Cet été, deux immenses cinéastes français disparus vont illuminer les salles obscures. On ne peut pas en dire autant des nouveaux films…
Monsieur Claude
Claude Chabrol, première vague, à partir du 9 juillet.
Cinquante-sept films, 23 téléfilms, 50 millions de spectateurs, mais aucun César ni aucun prix à Cannes. On peut ainsi quantifier la filmographie de Claude Chabrol, l’ogre joyeux, malicieux et acide du cinéma français durant trois quarts de siècle. Une œuvre en dents de scie, si l’on en croit la doxa, mais quel cinéaste peut prétendre au contraire (Charles Laughton ayant eu la sagesse de ne réaliser qu’un seul film, La Nuit du chasseur, et c’est un monument) ? Alors oui, évacuons d’entrée de jeu les ratages plus ou moins absolus que sont, par exemple, Marie-Chantal contre le docteur Kha, La Route de Corinthe, Docteur Popaul, Les Magiciens ou bien encore Folies bourgeoises. Oublions-les d’autant plus qu’ils ne font pas partie de cette première salve de ressorties estivales, sous l’égide du distributeur Tamasa, de 12 films, 12 pépites, à voir et à revoir au cinéma sans jamais se lasser. Les citer intégralement est déjà un plaisir et une promesse : Le Beau Serge, Les Cousins, Les Godelureaux, Landru, Les Biches, Les Bonnes Femmes, Le Boucher, La Femme infidèle, Juste avant la nuit, Les Noces rouges, Que la bête meure et La Rupture. Que du bon, vous dit-on, voire du très bon et même de l’exceptionnel. D’abord parce que tous ces films sont portés par des acteurs absolument formidables qu’il faudrait aussi tous nommer, y compris ces seconds rôles, comme Dominique Zardi et Claude Piéplu, dont Chabrol se délectait et nous avec. De Jean-Claude Brialy à Bernadette Lafont, de Jean Yanne à Stéphane Audran, de Michel Piccoli à Michel Bouquet en passant par Charles Denner, Michel Duchaussoy et Caroline Cellier, c’est un sidérant festival de masques, de gueules et de beautés. Mais à la base de tout, il y a des scénarios parfois coécrits en compagnie de « pointures », tel le mystérieux et très talentueux Paul Gégauff, toujours sur des cahiers Clairefontaine de 80 ou 100 pages, car, disait Chabrol : « Ça me permet de donner le gabarit à chaque scène. À la fin, je sais que je dois tenir en quatre-vingts pages, cent pages maximum. Dès que j’ai une seule rature, j’arrache la page et je recommence. C’est un très bon système pour avoir les idées claires ! » Chacune des histoires que raconte Chabrol compose une sorte de « comédie humaine », ambition déclarée de cet admirateur sans bornes de Balzac, Maupassant, Flaubert et Simenon, pour décrire avec brio la France bourgeoise, montante, déclinante puis implosée des années 1960 jusqu’au début du siècle suivant. Tout en y mêlant une implication intime et personnelle qu’il a ainsi qualifiée : « Mes films ne sont pas autobiographiques dans l’anecdote, mais par les sentiments que j’y mets. »
Si l’on ne devait retenir qu’un seul des 12 films proposés, ce serait le trop méconnu Juste avant la nuit, écrit par Claude Chabrol d’après The Thin Line (L’Étau) de l’écrivain libanais de langue anglaise Edward Atiyah et sorti sur les écrans en 1970, après La Rupture et avant La Décade prodigieuse. On y retrouve Bouquet, Audran, Duchaussoy, François Périer et Jean Carmet. Chabrol estime peu le roman initial, il s’agit surtout pour lui de donner à l’un de ses films précédents (et quel film !), La Femme infidèle, une image inversée tel un négatif photo. Soit l’histoire d’un homme qui trompe sa femme, assassine sa maîtresse et veut confesser son meurtre à son épouse. Le résultat est un film vénéneux à souhait, avec en son centre le personnage du mari joué par Michel Bouquet qui déclara un jour : « C’est le plus beau film que j’ai fait dans ma vie. » Il ne se trompait pas.
Oncle Marcel
Rétrospective Marcel Pagnol (partie 2), à partir du 30 juillet.

Le cinéma de Pagnol est définitivement sorti du carcan provençal et pittoresque dans lequel certains l’ont trop longtemps enfermé. Une nouvelle rétrospective avec six films distribués par Carlotta permet d’apprécier les différentes facettes de ce merveilleux conteur d’histoires tour à tour joyeuses, tragiques et fortes : depuis Naïs, Merlusse, Cigalon, Manon des sources et Ugolin jusqu’aux Lettres de mon moulin adaptées évidemment d’Alphonse Daudet. Sur grand écran, la magie Pagnol opère à chaque fois : la magie du verbe, la magie des acteurs (Fernandel en tête), la magie d’une mise en scène limpide et fluide. Par-delà des décennies, les films de Pagnol ne cessent de nous parler, développant des « caractères » et des fables pour adultes qui visent toujours juste. Aux côtés de Guitry, Renoir, Grémillon et quelques autres, le cinéaste fait partie intégrante d’un panthéon cinématographique de première importance.
Cousine bête
Alpha, de Julia Ducournau
Sortie le 20 août

Depuis une Palme d’or obtenue en 2021 avec l’ineffable Titane, Julia Ducournau se pose en égérie de la nouvelle vague des cinéastes français, ou des réalisatrices faudrait-il plutôt écrire tant la dimension du genre est ici présente. Mais avec Alpha, son nouveau film reparti totalement et heureusement bredouille de Cannes cette année, la machine connaît manifestement quelques ratés. Il faut dire qu’on serait bien en peine de comprendre quoi que ce soit d’un scénario alambiqué qui prétend être une réflexion sur la maladie, la mort et les épidémies. Rien que ça. Le tout servi ou plutôt desservi par des images ultra-travaillées qui se veulent comme autant de moments chics et chocs. À la vacuité du propos correspond ainsi une emphase stylistique sans limites. Si c’est cela le renouveau du cinéma français, il serait temps de s’inquiéter.





