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On imaginait Trump mauvais perdant, mais pas à ce point!

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Il nous a volé un peu de notre rêve américain


Le seul mérite que Trump a eu est de n’avoir jamais dissimulé qu’il ne respecterait pas les résultats de l’élection s’il était déclaré perdant: parce que pour lui, ils seraient alors nécessairement truqués.

Il l’a dit, il l’a répété, il l’a martelé. Et il n’a cessé, au fur et à mesure que la judiciarisation forcenée qu’il avait mise en œuvre pour contester l’incontestable ruinait ses espérances, de demeurer pourtant dans le même registre. On était prévenu mais on n’osait pas penser qu’il irait aussi loin, au point de délibérément fragiliser le socle démocratique américain, le Capitole, symbole et lumière. Certains de ses partisans républicains, fanatiques et irrespectueux, chauffés à blanc par lui, ont pris à la lettre ce que Donald Trump continuait à proférer, malgré l’élection de Joe Biden : menaces et volonté sadique de battre en brèche une tradition et une civilité démocratiques trop honorables et honorées. Quatre morts et plusieurs blessés dans les marges de cette incroyable irruption collective contre laquelle la police du Capitole, pas assez nombreuse malgré les alertes, n’a pu faire preuve de suffisamment de résistance.

Joe Biden semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump!

Je n’ai pas eu tort de défendre certains aspects de la politique de Donald Trump sur le plan national – l’économique et le social au meilleur jusqu’à la calamiteuse gestion de la Covid-19 – et dans le domaine international où son caractère atypique, imprévisible, a su faire bouger des lignes qu’on croyait intangibles. Il a retiré son pays de théâtres guerriers même si évidemment il a porté atteinte à un multilatéralisme qui s’était accordé sur certains points fondamentaux comme le climat.

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Je me doutais qu’il serait mauvais perdant mais pas à ce point. Son refus obstiné d’admettre sa défaite ne relevait plus du combat légitime qui autorise le vaincu à user de toutes les ressources de la loi pour voir reconnaître ses droits, mais de l’expression caractérielle d’un tempérament incapable de supporter l’humiliation suprême de cette déconfiture. Il est clair qu’en ayant incité ses partisans à investir le Capitole, Trump a commis une faute gravissime, offensante pour la démocratie américaine et qui va cliver encore davantage le parti républicain entre pro et anti Trump. Ensuite il a calmé le jeu: c’était bien le moins. À cause sans doute de la réprobation des anciens présidents américains et de la semonce européenne sur sa déplorable attitude. Même si tout au long de son mandat Trump a été victime de l’opposition systématique des médias et d’un opprobre politique qui méconnaissait même ce qu’il avait accompli de bien, il serait faux de prétendre que cette hostilité générale a engendré le Trump caricatural, souvent aux limites du déséquilibre, inquiétant même si parfois lucide dans ses intuitions et ses analyses. C’est sa personnalité qui a créé la détestation dont il a été l’objet.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Mais il faut raison garder: ce n’est pas la fin du monde et encore moins celle de la démocratie américaine même si je partage le sentiment de beaucoup qu’avec ce Capitole envahi, c’est un peu de notre rêve américain qu’on nous a volé. Un trésor intouchable a été violé. Il n’empêche que rien ne m’est apparu plus inutilement mélodramatique que l’intervention de notre président en pleine nuit avec le drapeau américain derrière lui. Je sais que les Français adorent se mêler des affaires des autres et en particulier, pour les Etats-Unis, choisir leur président à leur place et généralement se tromper. Mais l’exhibition de ce drapeau était choquante et provocatrice comme si nous étions devenus coresponsables de la vie politique américaine, de ses grandeurs et de ses failles.

Je ne crois pas une seconde que le futur démocratique sera obéré par cette catastrophique fin de mandat. En effet, de même que sa singularité imprévisible a eu parfois des effets positifs pour le monde et son pays, il est permis de considérer qu’elle ne pourra jamais être imitée pour le pire, puisqu’il n’y aura jamais qu’un Trump pour présider ainsi et terminer de la sorte.

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Demain, sans que je sois enthousiasmé par Joe Biden – qui semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump -, on est tout de même persuadé qu’avec lui une forme de normalité reprendra ses droits. Elle ne sera sans doute pas géniale mais reposante. Il nous rendra à sa manière un peu du rêve américain.

Juste une conclusion sur la France. J’ai souvent douté de la qualité et de la force de notre démocratie. Mais suis-je naïf d’estimer que, si Marine Le Pen l’emportait en 2022, mille manifestations se dérouleraient dans la rue mais son adversaire battu ne contesterait pas le résultat de l’élection et n’inciterait pas ses soutiens à investir l’Elysée? Nous aurions d’autres drames et affrontements mais nous aurions au moins cette consolation.

L’assimilation, une ambition française


En France, le vivre-ensemble pacifique des différences est nécessaire, mais pas suffisant. Le projet français est plus ambitieux : il attend du nouveau venu que, dans la sphère publique, il devienne un Français comme les autochtones. En échange, il reçoit une appartenance qui n’interdit ni les croyances personnelles ni le respect de ses ancêtres.


Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. Ensemble, ces trois notions forment comme un triptyque : ils sont les trois volets d’un même retable. Un retable qu’on dira républicain, en précisant toutefois que si la lettre est républicaine, l’esprit, lui, est éminemment français. L’assimilation fleure bon la IIIe République, mais la passion de l’unité et du commun qui l’inspire renvoie à la longue histoire de la France.

L’assimilation à la française est un principe chancelant

De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant. Elle fait figure, et depuis plus longtemps que les deux autres, de mal-aimée.

L’assimilation est la forme proprement française de l’intégration des immigrés, des nouveaux venus par les hasards et souvent les commotions de l’Histoire. Pour comprendre cette spécificité, il faut avoir à l’esprit quelques données historiques. « Chaque peuple qui a atteint un certain degré de développement, notait l’historien Werner Jaeger, dans son magistral ouvrage Paideia, a le souci de se continuer dans son être propre, de sauvegarder ses traits physiques, intellectuels et moraux. » Si bien que tout pays est bousculé et même mis au défi par l’arrivée d’individus qui ne sont pas sans bagages, mais porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie et de pensée autres que ceux du pays d’accueil ; autres, c’est-à-dire étrangers, voire contraires au pays où ils s’établissent. La question prend cependant un tour particulièrement brûlant dans un pays comme la France qui s’est ingéniée tout au long de son histoire à faire de l’un avec du multiple, qui, « si elle a de la peine à être une, ne saurait se résigner à être plusieurs » (Fernand Braudel), bref une France qui a la passion du monde commun. La France se singularise en effet (jusqu’à quand ?) par sa répugnance à voir les éléments qui la composent « superposés comme l’huile et l’eau dans un verre », pour reprendre l’image d’Ernest Renan. C’est pourquoi nous tenons la bride aux communautés, pourquoi nous refusons la fragmentation de la France en une mosaïque de communautés vivant chacune à son heure, suivant son calendrier, ses costumes et ses coutumes, pourquoi aussi l’« archipellisation » nous est non seulement une douleur, mais une offense.

Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage
Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage

Une France qui se distingue aussi par son entente de la vie, par ses mœurs, ces lois non écrites qui confèrent à un pays sa physionomie propre, et où longtemps, l’économie n’a pas eu le premier ni le dernier mot.

Une autre donnée historique mérite d’être prise en considération. Si nous avons fait le choix de l’assimilation, c’est assurément que nous cultivons la passion du commun et que nous sommes jaloux de notre mode de vie, mais c’est aussi que, plus que tout autre pays, la France se sait fragile, périssable, bref mortelle. Elle n’a pas attendu la Première Guerre mondiale pour en être instruite. La fracture de 1789 et le pathos révolutionnaire de la table rase lui ont enseigné cette vulnérabilité. D’où l’instauration de mécanismes qui lui garantissent une certaine persévérance dans l’être. L’assimilation est l’un d’entre eux. Elle est une assurance prise contre la nouveauté et ses potentialités destructrices, dont l’immigré est porteur. Comme l’est, soit dit en passant, le nouveau venu par naissance, qui, s’il n’apprend pas à connaître et à aimer la civilisation dans laquelle il est introduit en naissant, menace de défaire ce que ses ancêtres ont fait de singulier et de précieux. C’est un faux humanisme, disait Merleau-Ponty, que celui qui nie que l’altérité soit une question.

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On comprend mieux dès lors que là où les autres pays peuvent se contenter d’une simple coexistence, pourvu qu’elle soit pacifique, d’un vivre-ensemble dans ses différences, et de l’insertion du nouveau venu dans la vie économique, la France, elle, poursuit un dessein autrement ambitieux : elle demande au nouveau venu de se fondre dans le creuset français. Elle attend de lui qu’il ait le souci, le scrupule même, de devenir, dans la sphère publique, un Français comme les autres, c’est-à-dire comme les autochtones.

L’assimilation, le mot dit la chose : il ne suffit pas au nouveau venu de respecter la culture du pays dans lequel il entre, il lui faut se l’approprier, faire sienne l’histoire, unique, que raconte notre pays, apprendre les notes et les harmoniques qui composent la partition que nos ancêtres ont arrangée, interprétée et nous lèguent. L’assimilation proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, elle affirme sans trembler l’essentielle asymétrie entre la société d’accueil et le nouveau venu. Immigrer, comme naître, c’est entrer dans un monde qui était là antérieurement à l’individu, cette antériorité oblige. Un monde, c’est-à-dire une communauté historiquement constituée, une collectivité sédimentée, cimentée par des siècles de civilisation commune, un « vieux peuple chargé d’expériences » (Bernanos). Si l’identité de la France est bien narrative, si elle n’est pas figée dans quelque essence et éternité que ce soit, elle n’est pas non plus un palimpseste.

L’assimilation n’est pas une punition, c’est une offrande

L’assimilation repose sur une conception qu’on pourrait dire épique du peuple et de la patrie. Il s’agit d’entraîner tous les membres de la nation dans une histoire commune. Elle s’ancre dans une conception non ethnique de la nation. La France, disait l’historien Jacques Bainville, c’est « mieux qu’une race, c’est une nation ». Ce qui cimente le peuple français, ce sont des souvenirs, le souvenir des actes et des accomplissements de ceux qui ont fait la France, la langue dont le secret perce et rayonne dans sa littérature, longtemps, du temps de l’apprentissage par cœur, des poèmes, des textes en prose. Qui que vous soyez, d’où que vous veniez, dit en substance l’assimilation, vous pouvez devenir Français pourvu que vous ayez la volonté et le désir d’apprendre notre histoire, de la comprendre et de l’aimer. Et cette proposition est possible parce que, être français ce n’est pas seulement avoir du sang français qui coule dans ses veines, parce que, pour être français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître. Il faut donner des gages de son aspiration à maintenir vivant un héritage, et le maintenir vivant non en le visitant et éventuellement le goûtant en touriste, mais en trempant sa plume dans l’encrier et en en continuant l’esprit, et non la seule lettre.

La France attend de l’étranger qu’il transmue cette substance en sa moelle propre, et substantifique. Appropriation de l’Histoire, mais non moins des mœurs. C’est peut-être ce qui frappe le plus dans le modèle français d’intégration, que cette exigence d’adoption des us et coutumes. Les autres pays d’Europe, à l’exception des pays ex-soviétiques d’Europe centrale qui connaissent d’expérience l’expropriation culturelle, s’accommodent très bien d’usages, de pratiques, de codes distincts des leurs. L’espace public français n’est pas un fast-food McDonald, « on n’y vient pas comme on est ». On dépose ses bagages et l’on s’apprête : on revêt les atours du pays d’accueil, on en adopte les manières, la forme de vie, la sociabilité, la mixité des sexes. Dans le plébiscite de tous les jours qu’est une nation, pour reprendre la définition d’Ernest Renan, l’imitation des manières du pays dont on devient membre est un premier oui d’approbation, c’est ainsi que nous l’interprétons. D’où, et avant même toute autre considération, les vives réticences que nous inspire le port du voile. C’est bien par l’adoption des signes extérieurs que le nouveau venu affirme et confirme que la citoyenneté française n’est pas, pour lui, qu’une citoyenneté de papier.

L’assimilation, point capital, en appelle aux sentiments. L’intégration, en comparaison, a quelque chose d’aride, de distant, de froid. « Ce qui nous attache à la patrie, disait Stendhal, c’est que nous sommes accoutumés aux mœurs de nos compatriotes et que nous nous y plaisons. » Nous ne concevons pas que l’on devienne français sans se plaire aux mœurs françaises, sans se délecter de la composition française, comme dirait Mona Ozouf. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », les choses n’ont sans doute pas cette simplicité d’épure mais enfin, le mot de Philippe de Villiers contient une vérité puissante : l’identité française est une affaire de cœur avant d’être une affaire de tête.

L’assimilation nous parle en effet d’un temps que les moins de 40 voire de 50 ans ne connaissent pas, un temps où la France s’aimait, s’estimait et en savait les raisons, où elle avait une conscience vive des trésors qu’elle recélait, et c’était comme tels qu’elle les proposait aux nouveaux venus. Péché d’universalisme peut-être, mais nous étions convaincus que la forme de vie française était susceptible d’être appréciée, admirée, savourée par l’homme en tant qu’homme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, et somme toute, nos visiteurs ne nous démentaient pas.

Demande exorbitante que ces exigences françaises qui semblent réclamer une « conversion » de tout l’être – « offrir l’asile au corps » et « convaincre l’âme de changer », disait le romancier Kamel Daoud, belle synthèse du programme assimilationniste ? Nullement.

On a trop tendance à présenter l’assimilation comme une contrainte, voire une punition, mais elle est d’abord une offre, une offrande même. Il entre dans l’assimilation – le mot, à n’en pas douter, surprendra tant on s’est employé à la grimer en monstre exterminateur – de la générosité. Générosité française longtemps perçue comme telle par ceux qui en bénéficiaient ; longtemps en effet les Français par naturalisation n’ont pas été chiches de leur gratitude. L’hommage que le peintre Chagall rendait à la France – « En somme, je dois ce que j’ai réussi à la France dont l’air, les hommes, la nature furent pour moi la véritable école de ma vie et de mon art » –, chacun des membres de l’école de Paris, tous d’origine étrangère, Modigliani, Soutine, Zadkine, pour ne citer que quelques noms, aurait pu le prononcer[tooltips content= »Je renvoie au catalogue de l’exposition « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1950-1940 » (Co-Edition MAHJ et Réunion des musées nationaux, 2020), qui apporte de très précieux éléments pour penser cette alchimie. L’exposition devrait se tenir au printemps prochain à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. »](1)[/tooltips].

Des nourritures charnelles

L’assimilation est peut-être la seule forme d’hospitalité véritable. Elle conjure et panse la douleur par excellence de l’exil, le déracinement. Car c’est bien un nouvel enracinement qu’au travers de l’assimilation, la France propose à l’immigré. « Avec les avantages d’une citoyenneté, les nouveaux Français recevaient l’honneur d’une appartenance », aimait à rappeler Jean Daniel. L’assimilation connaît bien l’homme. Elle sait, ce que nous nous obstinons à méconnaître, que c’est d’incarnation, de grandes figures, d’épopée, que l’humaine nature a besoin, pas d’abstraction. Ce sont des nourritures charnelles qu’elle offre au nouveau venu.

L’assimilation apporte d’ailleurs un énergique démenti à ceux qui accusent la France de se former et de cultiver une idée abstraite du citoyen. Sans doute l’assimilation commence-t-elle par délier l’individu de ses appartenances premières : elle est un processus en première personne. Elle s’adresse à l’individu, elle le convoque, lui et lui seul. « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout leur accorder comme individu », disait Clermont-Tonnerre, défenseur de 1789 de l’accès des juifs à la citoyenneté – « tout accorder à l’individu », peut-être pas de nos jours, en ces temps d’individu-mesure-de-toutes-choses, mais en tout cas, ne pas voir dans le futur citoyen le membre d’un groupe. L’émancipation, toutefois, n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit en aucune façon de jeter cet individu que l’on vient d’affranchir, de le délier de sa famille, de son église, dans un grand vide identitaire : il n’est libéré de ses appartenances primitives qu’afin de contracter d’autres liens, ceux qui le rattachent à cette réalité plus vaste qu’est la nation, dont il est appelé à devenir sociétaire et membre…

Les pères fondateurs de la IIIe République savaient très bien que l’on n’unit pas un peuple autour des valeurs, de la République, de la laïcité, toutes ces clochettes que nous ne cessons de faire tintinnabuler convaincus que cela nous fera d’excellents Français. Être citoyen, clame l’assimilation, ce n’est pas seulement être un sujet de droits et de devoirs, ce n’est pas non plus répondre de ses choix et de ses actes devant quelque tribunal universel des « valeurs » ou des « droits de l’homme », mais répondre de ses décisions et de leurs conséquences : devant le tribunal des vivants et de ceux qui viendront après nous, certes mais d’abord des morts qui ont fait la France, qui lui ont donné sa physionomie et son génie propre.

Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.
Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.

Ensuite, révisons un des procès les plus iniques intenté à l’assimilation et qui, en ces temps de fièvre identitaire, travaille le mieux à la disqualifier. Ignorance, paresse, démagogie, idéologie, le tout mêlé, on se plaît, y compris parmi des hommes politiques des plus respectables, ainsi d’Alain Juppé, à colporter l’idée que l’assimilation impliquerait l’immolation des appartenances inaugurales, qu’elle frapperait d’interdit les attachements et les fidélités particulières. Or, jamais l’assimilation n’a signifié pareil sacrifice et même sacrilège. Elle se fonde assurément sur l’autonomie de l’individu, mais si elle lui demande de déposer ses bagages lorsqu’il pénètre dans l’espace public, elle ne lui refuse en aucune manière la liberté d’entretenir le culte de ses dieux et de ses morts. Assurément, ainsi que l’écrit l’historien Marc Bloch, est-ce « un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse », mais la France n’a jamais rien imposé de tel à ceux qui aspiraient à devenir français. Si elle proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, si elle détache l’individu de sa communauté première, elle n’exige pas l’oubli et le mépris des origines, elle en circonscrit seulement la pratique à l’espace privé.

L’heure de la tyrannie des identités

L’assimilation, comme la laïcité, vit de la frontière que nous traçons rigoureusement et vigoureusement entre la sphère publique et la sphère privée. L’espace public, espace des apparences et de la vie en commun, est le lieu de la discrétion, noble vertu bien outragée à l’heure de la revendication véhémente et venimeuse de « visibilité ». La vie s’est simplifiée, observait la conteuse Karen Blixen : l’individu contemporain entend être partout et toujours le même. La hiérarchie des ordres est frappée d’illégitimité. Et la France est cette belle audacieuse qui rappelle chacun à sa liberté, au jeu qu’il peut instaurer avec lui-même, au pas de côté qu’il lui est toujours loisible d’accomplir par rapport à toutes les formes de déterminismes. L’assimilation fait le pari de la liberté. Une liberté non d’arrachement, mais de la mise à distance. Vertus émancipatrices qui manifestement ne séduisent plus.

A lire ensuite, Renée Fregosi: Contre l’islamisme: pas de «tenaille identitaire» qui vaille!

Que faire de cet héritage à l’heure de l’exaltation et de la tyrannie des identités ? L’assimilation peut-elle nous être une ressource alors que les « minorités » et les « diversités » ont investi l’espace public et ne cessent de gagner en autorité et légitimité auprès des élites politiques, médiatiques, culturelles ? Je le crois. Toute politique soucieuse de répondre de la continuité historique de la France, anxieuse de restaurer quelque chose comme un peuple devrait en faire son programme. Elle n’immole pas les identités premières, elle les remet à leur place. L’assimilation, en tant qu’elle proclame la préséance de cette réalité transhistorique qu’est la France sur toutes les identités particulières, nous arme contre la décomposition nationale et la transformation de la France en un archipel d’îlots communautaires, crucifié par les « diversités ». Elle seule est à même de nous rendre un monde, un ciment qui ne soit l’exclusive de personne, mais l’affaire de tous. Ayons le courage de nous en saisir, de la brandir même. Évidemment, cela suppose que nous recouvrions, collectivement, les raisons de nous estimer, que nous retrouvions plus que la fierté de nous-mêmes, le goût et la saveur de la composition française.

L’assimilation n’a pas échoué, contrairement à ce que l’on répète à satiété, voici quatre ou cinq décennies que, sur fond de conscience coupable, de tyrannie de la repentance et de politique de reconnaissance des identités importée des États-Unis, doutant de notre légitimité,  nous y avons purement et simplement renoncé.

« Ils se sont faits dévots, de peur de n’être rien », disait Voltaire. Cessons d’acculer les individus à cette diabolique et funeste alternative. Et puis que l’on ne nous accuse pas de discrimination : au point où nous en sommes d’ignorance généralisée, je propose que nous décrétions l’assimilation pour chacun et pour tous ! Pour chacun, car, nous l’avons vu, l’assimilation s’adresse à l’individu en personne ; pour tous, c’est-à-dire aussi bien pour les Français de souche, comme il ne faut pas dire, qui ne savent plus rien de leur propre histoire !

États-Unis: le 18 brumaire de Donald Trump n’a pas eu lieu

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Mais le temple de la démocratie américaine a été profané…


Les images qui nous sont arrivées des États-Unis sont sidérantes. Avant de se pencher sur les faits et leur signification, une chose est évidente : le temple de la démocratie américaine a été profané. Plutôt qu’à une prise de pouvoir, nous avons assisté à des scènes de désacralisation. Les personnes qui ont envahi le Sénat et la Chambre des représentants n’ont pas fait de discours ni de déclaration. Ils n’avaient ni communiqué ni plan. Ils étaient ivres de rage et ils se sont soulagés. Mettre ses bottes sur le bureau de Nancy Pelosi est un geste dont le sens est anthropologique. Ce n’est pas une étape dans un projet politique. Et c’est là que se trouve le vrai problème : hier à Washington il y avait de la colère, de la violence, mais il n’y avait pas de rationalité, il n’y avait de plan. Et surtout il n’y avait pas de limite.  

La drôle d’entrée en campagne de Trump pour 2024

Donald Trump espérait sans doute changer la donne. Soit il pense toujours se maintenir au pouvoir soit – ce qui est plus probable – il est déjà en campagne pour 2024. 

Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP
Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP

Pour se maintenir au pouvoir, il lui fallait le soutien d’une véritable force fédérale – l’armée – et peut-être des forces locales capables de prendre le contrôle des institutions. Mais Trump n’a pas ce genre de soutiens. On peut supposer qu’il a essayé de les obtenir et que ces tentatives et appels infructueux sont la cause de la tribune des anciens ministres de la Défense. Quoi qu’il en soit, en toute probabilité, le 7 janvier en fin de matinée Trump savait que l’armée, la police, le FBI et le service de protection n’allaient pas bouger. Mais il a tellement l’habitude de changer la donne avec ses transgressions ahurissantes – rappelons qu’il a été le premier surpris par son élection en 2016 – qu’il a appelé ses supporters à se manifester au Capitole. 

En 2016 Trump n’espérait pas tant d’une campagne qui l’avait grisé et lui promettait même en cas de défaite une célébrité encore plus lucrative. On peut donc supposer qu’hier matin à Washington, Trump jouait encore avec le feu, cherchait les limites pour les dépasser et voir ce que cela donne.  Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait pas un véritable plan de putsch. Mais on peut aussi supposer que la possibilité d’un coup d’État voire d’un simple massacre n’a pas fait reculer le président des États-Unis. Trump a lâché le boulet. Il a harangué la foule, flattant l’une de plus vieilles passions américaines : la haine de Washington. Souvenez-vous de Mr Smith goes to Washington comme des premières décennies de la république américaine. Tout y est déjà. 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Donald Trump a donc fait ce qu’il faut pour provoquer ce qu’il espérait : le chaos, le drame. Avec ce manque de responsabilité qui est sa marque de fabrique : puisque lui personnellement n’a rien à perdre, tout le reste peut bien aller au diable. 

Trump ne savait pas ce qui allait se passer. Comme toujours, il renverse la table sans avoir de plan pour la suite. Il sait juste qu’il profite plus souvent que d’autres du chaos et de la sidération de l’inédit, de la stupéfaction suscitée devant la transgression de tout « ce qui ne se fait pas » (« it’s not done »). Le président américain a donc jeté les dés en espérant une bonne combinaison de chiffres, un « six-six » et cela aurait pu être un putsch, on ne sait jamais… Sur un malentendu comme disait Jean-Claude Dusse on aurait pu avoir un scénario bien pire.

Les plaies de la guerre de Sécession rouvertes?

Si l’opérette d’hier n’a pas accouché d’un coup d’État, elle a en revanche de fortes chances de devenir le mythe fondateur du trumpisme, l’Alamo, la défaite glorieuse, le dernier carré de Waterloo. « We few, we happy few we band of brothers » diront bientôt les Trumpistes en parlant du 6 janvier 2021. Des millions d’Américains vont jurer y avoir participé !  Ils ont leur cause – « les élections volées » – et leur charge aussi héroïque que désespérée. 

Les failles sont profondes aux États-Unis. Les plaies de la guerre de Sécession ne sont toujours pas cicatrisées et la nouvelle cause risque d’épouser ces anciennes lignes de fracture. Le problème actuel de la démocratie américaine n’est pas un coup d’État à craindre dans les jours ou les semaines à venir, mais de voir une minorité trop importante se retrancher dans un refus des institutions, sapant profondément et durablement leur légitimité.

L’histoire de l’Union est parcourue de tensions

Les États-Unis ont connu des crises dramatiques.    

En juin 1858, dans un moment de l’histoire américaine où les tensions et contradictions au sein de l’Union s’approchaient du point critique de la guerre civile, Abraham Lincoln, nommé sénateur de l’Illinois, a prononcé un discours devenu classique :  « Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir, disait-il. Je ne m’attends pas à ce que l’Union soit dissoute – je ne m’attends pas à ce que la Chambre tombe – mais je m’attends à ce qu’elle cesse d’être divisée. Cela deviendra une chose ou une autre. » En janvier 2021 ces mots ont une résonance toute particulière. 

A lire ensuite: Gilets jaunes: « Les comiques de France inter étaient paumés »

En 1932 le chef d’état-major Douglas McArthur a déployé des chars sous le Capitole pour disperser des anciens combattants venus réclamer leurs allocations. Une vingtaine d’années plus tard il a été viré par Truman qui craignait son césarisme… Les assassinats politiques et la violence raciale des années 1960 ont eux aussi poussé la démocratie américaine au bord du gouffre. L’union a survécu sans qu’on puisse dire exactement pourquoi, mais très probablement grâce à certaines personnes dont le courage et la probité ont évité l’écroulement des institutions. Aujourd’hui les États-Unis sont de nouveau une maison divisée contemplant l’abime. Mais soyons rassurés : des personnes courageuses et honnêtes sont toujours là pour dépasser leurs appartenances politiques et tenir le toit de la maison.

Trump: le funambule qui tombe?

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Après une soirée mouvementée et l’intrusion d’ultras dans le bâtiment du Capitole, le Congrès américain a finalement validé la victoire de Biden. Pensant faire un coup d’éclat, Trump sort perdant de cette séquence étonnante où certains sont allés jusqu’à crier au « coup d’État ». Analyse.


Aujourd’hui, le trumpisme semble avoir subi une triple défaite. Joe Biden a gagné les élections présidentielles de novembre : sa victoire vient enfin d’être certifiée par le Congrès après une des séances les plus dramatiques de l’histoire de la démocratie américaine. Les Démocrates, en remportant deux victoires dans l’état de Géorgie, ont pris le contrôle du Sénat, permettant au nouveau président de gouverner comme bon lui semble, sans risque de voir ses projets bloqués au Congrès. Finalement, après les scènes violentes au Capitole hier, les Démocrates et leurs supporteurs peuvent désormais se présenter en défenseurs de la démocratie contre une insurrection antidémocratique. 

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Pence: “La violence ne triomphe jamais”

Ces mêmes scènes ont consacré une scission au sein du Parti républicain entre les supporteurs les plus intransigeants de M. Trump et les autres. Des opposants de longue date au président sortant sont confortés dans leur opposition. Arnold Schwarzenegger, l’ancien gouverneur républicain de la Californie, venait de publier le 5 janvier une tribune dans The Economist où il dénonçait comme « une charade » les tentatives de M. Trump d’invalider les résultats des élections de novembre. Lui et ceux qui pensent comme lui peuvent maintenant proclamer : « On vous l’avait bien dit ! » Ils seront en meilleure position pour se débarrasser de M. Trump comme chef du parti, même si la chose ne va pas de soi. Un grand nombre des fidèles du président milliardaire ont été obligés de prendre leurs distances. Le vice-président, Mike Pence, président du Sénat et chargé ès-qualités de superviser la ratification par le Congrès de la victoire de Joe Biden, a non seulement fait la sourde oreille à la demande de Trump d’invalider les résultats, mais a déclaré, face à l’interruption de la séance du Congrès par les insurgés : « La violence ne triomphe jamais ; seule la liberté triomphe. » La Sénatrice Kelly Loeffler, qui venait de perdre son siège en Géorgie et qui, trumpiste dévouée, s’était déclarée prête à s’opposer à la ratification des élections présidentielles, y a finalement renoncé, comme un certain nombre d’autres élus républicains. 

Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles…

À l’étranger, des alliés réputés proches de M. Trump, tels que Boris Johnson, ont condamné – à l’instar d’autres leaders – les actions de ses supporteurs comme une atteinte à la démocratie. L’association qui est faite dans l’esprit de la plupart des observateurs entre les événements du Capitole et les déclarations récentes de Donald Trump, maintenant que sa victoire lui a été volée, transforme la condamnation de l’insurrection d’hier en condamnation du futur ex-Président lui-même.

Trump compromet son avenir

Les conséquences pour la stratégie politique de Trump sont graves. Celui-ci s’apprêtait à adopter la posture du « vrai Président en exil », c’est-à-dire de celui qui s’oppose, non seulement aux politiques mises en œuvre par le président Biden, mais à sa légitimité même, ainsi qu’à celle de tout l’establishment politique de Washington. Il comptait ainsi continuer à jouer le porte-parole de la colère populaire, de ceux que le système a abandonnés. Ce rôle est désormais sérieusement compromis. Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles. Au lieu d’avoir un pied dans les deux camps, pour ainsi dire, il est condamné à sautiller du côté des ultras, à canaliser, non la juste colère de la foule, mais la rage désespérée d’une minorité.

Au cours des mois à venir, les Républicains seront amenés à faire l’autopsie de leurs défaites. Ils trouveront que leurs revers dans les urnes sont moins le résultat d’une fraude que de leur incapacité à exploiter les nouvelles règles de la procédure électorale introduites par les Démocrates après leur reprise de la Chambre des représentants en 2019. Comme l’explique Kimberley Strassel dans The Wall Street Journal, les nouvelles pratiques rendues légales par la réforme électorale – la possibilité de s’inscrire le jour même du vote, le recours au vote postal à grande échelle et le « ballot harvesting » (la collecte et la remise de bulletins de vote par un tiers) – ont favorisé les Démocrates qui maîtrisaient ces processus sur le terrain beaucoup mieux que les Républicains. 

Le succès futur de ces derniers ne dépendra donc pas uniquement de leur capacité à exploiter la grogne, mais d’un retour aux fondamentaux des techniques de campagne électorale. 

Donald Trump a plus le profil d’un apprenti sorcier de la rage populaire que d’un architecte des procédures.

Greta, Assa, Mila et moi…


L’éditorial de janvier d’Elisabeth Lévy


Fin 2019, Greta Thunberg était élue personnalité de l’année par le magazine Time. Un an plus tard, c’est Assa Traoré qui est mise à l’honneur par l’hebdomadaire new-yorkais comme l’une des « gardiennes de l’année ». À première vue, il n’y a pas grand-chose de commun entre l’ado boudeuse à nattes et la néo-Black Panther à crinière. Sauf que toutes deux ont accédé en quelques mois au statut d’icône planétaire. Nul ne se proclamant raciste ou favorable au réchauffement climatique, elles mènent des guerres déjà gagnées : risque minimal, gratification maximale. Dans le monde entier, elles sont devenues les égéries des élites boboïsées et connectées constituées par l’alliance du business, du show-biz et des minorités revanchardes. Aussi font-elles un tabac dans les lieux où se fabrique l’opinion éclairée, des médias aux universités.

On se rappelle le spectacle ridicule de sommités onusiennes ou européennes écoutant avec ravissement la Croisée du carbone leur faire la leçon du haut de ses 16 ans et la ridicule gretamania, avec unes de journaux dithyrambiques et éditos énamourés, qui s’est emparée de la France quand la demoiselle nous a fait l’honneur d’une visite. De même, la patronne du comité «  Justice pour Adama  », qui est, selon le Time, « l’un des visages du combat pour la justice raciale en France  », est, des deux côtés de l’Atlantique, une coqueluche des journalistes, qui l’invitent à disserter doctement sur les violences policières et le racisme de la société française, et des politiques de gauche – même Yannick Jadot fait génuflexion. En réalité, Traoré ne se bat pas pour la justice raciale, mais pour la réécriture de toute l’histoire à l’aune du seul critère de la race. Et elle ne cherche pas la vérité, mais à faire entrer de force son frère mort tragiquement dans le costume de George Floyd. Rappelons qu’Adama Traoré a couru comme un dératé un jour de canicule pour échapper aux gendarmes. S’il avait obtempéré, il serait sans doute en vie (et Assa Traoré serait peut-être encore employée par une association dépendant de la Fondation Rothschild[tooltips content= »Voir l’article d’Erwan Seznec « Comité Adama, tout le pouvoir aux people »,
Causeur n° 81, juillet-août 2020. »](1)[/tooltips]).

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Quelques jours avant la parution du Time, on apprenait que Mila était persona non grata dans l’internat militaire où elle avait trouvé refuge après avoir été exfiltrée de son lycée public. Après l’Éducation nationale, c’est l’armée qui déclarait forfait et se disait incapable de protéger une adolescente. De nombreux internautes et commentateurs se sont donc émus que le magazine américain n’ait pas plutôt honoré Samuel Paty ou la jeune fille privée de scolarité pour avoir tenu sur le prophète de l’islam des propos certes injurieux, mais parfaitement licites au regard de notre droit et de notre mauvais esprit.

Les auditeurs des « Grandes Gueules » de RMC ont-ils voulu réparer cette injustice  ? En tout cas, deux jours après le sacre d’Assa Traoré par le Time, ils ont élu Mila « Grande Gueule de l’année » – titre dont il faut peut-être préciser qu’il est un compliment et qu’elle a ravi sur le fil au professeur Raoult.

Aussi dérisoires puissent sembler ces honneurs médiatiques, ils symbolisent la fracture culturelle qui, dans le monde entier sépare les élites saute-frontières des ploucs (c’est affectueux !) assignés à résidence ou, pour reprendre les catégories du sociologue David Goodhart, les gens de quelque part (somewhere) de ceux de nulle part (anywhere). On est tenté d’en conclure que chacun choisit ses victimes. Non, chacun choisit ses coupables : le Blanc, riche, mâle de préférence – mais pas exclusivement dans le cas de Greta Thunberg, car même les féministes les plus délirantes ne racontent pas que les femmes contribuent moins au réchauffement climatique que les hommes. (Encore que, j’ai peut-être raté quelque chose.) Il s’agit de pointer tous les beaufs à l’esprit étroit, trumpistes, lepénistes et autres brexiters, qui refusent de céder aux séductions du multiculti mondialisé. Pour les people du monde entier, encenser Greta ou Assa, c’est une façon d’acheter des indulgences, de se battre la coulpe sur la poitrine des méchants et des réacs. Donc de montrer qu’on n’a rien à voir avec ces populistes qui prétendent que l’islamisme est un danger plus réel que le racisme – qui est condamné socialement et souvent légalement dans toutes les grandes démocraties.

Dans ces conditions, on comprend mieux l’indifférence de nombre de nos grandes consciences au sort de Mila. Dans son cas, les coupables qui l’insultent et la menacent ne se recrutent pas dans les catégories que l’on adore détester, mais au contraire dans une population qui est par essence victimisée, discriminée et «  racisée  ». Comment des victimes pourraient-elles être coupables ? C’est pour éluder cette aporie de leur pensée que ces grands esprits ont encore noyé le poisson après le déluge d’insultes antisémites qui s’est abattu sur Miss Provence. Pour ne pas stigmatiser, on s’est employé à gloser sur les méfaits de Twitter.

Les rééducateurs autoproclamés des masses ignorantes se glorifient bruyamment de leur abnégation envers leurs descendants, à qui ils promettent de laisser un monde purifié, délivré du carbone et du racisme. Gageons – ou espérons – que ces «  générations futures » leur demanderont un jour des comptes pour s’être déshonorés en applaudissant Assa et en abandonnant Mila.

Philippe Marlière n’est pas un islamo-gauchiste

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Le politologue Philippe Marlière n’est pas un islamo-gauchiste. Il empêche l’islamophobie française de se propager, nuance!


Philippe Marlière est professeur de Sciences politiques à l’University College de Londres. Il se revendique de gauche. Il a écrit récemment une tribune dans L’Obs[tooltips content= »« Islamo-gauchisme » : un mot pour bastonner, 15 décembre 2020″](1)[/tooltips]. Son courroux est grand et sa colère immense : Valeurs Actuelles a publié un article dénonçant « l’heureuse soumission » de l’universitaire « islamo-gauchiste » aux thèses de l’islam politique. M. Marlière se propose de démontrer l’égarement de nos confrères. La démonstration est malheureusement assez pauvre et repose sur deux arguments récurrents :

1) l’islamo-gauchisme serait un « fantasme » qui « exprime la détestation morale, intellectuelle, voire physique des individus qui parlent des discriminations dont sont victimes les musulmans en France » ;

2) Le vocable « islamo-gauchisme » ferait partie du vocabulaire de l’extrême-droite.

Le politologue reproche à certains d’utiliser à tort et à travers une expression pour décrédibiliser l’adversaire ? Mais hésite-t-il jamais lui-même avant d’employer les termes « extrême-droite » ou « islamophobie » pour annihiler le débat?

Accusé Taguieff, levez-vous !

Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de Pierre-André Taguieff, lequel, ayant écrit avec Michèle Tribalat un essai intitulé Face au Front national. Arguments pour une contre-offensive, est difficilement assimilable à l’extrême-droite française. Quant à l’idée d’une convergence politique islamo-gauchiste en vue du grand renversement révolutionnaire, nous la devons au trotskyste anglais Chris Harman qui, dès 1994, écrit dans The Prophet and the Proletariat : « Sur certaines questions nous serons du même côté que les islamistes contre l’impérialisme et contre l’État, notamment en France et en Grande-Bretagne pour lutter contre le racisme. […] Là où les islamistes sont dans l’opposition nous devons être avec les islamistes parfois, avec l’État jamais. »

Marche contre "l'islamophobie". De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP
Marche contre « l’islamophobie ». De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP

Nous manquons de place pour faire ici la longue liste des ex-trotskystes médiatiques, représentants politiques insoumis ou écolos, afro-féministes indigénistes ou universitaires intersectionnalistes qui suivent ce précepte à la lettre depuis des années.

A relire, Douglas Murray: «La guerre culturelle est déclarée»

Depuis que la gauche est gauche une partie d’elle s’est régulièrement fourvoyée dans des combats dont elle pensait que le peuple sortirait gagnant et qui ont en réalité permis l’émergence de nouvelles oligarchies politiques et/ou religieuses. Intellectuels français de gauche et dindons des farces tragiques et totalitaires sont devenus synonymes. Sartre et Beauvoir montrèrent l’exemple de ce type de fourvoiements, traînant à leur suite tous les révolutionnaires de salon officiels. Certains d’entre eux écrivirent, après des voyages très organisés, des fascicules publicitaires sur les pays nouvellement “démocratiques”. Les autocrates chinois ou cubains rirent beaucoup en lisant les Carnets du voyage en Chine de Barthes, ou le reportage de Sartre à son retour de Cuba Ouragan sur le sucre. Quant à Khomeyni, il paraît qu’il sourit (ce qui était pour lui l’expression ultime d’une joie immense) lorsqu’il lut quelques feuillets des « reportages d’idées » de Michel Foucault après ses deux voyages en Iran fin 78. L’ayatollah releva in petto les absurdités pro-islamiques d’un intellectuel français qui ne comprenait rien à l’islam et qui, lorsque commencèrent les procès expéditifs et la proclamation de la charia en République islamique iranienne, dédouana encore l’islam politique pour accabler le « pouvoir » – cette nébuleuse théorique que Foucault nous aura servie à toutes les sauces : « Dans l’expression “gouvernement islamique”, pourquoi jeter d’emblée la suspicion sur l’adjectif “islamique” ? Le mot “gouvernement” suffit, à lui seul, à éveiller la vigilance. »

A lire aussi, Henri Rey-Flaud: « Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

Le blog de Marlière à l’avant-garde de tous les nouveaux combats de « gauche »

S’ils lisent le blog de M. Marlière hébergé par Médiapart, les islamistes français doivent sûrement se gondoler eux aussi. En 2009, il y explique pourquoi il quitte le mollasson PS pour rejoindre le bouillonnant NPA déjà allié objectif d’une communauté musulmane appelée à se substituer à un prolétariat mal-votant. En 2016, il y défend le port du burkini, cette « adaptation moderne de la tradition islamique, dans le sens où il concilie des préceptes religieux et l’autonomie individuelle. »

En 2018, converti à l’écriture “inclusive”, il y décrit des « acteur.ice.s principaux.les fatigué.e.s » par le débat autour du port du hijab, et conclut : « Pour les démocrates, pluralistes et progressistes, le mot d’ordre devrait donc être : être libres d’enlever le hijab en Iran, être libres de le porter en France, défendre partout l’autonomie des femmes ! »

A lire aussi: Lettre ouverte à Houria Bouteldja, qui estime qu’«on ne peut être innocemment israélien»

En 2020, il y dénonce le racisme de la police française qui « comme son homologue américain […] tue par asphyxie les jeunes racisés des classes populaires » et représente un « danger pour la société ». Quand il n’écrit pas, Philippe Marlière signe des pétitions. Une, avec Annie Ernaux et quelques aficionados indigénistes, pour prendre la défense de Houria Bouteldja. La dernière, pour contester la dissolution du CCIF sous le prétexte étrange de ne pas vouloir « faire le jeu des terroristes ». Sinon, il se réjouit de voir Assa Traoré, « figure positive de la lutte contre les discriminations en France », à la une du Time. Et quand le gouvernement prévoit une loi « confortant les principes républicains », il dénonce un « prétexte pour discriminer l’islam » ou « une laïcité française [qui] est en fait un communautarisme qui privilégie le catholicisme ». Etc.

C’est vrai, ils n’ont pas été très gentils à Valeurs actuelles. Aux dires du politologue, en le traitant d’islamo-gauchiste ils ont utilisé « un mot pour bastonner ». […] « C’est une attaque verbale, symbolique, mais qui peut potentiellement mettre physiquement en danger la personne ainsi désignée. » Il sait de quoi il parle. Lui-même pratique régulièrement cet art quand il s’agit de taper sur les « islamophobes » Philippe Val, Natacha Polony, Caroline Fourest, Riss ou Zineb El Rhazoui, tous ces vilains qui « utilisent Charlie Hebdo pour stigmatiser les musulmans et entretenir un climat de guerre civile larvée », et dont certains sont véritablement (et non “potentiellement”) menacés de mort.

Mais bon, quand même, « islamo-gauchiste » … Valeurs Actuelles n’a jamais poussé le bouchon aussi loin… et pourquoi pas « idiot utile », tant qu’ils y sont ?

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Le livre, produit essentiel de l’année 2020

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Entre confinement et déconfinement, ouverture et fermeture des librairies, le livre a résisté au virus! Thomas Morales dresse le bilan littéraire de l’année passée.


Outre sa valeur refuge, le livre aura eu d’insoupçonnées vertus pacificatrices sur un secteur hautement concurrentiel. D’habitude, ces gens-là se détestent entre eux. Et pourtant, ils auront fait bloc durant toute l’année 2020. La littérature est un sport de combat féroce où chacun tient à ses positions idéologiques, son pas de porte, son catalogue, son comité de lecture, son diffuseur, sa clientèle et sa mise en place. 

L’éditeur vise un succès annuel qui assurerait la survie de sa boutique. Les jurys, ces joueurs autorisés de bonneteau, font et défont des carrières au gré du vent et du champagne tiède.

Écosystème précaire

Les critiques pestent contre le niveau général d’écriture depuis la réforme du collège unique. Les libraires en ont assez de porter des cartons, considérant la surproduction comme un fléau national. Et puis, rouage essentiel et dernier échelon de cette pyramide bancale, l’auteur se demande comment il va finir le mois. La caractéristique principale de cet écosystème précaire réside dans sa totale irrationalité. À vrai dire, c’est la dinguerie de ce métier qui amuse, captive, séduit et fait que nous sommes un certain nombre à y avoir succombé. « Irrité par ce monde, et comme échappé de lui, je préfère le monde littéraire un peu démuni qui en est mitoyen, où le hasard, la rencontre privée et la tertulia, réunissant des types atrabilaires et dévergondés, compensent et purifient de la cohabitation avec la conventionnelle et doctorale hypocrisie où s’alimente la pédanterie ambiante » écrivait Ramón Gómez de la Serna (Automoribundia/Quai Voltaire).

A lire aussi, Jérôme Leroy: Laurent Dandrieu et la littérature intranquille

Il y a dans ce milieu et nulle par ailleurs, malgré les concentrations capitalistiques à la manœuvre, une hétérogénéité de situations et de luttes fratricides. Des intérêts que l’on pensait jusqu’à très récemment contradictoires, voire irréconciliables. Comment comparer en effet, le groupe de communication qui achète et vend des maisons sur les marchés mondiaux à l’éditeur qui publie seul, trois livres par an, à la lueur de ses envies, dans son modeste atelier d’artisan ? Comment mettre sur le même plan, l’auteur de best-sellers choyé par les télés et poursuivi par les producteurs de ciné, et l’humble poète penché sur son écritoire qui, pour un vers réussi, à la métronomique ensorceleuse, se passera d’un repas ? 

Comment faire cohabiter dans un même lieu clos, l’auteur progressiste, à la pointe des combats victimaires, inlassable défenseur des humiliés de la Terre, adoubé par les forces intellectuelles avec l’auteur factieux, réprouvé des cercles, populiste par essence, oiseau de mauvais augure qui écrit pour dénoncer toutes les compromissions des élites réunies ?

Une nation qui aime la littérature

Malgré leur incompatibilité ontologique, tous partagent le même espace de vente. 

Miracle, la librairie est leur chapelle ardente ! Hier, ils étaient tous ennemis, en 2020, ils se sont retrouvés dans le même camp, celui qui réclamait, implorait et espérait l’ouverture des librairies indépendantes. Fin octobre, à la veille du second confinement, j’ai vu un étrange spectacle à la librairie Gibert sur le Boulevard Saint-Michel, à Paris. Des jeunes et des vieux, dans leur immense variété culturelle, de Deleuze à Morand, de Duras à Pound, de Mirbeau à Prévert se ruaient dans les rayons et faisaient provisions de livres, juste par peur de manquer. 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Le livre, un bien superflu?

Dans un premier élan, on pouvait trouver cette frénésie un peu ridicule à l’heure d’une grave crise sanitaire, et puis, en y réfléchissant, j’ai fini par m’enorgueillir d’une nation qui cherche dans la lecture, un moyen de s’évader, de se cultiver, de se divertir ou tout simplement de se nourrir de mots. Quitte à s’en abreuver. Quel autre pays dans le monde marque-t-il un tel amour dévot pour la phrase sauvage et les cathédrales de papier ? 

Derniers coups de cœur

Comme tous les professionnels du métier, j’ai d’abord pensé égoïstement à la survie de mes propres livres, et puis à celle de mes amis qui venaient de sortir leurs romans à la rentrée. Je pense ici à Jean-Pierre Montal (La nuit du 5-7/ Séguier) ou Yves Charnet (Chutes/ Tarabuste). Je savais leur inquiétude. Rien ne remplacera le toucher des couvertures. Les peaux ne mentent pas. Le livre se moque de la distanciation sociale. On a besoin de le palper, de s’en imprégner, de fureter entre les piles, les sens en alerte, et de le laisser nous choisir. 

Car, c’est bien le livre qui nous appelle et nous tend la main, jamais le contraire. Alors, offrir un livre, un bien culturel comme ils disent, est encore le meilleur moyen de dépenser son argent. Je vous donne in extremis mes derniers coups de cœur pour 2020, ils sont issus d’une production raisonnée : Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet (La Nouvelle Librairie éditions), Le Pugilat de William Hazlitt (L’Insomniaque), Poulidor by Laborde de Christian Laborde (Mareuil Éditions) et Le Cadet de l’excellent Philippe Barthelet (PGDR éditions). 

Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet – La Nouvelle Librairie éditions – Préface de Marc Laudelout et postface de Jeanne Augier

Escaliers: Une passion avec L.-F. Céline

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Le Pugilat de William Hazlitt – L’Insomniaque – Traduit et présenté par Philippe Mortimer

Poulidor by Laborde de Christian Laborde – Mareuil Éditions

Le Cadet de Philippe Barthelet – PGDR éditions

Le Cadet

Price: 20,00 €

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Être ou ne pas être… inoculé


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19 le mardi 8 décembre à l’hôpital de Coventry au Royaume-Uni. Ce n’est pas une blague !

A lire aussi, Frédéric Ferney: Un affreux «Bojo»

Il était la deuxième personne au monde à recevoir le vaccin de Pfizer en dehors d’un essai clinique. Shakespeare, âgé de 81 ans, outre qu’il est l’homonyme du célèbre dramaturge anglais, est aussi originaire du comté du Warwickshire tout comme l’auteur de Hamlet. Ces coïncidences n’ont pas manqué d’amuser les réseaux sociaux, donnant lieu à une pléthore de jeux de mots, pour la plupart intraduisibles en français, comme « The Two Gentlemen of Corona » (pour Verona, Les Deux Gentilshommes de Vérone) ou « The Taming of the Flu » (pour The Taming of the Shrew, La Mégère apprivoisée). Certaines internautes imaginaient Shakespeare, à son arrivée à l’hôpital, en train de crier : « Une piqûre ! Mon royaume pour une piqûre ! » (d’après Richard III) ou « N’est-ce une aiguille que je vois là devant moi ? » (d’après Macbeth). D’autres se sont demandé si, la première personne à être vaccinée, Margaret Keenan, 90 ans, représentant la patiente 1A, William Shakespeare serait « 2B, or not 2B » to be or not to be, « être ou ne pas être », la célèbre question de Hamlet).

Il semble que la plupart des compatriotes de William Shakespeare n’ont pas de crainte à être vaccinés contre le coronavirus. Selon un sondage conduit par la société Kantar, 75 % des Britanniques affirment être prêts à se faire inoculer, contre 66 % des Américains, 67 % des Allemands et seulement 54 % des Français.

La fin de la coopération monétaire franco-africaine soumettrait le continent africain au règne du dollar et à la pénétration du yuan


Entretien avec Loup Viallet, qui analyse la situation du franc CFA, monnaie et système en sursis…


Considéré par certains comme le dernier héritage de la colonisation, le Franc CFA (FCFA) est encore l’objet de tous les fantasmes. Il y a un an, les présidents français et ivoirien ont annoncé que cette monnaie commune à quinze pays africains serait remplacée dans la moitié ouest-africaine d’entre eux, par « l’Eco », une nouvelle devise dont la création se fait toujours attendre. Dans un ouvrage récent, La fin du franc CFA (oct. 2020, VA Éditions, Versailles), qui commence à faire parler de lui à droite, le géopolitologue Loup Viallet dévoile les enjeux vertigineux de la coopération monétaire franco-africaine pour l’Europe et pour l’Afrique. Alors que cette thématique est ordinairement désertée dans le débat public, on l’a vu revenir à travers les discours portés le mois dernier par la directrice de l’ISSEP Marion Maréchal, à l’occasion de sa série d’interventions médiatiques. L’ISSEP, dont le tout nouveau think-tank a publié parmi ses premières analyses une note signée par… Loup Viallet.

Pour le magazine Causeur, il a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet qui cristallise beaucoup de passions et alimente de nouvelles idées.

Frederic de Natal. Qu’est-ce que le Franc CFA? 

Loup Viallet. Le Franc CFA (Communauté Financière Africaine-ndlr) est la monnaie d’un pays sur trois en Afrique sub-saharienne dont l’ensemble forme ce qu’on appelle « la zone franc ». Contrairement aux monnaies de leurs pays voisins qui fluctuent en permanence au gré des prix des matières premières, et dont la fragilité expose leurs économies et leurs sociétés à des phénomènes chroniques d’hyperinflation, le franc CFA est la monnaie la plus stable et la plus crédible du continent africain. Elle sert de socle à deux marchés communs africains, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest et la CEMAC en Afrique centrale, supprimant les coûts liés au change entre leurs pays membres, mais aussi avec les dix-neuf pays de la zone euro. Sa convertibilité en euros est garantie par le Trésor français, dans le cadre d’un partenariat monétaire surveillé par les institutions européennes et administré par les banques centrales africaines et les chefs d’État africains. C’est un atout auquel les dirigeants africains ré-adhèrent régulièrement, mais ce n’est pas non plus une baguette magique : avoir une monnaie stable et crédible ne suffit pas à protéger les pays africains de la désindustrialisation asiatique, ne les incite pas à transformer leurs économies et à sortir de leurs rentes primaires ou à renforcer l’unité fiscale et infrastructurelle de leurs marchés communs. C’est un symbole enfin, celui de souveraineté limitée des pays africains de la zone franc qui fait dire à certains que le franc CFA est un instrument de prédation, un lien néocolonial.

Pourquoi et par qui est-elle décriée aujourd’hui?

Pour de nombreux courants militants qui s’inscrivent d’abord dans la gauche intellectuelle et politique, les « indigénistes » ou les « décoloniaux » en France, et les « panafricanistes » en Afrique francophone, le Franc CFA est le bras armé du capitalisme et du néocolonialisme de la France en Afrique. Son maintien serait à l’origine d’un enrichissement odieux de l’ancienne métropole sur le dos de ses anciennes colonies. Ces thèses sont aussi relayées dans les milieux souverainistes, où ce lien est souvent compris à travers un prisme altermondialiste. Toujours est-il que cette monnaie fait l’objet de beaucoup de fantasmes et de rumeurs qui entretiennent les pays africains dans une certaine infantilisation, tenant leurs dirigeants pour des irresponsables, les présentant alternativement comme soumis à l’ancienne métropole ou comme des martyrs de la liberté africaine. Ces discours sont faux et dangereux.

A lire aussi: Émissions CO2: la France est exemplaire!

Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur ce sujet qui semble particulièrement diviser le «village franco-africain»? 

Cela fait plusieurs années que j’écoute le discours des « indigénistes » sur cette question qui me tient particulièrement à cœur. J’ai voulu comprendre si cela était vrai, d’où venaient ces types de discours, comment fonctionne l’organisation monétaire de l’Afrique afin de mieux répondre aux questions, aux enjeux que cela comporte tant pour l’Europe ou la France. Or, force est de constater que nous avons affaire de la part de ces gens à des discours très démagogiques. Il est regrettable de voir que des politiques français reprennent ce genre de caricatures, et ne s’emploient même pas à démontrer qu’il n’y a pas de néo-colonialisme de la part de la France. Ou encore des dirigeants et des intellectuels africains, qui tiennent des discours ambigus, dénonçant une mainmise d’un côté mais sans pour autant rompre avec la coopération monétaire de l’autre. Lorsqu’il était président de la république de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas dénoncé le franc CFA et a même renouvelé l’adhésion de son pays aux institutions de la zone franc. Or, dans son autobiographie publiée une décennie plus tard, il en a fait la « clé de voûte » d’un système de spoliation par lequel la France s’enrichirait.

Le Franc CFA est-il l’instrument d’un néocolonialisme de la France en Afrique? 

Cette vision d’une France néocoloniale qui tirerait sa prospérité de l’exploitation des pays africains est complètement fausse. La puissance économique de la France ne repose pas sur ses liens passés ou présents avec l’Afrique. La zone franc ne représente que 0,6% du commerce extérieur de la France contre 40% à la veille des indépendances (tenant compte de l’ancienne Indochine), tandis que la France polarise 10 à 15% des échanges des pays de la zone franc aujourd’hui contre 60% à la veille des indépendances.  La France ne dispose plus de monopole économique dans son ancien « pré carré » : sur ce terrain les entreprises françaises sont désormais en concurrence avec des sociétés américaines, allemandes, italiennes, espagnoles, chinoises, turques, indiennes. On note aussi que la majorité des intérêts économiques français en Afrique sont hors de la zone franc : au Nigeria, au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud. Quant à l’approvisionnement en uranium qui suscite beaucoup de fantasmes sur l’action de la France au Niger, il s’opère avec le Canada et avec le Kazakhstan sans nécessiter de partenariat monétaire. Enfin, la France n’a pas d’hégémonie politique dans les pays de la zone franc, ainsi qu’en a attesté le coup d’État imprévu au Mali à l’été 2020. Aujourd’hui le premier créancier et le premier fournisseur des pays de la zone franc c’est la Chine. 

Les pays africains peuvent-ils entrer ou sortir librement de la zone Franc? 

Oui. La possibilité d’adhérer ou de dénoncer la coopération monétaire est prévue par les traités. Cela a été le cas de Madagascar en 1963, de la Mauritanie en 1973, de la Guinée-Conakry en 1960 ou encore du Mali en 1962 avant finalement d’y revenir 22 ans plus tard car sa monnaie était trop instable et inconvertible. Plus récemment, la Guinée équatoriale et la Guinée-Bissau ont rejoint la zone franc, respectivement en 1985 et en 1997 pour bénéficier de sa crédibilité. On voit bien dès lors que ce n’est pas une monnaie coloniale mais un service qui permet à des pays pauvres et rentiers de jouir d’une sécurité financière favorable au développement du commerce, de l’investissement, de l’épargne, de la production, de l’emploi et de la diversification économique. 

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Que penser de l’éco, cette nouvelle monnaie qui doit remplacer le Franc CFA dans huit pays d’Afrique de l’Ouest? 

Il y a la même différence entre le franc CFA et l’éco qu’il y a entre les notions d’ « assistance » et d’ « assistanat ». Le changement de nom est superficiel, d’autant que d’autres monnaies portent le nom de franc sans qu’il ne prête à débat : le franc pacifique, le franc suisse, le franc congolais, le franc guinéen. Par ailleurs, ce nom rappelle celui du garant, sans lequel la monnaie n’existerait pas. Mais il y a plus grave, le franc CFA fonctionnait avec des contreparties de la part des pays africains, des sortes de devoirs, associés au droit de détenir une monnaie dont ils n’ont pas à garantir la qualité. Dans la nouvelle mouture de l’éco, ces devoirs disparaîtront, ce qui engage la relation franco-africaine sur deux pentes. La première est que les pays africains n’auront aucun compte à rendre sur l’administration de cette monnaie et n’auront aucune incitation pour réaliser les réformes économiques nécessaires pour sortir de leur modèle rentier. La seconde implique pour la France de développer une solidarité financière coûteuse pour son budget public et permissive pour les pays de la zone franc, qui seront autorisés à poursuivre leurs déficits massifs avec l’Asie en se reposant sur la garantie de convertibilité française. C’est un mauvais accord qui va amplifier les pires défauts de la coopération actuelle.

Faut-il poursuivre la coopération franco-africaine?

Pour répondre à cette question, il faut avoir bien conscience des enjeux que provoquerait la rupture de ce lien, à la fois pour la France, pour la zone euro et les pays de la zone franc et plus largement pour l’Europe et l’Afrique. La fin du franc CFA achèverait de soumettre les économies du continent africain aux variations du dollar, aux fluctuations des prix mondiaux des matières premières et à la pénétration de la monnaie chinoise, ce qui signerait leur enlisement dans le piège de la rente primaire. L’exploitation du cacao, de l’hévéa, du pétrole ou du gaz dégage trop peu de ressources pour financer des services publics de base, ne nourrit pas des peuples entiers, laisse sans emploi la majorité des populations en âge de travailler. Par ailleurs on ne peut ignorer que les modèles mono-agricole et mono-extractif sont exposés au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources fossiles. L’Afrique subsaharienne est soumise à un nouveau désordre, ses gouvernements ne parviennent pas à répondre aux besoins de populations en augmentation constante, dans un contexte où le réchauffement climatique menace les rendements et l’habitat. Ce désordre se manifeste par l’exil de millions d’Africains, par la faillite des frontières, la prolifération des bandes armées, des trafics illicites et des idéologies contestataires. Il constitue une source très puissante de déstabilisation et d’insécurité pour les pays africains, mais aussi pour les pays d’Europe, qui se situent dans leur grand-voisinage. Ni la France, ni les autres pays européens n’ont intérêt à ce que l’Afrique sombre dans l’anarchie et le sous-développement. Tel n’est pas nécessairement le cas de puissances plus éloignées, qui pourraient tirer parti de la situation pour bénéficier d’un réservoir de matières premières certes limité mais disponible, mais aussi pour contrôler l’organisation politique africaine et imposer leur paix aux frontières de l’Europe. La coopération monétaire est un des instruments dont les Africains et les Européens disposent pour éviter cette situation et pour bâtir des réponses aux principaux défis qui leurs sont communs en ce début de siècle.

La fin du franc CFA

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Pénélope Bagieu: Ulysse, reviens!

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La dessinatrice féministe a fait le bilan de l’année passée dans les Inrocks. Selon elle, “2020, c’est l’année Alice Coffin”


Pas de trêve des confiseurs entre Noël et jour de l’An pour la cancel culture. En effet, Jean-Paul Brighelli en a parlé dans nos colonnes, une école du Massachusetts aux États-Unis s’est félicitée de la suppression de l’Odyssée d’Homère de son programme pour cause d’apologie de « culture du viol ». Je ne m’étalerai pas davantage sur ce nouveau délire de l’idéologie woke. Laissons-nous plutôt aller à une rêverie dystopique ! Pénélope Bagieu, dessinatrice de BD parisienne qui coche toutes les cases progressistes, auteur entre autres de « Sacrées Sorcières », une adaptation de Roald Dahl, a donné une interview aux Inrocks. Son Odyssée à elle à travers le pays rêvé de la perfection idéologique.

A lire ensuite, François-Xavier Ajavon: Le magazine « New Witch » cible les néosorcières new age

Ulysse est relégué à la maison à faire et refaire son ouvrage en guise de punition, Pénélope est aux commandes et nous raconte sa guerre de Troie depuis son Ithaque confinée et confortable: « Je ne suis absolument pas à plaindre car j’ai un appartement relativement grand et lumineux, je ne vis pas seule et je n’ai pas été obligée de sortir travailler. » Les Dieux ayant été cléments avec Pénélope, elle s’inquiète de ceux pour qui ils le sont moins, avec la sagesse d’une Athéna en gilet jaune : « Les gazages et violences pendant les manifestations sont devenus tellement récurrents que c’est comme si on se conditionnait presque à leur « normalité. » On est arrivés à un stade où il faut filmer les policiers en action et ce sont eux qui nous nassent et nous gazent. » Mais Pénélope est là pour nous protéger de tous les Cyclopes du vieux monde coupables de toutes les phobies réactionnaires : « Il faut faire face à une défense hyper crispée du vieux monde qui ne veut pas que les choses changent. »

Pénélope irradiée par la sincérité d’Alexandria Ocasio-Cortez

C’est cependant sans compter sur Trump/Poséidon qui fait reculer les droits des femmes et sème le chaos dans l’île merveilleuse des progressistes. En effet la mort de Ruth Bader Ginsburg, féministe américaine historique et juge à la Cour Suprême, remplacée par la très conservatrice Amy Coney Barrett a plongé Pénélope dans la terreur : « Je ne voulais pas croire au scénario catastrophe de la nomination d’une sénatrice conservatrice à la Cour Suprême mais Trump a réussi. »

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Alexandria Ocasio-Cortez, novembre 2018. Sipa. Numéro de reportage : AP22273804_000001.

Heureusement, Alexandria Ocasio-Cortez est là pour éloigner les sirènes du conservatisme et redonner l’espoir en un monde où régnerait la paix inclusive et racisée : «  AOC est trop cool pour les cools, elle ne serait pas forcément acclamée ici. Imaginez une AOC française envoyée chez Pascal Praud (…) Alexandria est extraordinaire, elle irradie. Le fait qu’elle soit animée par la sincérité, ça marche. »

2020: l’année de la pandémie et d’Alice Coffin

Dans son périple sur une mer déchaînée par le vent mauvais du covid, notre Pénélope s’est longuement attardée sur l’île de Lesbos où elle semble avoir trouvé le repos. En effet, elle fait rimer 2020 avec Coffin. On ne présente plus notre Alice, reine du merveilleux pays lesbien, qui défraya la chronique de la rentrée de septembre avec son Génie Lesbien, ouvrage chaotique et misandre, que j’ai traité avec une relative indulgence dans votre magazine préféré.

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Elle fait cependant figure de vestale pour Pénélope : « 2020 c’est l’année Alice Coffin. Elle a mis un vrai coup de pied dans la fourmilière et a contribué à faire évoluer les mentalités (…) Elle a permis de mettre en lumière une discrimination dont on n’est pas forcément habitués à s’émouvoir qui est la lesbophobie. » Alice a même accompli l’exploit d’obtenir les plates excuses de Laurent Ruquier, qui l’avait un tant soit peu maltraitée sur son plateau. Courageuse guerrière.

Contrairement à la Pénélope d’Homère, qui défait sans cesse son ouvrage, Bagieu tisse patiemment sa toile de parfaite thuriféraire « woke ». Elle ne semble cependant pas complètement débarrassée des travers de l’ancien monde, car elle avoue avoir fait la cuisine et le ménage pour s’occuper pendant le confinement. On ne nous dit pas si elle attendait son Ulysse.

On imaginait Trump mauvais perdant, mais pas à ce point!

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Donald Trump © Dennis Van Tine/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22528233_000006

Il nous a volé un peu de notre rêve américain


Le seul mérite que Trump a eu est de n’avoir jamais dissimulé qu’il ne respecterait pas les résultats de l’élection s’il était déclaré perdant: parce que pour lui, ils seraient alors nécessairement truqués.

Il l’a dit, il l’a répété, il l’a martelé. Et il n’a cessé, au fur et à mesure que la judiciarisation forcenée qu’il avait mise en œuvre pour contester l’incontestable ruinait ses espérances, de demeurer pourtant dans le même registre. On était prévenu mais on n’osait pas penser qu’il irait aussi loin, au point de délibérément fragiliser le socle démocratique américain, le Capitole, symbole et lumière. Certains de ses partisans républicains, fanatiques et irrespectueux, chauffés à blanc par lui, ont pris à la lettre ce que Donald Trump continuait à proférer, malgré l’élection de Joe Biden : menaces et volonté sadique de battre en brèche une tradition et une civilité démocratiques trop honorables et honorées. Quatre morts et plusieurs blessés dans les marges de cette incroyable irruption collective contre laquelle la police du Capitole, pas assez nombreuse malgré les alertes, n’a pu faire preuve de suffisamment de résistance.

Joe Biden semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump!

Je n’ai pas eu tort de défendre certains aspects de la politique de Donald Trump sur le plan national – l’économique et le social au meilleur jusqu’à la calamiteuse gestion de la Covid-19 – et dans le domaine international où son caractère atypique, imprévisible, a su faire bouger des lignes qu’on croyait intangibles. Il a retiré son pays de théâtres guerriers même si évidemment il a porté atteinte à un multilatéralisme qui s’était accordé sur certains points fondamentaux comme le climat.

A lire aussi, Gil Mihaely: Joe Biden: le fossoyeur des classes moyennes sera-t-il leur sauveur?

Je me doutais qu’il serait mauvais perdant mais pas à ce point. Son refus obstiné d’admettre sa défaite ne relevait plus du combat légitime qui autorise le vaincu à user de toutes les ressources de la loi pour voir reconnaître ses droits, mais de l’expression caractérielle d’un tempérament incapable de supporter l’humiliation suprême de cette déconfiture. Il est clair qu’en ayant incité ses partisans à investir le Capitole, Trump a commis une faute gravissime, offensante pour la démocratie américaine et qui va cliver encore davantage le parti républicain entre pro et anti Trump. Ensuite il a calmé le jeu: c’était bien le moins. À cause sans doute de la réprobation des anciens présidents américains et de la semonce européenne sur sa déplorable attitude. Même si tout au long de son mandat Trump a été victime de l’opposition systématique des médias et d’un opprobre politique qui méconnaissait même ce qu’il avait accompli de bien, il serait faux de prétendre que cette hostilité générale a engendré le Trump caricatural, souvent aux limites du déséquilibre, inquiétant même si parfois lucide dans ses intuitions et ses analyses. C’est sa personnalité qui a créé la détestation dont il a été l’objet.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Mais il faut raison garder: ce n’est pas la fin du monde et encore moins celle de la démocratie américaine même si je partage le sentiment de beaucoup qu’avec ce Capitole envahi, c’est un peu de notre rêve américain qu’on nous a volé. Un trésor intouchable a été violé. Il n’empêche que rien ne m’est apparu plus inutilement mélodramatique que l’intervention de notre président en pleine nuit avec le drapeau américain derrière lui. Je sais que les Français adorent se mêler des affaires des autres et en particulier, pour les Etats-Unis, choisir leur président à leur place et généralement se tromper. Mais l’exhibition de ce drapeau était choquante et provocatrice comme si nous étions devenus coresponsables de la vie politique américaine, de ses grandeurs et de ses failles.

Je ne crois pas une seconde que le futur démocratique sera obéré par cette catastrophique fin de mandat. En effet, de même que sa singularité imprévisible a eu parfois des effets positifs pour le monde et son pays, il est permis de considérer qu’elle ne pourra jamais être imitée pour le pire, puisqu’il n’y aura jamais qu’un Trump pour présider ainsi et terminer de la sorte.

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Demain, sans que je sois enthousiasmé par Joe Biden – qui semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump -, on est tout de même persuadé qu’avec lui une forme de normalité reprendra ses droits. Elle ne sera sans doute pas géniale mais reposante. Il nous rendra à sa manière un peu du rêve américain.

Juste une conclusion sur la France. J’ai souvent douté de la qualité et de la force de notre démocratie. Mais suis-je naïf d’estimer que, si Marine Le Pen l’emportait en 2022, mille manifestations se dérouleraient dans la rue mais son adversaire battu ne contesterait pas le résultat de l’élection et n’inciterait pas ses soutiens à investir l’Elysée? Nous aurions d’autres drames et affrontements mais nous aurions au moins cette consolation.

L’assimilation, une ambition française

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Cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, au salon d’honneur de la préfecture de Cergy (Val-d’Oise), 30 octobre 2003. © FREDERICK FLORIN / AFP.

En France, le vivre-ensemble pacifique des différences est nécessaire, mais pas suffisant. Le projet français est plus ambitieux : il attend du nouveau venu que, dans la sphère publique, il devienne un Français comme les autochtones. En échange, il reçoit une appartenance qui n’interdit ni les croyances personnelles ni le respect de ses ancêtres.


Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. Ensemble, ces trois notions forment comme un triptyque : ils sont les trois volets d’un même retable. Un retable qu’on dira républicain, en précisant toutefois que si la lettre est républicaine, l’esprit, lui, est éminemment français. L’assimilation fleure bon la IIIe République, mais la passion de l’unité et du commun qui l’inspire renvoie à la longue histoire de la France.

L’assimilation à la française est un principe chancelant

De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant. Elle fait figure, et depuis plus longtemps que les deux autres, de mal-aimée.

L’assimilation est la forme proprement française de l’intégration des immigrés, des nouveaux venus par les hasards et souvent les commotions de l’Histoire. Pour comprendre cette spécificité, il faut avoir à l’esprit quelques données historiques. « Chaque peuple qui a atteint un certain degré de développement, notait l’historien Werner Jaeger, dans son magistral ouvrage Paideia, a le souci de se continuer dans son être propre, de sauvegarder ses traits physiques, intellectuels et moraux. » Si bien que tout pays est bousculé et même mis au défi par l’arrivée d’individus qui ne sont pas sans bagages, mais porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie et de pensée autres que ceux du pays d’accueil ; autres, c’est-à-dire étrangers, voire contraires au pays où ils s’établissent. La question prend cependant un tour particulièrement brûlant dans un pays comme la France qui s’est ingéniée tout au long de son histoire à faire de l’un avec du multiple, qui, « si elle a de la peine à être une, ne saurait se résigner à être plusieurs » (Fernand Braudel), bref une France qui a la passion du monde commun. La France se singularise en effet (jusqu’à quand ?) par sa répugnance à voir les éléments qui la composent « superposés comme l’huile et l’eau dans un verre », pour reprendre l’image d’Ernest Renan. C’est pourquoi nous tenons la bride aux communautés, pourquoi nous refusons la fragmentation de la France en une mosaïque de communautés vivant chacune à son heure, suivant son calendrier, ses costumes et ses coutumes, pourquoi aussi l’« archipellisation » nous est non seulement une douleur, mais une offense.

Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage
Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage

Une France qui se distingue aussi par son entente de la vie, par ses mœurs, ces lois non écrites qui confèrent à un pays sa physionomie propre, et où longtemps, l’économie n’a pas eu le premier ni le dernier mot.

Une autre donnée historique mérite d’être prise en considération. Si nous avons fait le choix de l’assimilation, c’est assurément que nous cultivons la passion du commun et que nous sommes jaloux de notre mode de vie, mais c’est aussi que, plus que tout autre pays, la France se sait fragile, périssable, bref mortelle. Elle n’a pas attendu la Première Guerre mondiale pour en être instruite. La fracture de 1789 et le pathos révolutionnaire de la table rase lui ont enseigné cette vulnérabilité. D’où l’instauration de mécanismes qui lui garantissent une certaine persévérance dans l’être. L’assimilation est l’un d’entre eux. Elle est une assurance prise contre la nouveauté et ses potentialités destructrices, dont l’immigré est porteur. Comme l’est, soit dit en passant, le nouveau venu par naissance, qui, s’il n’apprend pas à connaître et à aimer la civilisation dans laquelle il est introduit en naissant, menace de défaire ce que ses ancêtres ont fait de singulier et de précieux. C’est un faux humanisme, disait Merleau-Ponty, que celui qui nie que l’altérité soit une question.

A lire aussi, le sommaire de notre numéro de janvier: Causeur: Assimilez-vous!

On comprend mieux dès lors que là où les autres pays peuvent se contenter d’une simple coexistence, pourvu qu’elle soit pacifique, d’un vivre-ensemble dans ses différences, et de l’insertion du nouveau venu dans la vie économique, la France, elle, poursuit un dessein autrement ambitieux : elle demande au nouveau venu de se fondre dans le creuset français. Elle attend de lui qu’il ait le souci, le scrupule même, de devenir, dans la sphère publique, un Français comme les autres, c’est-à-dire comme les autochtones.

L’assimilation, le mot dit la chose : il ne suffit pas au nouveau venu de respecter la culture du pays dans lequel il entre, il lui faut se l’approprier, faire sienne l’histoire, unique, que raconte notre pays, apprendre les notes et les harmoniques qui composent la partition que nos ancêtres ont arrangée, interprétée et nous lèguent. L’assimilation proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, elle affirme sans trembler l’essentielle asymétrie entre la société d’accueil et le nouveau venu. Immigrer, comme naître, c’est entrer dans un monde qui était là antérieurement à l’individu, cette antériorité oblige. Un monde, c’est-à-dire une communauté historiquement constituée, une collectivité sédimentée, cimentée par des siècles de civilisation commune, un « vieux peuple chargé d’expériences » (Bernanos). Si l’identité de la France est bien narrative, si elle n’est pas figée dans quelque essence et éternité que ce soit, elle n’est pas non plus un palimpseste.

L’assimilation n’est pas une punition, c’est une offrande

L’assimilation repose sur une conception qu’on pourrait dire épique du peuple et de la patrie. Il s’agit d’entraîner tous les membres de la nation dans une histoire commune. Elle s’ancre dans une conception non ethnique de la nation. La France, disait l’historien Jacques Bainville, c’est « mieux qu’une race, c’est une nation ». Ce qui cimente le peuple français, ce sont des souvenirs, le souvenir des actes et des accomplissements de ceux qui ont fait la France, la langue dont le secret perce et rayonne dans sa littérature, longtemps, du temps de l’apprentissage par cœur, des poèmes, des textes en prose. Qui que vous soyez, d’où que vous veniez, dit en substance l’assimilation, vous pouvez devenir Français pourvu que vous ayez la volonté et le désir d’apprendre notre histoire, de la comprendre et de l’aimer. Et cette proposition est possible parce que, être français ce n’est pas seulement avoir du sang français qui coule dans ses veines, parce que, pour être français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître. Il faut donner des gages de son aspiration à maintenir vivant un héritage, et le maintenir vivant non en le visitant et éventuellement le goûtant en touriste, mais en trempant sa plume dans l’encrier et en en continuant l’esprit, et non la seule lettre.

La France attend de l’étranger qu’il transmue cette substance en sa moelle propre, et substantifique. Appropriation de l’Histoire, mais non moins des mœurs. C’est peut-être ce qui frappe le plus dans le modèle français d’intégration, que cette exigence d’adoption des us et coutumes. Les autres pays d’Europe, à l’exception des pays ex-soviétiques d’Europe centrale qui connaissent d’expérience l’expropriation culturelle, s’accommodent très bien d’usages, de pratiques, de codes distincts des leurs. L’espace public français n’est pas un fast-food McDonald, « on n’y vient pas comme on est ». On dépose ses bagages et l’on s’apprête : on revêt les atours du pays d’accueil, on en adopte les manières, la forme de vie, la sociabilité, la mixité des sexes. Dans le plébiscite de tous les jours qu’est une nation, pour reprendre la définition d’Ernest Renan, l’imitation des manières du pays dont on devient membre est un premier oui d’approbation, c’est ainsi que nous l’interprétons. D’où, et avant même toute autre considération, les vives réticences que nous inspire le port du voile. C’est bien par l’adoption des signes extérieurs que le nouveau venu affirme et confirme que la citoyenneté française n’est pas, pour lui, qu’une citoyenneté de papier.

L’assimilation, point capital, en appelle aux sentiments. L’intégration, en comparaison, a quelque chose d’aride, de distant, de froid. « Ce qui nous attache à la patrie, disait Stendhal, c’est que nous sommes accoutumés aux mœurs de nos compatriotes et que nous nous y plaisons. » Nous ne concevons pas que l’on devienne français sans se plaire aux mœurs françaises, sans se délecter de la composition française, comme dirait Mona Ozouf. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », les choses n’ont sans doute pas cette simplicité d’épure mais enfin, le mot de Philippe de Villiers contient une vérité puissante : l’identité française est une affaire de cœur avant d’être une affaire de tête.

L’assimilation nous parle en effet d’un temps que les moins de 40 voire de 50 ans ne connaissent pas, un temps où la France s’aimait, s’estimait et en savait les raisons, où elle avait une conscience vive des trésors qu’elle recélait, et c’était comme tels qu’elle les proposait aux nouveaux venus. Péché d’universalisme peut-être, mais nous étions convaincus que la forme de vie française était susceptible d’être appréciée, admirée, savourée par l’homme en tant qu’homme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, et somme toute, nos visiteurs ne nous démentaient pas.

Demande exorbitante que ces exigences françaises qui semblent réclamer une « conversion » de tout l’être – « offrir l’asile au corps » et « convaincre l’âme de changer », disait le romancier Kamel Daoud, belle synthèse du programme assimilationniste ? Nullement.

On a trop tendance à présenter l’assimilation comme une contrainte, voire une punition, mais elle est d’abord une offre, une offrande même. Il entre dans l’assimilation – le mot, à n’en pas douter, surprendra tant on s’est employé à la grimer en monstre exterminateur – de la générosité. Générosité française longtemps perçue comme telle par ceux qui en bénéficiaient ; longtemps en effet les Français par naturalisation n’ont pas été chiches de leur gratitude. L’hommage que le peintre Chagall rendait à la France – « En somme, je dois ce que j’ai réussi à la France dont l’air, les hommes, la nature furent pour moi la véritable école de ma vie et de mon art » –, chacun des membres de l’école de Paris, tous d’origine étrangère, Modigliani, Soutine, Zadkine, pour ne citer que quelques noms, aurait pu le prononcer[tooltips content= »Je renvoie au catalogue de l’exposition « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1950-1940 » (Co-Edition MAHJ et Réunion des musées nationaux, 2020), qui apporte de très précieux éléments pour penser cette alchimie. L’exposition devrait se tenir au printemps prochain à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. »](1)[/tooltips].

Des nourritures charnelles

L’assimilation est peut-être la seule forme d’hospitalité véritable. Elle conjure et panse la douleur par excellence de l’exil, le déracinement. Car c’est bien un nouvel enracinement qu’au travers de l’assimilation, la France propose à l’immigré. « Avec les avantages d’une citoyenneté, les nouveaux Français recevaient l’honneur d’une appartenance », aimait à rappeler Jean Daniel. L’assimilation connaît bien l’homme. Elle sait, ce que nous nous obstinons à méconnaître, que c’est d’incarnation, de grandes figures, d’épopée, que l’humaine nature a besoin, pas d’abstraction. Ce sont des nourritures charnelles qu’elle offre au nouveau venu.

L’assimilation apporte d’ailleurs un énergique démenti à ceux qui accusent la France de se former et de cultiver une idée abstraite du citoyen. Sans doute l’assimilation commence-t-elle par délier l’individu de ses appartenances premières : elle est un processus en première personne. Elle s’adresse à l’individu, elle le convoque, lui et lui seul. « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout leur accorder comme individu », disait Clermont-Tonnerre, défenseur de 1789 de l’accès des juifs à la citoyenneté – « tout accorder à l’individu », peut-être pas de nos jours, en ces temps d’individu-mesure-de-toutes-choses, mais en tout cas, ne pas voir dans le futur citoyen le membre d’un groupe. L’émancipation, toutefois, n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit en aucune façon de jeter cet individu que l’on vient d’affranchir, de le délier de sa famille, de son église, dans un grand vide identitaire : il n’est libéré de ses appartenances primitives qu’afin de contracter d’autres liens, ceux qui le rattachent à cette réalité plus vaste qu’est la nation, dont il est appelé à devenir sociétaire et membre…

Les pères fondateurs de la IIIe République savaient très bien que l’on n’unit pas un peuple autour des valeurs, de la République, de la laïcité, toutes ces clochettes que nous ne cessons de faire tintinnabuler convaincus que cela nous fera d’excellents Français. Être citoyen, clame l’assimilation, ce n’est pas seulement être un sujet de droits et de devoirs, ce n’est pas non plus répondre de ses choix et de ses actes devant quelque tribunal universel des « valeurs » ou des « droits de l’homme », mais répondre de ses décisions et de leurs conséquences : devant le tribunal des vivants et de ceux qui viendront après nous, certes mais d’abord des morts qui ont fait la France, qui lui ont donné sa physionomie et son génie propre.

Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.
Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.

Ensuite, révisons un des procès les plus iniques intenté à l’assimilation et qui, en ces temps de fièvre identitaire, travaille le mieux à la disqualifier. Ignorance, paresse, démagogie, idéologie, le tout mêlé, on se plaît, y compris parmi des hommes politiques des plus respectables, ainsi d’Alain Juppé, à colporter l’idée que l’assimilation impliquerait l’immolation des appartenances inaugurales, qu’elle frapperait d’interdit les attachements et les fidélités particulières. Or, jamais l’assimilation n’a signifié pareil sacrifice et même sacrilège. Elle se fonde assurément sur l’autonomie de l’individu, mais si elle lui demande de déposer ses bagages lorsqu’il pénètre dans l’espace public, elle ne lui refuse en aucune manière la liberté d’entretenir le culte de ses dieux et de ses morts. Assurément, ainsi que l’écrit l’historien Marc Bloch, est-ce « un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse », mais la France n’a jamais rien imposé de tel à ceux qui aspiraient à devenir français. Si elle proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, si elle détache l’individu de sa communauté première, elle n’exige pas l’oubli et le mépris des origines, elle en circonscrit seulement la pratique à l’espace privé.

L’heure de la tyrannie des identités

L’assimilation, comme la laïcité, vit de la frontière que nous traçons rigoureusement et vigoureusement entre la sphère publique et la sphère privée. L’espace public, espace des apparences et de la vie en commun, est le lieu de la discrétion, noble vertu bien outragée à l’heure de la revendication véhémente et venimeuse de « visibilité ». La vie s’est simplifiée, observait la conteuse Karen Blixen : l’individu contemporain entend être partout et toujours le même. La hiérarchie des ordres est frappée d’illégitimité. Et la France est cette belle audacieuse qui rappelle chacun à sa liberté, au jeu qu’il peut instaurer avec lui-même, au pas de côté qu’il lui est toujours loisible d’accomplir par rapport à toutes les formes de déterminismes. L’assimilation fait le pari de la liberté. Une liberté non d’arrachement, mais de la mise à distance. Vertus émancipatrices qui manifestement ne séduisent plus.

A lire ensuite, Renée Fregosi: Contre l’islamisme: pas de «tenaille identitaire» qui vaille!

Que faire de cet héritage à l’heure de l’exaltation et de la tyrannie des identités ? L’assimilation peut-elle nous être une ressource alors que les « minorités » et les « diversités » ont investi l’espace public et ne cessent de gagner en autorité et légitimité auprès des élites politiques, médiatiques, culturelles ? Je le crois. Toute politique soucieuse de répondre de la continuité historique de la France, anxieuse de restaurer quelque chose comme un peuple devrait en faire son programme. Elle n’immole pas les identités premières, elle les remet à leur place. L’assimilation, en tant qu’elle proclame la préséance de cette réalité transhistorique qu’est la France sur toutes les identités particulières, nous arme contre la décomposition nationale et la transformation de la France en un archipel d’îlots communautaires, crucifié par les « diversités ». Elle seule est à même de nous rendre un monde, un ciment qui ne soit l’exclusive de personne, mais l’affaire de tous. Ayons le courage de nous en saisir, de la brandir même. Évidemment, cela suppose que nous recouvrions, collectivement, les raisons de nous estimer, que nous retrouvions plus que la fierté de nous-mêmes, le goût et la saveur de la composition française.

L’assimilation n’a pas échoué, contrairement à ce que l’on répète à satiété, voici quatre ou cinq décennies que, sur fond de conscience coupable, de tyrannie de la repentance et de politique de reconnaissance des identités importée des États-Unis, doutant de notre légitimité,  nous y avons purement et simplement renoncé.

« Ils se sont faits dévots, de peur de n’être rien », disait Voltaire. Cessons d’acculer les individus à cette diabolique et funeste alternative. Et puis que l’on ne nous accuse pas de discrimination : au point où nous en sommes d’ignorance généralisée, je propose que nous décrétions l’assimilation pour chacun et pour tous ! Pour chacun, car, nous l’avons vu, l’assimilation s’adresse à l’individu en personne ; pour tous, c’est-à-dire aussi bien pour les Français de souche, comme il ne faut pas dire, qui ne savent plus rien de leur propre histoire !

États-Unis: le 18 brumaire de Donald Trump n’a pas eu lieu

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Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s'adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027

Mais le temple de la démocratie américaine a été profané…


Les images qui nous sont arrivées des États-Unis sont sidérantes. Avant de se pencher sur les faits et leur signification, une chose est évidente : le temple de la démocratie américaine a été profané. Plutôt qu’à une prise de pouvoir, nous avons assisté à des scènes de désacralisation. Les personnes qui ont envahi le Sénat et la Chambre des représentants n’ont pas fait de discours ni de déclaration. Ils n’avaient ni communiqué ni plan. Ils étaient ivres de rage et ils se sont soulagés. Mettre ses bottes sur le bureau de Nancy Pelosi est un geste dont le sens est anthropologique. Ce n’est pas une étape dans un projet politique. Et c’est là que se trouve le vrai problème : hier à Washington il y avait de la colère, de la violence, mais il n’y avait pas de rationalité, il n’y avait de plan. Et surtout il n’y avait pas de limite.  

La drôle d’entrée en campagne de Trump pour 2024

Donald Trump espérait sans doute changer la donne. Soit il pense toujours se maintenir au pouvoir soit – ce qui est plus probable – il est déjà en campagne pour 2024. 

Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP
Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP

Pour se maintenir au pouvoir, il lui fallait le soutien d’une véritable force fédérale – l’armée – et peut-être des forces locales capables de prendre le contrôle des institutions. Mais Trump n’a pas ce genre de soutiens. On peut supposer qu’il a essayé de les obtenir et que ces tentatives et appels infructueux sont la cause de la tribune des anciens ministres de la Défense. Quoi qu’il en soit, en toute probabilité, le 7 janvier en fin de matinée Trump savait que l’armée, la police, le FBI et le service de protection n’allaient pas bouger. Mais il a tellement l’habitude de changer la donne avec ses transgressions ahurissantes – rappelons qu’il a été le premier surpris par son élection en 2016 – qu’il a appelé ses supporters à se manifester au Capitole. 

En 2016 Trump n’espérait pas tant d’une campagne qui l’avait grisé et lui promettait même en cas de défaite une célébrité encore plus lucrative. On peut donc supposer qu’hier matin à Washington, Trump jouait encore avec le feu, cherchait les limites pour les dépasser et voir ce que cela donne.  Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait pas un véritable plan de putsch. Mais on peut aussi supposer que la possibilité d’un coup d’État voire d’un simple massacre n’a pas fait reculer le président des États-Unis. Trump a lâché le boulet. Il a harangué la foule, flattant l’une de plus vieilles passions américaines : la haine de Washington. Souvenez-vous de Mr Smith goes to Washington comme des premières décennies de la république américaine. Tout y est déjà. 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Donald Trump a donc fait ce qu’il faut pour provoquer ce qu’il espérait : le chaos, le drame. Avec ce manque de responsabilité qui est sa marque de fabrique : puisque lui personnellement n’a rien à perdre, tout le reste peut bien aller au diable. 

Trump ne savait pas ce qui allait se passer. Comme toujours, il renverse la table sans avoir de plan pour la suite. Il sait juste qu’il profite plus souvent que d’autres du chaos et de la sidération de l’inédit, de la stupéfaction suscitée devant la transgression de tout « ce qui ne se fait pas » (« it’s not done »). Le président américain a donc jeté les dés en espérant une bonne combinaison de chiffres, un « six-six » et cela aurait pu être un putsch, on ne sait jamais… Sur un malentendu comme disait Jean-Claude Dusse on aurait pu avoir un scénario bien pire.

Les plaies de la guerre de Sécession rouvertes?

Si l’opérette d’hier n’a pas accouché d’un coup d’État, elle a en revanche de fortes chances de devenir le mythe fondateur du trumpisme, l’Alamo, la défaite glorieuse, le dernier carré de Waterloo. « We few, we happy few we band of brothers » diront bientôt les Trumpistes en parlant du 6 janvier 2021. Des millions d’Américains vont jurer y avoir participé !  Ils ont leur cause – « les élections volées » – et leur charge aussi héroïque que désespérée. 

Les failles sont profondes aux États-Unis. Les plaies de la guerre de Sécession ne sont toujours pas cicatrisées et la nouvelle cause risque d’épouser ces anciennes lignes de fracture. Le problème actuel de la démocratie américaine n’est pas un coup d’État à craindre dans les jours ou les semaines à venir, mais de voir une minorité trop importante se retrancher dans un refus des institutions, sapant profondément et durablement leur légitimité.

L’histoire de l’Union est parcourue de tensions

Les États-Unis ont connu des crises dramatiques.    

En juin 1858, dans un moment de l’histoire américaine où les tensions et contradictions au sein de l’Union s’approchaient du point critique de la guerre civile, Abraham Lincoln, nommé sénateur de l’Illinois, a prononcé un discours devenu classique :  « Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir, disait-il. Je ne m’attends pas à ce que l’Union soit dissoute – je ne m’attends pas à ce que la Chambre tombe – mais je m’attends à ce qu’elle cesse d’être divisée. Cela deviendra une chose ou une autre. » En janvier 2021 ces mots ont une résonance toute particulière. 

A lire ensuite: Gilets jaunes: « Les comiques de France inter étaient paumés »

En 1932 le chef d’état-major Douglas McArthur a déployé des chars sous le Capitole pour disperser des anciens combattants venus réclamer leurs allocations. Une vingtaine d’années plus tard il a été viré par Truman qui craignait son césarisme… Les assassinats politiques et la violence raciale des années 1960 ont eux aussi poussé la démocratie américaine au bord du gouffre. L’union a survécu sans qu’on puisse dire exactement pourquoi, mais très probablement grâce à certaines personnes dont le courage et la probité ont évité l’écroulement des institutions. Aujourd’hui les États-Unis sont de nouveau une maison divisée contemplant l’abime. Mais soyons rassurés : des personnes courageuses et honnêtes sont toujours là pour dépasser leurs appartenances politiques et tenir le toit de la maison.

Trump: le funambule qui tombe?

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Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Après une soirée mouvementée et l’intrusion d’ultras dans le bâtiment du Capitole, le Congrès américain a finalement validé la victoire de Biden. Pensant faire un coup d’éclat, Trump sort perdant de cette séquence étonnante où certains sont allés jusqu’à crier au « coup d’État ». Analyse.


Aujourd’hui, le trumpisme semble avoir subi une triple défaite. Joe Biden a gagné les élections présidentielles de novembre : sa victoire vient enfin d’être certifiée par le Congrès après une des séances les plus dramatiques de l’histoire de la démocratie américaine. Les Démocrates, en remportant deux victoires dans l’état de Géorgie, ont pris le contrôle du Sénat, permettant au nouveau président de gouverner comme bon lui semble, sans risque de voir ses projets bloqués au Congrès. Finalement, après les scènes violentes au Capitole hier, les Démocrates et leurs supporteurs peuvent désormais se présenter en défenseurs de la démocratie contre une insurrection antidémocratique. 

A lire aussi, du même auteur: Le trumpisme avait tout de même du bon

Pence: “La violence ne triomphe jamais”

Ces mêmes scènes ont consacré une scission au sein du Parti républicain entre les supporteurs les plus intransigeants de M. Trump et les autres. Des opposants de longue date au président sortant sont confortés dans leur opposition. Arnold Schwarzenegger, l’ancien gouverneur républicain de la Californie, venait de publier le 5 janvier une tribune dans The Economist où il dénonçait comme « une charade » les tentatives de M. Trump d’invalider les résultats des élections de novembre. Lui et ceux qui pensent comme lui peuvent maintenant proclamer : « On vous l’avait bien dit ! » Ils seront en meilleure position pour se débarrasser de M. Trump comme chef du parti, même si la chose ne va pas de soi. Un grand nombre des fidèles du président milliardaire ont été obligés de prendre leurs distances. Le vice-président, Mike Pence, président du Sénat et chargé ès-qualités de superviser la ratification par le Congrès de la victoire de Joe Biden, a non seulement fait la sourde oreille à la demande de Trump d’invalider les résultats, mais a déclaré, face à l’interruption de la séance du Congrès par les insurgés : « La violence ne triomphe jamais ; seule la liberté triomphe. » La Sénatrice Kelly Loeffler, qui venait de perdre son siège en Géorgie et qui, trumpiste dévouée, s’était déclarée prête à s’opposer à la ratification des élections présidentielles, y a finalement renoncé, comme un certain nombre d’autres élus républicains. 

Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles…

À l’étranger, des alliés réputés proches de M. Trump, tels que Boris Johnson, ont condamné – à l’instar d’autres leaders – les actions de ses supporteurs comme une atteinte à la démocratie. L’association qui est faite dans l’esprit de la plupart des observateurs entre les événements du Capitole et les déclarations récentes de Donald Trump, maintenant que sa victoire lui a été volée, transforme la condamnation de l’insurrection d’hier en condamnation du futur ex-Président lui-même.

Trump compromet son avenir

Les conséquences pour la stratégie politique de Trump sont graves. Celui-ci s’apprêtait à adopter la posture du « vrai Président en exil », c’est-à-dire de celui qui s’oppose, non seulement aux politiques mises en œuvre par le président Biden, mais à sa légitimité même, ainsi qu’à celle de tout l’establishment politique de Washington. Il comptait ainsi continuer à jouer le porte-parole de la colère populaire, de ceux que le système a abandonnés. Ce rôle est désormais sérieusement compromis. Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles. Au lieu d’avoir un pied dans les deux camps, pour ainsi dire, il est condamné à sautiller du côté des ultras, à canaliser, non la juste colère de la foule, mais la rage désespérée d’une minorité.

Au cours des mois à venir, les Républicains seront amenés à faire l’autopsie de leurs défaites. Ils trouveront que leurs revers dans les urnes sont moins le résultat d’une fraude que de leur incapacité à exploiter les nouvelles règles de la procédure électorale introduites par les Démocrates après leur reprise de la Chambre des représentants en 2019. Comme l’explique Kimberley Strassel dans The Wall Street Journal, les nouvelles pratiques rendues légales par la réforme électorale – la possibilité de s’inscrire le jour même du vote, le recours au vote postal à grande échelle et le « ballot harvesting » (la collecte et la remise de bulletins de vote par un tiers) – ont favorisé les Démocrates qui maîtrisaient ces processus sur le terrain beaucoup mieux que les Républicains. 

Le succès futur de ces derniers ne dépendra donc pas uniquement de leur capacité à exploiter la grogne, mais d’un retour aux fondamentaux des techniques de campagne électorale. 

Donald Trump a plus le profil d’un apprenti sorcier de la rage populaire que d’un architecte des procédures.

Greta, Assa, Mila et moi…

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La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

L’éditorial de janvier d’Elisabeth Lévy


Fin 2019, Greta Thunberg était élue personnalité de l’année par le magazine Time. Un an plus tard, c’est Assa Traoré qui est mise à l’honneur par l’hebdomadaire new-yorkais comme l’une des « gardiennes de l’année ». À première vue, il n’y a pas grand-chose de commun entre l’ado boudeuse à nattes et la néo-Black Panther à crinière. Sauf que toutes deux ont accédé en quelques mois au statut d’icône planétaire. Nul ne se proclamant raciste ou favorable au réchauffement climatique, elles mènent des guerres déjà gagnées : risque minimal, gratification maximale. Dans le monde entier, elles sont devenues les égéries des élites boboïsées et connectées constituées par l’alliance du business, du show-biz et des minorités revanchardes. Aussi font-elles un tabac dans les lieux où se fabrique l’opinion éclairée, des médias aux universités.

On se rappelle le spectacle ridicule de sommités onusiennes ou européennes écoutant avec ravissement la Croisée du carbone leur faire la leçon du haut de ses 16 ans et la ridicule gretamania, avec unes de journaux dithyrambiques et éditos énamourés, qui s’est emparée de la France quand la demoiselle nous a fait l’honneur d’une visite. De même, la patronne du comité «  Justice pour Adama  », qui est, selon le Time, « l’un des visages du combat pour la justice raciale en France  », est, des deux côtés de l’Atlantique, une coqueluche des journalistes, qui l’invitent à disserter doctement sur les violences policières et le racisme de la société française, et des politiques de gauche – même Yannick Jadot fait génuflexion. En réalité, Traoré ne se bat pas pour la justice raciale, mais pour la réécriture de toute l’histoire à l’aune du seul critère de la race. Et elle ne cherche pas la vérité, mais à faire entrer de force son frère mort tragiquement dans le costume de George Floyd. Rappelons qu’Adama Traoré a couru comme un dératé un jour de canicule pour échapper aux gendarmes. S’il avait obtempéré, il serait sans doute en vie (et Assa Traoré serait peut-être encore employée par une association dépendant de la Fondation Rothschild[tooltips content= »Voir l’article d’Erwan Seznec « Comité Adama, tout le pouvoir aux people »,
Causeur n° 81, juillet-août 2020. »](1)[/tooltips]).

>>> Découvrez le sommaire du nouveau numéro du magazine Causeur <<<

Quelques jours avant la parution du Time, on apprenait que Mila était persona non grata dans l’internat militaire où elle avait trouvé refuge après avoir été exfiltrée de son lycée public. Après l’Éducation nationale, c’est l’armée qui déclarait forfait et se disait incapable de protéger une adolescente. De nombreux internautes et commentateurs se sont donc émus que le magazine américain n’ait pas plutôt honoré Samuel Paty ou la jeune fille privée de scolarité pour avoir tenu sur le prophète de l’islam des propos certes injurieux, mais parfaitement licites au regard de notre droit et de notre mauvais esprit.

Les auditeurs des « Grandes Gueules » de RMC ont-ils voulu réparer cette injustice  ? En tout cas, deux jours après le sacre d’Assa Traoré par le Time, ils ont élu Mila « Grande Gueule de l’année » – titre dont il faut peut-être préciser qu’il est un compliment et qu’elle a ravi sur le fil au professeur Raoult.

Aussi dérisoires puissent sembler ces honneurs médiatiques, ils symbolisent la fracture culturelle qui, dans le monde entier sépare les élites saute-frontières des ploucs (c’est affectueux !) assignés à résidence ou, pour reprendre les catégories du sociologue David Goodhart, les gens de quelque part (somewhere) de ceux de nulle part (anywhere). On est tenté d’en conclure que chacun choisit ses victimes. Non, chacun choisit ses coupables : le Blanc, riche, mâle de préférence – mais pas exclusivement dans le cas de Greta Thunberg, car même les féministes les plus délirantes ne racontent pas que les femmes contribuent moins au réchauffement climatique que les hommes. (Encore que, j’ai peut-être raté quelque chose.) Il s’agit de pointer tous les beaufs à l’esprit étroit, trumpistes, lepénistes et autres brexiters, qui refusent de céder aux séductions du multiculti mondialisé. Pour les people du monde entier, encenser Greta ou Assa, c’est une façon d’acheter des indulgences, de se battre la coulpe sur la poitrine des méchants et des réacs. Donc de montrer qu’on n’a rien à voir avec ces populistes qui prétendent que l’islamisme est un danger plus réel que le racisme – qui est condamné socialement et souvent légalement dans toutes les grandes démocraties.

Dans ces conditions, on comprend mieux l’indifférence de nombre de nos grandes consciences au sort de Mila. Dans son cas, les coupables qui l’insultent et la menacent ne se recrutent pas dans les catégories que l’on adore détester, mais au contraire dans une population qui est par essence victimisée, discriminée et «  racisée  ». Comment des victimes pourraient-elles être coupables ? C’est pour éluder cette aporie de leur pensée que ces grands esprits ont encore noyé le poisson après le déluge d’insultes antisémites qui s’est abattu sur Miss Provence. Pour ne pas stigmatiser, on s’est employé à gloser sur les méfaits de Twitter.

Les rééducateurs autoproclamés des masses ignorantes se glorifient bruyamment de leur abnégation envers leurs descendants, à qui ils promettent de laisser un monde purifié, délivré du carbone et du racisme. Gageons – ou espérons – que ces «  générations futures » leur demanderont un jour des comptes pour s’être déshonorés en applaudissant Assa et en abandonnant Mila.

Philippe Marlière n’est pas un islamo-gauchiste

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Capture d'écran YouTube

 


Le politologue Philippe Marlière n’est pas un islamo-gauchiste. Il empêche l’islamophobie française de se propager, nuance!


Philippe Marlière est professeur de Sciences politiques à l’University College de Londres. Il se revendique de gauche. Il a écrit récemment une tribune dans L’Obs[tooltips content= »« Islamo-gauchisme » : un mot pour bastonner, 15 décembre 2020″](1)[/tooltips]. Son courroux est grand et sa colère immense : Valeurs Actuelles a publié un article dénonçant « l’heureuse soumission » de l’universitaire « islamo-gauchiste » aux thèses de l’islam politique. M. Marlière se propose de démontrer l’égarement de nos confrères. La démonstration est malheureusement assez pauvre et repose sur deux arguments récurrents :

1) l’islamo-gauchisme serait un « fantasme » qui « exprime la détestation morale, intellectuelle, voire physique des individus qui parlent des discriminations dont sont victimes les musulmans en France » ;

2) Le vocable « islamo-gauchisme » ferait partie du vocabulaire de l’extrême-droite.

Le politologue reproche à certains d’utiliser à tort et à travers une expression pour décrédibiliser l’adversaire ? Mais hésite-t-il jamais lui-même avant d’employer les termes « extrême-droite » ou « islamophobie » pour annihiler le débat?

Accusé Taguieff, levez-vous !

Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de Pierre-André Taguieff, lequel, ayant écrit avec Michèle Tribalat un essai intitulé Face au Front national. Arguments pour une contre-offensive, est difficilement assimilable à l’extrême-droite française. Quant à l’idée d’une convergence politique islamo-gauchiste en vue du grand renversement révolutionnaire, nous la devons au trotskyste anglais Chris Harman qui, dès 1994, écrit dans The Prophet and the Proletariat : « Sur certaines questions nous serons du même côté que les islamistes contre l’impérialisme et contre l’État, notamment en France et en Grande-Bretagne pour lutter contre le racisme. […] Là où les islamistes sont dans l’opposition nous devons être avec les islamistes parfois, avec l’État jamais. »

Marche contre "l'islamophobie". De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP
Marche contre « l’islamophobie ». De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP

Nous manquons de place pour faire ici la longue liste des ex-trotskystes médiatiques, représentants politiques insoumis ou écolos, afro-féministes indigénistes ou universitaires intersectionnalistes qui suivent ce précepte à la lettre depuis des années.

A relire, Douglas Murray: «La guerre culturelle est déclarée»

Depuis que la gauche est gauche une partie d’elle s’est régulièrement fourvoyée dans des combats dont elle pensait que le peuple sortirait gagnant et qui ont en réalité permis l’émergence de nouvelles oligarchies politiques et/ou religieuses. Intellectuels français de gauche et dindons des farces tragiques et totalitaires sont devenus synonymes. Sartre et Beauvoir montrèrent l’exemple de ce type de fourvoiements, traînant à leur suite tous les révolutionnaires de salon officiels. Certains d’entre eux écrivirent, après des voyages très organisés, des fascicules publicitaires sur les pays nouvellement “démocratiques”. Les autocrates chinois ou cubains rirent beaucoup en lisant les Carnets du voyage en Chine de Barthes, ou le reportage de Sartre à son retour de Cuba Ouragan sur le sucre. Quant à Khomeyni, il paraît qu’il sourit (ce qui était pour lui l’expression ultime d’une joie immense) lorsqu’il lut quelques feuillets des « reportages d’idées » de Michel Foucault après ses deux voyages en Iran fin 78. L’ayatollah releva in petto les absurdités pro-islamiques d’un intellectuel français qui ne comprenait rien à l’islam et qui, lorsque commencèrent les procès expéditifs et la proclamation de la charia en République islamique iranienne, dédouana encore l’islam politique pour accabler le « pouvoir » – cette nébuleuse théorique que Foucault nous aura servie à toutes les sauces : « Dans l’expression “gouvernement islamique”, pourquoi jeter d’emblée la suspicion sur l’adjectif “islamique” ? Le mot “gouvernement” suffit, à lui seul, à éveiller la vigilance. »

A lire aussi, Henri Rey-Flaud: « Nous sommes dans l’instant, tandis que l’Islam est dans l’éternité »

Le blog de Marlière à l’avant-garde de tous les nouveaux combats de « gauche »

S’ils lisent le blog de M. Marlière hébergé par Médiapart, les islamistes français doivent sûrement se gondoler eux aussi. En 2009, il y explique pourquoi il quitte le mollasson PS pour rejoindre le bouillonnant NPA déjà allié objectif d’une communauté musulmane appelée à se substituer à un prolétariat mal-votant. En 2016, il y défend le port du burkini, cette « adaptation moderne de la tradition islamique, dans le sens où il concilie des préceptes religieux et l’autonomie individuelle. »

En 2018, converti à l’écriture “inclusive”, il y décrit des « acteur.ice.s principaux.les fatigué.e.s » par le débat autour du port du hijab, et conclut : « Pour les démocrates, pluralistes et progressistes, le mot d’ordre devrait donc être : être libres d’enlever le hijab en Iran, être libres de le porter en France, défendre partout l’autonomie des femmes ! »

A lire aussi: Lettre ouverte à Houria Bouteldja, qui estime qu’«on ne peut être innocemment israélien»

En 2020, il y dénonce le racisme de la police française qui « comme son homologue américain […] tue par asphyxie les jeunes racisés des classes populaires » et représente un « danger pour la société ». Quand il n’écrit pas, Philippe Marlière signe des pétitions. Une, avec Annie Ernaux et quelques aficionados indigénistes, pour prendre la défense de Houria Bouteldja. La dernière, pour contester la dissolution du CCIF sous le prétexte étrange de ne pas vouloir « faire le jeu des terroristes ». Sinon, il se réjouit de voir Assa Traoré, « figure positive de la lutte contre les discriminations en France », à la une du Time. Et quand le gouvernement prévoit une loi « confortant les principes républicains », il dénonce un « prétexte pour discriminer l’islam » ou « une laïcité française [qui] est en fait un communautarisme qui privilégie le catholicisme ». Etc.

C’est vrai, ils n’ont pas été très gentils à Valeurs actuelles. Aux dires du politologue, en le traitant d’islamo-gauchiste ils ont utilisé « un mot pour bastonner ». […] « C’est une attaque verbale, symbolique, mais qui peut potentiellement mettre physiquement en danger la personne ainsi désignée. » Il sait de quoi il parle. Lui-même pratique régulièrement cet art quand il s’agit de taper sur les « islamophobes » Philippe Val, Natacha Polony, Caroline Fourest, Riss ou Zineb El Rhazoui, tous ces vilains qui « utilisent Charlie Hebdo pour stigmatiser les musulmans et entretenir un climat de guerre civile larvée », et dont certains sont véritablement (et non “potentiellement”) menacés de mort.

Mais bon, quand même, « islamo-gauchiste » … Valeurs Actuelles n’a jamais poussé le bouchon aussi loin… et pourquoi pas « idiot utile », tant qu’ils y sont ?

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Le livre, produit essentiel de l’année 2020

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Image de couverture du roman "Le Cadet" de Philippe Barthelet – PGDR éditions. Henry Scott Tuke / D.R.

Entre confinement et déconfinement, ouverture et fermeture des librairies, le livre a résisté au virus! Thomas Morales dresse le bilan littéraire de l’année passée.


Outre sa valeur refuge, le livre aura eu d’insoupçonnées vertus pacificatrices sur un secteur hautement concurrentiel. D’habitude, ces gens-là se détestent entre eux. Et pourtant, ils auront fait bloc durant toute l’année 2020. La littérature est un sport de combat féroce où chacun tient à ses positions idéologiques, son pas de porte, son catalogue, son comité de lecture, son diffuseur, sa clientèle et sa mise en place. 

L’éditeur vise un succès annuel qui assurerait la survie de sa boutique. Les jurys, ces joueurs autorisés de bonneteau, font et défont des carrières au gré du vent et du champagne tiède.

Écosystème précaire

Les critiques pestent contre le niveau général d’écriture depuis la réforme du collège unique. Les libraires en ont assez de porter des cartons, considérant la surproduction comme un fléau national. Et puis, rouage essentiel et dernier échelon de cette pyramide bancale, l’auteur se demande comment il va finir le mois. La caractéristique principale de cet écosystème précaire réside dans sa totale irrationalité. À vrai dire, c’est la dinguerie de ce métier qui amuse, captive, séduit et fait que nous sommes un certain nombre à y avoir succombé. « Irrité par ce monde, et comme échappé de lui, je préfère le monde littéraire un peu démuni qui en est mitoyen, où le hasard, la rencontre privée et la tertulia, réunissant des types atrabilaires et dévergondés, compensent et purifient de la cohabitation avec la conventionnelle et doctorale hypocrisie où s’alimente la pédanterie ambiante » écrivait Ramón Gómez de la Serna (Automoribundia/Quai Voltaire).

A lire aussi, Jérôme Leroy: Laurent Dandrieu et la littérature intranquille

Il y a dans ce milieu et nulle par ailleurs, malgré les concentrations capitalistiques à la manœuvre, une hétérogénéité de situations et de luttes fratricides. Des intérêts que l’on pensait jusqu’à très récemment contradictoires, voire irréconciliables. Comment comparer en effet, le groupe de communication qui achète et vend des maisons sur les marchés mondiaux à l’éditeur qui publie seul, trois livres par an, à la lueur de ses envies, dans son modeste atelier d’artisan ? Comment mettre sur le même plan, l’auteur de best-sellers choyé par les télés et poursuivi par les producteurs de ciné, et l’humble poète penché sur son écritoire qui, pour un vers réussi, à la métronomique ensorceleuse, se passera d’un repas ? 

Comment faire cohabiter dans un même lieu clos, l’auteur progressiste, à la pointe des combats victimaires, inlassable défenseur des humiliés de la Terre, adoubé par les forces intellectuelles avec l’auteur factieux, réprouvé des cercles, populiste par essence, oiseau de mauvais augure qui écrit pour dénoncer toutes les compromissions des élites réunies ?

Une nation qui aime la littérature

Malgré leur incompatibilité ontologique, tous partagent le même espace de vente. 

Miracle, la librairie est leur chapelle ardente ! Hier, ils étaient tous ennemis, en 2020, ils se sont retrouvés dans le même camp, celui qui réclamait, implorait et espérait l’ouverture des librairies indépendantes. Fin octobre, à la veille du second confinement, j’ai vu un étrange spectacle à la librairie Gibert sur le Boulevard Saint-Michel, à Paris. Des jeunes et des vieux, dans leur immense variété culturelle, de Deleuze à Morand, de Duras à Pound, de Mirbeau à Prévert se ruaient dans les rayons et faisaient provisions de livres, juste par peur de manquer. 

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Dans un premier élan, on pouvait trouver cette frénésie un peu ridicule à l’heure d’une grave crise sanitaire, et puis, en y réfléchissant, j’ai fini par m’enorgueillir d’une nation qui cherche dans la lecture, un moyen de s’évader, de se cultiver, de se divertir ou tout simplement de se nourrir de mots. Quitte à s’en abreuver. Quel autre pays dans le monde marque-t-il un tel amour dévot pour la phrase sauvage et les cathédrales de papier ? 

Derniers coups de cœur

Comme tous les professionnels du métier, j’ai d’abord pensé égoïstement à la survie de mes propres livres, et puis à celle de mes amis qui venaient de sortir leurs romans à la rentrée. Je pense ici à Jean-Pierre Montal (La nuit du 5-7/ Séguier) ou Yves Charnet (Chutes/ Tarabuste). Je savais leur inquiétude. Rien ne remplacera le toucher des couvertures. Les peaux ne mentent pas. Le livre se moque de la distanciation sociale. On a besoin de le palper, de s’en imprégner, de fureter entre les piles, les sens en alerte, et de le laisser nous choisir. 

Car, c’est bien le livre qui nous appelle et nous tend la main, jamais le contraire. Alors, offrir un livre, un bien culturel comme ils disent, est encore le meilleur moyen de dépenser son argent. Je vous donne in extremis mes derniers coups de cœur pour 2020, ils sont issus d’une production raisonnée : Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet (La Nouvelle Librairie éditions), Le Pugilat de William Hazlitt (L’Insomniaque), Poulidor by Laborde de Christian Laborde (Mareuil Éditions) et Le Cadet de l’excellent Philippe Barthelet (PGDR éditions). 

Escaliers (Une passion avec L.-F. Céline) d’Évelyne Pollet – La Nouvelle Librairie éditions – Préface de Marc Laudelout et postface de Jeanne Augier

Escaliers: Une passion avec L.-F. Céline

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Le Pugilat de William Hazlitt – L’Insomniaque – Traduit et présenté par Philippe Mortimer

Poulidor by Laborde de Christian Laborde – Mareuil Éditions

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Le Cadet de Philippe Barthelet – PGDR éditions

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Être ou ne pas être… inoculé

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© Jacob King / Pool / AFP

William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19


William Shakespeare s’est fait vacciner contre le Covid-19 le mardi 8 décembre à l’hôpital de Coventry au Royaume-Uni. Ce n’est pas une blague !

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Il était la deuxième personne au monde à recevoir le vaccin de Pfizer en dehors d’un essai clinique. Shakespeare, âgé de 81 ans, outre qu’il est l’homonyme du célèbre dramaturge anglais, est aussi originaire du comté du Warwickshire tout comme l’auteur de Hamlet. Ces coïncidences n’ont pas manqué d’amuser les réseaux sociaux, donnant lieu à une pléthore de jeux de mots, pour la plupart intraduisibles en français, comme « The Two Gentlemen of Corona » (pour Verona, Les Deux Gentilshommes de Vérone) ou « The Taming of the Flu » (pour The Taming of the Shrew, La Mégère apprivoisée). Certaines internautes imaginaient Shakespeare, à son arrivée à l’hôpital, en train de crier : « Une piqûre ! Mon royaume pour une piqûre ! » (d’après Richard III) ou « N’est-ce une aiguille que je vois là devant moi ? » (d’après Macbeth). D’autres se sont demandé si, la première personne à être vaccinée, Margaret Keenan, 90 ans, représentant la patiente 1A, William Shakespeare serait « 2B, or not 2B » to be or not to be, « être ou ne pas être », la célèbre question de Hamlet).

Il semble que la plupart des compatriotes de William Shakespeare n’ont pas de crainte à être vaccinés contre le coronavirus. Selon un sondage conduit par la société Kantar, 75 % des Britanniques affirment être prêts à se faire inoculer, contre 66 % des Américains, 67 % des Allemands et seulement 54 % des Français.

La fin de la coopération monétaire franco-africaine soumettrait le continent africain au règne du dollar et à la pénétration du yuan

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Loup Viallet, auteur de "La fin du franc CFA". Image: Capture d'écran TV Libertés.

Entretien avec Loup Viallet, qui analyse la situation du franc CFA, monnaie et système en sursis…


Considéré par certains comme le dernier héritage de la colonisation, le Franc CFA (FCFA) est encore l’objet de tous les fantasmes. Il y a un an, les présidents français et ivoirien ont annoncé que cette monnaie commune à quinze pays africains serait remplacée dans la moitié ouest-africaine d’entre eux, par « l’Eco », une nouvelle devise dont la création se fait toujours attendre. Dans un ouvrage récent, La fin du franc CFA (oct. 2020, VA Éditions, Versailles), qui commence à faire parler de lui à droite, le géopolitologue Loup Viallet dévoile les enjeux vertigineux de la coopération monétaire franco-africaine pour l’Europe et pour l’Afrique. Alors que cette thématique est ordinairement désertée dans le débat public, on l’a vu revenir à travers les discours portés le mois dernier par la directrice de l’ISSEP Marion Maréchal, à l’occasion de sa série d’interventions médiatiques. L’ISSEP, dont le tout nouveau think-tank a publié parmi ses premières analyses une note signée par… Loup Viallet.

Pour le magazine Causeur, il a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet qui cristallise beaucoup de passions et alimente de nouvelles idées.

Frederic de Natal. Qu’est-ce que le Franc CFA? 

Loup Viallet. Le Franc CFA (Communauté Financière Africaine-ndlr) est la monnaie d’un pays sur trois en Afrique sub-saharienne dont l’ensemble forme ce qu’on appelle « la zone franc ». Contrairement aux monnaies de leurs pays voisins qui fluctuent en permanence au gré des prix des matières premières, et dont la fragilité expose leurs économies et leurs sociétés à des phénomènes chroniques d’hyperinflation, le franc CFA est la monnaie la plus stable et la plus crédible du continent africain. Elle sert de socle à deux marchés communs africains, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest et la CEMAC en Afrique centrale, supprimant les coûts liés au change entre leurs pays membres, mais aussi avec les dix-neuf pays de la zone euro. Sa convertibilité en euros est garantie par le Trésor français, dans le cadre d’un partenariat monétaire surveillé par les institutions européennes et administré par les banques centrales africaines et les chefs d’État africains. C’est un atout auquel les dirigeants africains ré-adhèrent régulièrement, mais ce n’est pas non plus une baguette magique : avoir une monnaie stable et crédible ne suffit pas à protéger les pays africains de la désindustrialisation asiatique, ne les incite pas à transformer leurs économies et à sortir de leurs rentes primaires ou à renforcer l’unité fiscale et infrastructurelle de leurs marchés communs. C’est un symbole enfin, celui de souveraineté limitée des pays africains de la zone franc qui fait dire à certains que le franc CFA est un instrument de prédation, un lien néocolonial.

Pourquoi et par qui est-elle décriée aujourd’hui?

Pour de nombreux courants militants qui s’inscrivent d’abord dans la gauche intellectuelle et politique, les « indigénistes » ou les « décoloniaux » en France, et les « panafricanistes » en Afrique francophone, le Franc CFA est le bras armé du capitalisme et du néocolonialisme de la France en Afrique. Son maintien serait à l’origine d’un enrichissement odieux de l’ancienne métropole sur le dos de ses anciennes colonies. Ces thèses sont aussi relayées dans les milieux souverainistes, où ce lien est souvent compris à travers un prisme altermondialiste. Toujours est-il que cette monnaie fait l’objet de beaucoup de fantasmes et de rumeurs qui entretiennent les pays africains dans une certaine infantilisation, tenant leurs dirigeants pour des irresponsables, les présentant alternativement comme soumis à l’ancienne métropole ou comme des martyrs de la liberté africaine. Ces discours sont faux et dangereux.

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Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur ce sujet qui semble particulièrement diviser le «village franco-africain»? 

Cela fait plusieurs années que j’écoute le discours des « indigénistes » sur cette question qui me tient particulièrement à cœur. J’ai voulu comprendre si cela était vrai, d’où venaient ces types de discours, comment fonctionne l’organisation monétaire de l’Afrique afin de mieux répondre aux questions, aux enjeux que cela comporte tant pour l’Europe ou la France. Or, force est de constater que nous avons affaire de la part de ces gens à des discours très démagogiques. Il est regrettable de voir que des politiques français reprennent ce genre de caricatures, et ne s’emploient même pas à démontrer qu’il n’y a pas de néo-colonialisme de la part de la France. Ou encore des dirigeants et des intellectuels africains, qui tiennent des discours ambigus, dénonçant une mainmise d’un côté mais sans pour autant rompre avec la coopération monétaire de l’autre. Lorsqu’il était président de la république de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas dénoncé le franc CFA et a même renouvelé l’adhésion de son pays aux institutions de la zone franc. Or, dans son autobiographie publiée une décennie plus tard, il en a fait la « clé de voûte » d’un système de spoliation par lequel la France s’enrichirait.

Le Franc CFA est-il l’instrument d’un néocolonialisme de la France en Afrique? 

Cette vision d’une France néocoloniale qui tirerait sa prospérité de l’exploitation des pays africains est complètement fausse. La puissance économique de la France ne repose pas sur ses liens passés ou présents avec l’Afrique. La zone franc ne représente que 0,6% du commerce extérieur de la France contre 40% à la veille des indépendances (tenant compte de l’ancienne Indochine), tandis que la France polarise 10 à 15% des échanges des pays de la zone franc aujourd’hui contre 60% à la veille des indépendances.  La France ne dispose plus de monopole économique dans son ancien « pré carré » : sur ce terrain les entreprises françaises sont désormais en concurrence avec des sociétés américaines, allemandes, italiennes, espagnoles, chinoises, turques, indiennes. On note aussi que la majorité des intérêts économiques français en Afrique sont hors de la zone franc : au Nigeria, au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud. Quant à l’approvisionnement en uranium qui suscite beaucoup de fantasmes sur l’action de la France au Niger, il s’opère avec le Canada et avec le Kazakhstan sans nécessiter de partenariat monétaire. Enfin, la France n’a pas d’hégémonie politique dans les pays de la zone franc, ainsi qu’en a attesté le coup d’État imprévu au Mali à l’été 2020. Aujourd’hui le premier créancier et le premier fournisseur des pays de la zone franc c’est la Chine. 

Les pays africains peuvent-ils entrer ou sortir librement de la zone Franc? 

Oui. La possibilité d’adhérer ou de dénoncer la coopération monétaire est prévue par les traités. Cela a été le cas de Madagascar en 1963, de la Mauritanie en 1973, de la Guinée-Conakry en 1960 ou encore du Mali en 1962 avant finalement d’y revenir 22 ans plus tard car sa monnaie était trop instable et inconvertible. Plus récemment, la Guinée équatoriale et la Guinée-Bissau ont rejoint la zone franc, respectivement en 1985 et en 1997 pour bénéficier de sa crédibilité. On voit bien dès lors que ce n’est pas une monnaie coloniale mais un service qui permet à des pays pauvres et rentiers de jouir d’une sécurité financière favorable au développement du commerce, de l’investissement, de l’épargne, de la production, de l’emploi et de la diversification économique. 

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Que penser de l’éco, cette nouvelle monnaie qui doit remplacer le Franc CFA dans huit pays d’Afrique de l’Ouest? 

Il y a la même différence entre le franc CFA et l’éco qu’il y a entre les notions d’ « assistance » et d’ « assistanat ». Le changement de nom est superficiel, d’autant que d’autres monnaies portent le nom de franc sans qu’il ne prête à débat : le franc pacifique, le franc suisse, le franc congolais, le franc guinéen. Par ailleurs, ce nom rappelle celui du garant, sans lequel la monnaie n’existerait pas. Mais il y a plus grave, le franc CFA fonctionnait avec des contreparties de la part des pays africains, des sortes de devoirs, associés au droit de détenir une monnaie dont ils n’ont pas à garantir la qualité. Dans la nouvelle mouture de l’éco, ces devoirs disparaîtront, ce qui engage la relation franco-africaine sur deux pentes. La première est que les pays africains n’auront aucun compte à rendre sur l’administration de cette monnaie et n’auront aucune incitation pour réaliser les réformes économiques nécessaires pour sortir de leur modèle rentier. La seconde implique pour la France de développer une solidarité financière coûteuse pour son budget public et permissive pour les pays de la zone franc, qui seront autorisés à poursuivre leurs déficits massifs avec l’Asie en se reposant sur la garantie de convertibilité française. C’est un mauvais accord qui va amplifier les pires défauts de la coopération actuelle.

Faut-il poursuivre la coopération franco-africaine?

Pour répondre à cette question, il faut avoir bien conscience des enjeux que provoquerait la rupture de ce lien, à la fois pour la France, pour la zone euro et les pays de la zone franc et plus largement pour l’Europe et l’Afrique. La fin du franc CFA achèverait de soumettre les économies du continent africain aux variations du dollar, aux fluctuations des prix mondiaux des matières premières et à la pénétration de la monnaie chinoise, ce qui signerait leur enlisement dans le piège de la rente primaire. L’exploitation du cacao, de l’hévéa, du pétrole ou du gaz dégage trop peu de ressources pour financer des services publics de base, ne nourrit pas des peuples entiers, laisse sans emploi la majorité des populations en âge de travailler. Par ailleurs on ne peut ignorer que les modèles mono-agricole et mono-extractif sont exposés au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources fossiles. L’Afrique subsaharienne est soumise à un nouveau désordre, ses gouvernements ne parviennent pas à répondre aux besoins de populations en augmentation constante, dans un contexte où le réchauffement climatique menace les rendements et l’habitat. Ce désordre se manifeste par l’exil de millions d’Africains, par la faillite des frontières, la prolifération des bandes armées, des trafics illicites et des idéologies contestataires. Il constitue une source très puissante de déstabilisation et d’insécurité pour les pays africains, mais aussi pour les pays d’Europe, qui se situent dans leur grand-voisinage. Ni la France, ni les autres pays européens n’ont intérêt à ce que l’Afrique sombre dans l’anarchie et le sous-développement. Tel n’est pas nécessairement le cas de puissances plus éloignées, qui pourraient tirer parti de la situation pour bénéficier d’un réservoir de matières premières certes limité mais disponible, mais aussi pour contrôler l’organisation politique africaine et imposer leur paix aux frontières de l’Europe. La coopération monétaire est un des instruments dont les Africains et les Européens disposent pour éviter cette situation et pour bâtir des réponses aux principaux défis qui leurs sont communs en ce début de siècle.

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Pénélope Bagieu: Ulysse, reviens!

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La dessinatrice Pénélope Bagieu à une marche "Nous toutes" en 2019 © CELINE BREGAND/SIPA Numéro de reportage : 00933927_000011

La dessinatrice féministe a fait le bilan de l’année passée dans les Inrocks. Selon elle, “2020, c’est l’année Alice Coffin”


Pas de trêve des confiseurs entre Noël et jour de l’An pour la cancel culture. En effet, Jean-Paul Brighelli en a parlé dans nos colonnes, une école du Massachusetts aux États-Unis s’est félicitée de la suppression de l’Odyssée d’Homère de son programme pour cause d’apologie de « culture du viol ». Je ne m’étalerai pas davantage sur ce nouveau délire de l’idéologie woke. Laissons-nous plutôt aller à une rêverie dystopique ! Pénélope Bagieu, dessinatrice de BD parisienne qui coche toutes les cases progressistes, auteur entre autres de « Sacrées Sorcières », une adaptation de Roald Dahl, a donné une interview aux Inrocks. Son Odyssée à elle à travers le pays rêvé de la perfection idéologique.

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Ulysse est relégué à la maison à faire et refaire son ouvrage en guise de punition, Pénélope est aux commandes et nous raconte sa guerre de Troie depuis son Ithaque confinée et confortable: « Je ne suis absolument pas à plaindre car j’ai un appartement relativement grand et lumineux, je ne vis pas seule et je n’ai pas été obligée de sortir travailler. » Les Dieux ayant été cléments avec Pénélope, elle s’inquiète de ceux pour qui ils le sont moins, avec la sagesse d’une Athéna en gilet jaune : « Les gazages et violences pendant les manifestations sont devenus tellement récurrents que c’est comme si on se conditionnait presque à leur « normalité. » On est arrivés à un stade où il faut filmer les policiers en action et ce sont eux qui nous nassent et nous gazent. » Mais Pénélope est là pour nous protéger de tous les Cyclopes du vieux monde coupables de toutes les phobies réactionnaires : « Il faut faire face à une défense hyper crispée du vieux monde qui ne veut pas que les choses changent. »

Pénélope irradiée par la sincérité d’Alexandria Ocasio-Cortez

C’est cependant sans compter sur Trump/Poséidon qui fait reculer les droits des femmes et sème le chaos dans l’île merveilleuse des progressistes. En effet la mort de Ruth Bader Ginsburg, féministe américaine historique et juge à la Cour Suprême, remplacée par la très conservatrice Amy Coney Barrett a plongé Pénélope dans la terreur : « Je ne voulais pas croire au scénario catastrophe de la nomination d’une sénatrice conservatrice à la Cour Suprême mais Trump a réussi. »

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Alexandria Ocasio-Cortez, novembre 2018. Sipa. Numéro de reportage : AP22273804_000001.

Heureusement, Alexandria Ocasio-Cortez est là pour éloigner les sirènes du conservatisme et redonner l’espoir en un monde où régnerait la paix inclusive et racisée : «  AOC est trop cool pour les cools, elle ne serait pas forcément acclamée ici. Imaginez une AOC française envoyée chez Pascal Praud (…) Alexandria est extraordinaire, elle irradie. Le fait qu’elle soit animée par la sincérité, ça marche. »

2020: l’année de la pandémie et d’Alice Coffin

Dans son périple sur une mer déchaînée par le vent mauvais du covid, notre Pénélope s’est longuement attardée sur l’île de Lesbos où elle semble avoir trouvé le repos. En effet, elle fait rimer 2020 avec Coffin. On ne présente plus notre Alice, reine du merveilleux pays lesbien, qui défraya la chronique de la rentrée de septembre avec son Génie Lesbien, ouvrage chaotique et misandre, que j’ai traité avec une relative indulgence dans votre magazine préféré.

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Elle fait cependant figure de vestale pour Pénélope : « 2020 c’est l’année Alice Coffin. Elle a mis un vrai coup de pied dans la fourmilière et a contribué à faire évoluer les mentalités (…) Elle a permis de mettre en lumière une discrimination dont on n’est pas forcément habitués à s’émouvoir qui est la lesbophobie. » Alice a même accompli l’exploit d’obtenir les plates excuses de Laurent Ruquier, qui l’avait un tant soit peu maltraitée sur son plateau. Courageuse guerrière.

Contrairement à la Pénélope d’Homère, qui défait sans cesse son ouvrage, Bagieu tisse patiemment sa toile de parfaite thuriféraire « woke ». Elle ne semble cependant pas complètement débarrassée des travers de l’ancien monde, car elle avoue avoir fait la cuisine et le ménage pour s’occuper pendant le confinement. On ne nous dit pas si elle attendait son Ulysse.