Accueil Édition Abonné Un affreux «Bojo»

Un affreux «Bojo»

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


Un affreux «Bojo»
© Soleil

Quel sera le rôle de Boris Johnson, le fougueux Premier ministre de Sa Majesté, à l’heure du Brexit? Petite mythologie du Royaume séparé mais pas encore désuni.


La scène se passe au sein de l’Union européenne, c’est-à-dire nulle part.
Dans la nuit du 31 décembre 2020, le Brexit est tombé sur le Royaume-Uni comme une hache. Et alors ?… Les Anglais sont plus forts quand ils se battent seuls. Contre le pape, Hitler ou Gandhi – ce « fakir », disait Chuchill. À Azincourt, Dunkerque ou Twickenham ! Contre toute l’Europe, si nécessaire. Against the odds, contre vents et marées.
C’est leur histoire.
L’Angleterre est une contrée humide et sauvage qu’habitent des guerriers, des commerçants, des jardiniers – splendides dans l’adversité, impassibles dans la défaite, féroces dans la rébellion. La bière y est plus noire et plus amère, l’herbe plus verte, les dimanches plus tristes, mais leurs cimetières de campagne (et leurs pubs) sont les plus gais du monde.
L’Angleterre est une île – la possibilité d’une île ! Car une nation, les Anglais le savent, c’est d’abord un espace mental – une idée avant d’être un peuple. De Gaulle le savait, le maréchal Göring et Jacques Delors l’ont appris à leurs dépens : l’Angleterre s’oppose, l’Angleterre résiste.
God save the Queen… Grrr !
L’Angleterre est une fiction, l’Europe aussi ; la seule différence, c’est que les Anglais croient à leur destin. Sans preuves, malgré les preuves, contre les preuves. On les soupçonne d’entendre une aberrante chanson douce dans les grelots d’un no deal que « les 27 » agitent avec effroi et de caresser encore leur vieux rêve impérial. Ne sont-ils pas les inventeurs du parapluie, du chemin de fer et de l’Habeas corpus ?
Quand les Français disent oui, les Anglais disent non.
Une si longue histoire depuis les hordes de Pictes, férus de guérilla sylvestre et collectionneurs de crânes, qui repoussèrent les légions romaines en l’an 43. Depuis Robin des Bois et Ivanhoé qui n’ont jamais existé. Depuis Cromwell, plus fou que Lénine, et Wellington qui ne quittait pas son châle et son ombrelle à cheval. Jusqu’à Churchill, un bouledogue, et Mme Thatcher, un oursin. Deux belles figures d’obstinés. Les gens de Bruxelles n’ont-ils pas lu cela dans les livres ?
Car les Anglais sont à la fois romantiques et matter-of-fact. Et ils ont toujours su comment transformer une île déserte en île au trésor, quoique privés de leur tasse de thé (et de la lecture du Times), en se souvenant de Long John Silver le pirate ou de Robinson Crusoé, avec un éventail et un perroquet sur l’épaule.
Au fond, c’est toujours le même refrain : « We shall defend our island whatever the cost may be. » Vraiment ? « Never give in, never, never, never ! » martelait Churchill sous les bombes. Comme ses prestigieux devanciers qu’il croit pouvoir imiter, « Bojo », le Premier ministre du gouvernement de Sa Majesté, se sent passionnément relié à ce grand récit national qui allie la hache et la rose, lions et licornes, conspiration des Poudres et prodiges d’archers, Blitz et tempêtes providentielles, princes noirs et reines vierges. Sa conviction : England can take it. Sa devise : Business as usual. Son mantra : Get Brexit done !
Aïe ! Le réel, c’est ça l’écueil. On a beau sauter sur sa chaise comme un cabri en répétant « Brexit ! Brexit ! Brexit ! », personne ne sait exactement ce que cela veut dire. Est-ce une saignée salutaire – un désastre ou une aubaine ? Est-ce « l’enfant monstrueux du thatchérisme et du mécontentement populaire », comme le dit Andrew Adonis, un ancien ministre de Tony Blair ? Non, pour « Bojo », c’est un acte de souveraineté reconquise. Il veut le croire, et il le croit, lui qui n’y croyait pas parce qu’il ne croit à rien.
Cela permet par exemple de vacciner la population contre le Covid avant tout le monde en Europe. Well done ! Et tant pis pour les embouteillages de poids lourds à la frontière de Calais, la fin de la libre circulation des personnes et des biens, les querelles entre Irlandais et tous les petits désagréments subsidiaires qui s’ensuivent.
« Bojo » a décidé que grâce à lui, ce serait une « chance » pour l’Angleterre. Après sa première entrevue avec la reine, à Buckingham Palace, celle-ci aurait murmuré : « I don’t see why anyone would want the job. » Façon de dire : « Vous ne seriez pas un peu opportuniste, jeune homme ? »
L’est-il ? Oui, il s’en cache à peine, il n’a rien d’un visionnaire. Mais que veut-il ? Ambitieux et fantasque, provocant et blagueur, parfaitement sincère dans ses préjugés de caste (hérités d’Eton et Bailliol College) et tout aussi désinvolte dans ses revirements, Boris est celui qu’on préfère haïr ou adorer ; il fait de son mieux pour cela, il se croit tout permis, et il s’en amuse.
Un dangereux optimiste ou un démagogue ? Il s’engage d’instinct, sans précaution, par une poussée de tout son être plutôt que par fidélité à un idéal. Il a ce don – même Macron le reconnaît – de susciter autour de sa personne une sorte de chaleur spontanée et comique. Il pète le feu, il parade, il brille mais est-il sérieux ? Aux yeux de ses adversaires, c’est un funambule, un plaisantin, mais ses amis, hélas, pensent la même chose !
Jusqu’ici, sa carrière ressemblait à une préface un peu illisible et bâclée, mais préface à quoi ? On devine déjà un peu de mélancolie sous son air las – et une candeur brutale qui sous sa mauvaise foi le retient d’être entièrement cynique. Avec sa tête de mauvais ange et son crâne de poussin ébouriffé, Bojo est devenu une sorte de joker, mais qui sera-t-il devant la postérité : un nouveau William Pitt, le Patriote qui résista au blocus de Napoléon, ou bien l’affreux « Bojo » qui se croyait le fils d’Ivanhoé et ne fut que le fou mal-aimé d’une vieille reine ? Un protecteur ou un cascadeur ? Un sauveur ou un entrepreneur de pompes funèbres ?
Son rêve, ce serait de s’entendre dire devant une foule en liesse : « Britain is great again ! » comme « Maggie » après la victoire des Malouines. Son programme ? C’est plus flou. Il y a juste une chose que « Bojo » doit apprendre : les Anglais sont le seul peuple de la terre auquel il ne faut pas mentir. Well, good luck Mr Punch !

Janvier 2021 – Causeur #86

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Covid: et si le recours aux militaires était la solution aux cafouillages technocratiques?
Article suivant La trompette et le violon
est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération