroulant sa science des mots en une farandole d’ouvrages qui n’ont peut-être, selon certains, qu’un seul défaut qui est d’avoir oublié de mettre en application ce précepte donné à ses journalistes par un ancien directeur du Monde : « faites chiant ! »
« Anecdoctes »
Son dernier livre en date consacré, comme on dit dans le jargon, aux occurrences du mot « Dieu » commence mal : il nous cite en exergue du « Jean-Luc Marion » et du « Monseigneur Claude Dagens » sur lesquels on ne s’étendra pas, si ce n’est pour dire que, tous deux de l’Académie française, oui, tous deux, à défaut d’exécration, font bien rigoler, le premier pour ses obscurités pontifiantes et gratuites dans lesquelles il se prend parfois lui-même les pieds, le second, en raison du fait que son élection dans la noble compagnie a seulement été dû à ce qu’il fut, alors, le seul haut prélat normalien et classé « intellectuel » que l’Académie avait alors sous la main…
Mais revenons au texte : en trois cents pages pleines de doctes anecdoctes, nous parcourons l’Histoire de la religiosité française de l’Antiquité (en la matière, souvent biblique, donc hébraïque) à nos jours (laïques, donc agnostiques de droit), bien que ce soit avant tout Église (la religion catholique romaine), cléricature, dévots et objets de dévotion, grenouilles, crapauds et autres animaux de bénitiers qui, – au travers des mots dont usent les siens (et ses adversaires) pour dire, louer ou blasphémer le nom de Dieu – qui nous sont ici racontés. Et, pour ce faire, c’est beaucoup plus la littérature que Pruvost prend en ligne de compte que les écrits des Pères et Docteurs de l’Église. L’auteur ne s’aventure pas à théologiser et on ne doit pas s’attendre à voir opérer des rapprochements entre le nom de Dieu (tel qu’il transparaît) dans les religions et sagesses orientales (taoïsme, shintoïsme, bouddhisme, hindouisme etc) et le Dieu trinitaire « officiel », ou académique, tel qu’il est acté dans les statuts du Conseil œcuménique des Églises (certaines églises membres du COE, au reste, ayant eu le droit d’émettre des « réserves » sur cette tentative de définition au moment de leur adhésion.)
Tout bon encyclopédiste ne peut que compiler, donc piller. En conséquence, et à bon escient (théologique, du moins), et pour reprendre la formule de Paul Valéry, notre auteur n’explore que les aires/ères dominées concomitamment par Jérusalem, Rome et Athènes, écartant à juste titre de son champ d’étude la religion de la soumission absolue à Dieu, l’islam, souvent improprement qualifiée de troisième « Religion du Livre ».
Secrets
Pour ne pas risquer d’encourir le grief visé en tête de cet article, et que Hubert Beuve-Méry considérait comme une qualité journalistique, nous n’aborderons pas le ‘‘gros’’ du texte, et qui est sans doute le plus passionnant : l’étymologie.
Jean Pruvost écrit exactement que « découvrir dans cet étymon une première orientation, un germe encore perceptible dans le mot tel que nous le comprenons à l’époque où nous vivons, prendre ainsi en compte l’évolution qu’il a vécue au cours des siècles mais aussi des langues par lesquelles il a été véhiculé, se révèle éminemment instructif. » De la sorte, faudrait-il mettre en application cette saine approche pour comprendre – exemple en cent – pourquoi il y aurait lieu de tenter une systémique du vocabulaire en le mettant, en réseau vertical et horizontal(à la manière avec laquelle un logicien comme Kurt Gödel procéda au siècle dernier pour l’arithmétique).
La chose est envisageable. Nous avons dit ici que ce livre, avec ces deux exergues susvisés, avait mal commencé. Mais voici qu’il finit fort bien puisque, dans sa dernière ligne, il cite Paul de Sinety, orné de ses fonctions de Délégué général à la langue française et aux langues de France. Jean Pruvost ne croit pas si bien dire. Notre délégué est tout désigné pour, tant faire se peut, dispenser les rudiments d’une méthode capable non certes de pénétrer le « divin », mais, tout au moins, mieux cerner Les Secrets des mots (titre, d’ailleurs, d’un de ses précédents livres), ledit secret étant bien souvent celui de nos pensées.
Jean Pruvost, Dieu à travers les mots et leur histoire, Desclée de Brouwer, 344 p., 2025.
« Tiens, lis ça. C’est le meilleur livre que j’aie jamais lu », m’a dit un ami en me tendant un exemplaire d’un siècle jauni, dont la vie ne tenait qu’à un morceau de scotch gris. C’était mal me connaître, car chez moi, les éloges superlatifs se soldent toujours en déception. D’où mon refus discret, au fil des ans, de vénérer certains écrivains adoubés par je ne sais quels gourous des lettres. Mais, ignorant l’auteur en question, et respectant les goûts de mon ami, j’ouvrai, avec moult prudence, ces pages défraîchies.
Or, il ne m’avait pas prévenu que j’allais faire connaissance avec l’un des plus grands romanciers juifs d’Europe centrale, au même titre que Franz Kafka et Stefan Zweig – ce dernier, par ailleurs, lui ayant voué une admiration sans bornes.
Bien que la postérité ait la mémoire ingrate, Joseph Roth (1894-1939) occupa, dans la vie littéraire de son époque, une place de premier rang. Né dans la ville galicienne de Brody, aux confins de l’Empire austro-hongrois, Roth grandit dans un milieu traditionnel, le laissant fortement marqué par le judaïsme (Brody compta en effet la plus grande communauté juive d’Europe de l’Est, jusqu’à son extermination par les nazis en 1942-43). Un amour des mots le poussa à suivre des cours de philosophie et de lettres allemandes à l’Université de Vienne.
Mais toute sa vie, Roth se fit le défenseur de sa véritable patrie spirituelle : l’Empire austro-hongrois. Il ressentit le déclin de ce pays comme le sien propre, sa décomposition, comme un exil profond, et la mort de l’empereur François-Joseph, comme celle de son père (d’autant plus qu’il avait perdu celui-ci très jeune, laissant un manque de figure paternelle). Durant la Grande guerre, il s’engagea comme journaliste et censeur de l’armée. Plus tard, il publia plusieurs romans nostalgiques sur le déclin de l’Autriche-Hongrie, notamment La Marche de Radetzky (1932), qu’on peut lire à côté du Monde d’hier de Zweig.
Malgré nombre d’échecs sentimentaux et financiers, Roth maintint un rythme soutenu d’articles, de romans et de feuilletons, portant un regard affiné sur les sociétés viennoise, puis berlinoise, où il s’installe en 1920. Lorsque Hitler s’empare du pouvoir en 1933, la question ne se pose pas pour cet écrivain juif et libéral : il fuit, vivant en nomade entre la France, la Pologne, la Belgique, les Pays-Bas…
Les dernières années de sa vie passèrent dans une succession de chambres d’hôtels aperçues à travers des bouteilles vides. Qui plus est, les appuis financiers de son ami Zweig n’atténueront pas son alcoolisme, ni sa santé vacillante. Les exils s’accumulent : après son Autriche-Hongrie natale et son Allemagne adoptive, l’hôtel parisien où il demeura dix ans, rue de Tournon, fut démoli. Sûrement a-t-il vu, encore une fois, ce délabrement comme le sien propre… Le coup de grâce survint avec la nouvelle du suicide de son ami, le dramaturge Ernst Toller, le 22 mai 1939. Cinq jours plus tard, Joseph Roth mourut d’une pneumonie empirée par le sevrage abrupt de l’alcool, tandis qu’outre-Rhin, les nazis brûlaient ses livres.
Un shtetl miséreux
Dans Job, roman d’un homme simple (1930), nous suivons un certain Mendel Singer, dans un shtetl (ghetto juif) de Galicie. Père de famille, enseignant la Torah aux enfants du village dans sa modeste cuisine, rien ne différencie Mendel des autres habitants, si ce n’est sa foi inébranlable, et sa certitude que la main de Dieu le guidera à travers toute épreuve. Car les épreuves ne manquent pas, pour ces villageois à la merci du froid, de la misère et des pogroms.
Justement, au fil du roman, Dieu prendra un malin plaisir à accabler Mendel Singer d’épreuves, malgré sa foi – ou plutôt, en raison de celle-ci. Certaines familles aisées du village, l’ayant soutenu pendant des années, le délaissent, ou le trahissent. Rêvant de transmettre ses valeurs religieuses et familiales à ses enfants, voilà qu’une de ses filles s’enfuit avec des Cosaques. Ses deux fils aînés, l’avenir de sa lignée, lui seront arrachés pour servir dans l’armée russe, et son dernier sera né épileptique et mutique. Mais envers et contre tout, Mendel se réfugie dans la douceur de la religion et dans les voies secrètes le reliant à Dieu, seule consolation pour les supplices du monde…
Plus tard, une opportunité se présente : s’installer à New York. Quitter ce shtetl miséreux, ce quotidien sans issue. Mais quitter, aussi, ses deux fils mobilisés, ainsi que le petit dernier, handicapé, refusé à la douane… Celui-ci sera confié à contrecœur à une famille voisine, dans une maison délabrée, et ils partiront, Mendel, sa femme, et sa fille reprise aux mains des Cosaques.
La grande ville ne leur offrira pas mieux. Au contraire : Mendel constatera qu’en quittant la misère du village natal, il abandonnait aussi sa simplicité, son enracinement, sa spiritualité. Opprimé chez lui, malheureux ailleurs : un exil qui colle à la peau de ces Juifs errants. De plus, les épreuves de Dieu ne connaissent nulle frontière : faillites, décès et incertitudes continueront de ronger cet homme simple, d’année en année. Ce Job du XXe siècle gardera-t-il sa foi ? Son démiurge l’en récompensera-t-il ?
Ce qui frappe, dans la lecture de cette saga familiale, c’est la simplicité du style de Joseph Roth, renfermant une sagesse et une spiritualité profondes. La tradition juive est décrite en long et en large, mais de manière accessible. Tout ce qu’il demande au lecteur, c’est un esprit tourné vers la lumière, et un pressentiment de l’absolu. La vie reculée du shtetl, comme celle, frénétique, de la métropole, sont dépeintes à travers le regard touchant d’un vieillard qui ne s’épuise jamais dans sa quête du bonheur, malgré une vie bonne à semer la haine. C’est pourquoi les pages se tournent de plus en plus vite, à mesure que se multiplient les interrogations sur l’avenir de sa famille, les épreuves qui s’éternisent, et une foi de plus en plus difficile à justifier, mais d’autant plus belle.
Pour un lecteur du troisième millénaire, les thèmes de Job, roman d’un homme simple résonnent encore plus fort. Il n’est pas insensé de croire que Joseph Roth avait pressenti, dans la destruction de sa Galicie juive et de sa vieille Europe, l’avancée du superficiel, du déracinement, et l’effacement du spirituel, du pérenne. En plus de la tendresse du récit, ayant fait couler plus d’une larme chez ceux à qui je l’ai offert, et sa poésie religieuse, si rare de nos jours, se glisse un message : mieux vaut être un Job, obstiné dans son espoir, qu’un Caïn, éternel cynique.
L’écrivain et metteur en scène Wajdi Mouawad a publié, juste avant l’été, sa Leçon inaugurale du Collège de France, prononcée le 6 février 2025.
L’intitulé de cette leçon inaugurale du Collège de France, L’ombre en soi qui écrit, en annonçait la forte dimension littéraire. En effet, la chaire inaugurée porte sur « l’invention de l’Europe par les langues et les cultures », programme extrêmement prometteur de la part d’un homme de théâtre, c’est-à-dire d’un homme du verbe. Dans cette « Leçon », Wajdi Mouawad nous livre toutes les clefs de ce verbe, dans le théâtre et dans le roman. Et il le fait avec simplicité et, surtout, une grande sincérité, notamment lorsqu’il parle de son enfance bouleversée par la guerre.
Un nom associé au théâtre contemporain
Wajdi Mouawad étant d’origine libanaise, on peut rappeler brièvement, d’abord son enfance chaotique, dans un pays ravagé par la guerre civile. Mouawad, né en 1968 à Beyrouth, émigre avec sa famille en 1978. Il fait étape en France, puis au Québec, où il effectue des études d’art dramatique et commence à écrire des pièces et à monter des spectacles. Après y avoir connu assez tôt le succès, il revient en France. Le nom de Wajdi Mouawad sera couramment associé, grâce surtout à ses propres œuvres dramatiques, au théâtre contemporain, mais je remarque qu’il a monté aussi beaucoup de classiques, par exemple Macbeth en 1992, ou Six personnages en quête d’auteur de Pirandello, en 2001. On voit dès lors la diversité de son inspiration. En 2002, il commence à publier des romans,dont Anima en 2012. Wajdi Mouawad, c’est important à noter dans le contexte libanais, est chrétien maronite, mais sans mettre en avant cette confession. Sa vision de l’homme est humaniste et universaliste. Pour lui, l’homme ne se définit pas par ses croyances, mais par sa générosité. C’est une position morale qui lui a valu d’être très critiqué au Liban, lorsqu’il s’est associé à des artistes israéliens.
Aussi bien, Wajdi Mouawad revient de loin, pour ainsi dire. Son enfance, dans un Liban meurtri, l’obsède toujours. La guerre est un drame qu’on n’oublie pas, et Mouawad l’évoque à plusieurs reprises dans sa Leçon. Ainsi, tout petit, il subit un bombardement. Il écrit : « À ses parents accourus l’enfant parvient à peine à articuler une phrase. Il reste là, hébété, défait pour toujours. » Le sang joue un rôle fondamental dans l’imaginaire de Mouawad. Il intervient dans son théâtre, qui n’est que « tragédie » tout du long : « Et puisque la tragédie, déclare-t-il dans sa Leçon, est une affaire de sacrifice, levons le rideau vers cette scène inaugurale qui nous ouvrira la porte du sang. » Pour conclure ceci : « Car le sang, il faudra bien, à un moment ou à un autre, y venir et qu’il soit versé. » Mouawad a joint l’action à la parole, à la fin de la Leçon : il s’est fait faire sur l’estrade une prise de sang, et a maculé de liquide rouge son corps offert au public présent, comme une illustration frappante, dirais-je, du vers de Valéry : « L’argile rouge a bu la blanche espèce ».
La vocation littéraire comme effraction
Wajdi Mouawad nous expose, dans cette Leçon, quel sera son programme au Collège de France. Les langues et les cultures, c’est aussi et surtout l’écriture. Dans de très belles pages, Mouawad nous raconte comment sa vocation littéraire est née, dans son enfance précisément. Il a eu du mal à s’intégrer à l’école, et ses professeurs se sont désintéressés de son cas, mais pas sa mère qui l’a encouragé à continuer et à aller dans son sens à lui.
Mouawad alors se rêvait tout éveillé en « poisson-soi », comme il disait de manière innocente, pour se raconter des contes de fées. « Entrer dans l’écriture est un rituel », précise-t-il, ajoutant : « Oser l’effraction. Aller là où il nous est interdit d’aller. Ne pas leur demander la permission. L’écriture n’est jamais un territoire que l’on peut revendiquer pour soi. »
L’impossibilité d’accueillir l’Autre
Mouawad reprend volontiers la maxime de Peter Sloterdijk : « L’ingratitude n’est qu’un synonyme de manque de culture. » Tous deux déplorent d’une même manière l’égoïsme généralisé de notre société, le terme « égoïsme » étant la plupart du temps pudiquement minoré en « individualisme ». Mouawad voudrait échapper à ce « nombrilisme » qui nous caractérise et qui frise le non-sens. À quel type d’être humain est-on arrivé ? Mouawad répond : « Un humain disant je pour lui-même, écrit-il, condamné à ne témoigner que de lui-même par incapacité d’être autant accueilli par l’Autre que d’accueillir lui-même cet Autre. » C’est une question éthique.
Pour Wajdi Mouawad, notre seul espoir réside dans l’élaboration de récits tragiques. À quoi sert l’écriture ? Réponse de notre conférencier : à faire de la poésie, car « tout ce qui n’est pas poème est trahison ». Par sa cohérence très convaincante, très réfléchie, et digne d’un enseignement (auquel, si on est parisien, on peut assister au Collège de France, ou qu’on peut suivre sur Internet), l’œuvre de Wajdi Mouawad, puisant dans la tragédie grecque pour éclairer notre modernité, apporte quelque chose de profondément original — une de ces révélations que nous dispense parfois le théâtre, quand il demeure fidèle à ses origines…
Wajdi Mouawad, L’Ombre en soi qui écrit. Leçon inaugurale au Collège de France, jeudi 6 février 2025. Éd. Du Collège de France, 57 pages.