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Cold Case: le mépris des ploucs, un racisme autorisé

Ingrid Riocreux se passionne devant les aventures de Lilly Rush quand soudain...


Cold Case: le mépris des ploucs, un racisme autorisé
Kathryn Morris, Jeremy Ratchford, "Cold Case" (1998) © REX FEATURES/SIPA Numéro de reportage : REX43004902_000001

La série Cold Case coche toutes les cases de l’idéologie anti-préjugés, que ce soit dans son casting ou dans ses intrigues. Mais les stéréotypes méprisants visant les « gens du Sud » échappent à tout scrupule moral, semble-t-il.


La semaine dernière, TMC diffusait deux épisodes de la quatrième saison de la série Cold Case: le dixième, « Forever Blue » (titre français : « Partenaires ») et le onzième, « The Red and the Blue » (« Cowboys solitaires »).

Cold Case est une série bien conçue: du suspense, un concept original (résoudre des affaires classées, ce qui donne lieu à des effets d’avant-après, des reconstitutions du passé où l’on voit les personnages plus jeunes et même des moments où, dans une scène du présent, le personnage d’autrefois se substitue à celui qu’il est devenu). Une série vraiment parfaite, idéologiquement irréprochable : l’héroïne est une femme, inspectrice de police, entourée de collaborateurs représentant tous les types humains nécessaires pour composer un casting idéalement anti-discriminatoire, à savoir un gros Noir, un très gros Blanc, un beau gosse hispanique, une jolie métisse, un vieux mâle blanc et, occasionnellement, une asiatique. Il manquait la touche LGBT etc., défaut regrettawe're the lucky ones”, Forever Blue , Cold Case | tell it like it isble que l’épisode 10 de la saison 4, diffusé l’autre jour, est venu combler par son scénario: l’équipe de Lilly Rush découvre que le meurtre d’un policier, commis dans les années soixante, était en réalité un crime homophobe. Cet épisode a reçu, peut-on lire sur internet, un accueil enthousiaste aux États-Unis lors de sa première diffusion en décembre 2006. Le site gay Good As You le qualifie de « Brokeback Mountainesque » (pour rappel, le Secret de Brokeback Moutain est, pour reprendre l’expression de Libé, un « western pédé », ce qui correspond à « l’un des plus tenaces fantasmes homo »). Ce serait, en effet, la première fois que l’on voyait à la télévision, sur une chaîne tout public, un baiser homosexuel torride.Cold Case to Re-Air Episode About Gay Cop Point commun notable avec le Secret de Brokeback Mountain, sorti l’année d’avant, la femme du policier n’a droit qu’à une compassion très limitée. On accorde à ce personnage féminin l’autorisation de dire qu’elle a eu « le cœur brisé » mais l’accent sera mis sur le fait que son mari a « découvert ce qu’il est vraiment ». Reléguée à l’arrière-plan au titre d’erreur de parcours, l’épouse et mère de famille disparaît presque de l’histoire, tandis que le téléspectateur est appelé à souhaiter le bonheur, tragiquement impossible, du nouveau couple. En somme, le premier épisode de la soirée cochait toutes les cases de la morale actuelle. Mais comme par une triste ironie, le second faisait apparaître l’autre face de cette morale: derrière la tolérance qu’elle prône, le mépris qu’elle autorise; derrière les stéréotypes qu’elle combat, ceux qu’elle promeut.

Dans ce second épisode, l’équipe de Lilly Rush veut résoudre le mystère entourant le meurtre d’un chanteur de musique country. Le crime ayant été commis à Knoxville dans l’État du Tennessee, l’inspectrice doit s’y rendre avec un coéquipier mais aucun d’eux ne semble désireux de se joindre à elle pour ce déplacement. La jolie métisse, Kat Miller, manifeste d’emblée un dégoût politique : « le Tennessee, c’est républicain, non? » L’ensemble de l’équipe communie dans un mépris pour les Southerners assumé comme parfaitement consensuel. Il faudra tirer au sort et c’est le beau gosse hispanique, Scotty Valens, qui s’y colle. À leur arrivée sur place, ils sont accueillis par une bimbo à l’air terriblement nunuche et un commissaire de police pittoresque qui indique d’emblée: « on m’appelle Big Daddy ». Lilly Rush et Scotty Valens se lancent des regards de connivence, amusés et mal à l’aise.

Quand on cherche sur la toile, pas un article pour s’intéresser à la réception de cet épisode. Tout le monde voulait savoir comment les gays avaient réagi à un épisode sur les gays (« Forever blue » a sa notice Wikipédia avec une section « réception de l’épisode »), mais personne ne se demande comment les habitants de Knoxville ont vécu cet épisode qui les tourne en dérision avec un aplomb désarmant. Pourtant la matière est là. On la trouve sur l’Internet Movie Database, dans la section « commentaires ». Alors que « Forever Blue » était considéré comme le meilleur épisode de la série et comme un jalon majeur (« milestone ») dans l’histoire de la télévision, « The Red and the Blue » ne retient l’attention que des principaux concernés, lesquels y voient « le pire épisode de la série ».

Le premier de ces deux commentaires (voir capture plus bas) est intéressant parce qu’il dénonce cette représentation comme « incorrect », ce qui peut vouloir dire soit qu’elle est inexacte, soit qu’elle est incorrecte, dans le sens où le camp PC (politically correct) emploie ce mot. Il pointe les « faux accents du sud » et les « noms et surnoms ridicules ». Le second commentaire est plus développé, plus énervé aussi (au point qu’il en devient grossier…) et traduit bien, je pense, la colère des Southerners méprisés, sûrement « républicains », pour reprendre le mot de l’inspecteur Miller sus-cité… et probablement trumpistes. Ce téléspectateur dénonce ici une vision « faussée » et « arrogante » du sud, typique des « élites des deux côtes » pleines de « snobisme »; pour qui les gens de Knoxville ne peuvent être que des « culs-terreux bêtes et incultes qui maltraitent la grammaire et parlent avec un accent traînant » (pour le « southern drawl », voir ici, c’est éclairant).

À quand un « South Lives Matter » ? Dans un environnement idéologique où l’on sacralise la souffrance des gens qui, à tort ou à raison, se sentent blessés par la manière dont on les représente, il demeure admissible de tourner en dérision certaines catégories de personnes. On n’en reste pas moins un héros de la grande cause progressiste, pourvu que l’on valorise les « bonnes » catégories.

lily rush



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Agrégée de lettres modernes, spécialiste de grammaire, rhétorique et stylistique. Dernier ouvrage: "Les Marchands de nouvelles, Essai sur les pulsions totalitaires des médias" (L'Artilleur, 2018)

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