Le mois de janvier serait-il propice aux scandales littéraires liés à la pédophilie? Il y a un an paraissait Le consentement de Vanessa Springora. Ce 5 janvier est paru au Seuil La familia grande de Camille Kouchner. Comme l’an dernier quasiment jour pour jour, médias et réseaux s’affolent: un scandale à se mettre sous la dent, des anathèmes à lancer, une meute à abattre!
Le style est vif, sans pathos, quelquefois un peu haché, comme un essoufflement
La France entière est au courant, mais l’usage veut tout de même que l’on rappelle ici le pitch. Sur fond de permissivité soixante-huitarde, le politologue Olivier Duhamel aurait abusé sexuellement du frère jumeau de Camille Kouchner, encore adolescent. S’ensuit le lynchage désormais habituel, de l’accusé, d’Elisabeth Guigou (une proche de la famille), du directeur de Science-Po (où régnait Duhamel) ou plus récemment d’Alain Finkielkraut, qui s’est exprimé sur LCI. L’antenne lui est désormais interdite. Ce n’est certainement pas du ressort de cette petite chronique littéraire de juger les propos du philosophe, même si tout lynchage m’est insupportable. Elisabeth Levy s’exprime longuement à ce sujet dans nos colonnes. La vox populi est en émoi; nous le savons depuis Sophocle: l’inceste est le tabou ultime qui ébranle les fondations de notre condition d’humains. Selon Claude Levi-Strauss, son interdiction structure toute société.
Mais comme à l’accoutumée, on en oublie que La familia grande demeure avant tout un objet littéraire. Spoiler: c’est un bon livre. Le style est vif, sans pathos, quelquefois un peu haché, comme un essoufflement. L’auteur est dans l’urgence, car comme Springora, ce sont des mots qui délivrent de l’emprise, ou dans le cas de Camille Kouchner du poids du secret. Ce secret qu’elle qualifie d’hydre, et qui au sens propre du terme, l’étouffe. L’universitaire en droit souffrira longtemps de pathologies pulmonaires dont la cause resta inconnue. Les mots lui permettront de sectionner définitivement les têtes de la bête.
La structure du livre se divise en trois actes: enfance, adolescence et âge adulte. Le livre s’ouvre et se referme sur la mort de la mère de l’auteur. Car c’est avant tout un livre sur la mère de Camille Kouchner. Complice de l’ogre mais aussi mère aimante, fantasque, vivante, la professeure de droit Evelyne Pisier est à la fois féministe et soumise à son homme, qu’elle appelle son « mec ». Elle accusera même ses enfants, lorsque le secret fut révélé, de le lui avoir volé. Elle aura cette phrase démente: « C’était des fellations, pas des sodomies, c’est moins grave ». L’hydre réapparaît, se dresse entre la mère et la fille. Et la rupture sera définitive.
L’ombre du suicide plane, tel le fatum, sur la famille Pisier. Le grand-père, la grand-mère et peut-être l’actrice singulière qu’était Marie-France: « elle s’est suicidée, comme les autres », dira-t-on dans la famille. Du suicide de sa mère, Evelyne Pisier ne se remettra jamais. Elle abandonne ses enfants pour le chagrin et l’alcool. Elle-même se suicide à petit feu. La famille Pisier, ce sont les Atrides. Camille semble endosser à elle seule toutes leurs tragédies. Mais son désir n’est pas d’enterrer, mais de déterrer le secret de son frère, son jumeau dont elle ressent le malheur dans sa chair. Déterrer pour enfin tuer l’hydre, tuer le beau-père qu’elle considérait comme son propre père. « Il était solaire, il m’a tout appris, je l’aimais » a-t-elle dit le 13 janvier dans la Grande Librairie (France 5). Des faits, dont tout le monde parle, le livre parle en réalité assez peu. L’inceste est omniprésent, il s’incarne dans l’hydre, mais disparaît dans les mots. Il est l’indicible, on lui règle son compte en quelques phrases, précises, encore une fois sans pathos et cela rend le récit d’autant plus fort.
Le frère jumeau Victor, quant à lui, apparaît peu: il veut disparaître, il fonde vite sa propre famille pour réparer ce qui est sans doute irréparable. Camille, à qui il demande de parler, de trouver les mots qu’il ne trouvera jamais est la vestale du malheur, elle le gardera jusqu’à l’âge adulte avant de s’en libérer pour ne pas mourir. L’ogre apparaît peu également dans le récit. Comme une figure tutélaire, un empereur romain qui règne sur son empire décadent, mais gai cependant. Car oui: Camille affirme avoir gardé un merveilleux souvenir de la Familia Grande et des vacances à Sanary.
L’opinion publique se déchaîne sur les élites de la gauche caviar, toutes pédophiles en puissance. Elle se purge de la liberté sexuelle qui souffla sur la France après 68. Camille Kouchner n’accuse ni l’époque ni son milieu. « J’ai écrit ce livre pour toucher à l’universel » déclare-t-elle encore à la Grande Librairie. Je ne crois pas qu’elle soit entendue, le peuple a besoin de boucs émissaires.
Et si les vertus du silence étaient le socle des longues carrières…
Dans un mois exactement, la cérémonie des César 2021 donnera ses bons points de citoyenneté aux élèves méritants et tancera vivement les autres. Tous ceux qui ne s’agenouillent pas devant ce spectacle devenu trop sérieux, trop sentencieux, trop expiatoire au fil des années, seront considérés comme des ennemis de classe. Au piquet ! Chaque mois de février, la cohorte des réfractaires grossit. L’épuration ne connait pas la crise. Plus le cinéma nous fait la morale, plus le public boude son plaisir. Les tableaux d’honneur et les médailles ont été inventés pour les bons élèves et les militaires. Celui qui n’accepte pas la rupture disait un ancien président de la République, une certaine forme de marginalité, ne peut prétendre appartenir à cette grande famille. Être saltimbanque, ça coûte cher et ça n’autorise pas tout. C’est une question de principes, de décence aussi. Les acteurs sont des dissidents, par nature. Nous n’attendons pas d’eux qu’ils nous guident par une parole souvent déplacée et vaine.
Voilà que maintenant ils se transforment en instructeurs, en agents de maîtrise, en agit-prop des redcarpets. La chefferie les égare. La rééducation est devenue leur nouveau petit livre rouge. Un crédo comme un autre. Un segment de marché. Ils n’ont pas beaucoup de mémoire car les derniers d’entre eux qui ont voulu s’immiscer dans le débat public, souvenez-vous des voyages là-bas, dans le Grand Est, en pleine guerre froide, ont mis des années à faire oublier leurs prises de position caduques et à laver leur honneur. Il y a danger à participer à cette foire aux vanités où s’épanouit son lot habituel de règlements de comptes. Nous, le public, grand prince, acceptons cette part de ridicule jusqu’à un certain point. Oui, nous sommes magnanimes. Qui sommes-nous, en fait, pour juger leurs errements et leur désir d’exister sur la scène médiatique ? Nous avons bien conscience que la concurrence qui sévit dans ce milieu pèse sur leur moral et perturbe leur santé psychologique. Les salles de cinéma sont fermées, les carrières de plus en plus difficiles à solidifier et les places libres, rares. Alors, on choisit la facilité, on parle de sujets sociétaux dans le vent, on se fait bien voir par les médias mielleux, on accorde des interviews où l’on n’évoque même plus son rôle, son jeu, la qualité de ses partenaires ou du réalisateur, on gagne des minutes de célébrité en bombant sa morale, en se victimisant, en se caricaturant aussi, et on finit par promotionner son image en oubliant les valeurs cardinales de son métier. Sa beauté éphémère et l’envoûtement par la fiction. En vendant à la découpe sa personne, en faisant commerce de son égo, on court à sa perte.
Dans un pays où les acteurs talentueux sont nombreux, je comprends que certains choisissent la pseudo-voie politique pour consolider une activité économique fragile. C’est parfois drôle et émouvant de naïveté, souvent pathétique et énervant de conneries. Épuisant même. Car nous avons tous en tête la formule de Jean Gabin : « C’est bath les acteurs ! ». On vous aime sincèrement. Alors, quand on vous voit vous lancer, vous engager, on a peur pour vous et honte. Chacun mène sa carrière comme il l’entend, à coups d’invectives et de génuflexions, mais le simple observateur de cinéma que je suis, vous conseille de regarder dans le rétroviseur et vous inspirer de vos pairs. De leur discrétion et leur absence totale d’embrigadement. Ils fuyaient comme la peste, les camarillas et les cellules de partis. Ils étaient trop intelligents et trop insoumis pour se vautrer dans le déballement. Nous avons été élevés par la génération du Conservatoire, les Belmondo, Marielle, Cremer, Fabian ou celle du TNP, les Noiret, Chaumette, Denner ou Wilson. Ces artistes-là, mot qu’ils réfutaient en bloc, ne haussaient ni le ton, ni le menton. Nous n’allions pas à confesse en leur compagnie. Seule leur image filmée donc transfigurée comptait à leurs yeux, leurs opinions politiques ou alimentaires ne nous concernaient pas. Ils nous faisaient grâce de leurs dysfonctionnements intérieurs. Plus ils se taisaient, plus on souhaitait leur ressembler, toucher leur élégance et s’imprégner de leur magie.
Un dernier conseil aux futurs récipiendaires, s’ils veulent vraiment que leur image perdure à travers le temps, s’ils veulent nourrir notre imaginaire à jamais, qu’ils restent sur la réserve, qu’ils mettent un voile sur leurs aigreurs ou leurs douleurs. Les belles carrières se font à bas bruit. Je pense ici à toutes ces actrices plus ou moins connues, à la filmographie plus ou moins longue qui m’ont cueilli par leur seule présence, à l’adolescence. Je ne savais rien de Christine Dejoux, Maureen Kerwin, Claude Jade, Carla Gravina, Carol Lixon, Caroline Berg ou Catherine Leprince et pourtant je les aimais follement. Leur jeu, leur attitude, leur distance, leur mystère ont suffi par m’emporter sans que je connaisse leur avis sur les flux migratoires ou la vaccination.
46e cérémonie des César, vendredi 12 mars 2021 sur Canal +
En digne successeur de Pierre Desproges, Ivan Jablonka nous fait réfléchir en nous faisant rire.
Marie-Hélène Verdier a écrit un excellent papier sur le désopilant dernier ouvrage d’Ivan Jablonka, Un garçon comme vous et moi. Les occasions de sourire étant de plus en plus rares, j’ai décidé d’y revenir un peu et de montrer, grâce à des citations extraites exclusivement du livre en question, les ressorts comiques de cet ouvrage ouvertement desprogien.
Le premier chapitre s’intitule « Je ne suis pas un mâle ! » Il est très court. Presque chaque phrase atteint son but. Nous sourions souvent: Ivan Jablonka se rase « une à deux fois par semaine », est « plus grand et plus large d’épaules que la plupart des femmes », et possède « un pénis qui sert à divers usages ». Bref, écrit-il en pouffant, il est « un “mec”». Mais « les choses ne sont pas si simples », la biologie s’en mêle, et l’auteur n’éprouve a priori aucune difficulté à prouver que la « frontière entre filles et garçons » n’est pas aisée à tracer : il serait bien incapable de suivre des athlètes du 10 000 mètres féminin plus de cinq foulées ; à la piscine, les nageurs « des deux sexes » le dépassent ; sa myopie l’empêche d’être un pilote de ligne ou un tireur d’élite, « alors que des centaines de femmes le sont ». Ivan Jablonka use ici de deux procédés stylistiques souvent utilisés par les humoristes, la caricature et la dérision. Dans le but évident de nous amuser, il force le trait en s’auto-dénigrant. Il sait pertinemment que 99 % des mecs ne pourraient pas suivre plus de cinq foulées les athlètes féminines de haut niveau ; qu’à la piscine, même les enfants nous dépassent ; et que laisser penser que les femmes qui sont pilotes de ligne ou tireuses d’élite le seraient uniquement parce qu’elles ne sont pas myopes – ou que lui n’exercerait pas ces prestigieuses professions uniquement parce qu’il y voit mal – ce serait ignorer des compétences qui sont surtout dues, en plus d’une excellente vue, à l’intelligence et à la volonté de ces femmes, ainsi qu’à une capacité de travail dont certains d’entre nous, hommes ou femmes, myopes ou pas, sont dépourvus.
La vie, c’est compliqué
Ivan Jablonka, maître en auto-dérision, se décrit comme une sorte de handicapé de la vie. Infoutu de réparer un moteur, de colmater une fuite, de changer une ampoule ou d’allumer un barbecue, il s’interroge sur sa masculinité. « D’ailleurs, le fait que je m’interroge sur ma masculinité est une démarche bien peu virile. » Il n’empêche, il est un privilégié, un « homme blanc, hétérosexuel, diplômé, solvable en tout point du globe » – on notera cette dernière précision ironique soulignant la détestable vanité de l’homme blanc argenté, à l’aise partout. Espiègle, l’humoriste explique qu’il ne peut « décliner [ses] identités » qu’en égrenant une « série de fonctions intrinsèquement ou historiquement masculines : fils, frère, mari, […] professeur, écrivain. » Il s’amuse à dire stupidement ce que les sots disent avec la gravité qui leur sert de bouclier, aurait dit Montesquieu (ou Desproges). Nul doute que si Ivan s’était prénommé Isabelle, il n’aurait pas hésité à décliner ces “fonctions” intrinsèquement et historiquement féminines que sont, par exemple, fille, sœur, épouse, professeure, écrivaine (ou autrice). Mais il est un garçon, un « être-à-pénis » – être à pénis et mourir, aurait dit Desproges (ou Montesquieu). Plus desprogien que jamais, Jablonka avoue être « saturé d’angoisses ». Mais son humour est ravageur et sa ténacité intacte, il sera « à la fois pitre et lion. »
Le Monsieur Cyclopède de Desproges se moquait du nazisme en demandant ironiquement aux Français d’avoir un peu de compassion pour le leader de ce mouvement qui « lui aussi faisait pipi dans la mer. » De son côté, Ivan Jablonka combat « la masculinité enrégimentée, sous la forme du nazisme et du colonialisme. » L’effet comique, moins évident au premier abord, apparaît pourtant à la fin de cette tirade, lorsque l’auteur avoue malicieusement ne pas pouvoir « nier que sa masculinité […] est un gain social net. » Il se méfie de « l’aura des hommes » dont « [il] tire profit ». Il est prêt à « faire sauter quelques uns des rivets qui verrouillent [son] pouvoir. » Étonnant, non ?
Une masculinité de domination qui préoccupe notre socio-historien
Jablonka détourne joyeusement le jargon universitaire pour aborder « la socio-histoire de [sa] garçonnité » et de son « être-homme » qui l’ont conduit tout naturellement à entrer en possession d’une « belle montre en acier poli à boîtier étanche qui [lui] a coûté assez cher », mais aussi à se vêtir sobrement, « jean, chemise blanche ou bleu clair, parfois une veste ». Chacun aura relevé le comique né des différents niveaux de langage (sociologique, charabiesque, descriptif, darrieussecquien, etc.), mais aussi, derrière la façade souriante, le dilemme du petit garçon devenu un homme tiraillé entre une « masculinité de domination » (la montre coûteuse) et une « masculinité de contrôle » (le vêtement sobre). Plus loin, plus légèrement, l’auteur évoque ses rencontres avec « tous les autres » et explique comment « défaisant certains nœuds, [il a] caressé quelques-unes des fibres dont nous sommes tissés ». Il renonce à être un « vrai mec » et s’honorerait, dit-il, à être rangé dans la catégorie des femmes ou des gays. La saillie, moins drôle que celle de Desproges, « les chevaux sont tous des ongulés », témoigne que l’élève n’a pas encore dépassé le maître. Mais c’est quand même très prometteur.
Après nous avoir intelligemment distrait avec sa “masculinité” (Des hommes justes), puis avec sa “garçonnité” (Un garçon comme vous et moi), il n’est pas impossible qu’Ivan Jablonka, remontant indéfiniment le temps, nous propose prochainement un livre-spectacle sur son “embryonité”. Que tirera-t-il de ces deux premiers mois d’existence de lui-même ? Dans quel gouffre d’interrogations, derrière le comique de situation fœtale et les réflexions faussement candides, nous entraînera-t-il ? Comment parviendra-t-il à concilier une fois de plus le rire et la philosophie, l’esprit desprogien et l’approche sociologique, la parodie et la spéculation intellectuelle ? En attendant d’obtenir des réponses à ces questions fondamentales, tentons de qualifier l’œuvre d’Ivan Jablonka et relisons Bergson : « Le comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure. » “Intelligence pure”, voilà, ce sont les mots que je cherchais.
Entretien avec Didier Lemaire, le professeur de philosophie de Trappes
Didier Lemaire enseignait la philosophie au lycée de Trappes depuis vingt ans. Sans problèmes. Sauf que la situation s’est sérieusement dégradée depuis que début novembre, juste après l’assassinat de Samuel Paty, il s’est demandé, dans une tribune sur l’Obs, « comment pallier l’absence de stratégie de l’Etat pour vaincre l’islamisme ». Il n’y formulait pas de provocations, il s’adressait à ses collègues, et décrivait « la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps ». Le choix du comparatif, « plus forte », n’était pas innocent: à l’orée des années 2000, il avait vu brûler la synagogue de la ville, et les familles juives partir l’une après l’autre.
Après les attentats de 2015-2016, il s’est engagé dans des actions à visée préventive dans cette ville où circulent plus de 400 « fichés S ». En 2018, il a co-signé avec Jean-Pierre Obin — qui dès 2004 dénonçait l’emprise du fondamentalisme religieux dans nombre de cités — une lettre au président de la République « pour lui demander d’agir de toute urgence afin de protéger nos élèves de la pression idéologique et sociale qui s’exerce sur eux, une pression qui les retranche peu à peu de la communauté nationale ».
Le résultat ne s’est pas fait attendre : il a reçu des menaces si circonstanciées qu’elles lui valent aujourd’hui une protection policière. Les médias se sont émus. Comment, aux portes de Paris… Sans doute n’avaient-ils rien vu venir ? C’est sur cette problématique cécité des médias et des politiques qu’a commencé notre entretien, ce jeudi.
Jean-Paul Brighelli.Presque 20 ans après les Territoires perdus de la République, où Georges Bensoussan et quelques autres décrivaient déjà l’emprise islamiste sur des départements entiers, comment peut-on encore prétendre ne pas savoir ?
Didier Lemaire. Que ce soient les médias, dont le silence alimente le déni national, ou les enseignants, soumis à la tactique du « #PasDeVagues », tout témoigne d’une peur profonde. Or, l’islamisme s’alimente à cette peur. Il en fait son terreau pour s’étendre — ce qui, du coup, la renforce, dans un cycle sans fin.
Quand la nouvelle des menaces qui pesaient sur vous s’est répandue, qui s’est manifesté le plus vite, des politiques ou des médias?
La première à m’appeler fut Valérie Pécresse — avec beaucoup de sympathie et d’éloquence. Puis Bruno Retailleau, qui au moins sur la question de l’Ecole et de la laïcité s’est révélé impeccable. Et Emmanuelle Ménard, l’épouse du maire de Béziers — dont je ne partage guère les idées, mais qui m’a assuré de son soutien. Du côté des médias, le pire a côtoyé le meilleur. Le meilleur, ce fut Stéphane Kovacs, au Figaro, plein d’empathie et surtout doué d’un style qui m’a rappelé Henri Calet, que j’admire fort. Ou Nadjet Cherigui, dans le Point, une belle rencontre avec une belle personne. Ou Pascal Praud et Elisabeth Lévy, sur CNews — même si Praud a cru bon par la suite de chercher un poil sur un œuf en critiquant mon affirmation sur l’absence de femmes dans les cafés musulmans de Trappes…
Ou de Marseille…
Une évidence pour qui connaît la ville.
Le pire, ce fut sans doute l’Express, qui sous prétexte que j’avais jadis donné deux papiers à Causeur, m’a immédiatement situé à l’extrême-droite, et a voulu comptabiliser les coiffeurs mixtes de la ville… FR3 aussi a tout fait pour discréditer ma parole — alors que Mediapart ou Libé ont paru pleins d’empathie. Mediapart en particulier a compris le travail que j’essayais d’effectuer en direction des jeunes filles musulmanes, dont l’Ecole est la seule échappatoire. C’est bien simple : des lycéennes m’ont avoué que quand elles rentraient chez elles, leurs familles les « désinfectaient » — c’est le mot qu’elles utilisent — pour les purger des poisons insinués pendant la journée dans une école où l’on distille l’exercice de la libre pensée et de la laïcité. Je crois qu’en fait les réactions sont fonction de la connaissance du problème — mais combien de journalistes ou d’hommes politiques ont une connaissance exacte de l’emprise islamiste ? Le déni, vous dis-je…
Maire, il ne l’est plus vraiment, ou en sursis, le tribunal administratif vient d’annuler les élections municipales. Son élection a été invalidée à cause d’agissements singuliers — des pressions sur des électeurs, via une association dont il était président, ou l’absence de cadenas sur les urnes, entre autres. Il a fait appel, il reste au Conseil d’État à approuver la décision judiciaire, mais cela ne saurait tarder. Dans tous les cas, ses efforts auprès de la « communauté » ne seront pas payés de retour, il est désormais inéligible.
Et l’Education Nationale? Comment a-t-elle réagi?
Très bien. Aussi bien le rectorat que le ministère — et j’ai rencontré l’un et l’autre — ont été très bienveillants. Ils m’ont assuré qu’ils approuveraient mon choix, que je préfère changer d’établissement — ils m’ont immédiatement proposé deux postes — ou rester à Trappes. Bien sûr, il y a la question de ma sécurité. Mais c’est au fond une double contrainte. Rester, c’est m’exposer à des représailles dont la mort de Samuel Paty donne une idée. Muter, c’est fuir — et transformer mes harceleurs en vainqueurs.
En fait, ai-je encore un avenir au sein de l’Education Nationale ?
Je suis prof de philo depuis 1991. Ça a été toute ma vie pendant presque trente ans. Mais les conditions requises pour enseigner ne sont plus là.
Vous pensez qu’on ne peut plus enseigner dans ces localités sous influence?
J’ai enseigné pendant des années, et avec beaucoup de bonheur. Les élèves venaient en classe goûter à une liberté qu’ils ne connaissaient pas chez eux ou dans leur quartier. De cela ils m’étaient reconnaissants — et en même temps, il est difficile d’évaluer ce qui est authentique et spontané dans cette attitude, et ce qui est duplicité…
La taqîya…
Oui, le mensonge recommandé par l’Islam lorsqu’on parle à un hérétique, afin de ne pas se souiller. En fait, ils sont dans une situation schizophrénique, ballotés entre le désir de s’évader — mentalement au moins — et l’obéissance promise à l’oumma, la communauté des croyants. Laïcité à l’école, charia à la maison. Ils sont dans un conflit de loyautés. Et je crains qu’aujourd’hui ils ne fassent semblant.
Où vous situez-vous, politiquement parlant? À gauche?
Les catégories droite / gauche n’ont plus guère de pertinence. J’ai rejoint le Parti Républicain Solidariste de Laurence Taillade, qui a transité par le Parti des Radicaux de Gauche et le Modem. Pour son appui inconditionnel à la laïcité, et en même temps à une certaine forme de libéralisme : de goût et de formation, je suis plus près de Montesquieu que de Marx.
Et je suis un hussard de la République, au sens le plus traditionnel. Mon métier, c’était de transmettre des savoirs à des petits Français — je n’ai jamais regardé mes élèves autrement que comme des Français. Sans faire de distinction.
Quant à ce qui se prétend la Gauche… Aucun vous m’entendez bien : aucun — des caciques du PS n’a cherché à me joindre. Ni des Verts. Ni Jadot, ni Faure. À se demander quelles valeurs ils défendent — mais quand on en est à se le demander…
À voir, le professeur interrogé sur Sud Radio, le 8 février
Ce soir, dans l’émission politique “Vous avez la parole”, la femme la plus “puissante” de la télé publique Léa Salamé arbitrera un match entre le ministre de l’Intérieur et la présidente du Rassemblement national. Enjeux.
“Que Madame Le Pen m’attaque, je le prends comme une Légion d’honneur ! Tout mon engagement politique, depuis que j’ai l’âge de voter, a été contre la famille Le Pen.” Ainsi s’exprimait en septembre[tooltips content= »LCI, 14 septembre 2020″](1)[/tooltips] notre ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce soir, dans l’émission que lui consacre France 2, il pourra renouveler cet engagement politique en se confrontant pendant 40 minutes à la chef de file de la droite nationale, lors d’un débat consacré à la sécurité et à l’islamisme.
Ces derniers jours, quand elle ne nous accable pas de ses répétitifs et ennuyeux commentaires sur la crise sanitaire, la presse nous vend ce duel comme le “match retour” de la présidentielle. Pas moins ! De son côté, à la même heure, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a choisi d’aller faire de la résistance chez Hanouna sur le canal 8. Il a annoncé vouloir s’y opposer aux “idées fixes” de Darmanin et de Le Pen et à leur “névrose du séparatisme”. Depuis quelque temps, il prend son rôle de défenseur des musulmans opprimés vraiment à cœur!
Le casse tête de l’islamisme
Reste qu’effectivement, selon toute vraisemblance, il sera essentiellement question du séparatisme islamiste sur France 2. C’est le principal casse-tête qui occupe les journées de Darmanin depuis qu’il a pris ses fonctions place Beauvau. Un casse-tête sur lequel nos élites politiques auraient bien fait de se pencher depuis deux décennies, plutôt que de s’engager en politique “contre la famille Le Pen”…
Dans le petit livre qu’il vient de faire paraitre[tooltips content= »Le séparatisme islamiste : Manifeste pour la laïcité, l’Observatoire, 2021″](2)[/tooltips], le ministre déplore que la République ait perdu sa “transcendance” et y réaffirme son attachement aux grands principes républicains. Avec son parler populaire, présenté comme un atout, il entend démontrer ce soir qu’il existe bien des solutions républicaines au séparatisme. Il joue gros: les Français sont peut-être lassés de mots. De son côté, Marine Le Pen aura beau jeu de lui dire que son projet de loi “confortant les principes républicains” est en réalité une loi pour rien, et que la montagne médiatique a accouché d’une souris. Les termes d’islamisme et même de séparatisme n’apparaissent pas dans le texte prévu, alors vous vous rendez compte… Mais soyons rassurés, Darmanin a déjà la parade toute prête pour contrer pareille attaque[tooltips content= »“(…) je crains qu’on ne parle pas assez des valeurs de la République. J’entends ceux qui disent que c’est vide de sens, personnellement je le regrette. (…) On peut vibrer au son de la Marseillaise (…) on peut vibre au nom de son pays, de son histoire” Valeurs actuelles, 11 février. »](3)[/tooltips].
En revanche, sur le sort de la malheureuse Mila[tooltips content= »La lycéenne déscolarisée et harcelée depuis ses propos sur la religion islamique tenus en ligne NDLR »](4)[/tooltips], sur celui de la ville de Trappes objet d’une nouvelle polémique éducative, ou sur ses récentes rodomontades contre le groupe d’extrême-droite Génération Identitaire, les réponses de Darmanin seront très attendues.
Pour en revenir au fameux “séparatisme”, selon la droite la plus dure, la France est en réalité engagée dans un affrontement civilisationnel, et le combat du pays est rendu particulièrement difficile par la submersion de flux migratoires acceptés ou encouragés par l’Union européenne. Darmanin devra faire la démonstration que Macron obtient des résultats sur ces sujets, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme.
Le ministre ambitieux, qui avait lâché François Fillon en 2017, affirme dans Valeurs actuelles que face au séparatisme, il faut du temps. Tout en défendant sa loi, il dit à nos confrères qu’ “on ne vient pas à bout d’une idée, d’une idéologie [l’islamisme NDLR] par un simple texte de loi. On la combat avec du temps et d’autres idées”. Marine Le Pen devrait lui demander lesquelles, alors qu’on reproche justement souvent aux principes républicains de ne pas parler à la jeunesse qui fait sécession. La chef du RN ne manquera pas de ressortir pour l’occasion sa proposition de loi alternative de 40 pages “visant à combattre les idéologies islamistes”, concoctée par le député européen Jean-Paul Garraud et présentée le 29 janvier. Elle comprend quelques mesures concrètes et musclées, comme l’interdiction du port du voile dans l’espace public, l’interdiction de la pratique, de la manifestation ou de la diffusion au cinéma ou dans la presse des « idéologies islamistes ». Le projet encourage la délation et promet la protection de ceux qui dénonceraient les contrevenants.
Marine Le Pen s’applique à de ne pas être caricaturale
Depuis son débat de l’entre deux tours de 2017, la députée du Pas-de-Calais est engagée dans une longue opération de reconstruction de son image auprès de l’opinion.
Pas caricaturale sur le coronavirus, elle a marqué des points. Par exemple, elle n’a pas commis l’erreur d’appeler à la désobéissance civile par rapport au couvre feu ou aux différents confinements, chose que ne se privent pas de faire à droite Florian Philippot ou Jean-Frédéric Poisson. Les ministres et les membres de la majorité présidentielle ont beau avoir pour consigne de la rediaboliser, parlant systématiquement dans leurs interventions de FN et non du RN pour rappeler aux Français le souvenir de son père, en coulisses, la macronie s’avoue embêtée par la stratégie efficace de Le Pen. Hier, un conseiller de l’Élysée dépité de ne plus lui trouver de point faible glissait ce commentaire désabusé au Figaro : “Elle a dû changer d’entourage, c’est pas possible ! En tout cas, ici, elle nous impressionne.” Mais tous comptes faits, Macron et ses conseillers ne voient évidemment pas cela d’un si mauvais œil. En réalité, un nouveau duel opposant Macron à cette adversaire les arrange.
Selon les enquêtes d’opinion, Marine Le Pen est aujourd’hui assurée de se qualifier pour le second tour de la présidentielle. Gérald Darmanin, lui, a des ambitions à droite pour la suite, même s’il a été contraint de mettre de l’eau dans son vin ses dernières semaines, suite à une mise au point avec le président et ses mauvaises relations avec Eric Dupond-Moretti. Bruno Retailleau fournit un vrai travail à droite, mais il ne parvient pas à émerger et manque peut-être de charisme. Edouard Philippe est éloigné. Une candidature populiste alternative (Zemmour ? Onfray ? Pierre de Villiers ?) reste très incertaine. En attendant, pour Darmanin, le cadavre du RPR reste à prendre.
Si Joe Biden a été élu président, ce n’est pas grâce à la fraude. Les démocrates, échaudés par la défaite d’Al Gore en 2000, sont tout simplement devenus maîtres dans l’art d’exploiter légalement les règles électorales des différents états. Reprendre la main sur le processus électoral est donc la condition sine qua non d’une future reconquête républicaine du pouvoir.
Aux États-Unis, l’année 2020 s’est mal terminée pour les républicains et 2021 n’a guère commencé mieux. Au cours des trois derniers mois, ils ont perdu la Maison-Blanche et le Sénat ; leur champion, Donald Trump, a été mis en accusation, une seconde fois, en vue de sa destitution. Pourtant, ce n’est pas la déconfiture totale annoncée : les républicains ont perdu moins de sièges que prévu au Sénat ; ils ont empêché les démocrates de consolider leur majorité à la Chambre des représentants ; et ils ont préservé leur contrôle sur nombre de législatures d’États. Bref, le chef est tombé, mais pas ses lieutenants et sous-lieutenants. Cela a fortifié la conviction de beaucoup de supporteurs républicains que la victoire de Joe Biden avait été usurpée et que l’élection présidentielle avait été truquée. Si les recours en justice des républicains contre les résultats dans différents États ont été rejetés par les tribunaux, le plus souvent pour des raisons de procédure, la défaite de Donald Trump tient essentiellement aux différences de stratégie électorale entre les deux partis.
81 millions de suffrages comptabilisés pour Biden, 74 pour Trump…
Le secret de l’élection présidentielle 2020 se niche dans cette différence : les démocrates ont insisté pour compter « tous les suffrages », alors que les républicains voulaient compter « tous les suffrages vérifiés ». En principe, une voix envoyée par la poste doit être vérifiée soit en comparant la signature sur l’enveloppe avec celle du votant sur un registre officiel, soit par un témoin qui affirme avoir vu la personne mettre son bulletin de vote dans ladite enveloppe. Or, dans certains États (le Wisconsin par exemple), les autorités compétentes (cour suprême, secrétaire d’État) ont autorisé, bien avant les élections et en anticipant une forte affluence de votes par la poste, la prise en compte des enveloppes impossibles à vérifier par l’un ou l’autre de ces deux moyens. Cette différence est majeure, car elle porte potentiellement sur 6 % des votes par correspondance, soit près de 5 millions de bulletins au niveau national. Certes, Biden ayant recueilli 81 millions de suffrages et gagné avec 7 millions de voix d’avance, cela n’aurait pas suffi à inverser le résultat. Sauf que, comme en 2016, seuls comptent les résultats au niveau des États et leur impact sur les rapports de force au sein du collège des grands électeurs. La prise en compte des seuls bulletins vérifiés aurait pu faire la différence dans l’Arizona, le Nevada, la Géorgie, la Pennsylvanie et le Wisconsin, et ainsi changer la donne.
Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications: il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Dans un État comme la Géorgie, le taux de rejet des votes par correspondance, qui était de 6 % en 2016, est tombé à 0,3 % en 2020 ! Et comme dans le même temps le nombre de ces votes a été multiplié par quatre, le candidat le plus susceptible d’en profiter a bénéficié d’un renfort de voix non négligeable et parfaitement légal. Résultat : en Géorgie, Trump a perdu de 0,23 %, soit moins de 12 000 voix sur 5 millions de suffrages. Si les règles du jeu avaient été les mêmes qu’en 2016, il l’aurait emporté d’au moins 50 000 voix.
Le scrutin par correspondance a reçu le soutien inattendu du Covid-19, que les démocrates ont parfaitement exploité. Prétextant que la peur du virus dissuaderait de nombreux électeurs d’aller voter, ils ont obtenu dans plusieurs États le droit d’envoyer les bulletins à l’avance, même aux électeurs qui n’en faisaient pas la demande, et mieux encore de garantir que tous les bulletins reçus en retour seraient comptabilisés – après la date de l’élection dans certains États. Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications : c’est ainsi que l’on arrive à 81 millions de suffrages pour Joe Biden et 74 millions pour Trump. Il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Reprendre la main sur le processus électoral est l’objectif des Républicains
Les républicains sont tombés dans un piège préparé de longue date. En 2000, lors de la défaite d’Al Gore face à George W. Bush, les démocrates ont perdu la Floride, et donc la Maison-Blanche, parce que les républicains étaient parvenus à invalider un grand nombre de bulletins. Si tous les votes exprimés en Floride avaient été validés et comptés, Al Gore aurait gagné. Les démocrates l’ont compris. Ils se sont donc employés à ce que, désormais, le plus grand nombre de bulletins soit compté.
Suivant cette logique, à la présidentielle de 2004, ils ont tenté, sans succès, d’inverser le résultat dans l’Ohio. Quatre ans plus tard, Barack Obama emportant aisément la Maison-Blanche, les contestations n’ont pas été nécessaires. En revanche, dans le Minnesota, un siège de sénateur était disputé par le démocrate Al Franken et le républicain sortant Norman Coleman. Les démocrates étaient largement majoritaires au Sénat (59 sièges contre 41), mais ce siège supplémentaire leur aurait donné une « super-majorité » de 60 sièges, leur permettant de faire passer toutes les législations souhaitées sans la moindre opposition des républicains. Au soir du 4 novembre 2008, c’est le républicain qui était donné gagnant avec une avance de quelques centaines de voix. Avec une marge aussi faible, un recompte s’imposait et le parti démocrate a dépêché sur place un jeune avocat, Marc Elias, pour superviser les opérations. La mission d’Elias était de faire comptabiliser tous les bulletins possibles. Il a introduit recours après recours, visité toutes les circonscriptions. Au bout de neuf mois de ce titanesque combat procédural, il a réussi en juillet 2009 à inverser le résultat et à faire élire le démocrate Franken au Sénat. Elias est devenu l’avocat star du parti et a travaillé par la suite pour Hillary Clinton, Kamala Harris et même Joe Biden. Son mot d’ordre « faire compter tous les bulletins », devenu la règle d’or des démocrates, a été appliqué en 2020 dans tous les États décisifs, avec le succès qu’on sait.
À l’avenir, si les républicains veulent remporter une élection présidentielle, ils doivent reprendre la main sur le processus électoral en commençant par imposer une uniformisation des règles. À l’heure actuelle, chaque État dicte ses lois, conformément à l’article 2 de la Constitution. Toutefois, pour les élections fédérales, il serait logique que les règles soient les mêmes pour tous. Ensuite, il leur faut limiter le vote par correspondance aux seuls électeurs qui en feraient la demande, et comptabiliser uniquement les votes reçus avant la date du scrutin. Accepter les bulletins délivrés par la poste au-delà de la date de l’élection ouvre en effet la porte à de multiples abus, comme cela a été constaté en Pennsylvanie où, deux mois après le scrutin, le nombre de votants n’est toujours pas connu… Il faudrait également imposer à tous les États l’obligation de procéder au dépouillement des bulletins sans interruption jusqu’à la proclamation des résultats, sous le contrôle d’observateurs des deux camps, voire du public. Finalement, il faudrait interdire les machines à voter pour éviter toute controverse, fondée ou pas. Sans de telles réformes, le seul espoir pour des républicains d’entrer à la Maison-Blanche sera d’être invités par un président démocrate.
Le populisme de Trump est une opportunité pour le Parti républicain
Quant à Donald Trump, à supposer qu’il ne soit pas frappé d’inéligibilité et souhaite se représenter en 2024, il a dix-huit mois pour mettre la main sur le Parti républicain. Pour l’heure, il en est le chef constitutionnel, mais cela pourrait ne pas durer. Même s’il ne l’a pas directement ordonné, l’assaut contre le Capitole de Washington est exploité par ses détracteurs, y compris au sein du camp républicain, pour l’éliminer définitivement de la vie politique. À l’heure actuelle, 57 % des électeurs du Grand Old Party (surnom du Parti républicain) souhaitent qu’il soit candidat en 2024, mais qu’en sera-t-il dans trois ans ? Si Trump est adulé par ses supporteurs, il est haï par ses adversaires et la campagne 2020 a démontré que sa seule présence constitue une force mobilisatrice considérable pour… le camp adverse. Dès lors, certains ténors du parti seraient heureux de tourner la page.
De surcroît, Trump n’est pas un républicain pure souche, aussi les principes du « trumpisme » n’épousent-ils pas forcément ceux du républicanisme. Donald Trump a tenté sa chance en politique sous trois étiquettes successives : réformiste, démocrate et républicain. En tant que républicain, il a introduit dans la doctrine une dose de nationalisme, de protectionnisme, d’unilatéralisme et de populisme. Il a aussi renoncé à la rigueur fiscale, toléré les déficits et ne s’est pas opposé à une politique sociale généreuse. En politique internationale, s’il a soutenu un appareil militaire fort, il a réduit la présence américaine à l’étranger et souhaité un rapprochement avec la Russie. En cela, il a défié certains préceptes républicains et en a payé le prix. Aussi peut-il précipiter le parti vers sa scission.
Mais le « trumpisme » est aussi une opportunité. Le populisme de Trump peut permettre au parti républicain d’élargir sa base. Il est plus que jamais évident que le Parti démocrate est celui des fonctionnaires (notamment dans l’éducation), des élites urbaines, de l’intelligentsia culturelle et des minorités ethniques et sexuelles, et qu’il n’est plus le parti des travailleurs. Il y a là un électorat en déshérence dont Trump a déjà commencé la conquête. Il a aussi réussi, d’ailleurs, à faire progresser le vote républicain dans les minorités noires et hispaniques, obtenant des scores sans précédent dans leur électorat masculin.
Enfin, au-delà de ces débats internes, pour exister politiquement, les républicains devront reconquérir les médias. L’alliance objective nouée lors de l’élection entre les grands médias – papier et TV – et les mastodontes de la « Big Tech » (les fameux Gafam) augure mal de l’équité du débat intellectuel aux États-Unis. La censure qui s’est abattue sur les comptes Twitter du président Trump ainsi que sur ceux de ses collaborateurs et sur les sites favorables aux thèses conservatrices laisse entrevoir un monde orwellien : désormais « Big Tech » et « Big Média » font advenir le règne de Big Brother ! L’affaire dépasse largement la personne de Donald Trump. Elle met en jeu la place de la liberté d’expression, donc l’identité des États-Unis.
La série Cold Case coche toutes les cases de l’idéologie anti-préjugés, que ce soit dans son casting ou dans ses intrigues. Mais les stéréotypes méprisants visant les « gens du Sud » échappent à tout scrupule moral, semble-t-il.
La semaine dernière, TMC diffusait deux épisodes de la quatrième saison de la série Cold Case: le dixième, « Forever Blue » (titre français : « Partenaires ») et le onzième, « The Red and the Blue » (« Cowboys solitaires »).
Cold Case est une série bien conçue: du suspense, un concept original (résoudre des affaires classées, ce qui donne lieu à des effets d’avant-après, des reconstitutions du passé où l’on voit les personnages plus jeunes et même des moments où, dans une scène du présent, le personnage d’autrefois se substitue à celui qu’il est devenu). Une série vraiment parfaite, idéologiquement irréprochable : l’héroïne est une femme, inspectrice de police, entourée de collaborateurs représentant tous les types humains nécessaires pour composer un casting idéalement anti-discriminatoire, à savoir un gros Noir, un très gros Blanc, un beau gosse hispanique, une jolie métisse, un vieux mâle blanc et, occasionnellement, une asiatique. Il manquait la touche LGBT etc., défaut regrettable que l’épisode 10 de la saison 4, diffusé l’autre jour, est venu combler par son scénario: l’équipe de Lilly Rush découvre que le meurtre d’un policier, commis dans les années soixante, était en réalité un crime homophobe. Cet épisode a reçu, peut-on lire sur internet, un accueil enthousiaste aux États-Unis lors de sa première diffusion en décembre 2006. Le site gay Good As You le qualifie de « Brokeback Mountainesque » (pour rappel, le Secret de Brokeback Moutain est, pour reprendre l’expression de Libé, un « western pédé », ce qui correspond à « l’un des plus tenaces fantasmes homo »). Ce serait, en effet, la première fois que l’on voyait à la télévision, sur une chaîne tout public, un baiser homosexuel torride. Point commun notable avec le Secret de Brokeback Mountain, sorti l’année d’avant, la femme du policier n’a droit qu’à une compassion très limitée. On accorde à ce personnage féminin l’autorisation de dire qu’elle a eu « le cœur brisé » mais l’accent sera mis sur le fait que son mari a « découvert ce qu’il est vraiment ». Reléguée à l’arrière-plan au titre d’erreur de parcours, l’épouse et mère de famille disparaît presque de l’histoire, tandis que le téléspectateur est appelé à souhaiter le bonheur, tragiquement impossible, du nouveau couple. En somme, le premier épisode de la soirée cochait toutes les cases de la morale actuelle. Mais comme par une triste ironie, le second faisait apparaître l’autre face de cette morale: derrière la tolérance qu’elle prône, le mépris qu’elle autorise; derrière les stéréotypes qu’elle combat, ceux qu’elle promeut.
Dans ce second épisode, l’équipe de Lilly Rush veut résoudre le mystère entourant le meurtre d’un chanteur de musique country. Le crime ayant été commis à Knoxville dans l’État du Tennessee, l’inspectrice doit s’y rendre avec un coéquipier mais aucun d’eux ne semble désireux de se joindre à elle pour ce déplacement. La jolie métisse, Kat Miller, manifeste d’emblée un dégoût politique : « le Tennessee, c’est républicain, non? » L’ensemble de l’équipe communie dans un mépris pour les Southerners assumé comme parfaitement consensuel. Il faudra tirer au sort et c’est le beau gosse hispanique, Scotty Valens, qui s’y colle. À leur arrivée sur place, ils sont accueillis par une bimbo à l’air terriblement nunuche et un commissaire de police pittoresque qui indique d’emblée: « on m’appelle Big Daddy ». Lilly Rush et Scotty Valens se lancent des regards de connivence, amusés et mal à l’aise.
Quand on cherche sur la toile, pas un article pour s’intéresser à la réception de cet épisode. Tout le monde voulait savoir comment les gays avaient réagi à un épisode sur les gays (« Forever blue » a sa notice Wikipédia avec une section « réception de l’épisode »), mais personne ne se demande comment les habitants de Knoxville ont vécu cet épisode qui les tourne en dérision avec un aplomb désarmant. Pourtant la matière est là. On la trouve sur l’Internet Movie Database, dans la section « commentaires ». Alors que « Forever Blue » était considéré comme le meilleur épisode de la série et comme un jalon majeur (« milestone ») dans l’histoire de la télévision, « The Red and the Blue » ne retient l’attention que des principaux concernés, lesquels y voient « le pire épisode de la série ».
Le premier de ces deux commentaires (voir capture plus bas) est intéressant parce qu’il dénonce cette représentation comme « incorrect », ce qui peut vouloir dire soit qu’elle est inexacte, soit qu’elle est incorrecte, dans le sens où le camp PC (politically correct) emploie ce mot. Il pointe les « faux accents du sud » et les « noms et surnoms ridicules ». Le second commentaire est plus développé, plus énervé aussi (au point qu’il en devient grossier…) et traduit bien, je pense, la colère des Southerners méprisés, sûrement « républicains », pour reprendre le mot de l’inspecteur Miller sus-cité… et probablement trumpistes. Ce téléspectateur dénonce ici une vision « faussée » et « arrogante » du sud, typique des « élites des deux côtes » pleines de « snobisme »; pour qui les gens de Knoxville ne peuvent être que des « culs-terreux bêtes et incultes qui maltraitent la grammaire et parlent avec un accent traînant » (pour le « southern drawl », voir ici, c’est éclairant).
À quand un « South Lives Matter » ? Dans un environnement idéologique où l’on sacralise la souffrance des gens qui, à tort ou à raison, se sentent blessés par la manière dont on les représente, il demeure admissible de tourner en dérision certaines catégories de personnes. On n’en reste pas moins un héros de la grande cause progressiste, pourvu que l’on valorise les « bonnes » catégories.
La liberté sexuelle conquise après Mai 68 a légitimé abus, dérives et transgressions. Mais le climat actuel est tout aussi déplaisant. Le lynchage des présumés coupables et le désir de jeter la pierre témoignent d’un mal aussi profond que celui qui est dénoncé.
Je n’ai jamais aimé cette gauche donneuse de leçons, reluisante de morgue intellectuelle, dont Olivier Duhamel faisait partie, en compagnie de quelques autres. Je n’ai jamais aimé ce petit monde, méprisant pour le peuple qui votait mal. Je n’ai jamais aimé Mitterrand, ses ministres et sa cour. Je n’ai jamais aimé tous ces échappés de Mai 68 qui portaient bien haut le drapeau de la liberté et du jouir sans entraves, et se sont gavés des prébendes accordées par les puissants dont ils se gaussaient autrefois.
J’ai lu le récit de Camille Kouchner. Il est glaçant, certes, mais il décrit un milieu, une époque où toutes les valeurs qui fondaient la société du passé devaient être renversées. Malgré les dénégations de certains qui voudraient qu’on ne généralisât pas les pulsions perverses d’une minorité, je m’inscris en faux. Tous ne passèrent pas à l’acte, mais le climat de permissivité qui régnait a autorisé de nombreuses dérives illégales. Je me souviens très bien de ces années-là. J’ai été responsable de la commission culturelle de l’Union des grandes écoles en 1967. J’ai été professeur de français à Paris et ensuite dans la campagne nivernaise, et un peu plus tard à l’université en Allemagne. Tous mes élèves baignaient dans cette ambiance de libération où il était interdit d’interdire. Sans parler des journaux « de référence » de l’époque, le magazine Actuel faisait la promotion de la révolution sexuelle en cours. On y affirmait que les adultes amérindiens initiaient très tôt les enfants à la sexualité. Le mariage et la fidélité étaient ringards. Les marginaux et les anticonformistes provocateurs étaient à la mode. Cet état d’esprit rencontrait peu de résistance, sauf chez ceux qui étaient alors considérés comme des « fachos », suspectés de s’opposer au progrès des mœurs, ou chez des personnes qui n’étaient pas du tout, pour des raisons diverses, en révolte contre leur milieu ou leur famille.
Révolution sexuelle: pour et contre
Pourtant, ceux que l’on a appelés les soixante-huitards n’ont pas tous foulé les palais de la République et peuplé les cabinets ministériels. Certains d’entre eux sont devenus des « éclopés de l’âme », détruits en poursuivant jusqu’au bout les illusions de l’époque. D’autres ont profité avec allégresse du vent de liberté qui soufflait alors.
Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent savoir ce qu’a été la « révolution sexuelle » d’avant le sida. L’avortement enfin autorisé. Le combat des femmes pour leur « libération ». L’exaltation et le plaisir de sortir d’une société corsetée. Les aventures d’une jeunesse qui voyait dans la sexualité libérée des tabous, les voyages lointains et la drogue des expériences ultimes et la découverte de paysages nouveaux et fascinants.
La politique elle-même prenait la couleur de la révolte contre le monde ancien : le Vietnam, Cuba, la décolonisation, Prague, le Chili, Lip…
Que nous le voulions ou non, nous sommes les héritiers de Mai 68. Pour le pire et pour le meilleur. Pour le pire, les illusions multiculturalistes et tiersmondistes, le rêve devenu cauchemar d’un monde sans frontières nationales, l’idolâtrie de régimes prétendument révolutionnaires, la liberté sexuelle devenue le prétexte d’abus et de violences sur les femmes et les enfants.
Pour le meilleur, le goût du plaisir et de la beauté, le chatoiement des couleurs, la liberté du corps, l’affranchissement de règles patriarcales souvent absurdes, la recherche d’une nouvelle définition de l’autorité, la désacralisation de croyances établies et le refus de la censure, toutes ces acquisitions dont certains voudraient à nouveau nous priver, dans un retour à un ordre moral rigide et régressif.
Les deux minutes de la haine
Car aujourd’hui semble revenu le temps des deux minutes de la haine imaginées par Orwell dans 1984.
« L’horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu’on fût obligé d’y jouer un rôle, mais que l’on ne pouvait, au contraire, éviter de s’y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d’écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l’assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant. Mais la rage que ressentait chacun était une émotion abstraite, indirecte, que l’on pouvait tourner d’un objet vers un autre comme la flamme d’un photophore. »
Rendus impuissants par des technocraties et des bureaucraties souvent aveugles et indifférentes au développement humain, nous voulons garder une bonne image de nous-mêmes et faisons semblant d’être propres sur nous, indemnes de tous les vices que nous attribuons à d’autres, choisis pour être les victimes expiatoires de nos nombreux péchés. La société est malade et nous en faisons tous partie, avec nos dépressions et nos violences ordinaires. Les saints véritables sont rares, contrairement aux donneurs de leçons. La perversion, le mensonge, l’abus de pouvoir sont certes condamnables, mais le lynchage de celui qui est supposé parler mal ou penser mal ne l’est pas moins. Alain Finkielkraut, entre autres, a été victime de ce délit d’expression non orthodoxe. Mais qui sommes-nous pour empêcher des opinions, à moins qu’elles soient diffamatoires, négationnistes de la réalité et clairement mensongères ? Comme le dit à peu près Camille Kouchner qui dépeint la réalité d’un milieu avec ses joies, ses tares et ses souffrances, c’est au pécheur qu’il appartient de reconnaître sa faute et à tous ceux qui l’ont accompagné dans ses errements, amis complices ou aveuglés, parents absents ou inconscients, brûlés à la fois par l’orgueil de la réussite et le désespoir qui invite au suicide. Qui sommes-nous pour nous croire totalement indemnes des maladies d’une époque ?
L’orque Willy avait ému toutes les chaumières d’Europe et d’Amérique. « Sauvez Maurice » prend le relais.
C’est l’histoire d’un jeune marcassin blessé, guéri, recueilli et élevé par Sylvia Bachellerie, aide-soignante en Corrèze. Lorsqu’elle a voulu le relâcher, l’animal sauvage a refusé de quitter sa nouvelle maîtresse. Alors, elle l’a gardé et lui a construit un enclos.
Problème : suite à une plainte anonyme, le tribunal de Tulle a rappelé l’interdiction de posséder un animal sauvage à Sylvia. Les services de la préfecture menacent depuis d’abattre Maurice. Madame Bachellerie aurait dû remplir des papiers et demander une « autorisation de détention d’animal sauvage » – laquelle est rarement accordée. Face à l’aide-soignante corrézienne et aux soutiens de Maurice, la justice avait tenté l’humiliation symbolique : tracasseries, procédures, menaces de représailles, alors que la mort pendait déjà au museau de la malheureuse bête.
Si cette histoire – touchante – n’a pas beaucoup ému le droit et la procédure, un appel en la faveur du sanglier domestique a recueilli 170 000 signatures sur Change.org. Une cagnotte a aussi permis de récolter 7 000 euros pour payer les frais de justice. La préfecture et le tribunal y voient surtout un défi lancé à leur pouvoir. Laisser Maurice en paix, c’est craindre que s’installe une jurisprudence. « Les animaux sauvages sont dangereux pour l’homme et peuvent transmettre des maladies à l’homme », fait valoir le directeur de cabinet du préfet de la Corrèze.
Le sort de Maurice doit être réglé par un procès en correctionnelle début avril. Il risque l’euthanasie, malgré un plaidoyer vibrant en sa faveur de la part de Brigitte Bardot.
Après l’épisode LCI, on verra moins Alain Finkielkraut à la télévision et il s’y autocensurera. Par égard pour ses proches. Son exil est une débâcle de la pensée, en tout cas de ce que notre pensée risque de devenir sans l’aide de la sienne. Le plaisir de ne plus subir le prétentieux Duhamel n’est qu’une maigre consolation.
Dans les dommages collatéraux autour de l’affaire Olivier Duhamel, je vois une petite bonne nouvelle et deux grosses mauvaises.
Je commence par la bonne : ceux qui ne veulent plus voir l’homme public ne le verront plus. Le politologue péremptoire qui engluait les débats d’une couche épaisse de bien-pensance, le constitutionnaliste suffisant qui méprisait ses adversaires de son dernier mot sentencieux, le professeur de Science-Po à qui nous devons, avec d’autres, quelques promotions d’élèves censeurs, de petites torquemadames bien remontées et de petits bourricots bien woke, ne paraîtra plus dans les médias. Mais ce n’est pas pour ces crimes contre l’honnêteté intellectuelle ou les générations futures que le gauchiste cultivé tombe, loin de toute justice. C’est pour une affaire de mœurs obscure et prescrite, et qui ne nous regarde pas. On pense à Al Capone le mafieux ou à O. J. Simpson l’assassin qui ont fini à l’ombre pour fraude fiscale ou intimidation.
Ça fait peur comme toujours quand la politique donne dans la vertu et quand la morale des uns vient se mêler de la conduite des autres
C’est une mince consolation quand on compare cette nouvelle aux autres, qui sont mauvaises : La première, plus triste que l’arrivée du corona nouveau ou le départ de Trump, se trouve dans cette phrase d’Alain Finkielkraut lue dans Le Point : « Si je reparais à la télévision, je me censurerai, non pas pour complaire à la nouvelle mode morale, mais pour ne jamais rien dire qui puisse mettre en difficulté les miens. »
L’autocensure d’Alain Finkielkraut promise à la télévision est une débâcle, une défaite de la pensée, en tout cas de ce que notre pensée risque de devenir sans l’aide de la sienne. Le philosophe ne renonce pas à la vérité, il renonce à nous la dire. C’est un désastre, mais c’est devenu trop dangereux. Les vagues de boue qui le visent éclaboussent son entourage alors le jeu n’en vaut plus la chandelle. Qui pourrait l’en blâmer ? Pas moi. Si j’étais connu et si mes enfants étaient encore scolarisés en territoires occupés, défendrais-je encore dans des termes aussi clairs l’idée que l’islamophobie n’est pas un racisme mais un humanisme ? Sûrement pas. Nous ne le verrons donc plus en vrai et en paroles, dans un raisonnement toujours stylé, nous offrir jusqu’à la pointe la plus fine, la plus piquante de sa réflexion. Sur certains sujets, il annonce que dorénavant, il pèsera ses mots, non plus sur la balance de la justesse mais sur celle de la prudence. C’est une catastrophe, surtout pour nous. Désormais, il gardera pour lui, pour les siens et pour les chanceux qui ont son téléphone (fixe), les prodiges de cette pensée complexe qui rend les choses plus limpides. Bien sûr, il continuera de nous rappeler sans relâche ce que peut la littérature, mais dorénavant, il nous laissera seuls, privés de ses lanternes pour percer le brouillard vaseux de l’époque. Seuls, entre Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit, pour déjouer les faux-semblants, les mensonges, les postures, les identités imaginaires, les plis de la pensée, les émotions trompeuses, les enfers pavés de bonnes intentions, les contresens dramatiques, les inexactitudes tragiques, les fascismes de retard des temps présent et à venir.
Les cathos reviennent et ils ne sont pas contents
Il m’arrive de ne pas être d’accord avec Finkielkraut mais alors, je commence par me demander ce qui cloche chez moi et, le temps de trouver, je suis désemparé. Désormais, sans le savoir, je clocherai seul, et j’ai bien peur de finir par errer avec les autres cons entre les mirages et les veaux d’or, dans l’espérance que mon maître à penser par moi-même redescende de son Sinaï privé pour jeter en place publique, à la face d’un peuple inculte et ingrat qui fait peur et honte, de ce troupeau hystérique, de tout ce que le café du commerce fermé pour pandémie vomit aujourd’hui sur la toile de minables anonymes, les tables de la loi de la raison, de la décence et du bon goût, trésors précieux et fragiles de notre civilisation.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, tandis qu’Alain Finkielkraut opère un repli stratégique, les défenseurs de la décence catholique reviennent en force. Les journalistes de Valeurs Actuelles que la dernière hystérie antiraciste déclenchée par un dessin de Danièle Obono en esclave avait mis au piquet (on repense à Geoffroy Lejeune également viré de LCI) reviennent au tableau pour remettre en ordre la morale. Comme des vichystes en 40 qui attribuaient la défaite à la Sociale avec ses abus, ses vacances, ses guinguettes,ses débauches, au bon temps et aux salopes qui nous en donnent, nos gardiens de la contre-révolution tirent aujourd’hui sans sommation sur les soixante-huitards, la libération sexuelle et les mœurs de la gauche caviar, avec ses divorces, ses familles recomposées, ses mâles lubriques, ses mères laxistes et ses jeunes qui se soucient de leur vertu comme de leur première chemise Armani. C’est flippant comme du « Onfray » quand il fait son Robespierre malgré lui, quand l’athée prend ses airs de dame patronnesse de gauche et dénonce « l’alcoolisme mondain des parisiens sur l’ile de Ré » ou quand il reproche à Freud d’avoir caché qu’il couchait avec sa belle-sœur, comme si ces choses pouvaient se pratiquer en toute transparence. Ça fait peur comme toujours quand la politique donne dans la vertu et quand la morale des uns vient se mêler de la conduite des autres. Ainsi, portés par les vagues de l’actualité dans un monde sans repères, les cathos reviennent et ils ne sont pas contents, ils nous l’avaient bien dit. Et alors que notre souci commun pour la civilisation française et notre goût partagé pour la civilité nous avaient fait oublier nos divergences, leur petit côté brigade des mœurs (pas les romans, les flics) nous les rappellent. On repense à la vie de Jésus racontée par Coluche : « Mangez, c’est mon corps, buvez, c’est mon sang, touchez pas, c’est mon cul ! »
Mais en ces temps troublés par une obscure bêtise doublée d’une épaisse lâcheté dans la France d’en haut comme dans celle d’en bas, on se demande où sont planqués ces humoristes qui pourraient, qui devraient venir détendre l’atmosphère. Où sont-ils donc tous ces bouffons patentés qui « dénoncent le politiquement correct » comme le promettent leurs promos ? Où sont-ils passés dans un monde où il faut de toute urgence jouer des coudes pour le maintenir libre et respirable, cernés comme nous le sommes par les censeurs ? On les cherche. Enfin moi J’en cherche un, un humoriste pour adultes, un Timsit ou un Walter parce que j’ai une idée de sketch interdit aux enfants et aux mal-comprenants qui pourrait commencer ainsi : « Pas facile la famille recomposée. C’est dur de supporter les enfants des autres, alors si on ne peut pas en baiser un de temps en temps, franchement, est-ce que ça vaut le coup ? »
Le mois de janvier serait-il propice aux scandales littéraires liés à la pédophilie? Il y a un an paraissait Le consentement de Vanessa Springora. Ce 5 janvier est paru au Seuil La familia grande de Camille Kouchner. Comme l’an dernier quasiment jour pour jour, médias et réseaux s’affolent: un scandale à se mettre sous la dent, des anathèmes à lancer, une meute à abattre!
Le style est vif, sans pathos, quelquefois un peu haché, comme un essoufflement
La France entière est au courant, mais l’usage veut tout de même que l’on rappelle ici le pitch. Sur fond de permissivité soixante-huitarde, le politologue Olivier Duhamel aurait abusé sexuellement du frère jumeau de Camille Kouchner, encore adolescent. S’ensuit le lynchage désormais habituel, de l’accusé, d’Elisabeth Guigou (une proche de la famille), du directeur de Science-Po (où régnait Duhamel) ou plus récemment d’Alain Finkielkraut, qui s’est exprimé sur LCI. L’antenne lui est désormais interdite. Ce n’est certainement pas du ressort de cette petite chronique littéraire de juger les propos du philosophe, même si tout lynchage m’est insupportable. Elisabeth Levy s’exprime longuement à ce sujet dans nos colonnes. La vox populi est en émoi; nous le savons depuis Sophocle: l’inceste est le tabou ultime qui ébranle les fondations de notre condition d’humains. Selon Claude Levi-Strauss, son interdiction structure toute société.
Mais comme à l’accoutumée, on en oublie que La familia grande demeure avant tout un objet littéraire. Spoiler: c’est un bon livre. Le style est vif, sans pathos, quelquefois un peu haché, comme un essoufflement. L’auteur est dans l’urgence, car comme Springora, ce sont des mots qui délivrent de l’emprise, ou dans le cas de Camille Kouchner du poids du secret. Ce secret qu’elle qualifie d’hydre, et qui au sens propre du terme, l’étouffe. L’universitaire en droit souffrira longtemps de pathologies pulmonaires dont la cause resta inconnue. Les mots lui permettront de sectionner définitivement les têtes de la bête.
La structure du livre se divise en trois actes: enfance, adolescence et âge adulte. Le livre s’ouvre et se referme sur la mort de la mère de l’auteur. Car c’est avant tout un livre sur la mère de Camille Kouchner. Complice de l’ogre mais aussi mère aimante, fantasque, vivante, la professeure de droit Evelyne Pisier est à la fois féministe et soumise à son homme, qu’elle appelle son « mec ». Elle accusera même ses enfants, lorsque le secret fut révélé, de le lui avoir volé. Elle aura cette phrase démente: « C’était des fellations, pas des sodomies, c’est moins grave ». L’hydre réapparaît, se dresse entre la mère et la fille. Et la rupture sera définitive.
L’ombre du suicide plane, tel le fatum, sur la famille Pisier. Le grand-père, la grand-mère et peut-être l’actrice singulière qu’était Marie-France: « elle s’est suicidée, comme les autres », dira-t-on dans la famille. Du suicide de sa mère, Evelyne Pisier ne se remettra jamais. Elle abandonne ses enfants pour le chagrin et l’alcool. Elle-même se suicide à petit feu. La famille Pisier, ce sont les Atrides. Camille semble endosser à elle seule toutes leurs tragédies. Mais son désir n’est pas d’enterrer, mais de déterrer le secret de son frère, son jumeau dont elle ressent le malheur dans sa chair. Déterrer pour enfin tuer l’hydre, tuer le beau-père qu’elle considérait comme son propre père. « Il était solaire, il m’a tout appris, je l’aimais » a-t-elle dit le 13 janvier dans la Grande Librairie (France 5). Des faits, dont tout le monde parle, le livre parle en réalité assez peu. L’inceste est omniprésent, il s’incarne dans l’hydre, mais disparaît dans les mots. Il est l’indicible, on lui règle son compte en quelques phrases, précises, encore une fois sans pathos et cela rend le récit d’autant plus fort.
Le frère jumeau Victor, quant à lui, apparaît peu: il veut disparaître, il fonde vite sa propre famille pour réparer ce qui est sans doute irréparable. Camille, à qui il demande de parler, de trouver les mots qu’il ne trouvera jamais est la vestale du malheur, elle le gardera jusqu’à l’âge adulte avant de s’en libérer pour ne pas mourir. L’ogre apparaît peu également dans le récit. Comme une figure tutélaire, un empereur romain qui règne sur son empire décadent, mais gai cependant. Car oui: Camille affirme avoir gardé un merveilleux souvenir de la Familia Grande et des vacances à Sanary.
L’opinion publique se déchaîne sur les élites de la gauche caviar, toutes pédophiles en puissance. Elle se purge de la liberté sexuelle qui souffla sur la France après 68. Camille Kouchner n’accuse ni l’époque ni son milieu. « J’ai écrit ce livre pour toucher à l’universel » déclare-t-elle encore à la Grande Librairie. Je ne crois pas qu’elle soit entendue, le peuple a besoin de boucs émissaires.
Et si les vertus du silence étaient le socle des longues carrières…
Dans un mois exactement, la cérémonie des César 2021 donnera ses bons points de citoyenneté aux élèves méritants et tancera vivement les autres. Tous ceux qui ne s’agenouillent pas devant ce spectacle devenu trop sérieux, trop sentencieux, trop expiatoire au fil des années, seront considérés comme des ennemis de classe. Au piquet ! Chaque mois de février, la cohorte des réfractaires grossit. L’épuration ne connait pas la crise. Plus le cinéma nous fait la morale, plus le public boude son plaisir. Les tableaux d’honneur et les médailles ont été inventés pour les bons élèves et les militaires. Celui qui n’accepte pas la rupture disait un ancien président de la République, une certaine forme de marginalité, ne peut prétendre appartenir à cette grande famille. Être saltimbanque, ça coûte cher et ça n’autorise pas tout. C’est une question de principes, de décence aussi. Les acteurs sont des dissidents, par nature. Nous n’attendons pas d’eux qu’ils nous guident par une parole souvent déplacée et vaine.
Voilà que maintenant ils se transforment en instructeurs, en agents de maîtrise, en agit-prop des redcarpets. La chefferie les égare. La rééducation est devenue leur nouveau petit livre rouge. Un crédo comme un autre. Un segment de marché. Ils n’ont pas beaucoup de mémoire car les derniers d’entre eux qui ont voulu s’immiscer dans le débat public, souvenez-vous des voyages là-bas, dans le Grand Est, en pleine guerre froide, ont mis des années à faire oublier leurs prises de position caduques et à laver leur honneur. Il y a danger à participer à cette foire aux vanités où s’épanouit son lot habituel de règlements de comptes. Nous, le public, grand prince, acceptons cette part de ridicule jusqu’à un certain point. Oui, nous sommes magnanimes. Qui sommes-nous, en fait, pour juger leurs errements et leur désir d’exister sur la scène médiatique ? Nous avons bien conscience que la concurrence qui sévit dans ce milieu pèse sur leur moral et perturbe leur santé psychologique. Les salles de cinéma sont fermées, les carrières de plus en plus difficiles à solidifier et les places libres, rares. Alors, on choisit la facilité, on parle de sujets sociétaux dans le vent, on se fait bien voir par les médias mielleux, on accorde des interviews où l’on n’évoque même plus son rôle, son jeu, la qualité de ses partenaires ou du réalisateur, on gagne des minutes de célébrité en bombant sa morale, en se victimisant, en se caricaturant aussi, et on finit par promotionner son image en oubliant les valeurs cardinales de son métier. Sa beauté éphémère et l’envoûtement par la fiction. En vendant à la découpe sa personne, en faisant commerce de son égo, on court à sa perte.
Dans un pays où les acteurs talentueux sont nombreux, je comprends que certains choisissent la pseudo-voie politique pour consolider une activité économique fragile. C’est parfois drôle et émouvant de naïveté, souvent pathétique et énervant de conneries. Épuisant même. Car nous avons tous en tête la formule de Jean Gabin : « C’est bath les acteurs ! ». On vous aime sincèrement. Alors, quand on vous voit vous lancer, vous engager, on a peur pour vous et honte. Chacun mène sa carrière comme il l’entend, à coups d’invectives et de génuflexions, mais le simple observateur de cinéma que je suis, vous conseille de regarder dans le rétroviseur et vous inspirer de vos pairs. De leur discrétion et leur absence totale d’embrigadement. Ils fuyaient comme la peste, les camarillas et les cellules de partis. Ils étaient trop intelligents et trop insoumis pour se vautrer dans le déballement. Nous avons été élevés par la génération du Conservatoire, les Belmondo, Marielle, Cremer, Fabian ou celle du TNP, les Noiret, Chaumette, Denner ou Wilson. Ces artistes-là, mot qu’ils réfutaient en bloc, ne haussaient ni le ton, ni le menton. Nous n’allions pas à confesse en leur compagnie. Seule leur image filmée donc transfigurée comptait à leurs yeux, leurs opinions politiques ou alimentaires ne nous concernaient pas. Ils nous faisaient grâce de leurs dysfonctionnements intérieurs. Plus ils se taisaient, plus on souhaitait leur ressembler, toucher leur élégance et s’imprégner de leur magie.
Un dernier conseil aux futurs récipiendaires, s’ils veulent vraiment que leur image perdure à travers le temps, s’ils veulent nourrir notre imaginaire à jamais, qu’ils restent sur la réserve, qu’ils mettent un voile sur leurs aigreurs ou leurs douleurs. Les belles carrières se font à bas bruit. Je pense ici à toutes ces actrices plus ou moins connues, à la filmographie plus ou moins longue qui m’ont cueilli par leur seule présence, à l’adolescence. Je ne savais rien de Christine Dejoux, Maureen Kerwin, Claude Jade, Carla Gravina, Carol Lixon, Caroline Berg ou Catherine Leprince et pourtant je les aimais follement. Leur jeu, leur attitude, leur distance, leur mystère ont suffi par m’emporter sans que je connaisse leur avis sur les flux migratoires ou la vaccination.
46e cérémonie des César, vendredi 12 mars 2021 sur Canal +
En digne successeur de Pierre Desproges, Ivan Jablonka nous fait réfléchir en nous faisant rire.
Marie-Hélène Verdier a écrit un excellent papier sur le désopilant dernier ouvrage d’Ivan Jablonka, Un garçon comme vous et moi. Les occasions de sourire étant de plus en plus rares, j’ai décidé d’y revenir un peu et de montrer, grâce à des citations extraites exclusivement du livre en question, les ressorts comiques de cet ouvrage ouvertement desprogien.
Le premier chapitre s’intitule « Je ne suis pas un mâle ! » Il est très court. Presque chaque phrase atteint son but. Nous sourions souvent: Ivan Jablonka se rase « une à deux fois par semaine », est « plus grand et plus large d’épaules que la plupart des femmes », et possède « un pénis qui sert à divers usages ». Bref, écrit-il en pouffant, il est « un “mec”». Mais « les choses ne sont pas si simples », la biologie s’en mêle, et l’auteur n’éprouve a priori aucune difficulté à prouver que la « frontière entre filles et garçons » n’est pas aisée à tracer : il serait bien incapable de suivre des athlètes du 10 000 mètres féminin plus de cinq foulées ; à la piscine, les nageurs « des deux sexes » le dépassent ; sa myopie l’empêche d’être un pilote de ligne ou un tireur d’élite, « alors que des centaines de femmes le sont ». Ivan Jablonka use ici de deux procédés stylistiques souvent utilisés par les humoristes, la caricature et la dérision. Dans le but évident de nous amuser, il force le trait en s’auto-dénigrant. Il sait pertinemment que 99 % des mecs ne pourraient pas suivre plus de cinq foulées les athlètes féminines de haut niveau ; qu’à la piscine, même les enfants nous dépassent ; et que laisser penser que les femmes qui sont pilotes de ligne ou tireuses d’élite le seraient uniquement parce qu’elles ne sont pas myopes – ou que lui n’exercerait pas ces prestigieuses professions uniquement parce qu’il y voit mal – ce serait ignorer des compétences qui sont surtout dues, en plus d’une excellente vue, à l’intelligence et à la volonté de ces femmes, ainsi qu’à une capacité de travail dont certains d’entre nous, hommes ou femmes, myopes ou pas, sont dépourvus.
La vie, c’est compliqué
Ivan Jablonka, maître en auto-dérision, se décrit comme une sorte de handicapé de la vie. Infoutu de réparer un moteur, de colmater une fuite, de changer une ampoule ou d’allumer un barbecue, il s’interroge sur sa masculinité. « D’ailleurs, le fait que je m’interroge sur ma masculinité est une démarche bien peu virile. » Il n’empêche, il est un privilégié, un « homme blanc, hétérosexuel, diplômé, solvable en tout point du globe » – on notera cette dernière précision ironique soulignant la détestable vanité de l’homme blanc argenté, à l’aise partout. Espiègle, l’humoriste explique qu’il ne peut « décliner [ses] identités » qu’en égrenant une « série de fonctions intrinsèquement ou historiquement masculines : fils, frère, mari, […] professeur, écrivain. » Il s’amuse à dire stupidement ce que les sots disent avec la gravité qui leur sert de bouclier, aurait dit Montesquieu (ou Desproges). Nul doute que si Ivan s’était prénommé Isabelle, il n’aurait pas hésité à décliner ces “fonctions” intrinsèquement et historiquement féminines que sont, par exemple, fille, sœur, épouse, professeure, écrivaine (ou autrice). Mais il est un garçon, un « être-à-pénis » – être à pénis et mourir, aurait dit Desproges (ou Montesquieu). Plus desprogien que jamais, Jablonka avoue être « saturé d’angoisses ». Mais son humour est ravageur et sa ténacité intacte, il sera « à la fois pitre et lion. »
Le Monsieur Cyclopède de Desproges se moquait du nazisme en demandant ironiquement aux Français d’avoir un peu de compassion pour le leader de ce mouvement qui « lui aussi faisait pipi dans la mer. » De son côté, Ivan Jablonka combat « la masculinité enrégimentée, sous la forme du nazisme et du colonialisme. » L’effet comique, moins évident au premier abord, apparaît pourtant à la fin de cette tirade, lorsque l’auteur avoue malicieusement ne pas pouvoir « nier que sa masculinité […] est un gain social net. » Il se méfie de « l’aura des hommes » dont « [il] tire profit ». Il est prêt à « faire sauter quelques uns des rivets qui verrouillent [son] pouvoir. » Étonnant, non ?
Une masculinité de domination qui préoccupe notre socio-historien
Jablonka détourne joyeusement le jargon universitaire pour aborder « la socio-histoire de [sa] garçonnité » et de son « être-homme » qui l’ont conduit tout naturellement à entrer en possession d’une « belle montre en acier poli à boîtier étanche qui [lui] a coûté assez cher », mais aussi à se vêtir sobrement, « jean, chemise blanche ou bleu clair, parfois une veste ». Chacun aura relevé le comique né des différents niveaux de langage (sociologique, charabiesque, descriptif, darrieussecquien, etc.), mais aussi, derrière la façade souriante, le dilemme du petit garçon devenu un homme tiraillé entre une « masculinité de domination » (la montre coûteuse) et une « masculinité de contrôle » (le vêtement sobre). Plus loin, plus légèrement, l’auteur évoque ses rencontres avec « tous les autres » et explique comment « défaisant certains nœuds, [il a] caressé quelques-unes des fibres dont nous sommes tissés ». Il renonce à être un « vrai mec » et s’honorerait, dit-il, à être rangé dans la catégorie des femmes ou des gays. La saillie, moins drôle que celle de Desproges, « les chevaux sont tous des ongulés », témoigne que l’élève n’a pas encore dépassé le maître. Mais c’est quand même très prometteur.
Après nous avoir intelligemment distrait avec sa “masculinité” (Des hommes justes), puis avec sa “garçonnité” (Un garçon comme vous et moi), il n’est pas impossible qu’Ivan Jablonka, remontant indéfiniment le temps, nous propose prochainement un livre-spectacle sur son “embryonité”. Que tirera-t-il de ces deux premiers mois d’existence de lui-même ? Dans quel gouffre d’interrogations, derrière le comique de situation fœtale et les réflexions faussement candides, nous entraînera-t-il ? Comment parviendra-t-il à concilier une fois de plus le rire et la philosophie, l’esprit desprogien et l’approche sociologique, la parodie et la spéculation intellectuelle ? En attendant d’obtenir des réponses à ces questions fondamentales, tentons de qualifier l’œuvre d’Ivan Jablonka et relisons Bergson : « Le comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure. » “Intelligence pure”, voilà, ce sont les mots que je cherchais.
Didier Lemaire sur France 3. Image: capture d'écran
Entretien avec Didier Lemaire, le professeur de philosophie de Trappes
Didier Lemaire enseignait la philosophie au lycée de Trappes depuis vingt ans. Sans problèmes. Sauf que la situation s’est sérieusement dégradée depuis que début novembre, juste après l’assassinat de Samuel Paty, il s’est demandé, dans une tribune sur l’Obs, « comment pallier l’absence de stratégie de l’Etat pour vaincre l’islamisme ». Il n’y formulait pas de provocations, il s’adressait à ses collègues, et décrivait « la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps ». Le choix du comparatif, « plus forte », n’était pas innocent: à l’orée des années 2000, il avait vu brûler la synagogue de la ville, et les familles juives partir l’une après l’autre.
Après les attentats de 2015-2016, il s’est engagé dans des actions à visée préventive dans cette ville où circulent plus de 400 « fichés S ». En 2018, il a co-signé avec Jean-Pierre Obin — qui dès 2004 dénonçait l’emprise du fondamentalisme religieux dans nombre de cités — une lettre au président de la République « pour lui demander d’agir de toute urgence afin de protéger nos élèves de la pression idéologique et sociale qui s’exerce sur eux, une pression qui les retranche peu à peu de la communauté nationale ».
Le résultat ne s’est pas fait attendre : il a reçu des menaces si circonstanciées qu’elles lui valent aujourd’hui une protection policière. Les médias se sont émus. Comment, aux portes de Paris… Sans doute n’avaient-ils rien vu venir ? C’est sur cette problématique cécité des médias et des politiques qu’a commencé notre entretien, ce jeudi.
Jean-Paul Brighelli.Presque 20 ans après les Territoires perdus de la République, où Georges Bensoussan et quelques autres décrivaient déjà l’emprise islamiste sur des départements entiers, comment peut-on encore prétendre ne pas savoir ?
Didier Lemaire. Que ce soient les médias, dont le silence alimente le déni national, ou les enseignants, soumis à la tactique du « #PasDeVagues », tout témoigne d’une peur profonde. Or, l’islamisme s’alimente à cette peur. Il en fait son terreau pour s’étendre — ce qui, du coup, la renforce, dans un cycle sans fin.
Quand la nouvelle des menaces qui pesaient sur vous s’est répandue, qui s’est manifesté le plus vite, des politiques ou des médias?
La première à m’appeler fut Valérie Pécresse — avec beaucoup de sympathie et d’éloquence. Puis Bruno Retailleau, qui au moins sur la question de l’Ecole et de la laïcité s’est révélé impeccable. Et Emmanuelle Ménard, l’épouse du maire de Béziers — dont je ne partage guère les idées, mais qui m’a assuré de son soutien. Du côté des médias, le pire a côtoyé le meilleur. Le meilleur, ce fut Stéphane Kovacs, au Figaro, plein d’empathie et surtout doué d’un style qui m’a rappelé Henri Calet, que j’admire fort. Ou Nadjet Cherigui, dans le Point, une belle rencontre avec une belle personne. Ou Pascal Praud et Elisabeth Lévy, sur CNews — même si Praud a cru bon par la suite de chercher un poil sur un œuf en critiquant mon affirmation sur l’absence de femmes dans les cafés musulmans de Trappes…
Ou de Marseille…
Une évidence pour qui connaît la ville.
Le pire, ce fut sans doute l’Express, qui sous prétexte que j’avais jadis donné deux papiers à Causeur, m’a immédiatement situé à l’extrême-droite, et a voulu comptabiliser les coiffeurs mixtes de la ville… FR3 aussi a tout fait pour discréditer ma parole — alors que Mediapart ou Libé ont paru pleins d’empathie. Mediapart en particulier a compris le travail que j’essayais d’effectuer en direction des jeunes filles musulmanes, dont l’Ecole est la seule échappatoire. C’est bien simple : des lycéennes m’ont avoué que quand elles rentraient chez elles, leurs familles les « désinfectaient » — c’est le mot qu’elles utilisent — pour les purger des poisons insinués pendant la journée dans une école où l’on distille l’exercice de la libre pensée et de la laïcité. Je crois qu’en fait les réactions sont fonction de la connaissance du problème — mais combien de journalistes ou d’hommes politiques ont une connaissance exacte de l’emprise islamiste ? Le déni, vous dis-je…
Maire, il ne l’est plus vraiment, ou en sursis, le tribunal administratif vient d’annuler les élections municipales. Son élection a été invalidée à cause d’agissements singuliers — des pressions sur des électeurs, via une association dont il était président, ou l’absence de cadenas sur les urnes, entre autres. Il a fait appel, il reste au Conseil d’État à approuver la décision judiciaire, mais cela ne saurait tarder. Dans tous les cas, ses efforts auprès de la « communauté » ne seront pas payés de retour, il est désormais inéligible.
Et l’Education Nationale? Comment a-t-elle réagi?
Très bien. Aussi bien le rectorat que le ministère — et j’ai rencontré l’un et l’autre — ont été très bienveillants. Ils m’ont assuré qu’ils approuveraient mon choix, que je préfère changer d’établissement — ils m’ont immédiatement proposé deux postes — ou rester à Trappes. Bien sûr, il y a la question de ma sécurité. Mais c’est au fond une double contrainte. Rester, c’est m’exposer à des représailles dont la mort de Samuel Paty donne une idée. Muter, c’est fuir — et transformer mes harceleurs en vainqueurs.
En fait, ai-je encore un avenir au sein de l’Education Nationale ?
Je suis prof de philo depuis 1991. Ça a été toute ma vie pendant presque trente ans. Mais les conditions requises pour enseigner ne sont plus là.
Vous pensez qu’on ne peut plus enseigner dans ces localités sous influence?
J’ai enseigné pendant des années, et avec beaucoup de bonheur. Les élèves venaient en classe goûter à une liberté qu’ils ne connaissaient pas chez eux ou dans leur quartier. De cela ils m’étaient reconnaissants — et en même temps, il est difficile d’évaluer ce qui est authentique et spontané dans cette attitude, et ce qui est duplicité…
La taqîya…
Oui, le mensonge recommandé par l’Islam lorsqu’on parle à un hérétique, afin de ne pas se souiller. En fait, ils sont dans une situation schizophrénique, ballotés entre le désir de s’évader — mentalement au moins — et l’obéissance promise à l’oumma, la communauté des croyants. Laïcité à l’école, charia à la maison. Ils sont dans un conflit de loyautés. Et je crains qu’aujourd’hui ils ne fassent semblant.
Où vous situez-vous, politiquement parlant? À gauche?
Les catégories droite / gauche n’ont plus guère de pertinence. J’ai rejoint le Parti Républicain Solidariste de Laurence Taillade, qui a transité par le Parti des Radicaux de Gauche et le Modem. Pour son appui inconditionnel à la laïcité, et en même temps à une certaine forme de libéralisme : de goût et de formation, je suis plus près de Montesquieu que de Marx.
Et je suis un hussard de la République, au sens le plus traditionnel. Mon métier, c’était de transmettre des savoirs à des petits Français — je n’ai jamais regardé mes élèves autrement que comme des Français. Sans faire de distinction.
Quant à ce qui se prétend la Gauche… Aucun vous m’entendez bien : aucun — des caciques du PS n’a cherché à me joindre. Ni des Verts. Ni Jadot, ni Faure. À se demander quelles valeurs ils défendent — mais quand on en est à se le demander…
À voir, le professeur interrogé sur Sud Radio, le 8 février
Ce soir, dans l’émission politique “Vous avez la parole”, la femme la plus “puissante” de la télé publique Léa Salamé arbitrera un match entre le ministre de l’Intérieur et la présidente du Rassemblement national. Enjeux.
“Que Madame Le Pen m’attaque, je le prends comme une Légion d’honneur ! Tout mon engagement politique, depuis que j’ai l’âge de voter, a été contre la famille Le Pen.” Ainsi s’exprimait en septembre[tooltips content= »LCI, 14 septembre 2020″](1)[/tooltips] notre ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce soir, dans l’émission que lui consacre France 2, il pourra renouveler cet engagement politique en se confrontant pendant 40 minutes à la chef de file de la droite nationale, lors d’un débat consacré à la sécurité et à l’islamisme.
Ces derniers jours, quand elle ne nous accable pas de ses répétitifs et ennuyeux commentaires sur la crise sanitaire, la presse nous vend ce duel comme le “match retour” de la présidentielle. Pas moins ! De son côté, à la même heure, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a choisi d’aller faire de la résistance chez Hanouna sur le canal 8. Il a annoncé vouloir s’y opposer aux “idées fixes” de Darmanin et de Le Pen et à leur “névrose du séparatisme”. Depuis quelque temps, il prend son rôle de défenseur des musulmans opprimés vraiment à cœur!
Le casse tête de l’islamisme
Reste qu’effectivement, selon toute vraisemblance, il sera essentiellement question du séparatisme islamiste sur France 2. C’est le principal casse-tête qui occupe les journées de Darmanin depuis qu’il a pris ses fonctions place Beauvau. Un casse-tête sur lequel nos élites politiques auraient bien fait de se pencher depuis deux décennies, plutôt que de s’engager en politique “contre la famille Le Pen”…
Dans le petit livre qu’il vient de faire paraitre[tooltips content= »Le séparatisme islamiste : Manifeste pour la laïcité, l’Observatoire, 2021″](2)[/tooltips], le ministre déplore que la République ait perdu sa “transcendance” et y réaffirme son attachement aux grands principes républicains. Avec son parler populaire, présenté comme un atout, il entend démontrer ce soir qu’il existe bien des solutions républicaines au séparatisme. Il joue gros: les Français sont peut-être lassés de mots. De son côté, Marine Le Pen aura beau jeu de lui dire que son projet de loi “confortant les principes républicains” est en réalité une loi pour rien, et que la montagne médiatique a accouché d’une souris. Les termes d’islamisme et même de séparatisme n’apparaissent pas dans le texte prévu, alors vous vous rendez compte… Mais soyons rassurés, Darmanin a déjà la parade toute prête pour contrer pareille attaque[tooltips content= »“(…) je crains qu’on ne parle pas assez des valeurs de la République. J’entends ceux qui disent que c’est vide de sens, personnellement je le regrette. (…) On peut vibrer au son de la Marseillaise (…) on peut vibre au nom de son pays, de son histoire” Valeurs actuelles, 11 février. »](3)[/tooltips].
En revanche, sur le sort de la malheureuse Mila[tooltips content= »La lycéenne déscolarisée et harcelée depuis ses propos sur la religion islamique tenus en ligne NDLR »](4)[/tooltips], sur celui de la ville de Trappes objet d’une nouvelle polémique éducative, ou sur ses récentes rodomontades contre le groupe d’extrême-droite Génération Identitaire, les réponses de Darmanin seront très attendues.
Pour en revenir au fameux “séparatisme”, selon la droite la plus dure, la France est en réalité engagée dans un affrontement civilisationnel, et le combat du pays est rendu particulièrement difficile par la submersion de flux migratoires acceptés ou encouragés par l’Union européenne. Darmanin devra faire la démonstration que Macron obtient des résultats sur ces sujets, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme.
Le ministre ambitieux, qui avait lâché François Fillon en 2017, affirme dans Valeurs actuelles que face au séparatisme, il faut du temps. Tout en défendant sa loi, il dit à nos confrères qu’ “on ne vient pas à bout d’une idée, d’une idéologie [l’islamisme NDLR] par un simple texte de loi. On la combat avec du temps et d’autres idées”. Marine Le Pen devrait lui demander lesquelles, alors qu’on reproche justement souvent aux principes républicains de ne pas parler à la jeunesse qui fait sécession. La chef du RN ne manquera pas de ressortir pour l’occasion sa proposition de loi alternative de 40 pages “visant à combattre les idéologies islamistes”, concoctée par le député européen Jean-Paul Garraud et présentée le 29 janvier. Elle comprend quelques mesures concrètes et musclées, comme l’interdiction du port du voile dans l’espace public, l’interdiction de la pratique, de la manifestation ou de la diffusion au cinéma ou dans la presse des « idéologies islamistes ». Le projet encourage la délation et promet la protection de ceux qui dénonceraient les contrevenants.
Marine Le Pen s’applique à de ne pas être caricaturale
Depuis son débat de l’entre deux tours de 2017, la députée du Pas-de-Calais est engagée dans une longue opération de reconstruction de son image auprès de l’opinion.
Pas caricaturale sur le coronavirus, elle a marqué des points. Par exemple, elle n’a pas commis l’erreur d’appeler à la désobéissance civile par rapport au couvre feu ou aux différents confinements, chose que ne se privent pas de faire à droite Florian Philippot ou Jean-Frédéric Poisson. Les ministres et les membres de la majorité présidentielle ont beau avoir pour consigne de la rediaboliser, parlant systématiquement dans leurs interventions de FN et non du RN pour rappeler aux Français le souvenir de son père, en coulisses, la macronie s’avoue embêtée par la stratégie efficace de Le Pen. Hier, un conseiller de l’Élysée dépité de ne plus lui trouver de point faible glissait ce commentaire désabusé au Figaro : “Elle a dû changer d’entourage, c’est pas possible ! En tout cas, ici, elle nous impressionne.” Mais tous comptes faits, Macron et ses conseillers ne voient évidemment pas cela d’un si mauvais œil. En réalité, un nouveau duel opposant Macron à cette adversaire les arrange.
Selon les enquêtes d’opinion, Marine Le Pen est aujourd’hui assurée de se qualifier pour le second tour de la présidentielle. Gérald Darmanin, lui, a des ambitions à droite pour la suite, même s’il a été contraint de mettre de l’eau dans son vin ses dernières semaines, suite à une mise au point avec le président et ses mauvaises relations avec Eric Dupond-Moretti. Bruno Retailleau fournit un vrai travail à droite, mais il ne parvient pas à émerger et manque peut-être de charisme. Edouard Philippe est éloigné. Une candidature populiste alternative (Zemmour ? Onfray ? Pierre de Villiers ?) reste très incertaine. En attendant, pour Darmanin, le cadavre du RPR reste à prendre.
Si Joe Biden a été élu président, ce n’est pas grâce à la fraude. Les démocrates, échaudés par la défaite d’Al Gore en 2000, sont tout simplement devenus maîtres dans l’art d’exploiter légalement les règles électorales des différents états. Reprendre la main sur le processus électoral est donc la condition sine qua non d’une future reconquête républicaine du pouvoir.
Aux États-Unis, l’année 2020 s’est mal terminée pour les républicains et 2021 n’a guère commencé mieux. Au cours des trois derniers mois, ils ont perdu la Maison-Blanche et le Sénat ; leur champion, Donald Trump, a été mis en accusation, une seconde fois, en vue de sa destitution. Pourtant, ce n’est pas la déconfiture totale annoncée : les républicains ont perdu moins de sièges que prévu au Sénat ; ils ont empêché les démocrates de consolider leur majorité à la Chambre des représentants ; et ils ont préservé leur contrôle sur nombre de législatures d’États. Bref, le chef est tombé, mais pas ses lieutenants et sous-lieutenants. Cela a fortifié la conviction de beaucoup de supporteurs républicains que la victoire de Joe Biden avait été usurpée et que l’élection présidentielle avait été truquée. Si les recours en justice des républicains contre les résultats dans différents États ont été rejetés par les tribunaux, le plus souvent pour des raisons de procédure, la défaite de Donald Trump tient essentiellement aux différences de stratégie électorale entre les deux partis.
81 millions de suffrages comptabilisés pour Biden, 74 pour Trump…
Le secret de l’élection présidentielle 2020 se niche dans cette différence : les démocrates ont insisté pour compter « tous les suffrages », alors que les républicains voulaient compter « tous les suffrages vérifiés ». En principe, une voix envoyée par la poste doit être vérifiée soit en comparant la signature sur l’enveloppe avec celle du votant sur un registre officiel, soit par un témoin qui affirme avoir vu la personne mettre son bulletin de vote dans ladite enveloppe. Or, dans certains États (le Wisconsin par exemple), les autorités compétentes (cour suprême, secrétaire d’État) ont autorisé, bien avant les élections et en anticipant une forte affluence de votes par la poste, la prise en compte des enveloppes impossibles à vérifier par l’un ou l’autre de ces deux moyens. Cette différence est majeure, car elle porte potentiellement sur 6 % des votes par correspondance, soit près de 5 millions de bulletins au niveau national. Certes, Biden ayant recueilli 81 millions de suffrages et gagné avec 7 millions de voix d’avance, cela n’aurait pas suffi à inverser le résultat. Sauf que, comme en 2016, seuls comptent les résultats au niveau des États et leur impact sur les rapports de force au sein du collège des grands électeurs. La prise en compte des seuls bulletins vérifiés aurait pu faire la différence dans l’Arizona, le Nevada, la Géorgie, la Pennsylvanie et le Wisconsin, et ainsi changer la donne.
Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications: il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Dans un État comme la Géorgie, le taux de rejet des votes par correspondance, qui était de 6 % en 2016, est tombé à 0,3 % en 2020 ! Et comme dans le même temps le nombre de ces votes a été multiplié par quatre, le candidat le plus susceptible d’en profiter a bénéficié d’un renfort de voix non négligeable et parfaitement légal. Résultat : en Géorgie, Trump a perdu de 0,23 %, soit moins de 12 000 voix sur 5 millions de suffrages. Si les règles du jeu avaient été les mêmes qu’en 2016, il l’aurait emporté d’au moins 50 000 voix.
Le scrutin par correspondance a reçu le soutien inattendu du Covid-19, que les démocrates ont parfaitement exploité. Prétextant que la peur du virus dissuaderait de nombreux électeurs d’aller voter, ils ont obtenu dans plusieurs États le droit d’envoyer les bulletins à l’avance, même aux électeurs qui n’en faisaient pas la demande, et mieux encore de garantir que tous les bulletins reçus en retour seraient comptabilisés – après la date de l’élection dans certains États. Plus de bulletins en circulation, moins de vérifications : c’est ainsi que l’on arrive à 81 millions de suffrages pour Joe Biden et 74 millions pour Trump. Il ne s’agit pas de fraude, mais d’optimisation électorale…
Reprendre la main sur le processus électoral est l’objectif des Républicains
Les républicains sont tombés dans un piège préparé de longue date. En 2000, lors de la défaite d’Al Gore face à George W. Bush, les démocrates ont perdu la Floride, et donc la Maison-Blanche, parce que les républicains étaient parvenus à invalider un grand nombre de bulletins. Si tous les votes exprimés en Floride avaient été validés et comptés, Al Gore aurait gagné. Les démocrates l’ont compris. Ils se sont donc employés à ce que, désormais, le plus grand nombre de bulletins soit compté.
Suivant cette logique, à la présidentielle de 2004, ils ont tenté, sans succès, d’inverser le résultat dans l’Ohio. Quatre ans plus tard, Barack Obama emportant aisément la Maison-Blanche, les contestations n’ont pas été nécessaires. En revanche, dans le Minnesota, un siège de sénateur était disputé par le démocrate Al Franken et le républicain sortant Norman Coleman. Les démocrates étaient largement majoritaires au Sénat (59 sièges contre 41), mais ce siège supplémentaire leur aurait donné une « super-majorité » de 60 sièges, leur permettant de faire passer toutes les législations souhaitées sans la moindre opposition des républicains. Au soir du 4 novembre 2008, c’est le républicain qui était donné gagnant avec une avance de quelques centaines de voix. Avec une marge aussi faible, un recompte s’imposait et le parti démocrate a dépêché sur place un jeune avocat, Marc Elias, pour superviser les opérations. La mission d’Elias était de faire comptabiliser tous les bulletins possibles. Il a introduit recours après recours, visité toutes les circonscriptions. Au bout de neuf mois de ce titanesque combat procédural, il a réussi en juillet 2009 à inverser le résultat et à faire élire le démocrate Franken au Sénat. Elias est devenu l’avocat star du parti et a travaillé par la suite pour Hillary Clinton, Kamala Harris et même Joe Biden. Son mot d’ordre « faire compter tous les bulletins », devenu la règle d’or des démocrates, a été appliqué en 2020 dans tous les États décisifs, avec le succès qu’on sait.
À l’avenir, si les républicains veulent remporter une élection présidentielle, ils doivent reprendre la main sur le processus électoral en commençant par imposer une uniformisation des règles. À l’heure actuelle, chaque État dicte ses lois, conformément à l’article 2 de la Constitution. Toutefois, pour les élections fédérales, il serait logique que les règles soient les mêmes pour tous. Ensuite, il leur faut limiter le vote par correspondance aux seuls électeurs qui en feraient la demande, et comptabiliser uniquement les votes reçus avant la date du scrutin. Accepter les bulletins délivrés par la poste au-delà de la date de l’élection ouvre en effet la porte à de multiples abus, comme cela a été constaté en Pennsylvanie où, deux mois après le scrutin, le nombre de votants n’est toujours pas connu… Il faudrait également imposer à tous les États l’obligation de procéder au dépouillement des bulletins sans interruption jusqu’à la proclamation des résultats, sous le contrôle d’observateurs des deux camps, voire du public. Finalement, il faudrait interdire les machines à voter pour éviter toute controverse, fondée ou pas. Sans de telles réformes, le seul espoir pour des républicains d’entrer à la Maison-Blanche sera d’être invités par un président démocrate.
Le populisme de Trump est une opportunité pour le Parti républicain
Quant à Donald Trump, à supposer qu’il ne soit pas frappé d’inéligibilité et souhaite se représenter en 2024, il a dix-huit mois pour mettre la main sur le Parti républicain. Pour l’heure, il en est le chef constitutionnel, mais cela pourrait ne pas durer. Même s’il ne l’a pas directement ordonné, l’assaut contre le Capitole de Washington est exploité par ses détracteurs, y compris au sein du camp républicain, pour l’éliminer définitivement de la vie politique. À l’heure actuelle, 57 % des électeurs du Grand Old Party (surnom du Parti républicain) souhaitent qu’il soit candidat en 2024, mais qu’en sera-t-il dans trois ans ? Si Trump est adulé par ses supporteurs, il est haï par ses adversaires et la campagne 2020 a démontré que sa seule présence constitue une force mobilisatrice considérable pour… le camp adverse. Dès lors, certains ténors du parti seraient heureux de tourner la page.
De surcroît, Trump n’est pas un républicain pure souche, aussi les principes du « trumpisme » n’épousent-ils pas forcément ceux du républicanisme. Donald Trump a tenté sa chance en politique sous trois étiquettes successives : réformiste, démocrate et républicain. En tant que républicain, il a introduit dans la doctrine une dose de nationalisme, de protectionnisme, d’unilatéralisme et de populisme. Il a aussi renoncé à la rigueur fiscale, toléré les déficits et ne s’est pas opposé à une politique sociale généreuse. En politique internationale, s’il a soutenu un appareil militaire fort, il a réduit la présence américaine à l’étranger et souhaité un rapprochement avec la Russie. En cela, il a défié certains préceptes républicains et en a payé le prix. Aussi peut-il précipiter le parti vers sa scission.
Mais le « trumpisme » est aussi une opportunité. Le populisme de Trump peut permettre au parti républicain d’élargir sa base. Il est plus que jamais évident que le Parti démocrate est celui des fonctionnaires (notamment dans l’éducation), des élites urbaines, de l’intelligentsia culturelle et des minorités ethniques et sexuelles, et qu’il n’est plus le parti des travailleurs. Il y a là un électorat en déshérence dont Trump a déjà commencé la conquête. Il a aussi réussi, d’ailleurs, à faire progresser le vote républicain dans les minorités noires et hispaniques, obtenant des scores sans précédent dans leur électorat masculin.
Enfin, au-delà de ces débats internes, pour exister politiquement, les républicains devront reconquérir les médias. L’alliance objective nouée lors de l’élection entre les grands médias – papier et TV – et les mastodontes de la « Big Tech » (les fameux Gafam) augure mal de l’équité du débat intellectuel aux États-Unis. La censure qui s’est abattue sur les comptes Twitter du président Trump ainsi que sur ceux de ses collaborateurs et sur les sites favorables aux thèses conservatrices laisse entrevoir un monde orwellien : désormais « Big Tech » et « Big Média » font advenir le règne de Big Brother ! L’affaire dépasse largement la personne de Donald Trump. Elle met en jeu la place de la liberté d’expression, donc l’identité des États-Unis.
La série Cold Case coche toutes les cases de l’idéologie anti-préjugés, que ce soit dans son casting ou dans ses intrigues. Mais les stéréotypes méprisants visant les « gens du Sud » échappent à tout scrupule moral, semble-t-il.
La semaine dernière, TMC diffusait deux épisodes de la quatrième saison de la série Cold Case: le dixième, « Forever Blue » (titre français : « Partenaires ») et le onzième, « The Red and the Blue » (« Cowboys solitaires »).
Cold Case est une série bien conçue: du suspense, un concept original (résoudre des affaires classées, ce qui donne lieu à des effets d’avant-après, des reconstitutions du passé où l’on voit les personnages plus jeunes et même des moments où, dans une scène du présent, le personnage d’autrefois se substitue à celui qu’il est devenu). Une série vraiment parfaite, idéologiquement irréprochable : l’héroïne est une femme, inspectrice de police, entourée de collaborateurs représentant tous les types humains nécessaires pour composer un casting idéalement anti-discriminatoire, à savoir un gros Noir, un très gros Blanc, un beau gosse hispanique, une jolie métisse, un vieux mâle blanc et, occasionnellement, une asiatique. Il manquait la touche LGBT etc., défaut regrettable que l’épisode 10 de la saison 4, diffusé l’autre jour, est venu combler par son scénario: l’équipe de Lilly Rush découvre que le meurtre d’un policier, commis dans les années soixante, était en réalité un crime homophobe. Cet épisode a reçu, peut-on lire sur internet, un accueil enthousiaste aux États-Unis lors de sa première diffusion en décembre 2006. Le site gay Good As You le qualifie de « Brokeback Mountainesque » (pour rappel, le Secret de Brokeback Moutain est, pour reprendre l’expression de Libé, un « western pédé », ce qui correspond à « l’un des plus tenaces fantasmes homo »). Ce serait, en effet, la première fois que l’on voyait à la télévision, sur une chaîne tout public, un baiser homosexuel torride. Point commun notable avec le Secret de Brokeback Mountain, sorti l’année d’avant, la femme du policier n’a droit qu’à une compassion très limitée. On accorde à ce personnage féminin l’autorisation de dire qu’elle a eu « le cœur brisé » mais l’accent sera mis sur le fait que son mari a « découvert ce qu’il est vraiment ». Reléguée à l’arrière-plan au titre d’erreur de parcours, l’épouse et mère de famille disparaît presque de l’histoire, tandis que le téléspectateur est appelé à souhaiter le bonheur, tragiquement impossible, du nouveau couple. En somme, le premier épisode de la soirée cochait toutes les cases de la morale actuelle. Mais comme par une triste ironie, le second faisait apparaître l’autre face de cette morale: derrière la tolérance qu’elle prône, le mépris qu’elle autorise; derrière les stéréotypes qu’elle combat, ceux qu’elle promeut.
Dans ce second épisode, l’équipe de Lilly Rush veut résoudre le mystère entourant le meurtre d’un chanteur de musique country. Le crime ayant été commis à Knoxville dans l’État du Tennessee, l’inspectrice doit s’y rendre avec un coéquipier mais aucun d’eux ne semble désireux de se joindre à elle pour ce déplacement. La jolie métisse, Kat Miller, manifeste d’emblée un dégoût politique : « le Tennessee, c’est républicain, non? » L’ensemble de l’équipe communie dans un mépris pour les Southerners assumé comme parfaitement consensuel. Il faudra tirer au sort et c’est le beau gosse hispanique, Scotty Valens, qui s’y colle. À leur arrivée sur place, ils sont accueillis par une bimbo à l’air terriblement nunuche et un commissaire de police pittoresque qui indique d’emblée: « on m’appelle Big Daddy ». Lilly Rush et Scotty Valens se lancent des regards de connivence, amusés et mal à l’aise.
Quand on cherche sur la toile, pas un article pour s’intéresser à la réception de cet épisode. Tout le monde voulait savoir comment les gays avaient réagi à un épisode sur les gays (« Forever blue » a sa notice Wikipédia avec une section « réception de l’épisode »), mais personne ne se demande comment les habitants de Knoxville ont vécu cet épisode qui les tourne en dérision avec un aplomb désarmant. Pourtant la matière est là. On la trouve sur l’Internet Movie Database, dans la section « commentaires ». Alors que « Forever Blue » était considéré comme le meilleur épisode de la série et comme un jalon majeur (« milestone ») dans l’histoire de la télévision, « The Red and the Blue » ne retient l’attention que des principaux concernés, lesquels y voient « le pire épisode de la série ».
Le premier de ces deux commentaires (voir capture plus bas) est intéressant parce qu’il dénonce cette représentation comme « incorrect », ce qui peut vouloir dire soit qu’elle est inexacte, soit qu’elle est incorrecte, dans le sens où le camp PC (politically correct) emploie ce mot. Il pointe les « faux accents du sud » et les « noms et surnoms ridicules ». Le second commentaire est plus développé, plus énervé aussi (au point qu’il en devient grossier…) et traduit bien, je pense, la colère des Southerners méprisés, sûrement « républicains », pour reprendre le mot de l’inspecteur Miller sus-cité… et probablement trumpistes. Ce téléspectateur dénonce ici une vision « faussée » et « arrogante » du sud, typique des « élites des deux côtes » pleines de « snobisme »; pour qui les gens de Knoxville ne peuvent être que des « culs-terreux bêtes et incultes qui maltraitent la grammaire et parlent avec un accent traînant » (pour le « southern drawl », voir ici, c’est éclairant).
À quand un « South Lives Matter » ? Dans un environnement idéologique où l’on sacralise la souffrance des gens qui, à tort ou à raison, se sentent blessés par la manière dont on les représente, il demeure admissible de tourner en dérision certaines catégories de personnes. On n’en reste pas moins un héros de la grande cause progressiste, pourvu que l’on valorise les « bonnes » catégories.
La liberté sexuelle conquise après Mai 68 a légitimé abus, dérives et transgressions. Mais le climat actuel est tout aussi déplaisant. Le lynchage des présumés coupables et le désir de jeter la pierre témoignent d’un mal aussi profond que celui qui est dénoncé.
Je n’ai jamais aimé cette gauche donneuse de leçons, reluisante de morgue intellectuelle, dont Olivier Duhamel faisait partie, en compagnie de quelques autres. Je n’ai jamais aimé ce petit monde, méprisant pour le peuple qui votait mal. Je n’ai jamais aimé Mitterrand, ses ministres et sa cour. Je n’ai jamais aimé tous ces échappés de Mai 68 qui portaient bien haut le drapeau de la liberté et du jouir sans entraves, et se sont gavés des prébendes accordées par les puissants dont ils se gaussaient autrefois.
J’ai lu le récit de Camille Kouchner. Il est glaçant, certes, mais il décrit un milieu, une époque où toutes les valeurs qui fondaient la société du passé devaient être renversées. Malgré les dénégations de certains qui voudraient qu’on ne généralisât pas les pulsions perverses d’une minorité, je m’inscris en faux. Tous ne passèrent pas à l’acte, mais le climat de permissivité qui régnait a autorisé de nombreuses dérives illégales. Je me souviens très bien de ces années-là. J’ai été responsable de la commission culturelle de l’Union des grandes écoles en 1967. J’ai été professeur de français à Paris et ensuite dans la campagne nivernaise, et un peu plus tard à l’université en Allemagne. Tous mes élèves baignaient dans cette ambiance de libération où il était interdit d’interdire. Sans parler des journaux « de référence » de l’époque, le magazine Actuel faisait la promotion de la révolution sexuelle en cours. On y affirmait que les adultes amérindiens initiaient très tôt les enfants à la sexualité. Le mariage et la fidélité étaient ringards. Les marginaux et les anticonformistes provocateurs étaient à la mode. Cet état d’esprit rencontrait peu de résistance, sauf chez ceux qui étaient alors considérés comme des « fachos », suspectés de s’opposer au progrès des mœurs, ou chez des personnes qui n’étaient pas du tout, pour des raisons diverses, en révolte contre leur milieu ou leur famille.
Révolution sexuelle: pour et contre
Pourtant, ceux que l’on a appelés les soixante-huitards n’ont pas tous foulé les palais de la République et peuplé les cabinets ministériels. Certains d’entre eux sont devenus des « éclopés de l’âme », détruits en poursuivant jusqu’au bout les illusions de l’époque. D’autres ont profité avec allégresse du vent de liberté qui soufflait alors.
Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent savoir ce qu’a été la « révolution sexuelle » d’avant le sida. L’avortement enfin autorisé. Le combat des femmes pour leur « libération ». L’exaltation et le plaisir de sortir d’une société corsetée. Les aventures d’une jeunesse qui voyait dans la sexualité libérée des tabous, les voyages lointains et la drogue des expériences ultimes et la découverte de paysages nouveaux et fascinants.
La politique elle-même prenait la couleur de la révolte contre le monde ancien : le Vietnam, Cuba, la décolonisation, Prague, le Chili, Lip…
Que nous le voulions ou non, nous sommes les héritiers de Mai 68. Pour le pire et pour le meilleur. Pour le pire, les illusions multiculturalistes et tiersmondistes, le rêve devenu cauchemar d’un monde sans frontières nationales, l’idolâtrie de régimes prétendument révolutionnaires, la liberté sexuelle devenue le prétexte d’abus et de violences sur les femmes et les enfants.
Pour le meilleur, le goût du plaisir et de la beauté, le chatoiement des couleurs, la liberté du corps, l’affranchissement de règles patriarcales souvent absurdes, la recherche d’une nouvelle définition de l’autorité, la désacralisation de croyances établies et le refus de la censure, toutes ces acquisitions dont certains voudraient à nouveau nous priver, dans un retour à un ordre moral rigide et régressif.
Les deux minutes de la haine
Car aujourd’hui semble revenu le temps des deux minutes de la haine imaginées par Orwell dans 1984.
« L’horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu’on fût obligé d’y jouer un rôle, mais que l’on ne pouvait, au contraire, éviter de s’y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d’écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l’assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant. Mais la rage que ressentait chacun était une émotion abstraite, indirecte, que l’on pouvait tourner d’un objet vers un autre comme la flamme d’un photophore. »
Rendus impuissants par des technocraties et des bureaucraties souvent aveugles et indifférentes au développement humain, nous voulons garder une bonne image de nous-mêmes et faisons semblant d’être propres sur nous, indemnes de tous les vices que nous attribuons à d’autres, choisis pour être les victimes expiatoires de nos nombreux péchés. La société est malade et nous en faisons tous partie, avec nos dépressions et nos violences ordinaires. Les saints véritables sont rares, contrairement aux donneurs de leçons. La perversion, le mensonge, l’abus de pouvoir sont certes condamnables, mais le lynchage de celui qui est supposé parler mal ou penser mal ne l’est pas moins. Alain Finkielkraut, entre autres, a été victime de ce délit d’expression non orthodoxe. Mais qui sommes-nous pour empêcher des opinions, à moins qu’elles soient diffamatoires, négationnistes de la réalité et clairement mensongères ? Comme le dit à peu près Camille Kouchner qui dépeint la réalité d’un milieu avec ses joies, ses tares et ses souffrances, c’est au pécheur qu’il appartient de reconnaître sa faute et à tous ceux qui l’ont accompagné dans ses errements, amis complices ou aveuglés, parents absents ou inconscients, brûlés à la fois par l’orgueil de la réussite et le désespoir qui invite au suicide. Qui sommes-nous pour nous croire totalement indemnes des maladies d’une époque ?
L’orque Willy avait ému toutes les chaumières d’Europe et d’Amérique. « Sauvez Maurice » prend le relais.
C’est l’histoire d’un jeune marcassin blessé, guéri, recueilli et élevé par Sylvia Bachellerie, aide-soignante en Corrèze. Lorsqu’elle a voulu le relâcher, l’animal sauvage a refusé de quitter sa nouvelle maîtresse. Alors, elle l’a gardé et lui a construit un enclos.
Problème : suite à une plainte anonyme, le tribunal de Tulle a rappelé l’interdiction de posséder un animal sauvage à Sylvia. Les services de la préfecture menacent depuis d’abattre Maurice. Madame Bachellerie aurait dû remplir des papiers et demander une « autorisation de détention d’animal sauvage » – laquelle est rarement accordée. Face à l’aide-soignante corrézienne et aux soutiens de Maurice, la justice avait tenté l’humiliation symbolique : tracasseries, procédures, menaces de représailles, alors que la mort pendait déjà au museau de la malheureuse bête.
Si cette histoire – touchante – n’a pas beaucoup ému le droit et la procédure, un appel en la faveur du sanglier domestique a recueilli 170 000 signatures sur Change.org. Une cagnotte a aussi permis de récolter 7 000 euros pour payer les frais de justice. La préfecture et le tribunal y voient surtout un défi lancé à leur pouvoir. Laisser Maurice en paix, c’est craindre que s’installe une jurisprudence. « Les animaux sauvages sont dangereux pour l’homme et peuvent transmettre des maladies à l’homme », fait valoir le directeur de cabinet du préfet de la Corrèze.
Le sort de Maurice doit être réglé par un procès en correctionnelle début avril. Il risque l’euthanasie, malgré un plaidoyer vibrant en sa faveur de la part de Brigitte Bardot.
La dernière intervention d'Alain Finkielkraut sur LCI a été retirée du site de TF1 Photo D.R.
Après l’épisode LCI, on verra moins Alain Finkielkraut à la télévision et il s’y autocensurera. Par égard pour ses proches. Son exil est une débâcle de la pensée, en tout cas de ce que notre pensée risque de devenir sans l’aide de la sienne. Le plaisir de ne plus subir le prétentieux Duhamel n’est qu’une maigre consolation.
Dans les dommages collatéraux autour de l’affaire Olivier Duhamel, je vois une petite bonne nouvelle et deux grosses mauvaises.
Je commence par la bonne : ceux qui ne veulent plus voir l’homme public ne le verront plus. Le politologue péremptoire qui engluait les débats d’une couche épaisse de bien-pensance, le constitutionnaliste suffisant qui méprisait ses adversaires de son dernier mot sentencieux, le professeur de Science-Po à qui nous devons, avec d’autres, quelques promotions d’élèves censeurs, de petites torquemadames bien remontées et de petits bourricots bien woke, ne paraîtra plus dans les médias. Mais ce n’est pas pour ces crimes contre l’honnêteté intellectuelle ou les générations futures que le gauchiste cultivé tombe, loin de toute justice. C’est pour une affaire de mœurs obscure et prescrite, et qui ne nous regarde pas. On pense à Al Capone le mafieux ou à O. J. Simpson l’assassin qui ont fini à l’ombre pour fraude fiscale ou intimidation.
Ça fait peur comme toujours quand la politique donne dans la vertu et quand la morale des uns vient se mêler de la conduite des autres
C’est une mince consolation quand on compare cette nouvelle aux autres, qui sont mauvaises : La première, plus triste que l’arrivée du corona nouveau ou le départ de Trump, se trouve dans cette phrase d’Alain Finkielkraut lue dans Le Point : « Si je reparais à la télévision, je me censurerai, non pas pour complaire à la nouvelle mode morale, mais pour ne jamais rien dire qui puisse mettre en difficulté les miens. »
L’autocensure d’Alain Finkielkraut promise à la télévision est une débâcle, une défaite de la pensée, en tout cas de ce que notre pensée risque de devenir sans l’aide de la sienne. Le philosophe ne renonce pas à la vérité, il renonce à nous la dire. C’est un désastre, mais c’est devenu trop dangereux. Les vagues de boue qui le visent éclaboussent son entourage alors le jeu n’en vaut plus la chandelle. Qui pourrait l’en blâmer ? Pas moi. Si j’étais connu et si mes enfants étaient encore scolarisés en territoires occupés, défendrais-je encore dans des termes aussi clairs l’idée que l’islamophobie n’est pas un racisme mais un humanisme ? Sûrement pas. Nous ne le verrons donc plus en vrai et en paroles, dans un raisonnement toujours stylé, nous offrir jusqu’à la pointe la plus fine, la plus piquante de sa réflexion. Sur certains sujets, il annonce que dorénavant, il pèsera ses mots, non plus sur la balance de la justesse mais sur celle de la prudence. C’est une catastrophe, surtout pour nous. Désormais, il gardera pour lui, pour les siens et pour les chanceux qui ont son téléphone (fixe), les prodiges de cette pensée complexe qui rend les choses plus limpides. Bien sûr, il continuera de nous rappeler sans relâche ce que peut la littérature, mais dorénavant, il nous laissera seuls, privés de ses lanternes pour percer le brouillard vaseux de l’époque. Seuls, entre Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit, pour déjouer les faux-semblants, les mensonges, les postures, les identités imaginaires, les plis de la pensée, les émotions trompeuses, les enfers pavés de bonnes intentions, les contresens dramatiques, les inexactitudes tragiques, les fascismes de retard des temps présent et à venir.
Les cathos reviennent et ils ne sont pas contents
Il m’arrive de ne pas être d’accord avec Finkielkraut mais alors, je commence par me demander ce qui cloche chez moi et, le temps de trouver, je suis désemparé. Désormais, sans le savoir, je clocherai seul, et j’ai bien peur de finir par errer avec les autres cons entre les mirages et les veaux d’or, dans l’espérance que mon maître à penser par moi-même redescende de son Sinaï privé pour jeter en place publique, à la face d’un peuple inculte et ingrat qui fait peur et honte, de ce troupeau hystérique, de tout ce que le café du commerce fermé pour pandémie vomit aujourd’hui sur la toile de minables anonymes, les tables de la loi de la raison, de la décence et du bon goût, trésors précieux et fragiles de notre civilisation.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, tandis qu’Alain Finkielkraut opère un repli stratégique, les défenseurs de la décence catholique reviennent en force. Les journalistes de Valeurs Actuelles que la dernière hystérie antiraciste déclenchée par un dessin de Danièle Obono en esclave avait mis au piquet (on repense à Geoffroy Lejeune également viré de LCI) reviennent au tableau pour remettre en ordre la morale. Comme des vichystes en 40 qui attribuaient la défaite à la Sociale avec ses abus, ses vacances, ses guinguettes,ses débauches, au bon temps et aux salopes qui nous en donnent, nos gardiens de la contre-révolution tirent aujourd’hui sans sommation sur les soixante-huitards, la libération sexuelle et les mœurs de la gauche caviar, avec ses divorces, ses familles recomposées, ses mâles lubriques, ses mères laxistes et ses jeunes qui se soucient de leur vertu comme de leur première chemise Armani. C’est flippant comme du « Onfray » quand il fait son Robespierre malgré lui, quand l’athée prend ses airs de dame patronnesse de gauche et dénonce « l’alcoolisme mondain des parisiens sur l’ile de Ré » ou quand il reproche à Freud d’avoir caché qu’il couchait avec sa belle-sœur, comme si ces choses pouvaient se pratiquer en toute transparence. Ça fait peur comme toujours quand la politique donne dans la vertu et quand la morale des uns vient se mêler de la conduite des autres. Ainsi, portés par les vagues de l’actualité dans un monde sans repères, les cathos reviennent et ils ne sont pas contents, ils nous l’avaient bien dit. Et alors que notre souci commun pour la civilisation française et notre goût partagé pour la civilité nous avaient fait oublier nos divergences, leur petit côté brigade des mœurs (pas les romans, les flics) nous les rappellent. On repense à la vie de Jésus racontée par Coluche : « Mangez, c’est mon corps, buvez, c’est mon sang, touchez pas, c’est mon cul ! »
Mais en ces temps troublés par une obscure bêtise doublée d’une épaisse lâcheté dans la France d’en haut comme dans celle d’en bas, on se demande où sont planqués ces humoristes qui pourraient, qui devraient venir détendre l’atmosphère. Où sont-ils donc tous ces bouffons patentés qui « dénoncent le politiquement correct » comme le promettent leurs promos ? Où sont-ils passés dans un monde où il faut de toute urgence jouer des coudes pour le maintenir libre et respirable, cernés comme nous le sommes par les censeurs ? On les cherche. Enfin moi J’en cherche un, un humoriste pour adultes, un Timsit ou un Walter parce que j’ai une idée de sketch interdit aux enfants et aux mal-comprenants qui pourrait commencer ainsi : « Pas facile la famille recomposée. C’est dur de supporter les enfants des autres, alors si on ne peut pas en baiser un de temps en temps, franchement, est-ce que ça vaut le coup ? »