Les salariés de RSP Sécurité manifestent contre la CADEMA : « On veut nos salaires »
Près de cinquante employés, impayés depuis cinq mois, ont dénoncé devant le siège de la communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou l’absence de règlement des prestations de sécurité des transports publics qu’ils assurent en pleine rentrée scolaire.
« Cadema paye nos factures », « Président descends », « On veut nos salaires ». Les slogans ont résonné plus de deux heures mercredi 27 août 2025 devant le siège de la CADEMA, la Communauté d’agglomération de Dembeni-Mamoudzou, à Mayotte. Près de cinquante salariés de la société RSP Sécurité, accompagnés de leur dirigeant Stéphane Labache, se sont rassemblés pour dénoncer le non-paiement de leurs salaires depuis cinq mois dans un contexte rendu encore plus pressant avec la rentrée scolaire. « Nous sommes fiers d’être des opérateurs de sécurité sur le territoire mais d’être aussi indirectement des opérateurs du service public de l’Éducation nationale », explique Stéphane Labache.
Des factures impayées depuis février
Une double crise, sociale et d’ordre public avec une cause : aucune facture n’a été réglée par la CADEMA depuis février 2025, malgré l’exécution régulière des missions de sécurisation et de prévention des transports confiées dans le cadre d’un marché public, selon RSP Sécurité et ses avocats, Me Garrouste et Me Bernardini, avocats au barreau de Paris, venus spécialement sur place trouver une sortie de crise et soutenir les salariés.
La situation est qualifiée par l’entreprise d’« irrégularité totale » vis-à-vis des règles applicables à la commande publique. « Nous travaillons dans le cadre du marché public de sécurisation et de prévention des transports publics, mais nous ne sommes plus payés. Nos familles souffrent, et nous ne voyons aucune volonté politique de régler ce conflit », déplore l’un des salariés, signataire de la pétition réclamant le paiement des prestations. Ils sont 120 dans cette situation, tous employés sur recommandation claire de la CADEMA. « Nous avons fait récemment l’objet de pressions politiques, de tentatives de débauchages, de promesses… la seule condition : se désolidariser, ne pas suivre le mouvement et ne pas critiquer la CADEMA », se désespère un agent de sécurité. Sa fonction : surveiller, sécuriser et prévenir tout risque dans les transports publics de la CADEMA, utilisés, notamment, mais pas exclusivement, par des élèves de l’académie de Mayotte.
Après le 23 septembre, date de la première échéance du marché, « nous risquons de perdre nos emplois définitivement par la faute du président Moudjibou qui semble se préoccuper plus de son image que du sort des salariés mahorais », poursuit ce salarié.
Silence des autorités locales
Durant la manifestation, aucun représentant de la CADEMA n’est venu rencontrer les protestataires. Contacté sur son téléphone personnel, le président de la collectivité, Saidi Moudjibou, est resté injoignable. La préfecture de Mayotte, également interpellée par plusieurs alertes, n’a pas donné suite aux sollicitations du dirigeant de l’entreprise, alors même qu’un décret du 31 juillet 2025 élargit, selon les manifestants, les prérogatives du préfet sur ce type de dossiers sensibles.
Les services déconcentrés de l’État (DREETS, DRFIP, préfecture) ainsi que les cabinets de l’ex-Première ministre Élisabeth Borne et du ministre délégué Thani Mohamed Soilihi — en amont ou à l’occasion de leurs venues sur l’île fin août — ont été alertés « sans succès », déplore la direction de RSP Sécurité.
Matignon saisi du dossier
En revanche, Matignon aurait été informé de la situation lors de la manifestation. D’après les informations recueillies, le collectif des salariés aurait pris attache non seulement avec le cabinet du Premier ministre, mais également avec la ministre du Travail, et s’apprêterait à solliciter l’intervention du ministre d’État Manuel Valls, très engagé sur le dossier de Mayotte.
Dans un contexte national tendu, à moins de deux semaines du vote de confiance prévu le 8 septembre, la pression monte : « Les conseillers de cabinet et les directeurs d’administrations centrales ne peuvent plus ignorer cette crise où l’État semble, jusqu’ici, refuser d’écouter ou d’agir », souligne une source proche du dossier.
Pour les avocats, la responsabilité politique de l’État pourrait être recherchée en cas d’impasse et d’inaction. Le dirigeant de RSP Sécurité l’assure : « J’ai embauché chacun des salariés présents à la demande du président de la Cadema. Je leur dois un salaire. Je me battrai jusqu’au bout pour qu’ils obtiennent leur rémunération », déclare le dirigeant de la société aux côtés de ses employés devant la grille de la CADEMA.
Une collectivité déjà éclaboussée par des scandales
La mobilisation des salariés s’inscrit dans un climat institutionnel territorial marqué par des affaires judiciaires et un climat de suspicion autour des collectivités territoriales de l’île. La CADEMA est déjà visée par plusieurs rapports critiques de la Cour régionale des comptes. Son précédent président a été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, assortis de quatre ans d’inéligibilité, pour prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme. Récemment, trois rapports visant le Conseil départemental ont accusé celui-ci d’être « un frein au développement » de l’île. Dans ce dossier d’impayés, la CADEMA ne fait pas exception.
Une situation dénoncée comme « un scandale républicain »
Aux côtés de l’entreprise et des salariés depuis plusieurs mois, les avocats Maître Bernardini et Maître Garrouste se disent « scandalisés » par l’absence de réponse de la CADEMA. Ils dénoncent une situation « indigne d’un État de droit » et rappellent qu’« il est inconcevable que des salariés employés dans le cadre d’un marché public par une collectivité territoriale soient laissés sans salaire depuis cinq mois en raison de la faute exclusive de l’ordonnateur. Ce qui se passe à Mayotte ne pourrait pas exister en métropole ». Selon eux, le dossier dépasse le seul cadre social : « C’est un sujet de justice sociale, d’ordre public, mais surtout d’ordre républicain. Paris a désormais la possibilité de pousser la solution d’un règlement rapide de ce conflit. Nous sommes prêts et avons déjà formulé des propositions », insistent-ils.
Le précédent des impayés du printemps
Ce nouveau blocage intervient quelques mois après une crise similaire. Au printemps 2025, plusieurs entreprises locales, confrontées à des retards massifs de paiement de la part de collectivités, avaient menacé de suspendre leurs activités. La situation avait conduit le président de la République, Emmanuel Macron, à intervenir personnellement pour débloquer des fonds et apaiser la colère des acteurs économiques.
Les salariés de RSP Sécurité redoutent aujourd’hui que la même inertie ne replonge à nouveau l’économie mahoraise dans une spirale sociale et politique.
Offensive judiciaire et nouvelle mobilisation
Face à l’impasse, RSP Sécurité a multiplié les actions en justice : un référé provision a été déposé devant le tribunal administratif en juin, suivi d’un recours préalable indemnitaire et d’une plainte contre X pour intimidations, appels malveillants et menaces. Les salariés, réunis en collectif, annoncent la création prochaine d’une association déclarée en préfecture afin d’amplifier et poursuivre leur mobilisation. « Nous reviendrons faire le siège de la CADEMA tant que nos droits ne seront pas respectés et nous irons à la rencontre de toutes les autorités compétentes », préviennent-ils.




