Accueil Culture Un film noir du grand Kurosawa dans le Japon des sixties: une redécouverte

Un film noir du grand Kurosawa dans le Japon des sixties: une redécouverte

« Entre le ciel et l’enfer » d’Akira Kurosawa. En salles le 3 septembre 2025


Un film noir du grand Kurosawa dans le Japon des sixties: une redécouverte
"Entre le ciel et l’enfer" / Tengoku to jigoku, de Akira Kurosawa (1963) © Carlotta Films

Prise d’otage haletante à la nippone…


Gondo, industriel parvenu, patron de la National, une puissante marque de chaussures (on apprendra incidemment qu’il doit son ascension sociale à la dot de son épouse bien née), domine la grande ville aux usines fumantes de Yokohama, depuis les baies vitrées de son opulente maison au mobilier high tech, perchée au sommet de la colline, signe ostentatoire de sa réussite. En conflit avec son conseil d’administration, l’homme vient d’hypothéquer ses biens pour devenir actionnaire majoritaire de l’entreprise, lorsqu’un ravisseur, croyant enlever Jun, l’enfant unique du couple, s’empare par erreur de Shin’itchi, le fils du chauffeur. Gondo hésite à payer une rançon exorbitante au péril de ses ambitions matérielles, dans le dessein de sauver l’enfant, et à sacrifier ainsi ses intérêts à la morale.    

Immense succès lors de sa première sortie

Entre le ciel et l’enfer, joyau en noir et blanc exhumé par les soins du distributeur Carlotta, ressort en salles dans une version restaurée 4K. Le film n’a pas la renommée des Bas-Fonds, de Dodes’kaden, des Sept Samouraïs, du Château de l’araignée ou encore de La forteresse cachée, autant de chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa (1910-1998), le prolifique grand maître du Septième art nippon. Immense succès à sa sortie au Japon en 1963, il emprunte très ouvertement aux codes du film noir américain. À l’orée des années 1960, le Japon, faut-il le rappeler, n’est plus formellement sous occupation US mais reste largement sous influence du vainqueur de la Seconde Guerre mondiale. Le film est d’ailleurs une adaptation de Rançon sur un thème mineur, un roman signé du jeune Ed Mc Bain (1926-2005), écrivain new-yorkais plus tard rendu célèbre par les aventures du 87è District. Dans le rôle de Gondo, Toshirō Mifune (1920-1997), l’acteur fétiche de Kurosawa.

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Le premier tiers de ce long métrage de près de deux heures-et-demi est concentré dans le huis-clos de la maison du capitaine d’industrie.  Les policiers y sont en planque, tandis que le kidnappeur, au téléphone, fait part de ses exigences pour récupérer la rançon en cash…

Haletant

À partir de là, le scénario prend une dimension inattendue : dans une deuxième partie haletante, très moderne dans sa facture, Entre le ciel et l’enfer s’ouvre sur l’espace de la ville accablée de chaleur. Autour du jeune inspecteur Tokura, une légion de limiers en chemises blanches, en nage malgré les ventilateurs dont le commissariat est équipé, se lance sur la piste du kidnappeur, munie de gros moyens logistiques et scientifiques (analyse des indices, repérage de la numérotation des billets, interrogatoires des comparses, filatures…). Traque urbaine échevelée, pleine de rebondissements, sur fond de trahison par les acolytes de Gondo. De fil en aiguille l’enquête se déplace dans les bas-fonds de la cité, au milieu des prostituées et des toxicomanes, jusqu’à l’arrestation du cerveau du rapt, un détraqué bientôt condamné à la peine capitale, après que ses complices junkies ont été retrouvés morts, assassinés par overdose de cocaïne!

Extraordinaire, toile de fond d’un suspense ancré dans ce Japon en essor accéléré, la présence étasunienne avérée jusque dans les enseignes (« tailor », « florist », « wc »), et plus précisément encore dans cette séquence de dancing où, sur un rythme de jazz endiablé se trémousse, au premier plan, un Noir américain murgé au scotch ou au gin-fizz… Exacte, scrupuleuse translation des canons du film noir hollywoodien dans l’archipel asiatique.      


Entre le ciel et l’enfer. Film d’Akira Kurosawa. Noir et blanc, Japon, 1963. Version restaurée 4K.  Durée: 2h23. En salles le 3 septembre 2025




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