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Maroc: guerre entre services ou déstabilisation extérieure?

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Le rapprochement entre Paris et Rabat, consolidé par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara, n’a pas seulement des implications diplomatiques. Il s’inscrit aussi dans une réalité plus souterraine: celle de la montée en puissance discrète des services de renseignement marocains. Dans un contexte sahélo-méditerranéen où les repères se brouillent et où la France a vu s’effriter plusieurs de ses leviers d’influence, le Maroc s’impose comme un partenaire crédible, et parfois même incontournable.


La DGED (les renseignements extérieurs) marocaine fait montre ces derniers temps d’une certaine efficacité. Dirigée par Mohammed Yassine Mansouri, elle aurait apporté une aide cruciale aux forces armées nigériennes qui auraient, selon un communiqué officiel, exécuté Ibrahim Mamadou, le chef de Boko Haram sur l’île de Shilawa dans la région de Diffa. Cette secte islamiste à l’origine de dizaines de milliers de morts et de millions de déplacés dans la sous-région est un immense facteur d’instabilité. La France peut donc compter sur cette solidité opérationnelle bénéfique à l’ensemble de la région.  À la tête de la DGED, Mohammed Yassine Mansouri incarne cette orientation. Civil dans un univers longtemps dominé par les militaires, condisciple du roi Mohammed VI au Collège royal, il a construit sa légitimité sur le temps long: d’abord à la direction de la MAP (Agence marocaine de presse), puis au ministère de l’Intérieur avant d’être appelé à la DGED en 2005. Sa carrière illustre la volonté de professionnaliser le renseignement extérieur marocain, en le plaçant à l’intersection des réseaux tribaux, des canaux diplomatiques et des coopérations sécuritaires. Africa Intelligence rapportait même il y a quelques mois que la DGED était en pourparlers avec le Niger pour faire libérer le président Mohamed Bazoum, que la France a demandé à Niamey. Une libération qui avait été évoquée lors de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat à l’automne dernier. 

La DGST (les renseignements intérieurs), dirigée par Abdellatif Hammouchi n’est pas en reste sur un front finalement très complémentaire. Spécialiste des réseaux islamistes radicaux, M. Hammouchi a imposé au fil des ans une discipline de fer à ses troupes et transformé la DGST en référence mondiale dans la lutte antiterroriste. Sa nomination à la tête de la DGSN (police nationale) en 2015 a permis de fusionner les cultures policière et renseignement. Ses méthodes, marquées par la tolérance zéro, ont valu à ses services une crédibilité inédite auprès des partenaires européens.  Ses services sont ainsi à l’origine de l’arrestation de figures du narcobanditisme hexagonal, comme Félix Bingui l’un des chefs du gang Yoda qui se cachait au Maroc. En ce mois d’août, le remorqueur Sky White battant pavillon camerounais était interpellé au large des îles Canaries avec trois tonnes de cocaïne à son bord grâce à l’idée de la DGST marocaine qui a fourni à la garde civile espagnole des renseignements et un appui opérationnel essentiel.

Des succès qui aiguisent les convoitises

Dans le nœud sécuritaire que représente actuellement la Méditerranée et l’Afrique sahélienne, encore récemment illustré par les violentes purges au Mali, la France ne peut plus compter sur la collaboration active de nombreux pays comme c’était naguère le cas. La tension énorme avec l’Algérie qui a atteint son apex en ce début de mois d’août l’aura encore démontré. En creux s’ajoutent aussi des difficultés plus ou moins publiques avec certains de nos alliés traditionnels européens, à l’image de l’Italie qui a toujours porté un regard envieux sur l’influence française en Afrique et s’est récemment de nouveau rapprochée d’Alger. Une danse du ventre qui a bien sûr trouvé un écho favorable du côté du régime algérien, englué dans sa politique répressive qui a conduit deux de nos compatriotes derrière les barreaux – Boualem Sansal et le journaliste sportif Christophe Gleizes.  

Notre partenaire principal pour trouver des solutions dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité du Sahel se trouve désormais à Rabat. Car, il faut le reconnaitre : nous ne parvenons plus à communiquer directement avec les autorités de transition là où les Marocains sont désormais capables de jouer les intermédiaires.  La libération, en décembre dernier, de quatre agents français de la DGSE détenus à Ouagadougou, fruit d’une intercession directe de Mohammed VI auprès des autorités de transition, l’a rappelé et fut très appréciée des services français.

Cette situation privilégiée excite le voisin algérien. Ainsi, depuis quelques semaines, des rumeurs se font entendre. Il y aurait au sein du Maroc une guerre « entre espions » opposant la DGED de M. Mansouri au pôle DGST / DGSN dirigé par Abdellatif Hammouchi. Certains verraient-ils d’un mauvais œil cette réussite opérationnelle et les bons rapports entre les services marocains et français ? L’emphase mise dans les médias algériens autour du cas de Mehdi Hijaouy peut le laisser penser ainsi que diverses publications dans la presse espagnole. Présenté en témoin de moralité et en ex-numéro deux de la DGED, l’homme a quitté les services en 2010 et a des problèmes judiciaires bien réels puisqu’il est accusé de fraudes et d’aide à l’immigration illégale. Peu de rapport direct donc avec une hypothétique « guerre des services ».

Cette campagne informationnelle sur les réseaux sociaux est d’ailleurs peut-être aussi alimentée par des services concurrents. La presse espagnole glosait ainsi récemment dans El Independiente autour d’une « guerre des services » alors que la DGST et la DGED n’ont ni les mêmes missions ni les mêmes périmètres : l’une agit sur le territoire national, l’autre à l’extérieur. Début août, du reste, les deux patrons du renseignement ont passé plusieurs jours ensemble lors d’un séminaire de réflexion stratégique. Ce rendez-vous portait sur les menaces asymétriques et visait à renforcer la liaison interservices dans la lutte contre les trafics transfrontaliers reliant le Sahel à l’Europe. En fait d’une guerre entre les deux principaux services marocains, il semble plutôt que des services extérieurs cherchent à en semer une… Lesquels ? Poser la question revient peut-être à y répondre.

L’Homme en veille: sur l’abdication cognitive à l’ère de l’IA

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L’homme moderne a déjà renoncé à l’effort physique. Renoncera-t-il demain à l’effort mental ? Entre fascination technologique, passivité cognitive et fantasme d’auto-amélioration, ce texte interroge les soubassements idéologiques du nouvel ordre technologique qui s’installe.


En février 2025, une étude conjointe de Microsoft Research et de l’Université Carnegie-Mellon a révélé un phénomène que beaucoup constatent intuitivement : lorsque des travailleurs en cols blancs utilisent une IA générative, 68% déclarent réduire spontanément leur effort cognitif et près d’un sur deux affirme moins vérifier les informations produites. Plus frappant encore, les participants les plus confiants dans la machine sont aussi ceux qui déclaraient avoir fourni le moins d’effort critique lorsqu’ils l’utilisaient. L’IA grand public ne se contente donc pas de produire du contenu : elle transforme notre rapport à l’effort mental et à la vérification, et installe peu à peu un réflexe de délégation.

« Demande à ChatGPT »

En moins de deux ans, les IA génératives sont passées de curiosité à réflexe quotidien : 600 millions de personnes les utilisent chaque jour au fil de multiples sessions dont la durée moyenne atteint désormais quatorze minutes par jour. Ce rythme d’adoption signe la marque d’une accoutumance croissante qui, par son ampleur, alimente directement ces systèmes : plus nous les sollicitons, plus ils se perfectionnent, créant ainsi une dynamique où l’usage massif devient le principal carburant de leur montée en puissance.

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Si l’usage des IA se développe si rapidement, au point qu’on leur cède chaque jour davantage de terrain, c’est d’abord parce qu’il repose sur une confiance quasi instinctive qui progressivement évolue vers une forme de passivité, proche – pour beaucoup – d’une démission intérieure à bas bruit. Face à l’efficacité presque surnaturelle de ces outils, nous acceptons de réduire progressivement l’effort critique et mental qui constituait hier encore le fondement de notre autonomie intellectuelle. Ces renoncements du quotidien deviennent ainsi la condition même du développement de dispositifs techniques toujours plus puissants.

Pire, à mesure que la technologie se renforce, nous intériorisons l’idée que nous ne sommes plus vraiment à la hauteur, que la machine ne fait pas seulement mieux : elle sait mieux. Un glissement insidieux ouvrant la voie à une défiance généralisée envers la condition humaine, érigeant la technologie en réponse miraculeuse à nos imperfections et qui nous pousse dans les bras des idéologies techno-solutionnistes les plus caricaturales, dont le fondement est précisément la faillibilité humaine et son nécessaire dépassement.

De la démission à la soumission

À bien des égards, ces néo-idéologies reposent en effet sur l’idée que l’Homme, dans sa forme actuelle, est une entrave à son propre accomplissement, et que seule une amélioration radicale pourrait lui permettre de se réaliser pleinement. Ses fragilités – peurs, erreurs de jugement etc. – tout comme les travers collectifs – corruption, inégalités économiques etc. – deviennent autant de raisons pour justifier le recours massif à la technologie afin de les dépasser. Cette perception de l’Homme n’est évidemment pas nouvelle. Elle rejoint une critique ancienne que l’on retrouve déjà chez les Épicuriens et les Stoïciens, pour qui les passions humaines étaient sources de malheur. Mais là où ces écoles prônaient une libération par des moyens intérieurs – la vertu, la modération, la maîtrise de soi –, nos gourous contemporains proposent une voie radicalement différente : supplanter notre nature au travers de dispositifs technologiques exogènes. Une défiance envers la nature humaine qui se révèle également dans l’essor des technologies financières récentes – notamment celle du Bitcoin. C’est en partie dans la critique adressée aux monnaies traditionnelles – politiques économiques contestées, retour de l’inflation etc. – que prend racine l’essor des monnaies virtuelles, lesquelles s’érigent en réponses absolues à ces imperfections. Leur code devient la promesse d’une justice pure, d’une équité inaltérable.

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Or, derrière cette prétendue pureté du code informatique se cache peut-être un phénomène plus profond : le retour du sacré sous forme technologique. Ce qui jadis relevait des religions et des croyances collectives se déplace désormais vers les algorithmes, les codes, les systèmes décentralisés. La technologie n’est plus un simple outil ; elle devient un Ordre Supérieur, un principe directeur au service d’une nouvelle foi, où le jugement humain passe au second plan. L’écran devient Oracle : on pose une question, on reçoit une réponse, on s’y conforme. Qui ose encore remettre en cause les itinéraires proposés par une application telle que Waze – si chère au philosophe Éric Sadin ? Combien d’utilisateurs de X (ex-Twitter) s’en remettent déjà à l’IA de Grok pour vérifier la véracité d’une information ?

Vers un grand remplacement ?

La possibilité d’un « grand remplacement » prend dès lors une dimension inédite : peut-être moins celle des peuples que celle de l’Homme, remplacé par les systèmes démiurgiques qu’il aura lui-même conçus. Et ce basculement ne serait pas imposé par une quelconque force extérieure, mais procéderait plutôt d’une démission intérieure : un renoncement volontaire des individus à prendre en main leur destin. Plutôt que de s’élever et se perfectionner, beaucoup semblent prêts à s’en remettre aux machines, une tentation que l’on voit poindre notamment chez les plus jeunes. L’IA, les algorithmes – et demain les robots domestiques – deviennent de facto les substituts de l’effort humain dans bien des domaines.

Après s’être affranchi du travail physique, le monde développé est-il en train de basculer vers la fin de l’effort mental ? Faudra‑t‑il bientôt entretenir son intellect comme on entretient son corps, à coups d’exercices ciblés sur des applications de “fitness cognitif” ? Devra‑t‑on s’abonner à des programmes spécialisés pour éviter la dégénérescence neuronale provoquée par l’inactivité cérébrale ? Ou bien la marche sera‑t‑elle trop haute, et certains préféreront-ils directement une puce Neuralink pour doper artificiellement leurs capacités ?

Les signaux sont déjà là : plusieurs études montrent une baisse constante du vocabulaire actif moyen chez les adultes, reflet d’une érosion lente de la richesse cognitive. Si nous avons su déléguer nos muscles aux machines, rien n’empêche que nous finissions par faire de même avec nos synapses. Dès lors, ce qui subsistera de l’expérience humaine sera un corps assisté et un esprit externalisé. Les techno-utopies californiennes, loin d’incarner une émancipation, deviendraient alors l’ultime asservissement : celui que nos renoncements quotidiens auront rendu possible.

Un film noir du grand Kurosawa dans le Japon des sixties: une redécouverte

Prise d’otage haletante à la nippone…


Gondo, industriel parvenu, patron de la National, une puissante marque de chaussures (on apprendra incidemment qu’il doit son ascension sociale à la dot de son épouse bien née), domine la grande ville aux usines fumantes de Yokohama, depuis les baies vitrées de son opulente maison au mobilier high tech, perchée au sommet de la colline, signe ostentatoire de sa réussite. En conflit avec son conseil d’administration, l’homme vient d’hypothéquer ses biens pour devenir actionnaire majoritaire de l’entreprise, lorsqu’un ravisseur, croyant enlever Jun, l’enfant unique du couple, s’empare par erreur de Shin’itchi, le fils du chauffeur. Gondo hésite à payer une rançon exorbitante au péril de ses ambitions matérielles, dans le dessein de sauver l’enfant, et à sacrifier ainsi ses intérêts à la morale.    

Immense succès lors de sa première sortie

Entre le ciel et l’enfer, joyau en noir et blanc exhumé par les soins du distributeur Carlotta, ressort en salles dans une version restaurée 4K. Le film n’a pas la renommée des Bas-Fonds, de Dodes’kaden, des Sept Samouraïs, du Château de l’araignée ou encore de La forteresse cachée, autant de chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa (1910-1998), le prolifique grand maître du Septième art nippon. Immense succès à sa sortie au Japon en 1963, il emprunte très ouvertement aux codes du film noir américain. À l’orée des années 1960, le Japon, faut-il le rappeler, n’est plus formellement sous occupation US mais reste largement sous influence du vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. Le film est d’ailleurs une adaptation de Rançon sur un thème mineur, un roman signé du jeune Ed Mc Bain (1926-2005), écrivain new-yorkais plus tard rendu célèbre par les aventures du 87è District. Dans le rôle de Gondo, Toshirō Mifune (1920-1997), l’acteur fétiche de Kurosawa.

A relire, Jean Chauvet: Tant qu’il y aura des films

Le premier tiers de ce long métrage de près de deux heures-et-demi est concentré dans le huis-clos de la maison du capitaine d’industrie.  Les policiers y sont en planque, tandis que le kidnappeur, au téléphone, fait part de ses exigences pour récupérer la rançon en cash…

Haletant

À partir de là, le scénario prend une dimension inattendue : dans une deuxième partie haletante, très moderne dans sa facture, Entre le ciel et l’enfer s’ouvre sur l’espace de la ville accablée de chaleur. Autour du jeune inspecteur Tokura, une légion de limiers en chemises blanches, en nage malgré les ventilateurs dont le commissariat est équipé, se lance sur la piste du kidnappeur, munie de gros moyens logistiques et scientifiques (analyse des indices, repérage de la numérotation des billets, interrogatoires des comparses, filatures…). Traque urbaine échevelée, pleine de rebondissements, sur fond de trahison par les acolytes de Gondo. De fil en aiguille l’enquête se déplace dans les bas-fonds de la cité, au milieu des prostituées et des toxicomanes, jusqu’à l’arrestation du cerveau du rapt, un détraqué bientôt condamné à la peine capitale, après que ses complices junkies ont été retrouvés morts, assassinés par overdose de cocaïne!

Extraordinaire, toile de fond d’un suspense ancré dans ce Japon en essor accéléré, la présence étasunienne avérée jusque dans les enseignes (« tailor », « florist », « wc »), et plus précisément encore dans cette séquence de dancing où, sur un rythme de jazz endiablé se trémousse, au premier plan, un Noir américain murgé au scotch ou au gin-fizz… Exacte, scrupuleuse translation des canons du film noir hollywoodien dans l’archipel asiatique.      


Entre le ciel et l’enfer. Film d’Akira Kurosawa. Noir et blanc, Japon, 1963. Version restaurée 4K.  Durée: 2h23. En salles le 3 septembre 2025

Le baroque en sursis

Depuis près d’un demi-siècle, les élites de la musique baroque se produisent à Sablé (72). Mais avec un budget amoindri, l’ampleur du festival se réduit douloureusement.


C’est un joyau qui depuis un demi-siècle bientôt donne à entendre et à voir le meilleur de la musique et de la danse baroques en France.

Mais un joyau qui n’a jamais  trouvé (à l’exception notable de l’église Saint-Louis de La Flèche) l’écrin qu’il mérite : le théâtre, le château, la chapelle qui serait à même d’exalter, dans un cadre à sa mesure, la beauté de ce que l’on y voit ou entend.

© Stevan Lira

Un majestueux château

Etrange destinée que celle de ce Festival des arts baroques de Sablé né dans un lieu que rien de prédisposait à recevoir tant de merveilles. On y découvre des chefs d’œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles exécutés par les solistes les plus brillants, les meilleures formations, les musiciens (ou les danseurs) les plus talentueux, mais dans d’aimables églises de villages qui n’ont rien d’exceptionnel ou, à Sablé même, dans une église néo-gothique aux beaux volumes, mais dont l’acoustique est défaillante. Ou encore dans une salle de spectacle confortable, mais incluse dans un centre culturel sans caractère datant de la fin des années 1970 ce qui dit combien il représente la fâcheuse antithèse des fastes ou des beautés baroques.

Dommage ! Il existe bien, à Sablé, un imposant château édifié à l’aube du XVIIIe siècle qui abrita cette marquise de Sablé si renommée en son temps, puis des ducs de Chaulnes de la maison d’Albert de Luynes au XIXe siècle. Mais il passa entre des mains bourgeoises qui lui firent  subir une lamentable destinée avant qu’il ne soit converti dans les années 1980 en atelier de restauration des ouvrages  endommagés de la Bibliothèque nationale.  Avec sa façade majestueuse, mais quelque peu lépreuse, ainsi que sa terrasse spectaculaire dominant théâtralement la Sarthe et la petite cité, il pourrait être le somptueux écrin qui fait défaut au festival. Encore faudrait qu’il soit libéré par l’Etat de ses fonctions actuelles, comme cela est annoncé, et que sa configuration intérieure permît d’y recevoir des concerts. 

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Mais il y a plus préoccupant : le financement du festival et l’âge du public.

Celui du Festival de Sablé est assurément des plus exemplaires. Fidèle, averti, curieux et sans doute dépourvu de ce snobisme qui n’est pas garant de recueillement et d’attention, il a le mérite de suivre avec ferveur ce qui s’y déroule. Mais en accompagnant une manifestation qui célébrait cette année sa 47e édition, il a inéluctablement vieilli. Les sexagénaires y font figure de galopins  et  la plupart des concerts, hors les artistes, sont désertés par toute figure de moins de cinquante ans.  D’où espérer dès lors un renouvellement du cheptel ?  La direction artistique a beau fermer les yeux en pratiquant la politique de l’autruche, le problème est aigu et d’autant plus inquiétant que le festival est une perle baroque dont on ne peut que souhaiter la pérennité.

Comme dans un régime totalitaire

Il est aussi exposé à une vraie calamité : les pouvoirs locaux, l’autorité régionale en l’occurrence, incarnée par une enragée qui, en cherchant à faire de légitimes et souhaitables  économies, sabre à tout va dans le budget culturel le faisant passer de 14 millions  d’euros à 4,5 millions (moins 73%), sans être capable d’effectuer des choix judicieux dans ces coupes drastiques. On peut certes effectuer des économies. Encore faut-il que ce soit à bon escient, sans pénaliser de remarquables entreprises avec la même fureur qu’on peut mettre à suspendre toute aide à des manifestations d’un intérêt discutable. Mais comment espérer rencontrer du discernement dans le domaine des arts chez les politiciens de province quand à Paris on attribue le ministère de la Culture à quelqu’un qui apparaît comme caricaturalement inculte ?

Du jour au lendemain, et avec une brutalité digne d’un régime totalitaire,  la présidence de la Région des Pays de Loire a supprimé l’aide fort modeste de 50 000 euros qu’elle apportait au Festival de Sablé. Outre les respectables recettes (billetterie et mécénat local) qu’engrange le festival et qui se montent à 100 000 euros, restent la participation de l’Etat (20 000 euros), celle du département de la Sarthe (57 000 euros), et celle de la municipalité qui se chiffre à 123 000 euros. Le maire de la petite ville a réagi avec noblesse en assurant le festival de son soutien indéfectible et en le projetant vers sa cinquantième édition. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Le budget artistique du festival n’est que de 150 000 euros (cachets, hébergement et déplacements des artistes), ce qui est bien peu en regard de son rayonnement et du prestige qui a été le sien. Quant à son budget de fonctionnement, il entre dans celui du centre culturel portant le nom de l’ancien maire Joël Le Theule et que dirige Roland Bouchon. Les prix des billets courent de 40 à 12 euros. 12 euros pour les auditeurs de moins de 26 ans, bien plus rares, hélas ! que ne le sont les chevreuils dans les forêts des châteaux alentour. Plus invisibles encore sont les membres de la considérable communauté africaine installée dans la région en tant que main d’œuvre dans l’industrie alimentaire.

Alors que le  Festival de Sablé doit douloureusement réduire sa durée, le nombre des concerts et la variété des sites où ils se donnent, il y a un trésor à protéger autre que le seul festival : cette profusion de jeunes musiciens de talent, ces formations de chambre remarquables qui cherchent, découvrent, exhument, ressuscitent des musiques  injustement oubliées parfois ou maintiennent vivant avec foi et enthousiasme un répertoire fabuleux. Ils ne bénéficient pas des honneurs qu’on accorde dans les médias au moindre crétin qui brame dans un micro et se ridiculise à force de contorsions sur des podiums devant des foules  décervelées.  Mais ils appartiennent à l’élite du monde artistique et de la société, ils participent à l’identité, à la richesse culturelle du pays. Et à ce titre ils méritent qu’on les soigne alors que l’existence des festivals est pour eux essentielle.

Un chef d’œuvre d’élégance

Cette année encore, chaque concert aura délivré des moments exceptionnels :

cette partition d’un auteur anonyme allemand exécutée par l’ Ensemble Théodora (violon baroque, viole de gambe, théorbe et clavecin) qui est l’exemple même de la ferveur, de la fraîcheur et de l’esprit d’aventure que dispensent ces jeunes formations de musiciens passionnés ; cet aria, « Sovente il sole », extrait de l’ « Andromeda liberata » de Vivaldi, chanté de façon proprement céleste par le contre-ténor Carlo Vistoli accompagné par les musiciens des Accents, et qui suivait un magnifique « Stabat Mater » du même Vivaldi sous la direction de Thibaut Noally ; ces admirables concertos pour deux, trois ou quatre clavecins de Bach, dont jouent avec allégresse et jusqu’à l’envoûtement  Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Violaine Cochard et Jean-Luc Ho, comme dans le largo du concerto en la mineur BWV 1065, accompagnés qu’ils sont par cinq autres excellents musiciens (violons, alto, violoncelle et contrebasse) de l’ensemble Le Caravansérail ou dans la transcription du troisième Concerto brandebourgeois pour  quatre clavecins;  la voix de la contralto Anthea Pichanick dans le « Stabat Mater » de Pergolèse exécuté par l’Ensemble Il Caravaggio sous la direction de Camille Delaforge.

Et enfin ce trio dansé extrait du spectacle « Que ma joie demeure », chorégraphié par Béatrice Massin pour sa Compagnie des Fêtes Galantes : un trio qui est un pur chef d’œuvre d’élégance, de spiritualité, d’équilibre et de douceur.


La prochaine et 48e édition du Festival des arts baroques de Sablé aura lieu du 19 au 22 août 2026.

Profanation du mémorial d’Ilan Halimi: ce détail essentiel

Deux frères d’origine tunisienne sont soupçonnés d’avoir abattu à la tronçonneuse l’arbre planté à Épinay-sur-Seine en mémoire d’Ilan Halimi. Cet acte, d’une violence symbolique forte, illustre encore une fois comment l’immigration incontrôlée nourrit la montée d’un antisémitisme nouveau de plus en plus visible dans notre pays.


Les premières informations dont on dispose sur les deux hommes soupçonnés d’avoir détruit il y a quinze jours l’arbre planté en hommage au jeune juif assassiné, laissent penser que l’on a affaire à des islamistes antisémites.

On a appris hier dans Paris Match que deux frères jumeaux ont été interpellés par la police ce lundi à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) non loin du mémorial en hommage à Ilan Halimi, qui a été vandalisé dans la nuit du 13 au 14 août. Confondus grâce à leur ADN et à la présence dans leur smartphone de vidéos où on les voit manipuler la tronçonneuse ayant vraisemblablement servi à couper l’olivier qui surmontait la stèle profanée, ils sont soupçonnés d’être les auteurs de cet acte antisémite hélas si symbolique de l’atmosphère irrespirable de judéophobie qui flotte depuis le 7-octobre dans notre pays. Les deux jeunes hommes ont été entendus en comparution immédiate par la justice. On saura ultérieurement s’ils sont condamnés, et à quelles peines.

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Des jumeaux tunisiens

L’information a été reprise ce matin un peu partout dans les médias. Évidemment, France Inter n’a pas jugé utile de mentionner que les mis en cause sont des SDF âgés de 19 ans de nationalité tunisienne. Ce détail a pourtant de l’importance, car il laisse supposer que nous ne sommes pas en présence de militants gauchistes. Il ne s’agit pas ici de dédouaner La France insoumise de sa responsabilité dans la recrudescence de haine anti-juive telle qu’on l’a constatée en France cet été, mais de rappeler qu’il serait mensonger de faire porter le chapeau au seul Jean-Luc Mélenchon, qui, en l’espèce, a condamné la profanation d’Epinay sans ambiguïté et jugé utile d’indiquer à cette occasion que le meurtre d’llan Halimi, ce jeune juif torturé à mort en 2006, avait été selon lui « l’acte abject d’abrutis assassins antisémites qui ne méritent que notre mépris ».

Nouvel antisémitisme

Dans sa lettre adressée à Benyamin Nétanyahou mardi, Emmanuel Macron estime que l’antisémitisme n’aurait en France qu’une seule explication: l’extrémisme politique. « Les antisémitismes de notre pays viennent de loin, ont longtemps été nourris par l’extrême droite, sont aujourd’hui aussi alimentés par l’extrême gauche qui essentialise la communauté juive et soutient la haine contre cette dernière », écrit-il. Pas un mot sur cette autre source de la haine antisémite, pourtant majeure, qu’est l’islamisme. Il est pourtant assez probable que les deux violeurs présumés de la mémoire d’Ilan Halimi aient été plutôt inspirés par des motivations religieuses qu’idéologiques. Mais comme cette éventualité ne cadre pas avec ce qu’Emmanuel Macron croit savoir, grâce à son grand ami Yassine Bellatar, des banlieues, il y a peu de chances que le président français fasse au Premier ministre israélien l’aveu de ce mal qui ronge notre pays.

Résister par la joie de devenir soi — Scènes d’un été israélien

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À Tel Aviv, le vivre-ensemble malgré tout


Assise en terrasse de café à Tel-Aviv, quelques heures avant une grande manifestation à l’initiative des familles d’otages, je surprends la discussion d’un père et de son fils. La conversation est vive, le ton monte. L’oreille indiscrète, je comprends que le fils est réserviste et qu’il s’apprête à retourner à Gaza dans quelques jours pour une opération d’envergure. D’une voix presque détachée — celle des êtres las, qui ont perdu la force de se mettre en colère après près de deux ans de combats et de tension — il soutient, face à son père, lui-même ancien combattant, que la stratégie actuelle n’est pas la bonne. Selon lui, il faut sortir de Gaza pour récupérer nos otages, puis, à l’avenir, se contenter d’interventions courtes, ciblées, ponctuelles. Il argumente, il faut s’extraire au plus vite de cette nasse dans laquelle le pays tout entier s’enlise et se perd. J’écoute moins le fils que je n’observe le père : son regard dans le vide, il répète en boucle : « Tous les sacrifices que nous avons faits ne peuvent pas simplement aboutir à cette issue-là. »

Quelques heures plus tard, je retrouve un ami israélien au visage fatigué. La veille, me dit-il, il s’est imposé de regarder quarante longues minutes d’images des massacres du 7-Octobre. Je suis choquée. J’essaie de bloquer les pensées et les images mentales qui pourraient me venir, moi qui ai choisi de ne pas visionner ces scènes. Aussi discutable que cela puisse paraitre, j’ai pris le parti de me préserver autant que possible des images difficiles. Mon silence suffit à l’interroger. « Je l’ai fait pour me rappeler qui nous avons en face. Il est important de ne jamais oublier contre qui nous menons cette guerre. L’Europe a basculé, gangrenée de l’intérieur, son opinion publique et politique retournée en quelques mois ; eux ont pris la liberté d’oublier la barbarie. Mais nous, Israéliens, avons le devoir moral de regarder lucidement qui sont nos ennemis pour les combattre en conséquence. »

En l’espace de quelques heures, deux conclusions radicalement opposées me sont données. En l’espace de quelques heures, je me confronte, comme c’est souvent le cas en Israël, à des récits de plus en plus enracinés et qui, à la longue, deviennent incompatibles. Ces récits, issus des « bulles sociales », elles-mêmes constituées bien avant les massacres, sont devenus si opposés que je me mets à douter s’ils décrivent la même réalité. Le prisme à travers lequel l’individu perçoit le monde m’apparait de plus en plus nettement.

Où puiser la force de continuer à vivre, quand le pays est isolé sur la scène internationale, que la haine antijuive repointe son visage, et qu’à l’intérieur, le peuple est si divisé ?

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La réponse ne se trouve ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias. Elle se cueille en se promenant dans le pays. Où que l’on aille, les pelouses sont bondées par les concerts en plein air, les plages résonnent du matin au soir des jeux de balles et des cris d’enfants, les cafés ne désemplissent pas. Dans cet élan de vie, le peuple répond à sa manière, en s’efforçant, de toutes ses forces, de vivre intensément le moment présent.

Comme un fait exprès, les conseils prophétiques de Gilles Deleuze adressés à ses élèves en 1987 apparaissent sur mon écran au petit matin : « Quelle que soit l’abomination du monde, il y a quelque chose qu’on ne pourra pas vous retirer et par quoi vous êtes invincibles. Ce n’est surtout pas votre égoïsme, ce n’est pas votre petit plaisir d’être “moi”. C’est quelque chose de bien plus grandiose : la joie du devenir soi. Faites en sorte que cette joie grandisse, qu’elle devienne la joie d’un nombre toujours plus grand. Cela veut dire trouver en soi la force de résister à tout ce qui est abominable. »

Cette joie d’être soi, que certains occidentaux vont chercher désormais dans la méditation ou l’éloignement du monde, les Israéliens la puisent au contraire dans celle d’être ensemble, de cultiver la joie, de se l’imposer même quand elle risque de leur faire défaut. En Israël, l’épanouissement personnel ne se conçoit et ne se réalise qu’à travers la participation au destin collectif. Ici, le vivre ensemble n’est pas un slogan, c’est une réalité, et ce, en dépit des fractures profondes et des blessures qui parcourent la société.

Peut-être est-ce là le vrai visage d’Israël : une terre où, malgré l’abomination qui nous hante et les narratifs qui s’entrechoquent, la joie d’être soi continue de s’inventer, de circuler, de se partager — comme un pied de nez à la pulsion de mort qui s’est emparée du monde.

Itinéraire d’un mao

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Dans son dernier roman, Sorj Chalandon revisite ses propres souvenirs pour retracer une jeunesse militante à l’extrême gauche dans les années 1970, n’hésitant pas à transformer au passage quelques noms et événements.


Ils ne sont plus très nombreux à se lancer dans une autobiographie racontant leur engagement pour changer le monde de manière ultra violente. « Ils », ce sont les maoïstes de l’ère post soixante-huitarde. Les petits matins blêmes de Billancourt seraient effacés par le Grand soir. Les prolétaires finiraient par dynamiter les structures bourgeoises. La gauche radicale était l’avenir radieux du monde. Elle avait ses héros : Staline, Pol Pot, Hô Chi Minh, Castro, Trotsky… Elle était le camp du Bien. Malheur à celui qui s’y opposait, il finissait au goulag de la pensée. N’oublions pas qu’il était préférable d’avoir tort avec Sartre que d’avoir raison avec Raymond Aron. Malgré l’aide de la barre de fer et du cocktail Molotov, le triomphe n’eut pas lieu. « Le chagrin du temps en six cents vingt-cinq lignes » – Léo Ferré – est venu à bout de la révolution. Leur idéal de justice sociale et de société permissive n’a pas résisté aux sirènes du consumérisme. Les révoltés sont rentrés dans les rangs du conformisme, ils sont devenus individualistes, soucieux de toucher chaque année les dividendes de leur palinodie.

Percutant

Le roman de Sorj Chalandon, Le Livre de Kells, est captivant parce qu’il raconte, sans lyrisme et en toute franchise, les grandes luttes idéologiques du début des années soixante-dix. De Gaulle avait quitté le pouvoir et la France n’avait pas réglé la question du pétainisme. La rue était le théâtre d’affrontements musclés entre la Gauche Prolétarienne, la redoutable GP, et l’extrême droite, incarnée par Ordre nouveau et le Front national dirigé par l’ancien para, pro Algérie française, Jean-Marie Le Pen. Roman, mais surtout entreprise autobiographique.

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Derrière le personnage de Kells, se dissimule à peine l’auteur qui largue les amarres, Lyon et sa famille, à dix-sept ans, pour se retrouver à Paris, sans connaître personne. Le but : découvrir Katmandou, en passant pas Ibiza. C’est un témoignage de première main, servi par un style percutant. Pourquoi Kells ? Le nom est emprunté au Livre de Kells, « chef-d’œuvre du catholicisme irlandais, rédigé en l’an 800 par des moines de culture » représenté sur une carte postale envoyée autrefois par Jacques, ami d’enfance de l’auteur, glissée dans son sac de débine avec un exemplaire de La Nausée de Sartre et une photo de Guignol. Dans sa poche, un Corneille, un billet de 100 francs, volé à « L’autre » par sa mère. « L’autre », c’est son père, un homme brutal, raciste et antisémite. Il se barre pour ne jamais lui ressembler.

Jeune chien fou

Chalandon l’avait longuement évoqué dans deux précédents romans, Profession du père et Enfant de Salaud[1]. Kells va se frotter aux lois de la rue, dormir sous les ponts, dans un wagon sur une voie de garage, chez un pote qui lui permet de prendre un bain pour enlever la crasse des faubourgs. Il va voler pour se nourrir, apprendre à éviter les flics, se méfier de tout le monde. Il n’est pas sur la route mais sur les pavés de Paris, ce qui revient au même, le corps est à la peine. Il fait plusieurs boulots, ça l’éloigne de la dèche. Il garde espoir car son idole se nomme Angela Davis. Elle aussi, elle en bave, mais c’est pour la bonne cause : en finir avec la discrimination dirigée contre les Noirs. Quelques personnes vont finir par lui tendre la main. Elles lui apprennent à se battre, à maîtriser l’art de la rhétorique, à devenir « un enragé ». Certaines lui donnent le goût de lire ; cet autodidacte, « jeune déclassé », découvre le théâtre, aime le cinéma. C’est le temps des camarades, c’est surtout celui des copains. Il vend La Cause du peuple, journal interdit depuis le 13 mars 1970, et dont le directeur de publication, Jean-Paul Sartre, a été embarqué par la police. Ça file droit(e) dans la France du banquier Pompidou. Il se rend dans les bidonvilles de Nanterre, soutient les travailleurs immigrés, dénonce l’insalubrité des conditions d’hébergement, fait les devoirs des enfants d’une famille venue d’Afrique du Nord. Il ne déteste pas la castagne avec les flics, ni avec les « fachos ». Il défend les thèses féministes. Ces valeurs humanistes le portent, il y croit. Et puis son cœur n’est pas en bronze. Il y a un très beau passage sur l’odeur de sa mère qu’il n’a jamais connue. « Jamais senti la tiédeur de son cou. Je ne me suis jamais non plus réfugié dans ses bras. » Plus loin, il baisse la garde : « L’odeur d’une mère aurait suffi à me rassurer. »

« Le chien fou libéré de sa laisse » finit par comprendre que son manichéisme ne résiste pas à l’épreuve des faits. Sa résistance n’est pas comparable à celle de ses ainés, les maquisards qui se cachaient sous les chênes nains du Quercy. Son armée des ombres rouges, la GP, n’est pas sans reproches. En avril 1972, une jeune de quinze ans, fille d’un mineur de charbon, à proximité de la propriété de la maîtresse du notaire de Bruay-en-Artois, est retrouvée morte. La Cause du peuple crie aussitôt au crime de classe, les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés s’empressent de faire partie de la meute. La vérité éclate : le meurtrier est un adolescent, lui-même fils de mineur. Chalandon énumère d’autres coups d’éclat peu glorieux, en particulier l’attentat sanglant, en septembre 1972, d’un commando palestinien contre des athlètes israéliens, aux Jeux olympiques de Munich. L’opération Septembre noir tourne au massacre. Kells rappelle : « Les onze otages avaient été tués. Certains assassinés dans les premières minutes, d’autres exécutés plus tard. Un policier allemand avait pris une balle, le pilote de l’avion était mort sans avoir décollé. Et cinq des huit Palestiniens du commando avaient été fauchés aussi. » La GP est propalestinienne, sans ambiguïté, Benny Lévy, alias Pierre Victor, son chef, est juif, comme la plupart des têtes pensantes de l’extrême gauche révolutionnaire. Le Grand soir a soudain un goût de cendre. Chalandon écrit : « Jamais je n’avais crié « Palestine vaincra », seulement « Palestine vivra ». Pas question pour moi d’écraser mais d’exister. »

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Kells entre à Libération comme dessinateur de presse. Le numéro 1 parait le mercredi 18 avril 1973. Serge July en est le directeur. Le journal va-t-il être aussi engagé que La Cause du peuple ? Kells en doute, puis finit par l’apprécier. La salle de rédaction lui inspire confiance. Fumées de tabac, cafés tièdes, machines à écrire, croyance en un monde anticapitaliste. Ça continue, au fond, comme si les désastreuses erreurs ne comptaient que pour du beurre, le bilan restant globalement positif, pour reprendre la formule à la mode chez les séides staliniens. Libération se met à genoux devant Mao, et participe à l’ostracisme dont est frappé Simon Leys, le seul écrivain à avoir dénoncé la monstruosité maoïste dans Les Habits neufs du président Mao (1971).

À la fin du livre, Sorj Chalandon donne des nouvelles des principaux copains de Kells. Trois se sont suicidés. Le quatrième, en mission d’infiltration chez les maos, s’est volatilisé avec les munitions.

Sorj Chalandon, Le Livre de Kells, Grasset. 384 pages

Le livre de Kells

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[1] « Le père faussaire », article de Pascal Louvrier, paru sur le site de Causeur, 18 septembre 2021.

À Mayotte, protéger les bus ne paie pas

Les salariés de RSP Sécurité manifestent contre la CADEMA : « On veut nos salaires »


Près de cinquante employés, impayés depuis cinq mois, ont dénoncé devant le siège de la communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou l’absence de règlement des prestations de sécurité des transports publics qu’ils assurent en pleine rentrée scolaire. 

« Cadema paye nos factures », « Président descends », « On veut nos salaires ». Les slogans ont résonné plus de deux heures mercredi 27 août 2025 devant le siège de la CADEMA, la Communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou, à Mayotte. Près de cinquante salariés de la société RSP Sécurité, accompagnés de leur dirigeant Stéphane Labache, se sont rassemblés pour dénoncer le non-paiement de leurs salaires depuis cinq mois dans un contexte rendu encore plus pressant avec la rentrée scolaire. « Nous sommes fiers d’être des opérateurs de sécurité sur le territoire mais d’être aussi indirectement des opérateurs du service public de l’Éducation nationale », explique Stéphane Labache. 

Des factures impayées depuis février

Une double crise, sociale et d’ordre public avec une cause : aucune facture n’a été réglée par la CADEMA depuis février 2025, malgré l’exécution régulière des missions de sécurisation et de prévention des transports confiées dans le cadre d’un marché public, selon RSP Sécurité et ses avocats, Me Garrouste et Me Bernardini, avocats au barreau de Paris, venus spécialement sur place trouver une sortie de crise et soutenir les salariés. 

La situation est qualifiée par l’entreprise d’« irrégularité totale » vis-à-vis des règles applicables à la commande publique. « Nous travaillons dans le cadre du marché public de sécurisation et de prévention des transports publics, mais nous ne sommes plus payés. Nos familles souffrent, et nous ne voyons aucune volonté politique de régler ce conflit », déplore l’un des salariés, signataire de la pétition réclamant le paiement des prestations. Ils sont 120 dans cette situation, tous employés sur recommandation claire de la CADEMA. « Nous avons fait récemment l’objet de pressions politiques, de tentatives de débauchages, de promesses… la seule condition : se désolidariser, ne pas suivre le mouvement et ne pas critiquer la CADEMA », se désespère un agent de sécurité. Sa fonction : surveiller, sécuriser et prévenir tout risque dans les transports publics de la CADEMA, utilisés, notamment, mais pas exclusivement, par des élèves de l’académie de Mayotte. 

Après le 23 septembre, date de la première échéance du marché, « nous risquons de perdre nos emplois définitivement par la faute du président Moudjibou qui semble se préoccuper plus de son image que du sort des salariés mahorais », poursuit ce salarié. 

Silence des autorités locales

Durant la manifestation, aucun représentant de la CADEMA n’est venu rencontrer les protestataires. Contacté sur son téléphone personnel, le président de la collectivité, Saidi Moudjibou, est resté injoignable. La préfecture de Mayotte, également interpellée par plusieurs alertes, n’a pas donné suite aux sollicitations du dirigeant de l’entreprise, alors même qu’un décret du 31 juillet 2025 élargit, selon les manifestants, les prérogatives du préfet sur ce type de dossiers sensibles.

Les services déconcentrés de l’État (DREETS, DRFIP, préfecture) ainsi que les cabinets de l’ex-Première ministre Élisabeth Borne et du ministre délégué Thani Mohamed Soilihi — en amont ou à l’occasion de leurs venues sur l’île fin août — ont été alertés « sans succès », déplore la direction de RSP Sécurité. 

Matignon saisi du dossier

En revanche, Matignon aurait été informé de la situation lors de la manifestation. D’après les informations recueillies, le collectif des salariés aurait pris attache non seulement avec le cabinet du Premier ministre, mais également avec la ministre du Travail, et s’apprêterait à solliciter l’intervention du ministre d’État Manuel Valls, très engagé sur le dossier de Mayotte. 

Dans un contexte national tendu, à moins de deux semaines du vote de confiance prévu le 8 septembre, la pression monte : « Les conseillers de cabinet et les directeurs d’administrations centrales ne peuvent plus ignorer cette crise où l’État semble, jusqu’ici, refuser d’écouter ou d’agir », souligne une source proche du dossier. 

Pour les avocats, la responsabilité politique de l’État pourrait être recherchée en cas d’impasse et d’inaction. Le dirigeant de RSP Sécurité l’assure : « J’ai embauché chacun des salariés présents à la demande du président de la Cadema. Je leur dois un salaire. Je me battrai jusqu’au bout pour qu’ils obtiennent leur rémunération », déclare le dirigeant de la société aux côtés de ses employés devant la grille de la CADEMA.  

Une collectivité déjà éclaboussée par des scandales

La mobilisation des salariés s’inscrit dans un climat institutionnel territorial marqué par des affaires judiciaires et un climat de suspicion autour des collectivités territoriales de l’île. La CADEMA est déjà visée par plusieurs rapports critiques de la Cour régionale des comptes. Son précédent président a été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, assortis de quatre ans d’inéligibilité, pour prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme. Récemment, trois rapports visant le Conseil départemental ont accusé celui-ci d’être « un frein au développement » de l’île. Dans ce dossier d’impayés, la CADEMA ne fait pas exception. 

Une situation dénoncée comme « un scandale républicain »

Aux côtés de l’entreprise et des salariés depuis plusieurs mois, les avocats Maître Bernardini et Maître Garrouste se disent « scandalisés » par l’absence de réponse de la CADEMA. Ils dénoncent une situation « indigne d’un État de droit » et rappellent qu’« il est inconcevable que des salariés employés dans le cadre d’un marché public par une collectivité territoriale soient laissés sans salaire depuis cinq mois en raison de la faute exclusive de l’ordonnateur. Ce qui se passe à Mayotte ne pourrait pas exister en métropole ». Selon eux, le dossier dépasse le seul cadre social : « C’est un sujet de justice sociale, d’ordre public, mais surtout d’ordre républicain. Paris a désormais la possibilité de pousser la solution d’un règlement rapide de ce conflit. Nous sommes prêts et avons déjà formulé des propositions », insistent-ils.

Le précédent des impayés du printemps

Ce nouveau blocage intervient quelques mois après une crise similaire. Au printemps 2025, plusieurs entreprises locales, confrontées à des retards massifs de paiement de la part de collectivités, avaient menacé de suspendre leurs activités. La situation avait conduit le président de la République, Emmanuel Macron, à intervenir personnellement pour débloquer des fonds et apaiser la colère des acteurs économiques.

Les salariés de RSP Sécurité redoutent aujourd’hui que la même inertie ne replonge à nouveau l’économie mahoraise dans une spirale sociale et politique.

Offensive judiciaire et nouvelle mobilisation

Face à l’impasse, RSP Sécurité a multiplié les actions en justice : un référé provision a été déposé devant le tribunal administratif en juin, suivi d’un recours préalable indemnitaire et d’une plainte contre X pour intimidations, appels malveillants et menaces. Les salariés, réunis en collectif, annoncent la création prochaine d’une association déclarée en préfecture afin d’amplifier et poursuivre leur mobilisation. « Nous reviendrons faire le siège de la CADEMA tant que nos droits ne seront pas respectés et nous irons à la rencontre de toutes les autorités compétentes », préviennent-ils.

Avec des amis de la Terre comme eux, pas besoin d’ennemis

L’écologie politique d’extrême gauche est le pire ennemi de l’écologie. Décroissance et techno-pessimisme éloignent les citoyens raisonnables d’une cause pourtant universelle.


Il me semble qu’un double constat s’impose à nous. Le combat écologique n’a jamais été aussi nécessaire d’une part, il n’a jamais inspiré un tel sentiment de répulsion de l’autre. Écolos politiques et autres « protecteurs de la planète » d’extrême gauche s’en plaignent régulièrement, invoquant un puissant «backlash » (contrecoup) contre l’écologie. Leur diagnostic est excellent… sauf qu’ils sont responsables de la maladie. Les gens ne détestent pas l’écologie, ils détestent cette écologie idéologique et les tensions dans la société créée par celle-ci. À sa décharge, il n’existe pas d’alternative. Devant des avancées quasi inexistantes, notamment concernant la lutte contre le réchauffement climatique, il devient urgent que l’écologie soit représentée autrement.

Dauphins et migrants

Si un combat mérite d’être transversal, c’est bien celui-ci. Pourtant la gauche et l’extrême gauche jouissent d’un monopole recherché et obtenu sur l’écologie. Dans la lignée du slogan « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », du syndicaliste brésilien Chico Mendes, les écolos politiques français n’ont jamais perdu une occasion d’exclure de leur combat toute personne qui aurait l’outrecuidance de porter des couleurs politiques différentes. Dernièrement, Marine Tondelier expliquait sur un plateau télé que pour elle « très clairement, l’écologie ne pouvait pas être de droite » en justifiant qu’être écolo impliquait forcément « de ne pas se foutre des migrants ». La très médiatisée militante écolo Camille Etienne tenait un discours remarquablement similaire au micro de France Inter en expliquant refuser « totalement et complètement une écologie plus conservatrice » au motif très modéré que celle-ci serait une « écologie raciste » qui œuvrerait « pour sauver les dauphins dans la Méditerranée mais y laisser mourir les migrants ».


Le seul militant écologiste médiatisé à ne pas briller par une telle intolérance et un tel sectarisme est à ma connaissance Hugo Clément, qui a accepté de polémiquer sur l’écologie avec Jordan Bardella car, selon lui, « il faut parler d’écologie tout le temps, partout et à tout le monde ». C’était en 2023. Son camp ne lui a toujours pas pardonné.

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Ce réflexe d’exclusion s’explique en vérité assez facilement par les objectifs politiques de ces militants : bien plus que de faire avancer l’écologie, leur but est de faire reculer le capitalisme. C’est à mes yeux l’essayiste français Ferghane Azihari[1] qui explique le mieux ce phénomène. Selon lui, l’écologie politique est avant tout une critique de la société industrielle et de la société moderne. M. Azihari ajoute que lorsque le marxisme dominait l’imaginaire collectif de la gauche, on accusait le capitalisme de paupériser les masses. Puis, les masses européennes ayant commencé à s’enrichir, on a alors commencé à dire que le capitalisme occidental puisait sa prospérité au détriment du tiers-monde. Et lorsque la mondialisation a commencé à enrichir toute l’humanité, là, c’est l’espèce humaine qu’on a accusé de détruire l’environnement. Selon Azihari, cet imaginaire de la nature qu’il faut absolument délivrer de l’emprise humaine, a aussi l’avantage pour ses militants de se recouper avec le rejet des sociétés modernes et bourgeoises.

Déconfiture

On notera au passage que si cet anticapitalisme acharné, déjà largement minoritaire au sein de la population, n’est en rien fédérateur, il n’en est que plus répulsif lorsque ses partisans se font prendre les doigts dans le pot de confiture du système. Ainsi, je ne crois pas que le LFIste Antoine Léaument rende un très grand service à la lutte pour la protection de la planète en accusant, Apple watch au poignet, le capitalisme d’être le responsable des dernières canicules en France… Idem concernant les indiscrétions révélant que des militants écolos tels que Camille Etienne ou le chroniqueur écolo-révolutionnaire de France Inter Cyril Dion demanderaient jusqu’à 7000 euros de l’heure pour une conférence sur l’écologie[2]. Enfin, on excusera ma naïveté, mais je m’étonne toujours autant qu’un média comme Blast, défendant une écologie d’ultra gauche en déclarant la guerre au capitalisme et au système puisse accepter de bénéficier de plus de 31 5000 euros de subventions publiques sur une année[3].

DR.

Même chose pour l’Académie du Climat, dépendant de la mairie de Paris, qui diffuse complaisamment  sur ses réseaux sociaux des vidéos de Guillaume Meurice appelant à remplacer le capitalisme. J’affirme d’ailleurs que si mon aimable lecteur n’a probablement jamais mis les pieds à l’Académie du Climat, c’est davantage parce qu’il a intégré qu’il y serait exposé à une telle idéologie que par un désintérêt a priori sur les questions climatiques ou environnementales. On notera au passage que la tartufferie écologique a atteint un niveau inégalé avec l’épisode des flottilles pour Gaza. Pour rappel, des militants d’extrême gauche, dont beaucoup étaient très impliqués dans le combat pour la protection de l’environnement (et dans le cas de Greta Thunberg, une véritable héroïne mondiale du climat) se sont livrés à un exercice médiatique en prétendant vouloir tenter de briser le blocus maritime. Tout en sachant pertinemment que l’issue d’une telle entreprise serait d’être interpellés par la marine israélienne, les militants à bord tels que l’eurodéputée Emma Fourreau (qui a créé une association de protection des océans) n’ont pas hésité à jeter ordinateurs portables et smartphones dans la mer pour que ceux-ci ne puissent être saisis. Fourreau a même revendiqué ce geste hautement écolo sur son compte Twitter[4]. Si des militants écologistes sont capables de montrer l’exemple d’une telle trahison et d’un tel désintérêt pour cette cause, comment attendre autre chose du grand public ?

Décroissance

Le repoussoir idéologique ne s’arrête pas là. Puisque le capitalisme est désigné par ces écologistes gauchisants  en coupable du réchauffement climatique, la solution qu’ils prônent  est bien logiquement la décroissance. Ainsi, une autre coqueluche de l’écologie française, l’astrophysicien, philosophe et militant radical Aurélien Barrau a osé proférer que si l’homme parvenait à découvrir une « source d’énergie propre et infinie », telle que la fusion nucléaire, ce serait « la pire des situations pour notre avenir commun ». Ce techno-pessimisme, largement répandu chez les écolos politiques et notamment par le biais de scientifiques militants (qui devraient inspirer le même degré de confiance que les journalistes militants), s’explique aisément : les avancées technologiques constituent sans doute la plus grande menace à leur agenda politique. C’est principalement la technologie qui pourrait venir contrarier leurs plans de changements sociétaux radicaux. Avec une certaine sournoiserie, le programme politique d’EELV est un soutien feint et sélectif à la technologie pour attirer un électorat modéré. Il affiche une ambition « verte et sociale », mentionnant l’innovation pour la transition écologique, mais ce soutien est strictement circonscrit aux énergies renouvelables et à des applications low-tech ou régulées. Aucune mention positive d’autres avancées high-tech (comme l’IA pour la modélisation climatique, les biotechnologies agricoles ou la capture de carbone). Qu’on ne s’y trompe pas : derrière un leurre progressiste, EELV a une ambition radicale, anticapitaliste et décroissante, à l’instar de ses médias amis tels que Blast ou Reporterre, qui défendent une écologie d’extrême gauche. 

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Ce rapport biaisé et idéologique envers la science se retrouve notamment dans les positions d’une partie des écologistes politiques vis-à-vis du GIEC. Ceux-ci réussissent le tour de force d’ériger ses rapports en nouvelle religion révélée en interdisant à leurs adversaires politiques d’en dévier d’un millimètre et de les considérer comme trop alarmistes tout en s’arrogeant le droit et privilège de les trouver trop optimistes. Une science forcément sacrée pour les gueux mais contestable pour nos écologistes aristocrates. Comment ne pas y voir un nouvel exemple d’instrumentalisation de l’écologie à des fins idéologiques et politiques ? Comment ne pas trouver les représentants actuels de l’écologie parfaitement repoussants ?

Jusqu’à quand ne leur opposerons-nous pas un contre-discours transpartisan, désintéressé, honnête, techno-optimiste et portant les mêmes valeurs que la majorité du peuple ?


[1] Les Ecologistes contre la modernité: Le procès de Prométhée (La Cité, 2021)

[2] https://www.lexpress.fr/societe/enquete-sur-les-fructueuses-conferences-des-influenceurs-climat-B4RFKNCH6VHMRDGDUY3B4IB7RU/

[3] https://x.com/ojim_france/status/1954987935192760529

[4] https://x.com/emma_frr/status/1949202768373424547

L’icône a parlé

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Dernières nouvelles de la militante palestinienne Ahed Tamimi


Le pogrom du 7-Octobre a été si vite oublié au profit de la sympathie universelle pour les Palestiniens, que l’icône internationale Ahed Tamimi n’a pas eu le temps d’y recycler sa gloire.

Exemple, modèle, emblème, égérie, symbole, icône …

L’AFP avait fait d’elle une idole, France 24 l’avait sacrée icône, elle avait été l’invitée vedette de la Fête de l’Huma en 2018 et le site américain Greenleft (la gauche verte) l’avait adoubée « Rosa Park palestinienne ».

A Ramallah, le cacochyme président-à-vie-élu-pour-4-ans-en-2005 l’avait accueillie en fanfare dans son palais présidentiel et il avait commandité à son agence de communication personnelle, nommée Wafa, un compte-rendu de la visite tout en retenue et en omissions :

« Le président de l’Etat de Palestine, Mahmoud Abbas, a reçu dimanche l’adolescente palestinienne, Ahed Tamimi et sa famille au siège présidentiel à Ramallah, après sa libération et celle de sa mère, des prisons israéliennes après huit mois d‘incarcération. Le président a vanté Ahed et l’a décrite comme un modèle de la lutte palestinienne pour la liberté et l’indépendance. Il a souligné que la résistance non-violente qu’incarne Ahed a prouvé que c’est une arme idéale et vitale face à la répression de l’occupation israélienne. »

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: L’ère de la calomnie

Ahed Tamimi avait été arrêtée et jugée deux fois par Israël. La première fois, en 2018, une agression aggravée, l’obstruction contre un soldat en service, des jets de pierre et des incitations à la violence multipliées par ses 270 000 followers sur Facebook lui avaient valu huit mois de prison. Elle les avait mis à profit pour suivre des cours de cuisine et prendre 20 kilos. La deuxième fois, un mois après le 7-octobre, c’était pour un appel au meurtre encore plus gore: « Vous vous direz que ce que vous a fait Hitler était une plaisanterie, nous boirons votre sang et nous vous mangerons le crâne. »

Cette déclaration avait enchanté la députée française Ersilia Soudais, qui y avait puisé une inspiration quasi-shakespearienne : « Il faut que cessent les arrestations massives de Palestiniens en Cisjordanie ! » Arrestations massives ou arrestation singulière d’une incitatrice au meurtre de masse ?

Loin des projecteurs, loin du cœur 

Pour se maintenir devant les projecteurs, le président Macron va reconnaître un État palestinien en septembre. Comme si les refus précédents des Autorités palestiniennes successives n’avaient pas largement démontré que les Palestiniens ne voulaient pas d’un État de plus, mais d’un État de moins…

Petit rappel historique :

  REPONSES PALESTINIENNES AUX OFFRES 2 ÉTATS POUR 2 PEUPLES  
19371947196720002001200520082020
Commission PeelPartition ONU3 Non de KhartoumCamp DavidNégoc°  TabaRetrait GazaOffre OlmertDeal Trump
NONNONNONNONNONNONNONNON

Comme si le Hamas, lui, ne s’en tenait pas exclusivement à sa charte, dont les statuts stipulent de tuer les juifs jusqu’au dernier (chapitre 1, article 7) et de conquérir tout le territoire d’Israël, commodément renommé LA Palestine. Cela vaut pour toutes les terres jamais foulées au pied par un musulman (chap. 3, art. 11). De ce fait, pour le Hamas, les « conférences et autres négociations visant à une solution » sont une perte de temps et un « arbitrage insupportable des infidèles sur la terre des musulmans » (chap. 3, art. 13).

Mais Macron se fiche des Palestiniens comme de son premier polo. Il aime tout ce qui parle de lui, même en mal. Cela tombe bien, car il collectionne avec constance les pires indices de satisfaction jamais sondés dans notre pays.

Ce qui vaut pour Macron vaut pour l’e-conne

L’art de la politique, tel que pratiqué à l’Élysée, est de prétendre vouloir lutter contre l’antisémitisme tout en l’alimentant efficacement par des déclarations incendiaires contre Israël. Il s’agit de bien montrer qu’on ne confond pas Juifs et sionistes, ni islam et islamisme et encore moins nazisme et nazis.

Ainsi peut-on cracher sur les « sionistes » avec la même haine qu’on le faisait sur « les juifs parasites » dans les années 1930. Et utiliser le mot « génocide » non pas pour qualifier le pogrom qui a tué 1200 civils israéliens avec la barbarie que les criminels eux-mêmes ont diffusée en temps réel, mais pour accuser ses victimes d’en pratiquer un contre leurs agresseurs. La condition sine qua non de la conscience immaculée est le padamalgam entre les juifs français et tous les autres, qui sont des « colons sionistes ».

A lire aussi: Rima Hassan: l’honneur perdu de l’ULB

Hélas, la résistance non violente incarnée a porté un coup dur à cette schizophrénie élyséenne : « Depuis mon enfance, j’ai toujours considéré que le judaïsme et le sionisme étaient la même chose », a-t-elle confié en toute intimité à un podcast en arabe, diffusé début août 2025. Sur sa lancée, elle a précisé : « Nous combattons les Juifs, pas le sionisme. (…) Les Occidentaux nous soutiennent avec leur aide, ils continueront, qu’ils le veuillent ou non et nous ne les remercierons pas. »

Elle n’a pas les pudeurs de vierge de l’Occident pour séparer le grain des gentils de l’ivraie des méchants : « Le monde entier devrait la fermer quand un Palestinien prend la parole. (…) Nous sommes supérieurs au reste du monde, car nous sommes les seuls à combattre l’injustice, au prix de nos vies et de notre humanité ». La partie adverse n’a qu’à la fermer elle aussi : « le judaïsme est une occupation. »

Sa conclusion est suicidaire mais, à sa décharge, elle n’est pas la seule à être pilotée par un narcissisme surgonflé : « J’en suis arrivée à souhaiter une Troisième Guerre mondiale. Qu’ils larguent des bombes nucléaires, qu’ils détruisent le monde entier, pour que les Palestiniens ne soient pas les seuls à souffrir. » Plutôt faire exploser la planète que laisser le peuple juif[1] s’autodéterminer sur son petit coin de Moyen-Orient. 22 072 km2 au milieu de 13 millions de km2 arabes, c’est insupportable !

Quelles réactions françaises aux dernières déclarations d’Ahed Tamimi ?

Accusés, à l’insu du réel, de posséder les gouvernements et les médias, les Juifs semblent pourtant seuls à connaître certaines infos. On en veut pour preuve le fait que la recherche sur Google[2] des réactions françaises aux récentes déclarations de la Rosa Parks palestinienne est un échec. Zéro déclaration officielle et seulement quatre retombées : i24News, média francophone israélien cité trois fois, un article sur un média « communautaire » (traduire : « sioniste ») et un post Instagram… Libé, Le Monde et autres médias mainstream sont encore à l’heure d’hiver 2023, quand l’égérie de la lutte anti-Juifs avait été libérée après un mois d’incarcération, dans un échange de trois prisonniers par otage.


[1] En 2025, il y a environ 15 millions de Juifs dans le monde, dont 8 millions en Israël. La population israélienne atteint les 10 millions, dont 2,2 millions d’Arabes musulmans et chrétiens.

[2] Le 27 août 2025 à 11h30.

Maroc: guerre entre services ou déstabilisation extérieure?

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M. Hammouchi, spécialiste du renseignement de carrière et notamment de radicalisation propulsé à la tête de la DST (à droite) et M. Mansouri spécialiste de la sécurité et de l’information (à gauche). DR.

Le rapprochement entre Paris et Rabat, consolidé par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara, n’a pas seulement des implications diplomatiques. Il s’inscrit aussi dans une réalité plus souterraine: celle de la montée en puissance discrète des services de renseignement marocains. Dans un contexte sahélo-méditerranéen où les repères se brouillent et où la France a vu s’effriter plusieurs de ses leviers d’influence, le Maroc s’impose comme un partenaire crédible, et parfois même incontournable.


La DGED (les renseignements extérieurs) marocaine fait montre ces derniers temps d’une certaine efficacité. Dirigée par Mohammed Yassine Mansouri, elle aurait apporté une aide cruciale aux forces armées nigériennes qui auraient, selon un communiqué officiel, exécuté Ibrahim Mamadou, le chef de Boko Haram sur l’île de Shilawa dans la région de Diffa. Cette secte islamiste à l’origine de dizaines de milliers de morts et de millions de déplacés dans la sous-région est un immense facteur d’instabilité. La France peut donc compter sur cette solidité opérationnelle bénéfique à l’ensemble de la région.  À la tête de la DGED, Mohammed Yassine Mansouri incarne cette orientation. Civil dans un univers longtemps dominé par les militaires, condisciple du roi Mohammed VI au Collège royal, il a construit sa légitimité sur le temps long: d’abord à la direction de la MAP (Agence marocaine de presse), puis au ministère de l’Intérieur avant d’être appelé à la DGED en 2005. Sa carrière illustre la volonté de professionnaliser le renseignement extérieur marocain, en le plaçant à l’intersection des réseaux tribaux, des canaux diplomatiques et des coopérations sécuritaires. Africa Intelligence rapportait même il y a quelques mois que la DGED était en pourparlers avec le Niger pour faire libérer le président Mohamed Bazoum, que la France a demandé à Niamey. Une libération qui avait été évoquée lors de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat à l’automne dernier. 

La DGST (les renseignements intérieurs), dirigée par Abdellatif Hammouchi n’est pas en reste sur un front finalement très complémentaire. Spécialiste des réseaux islamistes radicaux, M. Hammouchi a imposé au fil des ans une discipline de fer à ses troupes et transformé la DGST en référence mondiale dans la lutte antiterroriste. Sa nomination à la tête de la DGSN (police nationale) en 2015 a permis de fusionner les cultures policière et renseignement. Ses méthodes, marquées par la tolérance zéro, ont valu à ses services une crédibilité inédite auprès des partenaires européens.  Ses services sont ainsi à l’origine de l’arrestation de figures du narcobanditisme hexagonal, comme Félix Bingui l’un des chefs du gang Yoda qui se cachait au Maroc. En ce mois d’août, le remorqueur Sky White battant pavillon camerounais était interpellé au large des îles Canaries avec trois tonnes de cocaïne à son bord grâce à l’idée de la DGST marocaine qui a fourni à la garde civile espagnole des renseignements et un appui opérationnel essentiel.

Des succès qui aiguisent les convoitises

Dans le nœud sécuritaire que représente actuellement la Méditerranée et l’Afrique sahélienne, encore récemment illustré par les violentes purges au Mali, la France ne peut plus compter sur la collaboration active de nombreux pays comme c’était naguère le cas. La tension énorme avec l’Algérie qui a atteint son apex en ce début de mois d’août l’aura encore démontré. En creux s’ajoutent aussi des difficultés plus ou moins publiques avec certains de nos alliés traditionnels européens, à l’image de l’Italie qui a toujours porté un regard envieux sur l’influence française en Afrique et s’est récemment de nouveau rapprochée d’Alger. Une danse du ventre qui a bien sûr trouvé un écho favorable du côté du régime algérien, englué dans sa politique répressive qui a conduit deux de nos compatriotes derrière les barreaux – Boualem Sansal et le journaliste sportif Christophe Gleizes.  

Notre partenaire principal pour trouver des solutions dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité du Sahel se trouve désormais à Rabat. Car, il faut le reconnaitre : nous ne parvenons plus à communiquer directement avec les autorités de transition là où les Marocains sont désormais capables de jouer les intermédiaires.  La libération, en décembre dernier, de quatre agents français de la DGSE détenus à Ouagadougou, fruit d’une intercession directe de Mohammed VI auprès des autorités de transition, l’a rappelé et fut très appréciée des services français.

Cette situation privilégiée excite le voisin algérien. Ainsi, depuis quelques semaines, des rumeurs se font entendre. Il y aurait au sein du Maroc une guerre « entre espions » opposant la DGED de M. Mansouri au pôle DGST / DGSN dirigé par Abdellatif Hammouchi. Certains verraient-ils d’un mauvais œil cette réussite opérationnelle et les bons rapports entre les services marocains et français ? L’emphase mise dans les médias algériens autour du cas de Mehdi Hijaouy peut le laisser penser ainsi que diverses publications dans la presse espagnole. Présenté en témoin de moralité et en ex-numéro deux de la DGED, l’homme a quitté les services en 2010 et a des problèmes judiciaires bien réels puisqu’il est accusé de fraudes et d’aide à l’immigration illégale. Peu de rapport direct donc avec une hypothétique « guerre des services ».

Cette campagne informationnelle sur les réseaux sociaux est d’ailleurs peut-être aussi alimentée par des services concurrents. La presse espagnole glosait ainsi récemment dans El Independiente autour d’une « guerre des services » alors que la DGST et la DGED n’ont ni les mêmes missions ni les mêmes périmètres : l’une agit sur le territoire national, l’autre à l’extérieur. Début août, du reste, les deux patrons du renseignement ont passé plusieurs jours ensemble lors d’un séminaire de réflexion stratégique. Ce rendez-vous portait sur les menaces asymétriques et visait à renforcer la liaison interservices dans la lutte contre les trafics transfrontaliers reliant le Sahel à l’Europe. En fait d’une guerre entre les deux principaux services marocains, il semble plutôt que des services extérieurs cherchent à en semer une… Lesquels ? Poser la question revient peut-être à y répondre.

L’Homme en veille: sur l’abdication cognitive à l’ère de l’IA

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© Yassine Mahjoub/SIPA

L’homme moderne a déjà renoncé à l’effort physique. Renoncera-t-il demain à l’effort mental ? Entre fascination technologique, passivité cognitive et fantasme d’auto-amélioration, ce texte interroge les soubassements idéologiques du nouvel ordre technologique qui s’installe.


En février 2025, une étude conjointe de Microsoft Research et de l’Université Carnegie-Mellon a révélé un phénomène que beaucoup constatent intuitivement : lorsque des travailleurs en cols blancs utilisent une IA générative, 68% déclarent réduire spontanément leur effort cognitif et près d’un sur deux affirme moins vérifier les informations produites. Plus frappant encore, les participants les plus confiants dans la machine sont aussi ceux qui déclaraient avoir fourni le moins d’effort critique lorsqu’ils l’utilisaient. L’IA grand public ne se contente donc pas de produire du contenu : elle transforme notre rapport à l’effort mental et à la vérification, et installe peu à peu un réflexe de délégation.

« Demande à ChatGPT »

En moins de deux ans, les IA génératives sont passées de curiosité à réflexe quotidien : 600 millions de personnes les utilisent chaque jour au fil de multiples sessions dont la durée moyenne atteint désormais quatorze minutes par jour. Ce rythme d’adoption signe la marque d’une accoutumance croissante qui, par son ampleur, alimente directement ces systèmes : plus nous les sollicitons, plus ils se perfectionnent, créant ainsi une dynamique où l’usage massif devient le principal carburant de leur montée en puissance.

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Si l’usage des IA se développe si rapidement, au point qu’on leur cède chaque jour davantage de terrain, c’est d’abord parce qu’il repose sur une confiance quasi instinctive qui progressivement évolue vers une forme de passivité, proche – pour beaucoup – d’une démission intérieure à bas bruit. Face à l’efficacité presque surnaturelle de ces outils, nous acceptons de réduire progressivement l’effort critique et mental qui constituait hier encore le fondement de notre autonomie intellectuelle. Ces renoncements du quotidien deviennent ainsi la condition même du développement de dispositifs techniques toujours plus puissants.

Pire, à mesure que la technologie se renforce, nous intériorisons l’idée que nous ne sommes plus vraiment à la hauteur, que la machine ne fait pas seulement mieux : elle sait mieux. Un glissement insidieux ouvrant la voie à une défiance généralisée envers la condition humaine, érigeant la technologie en réponse miraculeuse à nos imperfections et qui nous pousse dans les bras des idéologies techno-solutionnistes les plus caricaturales, dont le fondement est précisément la faillibilité humaine et son nécessaire dépassement.

De la démission à la soumission

À bien des égards, ces néo-idéologies reposent en effet sur l’idée que l’Homme, dans sa forme actuelle, est une entrave à son propre accomplissement, et que seule une amélioration radicale pourrait lui permettre de se réaliser pleinement. Ses fragilités – peurs, erreurs de jugement etc. – tout comme les travers collectifs – corruption, inégalités économiques etc. – deviennent autant de raisons pour justifier le recours massif à la technologie afin de les dépasser. Cette perception de l’Homme n’est évidemment pas nouvelle. Elle rejoint une critique ancienne que l’on retrouve déjà chez les Épicuriens et les Stoïciens, pour qui les passions humaines étaient sources de malheur. Mais là où ces écoles prônaient une libération par des moyens intérieurs – la vertu, la modération, la maîtrise de soi –, nos gourous contemporains proposent une voie radicalement différente : supplanter notre nature au travers de dispositifs technologiques exogènes. Une défiance envers la nature humaine qui se révèle également dans l’essor des technologies financières récentes – notamment celle du Bitcoin. C’est en partie dans la critique adressée aux monnaies traditionnelles – politiques économiques contestées, retour de l’inflation etc. – que prend racine l’essor des monnaies virtuelles, lesquelles s’érigent en réponses absolues à ces imperfections. Leur code devient la promesse d’une justice pure, d’une équité inaltérable.

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Or, derrière cette prétendue pureté du code informatique se cache peut-être un phénomène plus profond : le retour du sacré sous forme technologique. Ce qui jadis relevait des religions et des croyances collectives se déplace désormais vers les algorithmes, les codes, les systèmes décentralisés. La technologie n’est plus un simple outil ; elle devient un Ordre Supérieur, un principe directeur au service d’une nouvelle foi, où le jugement humain passe au second plan. L’écran devient Oracle : on pose une question, on reçoit une réponse, on s’y conforme. Qui ose encore remettre en cause les itinéraires proposés par une application telle que Waze – si chère au philosophe Éric Sadin ? Combien d’utilisateurs de X (ex-Twitter) s’en remettent déjà à l’IA de Grok pour vérifier la véracité d’une information ?

Vers un grand remplacement ?

La possibilité d’un « grand remplacement » prend dès lors une dimension inédite : peut-être moins celle des peuples que celle de l’Homme, remplacé par les systèmes démiurgiques qu’il aura lui-même conçus. Et ce basculement ne serait pas imposé par une quelconque force extérieure, mais procéderait plutôt d’une démission intérieure : un renoncement volontaire des individus à prendre en main leur destin. Plutôt que de s’élever et se perfectionner, beaucoup semblent prêts à s’en remettre aux machines, une tentation que l’on voit poindre notamment chez les plus jeunes. L’IA, les algorithmes – et demain les robots domestiques – deviennent de facto les substituts de l’effort humain dans bien des domaines.

Après s’être affranchi du travail physique, le monde développé est-il en train de basculer vers la fin de l’effort mental ? Faudra‑t‑il bientôt entretenir son intellect comme on entretient son corps, à coups d’exercices ciblés sur des applications de “fitness cognitif” ? Devra‑t‑on s’abonner à des programmes spécialisés pour éviter la dégénérescence neuronale provoquée par l’inactivité cérébrale ? Ou bien la marche sera‑t‑elle trop haute, et certains préféreront-ils directement une puce Neuralink pour doper artificiellement leurs capacités ?

Les signaux sont déjà là : plusieurs études montrent une baisse constante du vocabulaire actif moyen chez les adultes, reflet d’une érosion lente de la richesse cognitive. Si nous avons su déléguer nos muscles aux machines, rien n’empêche que nous finissions par faire de même avec nos synapses. Dès lors, ce qui subsistera de l’expérience humaine sera un corps assisté et un esprit externalisé. Les techno-utopies californiennes, loin d’incarner une émancipation, deviendraient alors l’ultime asservissement : celui que nos renoncements quotidiens auront rendu possible.

Un film noir du grand Kurosawa dans le Japon des sixties: une redécouverte

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"Entre le ciel et l’enfer" / Tengoku to jigoku, de Akira Kurosawa (1963) © Carlotta Films

Prise d’otage haletante à la nippone…


Gondo, industriel parvenu, patron de la National, une puissante marque de chaussures (on apprendra incidemment qu’il doit son ascension sociale à la dot de son épouse bien née), domine la grande ville aux usines fumantes de Yokohama, depuis les baies vitrées de son opulente maison au mobilier high tech, perchée au sommet de la colline, signe ostentatoire de sa réussite. En conflit avec son conseil d’administration, l’homme vient d’hypothéquer ses biens pour devenir actionnaire majoritaire de l’entreprise, lorsqu’un ravisseur, croyant enlever Jun, l’enfant unique du couple, s’empare par erreur de Shin’itchi, le fils du chauffeur. Gondo hésite à payer une rançon exorbitante au péril de ses ambitions matérielles, dans le dessein de sauver l’enfant, et à sacrifier ainsi ses intérêts à la morale.    

Immense succès lors de sa première sortie

Entre le ciel et l’enfer, joyau en noir et blanc exhumé par les soins du distributeur Carlotta, ressort en salles dans une version restaurée 4K. Le film n’a pas la renommée des Bas-Fonds, de Dodes’kaden, des Sept Samouraïs, du Château de l’araignée ou encore de La forteresse cachée, autant de chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa (1910-1998), le prolifique grand maître du Septième art nippon. Immense succès à sa sortie au Japon en 1963, il emprunte très ouvertement aux codes du film noir américain. À l’orée des années 1960, le Japon, faut-il le rappeler, n’est plus formellement sous occupation US mais reste largement sous influence du vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. Le film est d’ailleurs une adaptation de Rançon sur un thème mineur, un roman signé du jeune Ed Mc Bain (1926-2005), écrivain new-yorkais plus tard rendu célèbre par les aventures du 87è District. Dans le rôle de Gondo, Toshirō Mifune (1920-1997), l’acteur fétiche de Kurosawa.

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Le premier tiers de ce long métrage de près de deux heures-et-demi est concentré dans le huis-clos de la maison du capitaine d’industrie.  Les policiers y sont en planque, tandis que le kidnappeur, au téléphone, fait part de ses exigences pour récupérer la rançon en cash…

Haletant

À partir de là, le scénario prend une dimension inattendue : dans une deuxième partie haletante, très moderne dans sa facture, Entre le ciel et l’enfer s’ouvre sur l’espace de la ville accablée de chaleur. Autour du jeune inspecteur Tokura, une légion de limiers en chemises blanches, en nage malgré les ventilateurs dont le commissariat est équipé, se lance sur la piste du kidnappeur, munie de gros moyens logistiques et scientifiques (analyse des indices, repérage de la numérotation des billets, interrogatoires des comparses, filatures…). Traque urbaine échevelée, pleine de rebondissements, sur fond de trahison par les acolytes de Gondo. De fil en aiguille l’enquête se déplace dans les bas-fonds de la cité, au milieu des prostituées et des toxicomanes, jusqu’à l’arrestation du cerveau du rapt, un détraqué bientôt condamné à la peine capitale, après que ses complices junkies ont été retrouvés morts, assassinés par overdose de cocaïne!

Extraordinaire, toile de fond d’un suspense ancré dans ce Japon en essor accéléré, la présence étasunienne avérée jusque dans les enseignes (« tailor », « florist », « wc »), et plus précisément encore dans cette séquence de dancing où, sur un rythme de jazz endiablé se trémousse, au premier plan, un Noir américain murgé au scotch ou au gin-fizz… Exacte, scrupuleuse translation des canons du film noir hollywoodien dans l’archipel asiatique.      


Entre le ciel et l’enfer. Film d’Akira Kurosawa. Noir et blanc, Japon, 1963. Version restaurée 4K.  Durée: 2h23. En salles le 3 septembre 2025

Le baroque en sursis

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© Festival de Sablé

Depuis près d’un demi-siècle, les élites de la musique baroque se produisent à Sablé (72). Mais avec un budget amoindri, l’ampleur du festival se réduit douloureusement.


C’est un joyau qui depuis un demi-siècle bientôt donne à entendre et à voir le meilleur de la musique et de la danse baroques en France.

Mais un joyau qui n’a jamais  trouvé (à l’exception notable de l’église Saint-Louis de La Flèche) l’écrin qu’il mérite : le théâtre, le château, la chapelle qui serait à même d’exalter, dans un cadre à sa mesure, la beauté de ce que l’on y voit ou entend.

© Stevan Lira

Un majestueux château

Etrange destinée que celle de ce Festival des arts baroques de Sablé né dans un lieu que rien de prédisposait à recevoir tant de merveilles. On y découvre des chefs d’œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles exécutés par les solistes les plus brillants, les meilleures formations, les musiciens (ou les danseurs) les plus talentueux, mais dans d’aimables églises de villages qui n’ont rien d’exceptionnel ou, à Sablé même, dans une église néo-gothique aux beaux volumes, mais dont l’acoustique est défaillante. Ou encore dans une salle de spectacle confortable, mais incluse dans un centre culturel sans caractère datant de la fin des années 1970 ce qui dit combien il représente la fâcheuse antithèse des fastes ou des beautés baroques.

Dommage ! Il existe bien, à Sablé, un imposant château édifié à l’aube du XVIIIe siècle qui abrita cette marquise de Sablé si renommée en son temps, puis des ducs de Chaulnes de la maison d’Albert de Luynes au XIXe siècle. Mais il passa entre des mains bourgeoises qui lui firent  subir une lamentable destinée avant qu’il ne soit converti dans les années 1980 en atelier de restauration des ouvrages  endommagés de la Bibliothèque nationale.  Avec sa façade majestueuse, mais quelque peu lépreuse, ainsi que sa terrasse spectaculaire dominant théâtralement la Sarthe et la petite cité, il pourrait être le somptueux écrin qui fait défaut au festival. Encore faudrait qu’il soit libéré par l’Etat de ses fonctions actuelles, comme cela est annoncé, et que sa configuration intérieure permît d’y recevoir des concerts. 

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Mais il y a plus préoccupant : le financement du festival et l’âge du public.

Celui du Festival de Sablé est assurément des plus exemplaires. Fidèle, averti, curieux et sans doute dépourvu de ce snobisme qui n’est pas garant de recueillement et d’attention, il a le mérite de suivre avec ferveur ce qui s’y déroule. Mais en accompagnant une manifestation qui célébrait cette année sa 47e édition, il a inéluctablement vieilli. Les sexagénaires y font figure de galopins  et  la plupart des concerts, hors les artistes, sont désertés par toute figure de moins de cinquante ans.  D’où espérer dès lors un renouvellement du cheptel ?  La direction artistique a beau fermer les yeux en pratiquant la politique de l’autruche, le problème est aigu et d’autant plus inquiétant que le festival est une perle baroque dont on ne peut que souhaiter la pérennité.

Comme dans un régime totalitaire

Il est aussi exposé à une vraie calamité : les pouvoirs locaux, l’autorité régionale en l’occurrence, incarnée par une enragée qui, en cherchant à faire de légitimes et souhaitables  économies, sabre à tout va dans le budget culturel le faisant passer de 14 millions  d’euros à 4,5 millions (moins 73%), sans être capable d’effectuer des choix judicieux dans ces coupes drastiques. On peut certes effectuer des économies. Encore faut-il que ce soit à bon escient, sans pénaliser de remarquables entreprises avec la même fureur qu’on peut mettre à suspendre toute aide à des manifestations d’un intérêt discutable. Mais comment espérer rencontrer du discernement dans le domaine des arts chez les politiciens de province quand à Paris on attribue le ministère de la Culture à quelqu’un qui apparaît comme caricaturalement inculte ?

Du jour au lendemain, et avec une brutalité digne d’un régime totalitaire,  la présidence de la Région des Pays de Loire a supprimé l’aide fort modeste de 50 000 euros qu’elle apportait au Festival de Sablé. Outre les respectables recettes (billetterie et mécénat local) qu’engrange le festival et qui se montent à 100 000 euros, restent la participation de l’Etat (20 000 euros), celle du département de la Sarthe (57 000 euros), et celle de la municipalité qui se chiffre à 123 000 euros. Le maire de la petite ville a réagi avec noblesse en assurant le festival de son soutien indéfectible et en le projetant vers sa cinquantième édition. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Le budget artistique du festival n’est que de 150 000 euros (cachets, hébergement et déplacements des artistes), ce qui est bien peu en regard de son rayonnement et du prestige qui a été le sien. Quant à son budget de fonctionnement, il entre dans celui du centre culturel portant le nom de l’ancien maire Joël Le Theule et que dirige Roland Bouchon. Les prix des billets courent de 40 à 12 euros. 12 euros pour les auditeurs de moins de 26 ans, bien plus rares, hélas ! que ne le sont les chevreuils dans les forêts des châteaux alentour. Plus invisibles encore sont les membres de la considérable communauté africaine installée dans la région en tant que main d’œuvre dans l’industrie alimentaire.

Alors que le  Festival de Sablé doit douloureusement réduire sa durée, le nombre des concerts et la variété des sites où ils se donnent, il y a un trésor à protéger autre que le seul festival : cette profusion de jeunes musiciens de talent, ces formations de chambre remarquables qui cherchent, découvrent, exhument, ressuscitent des musiques  injustement oubliées parfois ou maintiennent vivant avec foi et enthousiasme un répertoire fabuleux. Ils ne bénéficient pas des honneurs qu’on accorde dans les médias au moindre crétin qui brame dans un micro et se ridiculise à force de contorsions sur des podiums devant des foules  décervelées.  Mais ils appartiennent à l’élite du monde artistique et de la société, ils participent à l’identité, à la richesse culturelle du pays. Et à ce titre ils méritent qu’on les soigne alors que l’existence des festivals est pour eux essentielle.

Un chef d’œuvre d’élégance

Cette année encore, chaque concert aura délivré des moments exceptionnels :

cette partition d’un auteur anonyme allemand exécutée par l’ Ensemble Théodora (violon baroque, viole de gambe, théorbe et clavecin) qui est l’exemple même de la ferveur, de la fraîcheur et de l’esprit d’aventure que dispensent ces jeunes formations de musiciens passionnés ; cet aria, « Sovente il sole », extrait de l’ « Andromeda liberata » de Vivaldi, chanté de façon proprement céleste par le contre-ténor Carlo Vistoli accompagné par les musiciens des Accents, et qui suivait un magnifique « Stabat Mater » du même Vivaldi sous la direction de Thibaut Noally ; ces admirables concertos pour deux, trois ou quatre clavecins de Bach, dont jouent avec allégresse et jusqu’à l’envoûtement  Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Violaine Cochard et Jean-Luc Ho, comme dans le largo du concerto en la mineur BWV 1065, accompagnés qu’ils sont par cinq autres excellents musiciens (violons, alto, violoncelle et contrebasse) de l’ensemble Le Caravansérail ou dans la transcription du troisième Concerto brandebourgeois pour  quatre clavecins;  la voix de la contralto Anthea Pichanick dans le « Stabat Mater » de Pergolèse exécuté par l’Ensemble Il Caravaggio sous la direction de Camille Delaforge.

Et enfin ce trio dansé extrait du spectacle « Que ma joie demeure », chorégraphié par Béatrice Massin pour sa Compagnie des Fêtes Galantes : un trio qui est un pur chef d’œuvre d’élégance, de spiritualité, d’équilibre et de douceur.


La prochaine et 48e édition du Festival des arts baroques de Sablé aura lieu du 19 au 22 août 2026.

Profanation du mémorial d’Ilan Halimi: ce détail essentiel

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DR.

Deux frères d’origine tunisienne sont soupçonnés d’avoir abattu à la tronçonneuse l’arbre planté à Épinay-sur-Seine en mémoire d’Ilan Halimi. Cet acte, d’une violence symbolique forte, illustre encore une fois comment l’immigration incontrôlée nourrit la montée d’un antisémitisme nouveau de plus en plus visible dans notre pays.


Les premières informations dont on dispose sur les deux hommes soupçonnés d’avoir détruit il y a quinze jours l’arbre planté en hommage au jeune juif assassiné, laissent penser que l’on a affaire à des islamistes antisémites.

On a appris hier dans Paris Match que deux frères jumeaux ont été interpellés par la police ce lundi à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) non loin du mémorial en hommage à Ilan Halimi, qui a été vandalisé dans la nuit du 13 au 14 août. Confondus grâce à leur ADN et à la présence dans leur smartphone de vidéos où on les voit manipuler la tronçonneuse ayant vraisemblablement servi à couper l’olivier qui surmontait la stèle profanée, ils sont soupçonnés d’être les auteurs de cet acte antisémite hélas si symbolique de l’atmosphère irrespirable de judéophobie qui flotte depuis le 7-octobre dans notre pays. Les deux jeunes hommes ont été entendus en comparution immédiate par la justice. On saura ultérieurement s’ils sont condamnés, et à quelles peines.

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Des jumeaux tunisiens

L’information a été reprise ce matin un peu partout dans les médias. Évidemment, France Inter n’a pas jugé utile de mentionner que les mis en cause sont des SDF âgés de 19 ans de nationalité tunisienne. Ce détail a pourtant de l’importance, car il laisse supposer que nous ne sommes pas en présence de militants gauchistes. Il ne s’agit pas ici de dédouaner La France insoumise de sa responsabilité dans la recrudescence de haine anti-juive telle qu’on l’a constatée en France cet été, mais de rappeler qu’il serait mensonger de faire porter le chapeau au seul Jean-Luc Mélenchon, qui, en l’espèce, a condamné la profanation d’Epinay sans ambiguïté et jugé utile d’indiquer à cette occasion que le meurtre d’llan Halimi, ce jeune juif torturé à mort en 2006, avait été selon lui « l’acte abject d’abrutis assassins antisémites qui ne méritent que notre mépris ».

Nouvel antisémitisme

Dans sa lettre adressée à Benyamin Nétanyahou mardi, Emmanuel Macron estime que l’antisémitisme n’aurait en France qu’une seule explication: l’extrémisme politique. « Les antisémitismes de notre pays viennent de loin, ont longtemps été nourris par l’extrême droite, sont aujourd’hui aussi alimentés par l’extrême gauche qui essentialise la communauté juive et soutient la haine contre cette dernière », écrit-il. Pas un mot sur cette autre source de la haine antisémite, pourtant majeure, qu’est l’islamisme. Il est pourtant assez probable que les deux violeurs présumés de la mémoire d’Ilan Halimi aient été plutôt inspirés par des motivations religieuses qu’idéologiques. Mais comme cette éventualité ne cadre pas avec ce qu’Emmanuel Macron croit savoir, grâce à son grand ami Yassine Bellatar, des banlieues, il y a peu de chances que le président français fasse au Premier ministre israélien l’aveu de ce mal qui ronge notre pays.

Résister par la joie de devenir soi — Scènes d’un été israélien

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À Tel Aviv, des manifestants bloquent la route et réclament la fin de la guerre à Gaza et le retour des otages, 26 août 2025, Israël © Ilia Yefimovich/DPA/SIPA

À Tel Aviv, le vivre-ensemble malgré tout


Assise en terrasse de café à Tel-Aviv, quelques heures avant une grande manifestation à l’initiative des familles d’otages, je surprends la discussion d’un père et de son fils. La conversation est vive, le ton monte. L’oreille indiscrète, je comprends que le fils est réserviste et qu’il s’apprête à retourner à Gaza dans quelques jours pour une opération d’envergure. D’une voix presque détachée — celle des êtres las, qui ont perdu la force de se mettre en colère après près de deux ans de combats et de tension — il soutient, face à son père, lui-même ancien combattant, que la stratégie actuelle n’est pas la bonne. Selon lui, il faut sortir de Gaza pour récupérer nos otages, puis, à l’avenir, se contenter d’interventions courtes, ciblées, ponctuelles. Il argumente, il faut s’extraire au plus vite de cette nasse dans laquelle le pays tout entier s’enlise et se perd. J’écoute moins le fils que je n’observe le père : son regard dans le vide, il répète en boucle : « Tous les sacrifices que nous avons faits ne peuvent pas simplement aboutir à cette issue-là. »

Quelques heures plus tard, je retrouve un ami israélien au visage fatigué. La veille, me dit-il, il s’est imposé de regarder quarante longues minutes d’images des massacres du 7-Octobre. Je suis choquée. J’essaie de bloquer les pensées et les images mentales qui pourraient me venir, moi qui ai choisi de ne pas visionner ces scènes. Aussi discutable que cela puisse paraitre, j’ai pris le parti de me préserver autant que possible des images difficiles. Mon silence suffit à l’interroger. « Je l’ai fait pour me rappeler qui nous avons en face. Il est important de ne jamais oublier contre qui nous menons cette guerre. L’Europe a basculé, gangrenée de l’intérieur, son opinion publique et politique retournée en quelques mois ; eux ont pris la liberté d’oublier la barbarie. Mais nous, Israéliens, avons le devoir moral de regarder lucidement qui sont nos ennemis pour les combattre en conséquence. »

En l’espace de quelques heures, deux conclusions radicalement opposées me sont données. En l’espace de quelques heures, je me confronte, comme c’est souvent le cas en Israël, à des récits de plus en plus enracinés et qui, à la longue, deviennent incompatibles. Ces récits, issus des « bulles sociales », elles-mêmes constituées bien avant les massacres, sont devenus si opposés que je me mets à douter s’ils décrivent la même réalité. Le prisme à travers lequel l’individu perçoit le monde m’apparait de plus en plus nettement.

Où puiser la force de continuer à vivre, quand le pays est isolé sur la scène internationale, que la haine antijuive repointe son visage, et qu’à l’intérieur, le peuple est si divisé ?

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La réponse ne se trouve ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias. Elle se cueille en se promenant dans le pays. Où que l’on aille, les pelouses sont bondées par les concerts en plein air, les plages résonnent du matin au soir des jeux de balles et des cris d’enfants, les cafés ne désemplissent pas. Dans cet élan de vie, le peuple répond à sa manière, en s’efforçant, de toutes ses forces, de vivre intensément le moment présent.

Comme un fait exprès, les conseils prophétiques de Gilles Deleuze adressés à ses élèves en 1987 apparaissent sur mon écran au petit matin : « Quelle que soit l’abomination du monde, il y a quelque chose qu’on ne pourra pas vous retirer et par quoi vous êtes invincibles. Ce n’est surtout pas votre égoïsme, ce n’est pas votre petit plaisir d’être “moi”. C’est quelque chose de bien plus grandiose : la joie du devenir soi. Faites en sorte que cette joie grandisse, qu’elle devienne la joie d’un nombre toujours plus grand. Cela veut dire trouver en soi la force de résister à tout ce qui est abominable. »

Cette joie d’être soi, que certains occidentaux vont chercher désormais dans la méditation ou l’éloignement du monde, les Israéliens la puisent au contraire dans celle d’être ensemble, de cultiver la joie, de se l’imposer même quand elle risque de leur faire défaut. En Israël, l’épanouissement personnel ne se conçoit et ne se réalise qu’à travers la participation au destin collectif. Ici, le vivre ensemble n’est pas un slogan, c’est une réalité, et ce, en dépit des fractures profondes et des blessures qui parcourent la société.

Peut-être est-ce là le vrai visage d’Israël : une terre où, malgré l’abomination qui nous hante et les narratifs qui s’entrechoquent, la joie d’être soi continue de s’inventer, de circuler, de se partager — comme un pied de nez à la pulsion de mort qui s’est emparée du monde.

Itinéraire d’un mao

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Le journaliste et écrivain français Sorj Chalandon © P. Matsas

Dans son dernier roman, Sorj Chalandon revisite ses propres souvenirs pour retracer une jeunesse militante à l’extrême gauche dans les années 1970, n’hésitant pas à transformer au passage quelques noms et événements.


Ils ne sont plus très nombreux à se lancer dans une autobiographie racontant leur engagement pour changer le monde de manière ultra violente. « Ils », ce sont les maoïstes de l’ère post soixante-huitarde. Les petits matins blêmes de Billancourt seraient effacés par le Grand soir. Les prolétaires finiraient par dynamiter les structures bourgeoises. La gauche radicale était l’avenir radieux du monde. Elle avait ses héros : Staline, Pol Pot, Hô Chi Minh, Castro, Trotsky… Elle était le camp du Bien. Malheur à celui qui s’y opposait, il finissait au goulag de la pensée. N’oublions pas qu’il était préférable d’avoir tort avec Sartre que d’avoir raison avec Raymond Aron. Malgré l’aide de la barre de fer et du cocktail Molotov, le triomphe n’eut pas lieu. « Le chagrin du temps en six cents vingt-cinq lignes » – Léo Ferré – est venu à bout de la révolution. Leur idéal de justice sociale et de société permissive n’a pas résisté aux sirènes du consumérisme. Les révoltés sont rentrés dans les rangs du conformisme, ils sont devenus individualistes, soucieux de toucher chaque année les dividendes de leur palinodie.

Percutant

Le roman de Sorj Chalandon, Le Livre de Kells, est captivant parce qu’il raconte, sans lyrisme et en toute franchise, les grandes luttes idéologiques du début des années soixante-dix. De Gaulle avait quitté le pouvoir et la France n’avait pas réglé la question du pétainisme. La rue était le théâtre d’affrontements musclés entre la Gauche Prolétarienne, la redoutable GP, et l’extrême droite, incarnée par Ordre nouveau et le Front national dirigé par l’ancien para, pro Algérie française, Jean-Marie Le Pen. Roman, mais surtout entreprise autobiographique.

A lire aussi, Elisabeth Lévy et Jonathan Siksou: À la recherche de l’esprit français

Derrière le personnage de Kells, se dissimule à peine l’auteur qui largue les amarres, Lyon et sa famille, à dix-sept ans, pour se retrouver à Paris, sans connaître personne. Le but : découvrir Katmandou, en passant pas Ibiza. C’est un témoignage de première main, servi par un style percutant. Pourquoi Kells ? Le nom est emprunté au Livre de Kells, « chef-d’œuvre du catholicisme irlandais, rédigé en l’an 800 par des moines de culture » représenté sur une carte postale envoyée autrefois par Jacques, ami d’enfance de l’auteur, glissée dans son sac de débine avec un exemplaire de La Nausée de Sartre et une photo de Guignol. Dans sa poche, un Corneille, un billet de 100 francs, volé à « L’autre » par sa mère. « L’autre », c’est son père, un homme brutal, raciste et antisémite. Il se barre pour ne jamais lui ressembler.

Jeune chien fou

Chalandon l’avait longuement évoqué dans deux précédents romans, Profession du père et Enfant de Salaud[1]. Kells va se frotter aux lois de la rue, dormir sous les ponts, dans un wagon sur une voie de garage, chez un pote qui lui permet de prendre un bain pour enlever la crasse des faubourgs. Il va voler pour se nourrir, apprendre à éviter les flics, se méfier de tout le monde. Il n’est pas sur la route mais sur les pavés de Paris, ce qui revient au même, le corps est à la peine. Il fait plusieurs boulots, ça l’éloigne de la dèche. Il garde espoir car son idole se nomme Angela Davis. Elle aussi, elle en bave, mais c’est pour la bonne cause : en finir avec la discrimination dirigée contre les Noirs. Quelques personnes vont finir par lui tendre la main. Elles lui apprennent à se battre, à maîtriser l’art de la rhétorique, à devenir « un enragé ». Certaines lui donnent le goût de lire ; cet autodidacte, « jeune déclassé », découvre le théâtre, aime le cinéma. C’est le temps des camarades, c’est surtout celui des copains. Il vend La Cause du peuple, journal interdit depuis le 13 mars 1970, et dont le directeur de publication, Jean-Paul Sartre, a été embarqué par la police. Ça file droit(e) dans la France du banquier Pompidou. Il se rend dans les bidonvilles de Nanterre, soutient les travailleurs immigrés, dénonce l’insalubrité des conditions d’hébergement, fait les devoirs des enfants d’une famille venue d’Afrique du Nord. Il ne déteste pas la castagne avec les flics, ni avec les « fachos ». Il défend les thèses féministes. Ces valeurs humanistes le portent, il y croit. Et puis son cœur n’est pas en bronze. Il y a un très beau passage sur l’odeur de sa mère qu’il n’a jamais connue. « Jamais senti la tiédeur de son cou. Je ne me suis jamais non plus réfugié dans ses bras. » Plus loin, il baisse la garde : « L’odeur d’une mère aurait suffi à me rassurer. »

« Le chien fou libéré de sa laisse » finit par comprendre que son manichéisme ne résiste pas à l’épreuve des faits. Sa résistance n’est pas comparable à celle de ses ainés, les maquisards qui se cachaient sous les chênes nains du Quercy. Son armée des ombres rouges, la GP, n’est pas sans reproches. En avril 1972, une jeune de quinze ans, fille d’un mineur de charbon, à proximité de la propriété de la maîtresse du notaire de Bruay-en-Artois, est retrouvée morte. La Cause du peuple crie aussitôt au crime de classe, les intellectuels de Saint-Germain-des-Prés s’empressent de faire partie de la meute. La vérité éclate : le meurtrier est un adolescent, lui-même fils de mineur. Chalandon énumère d’autres coups d’éclat peu glorieux, en particulier l’attentat sanglant, en septembre 1972, d’un commando palestinien contre des athlètes israéliens, aux Jeux olympiques de Munich. L’opération Septembre noir tourne au massacre. Kells rappelle : « Les onze otages avaient été tués. Certains assassinés dans les premières minutes, d’autres exécutés plus tard. Un policier allemand avait pris une balle, le pilote de l’avion était mort sans avoir décollé. Et cinq des huit Palestiniens du commando avaient été fauchés aussi. » La GP est propalestinienne, sans ambiguïté, Benny Lévy, alias Pierre Victor, son chef, est juif, comme la plupart des têtes pensantes de l’extrême gauche révolutionnaire. Le Grand soir a soudain un goût de cendre. Chalandon écrit : « Jamais je n’avais crié « Palestine vaincra », seulement « Palestine vivra ». Pas question pour moi d’écraser mais d’exister. »

A lire aussi, Stéphane Germain: Les quatre vérités de Michel Audiard

Kells entre à Libération comme dessinateur de presse. Le numéro 1 parait le mercredi 18 avril 1973. Serge July en est le directeur. Le journal va-t-il être aussi engagé que La Cause du peuple ? Kells en doute, puis finit par l’apprécier. La salle de rédaction lui inspire confiance. Fumées de tabac, cafés tièdes, machines à écrire, croyance en un monde anticapitaliste. Ça continue, au fond, comme si les désastreuses erreurs ne comptaient que pour du beurre, le bilan restant globalement positif, pour reprendre la formule à la mode chez les séides staliniens. Libération se met à genoux devant Mao, et participe à l’ostracisme dont est frappé Simon Leys, le seul écrivain à avoir dénoncé la monstruosité maoïste dans Les Habits neufs du président Mao (1971).

À la fin du livre, Sorj Chalandon donne des nouvelles des principaux copains de Kells. Trois se sont suicidés. Le quatrième, en mission d’infiltration chez les maos, s’est volatilisé avec les munitions.

Sorj Chalandon, Le Livre de Kells, Grasset. 384 pages

Le livre de Kells

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[1] « Le père faussaire », article de Pascal Louvrier, paru sur le site de Causeur, 18 septembre 2021.

À Mayotte, protéger les bus ne paie pas

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Mamoudzou, hier. DR.

Les salariés de RSP Sécurité manifestent contre la CADEMA : « On veut nos salaires »


Près de cinquante employés, impayés depuis cinq mois, ont dénoncé devant le siège de la communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou l’absence de règlement des prestations de sécurité des transports publics qu’ils assurent en pleine rentrée scolaire. 

« Cadema paye nos factures », « Président descends », « On veut nos salaires ». Les slogans ont résonné plus de deux heures mercredi 27 août 2025 devant le siège de la CADEMA, la Communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou, à Mayotte. Près de cinquante salariés de la société RSP Sécurité, accompagnés de leur dirigeant Stéphane Labache, se sont rassemblés pour dénoncer le non-paiement de leurs salaires depuis cinq mois dans un contexte rendu encore plus pressant avec la rentrée scolaire. « Nous sommes fiers d’être des opérateurs de sécurité sur le territoire mais d’être aussi indirectement des opérateurs du service public de l’Éducation nationale », explique Stéphane Labache. 

Des factures impayées depuis février

Une double crise, sociale et d’ordre public avec une cause : aucune facture n’a été réglée par la CADEMA depuis février 2025, malgré l’exécution régulière des missions de sécurisation et de prévention des transports confiées dans le cadre d’un marché public, selon RSP Sécurité et ses avocats, Me Garrouste et Me Bernardini, avocats au barreau de Paris, venus spécialement sur place trouver une sortie de crise et soutenir les salariés. 

La situation est qualifiée par l’entreprise d’« irrégularité totale » vis-à-vis des règles applicables à la commande publique. « Nous travaillons dans le cadre du marché public de sécurisation et de prévention des transports publics, mais nous ne sommes plus payés. Nos familles souffrent, et nous ne voyons aucune volonté politique de régler ce conflit », déplore l’un des salariés, signataire de la pétition réclamant le paiement des prestations. Ils sont 120 dans cette situation, tous employés sur recommandation claire de la CADEMA. « Nous avons fait récemment l’objet de pressions politiques, de tentatives de débauchages, de promesses… la seule condition : se désolidariser, ne pas suivre le mouvement et ne pas critiquer la CADEMA », se désespère un agent de sécurité. Sa fonction : surveiller, sécuriser et prévenir tout risque dans les transports publics de la CADEMA, utilisés, notamment, mais pas exclusivement, par des élèves de l’académie de Mayotte. 

Après le 23 septembre, date de la première échéance du marché, « nous risquons de perdre nos emplois définitivement par la faute du président Moudjibou qui semble se préoccuper plus de son image que du sort des salariés mahorais », poursuit ce salarié. 

Silence des autorités locales

Durant la manifestation, aucun représentant de la CADEMA n’est venu rencontrer les protestataires. Contacté sur son téléphone personnel, le président de la collectivité, Saidi Moudjibou, est resté injoignable. La préfecture de Mayotte, également interpellée par plusieurs alertes, n’a pas donné suite aux sollicitations du dirigeant de l’entreprise, alors même qu’un décret du 31 juillet 2025 élargit, selon les manifestants, les prérogatives du préfet sur ce type de dossiers sensibles.

Les services déconcentrés de l’État (DREETS, DRFIP, préfecture) ainsi que les cabinets de l’ex-Première ministre Élisabeth Borne et du ministre délégué Thani Mohamed Soilihi — en amont ou à l’occasion de leurs venues sur l’île fin août — ont été alertés « sans succès », déplore la direction de RSP Sécurité. 

Matignon saisi du dossier

En revanche, Matignon aurait été informé de la situation lors de la manifestation. D’après les informations recueillies, le collectif des salariés aurait pris attache non seulement avec le cabinet du Premier ministre, mais également avec la ministre du Travail, et s’apprêterait à solliciter l’intervention du ministre d’État Manuel Valls, très engagé sur le dossier de Mayotte. 

Dans un contexte national tendu, à moins de deux semaines du vote de confiance prévu le 8 septembre, la pression monte : « Les conseillers de cabinet et les directeurs d’administrations centrales ne peuvent plus ignorer cette crise où l’État semble, jusqu’ici, refuser d’écouter ou d’agir », souligne une source proche du dossier. 

Pour les avocats, la responsabilité politique de l’État pourrait être recherchée en cas d’impasse et d’inaction. Le dirigeant de RSP Sécurité l’assure : « J’ai embauché chacun des salariés présents à la demande du président de la Cadema. Je leur dois un salaire. Je me battrai jusqu’au bout pour qu’ils obtiennent leur rémunération », déclare le dirigeant de la société aux côtés de ses employés devant la grille de la CADEMA.  

Une collectivité déjà éclaboussée par des scandales

La mobilisation des salariés s’inscrit dans un climat institutionnel territorial marqué par des affaires judiciaires et un climat de suspicion autour des collectivités territoriales de l’île. La CADEMA est déjà visée par plusieurs rapports critiques de la Cour régionale des comptes. Son précédent président a été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, assortis de quatre ans d’inéligibilité, pour prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme. Récemment, trois rapports visant le Conseil départemental ont accusé celui-ci d’être « un frein au développement » de l’île. Dans ce dossier d’impayés, la CADEMA ne fait pas exception. 

Une situation dénoncée comme « un scandale républicain »

Aux côtés de l’entreprise et des salariés depuis plusieurs mois, les avocats Maître Bernardini et Maître Garrouste se disent « scandalisés » par l’absence de réponse de la CADEMA. Ils dénoncent une situation « indigne d’un État de droit » et rappellent qu’« il est inconcevable que des salariés employés dans le cadre d’un marché public par une collectivité territoriale soient laissés sans salaire depuis cinq mois en raison de la faute exclusive de l’ordonnateur. Ce qui se passe à Mayotte ne pourrait pas exister en métropole ». Selon eux, le dossier dépasse le seul cadre social : « C’est un sujet de justice sociale, d’ordre public, mais surtout d’ordre républicain. Paris a désormais la possibilité de pousser la solution d’un règlement rapide de ce conflit. Nous sommes prêts et avons déjà formulé des propositions », insistent-ils.

Le précédent des impayés du printemps

Ce nouveau blocage intervient quelques mois après une crise similaire. Au printemps 2025, plusieurs entreprises locales, confrontées à des retards massifs de paiement de la part de collectivités, avaient menacé de suspendre leurs activités. La situation avait conduit le président de la République, Emmanuel Macron, à intervenir personnellement pour débloquer des fonds et apaiser la colère des acteurs économiques.

Les salariés de RSP Sécurité redoutent aujourd’hui que la même inertie ne replonge à nouveau l’économie mahoraise dans une spirale sociale et politique.

Offensive judiciaire et nouvelle mobilisation

Face à l’impasse, RSP Sécurité a multiplié les actions en justice : un référé provision a été déposé devant le tribunal administratif en juin, suivi d’un recours préalable indemnitaire et d’une plainte contre X pour intimidations, appels malveillants et menaces. Les salariés, réunis en collectif, annoncent la création prochaine d’une association déclarée en préfecture afin d’amplifier et poursuivre leur mobilisation. « Nous reviendrons faire le siège de la CADEMA tant que nos droits ne seront pas respectés et nous irons à la rencontre de toutes les autorités compétentes », préviennent-ils.

Avec des amis de la Terre comme eux, pas besoin d’ennemis

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L'eurodéputée d'extrême gauche Emma Fourreau photographiée à Châteauneuf-sur-Isère, 24 août 2025 © Alain ROBERT/SIPA

L’écologie politique d’extrême gauche est le pire ennemi de l’écologie. Décroissance et techno-pessimisme éloignent les citoyens raisonnables d’une cause pourtant universelle.


Il me semble qu’un double constat s’impose à nous. Le combat écologique n’a jamais été aussi nécessaire d’une part, il n’a jamais inspiré un tel sentiment de répulsion de l’autre. Écolos politiques et autres « protecteurs de la planète » d’extrême gauche s’en plaignent régulièrement, invoquant un puissant «backlash » (contrecoup) contre l’écologie. Leur diagnostic est excellent… sauf qu’ils sont responsables de la maladie. Les gens ne détestent pas l’écologie, ils détestent cette écologie idéologique et les tensions dans la société créée par celle-ci. À sa décharge, il n’existe pas d’alternative. Devant des avancées quasi inexistantes, notamment concernant la lutte contre le réchauffement climatique, il devient urgent que l’écologie soit représentée autrement.

Dauphins et migrants

Si un combat mérite d’être transversal, c’est bien celui-ci. Pourtant la gauche et l’extrême gauche jouissent d’un monopole recherché et obtenu sur l’écologie. Dans la lignée du slogan « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », du syndicaliste brésilien Chico Mendes, les écolos politiques français n’ont jamais perdu une occasion d’exclure de leur combat toute personne qui aurait l’outrecuidance de porter des couleurs politiques différentes. Dernièrement, Marine Tondelier expliquait sur un plateau télé que pour elle « très clairement, l’écologie ne pouvait pas être de droite » en justifiant qu’être écolo impliquait forcément « de ne pas se foutre des migrants ». La très médiatisée militante écolo Camille Etienne tenait un discours remarquablement similaire au micro de France Inter en expliquant refuser « totalement et complètement une écologie plus conservatrice » au motif très modéré que celle-ci serait une « écologie raciste » qui œuvrerait « pour sauver les dauphins dans la Méditerranée mais y laisser mourir les migrants ».


Le seul militant écologiste médiatisé à ne pas briller par une telle intolérance et un tel sectarisme est à ma connaissance Hugo Clément, qui a accepté de polémiquer sur l’écologie avec Jordan Bardella car, selon lui, « il faut parler d’écologie tout le temps, partout et à tout le monde ». C’était en 2023. Son camp ne lui a toujours pas pardonné.

A lire ensuite: Julien Dray contre la gauche mollah

Ce réflexe d’exclusion s’explique en vérité assez facilement par les objectifs politiques de ces militants : bien plus que de faire avancer l’écologie, leur but est de faire reculer le capitalisme. C’est à mes yeux l’essayiste français Ferghane Azihari[1] qui explique le mieux ce phénomène. Selon lui, l’écologie politique est avant tout une critique de la société industrielle et de la société moderne. M. Azihari ajoute que lorsque le marxisme dominait l’imaginaire collectif de la gauche, on accusait le capitalisme de paupériser les masses. Puis, les masses européennes ayant commencé à s’enrichir, on a alors commencé à dire que le capitalisme occidental puisait sa prospérité au détriment du tiers-monde. Et lorsque la mondialisation a commencé à enrichir toute l’humanité, là, c’est l’espèce humaine qu’on a accusé de détruire l’environnement. Selon Azihari, cet imaginaire de la nature qu’il faut absolument délivrer de l’emprise humaine, a aussi l’avantage pour ses militants de se recouper avec le rejet des sociétés modernes et bourgeoises.

Déconfiture

On notera au passage que si cet anticapitalisme acharné, déjà largement minoritaire au sein de la population, n’est en rien fédérateur, il n’en est que plus répulsif lorsque ses partisans se font prendre les doigts dans le pot de confiture du système. Ainsi, je ne crois pas que le LFIste Antoine Léaument rende un très grand service à la lutte pour la protection de la planète en accusant, Apple watch au poignet, le capitalisme d’être le responsable des dernières canicules en France… Idem concernant les indiscrétions révélant que des militants écolos tels que Camille Etienne ou le chroniqueur écolo-révolutionnaire de France Inter Cyril Dion demanderaient jusqu’à 7000 euros de l’heure pour une conférence sur l’écologie[2]. Enfin, on excusera ma naïveté, mais je m’étonne toujours autant qu’un média comme Blast, défendant une écologie d’ultra gauche en déclarant la guerre au capitalisme et au système puisse accepter de bénéficier de plus de 31 5000 euros de subventions publiques sur une année[3].

DR.

Même chose pour l’Académie du Climat, dépendant de la mairie de Paris, qui diffuse complaisamment  sur ses réseaux sociaux des vidéos de Guillaume Meurice appelant à remplacer le capitalisme. J’affirme d’ailleurs que si mon aimable lecteur n’a probablement jamais mis les pieds à l’Académie du Climat, c’est davantage parce qu’il a intégré qu’il y serait exposé à une telle idéologie que par un désintérêt a priori sur les questions climatiques ou environnementales. On notera au passage que la tartufferie écologique a atteint un niveau inégalé avec l’épisode des flottilles pour Gaza. Pour rappel, des militants d’extrême gauche, dont beaucoup étaient très impliqués dans le combat pour la protection de l’environnement (et dans le cas de Greta Thunberg, une véritable héroïne mondiale du climat) se sont livrés à un exercice médiatique en prétendant vouloir tenter de briser le blocus maritime. Tout en sachant pertinemment que l’issue d’une telle entreprise serait d’être interpellés par la marine israélienne, les militants à bord tels que l’eurodéputée Emma Fourreau (qui a créé une association de protection des océans) n’ont pas hésité à jeter ordinateurs portables et smartphones dans la mer pour que ceux-ci ne puissent être saisis. Fourreau a même revendiqué ce geste hautement écolo sur son compte Twitter[4]. Si des militants écologistes sont capables de montrer l’exemple d’une telle trahison et d’un tel désintérêt pour cette cause, comment attendre autre chose du grand public ?

Décroissance

Le repoussoir idéologique ne s’arrête pas là. Puisque le capitalisme est désigné par ces écologistes gauchisants  en coupable du réchauffement climatique, la solution qu’ils prônent  est bien logiquement la décroissance. Ainsi, une autre coqueluche de l’écologie française, l’astrophysicien, philosophe et militant radical Aurélien Barrau a osé proférer que si l’homme parvenait à découvrir une « source d’énergie propre et infinie », telle que la fusion nucléaire, ce serait « la pire des situations pour notre avenir commun ». Ce techno-pessimisme, largement répandu chez les écolos politiques et notamment par le biais de scientifiques militants (qui devraient inspirer le même degré de confiance que les journalistes militants), s’explique aisément : les avancées technologiques constituent sans doute la plus grande menace à leur agenda politique. C’est principalement la technologie qui pourrait venir contrarier leurs plans de changements sociétaux radicaux. Avec une certaine sournoiserie, le programme politique d’EELV est un soutien feint et sélectif à la technologie pour attirer un électorat modéré. Il affiche une ambition « verte et sociale », mentionnant l’innovation pour la transition écologique, mais ce soutien est strictement circonscrit aux énergies renouvelables et à des applications low-tech ou régulées. Aucune mention positive d’autres avancées high-tech (comme l’IA pour la modélisation climatique, les biotechnologies agricoles ou la capture de carbone). Qu’on ne s’y trompe pas : derrière un leurre progressiste, EELV a une ambition radicale, anticapitaliste et décroissante, à l’instar de ses médias amis tels que Blast ou Reporterre, qui défendent une écologie d’extrême gauche. 

A lire aussi, Didier Desrimais: Pour avoir ton brevet, révise en écoutant France inter!

Ce rapport biaisé et idéologique envers la science se retrouve notamment dans les positions d’une partie des écologistes politiques vis-à-vis du GIEC. Ceux-ci réussissent le tour de force d’ériger ses rapports en nouvelle religion révélée en interdisant à leurs adversaires politiques d’en dévier d’un millimètre et de les considérer comme trop alarmistes tout en s’arrogeant le droit et privilège de les trouver trop optimistes. Une science forcément sacrée pour les gueux mais contestable pour nos écologistes aristocrates. Comment ne pas y voir un nouvel exemple d’instrumentalisation de l’écologie à des fins idéologiques et politiques ? Comment ne pas trouver les représentants actuels de l’écologie parfaitement repoussants ?

Jusqu’à quand ne leur opposerons-nous pas un contre-discours transpartisan, désintéressé, honnête, techno-optimiste et portant les mêmes valeurs que la majorité du peuple ?


[1] Les Ecologistes contre la modernité: Le procès de Prométhée (La Cité, 2021)

[2] https://www.lexpress.fr/societe/enquete-sur-les-fructueuses-conferences-des-influenceurs-climat-B4RFKNCH6VHMRDGDUY3B4IB7RU/

[3] https://x.com/ojim_france/status/1954987935192760529

[4] https://x.com/emma_frr/status/1949202768373424547

L’icône a parlé

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La militante Ahed Tamimi photographiée en 2018 © Adlan Mansri/SIPA

Dernières nouvelles de la militante palestinienne Ahed Tamimi


Le pogrom du 7-Octobre a été si vite oublié au profit de la sympathie universelle pour les Palestiniens, que l’icône internationale Ahed Tamimi n’a pas eu le temps d’y recycler sa gloire.

Exemple, modèle, emblème, égérie, symbole, icône …

L’AFP avait fait d’elle une idole, France 24 l’avait sacrée icône, elle avait été l’invitée vedette de la Fête de l’Huma en 2018 et le site américain Greenleft (la gauche verte) l’avait adoubée « Rosa Park palestinienne ».

A Ramallah, le cacochyme président-à-vie-élu-pour-4-ans-en-2005 l’avait accueillie en fanfare dans son palais présidentiel et il avait commandité à son agence de communication personnelle, nommée Wafa, un compte-rendu de la visite tout en retenue et en omissions :

« Le président de l’Etat de Palestine, Mahmoud Abbas, a reçu dimanche l’adolescente palestinienne, Ahed Tamimi et sa famille au siège présidentiel à Ramallah, après sa libération et celle de sa mère, des prisons israéliennes après huit mois d‘incarcération. Le président a vanté Ahed et l’a décrite comme un modèle de la lutte palestinienne pour la liberté et l’indépendance. Il a souligné que la résistance non-violente qu’incarne Ahed a prouvé que c’est une arme idéale et vitale face à la répression de l’occupation israélienne. »

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: L’ère de la calomnie

Ahed Tamimi avait été arrêtée et jugée deux fois par Israël. La première fois, en 2018, une agression aggravée, l’obstruction contre un soldat en service, des jets de pierre et des incitations à la violence multipliées par ses 270 000 followers sur Facebook lui avaient valu huit mois de prison. Elle les avait mis à profit pour suivre des cours de cuisine et prendre 20 kilos. La deuxième fois, un mois après le 7-octobre, c’était pour un appel au meurtre encore plus gore: « Vous vous direz que ce que vous a fait Hitler était une plaisanterie, nous boirons votre sang et nous vous mangerons le crâne. »

Cette déclaration avait enchanté la députée française Ersilia Soudais, qui y avait puisé une inspiration quasi-shakespearienne : « Il faut que cessent les arrestations massives de Palestiniens en Cisjordanie ! » Arrestations massives ou arrestation singulière d’une incitatrice au meurtre de masse ?

Loin des projecteurs, loin du cœur 

Pour se maintenir devant les projecteurs, le président Macron va reconnaître un État palestinien en septembre. Comme si les refus précédents des Autorités palestiniennes successives n’avaient pas largement démontré que les Palestiniens ne voulaient pas d’un État de plus, mais d’un État de moins…

Petit rappel historique :

  REPONSES PALESTINIENNES AUX OFFRES 2 ÉTATS POUR 2 PEUPLES  
19371947196720002001200520082020
Commission PeelPartition ONU3 Non de KhartoumCamp DavidNégoc°  TabaRetrait GazaOffre OlmertDeal Trump
NONNONNONNONNONNONNONNON

Comme si le Hamas, lui, ne s’en tenait pas exclusivement à sa charte, dont les statuts stipulent de tuer les juifs jusqu’au dernier (chapitre 1, article 7) et de conquérir tout le territoire d’Israël, commodément renommé LA Palestine. Cela vaut pour toutes les terres jamais foulées au pied par un musulman (chap. 3, art. 11). De ce fait, pour le Hamas, les « conférences et autres négociations visant à une solution » sont une perte de temps et un « arbitrage insupportable des infidèles sur la terre des musulmans » (chap. 3, art. 13).

Mais Macron se fiche des Palestiniens comme de son premier polo. Il aime tout ce qui parle de lui, même en mal. Cela tombe bien, car il collectionne avec constance les pires indices de satisfaction jamais sondés dans notre pays.

Ce qui vaut pour Macron vaut pour l’e-conne

L’art de la politique, tel que pratiqué à l’Élysée, est de prétendre vouloir lutter contre l’antisémitisme tout en l’alimentant efficacement par des déclarations incendiaires contre Israël. Il s’agit de bien montrer qu’on ne confond pas Juifs et sionistes, ni islam et islamisme et encore moins nazisme et nazis.

Ainsi peut-on cracher sur les « sionistes » avec la même haine qu’on le faisait sur « les juifs parasites » dans les années 1930. Et utiliser le mot « génocide » non pas pour qualifier le pogrom qui a tué 1200 civils israéliens avec la barbarie que les criminels eux-mêmes ont diffusée en temps réel, mais pour accuser ses victimes d’en pratiquer un contre leurs agresseurs. La condition sine qua non de la conscience immaculée est le padamalgam entre les juifs français et tous les autres, qui sont des « colons sionistes ».

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Hélas, la résistance non violente incarnée a porté un coup dur à cette schizophrénie élyséenne : « Depuis mon enfance, j’ai toujours considéré que le judaïsme et le sionisme étaient la même chose », a-t-elle confié en toute intimité à un podcast en arabe, diffusé début août 2025. Sur sa lancée, elle a précisé : « Nous combattons les Juifs, pas le sionisme. (…) Les Occidentaux nous soutiennent avec leur aide, ils continueront, qu’ils le veuillent ou non et nous ne les remercierons pas. »

Elle n’a pas les pudeurs de vierge de l’Occident pour séparer le grain des gentils de l’ivraie des méchants : « Le monde entier devrait la fermer quand un Palestinien prend la parole. (…) Nous sommes supérieurs au reste du monde, car nous sommes les seuls à combattre l’injustice, au prix de nos vies et de notre humanité ». La partie adverse n’a qu’à la fermer elle aussi : « le judaïsme est une occupation. »

Sa conclusion est suicidaire mais, à sa décharge, elle n’est pas la seule à être pilotée par un narcissisme surgonflé : « J’en suis arrivée à souhaiter une Troisième Guerre mondiale. Qu’ils larguent des bombes nucléaires, qu’ils détruisent le monde entier, pour que les Palestiniens ne soient pas les seuls à souffrir. » Plutôt faire exploser la planète que laisser le peuple juif[1] s’autodéterminer sur son petit coin de Moyen-Orient. 22 072 km2 au milieu de 13 millions de km2 arabes, c’est insupportable !

Quelles réactions françaises aux dernières déclarations d’Ahed Tamimi ?

Accusés, à l’insu du réel, de posséder les gouvernements et les médias, les Juifs semblent pourtant seuls à connaître certaines infos. On en veut pour preuve le fait que la recherche sur Google[2] des réactions françaises aux récentes déclarations de la Rosa Parks palestinienne est un échec. Zéro déclaration officielle et seulement quatre retombées : i24News, média francophone israélien cité trois fois, un article sur un média « communautaire » (traduire : « sioniste ») et un post Instagram… Libé, Le Monde et autres médias mainstream sont encore à l’heure d’hiver 2023, quand l’égérie de la lutte anti-Juifs avait été libérée après un mois d’incarcération, dans un échange de trois prisonniers par otage.


[1] En 2025, il y a environ 15 millions de Juifs dans le monde, dont 8 millions en Israël. La population israélienne atteint les 10 millions, dont 2,2 millions d’Arabes musulmans et chrétiens.

[2] Le 27 août 2025 à 11h30.