Peut-être vous demandez-vous quelle mouche nous a piqués pour consacrer notre dossier d’été à une notion aussi évanescente et fort éloignée, semble-t-il, des préoccupations immédiates de nos contemporains – même si beaucoup ressentent douloureusement une absence qu’ils ne savent plus nommer.
Cette mouche, c’est notre ami Jean-Michel Delacomptée. En février, il a publié une somme magistrale justement intitulée Grandeur de l’esprit français (Cherche midi), en dix portraits, d’Ambroise Paré à Saint-Simon en passant par François II, Racine, La Fontaine et Bossuet. « Pour évaluer une société, écrit-il, il faut examiner le sort qu’elle réserve à l’esprit. Cette touche d’aérien, de soyeux, d’ample, de délié. D’aristocratique, finalement, si l’on admet que l’aristocratie représente moins une classe sociale que le goût des discours élevés, des profondeurs subtiles et des formes tenues, à rebours du nivellement faussement démocratique qui les écrase. » Autant dire que notre époque, qui déteste les hiérarchies et pratique l’avachissement de masse, coche toutes les cases du saccage.
Si les artistes et les auteurs interrogés dans nos pages ont chacun leur propre conception de l’esprit français, tous sont d’accord pour déplorer son lent effacement, ne serait-ce que parce qu’il ne peut naître que dans cet incubateur qu’est la langue française, dont Jean-Luc Mélenchon demande qu’elle soit désormais appelée « notre langue créole commune ». Alors que nous n’aimons plus guère les choses de l’esprit et tendons à exécrer tout ce qui est national, l’esprit français s’apparente à un chef-d’œuvre en péril, un de ces biens immatériels dont on découvre le besoin qu’on en avait au moment où ils disparaissent.
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Toutefois, il y a deux façons de s’emparer de cet objet insaisissable, selon qu’on le regarde avec les yeux de la lucidité ou ceux de l’amour.
La première, c’est de considérer l’ensemble des traits de caractère et des comportements qui, au fil des siècles, sont devenus une manière d’être, autrement dit de tout prendre, le pire et le meilleur. On mentionnera alors, à côté d’un esprit frondeur qui a engendré Molière et Astérix, une tendance à la délation, courant de la Terreur au wokisme en passant par la Collaboration, ou encore, les oscillations entre l’amour de la liberté et l’accommodement avec la servitude. Sans parler des passions tristes que sont l’envie, la jalousie et la haine impuissante, qui ont fleuri sur notre obsession de l’égalité. En somme, on admettra que, comme chez n’importe quel peuple, et du reste chez tout être humain, l’esprit français fait cohabiter grandeur et petitesse. Dans ce registre légèrement grinçant, Peggy Sastre l’identifie comme la cohabitation « entre l’élan et la lâcheté, la révolte et la soumission, entre l’admirable et le mesquin ».
Mais on peut aussi définir l’esprit français à partir du roman national, ce grand récit que nous nous faisons de notre histoire. On ne conserve alors que les mille facettes de ce diamant singulier qui attirait autrefois les artistes et qui fait aujourd’hui courir les touristes. Peut-être est-ce parce qu’ils sont doués pour le bonheur que Frédéric Beigbeder, Franck Ferrand et bien d’autres se consolent de la médiocrité des temps présents par les merveilles léguées par le passé, qui ne sont pas seulement des cathédrales et des châteaux mais aussi le goût de la conversation civilisée et l’art de parler aux femmes – et des femmes.
C’est cela que nous avons voulu retenir, cette fête des sens et de l’intelligence que célébrera prochainement le musée du Grand Siècle à Saint-Cloud. Un anti-musée de l’immigration pour ainsi dire, imaginé pour tous ceux qui, dans le monde, vibrent encore au mot « France », évocateur de douceur de vivre et de majesté, de belle ouvrage et, peut-être plus encore, de légèreté. N’oublions jamais ce qu’écrivait Montesquieu, qui s’y connaissait en esprit, il y a très exactement trois siècles : « La gravité est le bouclier des sots. »
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