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Le baroque en sursis

Festival des arts baroques de Sablé: un héritage menacé


Le baroque en sursis
© Festival de Sablé

Depuis près d’un demi-siècle, les élites de la musique baroque se produisent à Sablé (72). Mais avec un budget amoindri, l’ampleur du festival se réduit douloureusement.


C’est un joyau qui depuis un demi-siècle bientôt donne à entendre et à voir le meilleur de la musique et de la danse baroques en France.

Mais un joyau qui n’a jamais  trouvé (à l’exception notable de l’église Saint-Louis de La Flèche) l’écrin qu’il mérite : le théâtre, le château, la chapelle qui serait à même d’exalter, dans un cadre à sa mesure, la beauté de ce que l’on y voit ou entend.

© Stevan Lira

Un majestueux château

Etrange destinée que celle de ce Festival des arts baroques de Sablé né dans un lieu que rien de prédisposait à recevoir tant de merveilles. On y découvre des chefs d’œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles exécutés par les solistes les plus brillants, les meilleures formations, les musiciens (ou les danseurs) les plus talentueux, mais dans d’aimables églises de villages qui n’ont rien d’exceptionnel ou, à Sablé même, dans une église néo-gothique aux beaux volumes, mais dont l’acoustique est défaillante. Ou encore dans une salle de spectacle confortable, mais incluse dans un centre culturel sans caractère datant de la fin des années 1970 ce qui dit combien il représente la fâcheuse antithèse des fastes ou des beautés baroques.

Dommage ! Il existe bien, à Sablé, un imposant château édifié à l’aube du XVIIIe siècle qui abrita cette marquise de Sablé si renommée en son temps, puis des ducs de Chaulnes de la maison d’Albert de Luynes au XIXe siècle. Mais il passa entre des mains bourgeoises qui lui firent  subir une lamentable destinée avant qu’il ne soit converti dans les années 1980 en atelier de restauration des ouvrages  endommagés de la Bibliothèque nationale.  Avec sa façade majestueuse, mais quelque peu lépreuse, ainsi que sa terrasse spectaculaire dominant théâtralement la Sarthe et la petite cité, il pourrait être le somptueux écrin qui fait défaut au festival. Encore faudrait qu’il soit libéré par l’Etat de ses fonctions actuelles, comme cela est annoncé, et que sa configuration intérieure permît d’y recevoir des concerts. 

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Mais il y a plus préoccupant : le financement du festival et l’âge du public.

Celui du Festival de Sablé est assurément des plus exemplaires. Fidèle, averti, curieux et sans doute dépourvu de ce snobisme qui n’est pas garant de recueillement et d’attention, il a le mérite de suivre avec ferveur ce qui s’y déroule. Mais en accompagnant une manifestation qui célébrait cette année sa 47e édition, il a inéluctablement vieilli. Les sexagénaires y font figure de galopins  et  la plupart des concerts, hors les artistes, sont désertés par toute figure de moins de cinquante ans.  D’où espérer dès lors un renouvellement du cheptel ?  La direction artistique a beau fermer les yeux en pratiquant la politique de l’autruche, le problème est aigu et d’autant plus inquiétant que le festival est une perle baroque dont on ne peut que souhaiter la pérennité.

Comme dans un régime totalitaire

Il est aussi exposé à une vraie calamité : les pouvoirs locaux, l’autorité régionale en l’occurrence, incarnée par une enragée qui, en cherchant à faire de légitimes et souhaitables  économies, sabre à tout va dans le budget culturel le faisant passer de 14 millions  d’euros à 4,5 millions (moins 73%), sans être capable d’effectuer des choix judicieux dans ces coupes drastiques. On peut certes effectuer des économies. Encore faut-il que ce soit à bon escient, sans pénaliser de remarquables entreprises avec la même fureur qu’on peut mettre à suspendre toute aide à des manifestations d’un intérêt discutable. Mais comment espérer rencontrer du discernement dans le domaine des arts chez les politiciens de province quand à Paris on attribue le ministère de la Culture à quelqu’un qui apparaît comme caricaturalement inculte ?

Du jour au lendemain, et avec une brutalité digne d’un régime totalitaire,  la présidence de la Région des Pays de Loire a supprimé l’aide fort modeste de 50 000 euros qu’elle apportait au Festival de Sablé. Outre les respectables recettes (billetterie et mécénat local) qu’engrange le festival et qui se montent à 100 000 euros, restent la participation de l’Etat (20 000 euros), celle du département de la Sarthe (57 000 euros), et celle de la municipalité qui se chiffre à 123 000 euros. Le maire de la petite ville a réagi avec noblesse en assurant le festival de son soutien indéfectible et en le projetant vers sa cinquantième édition. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Le budget artistique du festival n’est que de 150 000 euros (cachets, hébergement et déplacements des artistes), ce qui est bien peu en regard de son rayonnement et du prestige qui a été le sien. Quant à son budget de fonctionnement, il entre dans celui du centre culturel portant le nom de l’ancien maire Joël Le Theule et que dirige Roland Bouchon. Les prix des billets courent de 40 à 12 euros. 12 euros pour les auditeurs de moins de 26 ans, bien plus rares, hélas ! que ne le sont les chevreuils dans les forêts des châteaux alentour. Plus invisibles encore sont les membres de la considérable communauté africaine installée dans la région en tant que main d’œuvre dans l’industrie alimentaire.

Alors que le  Festival de Sablé doit douloureusement réduire sa durée, le nombre des concerts et la variété des sites où ils se donnent, il y a un trésor à protéger autre que le seul festival : cette profusion de jeunes musiciens de talent, ces formations de chambre remarquables qui cherchent, découvrent, exhument, ressuscitent des musiques  injustement oubliées parfois ou maintiennent vivant avec foi et enthousiasme un répertoire fabuleux. Ils ne bénéficient pas des honneurs qu’on accorde dans les médias au moindre crétin qui brame dans un micro et se ridiculise à force de contorsions sur des podiums devant des foules  décervelées.  Mais ils appartiennent à l’élite du monde artistique et de la société, ils participent à l’identité, à la richesse culturelle du pays. Et à ce titre ils méritent qu’on les soigne alors que l’existence des festivals est pour eux essentielle.

Un chef d’œuvre d’élégance

Cette année encore, chaque concert aura délivré des moments exceptionnels :

cette partition d’un auteur anonyme allemand exécutée par l’ Ensemble Théodora (violon baroque, viole de gambe, théorbe et clavecin) qui est l’exemple même de la ferveur, de la fraîcheur et de l’esprit d’aventure que dispensent ces jeunes formations de musiciens passionnés ; cet aria, « Sovente il sole », extrait de l’ « Andromeda liberata » de Vivaldi, chanté de façon proprement céleste par le contre-ténor Carlo Vistoli accompagné par les musiciens des Accents, et qui suivait un magnifique « Stabat Mater » du même Vivaldi sous la direction de Thibaut Noally ; ces admirables concertos pour deux, trois ou quatre clavecins de Bach, dont jouent avec allégresse et jusqu’à l’envoûtement  Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Violaine Cochard et Jean-Luc Ho, comme dans le largo du concerto en la mineur BWV 1065, accompagnés qu’ils sont par cinq autres excellents musiciens (violons, alto, violoncelle et contrebasse) de l’ensemble Le Caravansérail ou dans la transcription du troisième Concerto brandebourgeois pour  quatre clavecins;  la voix de la contralto Anthea Pichanick dans le « Stabat Mater » de Pergolèse exécuté par l’Ensemble Il Caravaggio sous la direction de Camille Delaforge.

Et enfin ce trio dansé extrait du spectacle « Que ma joie demeure », chorégraphié par Béatrice Massin pour sa Compagnie des Fêtes Galantes : un trio qui est un pur chef d’œuvre d’élégance, de spiritualité, d’équilibre et de douceur.


La prochaine et 48e édition du Festival des arts baroques de Sablé aura lieu du 19 au 22 août 2026.



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