Monsieur Nostalgie aura passé tout l’été devant son poste de télévision à regarder du sport et ce n’est pas fini, car la Coupe du Monde féminine de rugby à XV bat son plein en ce moment en Angleterre.
Au 31 août de cette année, je n’ai jamais été aussi affûté. Mordant. Presque carnassier sur la page blanche. D’habitude, avant la reprise de septembre, j’ai le souffle court et le pas fainéant du travailleur devant la porte de son usine. Par le passé, trop souvent, je capitulais à la vue des romans toujours aussi nombreux, toujours aussi volumineux qui encombraient mon bureau et qui minaient mon moral estival. La rentrée littéraire et ses nouveautés sont les devoirs du critique professionnel. Le foncier du coureur d’endurance. La sueur du lecteur assermenté. Son sacerdoce. Trop de livres qu’on lira avec déplaisir et trop de mots mal ajustés qui nous feront croire à une épidémie dyslexique. Chacun sa croix. En 2022, j’ai même failli abandonner le métier pour raison de santé. Plus la force, plus le goût à tenter de comprendre la prose des autres, la mienne m’étant déjà assez étrangère comme ça. J’avais épuisé mes ressources physiques et le mental ne suivait plus. Il me fallait un électrochoc. L’envie d’avoir envie. Certains confrères m’ont conseillé la sophrologie, l’hypnose, la cryothérapie et même un stage en altitude. Je n’éliminais plus l’acide lactique des kilomètres de pages avalés dans la douleur et l’effort. J’ai dû revoir totalement la façon de m’entraîner et d’envisager mon activité. D’abord privilégier les courtes distances, ne jamais s’aventurer sur l’ultratrail des 400 pages, ensuite alterner les genres, ne pas enchaîner plus de trois autofictions par semaine sous peine de burn-out et évidemment arrêter les ouvrages « écrits » par des hommes politiques. Cette drogue-là est pire que la malbouffe, elle vous bouche les artères. On devrait même condamner les éditeurs qui persistent dans cette carambouille.
Mais cette année, je pète le feu. Donnez-moi du Angot, du Ernaux, du Nothomb ! Même pas mal. J’encaisse. Cette résistance, je la dois à un été entièrement passé devant la télévision et notamment sur le service public qui dans le domaine du sport accessible à tous, c’est-à-dire « gratuit », propose un spectacle de qualité. Ne pas le reconnaître est faire preuve d’aveuglement idéologique. Quel autre groupe est capable de produire autant d’émotion et diffuser en intégralité des événements internationaux avec des rédactions et des moyens techniques conséquents ? De Paris-Roubaix aux Mondiaux de natation en passant par Roland-Garros et les 24 Heures du Mans, France Télévisions ne démérite pas sur le terrain du sport. L’information en continu qui commente à bas coût et demeure d’une pauvreté créatrice sans nom ne peut décemment rivaliser sur ce champ-là. Quand l’une est une chambre d’écho lointaine, l’autre fait l’actualité. Les images ne mentent pas. J’arrive donc début septembre galvanisé par mes deux « Tour de France ».
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En termes de puissance narrative, d’intensité, de feu dans les jambes, je ne départage toujours pas la montée de la rue Lepic de Pogi avec Pauline à la Plagne. Rohmer est battu sur la ligne. Dalida ne veut plus mourir sur scène. La Grande Librairie devrait s’inspirer de cette dramaturgie-là pour choisir les invités de son plateau. Les coureuses du Tour de France ont enflammé la fin de ce mois de juillet par leurs performances et ont fait grimper notre niveau d’exigence. Il n’y a pas eu de guerre des sexes mais un seul vainqueur, le cyclisme professionnel si souvent et abondamment décrié. De la Bretagne à la Savoie, le vélo fut roi et reine. La classe de Ferrand-Prévot a quelque chose de magique et de communicatif, tout le contraire du marigot de nos assemblées. Quelque chose de sincère, frais, puissant et enlevé. Un panache à la française, une démonstration éclairante, l’éclatante vérité d’une championne. J’espère que son coup de pédale sera l’objet de rédaction dans toutes les écoles de France. Que des instituteurs inspirés demanderont à leurs élèves de raconter le col de la Madeleine comme jadis Le coup de foudre dans l’Aubisque de Merckx délayait les plumes Sergent-Major.
Cet automne, dans les cours de récréation, on parlera encore des exploits des Brestoises, Maëva Squiban et Cédrine Kerbaol. Et l’on se souviendra qu’à Châtel, le dimanche de la 9ème étape, jour du sacre en jaune de Pauline, Jeannie Longo, la discrète, l’indispensable, la pionnière était là. Alors, on se rappellera d’où vient le cyclisme féminin, ce qui l’endura et supporta. La longévité de Jeannie nous fera penser à Mélina Robert-Michon, championne de France du lancer du disque pour la 24ème fois. Je crois que les records sont le meilleur remède au blues du chroniqueur littéraire.
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