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Miroir, mon beau miroir

Alain Destexhe joue cartes sur table


Miroir, mon beau miroir
Donald Trump et Marco Rubio, Washington, 6 novembre 2025 © Sipa USA/SIPA

La Stratégie de sécurité nationale américaine: un miroir impitoyable tendu à l’Europe


La semaine dernière, la Maison-Blanche a publié la nouvelle Stratégie de sécurité nationale (NSS) des États-Unis. Un document bref — trente-trois pages seulement — mais qui dessine une vision du monde radicalement différente de celle que l’on prétend imposer à Bruxelles ou à Paris. En Europe, l’onde de choc fut immédiate : le chancelier Merz s’est empressé de qualifier certaines formulations d’« inacceptables ».

Pour qui observe depuis onze mois la diplomatie américaine sous Donald Trump, rien de fondamentalement nouveau cependant n’apparaît ici : la rupture était déjà là, mais elle s’énonce désormais noir sur blanc dans un texte officiel qui constitue la doctrine d’une administration assumant son ambition. Les élites bruxelloises, parisiennes ou berlinoises auront beau protester, se lamenter, geindre comme elles le font depuis une semaine, elles devront se résoudre à l’évidence: l’Amérique de Trump n’est plus celle de Biden, Bush ou Obama.

Dans la lignée de De Gaulle et Thatcher

Ce texte n’est pas une provocation, mais un diagnostic lucide sur l’état d’un monde multipolaire — et plus encore sur l’état de l’Europe. On aimerait, en France comme dans l’Union européenne, voir surgir un tel exercice de clarté : une stratégie ramassée, articulant vision, ambition et politique en quelques dizaines de pages. En refermant le document américain, on songe au général de Gaulle et à Margaret Thatcher, peut-être les derniers dirigeants européens à disposer d’une véritable boussole. Quel horizon proposent aujourd’hui des figures aussi falotes que Macron, Starmer, Merz ou Mme von der Leyen ?

La doctrine américaine repose sur un principe simple : protéger les Américains et la civilisation américaine, ce qui implique de restaurer la puissance intérieure et de revoir des alliances extérieures. Quatre axes structurent ce recentrage stratégique :

  1. La migration de masse n’est pas un problème à gérer, mais un enjeu de sécurité nationale et de survie civilisationnelle.
  2. La réaffirmation culturelle : Washington considère que la fragmentation identitaire, la subversion idéologique ou la déconstruction historique constituent des menaces comparables aux risques militaires.
  3. La défense intransigeante de la liberté d’expression, conformément au Premier Amendement.
  4. La reconquête industrielle, destinée à restaurer une puissance économique affaiblie par trente ans de délocalisations.

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À chaque ligne, l’Europe apparaît en creux. Le contraste frappe : l’Union européenne est submergée par l’immigration de masse, renonce à défendre sa civilisation et s’abandonne à une islamisation rampante qu’elle n’ose ni nommer ni analyser. Elle a sacrifié son industrie au dogme du libre-échange, réprimant par ailleurs la liberté d’expression au prix de condamnations judiciaires, d’amendes dissuasives, voire de fermetures de médias. On ne s’étonnera pas que les dirigeants européens accueillent fraîchement la stratégie américaine : elle révèle leurs renoncements.

La fin de l’OTAN pour cause de « grand remplacement » ? 

La question de l’OTAN surgit alors naturellement. « Sur le long terme, il est plus que plausible que, d’ici quelques décennies au plus tard, certains membres de l’OTAN deviennent majoritairement non européens. Dès lors, il est légitime de se demander s’ils verront encore leur place dans le monde – ou leur alliance avec les États-Unis – de la même manière que ceux qui ont signé la charte de l’OTAN. »

Washington valide ainsi la réalité du grand remplacement qui, rappelons-le, n’est pas une théorie mais, selon l’auteur de cette formule, Renaud Camus, une description des évolutions démographiques.  Autrement dit : la pérennité de l’OTAN dépend aussi de l’identité culturelle de ses membres. Une idée que les élites européennes refusent même d’évoquer.

Les chiffres du déclin européen

De même, un chiffre assène l’ampleur du déclin continental : l’Europe pesait 25 % du PIB mondial en 1990 ; elle n’en représente plus que 14 % aujourd’hui. À cela s’ajoute un recul vertigineux du niveau de vie relatif : le PIB par habitant français, qui atteignait 92 % du niveau américain en 1990, n’en représente plus que 54 %. Notre continent se marginalise, culturellement comme économiquement.

On aurait tort de voir dans cette stratégie un acte d’hostilité. C’est au contraire un avertissement, presque un conseil d’ami. Trump dit à l’Europe : sois fière de ta civilisation, sinon elle mourra — et toi avec.

La fin des illusions avec la Chine 

La NSS consacre une large place à l’Indo-Pacifique : la Chine n’est pas désignée comme un ennemi, mais comme un concurrent qu’il faut contenir par la puissance industrielle, technologique et le « soft power » américain. Le document revient sur les illusions des années 2000, selon lesquelles l’intégration de Pékin dans l’ordre économique mondial l’amènerait à la démocratie.

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En 1999, Bill Clinton, le président démocrate, justifiait ainsi l’entrée de la Chine dans l’OMC : « Cet accord est bon pour la Chine, bon pour les États-Unis et bon pour l’économie mondiale (…). Il servira les réformes et les progrès de l’État de droit en Chine. » On sait ce qu’il en est advenu.

Au Moyen-Orient, l’objectif américain n’est plus de transformer les régimes politiques de la région, mais de prévenir qu’une puissance hostile ne domine les ressources énergétiques et les points de passage stratégiques. En Afrique, Washington veut rompre avec la logique de l’aide : l’avenir du continent dépend de flux d’investissements productifs.

Pas de mention des droits de l’homme

Quant à l’approche globale, la rupture est nette : plus d’exportation de démocratie par les armes, plus de jugements moralisateurs sur les régimes amis. Les termes mêmes de « droits de l’homme » et d’« État de droit » sont absents du document! 

Après lecture, on ne peut s’empêcher de rêver ce que serait une France adoptant une telle politique : une stratégie industrielle résolue, un soutien franc au nucléaire, une énergie bon marché, un rétablissement des relations économiques avec la Russie, ainsi que la remise en cause du regroupement familial et du droit d’asile tel qu’appliqué aujourd’hui, qui accélèrent la submersion migratoire. Un rêve qui est le cauchemar des élites au pouvoir.




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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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