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Kalachnikovs, colloques et lapins en retard

Marc Hecker publie “Daech au pays des merveilles” (éditions Spinelle, 2025)


Kalachnikovs, colloques et lapins en retard
Le chercheur et essayiste Marc Hecker. © IFRI

Si vous cherchez un livre à offrir à Noël aussi bien à un amateur de polar que d’essais géopolitiques, il est encore temps de commander Daech au Pays des Merveilles, publié aux éditions Spinelle par Marc Hecker, directeur exécutif de l’Institut Français des relations Internationales (IFRI) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.

Le roman détaille de façon chronologique les attentats islamistes sur le sol français entre novembre 2013 et avril 2017 vus au travers des yeux de différents personnages (universitaires, journalistes, militaires et même parents de jeunes radicalisés), avec en toile de fond la mise en place de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. Ce n’est certes pas un roman à clefs, pourtant le professeur Rivière, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et principal protagoniste de l’ouvrage, fait furieusement penser à Gilles Kepel: ses désaccords avec un certain « Remy Belleface de l’Institut d’Etudes Mondiales » sur l’ampleur du djihadisme en France et la nécessité de maitriser l’arabe pour sérieusement étudier le phénomène rappelle la controverse entre ce dernier et le politologue Olivier Roy sur le terrorisme qui serait « une islamisation de la violence plutôt qu’une radicalisation de l’islam ». Quant au policier d’origine corse, Ange Requini, il fait inévitablement penser à Bernard Squarcini qui fut à la tête de la Direction Centrale du renseignement Intérieur entre 2008 et 2012. D’autres figures sont familières sans référer à une personne publique en particulier – plutôt à des archétypes. Ainsi la chercheuse Julie Delcamp pourrait être une habituée des tribunes dans Libération : auteure d’une thèse sur « l’engagement féminin dans le djihadisme ou la continuation de la domination masculine par d’autres moyens », elle y explique que « les groupes djihadistes ont généralement des emblèmes phalliques comme des épées ou des kalachnikovs dressées, alors que les mouvements islamistes privilégient le symbole vaginoïdal du croissant de lune ».  

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Le style est drôle, qui contraste avec le tragique des évènements. Alors certes, les personnages principaux manquent un peu d’épaisseur et les scènes de fiction sont parfois empreintes d’un ton didactique (typique il est vrai des romans écrits par des chercheurs), mais la fiction permet de rendre compte de l’incrédulité des autorités françaises face à la menace djihadiste puis du désarroi général : polémiques académiques stériles, impuissances des responsables politiques aux déclarations tonitruantes et difficultés de l’administration de penser sur le long terme, et jusqu’aux autorités militaires qui sortent maladroitement de leur réserve.

Hecker sait de quoi il parle : il a publié en 2021, en collaboration avec Elie Tenenbaum, La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle. On sent même une pointe d’amertume lorsqu’il fait dire au professeur Rivière : « je termine une histoire du djihadisme (…) Je n’en vendrai sans doute pas autant : la science marche moins bien que la vulgarisation ». Car au-delà d’un roman, il s’agit bien d’une sorte de vulgarisation par la fiction. La plupart des essais politiques, mêmes les mieux écrits, vieillissent souvent mal, trop vite datés. Il y a fort à parier que Daech au pays des merveilles (le lecteur comprendra la raison d’un tel titre a la toute fin du livre) pourra se lire dans 10 ou 20 ans comme un résumé succinct mais éclairé des débats, postures et aveuglements face au terrorisme islamiste qui caractérisèrent les années 2010.

300 pages

Daech au pays des merveilles

Price: 18,00 €

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Antoine Schmitt travaille dans l’industrie du traitement de l’eau. Après un début de carrière en France, il habite l’Angleterre depuis 2011. En marge de ses activités professionnelles, il collabore régulièrement au magazine de mode masculine Valet Magazine.

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