Le rapprochement entre Paris et Rabat, consolidé par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara, n’a pas seulement des implications diplomatiques. Il s’inscrit aussi dans une réalité plus souterraine: celle de la montée en puissance discrète des services de renseignement marocains. Dans un contexte sahélo-méditerranéen où les repères se brouillent et où la France a vu s’effriter plusieurs de ses leviers d’influence, le Maroc s’impose comme un partenaire crédible, et parfois même incontournable.
La DGED (les renseignements extérieurs) marocaine fait montre ces derniers temps d’une certaine efficacité. Dirigée par Mohammed Yassine Mansouri, elle aurait apporté une aide cruciale aux forces armées nigériennes qui auraient, selon un communiqué officiel, exécuté Ibrahim Mamadou, le chef de Boko Haram sur l’île de Shilawa dans la région de Diffa. Cette secte islamiste à l’origine de dizaines de milliers de morts et de millions de déplacés dans la sous-région est un immense facteur d’instabilité. La France peut donc compter sur cette solidité opérationnelle bénéfique à l’ensemble de la région. À la tête de la DGED, Mohammed Yassine Mansouri incarne cette orientation. Civil dans un univers longtemps dominé par les militaires, condisciple du roi Mohammed VI au Collège royal, il a construit sa légitimité sur le temps long: d’abord à la direction de la MAP (Agence marocaine de presse), puis au ministère de l’Intérieur avant d’être appelé à la DGED en 2005. Sa carrière illustre la volonté de professionnaliser le renseignement extérieur marocain, en le plaçant à l’intersection des réseaux tribaux, des canaux diplomatiques et des coopérations sécuritaires. Africa Intelligence rapportait même il y a quelques mois que la DGED était en pourparlers avec le Niger pour faire libérer le président Mohamed Bazoum, que la France a demandé à Niamey. Une libération qui avait été évoquée lors de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat à l’automne dernier.
La DGST (les renseignements intérieurs), dirigée par Abdellatif Hammouchi n’est pas en reste sur un front finalement très complémentaire. Spécialiste des réseaux islamistes radicaux, M. Hammouchi a imposé au fil des ans une discipline de fer à ses troupes et transformé la DGST en référence mondiale dans la lutte antiterroriste. Sa nomination à la tête de la DGSN (police nationale) en 2015 a permis de fusionner les cultures policière et renseignement. Ses méthodes, marquées par la tolérance zéro, ont valu à ses services une crédibilité inédite auprès des partenaires européens. Ses services sont ainsi à l’origine de l’arrestation de figures du narcobanditisme hexagonal, comme Félix Bingui l’un des chefs du gang Yoda qui se cachait au Maroc. En ce mois d’août, le remorqueur Sky White battant pavillon camerounais était interpellé au large des îles Canaries avec trois tonnes de cocaïne à son bord grâce à l’idée de la DGST marocaine qui a fourni à la garde civile espagnole des renseignements et un appui opérationnel essentiel.
Des succès qui aiguisent les convoitises
Dans le nœud sécuritaire que représente actuellement la Méditerranée et l’Afrique sahélienne, encore récemment illustré par les violentes purges au Mali, la France ne peut plus compter sur la collaboration active de nombreux pays comme c’était naguère le cas. La tension énorme avec l’Algérie qui a atteint son apex en ce début de mois d’août l’aura encore démontré. En creux s’ajoutent aussi des difficultés plus ou moins publiques avec certains de nos alliés traditionnels européens, à l’image de l’Italie qui a toujours porté un regard envieux sur l’influence française en Afrique et s’est récemment de nouveau rapprochée d’Alger. Une danse du ventre qui a bien sûr trouvé un écho favorable du côté du régime algérien, englué dans sa politique répressive qui a conduit deux de nos compatriotes derrière les barreaux – Boualem Sansal et le journaliste sportif Christophe Gleizes.
Notre partenaire principal pour trouver des solutions dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité du Sahel se trouve désormais à Rabat. Car, il faut le reconnaitre : nous ne parvenons plus à communiquer directement avec les autorités de transition là où les Marocains sont désormais capables de jouer les intermédiaires. La libération, en décembre dernier, de quatre agents français de la DGSE détenus à Ouagadougou, fruit d’une intercession directe de Mohammed VI auprès des autorités de transition, l’a rappelé et fut très appréciée des services français.
Cette situation privilégiée excite le voisin algérien. Ainsi, depuis quelques semaines, des rumeurs se font entendre. Il y aurait au sein du Maroc une guerre « entre espions » opposant la DGED de M. Mansouri au pôle DGST / DGSN dirigé par Abdellatif Hammouchi. Certains verraient-ils d’un mauvais œil cette réussite opérationnelle et les bons rapports entre les services marocains et français ? L’emphase mise dans les médias algériens autour du cas de Mehdi Hijaouy peut le laisser penser ainsi que diverses publications dans la presse espagnole. Présenté en témoin de moralité et en ex-numéro deux de la DGED, l’homme a quitté les services en 2010 et a des problèmes judiciaires bien réels puisqu’il est accusé de fraudes et d’aide à l’immigration illégale. Peu de rapport direct donc avec une hypothétique « guerre des services ».
Cette campagne informationnelle sur les réseaux sociaux est d’ailleurs peut-être aussi alimentée par des services concurrents. La presse espagnole glosait ainsi récemment dans El Independiente autour d’une « guerre des services » alors que la DGST et la DGED n’ont ni les mêmes missions ni les mêmes périmètres : l’une agit sur le territoire national, l’autre à l’extérieur. Début août, du reste, les deux patrons du renseignement ont passé plusieurs jours ensemble lors d’un séminaire de réflexion stratégique. Ce rendez-vous portait sur les menaces asymétriques et visait à renforcer la liaison interservices dans la lutte contre les trafics transfrontaliers reliant le Sahel à l’Europe. En fait d’une guerre entre les deux principaux services marocains, il semble plutôt que des services extérieurs cherchent à en semer une… Lesquels ? Poser la question revient peut-être à y répondre.
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