Accueil Site Page 1126

Stratégie vaccinale française: et si la lenteur avait eu du bon?

0

Depuis le démarrage de la vaccination contre la Covid-19 en décembre dernier, la stratégie vaccinale adoptée par le gouvernement est sévèrement critiquée. Cette stratégie de la lenteur n’aurait rien d’un choix élaboré en amont et ne serait que le reflet des insuffisances logistiques de notre pays. Et si malgré tout la France remplissait ses objectifs, à la fin?


Certes la France souffre de penchants logicistes qui la conduisent souvent à vouloir faire entrer de force la réalité dans ses considérations abstraites, d’une suffisance et d’une obsession  littéraire qui la portent à produire d’épais rapports émanant de différentes autorités ou institutions : pour la vaccination contre la Covid-19 nous disposons ainsi d’un document relatif à la stratégie vaccinale contre la Covid-19 de 50 pages de la Haute Autorité de Santé à destination des citoyens, des professionnels de santé et des pouvoirs publics, un guide de 45 pages du Ministère de la Santé à destination des directeurs d’établissement hébergeant des personnes âgées, un document de 60 pages du Ministère de la Santé à destination des professionnels de santé.

Certes la stratégie vaccinale de la France est critiquable à certains égards

Quand on est lesté d’une conviction forte dans la marche à suivre, le changement de direction est un exercice laborieux. Ce qu’on peut reprocher au gouvernement n’est pas sa prudence initiale, mais de ne pas avoir anticipé un éventuel changement de stratégie, comme une accélération de la vaccination (basée sur les données rassurantes issues des pays qui ont vacciné en masse, incitée par des citoyens français plus favorables à la vaccination). Le gouvernement avait clairement identifié les personnes à vacciner en priorité dès le 3 décembre, une stratégie précisée par la suite par l’HAS : 752 000 personnes âgées et 90 000 professionnels exposés. Les consentements de ces personnes n’auraient-ils pas pu être recueillis avant le 27 décembre ? Cela aurait peut-être permis la mise en place d’une logistique d’approvisionnement plus flexible, plutôt que de devoir se retrancher derrière un protocole consistant à recueillir un consentement cinq jours avant de vacciner, protocole qui n’a fait que renforcer les méfiances autour du vaccin alors qu’il ne sert qu’à laisser le temps de faire remonter le nombre de doses nécessaires.

A lire aussi, Jean Nouailhac: La France sous la dictature du fonctionnariat

Autre reproche que l’on pourrait adresser à nos dirigeants : la communication. Pourquoi renoncer si facilement à défendre une stratégie ? Et même si cette stratégie découle en partie de défaillances logistiques, pourquoi les tendre ainsi pour se faire battre ? Pourquoi laisser systématiquement les critiques émanant de l’opinion publique et des médias lever le voile sur les désaccords ou les défaillances de notre Etat ?  Le mécontentement du président qui fuite à dessein dans le Journal du dimanche nous laisse entrevoir un portrait peu flatteur de nos dirigeants, celui de timorés qui n’auraient pas su défendre leur point de vue lorsque la situation l’exigeait et qui lorsque les faits ou l’opinion publique leur donnent raison a posteriori, tout gonflés d’orgueil, brandissent pathétiquement l’opinion dont ils ont été dépossédés.

Enfin, on peut regretter le tirage au sort d’un collectif de citoyens chargés de suivre la campagne de vaccination contre la Covid-19, un gadget cognitif de plus destiné à restaurer le « sentiment de démocratie ». Un gadget qui souffre en outre d’un biais non négligeable dans la représentativité de la population qu’il est pourtant sensé assurer : ce collectif sera vraisemblablement composé de personnes favorables aux vaccins, d’hésitants et d’antivaccins en proportion égale. Or les proportions de ces courants ne sont pas égales au sein de la société française.

Mais lorsque l’on fustige le professeur Alain Fischer, alias « monsieur vaccin », parce qu’il reconnait ne rien connaitre à la logistique, on verse dans la critique stérile. Le rôle du Pr. Fischer est celui d’expert médical et scientifique chargé de répondre à des questions médicales et scientifiques. Pour ce qui est de la logistique, l’Etat aurait fait appel à une expertise étrangère. Quoi qu’il en soit nul besoin d’entendre un « monsieur logistique » pérorer. On attend de la logistique uniquement des résultats : que les doses de vaccins soient acheminées dans de bonnes conditions et là où elles doivent l’être, en temps, en heure et en nombres.

Le cœur du sujet est bien là:

La France est-elle capable de répondre au défi logistique posé par la vaccination de masse, qui plus est avec un vaccin aux conditions de conservation et de transport contraignantes (conservation entre -60 °C et -80 °C, utilisation des cinq doses, donc cinq patients, contenues dans une fiole dans les six heures une fois le vaccin reconstitué) ? Quelques jours après le lancement de la première phase de vaccination le 27 décembre, les premières critiques en provenance des partis de l’opposition et de certains scientifiques et médecins commençaient à poindre. Sur quoi reposaient-elles ? Comme souvent avec notre voisin germanique qui sait si bien nous faire de l’ombre, nos chiffres n’ont pas souffert la comparaison : dans la même période de temps l’Allemagne avait vacciné cent fois plus de personnes que nous. Et la presse étrangère (la campagne de vaccination française est un « scandale d’État » pour The Daily Telegraph et « un désastre » pour Die Welt) n’a pas manqué de s’engouffrer dans cette compétition visant davantage à mettre en exergue les insuffisances des uns pour mieux dissimuler celles des autres, plutôt qu’à susciter l’émulation. Certes avec 5000 vaccinés au 5 janvier, nous sommes loin du million de vaccinés du Royaume-Uni ou des 400 000 allemands vaccinés. Mais la situation est-elle aussi dramatique que le dépeignent nos voisins ou une partie des Français ?

Si la France parvient à accélérer la vaccination dans les semaines à venir il est possible que ce qu’elle considère désormais être un retard n’ait pas de grandes conséquences. En effet, les capacités de production de vaccins n’étant pas infinies, il est possible que les différences en termes de proportions de personnes vaccinées entre pays européens s’estompent dans les mois à venir.

Faut-il pour autant rougir du pari initial de la lenteur?

En termes de coût économique, pas pour le moment, car tous ceux qui croient en l’idée d’une « vaccination contre liberté retrouvée » et donc « santé économique retrouvée » se trompent. Il n’existe pas à ce jour de garantie sur l’efficacité du vaccin à long terme ou face à d’éventuelles mutations du virus. Cela signifie que rien ne sert de courir après le vaccin : la fin des confinements itératifs et des masques n’est pas pour tout de suite. Le Royaume-Uni qui a vacciné près d’un million d’habitants a dû adopter ce lundi des mesures de confinement aussi drastiques que lors de la première vague.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Quand la culpabilisation des Français ne marche plus…

En termes de santé, non plus, puisque la stratégie de la lenteur est une stratégie de la prudence, tant réclamée par les citoyens français[tooltips content= »Par ex., selon le sondage Harris Interactive pour LCI publié le 20 août, 63% de français sont favorables au port du masque en extérieur ou encore selon une étude Harris interactive pour LCI publiée le 9 décembre, 69% des Français se prononcent pour la poursuite du confinement après le 15 décembre, 53% pour une interdiction des déplacements inter-régions pour les fêtes »](1)[/tooltips]. Un nouveau médicament testé initialement sur « seulement » 20 000 personnes et destiné à en traiter plusieurs milliers de fois plus devrait toujours être utilisé avec prudence. Et ce d’autant plus que la maladie qu’il vise à combattre ne constitue pas un péril pour la société en tant que telle, la menace de la Covid-19 résidant davantage dans les peurs qu’elle génère et les décisions de santé publique qui en découlent.

Enfin, le but n’était-il pas d’amener doucement les Français réfractaires à la vaccination ? En quelques jours de polémique qui a donné l’impression que nous étions lésés par rapport à nos voisins, l’adhésion à la vaccination a gagné plus de dix points[tooltips content= »Selon un sondage IFOP paru le 7 janvier 2021, « la proportion de Français se disant prêts à se faire vacciner augmente de 12 points entre décembre 2020 et janvier 2021, passant de 39 % à 51 %. » (https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/01/117825-Rapport-CN-SR-N121.pdf) »](2)[/tooltips]. A la façon du papier toilettes devenu au début de la pandémie une denrée essentielle que tout le monde s’arrachait. Si l’Etat français a perdu la capacité de défendre ses idées face à une opinion publique qu’il révère, comme à les exporter à l’étranger, il aura au moins gagné ce pari qu’il n’avait probablement pas imaginé remporter ainsi, celui de rendre le vaccin contre la Covid-19 plus attractif.

Retour à Paris

0

Le billet du vaurien


Ce 25 / 12 / 2020

Sans doute eût-il mieux valu que je ne revienne pas à Paris. Quitter le Lausanne-Palace pour ce studio exigu où se bousculent des souvenirs, mais où plus personne ne m’attend, quelle étrange idée. J’y ai passé près de quarante ans. La moitié de ma vie. Et maintenant je peine à grimper les escaliers. Cette expédition est la dernière, me suis-je dit en arrivant au cinquième étage.

Mon cadeau de Noël pour ma première nuit rue Oudinot fut une insomnie tenace accompagnée de maux d’estomac. Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie, surtout la nuit. J’ai cherché quelques compagnons. Les noms qui me sont venus à l’esprit, sont toujours les mêmes : Imre Kertész, Thomas Bernhard et, bien sûr, Cioran. Tous des enfants de la Mittel Europa. Albert Caraco soulageait également mes brefs cauchemars. Avec lui, le suicide n’est pas seulement une injonction, mais un acte. J’avais laissé mon flacon de Nembutal à Lausanne par peur d’un contrôle à la douane. Quel idiot je fus ! Il ne faut jamais voyager sans son sirop mexicain. Me jeter par la fenêtre ? Je n’en aurais pas eu le courage. Ce n’était pourtant pas l’envie qui me manquait. Il ne me restait plus qu’à me souhaiter « Joyeux Noël » puisque plus personne ne le ferait. Et à écouter quelques Schlager pour me bercer en attendant que la nuit s’achève. Mais elle ne s’achèvera jamais et il n’y aura plus d’aubes glorieuses, me suis-je dit encore.

Ce 28 / 12 / 2020

Les femmes savent-elles écrire ? Parfois, certes. Bien que j’en doute. Il leur manque le sens de l’absurde et du dérisoire. Jeunes, elles sont prisonnières de leurs sentiments. Vieilles, de leurs ressentiments. Rares sont celles qui parviennent à s’échapper. S’il me fallait en retenir une, ce serait Dorothy Parker dont l’épitaphe gravée sur son urne funéraire: « Excusez- moi pour la poussière » est un trait de génie. D’ailleurs maintenant que j’y pense, toutes les femmes devraient s’excuser pour la poussière…

Il n’est guère surprenant que Dorothy Parker se soit liée d’amitié avec les Fitzgerald et, bien sûr, avec Louise Brooks. J’ai éprouvé également une certaine sympathie pour Anaïs Nin qui se réjouissait d’avoir couché avec son père. C’est un aveu qu’on ne trouve jamais chez nos écrivaines contemporaines. Mais pour le ressentiment, force m’est d’admettre qu’elles sont imbattables, Annie Ernaux en tête.

Extraites de ses « Hymnes à la haine », voici comment Dorothy Parker les décrit:

« Et puis il y a les Petites Fleurs Sensibles,
Les Pelotes de Nerfs…
Elles ne ressemblent pas aux autres et ne se privent pas de vous le rappeler.
Il y a toujours quelqu’un pour froisser leurs sentiments,
Tout les blesse… très profondément,
Elles ont toujours la larme à l’œil…
Ce qu’elles peuvent m’enquiquiner, celles-là, à ne parler jamais que des Choses Réelles,
Des choses qui Importent Vraiment.
Oui, elles savent qu’elles aussi pourraient écrire…
Les conventions les étouffent :
Elles n’ont qu’une seule idée, partir… partir Loin de Tout !
Et moi je prie le Ciel : oui, qu’elles foutent le camp !

>>> Lire la suite <<<

Le règne de l’image est un retour au bac à sable

0

« La chose », rapportait Michel Deguy dans un entretien au Monde de 2016, « est […] menacée par son devenir image, ce qui est une affaire sans précédent. J’observe qu’on ne dit presque plus, dans le propos courant ou médiatique, « l’islam » mais « l’image de l’islam », ni « l’autorité », mais « l’image de l’autorité ». » L’Occident en vacances a en effet le sens des cartes postales…

Mais ce ne sont pas seulement les choses, ai-je voulu expliquer dans un article précédent, qui sont appelées à devenir image ; ce sont encore les êtres, et dans une dimension  plus littérale peut-être que celle suggérée par Michel Deguy. Le selfie, écrivais-je ainsi, ne marque pas une infatuation du Moi, mais une anémie de l’Être : si le photomaniaque contemporain « mitraille tout ce qui bouge, et son visage au premier plan, c’est qu’il s’escrime désespérément à combattre le dépérissement de sa réalité par son archivage sous forme de mégapixels ; de ses images, il attend véritablement qu’elles le substantifient ».

Or, le choix de l’image comme médium terminal de notre dissolution n’est en rien arbitraire, au contraire, mais épouse le profond mouvement de régression anthropologique qui marque notre époque – savoir, son infantilisation -. Avec la prévalence, chaque jour constatable, du principe de plaisir sur le principe de réalité, la primauté du visuel sur l’écrit est une des manifestations les plus exemplaires des velléités contemporaines de sortie de l’âge adulte – dont on pourrait d’ailleurs faire l’autre nom de la sortie de l’Histoire -.

L’endurance à l’amertume

Cette prééminence de l’image sur le texte est en effet caractéristique des premières années de l’existence, où l’enfant n’a pas encore appris à lire, mais peut d’ores et déjà se plonger dans les illustrations accompagnant les histoires qu’on lui raconte. L’écrit, lui, en revanche, est un univers dans lequel il faut être intronisé ; c’est une société qu’on ne pénètre pas si on n’en maîtrise pas les codes. La sophistication qu’il constitue implique donc un apprentissage, sous peine, autrement, d’en rester à l’hermétisme. Sa maîtrise traduit à la fois un processus de civilisation de l’individu, et une montée en maturité de celui-ci, une capacité – au moins momentanée – à se détourner du principe de plaisir ; dans les deux cas, donc, un départ de la petite enfance[tooltips content= »Chacun, d’ailleurs, peut faire l’expérience du caractère supérieurement astreignant de l’écrit sur l’image. La plongée dans un livre exige une disponibilité d’esprit supérieure au visionnage d’une série ; l’effet de césure est moins immédiat, et requiert davantage d’efforts de notre part. Fatigué, c’est la seconde que nous privilégions, plus prompte à nous satisfaire, n’exigeant généralement de nous qu’un investissement minimal. L’image, en effet, s’accommode d’une attention dispersée, d’une concentration émiettée ; elle tolère l’éparpillement, permet la réalisation concomitante d’autres tâches. Le zapping est un papillonnage télévisuel ; il n’a pas vraiment d’équivalent livresque. La lecture, au contraire, est une activité pivotale, qui nous rive à son objet ; elle absorbe qui s’y exerce : si notre esprit est occupé à autre chose, les mots n’y impriment pas, et il faut de nouveau sillonner le passage trop hâtivement parcouru. A la différence de l’image, elle ne se satisfait pas d’une attention partielle ou relâchée, et refuse les hommages distraits que lui rendent les dilettantes ; pour se livrer, elle exige une cour assidue et exclusive, c’est-à-dire la focalisation de l’esprit, et la persévérance dans l’effort de concentration – toutes qualités que j’associe à l’âge adulte. »](1)[/tooltips].

A lire aussi: Martine ne sait plus lire

C’est l’image de la coupe de miel aux bords amers, à laquelle recourt Alain dans ses Propos sur l’éducation : le maître qui aura obtenu de ses élèves qu’ils la préfèrent à celle dont le nectar lasse vite, mais séduit à la première lampée, est celui qui aura su les hisser à l’état d’hommes. « Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue ; tel est l’appât qui convient à l’homme ; c’est par là seulement qu’il arrivera à penser au lieu de goûter« . Autrement dit, l’adulte, c’est celui qui s’est bâti une endurance à l’amertume, cette âpreté et cette angularité que présente toujours le réel, en comparaison de la douceur sucrée et de la moelleuse rondeur qu’offrent spontanément l’idéal et le rêve. L’homme se confronte à la résistance que lui oppose le monde concret, il en supporte les camouflets cuisants infligés à ses désirs ; l’enfant, au contraire, esquive cette lutte par l’échappée onirique, dont le propre justement est qu’elle ne décevra jamais ses prétentions.

La catharsis moderne : une purgation de l’ambivalence

Nous en arrivons, je crois, à ce qui fait véritablement l’avantage évolutif, pour parler comme Darwin, de l’image sur le texte à notre époque : son apparence d’univocité, quand l’écrit, lui, apparaît toujours porteur d’une dangereuse ambiguïté. Pour le dire autrement, l’image est prisée comme reflet monolithique de la réalité ; et le roman, à l’autre bout du spectre, fui au contraire comme fractalisation de celle-ci. La distance qu’il suppose, le détachement qu’il installe, la contradiction qu’il autorise, sont passés de mode. L’essor de l’auto-fiction, en particulier sous sa forme victimologique, doit ainsi s’entendre comme la prospérité de ce que la « littérature » peut produire de plus monolithique, c’est-à-dire de plus péremptoire et de plus militant, donc de moins romanesque : une sorte de Pravda en format poche.

Tel le crocodile de Siam, ou le rhinocéros de Sumatra, l’ambivalence est une espèce en voie de disparition ; et pour cause : on la traque. Or l’écrit, par sa structure même, est plus sujet à l’héberger que le visuel. Deux individus, ayant lu la même description d’un lieu ou d’un personnage, les concevront toujours différemment ; un cliché ou un plan, au contraire, leur en fixeront une représentation identique. Bien souvent même, ils effaceront dans leurs esprits les premiers aperçus mentaux qui s’en étaient formés. Leur format imprime directement le cerveau, là où le texte implique au contraire la médiation déformante de l’imagination[tooltips content= »On pourrait d’ailleurs documenter, dans le monde de l’image même, le recul de la place accordée à cette faculté de l’esprit humain. La suggestion y reflue, au profit du littéralisme et de la crudité. Là aussi, la transparence fait son œuvre : l’esquisse laisse sur sa faim, l’explicite est exigé. Il faut du réalisme, aussi bien dans les étreintes que dans les scènes de violence. Le charme des voiles n’est plus goûté, on souhaite voir les chairs nues ; et l’on n’est pas surpris, dès lors, du recul de l’érotisme, et de la prospérité de la pornographie. »](2)[/tooltips].

A lire aussi, du même auteur: L’Occident épuisé s’endort. Tous ses habitants se transforment en couch potatoes

Au roman, bouillon de culture de l’ambiguïté, répond ainsi l’image, citadelle attendue de l’univocité[tooltips content= »NB : je ne prétends pas moi-même que ce soit effectivement toujours le cas ; je dis seulement que c’est cette apparence de vérité indépassable que l’époque goûte dans l’image. « L’image, elle, ne ment pas » : voilà l’illusion sur laquelle son prix moderne repose, feignant d’ignorer ce qu’un plan doit à son cadrage, et une vidéo à son montage. »](3)[/tooltips]. Elle est la clef de voûte de notre époque – occupée à la purgation de l’ambivalence comme l’Antiquité grecque pouvait l’être à celle de ses passions -, la pierre qui en parachève l’arche. Il faut donc en attendre de nouvelles expansions sur les terres anciennement acquises au romanesque.

La relégation du romanesque dans les prétoires: de la procédure contradictoire au tout-camescopique? Parenté de l’image et du nombre

Dès lors, tout indique que l’institution judiciaire, c’est-à-dire la scène sur laquelle l’homme moderne pratique sa catharsis, sera un théâtre privilégié de cette évolution. On voit mal en effet comment l’image, et l’illusion de la clôture définitive qu’elle apporte, n’en viendrait pas à supplanter dans des proportions croissantes l’antique processus contradictoire – pôle du romanesque -, visant à faire émerger une vérité – toujours boiteuse, quelque part à jamais provisoire -, de la confrontation des récits et des argumentaires. A ce titre, le photomaniaque que j’évoquais plus haut est un avant-gardiste qui voit plus loin que moi : il a compris que l’avenir était au tout-camescopique, et s’y est converti avec une avance de phase[tooltips content= »Pour l’heure, on multiplie les caméras dans l’espace public ; et on en réclame le port généralisé aux seuls policiers et gendarmes. Mais c’est qu’on est timide ; la logique à l’œuvre implique que cette pratique essaime, et aille bien au-delà. Armé de l’inébranlable bonne conscience que confère l’interminable liste d’accusations n’ayant pas abouti en raison du doute bénéficiant à la défense, on en exigera l’utilisation jusque dans le gynécée – que dis-je, jusque dans la chambre des enfants ! Et qui s’y opposera ? Il faudra bien finir par en porter une, ne serait-ce que pour pouvoir se disculper d’ailleurs… Comme toujours, la complainte du victimocrate est un chant qu’aucun bouchon de cire n’empêche de porter. »](4)[/tooltips] [tooltips content= »Quant au crépuscule de la procédure contradictoire, le mouvement au nom délicieusement poétique de « balance ton porc », avec l’accueil vibrant qui lui fut fait, et les suites politico-médiatiques qu’il continue d’avoir, m’en semble une attestation des plus éclatantes. »](5)[/tooltips]

Je profite également de ce développement pour souligner que cette illusion de la clôture définitive n’est pas exclusive à l’image ; mais qu’elle irrigue aussi la passion moderne pour le nombre, autre objectivation censément résolvante. A cet égard, et j’en resterai à cette possibilité esquissée, on pourrait utilement mettre en regard la prééminence contemporaine de l’image sur le texte avec ce qu’Alain Supiot, dans ses leçons prononcées au Collège de France, a décrit comme le passage d’un « gouvernement par les lois à une gouvernance par les nombres », sous-tendu par l’imaginaire de l’ordinateur. Ce dernier, d’ailleurs, semble faire des progrès plus rapides dans l’intellection des images que dans celle des écrits…

La traque de l’ambivalence dans les textes: leur nécessaire sous-titrage

Mais précisément, revenons-en à ces derniers. Car la battue moderne menée contre l’ambiguïté s’est propagée jusqu’en leur sein, et s’est traduite par deux évolutions que je trouve remarquables tant elles ont force d’exemples. La première, c’est ce que j’appellerais l’exigence croissante de sous-titrage des textes, qui prolonge l’appauvrissement des proses et la raréfaction de l’emploi de figures rhétoriques risquant de susciter l’incompréhension du lecteur. On a la hantise de la méprise. Si on s’essaie à faire de l’humour, voire même à manier l’ironie, on prend soin de l’expliciter, car notre interlocuteur pourrait se méprendre. Le quiproquo est l’ennemi numéro 1 ; alors, comme l’écrit ne trahit pas notre état d’esprit avec la même évidence que notre visage, on s’auto-sous-titre de manière ridicule, supprimant du même coup la complicité intellectuelle que ces modestes subtilités supposaient et faisaient naître avec le lecteur.

A lire aussi, Olivier Amiel: Autant en emporte le « Woke »

Le plus souvent d’ailleurs, cette auto-explication de texte à laquelle nous nous livrons spontanément adopte une forme non-textuelle tout à fait conforme à la régression anthropologique dont ce souci témoigne : c’est l’émoticône, quintessence véritablement bonsaïesque de la modernité. On y trouve en effet, en modèle réduit, bien des traits de ce qui en fait le miel sans égal : le pathos à fleur de peau et la sensiblerie toute puissante ; la marque d’une misère langagière telle qu’elle ne permet plus la transcription littéraire des ressentis ; le simplisme général des formes évoquant les illustrations des livres de notre petite enfance ;  la colonisation de l’écrit même par l’image ; etc., etc., etc.

Le personnage Shun Gon du film Disney les Artistochats est aujourd'hui considéré comme problématique par la doxa diversitaire...
Le personnage Shun Gon du film Disney les Artistochats est aujourd’hui considéré comme problématique par la doxa diversitaire à cause du stéréotype qu’il véhicule sur les Asiatiques…

Avertissement: vous entrez en zone non-univoque !

Deuxième floraison remarquable occasionnée par cette purge de l’équivoque conduite jusque dans les textes : la multiplication et l’épaississement des appareils critiques, appelés à devenir bientôt plus volumineux que les œuvres mêmes auxquelles ils s’additionnent, tant l’effort de contextualisation à faire est grand pour éviter la syncope du lecteur moderne, toujours prêt à défaillir d’indignation à l’idée qu’un homme, un jour, quelque part, ait pu représenter une réalité ne cadrant pas avec le catéchisme progressiste de notre siècle. L’inactualité d’une pensée constitue désormais une violence latente dont le découvreur contemporain pourrait ressortir durablement traumatisé s’il n’y était convenablement préparé ; pour prolonger la métaphore végétale sur laquelle j’ai ouvert ce paragraphe, il s’agit donc proprement de l’y acclimater, pour que le changement de latitudes mentales auxquels sa lecture le destine ne lui soit pas fatal. Tel est le souci, proprement infantilisant, qui guide la constitution de ces gloses[tooltips content= »Ces merveilles sont aujourd’hui réservées aux œuvres dites problématiques, mais cette catégorie s’élargissant chaque jour, il n’y a pas à douter de la prospérité de cette industrie. La mort programmée de la littérature n’aura donc pas entraîné de suppressions d’emplois, pourrons-nous ainsi nous réjouir ; cela dit, nous serons sans doute trop occupés à passer les chefs d’œuvre des siècles antérieurs au tamis de l’esprit du temps pour nous rendre compte que nous n’en produisons plus – est-ce d’ailleurs au futur que je doive m’exprimer ? – … »](6)[/tooltips].

On notera d’ailleurs que les États-Unis, qui ont en la matière une avance à nous faire pâlir d’envie, ont su tout récemment, avec Autant en emporte le vent, étendre cette pratique méritoire aux productions cinématographiques. Attention, danger: ambiguïté en approche! faudra-t-il prochainement afficher à l’écran avant chaque scène « problématique ». Cela risque d’hacher le visionnage des films, mais qui sait ? cette innovation se mariera peut-être harmonieusement avec l’intercalation des généreuses tranches de publicités dont la télévision américaine est si friande…

Propos sur l'éducation, suivis de Pédagogie enfantine

Price: 15,00 €

17 used & new available from 5,50 €

PS: On se trompe cependant si on en reste à l’infantilisation ; car ce retour à la minorité de l’esprit se double d’un hiver de l’aspiration nietzschéenne à la puissance, absolument inconnu au petit d’homme, et caractéristique au contraire d’une avancée cruelle en âge. Sénilité: tel serait ainsi le terme vraiment juste pour faire le diagnostic global de notre civilisation, combinant régression des esprits à l’état d’immaturité enfantine, et avachissement des corps et des vitalités. Ici, j’en suis resté au seul premier aspect.

Victoire de Keira Bell contre les médecins d’une «clinique du genre»


Royaume-Uni: désormais, il faudra s’en remettre à la justice avant de soumettre un corps sain d’enfant à des manipulations médicales. Keira Bell réclamait justice à la clinique qui lui a fait changer de sexe trop vite


Keira Bell rêvait d’être un garçon. À 16 ans, la jeune Anglaise est reçue au GIDS (« Gender Identity Development Service »), clinique publique dédiée aux enfants « présentant des problèmes d’identité de genre ». Après trois séances de psychothérapie, on la dirige vers un service d’endocrinologie pédiatrique qui lui administre des bloqueurs de puberté, puis des injections de testostérone. À 20 ans, on lui prescrit une double mastectomie. À 23 ans, Keira déplore son état hybride, entre deux sexes, dans ce corps de femme pourvu d’une voix d’homme et de cicatrices en guise de seins, et veut éviter aux autres ce « parcours de torture ». Aussi a-t-elle intenté une action en justice contre le GIDS pour l’avoir orientée hâtivement vers des traitements délétères.

La Haute Cour de justice anglaise lui a donné raison. L’arrêt rendu le 1er décembre 2020 contrecarre l’action des associations transgenres qui, à coups de procès en transphobie, avaient réussi à étouffer le débat médical autour de la dysphorie de genre et à imposer l’idée folle selon laquelle certains « naissent dans le mauvais corps ». Ce jugement est une victoire pour la protection des mineurs. Le texte établit que les bloqueurs de puberté ne sont pas « une pause pour laisser le temps à l’enfant de choisir son sexe », comme l’affirme la propagande. Ils ont des effets physiques et psychiques ravageurs. Un jeune de moins de 16 ans n’a pas la maturité suffisante pour donner son consentement à une médication dont il ne peut appréhender les effets sur sa libido, sa fragilité osseuse, sa fertilité. La Cour a qualifié les bloqueurs de puberté de « traitements expérimentaux ».

Désormais, il faudra s’en remettre à la justice avant de soumettre un corps sain d’enfant à des manipulations médicales. On ne peut s’empêcher de se demander comment on en est arrivé là. Ce procès n’est pas la première réplique judiciaire du tsunami provoqué par cette théorie du genre qui veut nier nos fondements biologiques. Et ce ne sera certainement pas la dernière.

Assa Traoré: le soutien très gênant de la youtubeuse Nadjélika

0

La youtubeuse Nadjélika va être jugée le 3 mars 2021 pour avoir traité un policier noir de « vendu » en juin 2020, au cours d’une manifestation organisée par le comité Adama Traoré. Lors d’un passage au tribunal cette semaine, elle semblait ne plus du tout assumer devant des journalistes son propos racialiste et antirépublicain. Elle est défendue par le compagnon de Cécile Duflot. Benoît Rayski préfère encore s’en amuser…


Il parait qu’une personne de race noire peut traiter un autre Noir de « vendu » ! Un Juif serait donc autorisé à dire « sale Juif » à un autre Juif ? Voilà une question qui mérite d’être approfondie.

A lire aussi: Ce que cache la une du «Time» avec Assa Traoré

C’était lors d’une manifestation organisée par Assa Traoré. Parmi les policiers il y en avait un qui était noir. En conséquence de quoi Nadjélika, youtubeuse très suivie, l’a traité de « vendu ». Vendu aux Blancs bien sûr ! Nadjélika est une personne raffinée. Elle aurait pu lui dire « suceur de Blancs », « Bounty » ou « enculé de ta race ». Elle ne l’a pas fait. Ce qui nous permet d’affirmer qu’elle a un charmant côté Princesse de Clèves.

Qu’il nous soit permis de la féliciter. Mais le policier « vendu » n’a pas apprécié et a porté plainte. Un tribunal, vendu aux Blancs, statuera le 3 mars prochain sur le sort de Nadjélika. Quittons-la maintenant. Car elle est juste ennuyeusement hystérique.

Le 2 juin, la manifestation du comité Assa Traoré dégénère à Paris © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460788_000002
Le 2 juin, la manifestation du comité Assa Traoré avait dégénéré © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460788_000002

Quand l’antiracisme militant devient raciste…

Il y a bien plus intéressant qu’elle: son avocat Arié Alimi. Ce maître du barreau, qui forme un couple harmonieux avec Cécile Duflot, est spécialisé depuis des années dans la dénonciation des violences policières et du soit-disant « racisme systémique » de l’État français.

À un journaliste qui lui demandait s’il n’y avait pas un peu de racisme dans le « vendu » de sa cliente, il a répondu qu’il ne pouvait pas y avoir de racisme entre personnes racisées.

Voilà qui nous ouvre des horizons prometteurs pour l’avenir.

A lire aussi: La vérité sur l’affaire Adama Traoré

Selon la jurisprudence Alimi un Noir pourrait traiter un autre Noir de « négro ». Un Arabe aurait toute latitude de dire « bougnoule » à un autre Arabe. Et un Juif pourra lancer « youpin » à un autre Juif.

Enfin les langues vont pouvoir se délier et les cent fleurs s’épanouir. Reste qu’un goy ne pourra pas dire « youpin » à un Juif. Il sera interdit à un souchien de traiter un Arabe de « bougnoule ». Et qu’un Blanc ne pourra pas dire « négro » à un Noir. Des progrès considérables restent à faire.

Quand la culpabilisation des Français ne marche plus…


La stratégie perverse — et inefficace déployée par les gouvernants pendant l’épidémie fait penser à du sado-masochisme. Mais les Français sont de plus en plus lassés par les incohérences de leur Maître… L’analyse de Jean-Paul Brighelli.


La structure perverse suppose la culpabilisation d’autrui — puis sa punition. Il est entendu que si la punition est bien réelle, la culpabilité, elle, est imaginaire — ce sont les meilleures…

J’ai un peu étudié la structure perverse à l’œuvre dans les relations sado-masochistes, pour préfacer les récits de mon ami Hugo Trauer rassemblés dans les Patientes en 2004. Mon analyse était limitée aux relations entre Maître et Esclave, et ne concernait que des jeux plus ou moins cinglants entre adultes consentants.

Je n’aurais jamais pensé que le schéma que j’établissais alors (faiblesse initiale, construction d’une culpabilité, aveu, châtiment et réconfort — ad libitum) serait susceptible de s’appliquer à la politique menée par le gouvernement dans ce contexte d’urgence sanitaire.
Et pourtant…

A lire aussi: A-t-on encore le droit de s’interroger sur les vaccins à ARNm?

La fascination de nos élites dirigeantes pour l’univers anglo-saxon, dont la morale puritaine se charge si facilement de culpabilité, explique sans doute leur recours, depuis bientôt un an, à cette stratégie perverse. Le premier confinement a fonctionné comme punition a priori — et la punition, comme chez les enfants, justifie la culpabilité, même quand celle-ci est nulle. Les Français ont encaissé, face à un mal dont ils ignoraient tout, l’idée que c’était par eux que le virus passait. Cette stratégie a marché un temps : les enfants sont coupables de contaminer les adultes, qui contaminent les vieux, qui meurent. À cause de leurs descendants, et pas du tout parce qu’on leur administre du Rivotril. 

On accepte donc toutes sortes de vexations, comme les Soumis(es) acceptent des punitions imposées par le Maître ou la Maîtresse.

Et comme dans les structures perverses, les châtiments ont suivi une courbe de progression. Port du masque, puis confinement, puis ausweis, puis amendes. Variante additionnelle : couvre-feu de plus en plus tôt. Punition additionnelle, plus de café ni de bière au bistro, librairies, cinémas et théâtres fermés, plus de possibilité de rencontrer autrui. Et discours réitérés sur notre responsabilité dans la mort de nos aînés.
Comme il n’est pas facile de contrôler à distance, les autorités ont eu recours à l’usage massif de la télévision, instituant des rituels à heures fixes — les apparitions supposées angoissantes de Jérôme Salomon et autres prêcheurs d’apocalypse. Bien sûr, l’effet s’essouffle. D’où le rythme accéléré des interventions de nos dirigeants, Premier Ministre et Président de la République, qui obéissent à la même stratégie de fascination : « Aie confiance », siffle le serpent Kâ à l’oreille de 68 millions de Mowglis fascinés.

Jérome Salomon, directeur général de la Santé, l'une des nombreuses institutions du système de santé français © VAN DER HASSELT/POOL/SIPA 00952657_000037
Jérome Salomon, directeur général de la Santé, l’une des nombreuses institutions du système de santé français © VAN DER HASSELT/POOL/SIPA 00952657_000037

Le problème, c’est que dans un pays de culture catholique (l’usage de la confession délivre les fidèles de toute culpabilité de longue durée — quant à l’islam, il ne connaît que la culpabilité d’autrui), de surcroît largement agnostique et de tradition libertine, le binôme culpabilisation / punition ne marche qu’un temps. Les vexations sont déjà beaucoup moins bien acceptées que dans les pays anglo-saxons qui servent de modèles à nos élites mondialisées : la construction d’une réponse européenne globale à l’épidémie butte sur cette différenciation entre pays du Nord et Etats du Sud. Le premier confinement jouait sur l’effet de surprise, le second n’a pas été pris au sérieux, le prochain n’aura aucune marge.

D’autant que le discours du Maître doit être cohérent. Il ne peut pas interdire d’un côté l’accès aux remontées mécaniques des stations de ski et autoriser par ailleurs les escaliers roulants du métro. Le Maître doit aussi alterner répression et conciliation : mais de gestes de réconfort, ce gouvernement se montre particulièrement avare.

On sait que la relation du Maître et de l’Esclave est dialectique. Dans les relations SM, c’est le Masochiste qui fixe les limites, et non le Maître. Il dispose par exemple d’un mot-code pour interrompre le châtiment. Sitôt que l’Esclave s’aperçoit qu’il domine en fait le Maître, c’en est fait du stratagème pervers. 

A lire ensuite: Covid-19: errance en terre inconnue

Le peuple français a réalisé depuis fin octobre que les règles qu’on lui imposait n’avaient d’autre fonction que de créer encore de la dépendance et de l’asservissement — l’effet sur l’épidémie tardant à se concrétiser, c’est le moins que l’on puisse dire. Prétendre que « les Français ne sont pas raisonnables », c’est encore une fois chercher à instaurer une culpabilité qui est globalement rejetée : l’épisode grotesque des vaccinations (un joli rituel susceptible de faire mal) et le ratage complet de l’opération inscrivent dans l’opinion publique la certitude de la carence du Maître, déjà bien ancrée par la polémique sur les masques et les ratés du dépister / isoler. Le taux de Français rejetant l’idée même de vaccination prouve assez que les Maîtres n’ont pas su vendre aux esclaves leur dernière idée de sanction.

Or, dès qu’un soupçon d’incompétence du Dominant effleure la conscience du Dominé, la relation se renverse. La perversité demande une application constante, une imagination brillante, et s’appuie tout de même sur une demande. Mais la demande aujourd’hui va vers plus de liberté et moins de contraintes. L’information sur le coronavirus se précise, et le discours terrorisant sur les variantes anglaise ou sud-africaine, qui toucherait prioritairement les enfants, bla-bla-bla, peine à trouver un écho dans l’opinion. Nous sommes en train de nous secouer de l’entreprise perverse qui a tenté de nous accabler. La relation sado-masochiste entre les « élites » et les masses s’inverse, et le retour de bâton, si je puis dire, sera terrible.

On imaginait Trump mauvais perdant, mais pas à ce point!

0

Il nous a volé un peu de notre rêve américain


Le seul mérite que Trump a eu est de n’avoir jamais dissimulé qu’il ne respecterait pas les résultats de l’élection s’il était déclaré perdant: parce que pour lui, ils seraient alors nécessairement truqués.

Il l’a dit, il l’a répété, il l’a martelé. Et il n’a cessé, au fur et à mesure que la judiciarisation forcenée qu’il avait mise en œuvre pour contester l’incontestable ruinait ses espérances, de demeurer pourtant dans le même registre. On était prévenu mais on n’osait pas penser qu’il irait aussi loin, au point de délibérément fragiliser le socle démocratique américain, le Capitole, symbole et lumière. Certains de ses partisans républicains, fanatiques et irrespectueux, chauffés à blanc par lui, ont pris à la lettre ce que Donald Trump continuait à proférer, malgré l’élection de Joe Biden : menaces et volonté sadique de battre en brèche une tradition et une civilité démocratiques trop honorables et honorées. Quatre morts et plusieurs blessés dans les marges de cette incroyable irruption collective contre laquelle la police du Capitole, pas assez nombreuse malgré les alertes, n’a pu faire preuve de suffisamment de résistance.

Joe Biden semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump!

Je n’ai pas eu tort de défendre certains aspects de la politique de Donald Trump sur le plan national – l’économique et le social au meilleur jusqu’à la calamiteuse gestion de la Covid-19 – et dans le domaine international où son caractère atypique, imprévisible, a su faire bouger des lignes qu’on croyait intangibles. Il a retiré son pays de théâtres guerriers même si évidemment il a porté atteinte à un multilatéralisme qui s’était accordé sur certains points fondamentaux comme le climat.

A lire aussi, Gil Mihaely: Joe Biden: le fossoyeur des classes moyennes sera-t-il leur sauveur?

Je me doutais qu’il serait mauvais perdant mais pas à ce point. Son refus obstiné d’admettre sa défaite ne relevait plus du combat légitime qui autorise le vaincu à user de toutes les ressources de la loi pour voir reconnaître ses droits, mais de l’expression caractérielle d’un tempérament incapable de supporter l’humiliation suprême de cette déconfiture. Il est clair qu’en ayant incité ses partisans à investir le Capitole, Trump a commis une faute gravissime, offensante pour la démocratie américaine et qui va cliver encore davantage le parti républicain entre pro et anti Trump. Ensuite il a calmé le jeu: c’était bien le moins. À cause sans doute de la réprobation des anciens présidents américains et de la semonce européenne sur sa déplorable attitude. Même si tout au long de son mandat Trump a été victime de l’opposition systématique des médias et d’un opprobre politique qui méconnaissait même ce qu’il avait accompli de bien, il serait faux de prétendre que cette hostilité générale a engendré le Trump caricatural, souvent aux limites du déséquilibre, inquiétant même si parfois lucide dans ses intuitions et ses analyses. C’est sa personnalité qui a créé la détestation dont il a été l’objet.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Mais il faut raison garder: ce n’est pas la fin du monde et encore moins celle de la démocratie américaine même si je partage le sentiment de beaucoup qu’avec ce Capitole envahi, c’est un peu de notre rêve américain qu’on nous a volé. Un trésor intouchable a été violé. Il n’empêche que rien ne m’est apparu plus inutilement mélodramatique que l’intervention de notre président en pleine nuit avec le drapeau américain derrière lui. Je sais que les Français adorent se mêler des affaires des autres et en particulier, pour les Etats-Unis, choisir leur président à leur place et généralement se tromper. Mais l’exhibition de ce drapeau était choquante et provocatrice comme si nous étions devenus coresponsables de la vie politique américaine, de ses grandeurs et de ses failles.

Je ne crois pas une seconde que le futur démocratique sera obéré par cette catastrophique fin de mandat. En effet, de même que sa singularité imprévisible a eu parfois des effets positifs pour le monde et son pays, il est permis de considérer qu’elle ne pourra jamais être imitée pour le pire, puisqu’il n’y aura jamais qu’un Trump pour présider ainsi et terminer de la sorte.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Demain, sans que je sois enthousiasmé par Joe Biden – qui semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump -, on est tout de même persuadé qu’avec lui une forme de normalité reprendra ses droits. Elle ne sera sans doute pas géniale mais reposante. Il nous rendra à sa manière un peu du rêve américain.

Juste une conclusion sur la France. J’ai souvent douté de la qualité et de la force de notre démocratie. Mais suis-je naïf d’estimer que, si Marine Le Pen l’emportait en 2022, mille manifestations se dérouleraient dans la rue mais son adversaire battu ne contesterait pas le résultat de l’élection et n’inciterait pas ses soutiens à investir l’Elysée? Nous aurions d’autres drames et affrontements mais nous aurions au moins cette consolation.

L’assimilation, une ambition française


En France, le vivre-ensemble pacifique des différences est nécessaire, mais pas suffisant. Le projet français est plus ambitieux : il attend du nouveau venu que, dans la sphère publique, il devienne un Français comme les autochtones. En échange, il reçoit une appartenance qui n’interdit ni les croyances personnelles ni le respect de ses ancêtres.


Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. Ensemble, ces trois notions forment comme un triptyque : ils sont les trois volets d’un même retable. Un retable qu’on dira républicain, en précisant toutefois que si la lettre est républicaine, l’esprit, lui, est éminemment français. L’assimilation fleure bon la IIIe République, mais la passion de l’unité et du commun qui l’inspire renvoie à la longue histoire de la France.

L’assimilation à la française est un principe chancelant

De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant. Elle fait figure, et depuis plus longtemps que les deux autres, de mal-aimée.

L’assimilation est la forme proprement française de l’intégration des immigrés, des nouveaux venus par les hasards et souvent les commotions de l’Histoire. Pour comprendre cette spécificité, il faut avoir à l’esprit quelques données historiques. « Chaque peuple qui a atteint un certain degré de développement, notait l’historien Werner Jaeger, dans son magistral ouvrage Paideia, a le souci de se continuer dans son être propre, de sauvegarder ses traits physiques, intellectuels et moraux. » Si bien que tout pays est bousculé et même mis au défi par l’arrivée d’individus qui ne sont pas sans bagages, mais porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie et de pensée autres que ceux du pays d’accueil ; autres, c’est-à-dire étrangers, voire contraires au pays où ils s’établissent. La question prend cependant un tour particulièrement brûlant dans un pays comme la France qui s’est ingéniée tout au long de son histoire à faire de l’un avec du multiple, qui, « si elle a de la peine à être une, ne saurait se résigner à être plusieurs » (Fernand Braudel), bref une France qui a la passion du monde commun. La France se singularise en effet (jusqu’à quand ?) par sa répugnance à voir les éléments qui la composent « superposés comme l’huile et l’eau dans un verre », pour reprendre l’image d’Ernest Renan. C’est pourquoi nous tenons la bride aux communautés, pourquoi nous refusons la fragmentation de la France en une mosaïque de communautés vivant chacune à son heure, suivant son calendrier, ses costumes et ses coutumes, pourquoi aussi l’« archipellisation » nous est non seulement une douleur, mais une offense.

Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage
Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage

Une France qui se distingue aussi par son entente de la vie, par ses mœurs, ces lois non écrites qui confèrent à un pays sa physionomie propre, et où longtemps, l’économie n’a pas eu le premier ni le dernier mot.

Une autre donnée historique mérite d’être prise en considération. Si nous avons fait le choix de l’assimilation, c’est assurément que nous cultivons la passion du commun et que nous sommes jaloux de notre mode de vie, mais c’est aussi que, plus que tout autre pays, la France se sait fragile, périssable, bref mortelle. Elle n’a pas attendu la Première Guerre mondiale pour en être instruite. La fracture de 1789 et le pathos révolutionnaire de la table rase lui ont enseigné cette vulnérabilité. D’où l’instauration de mécanismes qui lui garantissent une certaine persévérance dans l’être. L’assimilation est l’un d’entre eux. Elle est une assurance prise contre la nouveauté et ses potentialités destructrices, dont l’immigré est porteur. Comme l’est, soit dit en passant, le nouveau venu par naissance, qui, s’il n’apprend pas à connaître et à aimer la civilisation dans laquelle il est introduit en naissant, menace de défaire ce que ses ancêtres ont fait de singulier et de précieux. C’est un faux humanisme, disait Merleau-Ponty, que celui qui nie que l’altérité soit une question.

A lire aussi, le sommaire de notre numéro de janvier: Causeur: Assimilez-vous!

On comprend mieux dès lors que là où les autres pays peuvent se contenter d’une simple coexistence, pourvu qu’elle soit pacifique, d’un vivre-ensemble dans ses différences, et de l’insertion du nouveau venu dans la vie économique, la France, elle, poursuit un dessein autrement ambitieux : elle demande au nouveau venu de se fondre dans le creuset français. Elle attend de lui qu’il ait le souci, le scrupule même, de devenir, dans la sphère publique, un Français comme les autres, c’est-à-dire comme les autochtones.

L’assimilation, le mot dit la chose : il ne suffit pas au nouveau venu de respecter la culture du pays dans lequel il entre, il lui faut se l’approprier, faire sienne l’histoire, unique, que raconte notre pays, apprendre les notes et les harmoniques qui composent la partition que nos ancêtres ont arrangée, interprétée et nous lèguent. L’assimilation proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, elle affirme sans trembler l’essentielle asymétrie entre la société d’accueil et le nouveau venu. Immigrer, comme naître, c’est entrer dans un monde qui était là antérieurement à l’individu, cette antériorité oblige. Un monde, c’est-à-dire une communauté historiquement constituée, une collectivité sédimentée, cimentée par des siècles de civilisation commune, un « vieux peuple chargé d’expériences » (Bernanos). Si l’identité de la France est bien narrative, si elle n’est pas figée dans quelque essence et éternité que ce soit, elle n’est pas non plus un palimpseste.

L’assimilation n’est pas une punition, c’est une offrande

L’assimilation repose sur une conception qu’on pourrait dire épique du peuple et de la patrie. Il s’agit d’entraîner tous les membres de la nation dans une histoire commune. Elle s’ancre dans une conception non ethnique de la nation. La France, disait l’historien Jacques Bainville, c’est « mieux qu’une race, c’est une nation ». Ce qui cimente le peuple français, ce sont des souvenirs, le souvenir des actes et des accomplissements de ceux qui ont fait la France, la langue dont le secret perce et rayonne dans sa littérature, longtemps, du temps de l’apprentissage par cœur, des poèmes, des textes en prose. Qui que vous soyez, d’où que vous veniez, dit en substance l’assimilation, vous pouvez devenir Français pourvu que vous ayez la volonté et le désir d’apprendre notre histoire, de la comprendre et de l’aimer. Et cette proposition est possible parce que, être français ce n’est pas seulement avoir du sang français qui coule dans ses veines, parce que, pour être français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître. Il faut donner des gages de son aspiration à maintenir vivant un héritage, et le maintenir vivant non en le visitant et éventuellement le goûtant en touriste, mais en trempant sa plume dans l’encrier et en en continuant l’esprit, et non la seule lettre.

La France attend de l’étranger qu’il transmue cette substance en sa moelle propre, et substantifique. Appropriation de l’Histoire, mais non moins des mœurs. C’est peut-être ce qui frappe le plus dans le modèle français d’intégration, que cette exigence d’adoption des us et coutumes. Les autres pays d’Europe, à l’exception des pays ex-soviétiques d’Europe centrale qui connaissent d’expérience l’expropriation culturelle, s’accommodent très bien d’usages, de pratiques, de codes distincts des leurs. L’espace public français n’est pas un fast-food McDonald, « on n’y vient pas comme on est ». On dépose ses bagages et l’on s’apprête : on revêt les atours du pays d’accueil, on en adopte les manières, la forme de vie, la sociabilité, la mixité des sexes. Dans le plébiscite de tous les jours qu’est une nation, pour reprendre la définition d’Ernest Renan, l’imitation des manières du pays dont on devient membre est un premier oui d’approbation, c’est ainsi que nous l’interprétons. D’où, et avant même toute autre considération, les vives réticences que nous inspire le port du voile. C’est bien par l’adoption des signes extérieurs que le nouveau venu affirme et confirme que la citoyenneté française n’est pas, pour lui, qu’une citoyenneté de papier.

L’assimilation, point capital, en appelle aux sentiments. L’intégration, en comparaison, a quelque chose d’aride, de distant, de froid. « Ce qui nous attache à la patrie, disait Stendhal, c’est que nous sommes accoutumés aux mœurs de nos compatriotes et que nous nous y plaisons. » Nous ne concevons pas que l’on devienne français sans se plaire aux mœurs françaises, sans se délecter de la composition française, comme dirait Mona Ozouf. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », les choses n’ont sans doute pas cette simplicité d’épure mais enfin, le mot de Philippe de Villiers contient une vérité puissante : l’identité française est une affaire de cœur avant d’être une affaire de tête.

L’assimilation nous parle en effet d’un temps que les moins de 40 voire de 50 ans ne connaissent pas, un temps où la France s’aimait, s’estimait et en savait les raisons, où elle avait une conscience vive des trésors qu’elle recélait, et c’était comme tels qu’elle les proposait aux nouveaux venus. Péché d’universalisme peut-être, mais nous étions convaincus que la forme de vie française était susceptible d’être appréciée, admirée, savourée par l’homme en tant qu’homme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, et somme toute, nos visiteurs ne nous démentaient pas.

Demande exorbitante que ces exigences françaises qui semblent réclamer une « conversion » de tout l’être – « offrir l’asile au corps » et « convaincre l’âme de changer », disait le romancier Kamel Daoud, belle synthèse du programme assimilationniste ? Nullement.

On a trop tendance à présenter l’assimilation comme une contrainte, voire une punition, mais elle est d’abord une offre, une offrande même. Il entre dans l’assimilation – le mot, à n’en pas douter, surprendra tant on s’est employé à la grimer en monstre exterminateur – de la générosité. Générosité française longtemps perçue comme telle par ceux qui en bénéficiaient ; longtemps en effet les Français par naturalisation n’ont pas été chiches de leur gratitude. L’hommage que le peintre Chagall rendait à la France – « En somme, je dois ce que j’ai réussi à la France dont l’air, les hommes, la nature furent pour moi la véritable école de ma vie et de mon art » –, chacun des membres de l’école de Paris, tous d’origine étrangère, Modigliani, Soutine, Zadkine, pour ne citer que quelques noms, aurait pu le prononcer[tooltips content= »Je renvoie au catalogue de l’exposition « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1950-1940 » (Co-Edition MAHJ et Réunion des musées nationaux, 2020), qui apporte de très précieux éléments pour penser cette alchimie. L’exposition devrait se tenir au printemps prochain à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. »](1)[/tooltips].

Des nourritures charnelles

L’assimilation est peut-être la seule forme d’hospitalité véritable. Elle conjure et panse la douleur par excellence de l’exil, le déracinement. Car c’est bien un nouvel enracinement qu’au travers de l’assimilation, la France propose à l’immigré. « Avec les avantages d’une citoyenneté, les nouveaux Français recevaient l’honneur d’une appartenance », aimait à rappeler Jean Daniel. L’assimilation connaît bien l’homme. Elle sait, ce que nous nous obstinons à méconnaître, que c’est d’incarnation, de grandes figures, d’épopée, que l’humaine nature a besoin, pas d’abstraction. Ce sont des nourritures charnelles qu’elle offre au nouveau venu.

L’assimilation apporte d’ailleurs un énergique démenti à ceux qui accusent la France de se former et de cultiver une idée abstraite du citoyen. Sans doute l’assimilation commence-t-elle par délier l’individu de ses appartenances premières : elle est un processus en première personne. Elle s’adresse à l’individu, elle le convoque, lui et lui seul. « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout leur accorder comme individu », disait Clermont-Tonnerre, défenseur de 1789 de l’accès des juifs à la citoyenneté – « tout accorder à l’individu », peut-être pas de nos jours, en ces temps d’individu-mesure-de-toutes-choses, mais en tout cas, ne pas voir dans le futur citoyen le membre d’un groupe. L’émancipation, toutefois, n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit en aucune façon de jeter cet individu que l’on vient d’affranchir, de le délier de sa famille, de son église, dans un grand vide identitaire : il n’est libéré de ses appartenances primitives qu’afin de contracter d’autres liens, ceux qui le rattachent à cette réalité plus vaste qu’est la nation, dont il est appelé à devenir sociétaire et membre…

Les pères fondateurs de la IIIe République savaient très bien que l’on n’unit pas un peuple autour des valeurs, de la République, de la laïcité, toutes ces clochettes que nous ne cessons de faire tintinnabuler convaincus que cela nous fera d’excellents Français. Être citoyen, clame l’assimilation, ce n’est pas seulement être un sujet de droits et de devoirs, ce n’est pas non plus répondre de ses choix et de ses actes devant quelque tribunal universel des « valeurs » ou des « droits de l’homme », mais répondre de ses décisions et de leurs conséquences : devant le tribunal des vivants et de ceux qui viendront après nous, certes mais d’abord des morts qui ont fait la France, qui lui ont donné sa physionomie et son génie propre.

Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.
Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.

Ensuite, révisons un des procès les plus iniques intenté à l’assimilation et qui, en ces temps de fièvre identitaire, travaille le mieux à la disqualifier. Ignorance, paresse, démagogie, idéologie, le tout mêlé, on se plaît, y compris parmi des hommes politiques des plus respectables, ainsi d’Alain Juppé, à colporter l’idée que l’assimilation impliquerait l’immolation des appartenances inaugurales, qu’elle frapperait d’interdit les attachements et les fidélités particulières. Or, jamais l’assimilation n’a signifié pareil sacrifice et même sacrilège. Elle se fonde assurément sur l’autonomie de l’individu, mais si elle lui demande de déposer ses bagages lorsqu’il pénètre dans l’espace public, elle ne lui refuse en aucune manière la liberté d’entretenir le culte de ses dieux et de ses morts. Assurément, ainsi que l’écrit l’historien Marc Bloch, est-ce « un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse », mais la France n’a jamais rien imposé de tel à ceux qui aspiraient à devenir français. Si elle proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, si elle détache l’individu de sa communauté première, elle n’exige pas l’oubli et le mépris des origines, elle en circonscrit seulement la pratique à l’espace privé.

L’heure de la tyrannie des identités

L’assimilation, comme la laïcité, vit de la frontière que nous traçons rigoureusement et vigoureusement entre la sphère publique et la sphère privée. L’espace public, espace des apparences et de la vie en commun, est le lieu de la discrétion, noble vertu bien outragée à l’heure de la revendication véhémente et venimeuse de « visibilité ». La vie s’est simplifiée, observait la conteuse Karen Blixen : l’individu contemporain entend être partout et toujours le même. La hiérarchie des ordres est frappée d’illégitimité. Et la France est cette belle audacieuse qui rappelle chacun à sa liberté, au jeu qu’il peut instaurer avec lui-même, au pas de côté qu’il lui est toujours loisible d’accomplir par rapport à toutes les formes de déterminismes. L’assimilation fait le pari de la liberté. Une liberté non d’arrachement, mais de la mise à distance. Vertus émancipatrices qui manifestement ne séduisent plus.

A lire ensuite, Renée Fregosi: Contre l’islamisme: pas de «tenaille identitaire» qui vaille!

Que faire de cet héritage à l’heure de l’exaltation et de la tyrannie des identités ? L’assimilation peut-elle nous être une ressource alors que les « minorités » et les « diversités » ont investi l’espace public et ne cessent de gagner en autorité et légitimité auprès des élites politiques, médiatiques, culturelles ? Je le crois. Toute politique soucieuse de répondre de la continuité historique de la France, anxieuse de restaurer quelque chose comme un peuple devrait en faire son programme. Elle n’immole pas les identités premières, elle les remet à leur place. L’assimilation, en tant qu’elle proclame la préséance de cette réalité transhistorique qu’est la France sur toutes les identités particulières, nous arme contre la décomposition nationale et la transformation de la France en un archipel d’îlots communautaires, crucifié par les « diversités ». Elle seule est à même de nous rendre un monde, un ciment qui ne soit l’exclusive de personne, mais l’affaire de tous. Ayons le courage de nous en saisir, de la brandir même. Évidemment, cela suppose que nous recouvrions, collectivement, les raisons de nous estimer, que nous retrouvions plus que la fierté de nous-mêmes, le goût et la saveur de la composition française.

L’assimilation n’a pas échoué, contrairement à ce que l’on répète à satiété, voici quatre ou cinq décennies que, sur fond de conscience coupable, de tyrannie de la repentance et de politique de reconnaissance des identités importée des États-Unis, doutant de notre légitimité,  nous y avons purement et simplement renoncé.

« Ils se sont faits dévots, de peur de n’être rien », disait Voltaire. Cessons d’acculer les individus à cette diabolique et funeste alternative. Et puis que l’on ne nous accuse pas de discrimination : au point où nous en sommes d’ignorance généralisée, je propose que nous décrétions l’assimilation pour chacun et pour tous ! Pour chacun, car, nous l’avons vu, l’assimilation s’adresse à l’individu en personne ; pour tous, c’est-à-dire aussi bien pour les Français de souche, comme il ne faut pas dire, qui ne savent plus rien de leur propre histoire !

États-Unis: le 18 brumaire de Donald Trump n’a pas eu lieu

0

Mais le temple de la démocratie américaine a été profané…


Les images qui nous sont arrivées des États-Unis sont sidérantes. Avant de se pencher sur les faits et leur signification, une chose est évidente : le temple de la démocratie américaine a été profané. Plutôt qu’à une prise de pouvoir, nous avons assisté à des scènes de désacralisation. Les personnes qui ont envahi le Sénat et la Chambre des représentants n’ont pas fait de discours ni de déclaration. Ils n’avaient ni communiqué ni plan. Ils étaient ivres de rage et ils se sont soulagés. Mettre ses bottes sur le bureau de Nancy Pelosi est un geste dont le sens est anthropologique. Ce n’est pas une étape dans un projet politique. Et c’est là que se trouve le vrai problème : hier à Washington il y avait de la colère, de la violence, mais il n’y avait pas de rationalité, il n’y avait de plan. Et surtout il n’y avait pas de limite.  

La drôle d’entrée en campagne de Trump pour 2024

Donald Trump espérait sans doute changer la donne. Soit il pense toujours se maintenir au pouvoir soit – ce qui est plus probable – il est déjà en campagne pour 2024. 

Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP
Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP

Pour se maintenir au pouvoir, il lui fallait le soutien d’une véritable force fédérale – l’armée – et peut-être des forces locales capables de prendre le contrôle des institutions. Mais Trump n’a pas ce genre de soutiens. On peut supposer qu’il a essayé de les obtenir et que ces tentatives et appels infructueux sont la cause de la tribune des anciens ministres de la Défense. Quoi qu’il en soit, en toute probabilité, le 7 janvier en fin de matinée Trump savait que l’armée, la police, le FBI et le service de protection n’allaient pas bouger. Mais il a tellement l’habitude de changer la donne avec ses transgressions ahurissantes – rappelons qu’il a été le premier surpris par son élection en 2016 – qu’il a appelé ses supporters à se manifester au Capitole. 

En 2016 Trump n’espérait pas tant d’une campagne qui l’avait grisé et lui promettait même en cas de défaite une célébrité encore plus lucrative. On peut donc supposer qu’hier matin à Washington, Trump jouait encore avec le feu, cherchait les limites pour les dépasser et voir ce que cela donne.  Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait pas un véritable plan de putsch. Mais on peut aussi supposer que la possibilité d’un coup d’État voire d’un simple massacre n’a pas fait reculer le président des États-Unis. Trump a lâché le boulet. Il a harangué la foule, flattant l’une de plus vieilles passions américaines : la haine de Washington. Souvenez-vous de Mr Smith goes to Washington comme des premières décennies de la république américaine. Tout y est déjà. 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Donald Trump a donc fait ce qu’il faut pour provoquer ce qu’il espérait : le chaos, le drame. Avec ce manque de responsabilité qui est sa marque de fabrique : puisque lui personnellement n’a rien à perdre, tout le reste peut bien aller au diable. 

Trump ne savait pas ce qui allait se passer. Comme toujours, il renverse la table sans avoir de plan pour la suite. Il sait juste qu’il profite plus souvent que d’autres du chaos et de la sidération de l’inédit, de la stupéfaction suscitée devant la transgression de tout « ce qui ne se fait pas » (« it’s not done »). Le président américain a donc jeté les dés en espérant une bonne combinaison de chiffres, un « six-six » et cela aurait pu être un putsch, on ne sait jamais… Sur un malentendu comme disait Jean-Claude Dusse on aurait pu avoir un scénario bien pire.

Les plaies de la guerre de Sécession rouvertes?

Si l’opérette d’hier n’a pas accouché d’un coup d’État, elle a en revanche de fortes chances de devenir le mythe fondateur du trumpisme, l’Alamo, la défaite glorieuse, le dernier carré de Waterloo. « We few, we happy few we band of brothers » diront bientôt les Trumpistes en parlant du 6 janvier 2021. Des millions d’Américains vont jurer y avoir participé !  Ils ont leur cause – « les élections volées » – et leur charge aussi héroïque que désespérée. 

Les failles sont profondes aux États-Unis. Les plaies de la guerre de Sécession ne sont toujours pas cicatrisées et la nouvelle cause risque d’épouser ces anciennes lignes de fracture. Le problème actuel de la démocratie américaine n’est pas un coup d’État à craindre dans les jours ou les semaines à venir, mais de voir une minorité trop importante se retrancher dans un refus des institutions, sapant profondément et durablement leur légitimité.

L’histoire de l’Union est parcourue de tensions

Les États-Unis ont connu des crises dramatiques.    

En juin 1858, dans un moment de l’histoire américaine où les tensions et contradictions au sein de l’Union s’approchaient du point critique de la guerre civile, Abraham Lincoln, nommé sénateur de l’Illinois, a prononcé un discours devenu classique :  « Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir, disait-il. Je ne m’attends pas à ce que l’Union soit dissoute – je ne m’attends pas à ce que la Chambre tombe – mais je m’attends à ce qu’elle cesse d’être divisée. Cela deviendra une chose ou une autre. » En janvier 2021 ces mots ont une résonance toute particulière. 

A lire ensuite: Gilets jaunes: « Les comiques de France inter étaient paumés »

En 1932 le chef d’état-major Douglas McArthur a déployé des chars sous le Capitole pour disperser des anciens combattants venus réclamer leurs allocations. Une vingtaine d’années plus tard il a été viré par Truman qui craignait son césarisme… Les assassinats politiques et la violence raciale des années 1960 ont eux aussi poussé la démocratie américaine au bord du gouffre. L’union a survécu sans qu’on puisse dire exactement pourquoi, mais très probablement grâce à certaines personnes dont le courage et la probité ont évité l’écroulement des institutions. Aujourd’hui les États-Unis sont de nouveau une maison divisée contemplant l’abime. Mais soyons rassurés : des personnes courageuses et honnêtes sont toujours là pour dépasser leurs appartenances politiques et tenir le toit de la maison.

Trump: le funambule qui tombe?

0

Après une soirée mouvementée et l’intrusion d’ultras dans le bâtiment du Capitole, le Congrès américain a finalement validé la victoire de Biden. Pensant faire un coup d’éclat, Trump sort perdant de cette séquence étonnante où certains sont allés jusqu’à crier au « coup d’État ». Analyse.


Aujourd’hui, le trumpisme semble avoir subi une triple défaite. Joe Biden a gagné les élections présidentielles de novembre : sa victoire vient enfin d’être certifiée par le Congrès après une des séances les plus dramatiques de l’histoire de la démocratie américaine. Les Démocrates, en remportant deux victoires dans l’état de Géorgie, ont pris le contrôle du Sénat, permettant au nouveau président de gouverner comme bon lui semble, sans risque de voir ses projets bloqués au Congrès. Finalement, après les scènes violentes au Capitole hier, les Démocrates et leurs supporteurs peuvent désormais se présenter en défenseurs de la démocratie contre une insurrection antidémocratique. 

A lire aussi, du même auteur: Le trumpisme avait tout de même du bon

Pence: “La violence ne triomphe jamais”

Ces mêmes scènes ont consacré une scission au sein du Parti républicain entre les supporteurs les plus intransigeants de M. Trump et les autres. Des opposants de longue date au président sortant sont confortés dans leur opposition. Arnold Schwarzenegger, l’ancien gouverneur républicain de la Californie, venait de publier le 5 janvier une tribune dans The Economist où il dénonçait comme « une charade » les tentatives de M. Trump d’invalider les résultats des élections de novembre. Lui et ceux qui pensent comme lui peuvent maintenant proclamer : « On vous l’avait bien dit ! » Ils seront en meilleure position pour se débarrasser de M. Trump comme chef du parti, même si la chose ne va pas de soi. Un grand nombre des fidèles du président milliardaire ont été obligés de prendre leurs distances. Le vice-président, Mike Pence, président du Sénat et chargé ès-qualités de superviser la ratification par le Congrès de la victoire de Joe Biden, a non seulement fait la sourde oreille à la demande de Trump d’invalider les résultats, mais a déclaré, face à l’interruption de la séance du Congrès par les insurgés : « La violence ne triomphe jamais ; seule la liberté triomphe. » La Sénatrice Kelly Loeffler, qui venait de perdre son siège en Géorgie et qui, trumpiste dévouée, s’était déclarée prête à s’opposer à la ratification des élections présidentielles, y a finalement renoncé, comme un certain nombre d’autres élus républicains. 

Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles…

À l’étranger, des alliés réputés proches de M. Trump, tels que Boris Johnson, ont condamné – à l’instar d’autres leaders – les actions de ses supporteurs comme une atteinte à la démocratie. L’association qui est faite dans l’esprit de la plupart des observateurs entre les événements du Capitole et les déclarations récentes de Donald Trump, maintenant que sa victoire lui a été volée, transforme la condamnation de l’insurrection d’hier en condamnation du futur ex-Président lui-même.

Trump compromet son avenir

Les conséquences pour la stratégie politique de Trump sont graves. Celui-ci s’apprêtait à adopter la posture du « vrai Président en exil », c’est-à-dire de celui qui s’oppose, non seulement aux politiques mises en œuvre par le président Biden, mais à sa légitimité même, ainsi qu’à celle de tout l’establishment politique de Washington. Il comptait ainsi continuer à jouer le porte-parole de la colère populaire, de ceux que le système a abandonnés. Ce rôle est désormais sérieusement compromis. Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles. Au lieu d’avoir un pied dans les deux camps, pour ainsi dire, il est condamné à sautiller du côté des ultras, à canaliser, non la juste colère de la foule, mais la rage désespérée d’une minorité.

Au cours des mois à venir, les Républicains seront amenés à faire l’autopsie de leurs défaites. Ils trouveront que leurs revers dans les urnes sont moins le résultat d’une fraude que de leur incapacité à exploiter les nouvelles règles de la procédure électorale introduites par les Démocrates après leur reprise de la Chambre des représentants en 2019. Comme l’explique Kimberley Strassel dans The Wall Street Journal, les nouvelles pratiques rendues légales par la réforme électorale – la possibilité de s’inscrire le jour même du vote, le recours au vote postal à grande échelle et le « ballot harvesting » (la collecte et la remise de bulletins de vote par un tiers) – ont favorisé les Démocrates qui maîtrisaient ces processus sur le terrain beaucoup mieux que les Républicains. 

Le succès futur de ces derniers ne dépendra donc pas uniquement de leur capacité à exploiter la grogne, mais d’un retour aux fondamentaux des techniques de campagne électorale. 

Donald Trump a plus le profil d’un apprenti sorcier de la rage populaire que d’un architecte des procédures.

Stratégie vaccinale française: et si la lenteur avait eu du bon?

0
Le professeur Alain Fischer, président du "conseil d’orientation de la stratégie vaccinale". © Eric TSCHAEN-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00993717_000013.

Depuis le démarrage de la vaccination contre la Covid-19 en décembre dernier, la stratégie vaccinale adoptée par le gouvernement est sévèrement critiquée. Cette stratégie de la lenteur n’aurait rien d’un choix élaboré en amont et ne serait que le reflet des insuffisances logistiques de notre pays. Et si malgré tout la France remplissait ses objectifs, à la fin?


Certes la France souffre de penchants logicistes qui la conduisent souvent à vouloir faire entrer de force la réalité dans ses considérations abstraites, d’une suffisance et d’une obsession  littéraire qui la portent à produire d’épais rapports émanant de différentes autorités ou institutions : pour la vaccination contre la Covid-19 nous disposons ainsi d’un document relatif à la stratégie vaccinale contre la Covid-19 de 50 pages de la Haute Autorité de Santé à destination des citoyens, des professionnels de santé et des pouvoirs publics, un guide de 45 pages du Ministère de la Santé à destination des directeurs d’établissement hébergeant des personnes âgées, un document de 60 pages du Ministère de la Santé à destination des professionnels de santé.

Certes la stratégie vaccinale de la France est critiquable à certains égards

Quand on est lesté d’une conviction forte dans la marche à suivre, le changement de direction est un exercice laborieux. Ce qu’on peut reprocher au gouvernement n’est pas sa prudence initiale, mais de ne pas avoir anticipé un éventuel changement de stratégie, comme une accélération de la vaccination (basée sur les données rassurantes issues des pays qui ont vacciné en masse, incitée par des citoyens français plus favorables à la vaccination). Le gouvernement avait clairement identifié les personnes à vacciner en priorité dès le 3 décembre, une stratégie précisée par la suite par l’HAS : 752 000 personnes âgées et 90 000 professionnels exposés. Les consentements de ces personnes n’auraient-ils pas pu être recueillis avant le 27 décembre ? Cela aurait peut-être permis la mise en place d’une logistique d’approvisionnement plus flexible, plutôt que de devoir se retrancher derrière un protocole consistant à recueillir un consentement cinq jours avant de vacciner, protocole qui n’a fait que renforcer les méfiances autour du vaccin alors qu’il ne sert qu’à laisser le temps de faire remonter le nombre de doses nécessaires.

A lire aussi, Jean Nouailhac: La France sous la dictature du fonctionnariat

Autre reproche que l’on pourrait adresser à nos dirigeants : la communication. Pourquoi renoncer si facilement à défendre une stratégie ? Et même si cette stratégie découle en partie de défaillances logistiques, pourquoi les tendre ainsi pour se faire battre ? Pourquoi laisser systématiquement les critiques émanant de l’opinion publique et des médias lever le voile sur les désaccords ou les défaillances de notre Etat ?  Le mécontentement du président qui fuite à dessein dans le Journal du dimanche nous laisse entrevoir un portrait peu flatteur de nos dirigeants, celui de timorés qui n’auraient pas su défendre leur point de vue lorsque la situation l’exigeait et qui lorsque les faits ou l’opinion publique leur donnent raison a posteriori, tout gonflés d’orgueil, brandissent pathétiquement l’opinion dont ils ont été dépossédés.

Enfin, on peut regretter le tirage au sort d’un collectif de citoyens chargés de suivre la campagne de vaccination contre la Covid-19, un gadget cognitif de plus destiné à restaurer le « sentiment de démocratie ». Un gadget qui souffre en outre d’un biais non négligeable dans la représentativité de la population qu’il est pourtant sensé assurer : ce collectif sera vraisemblablement composé de personnes favorables aux vaccins, d’hésitants et d’antivaccins en proportion égale. Or les proportions de ces courants ne sont pas égales au sein de la société française.

Mais lorsque l’on fustige le professeur Alain Fischer, alias « monsieur vaccin », parce qu’il reconnait ne rien connaitre à la logistique, on verse dans la critique stérile. Le rôle du Pr. Fischer est celui d’expert médical et scientifique chargé de répondre à des questions médicales et scientifiques. Pour ce qui est de la logistique, l’Etat aurait fait appel à une expertise étrangère. Quoi qu’il en soit nul besoin d’entendre un « monsieur logistique » pérorer. On attend de la logistique uniquement des résultats : que les doses de vaccins soient acheminées dans de bonnes conditions et là où elles doivent l’être, en temps, en heure et en nombres.

Le cœur du sujet est bien là:

La France est-elle capable de répondre au défi logistique posé par la vaccination de masse, qui plus est avec un vaccin aux conditions de conservation et de transport contraignantes (conservation entre -60 °C et -80 °C, utilisation des cinq doses, donc cinq patients, contenues dans une fiole dans les six heures une fois le vaccin reconstitué) ? Quelques jours après le lancement de la première phase de vaccination le 27 décembre, les premières critiques en provenance des partis de l’opposition et de certains scientifiques et médecins commençaient à poindre. Sur quoi reposaient-elles ? Comme souvent avec notre voisin germanique qui sait si bien nous faire de l’ombre, nos chiffres n’ont pas souffert la comparaison : dans la même période de temps l’Allemagne avait vacciné cent fois plus de personnes que nous. Et la presse étrangère (la campagne de vaccination française est un « scandale d’État » pour The Daily Telegraph et « un désastre » pour Die Welt) n’a pas manqué de s’engouffrer dans cette compétition visant davantage à mettre en exergue les insuffisances des uns pour mieux dissimuler celles des autres, plutôt qu’à susciter l’émulation. Certes avec 5000 vaccinés au 5 janvier, nous sommes loin du million de vaccinés du Royaume-Uni ou des 400 000 allemands vaccinés. Mais la situation est-elle aussi dramatique que le dépeignent nos voisins ou une partie des Français ?

Si la France parvient à accélérer la vaccination dans les semaines à venir il est possible que ce qu’elle considère désormais être un retard n’ait pas de grandes conséquences. En effet, les capacités de production de vaccins n’étant pas infinies, il est possible que les différences en termes de proportions de personnes vaccinées entre pays européens s’estompent dans les mois à venir.

Faut-il pour autant rougir du pari initial de la lenteur?

En termes de coût économique, pas pour le moment, car tous ceux qui croient en l’idée d’une « vaccination contre liberté retrouvée » et donc « santé économique retrouvée » se trompent. Il n’existe pas à ce jour de garantie sur l’efficacité du vaccin à long terme ou face à d’éventuelles mutations du virus. Cela signifie que rien ne sert de courir après le vaccin : la fin des confinements itératifs et des masques n’est pas pour tout de suite. Le Royaume-Uni qui a vacciné près d’un million d’habitants a dû adopter ce lundi des mesures de confinement aussi drastiques que lors de la première vague.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Quand la culpabilisation des Français ne marche plus…

En termes de santé, non plus, puisque la stratégie de la lenteur est une stratégie de la prudence, tant réclamée par les citoyens français[tooltips content= »Par ex., selon le sondage Harris Interactive pour LCI publié le 20 août, 63% de français sont favorables au port du masque en extérieur ou encore selon une étude Harris interactive pour LCI publiée le 9 décembre, 69% des Français se prononcent pour la poursuite du confinement après le 15 décembre, 53% pour une interdiction des déplacements inter-régions pour les fêtes »](1)[/tooltips]. Un nouveau médicament testé initialement sur « seulement » 20 000 personnes et destiné à en traiter plusieurs milliers de fois plus devrait toujours être utilisé avec prudence. Et ce d’autant plus que la maladie qu’il vise à combattre ne constitue pas un péril pour la société en tant que telle, la menace de la Covid-19 résidant davantage dans les peurs qu’elle génère et les décisions de santé publique qui en découlent.

Enfin, le but n’était-il pas d’amener doucement les Français réfractaires à la vaccination ? En quelques jours de polémique qui a donné l’impression que nous étions lésés par rapport à nos voisins, l’adhésion à la vaccination a gagné plus de dix points[tooltips content= »Selon un sondage IFOP paru le 7 janvier 2021, « la proportion de Français se disant prêts à se faire vacciner augmente de 12 points entre décembre 2020 et janvier 2021, passant de 39 % à 51 %. » (https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/01/117825-Rapport-CN-SR-N121.pdf) »](2)[/tooltips]. A la façon du papier toilettes devenu au début de la pandémie une denrée essentielle que tout le monde s’arrachait. Si l’Etat français a perdu la capacité de défendre ses idées face à une opinion publique qu’il révère, comme à les exporter à l’étranger, il aura au moins gagné ce pari qu’il n’avait probablement pas imaginé remporter ainsi, celui de rendre le vaccin contre la Covid-19 plus attractif.

Retour à Paris

0
Image d'illustration Unsplash

Le billet du vaurien


Ce 25 / 12 / 2020

Sans doute eût-il mieux valu que je ne revienne pas à Paris. Quitter le Lausanne-Palace pour ce studio exigu où se bousculent des souvenirs, mais où plus personne ne m’attend, quelle étrange idée. J’y ai passé près de quarante ans. La moitié de ma vie. Et maintenant je peine à grimper les escaliers. Cette expédition est la dernière, me suis-je dit en arrivant au cinquième étage.

Mon cadeau de Noël pour ma première nuit rue Oudinot fut une insomnie tenace accompagnée de maux d’estomac. Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie, surtout la nuit. J’ai cherché quelques compagnons. Les noms qui me sont venus à l’esprit, sont toujours les mêmes : Imre Kertész, Thomas Bernhard et, bien sûr, Cioran. Tous des enfants de la Mittel Europa. Albert Caraco soulageait également mes brefs cauchemars. Avec lui, le suicide n’est pas seulement une injonction, mais un acte. J’avais laissé mon flacon de Nembutal à Lausanne par peur d’un contrôle à la douane. Quel idiot je fus ! Il ne faut jamais voyager sans son sirop mexicain. Me jeter par la fenêtre ? Je n’en aurais pas eu le courage. Ce n’était pourtant pas l’envie qui me manquait. Il ne me restait plus qu’à me souhaiter « Joyeux Noël » puisque plus personne ne le ferait. Et à écouter quelques Schlager pour me bercer en attendant que la nuit s’achève. Mais elle ne s’achèvera jamais et il n’y aura plus d’aubes glorieuses, me suis-je dit encore.

Ce 28 / 12 / 2020

Les femmes savent-elles écrire ? Parfois, certes. Bien que j’en doute. Il leur manque le sens de l’absurde et du dérisoire. Jeunes, elles sont prisonnières de leurs sentiments. Vieilles, de leurs ressentiments. Rares sont celles qui parviennent à s’échapper. S’il me fallait en retenir une, ce serait Dorothy Parker dont l’épitaphe gravée sur son urne funéraire: « Excusez- moi pour la poussière » est un trait de génie. D’ailleurs maintenant que j’y pense, toutes les femmes devraient s’excuser pour la poussière…

Il n’est guère surprenant que Dorothy Parker se soit liée d’amitié avec les Fitzgerald et, bien sûr, avec Louise Brooks. J’ai éprouvé également une certaine sympathie pour Anaïs Nin qui se réjouissait d’avoir couché avec son père. C’est un aveu qu’on ne trouve jamais chez nos écrivaines contemporaines. Mais pour le ressentiment, force m’est d’admettre qu’elles sont imbattables, Annie Ernaux en tête.

Extraites de ses « Hymnes à la haine », voici comment Dorothy Parker les décrit:

« Et puis il y a les Petites Fleurs Sensibles,
Les Pelotes de Nerfs…
Elles ne ressemblent pas aux autres et ne se privent pas de vous le rappeler.
Il y a toujours quelqu’un pour froisser leurs sentiments,
Tout les blesse… très profondément,
Elles ont toujours la larme à l’œil…
Ce qu’elles peuvent m’enquiquiner, celles-là, à ne parler jamais que des Choses Réelles,
Des choses qui Importent Vraiment.
Oui, elles savent qu’elles aussi pourraient écrire…
Les conventions les étouffent :
Elles n’ont qu’une seule idée, partir… partir Loin de Tout !
Et moi je prie le Ciel : oui, qu’elles foutent le camp !

>>> Lire la suite <<<

Le règne de l’image est un retour au bac à sable

0
Image d'illustration / Vidmir Raic / Pixabay

« La chose », rapportait Michel Deguy dans un entretien au Monde de 2016, « est […] menacée par son devenir image, ce qui est une affaire sans précédent. J’observe qu’on ne dit presque plus, dans le propos courant ou médiatique, « l’islam » mais « l’image de l’islam », ni « l’autorité », mais « l’image de l’autorité ». » L’Occident en vacances a en effet le sens des cartes postales…

Mais ce ne sont pas seulement les choses, ai-je voulu expliquer dans un article précédent, qui sont appelées à devenir image ; ce sont encore les êtres, et dans une dimension  plus littérale peut-être que celle suggérée par Michel Deguy. Le selfie, écrivais-je ainsi, ne marque pas une infatuation du Moi, mais une anémie de l’Être : si le photomaniaque contemporain « mitraille tout ce qui bouge, et son visage au premier plan, c’est qu’il s’escrime désespérément à combattre le dépérissement de sa réalité par son archivage sous forme de mégapixels ; de ses images, il attend véritablement qu’elles le substantifient ».

Or, le choix de l’image comme médium terminal de notre dissolution n’est en rien arbitraire, au contraire, mais épouse le profond mouvement de régression anthropologique qui marque notre époque – savoir, son infantilisation -. Avec la prévalence, chaque jour constatable, du principe de plaisir sur le principe de réalité, la primauté du visuel sur l’écrit est une des manifestations les plus exemplaires des velléités contemporaines de sortie de l’âge adulte – dont on pourrait d’ailleurs faire l’autre nom de la sortie de l’Histoire -.

L’endurance à l’amertume

Cette prééminence de l’image sur le texte est en effet caractéristique des premières années de l’existence, où l’enfant n’a pas encore appris à lire, mais peut d’ores et déjà se plonger dans les illustrations accompagnant les histoires qu’on lui raconte. L’écrit, lui, en revanche, est un univers dans lequel il faut être intronisé ; c’est une société qu’on ne pénètre pas si on n’en maîtrise pas les codes. La sophistication qu’il constitue implique donc un apprentissage, sous peine, autrement, d’en rester à l’hermétisme. Sa maîtrise traduit à la fois un processus de civilisation de l’individu, et une montée en maturité de celui-ci, une capacité – au moins momentanée – à se détourner du principe de plaisir ; dans les deux cas, donc, un départ de la petite enfance[tooltips content= »Chacun, d’ailleurs, peut faire l’expérience du caractère supérieurement astreignant de l’écrit sur l’image. La plongée dans un livre exige une disponibilité d’esprit supérieure au visionnage d’une série ; l’effet de césure est moins immédiat, et requiert davantage d’efforts de notre part. Fatigué, c’est la seconde que nous privilégions, plus prompte à nous satisfaire, n’exigeant généralement de nous qu’un investissement minimal. L’image, en effet, s’accommode d’une attention dispersée, d’une concentration émiettée ; elle tolère l’éparpillement, permet la réalisation concomitante d’autres tâches. Le zapping est un papillonnage télévisuel ; il n’a pas vraiment d’équivalent livresque. La lecture, au contraire, est une activité pivotale, qui nous rive à son objet ; elle absorbe qui s’y exerce : si notre esprit est occupé à autre chose, les mots n’y impriment pas, et il faut de nouveau sillonner le passage trop hâtivement parcouru. A la différence de l’image, elle ne se satisfait pas d’une attention partielle ou relâchée, et refuse les hommages distraits que lui rendent les dilettantes ; pour se livrer, elle exige une cour assidue et exclusive, c’est-à-dire la focalisation de l’esprit, et la persévérance dans l’effort de concentration – toutes qualités que j’associe à l’âge adulte. »](1)[/tooltips].

A lire aussi: Martine ne sait plus lire

C’est l’image de la coupe de miel aux bords amers, à laquelle recourt Alain dans ses Propos sur l’éducation : le maître qui aura obtenu de ses élèves qu’ils la préfèrent à celle dont le nectar lasse vite, mais séduit à la première lampée, est celui qui aura su les hisser à l’état d’hommes. « Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue ; tel est l’appât qui convient à l’homme ; c’est par là seulement qu’il arrivera à penser au lieu de goûter« . Autrement dit, l’adulte, c’est celui qui s’est bâti une endurance à l’amertume, cette âpreté et cette angularité que présente toujours le réel, en comparaison de la douceur sucrée et de la moelleuse rondeur qu’offrent spontanément l’idéal et le rêve. L’homme se confronte à la résistance que lui oppose le monde concret, il en supporte les camouflets cuisants infligés à ses désirs ; l’enfant, au contraire, esquive cette lutte par l’échappée onirique, dont le propre justement est qu’elle ne décevra jamais ses prétentions.

La catharsis moderne : une purgation de l’ambivalence

Nous en arrivons, je crois, à ce qui fait véritablement l’avantage évolutif, pour parler comme Darwin, de l’image sur le texte à notre époque : son apparence d’univocité, quand l’écrit, lui, apparaît toujours porteur d’une dangereuse ambiguïté. Pour le dire autrement, l’image est prisée comme reflet monolithique de la réalité ; et le roman, à l’autre bout du spectre, fui au contraire comme fractalisation de celle-ci. La distance qu’il suppose, le détachement qu’il installe, la contradiction qu’il autorise, sont passés de mode. L’essor de l’auto-fiction, en particulier sous sa forme victimologique, doit ainsi s’entendre comme la prospérité de ce que la « littérature » peut produire de plus monolithique, c’est-à-dire de plus péremptoire et de plus militant, donc de moins romanesque : une sorte de Pravda en format poche.

Tel le crocodile de Siam, ou le rhinocéros de Sumatra, l’ambivalence est une espèce en voie de disparition ; et pour cause : on la traque. Or l’écrit, par sa structure même, est plus sujet à l’héberger que le visuel. Deux individus, ayant lu la même description d’un lieu ou d’un personnage, les concevront toujours différemment ; un cliché ou un plan, au contraire, leur en fixeront une représentation identique. Bien souvent même, ils effaceront dans leurs esprits les premiers aperçus mentaux qui s’en étaient formés. Leur format imprime directement le cerveau, là où le texte implique au contraire la médiation déformante de l’imagination[tooltips content= »On pourrait d’ailleurs documenter, dans le monde de l’image même, le recul de la place accordée à cette faculté de l’esprit humain. La suggestion y reflue, au profit du littéralisme et de la crudité. Là aussi, la transparence fait son œuvre : l’esquisse laisse sur sa faim, l’explicite est exigé. Il faut du réalisme, aussi bien dans les étreintes que dans les scènes de violence. Le charme des voiles n’est plus goûté, on souhaite voir les chairs nues ; et l’on n’est pas surpris, dès lors, du recul de l’érotisme, et de la prospérité de la pornographie. »](2)[/tooltips].

A lire aussi, du même auteur: L’Occident épuisé s’endort. Tous ses habitants se transforment en couch potatoes

Au roman, bouillon de culture de l’ambiguïté, répond ainsi l’image, citadelle attendue de l’univocité[tooltips content= »NB : je ne prétends pas moi-même que ce soit effectivement toujours le cas ; je dis seulement que c’est cette apparence de vérité indépassable que l’époque goûte dans l’image. « L’image, elle, ne ment pas » : voilà l’illusion sur laquelle son prix moderne repose, feignant d’ignorer ce qu’un plan doit à son cadrage, et une vidéo à son montage. »](3)[/tooltips]. Elle est la clef de voûte de notre époque – occupée à la purgation de l’ambivalence comme l’Antiquité grecque pouvait l’être à celle de ses passions -, la pierre qui en parachève l’arche. Il faut donc en attendre de nouvelles expansions sur les terres anciennement acquises au romanesque.

La relégation du romanesque dans les prétoires: de la procédure contradictoire au tout-camescopique? Parenté de l’image et du nombre

Dès lors, tout indique que l’institution judiciaire, c’est-à-dire la scène sur laquelle l’homme moderne pratique sa catharsis, sera un théâtre privilégié de cette évolution. On voit mal en effet comment l’image, et l’illusion de la clôture définitive qu’elle apporte, n’en viendrait pas à supplanter dans des proportions croissantes l’antique processus contradictoire – pôle du romanesque -, visant à faire émerger une vérité – toujours boiteuse, quelque part à jamais provisoire -, de la confrontation des récits et des argumentaires. A ce titre, le photomaniaque que j’évoquais plus haut est un avant-gardiste qui voit plus loin que moi : il a compris que l’avenir était au tout-camescopique, et s’y est converti avec une avance de phase[tooltips content= »Pour l’heure, on multiplie les caméras dans l’espace public ; et on en réclame le port généralisé aux seuls policiers et gendarmes. Mais c’est qu’on est timide ; la logique à l’œuvre implique que cette pratique essaime, et aille bien au-delà. Armé de l’inébranlable bonne conscience que confère l’interminable liste d’accusations n’ayant pas abouti en raison du doute bénéficiant à la défense, on en exigera l’utilisation jusque dans le gynécée – que dis-je, jusque dans la chambre des enfants ! Et qui s’y opposera ? Il faudra bien finir par en porter une, ne serait-ce que pour pouvoir se disculper d’ailleurs… Comme toujours, la complainte du victimocrate est un chant qu’aucun bouchon de cire n’empêche de porter. »](4)[/tooltips] [tooltips content= »Quant au crépuscule de la procédure contradictoire, le mouvement au nom délicieusement poétique de « balance ton porc », avec l’accueil vibrant qui lui fut fait, et les suites politico-médiatiques qu’il continue d’avoir, m’en semble une attestation des plus éclatantes. »](5)[/tooltips]

Je profite également de ce développement pour souligner que cette illusion de la clôture définitive n’est pas exclusive à l’image ; mais qu’elle irrigue aussi la passion moderne pour le nombre, autre objectivation censément résolvante. A cet égard, et j’en resterai à cette possibilité esquissée, on pourrait utilement mettre en regard la prééminence contemporaine de l’image sur le texte avec ce qu’Alain Supiot, dans ses leçons prononcées au Collège de France, a décrit comme le passage d’un « gouvernement par les lois à une gouvernance par les nombres », sous-tendu par l’imaginaire de l’ordinateur. Ce dernier, d’ailleurs, semble faire des progrès plus rapides dans l’intellection des images que dans celle des écrits…

La traque de l’ambivalence dans les textes: leur nécessaire sous-titrage

Mais précisément, revenons-en à ces derniers. Car la battue moderne menée contre l’ambiguïté s’est propagée jusqu’en leur sein, et s’est traduite par deux évolutions que je trouve remarquables tant elles ont force d’exemples. La première, c’est ce que j’appellerais l’exigence croissante de sous-titrage des textes, qui prolonge l’appauvrissement des proses et la raréfaction de l’emploi de figures rhétoriques risquant de susciter l’incompréhension du lecteur. On a la hantise de la méprise. Si on s’essaie à faire de l’humour, voire même à manier l’ironie, on prend soin de l’expliciter, car notre interlocuteur pourrait se méprendre. Le quiproquo est l’ennemi numéro 1 ; alors, comme l’écrit ne trahit pas notre état d’esprit avec la même évidence que notre visage, on s’auto-sous-titre de manière ridicule, supprimant du même coup la complicité intellectuelle que ces modestes subtilités supposaient et faisaient naître avec le lecteur.

A lire aussi, Olivier Amiel: Autant en emporte le « Woke »

Le plus souvent d’ailleurs, cette auto-explication de texte à laquelle nous nous livrons spontanément adopte une forme non-textuelle tout à fait conforme à la régression anthropologique dont ce souci témoigne : c’est l’émoticône, quintessence véritablement bonsaïesque de la modernité. On y trouve en effet, en modèle réduit, bien des traits de ce qui en fait le miel sans égal : le pathos à fleur de peau et la sensiblerie toute puissante ; la marque d’une misère langagière telle qu’elle ne permet plus la transcription littéraire des ressentis ; le simplisme général des formes évoquant les illustrations des livres de notre petite enfance ;  la colonisation de l’écrit même par l’image ; etc., etc., etc.

Le personnage Shun Gon du film Disney les Artistochats est aujourd'hui considéré comme problématique par la doxa diversitaire...
Le personnage Shun Gon du film Disney les Artistochats est aujourd’hui considéré comme problématique par la doxa diversitaire à cause du stéréotype qu’il véhicule sur les Asiatiques…

Avertissement: vous entrez en zone non-univoque !

Deuxième floraison remarquable occasionnée par cette purge de l’équivoque conduite jusque dans les textes : la multiplication et l’épaississement des appareils critiques, appelés à devenir bientôt plus volumineux que les œuvres mêmes auxquelles ils s’additionnent, tant l’effort de contextualisation à faire est grand pour éviter la syncope du lecteur moderne, toujours prêt à défaillir d’indignation à l’idée qu’un homme, un jour, quelque part, ait pu représenter une réalité ne cadrant pas avec le catéchisme progressiste de notre siècle. L’inactualité d’une pensée constitue désormais une violence latente dont le découvreur contemporain pourrait ressortir durablement traumatisé s’il n’y était convenablement préparé ; pour prolonger la métaphore végétale sur laquelle j’ai ouvert ce paragraphe, il s’agit donc proprement de l’y acclimater, pour que le changement de latitudes mentales auxquels sa lecture le destine ne lui soit pas fatal. Tel est le souci, proprement infantilisant, qui guide la constitution de ces gloses[tooltips content= »Ces merveilles sont aujourd’hui réservées aux œuvres dites problématiques, mais cette catégorie s’élargissant chaque jour, il n’y a pas à douter de la prospérité de cette industrie. La mort programmée de la littérature n’aura donc pas entraîné de suppressions d’emplois, pourrons-nous ainsi nous réjouir ; cela dit, nous serons sans doute trop occupés à passer les chefs d’œuvre des siècles antérieurs au tamis de l’esprit du temps pour nous rendre compte que nous n’en produisons plus – est-ce d’ailleurs au futur que je doive m’exprimer ? – … »](6)[/tooltips].

On notera d’ailleurs que les États-Unis, qui ont en la matière une avance à nous faire pâlir d’envie, ont su tout récemment, avec Autant en emporte le vent, étendre cette pratique méritoire aux productions cinématographiques. Attention, danger: ambiguïté en approche! faudra-t-il prochainement afficher à l’écran avant chaque scène « problématique ». Cela risque d’hacher le visionnage des films, mais qui sait ? cette innovation se mariera peut-être harmonieusement avec l’intercalation des généreuses tranches de publicités dont la télévision américaine est si friande…

Propos sur l'éducation, suivis de Pédagogie enfantine

Price: 15,00 €

17 used & new available from 5,50 €

PS: On se trompe cependant si on en reste à l’infantilisation ; car ce retour à la minorité de l’esprit se double d’un hiver de l’aspiration nietzschéenne à la puissance, absolument inconnu au petit d’homme, et caractéristique au contraire d’une avancée cruelle en âge. Sénilité: tel serait ainsi le terme vraiment juste pour faire le diagnostic global de notre civilisation, combinant régression des esprits à l’état d’immaturité enfantine, et avachissement des corps et des vitalités. Ici, j’en suis resté au seul premier aspect.

Victoire de Keira Bell contre les médecins d’une «clinique du genre»

0
Keira Bell Photo: D.R.

Royaume-Uni: désormais, il faudra s’en remettre à la justice avant de soumettre un corps sain d’enfant à des manipulations médicales. Keira Bell réclamait justice à la clinique qui lui a fait changer de sexe trop vite


Keira Bell rêvait d’être un garçon. À 16 ans, la jeune Anglaise est reçue au GIDS (« Gender Identity Development Service »), clinique publique dédiée aux enfants « présentant des problèmes d’identité de genre ». Après trois séances de psychothérapie, on la dirige vers un service d’endocrinologie pédiatrique qui lui administre des bloqueurs de puberté, puis des injections de testostérone. À 20 ans, on lui prescrit une double mastectomie. À 23 ans, Keira déplore son état hybride, entre deux sexes, dans ce corps de femme pourvu d’une voix d’homme et de cicatrices en guise de seins, et veut éviter aux autres ce « parcours de torture ». Aussi a-t-elle intenté une action en justice contre le GIDS pour l’avoir orientée hâtivement vers des traitements délétères.

La Haute Cour de justice anglaise lui a donné raison. L’arrêt rendu le 1er décembre 2020 contrecarre l’action des associations transgenres qui, à coups de procès en transphobie, avaient réussi à étouffer le débat médical autour de la dysphorie de genre et à imposer l’idée folle selon laquelle certains « naissent dans le mauvais corps ». Ce jugement est une victoire pour la protection des mineurs. Le texte établit que les bloqueurs de puberté ne sont pas « une pause pour laisser le temps à l’enfant de choisir son sexe », comme l’affirme la propagande. Ils ont des effets physiques et psychiques ravageurs. Un jeune de moins de 16 ans n’a pas la maturité suffisante pour donner son consentement à une médication dont il ne peut appréhender les effets sur sa libido, sa fragilité osseuse, sa fertilité. La Cour a qualifié les bloqueurs de puberté de « traitements expérimentaux ».

Désormais, il faudra s’en remettre à la justice avant de soumettre un corps sain d’enfant à des manipulations médicales. On ne peut s’empêcher de se demander comment on en est arrivé là. Ce procès n’est pas la première réplique judiciaire du tsunami provoqué par cette théorie du genre qui veut nier nos fondements biologiques. Et ce ne sera certainement pas la dernière.

Assa Traoré: le soutien très gênant de la youtubeuse Nadjélika

0
Capture d'écran Quotidien / TMC TF1

La youtubeuse Nadjélika va être jugée le 3 mars 2021 pour avoir traité un policier noir de « vendu » en juin 2020, au cours d’une manifestation organisée par le comité Adama Traoré. Lors d’un passage au tribunal cette semaine, elle semblait ne plus du tout assumer devant des journalistes son propos racialiste et antirépublicain. Elle est défendue par le compagnon de Cécile Duflot. Benoît Rayski préfère encore s’en amuser…


Il parait qu’une personne de race noire peut traiter un autre Noir de « vendu » ! Un Juif serait donc autorisé à dire « sale Juif » à un autre Juif ? Voilà une question qui mérite d’être approfondie.

A lire aussi: Ce que cache la une du «Time» avec Assa Traoré

C’était lors d’une manifestation organisée par Assa Traoré. Parmi les policiers il y en avait un qui était noir. En conséquence de quoi Nadjélika, youtubeuse très suivie, l’a traité de « vendu ». Vendu aux Blancs bien sûr ! Nadjélika est une personne raffinée. Elle aurait pu lui dire « suceur de Blancs », « Bounty » ou « enculé de ta race ». Elle ne l’a pas fait. Ce qui nous permet d’affirmer qu’elle a un charmant côté Princesse de Clèves.

Qu’il nous soit permis de la féliciter. Mais le policier « vendu » n’a pas apprécié et a porté plainte. Un tribunal, vendu aux Blancs, statuera le 3 mars prochain sur le sort de Nadjélika. Quittons-la maintenant. Car elle est juste ennuyeusement hystérique.

Le 2 juin, la manifestation du comité Assa Traoré dégénère à Paris © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460788_000002
Le 2 juin, la manifestation du comité Assa Traoré avait dégénéré © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22460788_000002

Quand l’antiracisme militant devient raciste…

Il y a bien plus intéressant qu’elle: son avocat Arié Alimi. Ce maître du barreau, qui forme un couple harmonieux avec Cécile Duflot, est spécialisé depuis des années dans la dénonciation des violences policières et du soit-disant « racisme systémique » de l’État français.

À un journaliste qui lui demandait s’il n’y avait pas un peu de racisme dans le « vendu » de sa cliente, il a répondu qu’il ne pouvait pas y avoir de racisme entre personnes racisées.

Voilà qui nous ouvre des horizons prometteurs pour l’avenir.

A lire aussi: La vérité sur l’affaire Adama Traoré

Selon la jurisprudence Alimi un Noir pourrait traiter un autre Noir de « négro ». Un Arabe aurait toute latitude de dire « bougnoule » à un autre Arabe. Et un Juif pourra lancer « youpin » à un autre Juif.

Enfin les langues vont pouvoir se délier et les cent fleurs s’épanouir. Reste qu’un goy ne pourra pas dire « youpin » à un Juif. Il sera interdit à un souchien de traiter un Arabe de « bougnoule ». Et qu’un Blanc ne pourra pas dire « négro » à un Noir. Des progrès considérables restent à faire.

Quand la culpabilisation des Français ne marche plus…

0
Strasbourg, janvier 2021 © Numéro de reportage : AP22527545_000004

La stratégie perverse — et inefficace déployée par les gouvernants pendant l’épidémie fait penser à du sado-masochisme. Mais les Français sont de plus en plus lassés par les incohérences de leur Maître… L’analyse de Jean-Paul Brighelli.


La structure perverse suppose la culpabilisation d’autrui — puis sa punition. Il est entendu que si la punition est bien réelle, la culpabilité, elle, est imaginaire — ce sont les meilleures…

J’ai un peu étudié la structure perverse à l’œuvre dans les relations sado-masochistes, pour préfacer les récits de mon ami Hugo Trauer rassemblés dans les Patientes en 2004. Mon analyse était limitée aux relations entre Maître et Esclave, et ne concernait que des jeux plus ou moins cinglants entre adultes consentants.

Je n’aurais jamais pensé que le schéma que j’établissais alors (faiblesse initiale, construction d’une culpabilité, aveu, châtiment et réconfort — ad libitum) serait susceptible de s’appliquer à la politique menée par le gouvernement dans ce contexte d’urgence sanitaire.
Et pourtant…

A lire aussi: A-t-on encore le droit de s’interroger sur les vaccins à ARNm?

La fascination de nos élites dirigeantes pour l’univers anglo-saxon, dont la morale puritaine se charge si facilement de culpabilité, explique sans doute leur recours, depuis bientôt un an, à cette stratégie perverse. Le premier confinement a fonctionné comme punition a priori — et la punition, comme chez les enfants, justifie la culpabilité, même quand celle-ci est nulle. Les Français ont encaissé, face à un mal dont ils ignoraient tout, l’idée que c’était par eux que le virus passait. Cette stratégie a marché un temps : les enfants sont coupables de contaminer les adultes, qui contaminent les vieux, qui meurent. À cause de leurs descendants, et pas du tout parce qu’on leur administre du Rivotril. 

On accepte donc toutes sortes de vexations, comme les Soumis(es) acceptent des punitions imposées par le Maître ou la Maîtresse.

Et comme dans les structures perverses, les châtiments ont suivi une courbe de progression. Port du masque, puis confinement, puis ausweis, puis amendes. Variante additionnelle : couvre-feu de plus en plus tôt. Punition additionnelle, plus de café ni de bière au bistro, librairies, cinémas et théâtres fermés, plus de possibilité de rencontrer autrui. Et discours réitérés sur notre responsabilité dans la mort de nos aînés.
Comme il n’est pas facile de contrôler à distance, les autorités ont eu recours à l’usage massif de la télévision, instituant des rituels à heures fixes — les apparitions supposées angoissantes de Jérôme Salomon et autres prêcheurs d’apocalypse. Bien sûr, l’effet s’essouffle. D’où le rythme accéléré des interventions de nos dirigeants, Premier Ministre et Président de la République, qui obéissent à la même stratégie de fascination : « Aie confiance », siffle le serpent Kâ à l’oreille de 68 millions de Mowglis fascinés.

Jérome Salomon, directeur général de la Santé, l'une des nombreuses institutions du système de santé français © VAN DER HASSELT/POOL/SIPA 00952657_000037
Jérome Salomon, directeur général de la Santé, l’une des nombreuses institutions du système de santé français © VAN DER HASSELT/POOL/SIPA 00952657_000037

Le problème, c’est que dans un pays de culture catholique (l’usage de la confession délivre les fidèles de toute culpabilité de longue durée — quant à l’islam, il ne connaît que la culpabilité d’autrui), de surcroît largement agnostique et de tradition libertine, le binôme culpabilisation / punition ne marche qu’un temps. Les vexations sont déjà beaucoup moins bien acceptées que dans les pays anglo-saxons qui servent de modèles à nos élites mondialisées : la construction d’une réponse européenne globale à l’épidémie butte sur cette différenciation entre pays du Nord et Etats du Sud. Le premier confinement jouait sur l’effet de surprise, le second n’a pas été pris au sérieux, le prochain n’aura aucune marge.

D’autant que le discours du Maître doit être cohérent. Il ne peut pas interdire d’un côté l’accès aux remontées mécaniques des stations de ski et autoriser par ailleurs les escaliers roulants du métro. Le Maître doit aussi alterner répression et conciliation : mais de gestes de réconfort, ce gouvernement se montre particulièrement avare.

On sait que la relation du Maître et de l’Esclave est dialectique. Dans les relations SM, c’est le Masochiste qui fixe les limites, et non le Maître. Il dispose par exemple d’un mot-code pour interrompre le châtiment. Sitôt que l’Esclave s’aperçoit qu’il domine en fait le Maître, c’en est fait du stratagème pervers. 

A lire ensuite: Covid-19: errance en terre inconnue

Le peuple français a réalisé depuis fin octobre que les règles qu’on lui imposait n’avaient d’autre fonction que de créer encore de la dépendance et de l’asservissement — l’effet sur l’épidémie tardant à se concrétiser, c’est le moins que l’on puisse dire. Prétendre que « les Français ne sont pas raisonnables », c’est encore une fois chercher à instaurer une culpabilité qui est globalement rejetée : l’épisode grotesque des vaccinations (un joli rituel susceptible de faire mal) et le ratage complet de l’opération inscrivent dans l’opinion publique la certitude de la carence du Maître, déjà bien ancrée par la polémique sur les masques et les ratés du dépister / isoler. Le taux de Français rejetant l’idée même de vaccination prouve assez que les Maîtres n’ont pas su vendre aux esclaves leur dernière idée de sanction.

Or, dès qu’un soupçon d’incompétence du Dominant effleure la conscience du Dominé, la relation se renverse. La perversité demande une application constante, une imagination brillante, et s’appuie tout de même sur une demande. Mais la demande aujourd’hui va vers plus de liberté et moins de contraintes. L’information sur le coronavirus se précise, et le discours terrorisant sur les variantes anglaise ou sud-africaine, qui toucherait prioritairement les enfants, bla-bla-bla, peine à trouver un écho dans l’opinion. Nous sommes en train de nous secouer de l’entreprise perverse qui a tenté de nous accabler. La relation sado-masochiste entre les « élites » et les masses s’inverse, et le retour de bâton, si je puis dire, sera terrible.

On imaginait Trump mauvais perdant, mais pas à ce point!

0
Donald Trump © Dennis Van Tine/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22528233_000006

Il nous a volé un peu de notre rêve américain


Le seul mérite que Trump a eu est de n’avoir jamais dissimulé qu’il ne respecterait pas les résultats de l’élection s’il était déclaré perdant: parce que pour lui, ils seraient alors nécessairement truqués.

Il l’a dit, il l’a répété, il l’a martelé. Et il n’a cessé, au fur et à mesure que la judiciarisation forcenée qu’il avait mise en œuvre pour contester l’incontestable ruinait ses espérances, de demeurer pourtant dans le même registre. On était prévenu mais on n’osait pas penser qu’il irait aussi loin, au point de délibérément fragiliser le socle démocratique américain, le Capitole, symbole et lumière. Certains de ses partisans républicains, fanatiques et irrespectueux, chauffés à blanc par lui, ont pris à la lettre ce que Donald Trump continuait à proférer, malgré l’élection de Joe Biden : menaces et volonté sadique de battre en brèche une tradition et une civilité démocratiques trop honorables et honorées. Quatre morts et plusieurs blessés dans les marges de cette incroyable irruption collective contre laquelle la police du Capitole, pas assez nombreuse malgré les alertes, n’a pu faire preuve de suffisamment de résistance.

Joe Biden semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump!

Je n’ai pas eu tort de défendre certains aspects de la politique de Donald Trump sur le plan national – l’économique et le social au meilleur jusqu’à la calamiteuse gestion de la Covid-19 – et dans le domaine international où son caractère atypique, imprévisible, a su faire bouger des lignes qu’on croyait intangibles. Il a retiré son pays de théâtres guerriers même si évidemment il a porté atteinte à un multilatéralisme qui s’était accordé sur certains points fondamentaux comme le climat.

A lire aussi, Gil Mihaely: Joe Biden: le fossoyeur des classes moyennes sera-t-il leur sauveur?

Je me doutais qu’il serait mauvais perdant mais pas à ce point. Son refus obstiné d’admettre sa défaite ne relevait plus du combat légitime qui autorise le vaincu à user de toutes les ressources de la loi pour voir reconnaître ses droits, mais de l’expression caractérielle d’un tempérament incapable de supporter l’humiliation suprême de cette déconfiture. Il est clair qu’en ayant incité ses partisans à investir le Capitole, Trump a commis une faute gravissime, offensante pour la démocratie américaine et qui va cliver encore davantage le parti républicain entre pro et anti Trump. Ensuite il a calmé le jeu: c’était bien le moins. À cause sans doute de la réprobation des anciens présidents américains et de la semonce européenne sur sa déplorable attitude. Même si tout au long de son mandat Trump a été victime de l’opposition systématique des médias et d’un opprobre politique qui méconnaissait même ce qu’il avait accompli de bien, il serait faux de prétendre que cette hostilité générale a engendré le Trump caricatural, souvent aux limites du déséquilibre, inquiétant même si parfois lucide dans ses intuitions et ses analyses. C’est sa personnalité qui a créé la détestation dont il a été l’objet.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Mais il faut raison garder: ce n’est pas la fin du monde et encore moins celle de la démocratie américaine même si je partage le sentiment de beaucoup qu’avec ce Capitole envahi, c’est un peu de notre rêve américain qu’on nous a volé. Un trésor intouchable a été violé. Il n’empêche que rien ne m’est apparu plus inutilement mélodramatique que l’intervention de notre président en pleine nuit avec le drapeau américain derrière lui. Je sais que les Français adorent se mêler des affaires des autres et en particulier, pour les Etats-Unis, choisir leur président à leur place et généralement se tromper. Mais l’exhibition de ce drapeau était choquante et provocatrice comme si nous étions devenus coresponsables de la vie politique américaine, de ses grandeurs et de ses failles.

Je ne crois pas une seconde que le futur démocratique sera obéré par cette catastrophique fin de mandat. En effet, de même que sa singularité imprévisible a eu parfois des effets positifs pour le monde et son pays, il est permis de considérer qu’elle ne pourra jamais être imitée pour le pire, puisqu’il n’y aura jamais qu’un Trump pour présider ainsi et terminer de la sorte.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Demain, sans que je sois enthousiasmé par Joe Biden – qui semble rajeunir à proportion des déroutes successives de Trump -, on est tout de même persuadé qu’avec lui une forme de normalité reprendra ses droits. Elle ne sera sans doute pas géniale mais reposante. Il nous rendra à sa manière un peu du rêve américain.

Juste une conclusion sur la France. J’ai souvent douté de la qualité et de la force de notre démocratie. Mais suis-je naïf d’estimer que, si Marine Le Pen l’emportait en 2022, mille manifestations se dérouleraient dans la rue mais son adversaire battu ne contesterait pas le résultat de l’élection et n’inciterait pas ses soutiens à investir l’Elysée? Nous aurions d’autres drames et affrontements mais nous aurions au moins cette consolation.

L’assimilation, une ambition française

0
Cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, au salon d’honneur de la préfecture de Cergy (Val-d’Oise), 30 octobre 2003. © FREDERICK FLORIN / AFP.

En France, le vivre-ensemble pacifique des différences est nécessaire, mais pas suffisant. Le projet français est plus ambitieux : il attend du nouveau venu que, dans la sphère publique, il devienne un Français comme les autochtones. En échange, il reçoit une appartenance qui n’interdit ni les croyances personnelles ni le respect de ses ancêtres.


Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. Ensemble, ces trois notions forment comme un triptyque : ils sont les trois volets d’un même retable. Un retable qu’on dira républicain, en précisant toutefois que si la lettre est républicaine, l’esprit, lui, est éminemment français. L’assimilation fleure bon la IIIe République, mais la passion de l’unité et du commun qui l’inspire renvoie à la longue histoire de la France.

L’assimilation à la française est un principe chancelant

De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant. Elle fait figure, et depuis plus longtemps que les deux autres, de mal-aimée.

L’assimilation est la forme proprement française de l’intégration des immigrés, des nouveaux venus par les hasards et souvent les commotions de l’Histoire. Pour comprendre cette spécificité, il faut avoir à l’esprit quelques données historiques. « Chaque peuple qui a atteint un certain degré de développement, notait l’historien Werner Jaeger, dans son magistral ouvrage Paideia, a le souci de se continuer dans son être propre, de sauvegarder ses traits physiques, intellectuels et moraux. » Si bien que tout pays est bousculé et même mis au défi par l’arrivée d’individus qui ne sont pas sans bagages, mais porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie et de pensée autres que ceux du pays d’accueil ; autres, c’est-à-dire étrangers, voire contraires au pays où ils s’établissent. La question prend cependant un tour particulièrement brûlant dans un pays comme la France qui s’est ingéniée tout au long de son histoire à faire de l’un avec du multiple, qui, « si elle a de la peine à être une, ne saurait se résigner à être plusieurs » (Fernand Braudel), bref une France qui a la passion du monde commun. La France se singularise en effet (jusqu’à quand ?) par sa répugnance à voir les éléments qui la composent « superposés comme l’huile et l’eau dans un verre », pour reprendre l’image d’Ernest Renan. C’est pourquoi nous tenons la bride aux communautés, pourquoi nous refusons la fragmentation de la France en une mosaïque de communautés vivant chacune à son heure, suivant son calendrier, ses costumes et ses coutumes, pourquoi aussi l’« archipellisation » nous est non seulement une douleur, mais une offense.

Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage
Le Petit Journal, mars 1896. © Bianchetti/Leemage

Une France qui se distingue aussi par son entente de la vie, par ses mœurs, ces lois non écrites qui confèrent à un pays sa physionomie propre, et où longtemps, l’économie n’a pas eu le premier ni le dernier mot.

Une autre donnée historique mérite d’être prise en considération. Si nous avons fait le choix de l’assimilation, c’est assurément que nous cultivons la passion du commun et que nous sommes jaloux de notre mode de vie, mais c’est aussi que, plus que tout autre pays, la France se sait fragile, périssable, bref mortelle. Elle n’a pas attendu la Première Guerre mondiale pour en être instruite. La fracture de 1789 et le pathos révolutionnaire de la table rase lui ont enseigné cette vulnérabilité. D’où l’instauration de mécanismes qui lui garantissent une certaine persévérance dans l’être. L’assimilation est l’un d’entre eux. Elle est une assurance prise contre la nouveauté et ses potentialités destructrices, dont l’immigré est porteur. Comme l’est, soit dit en passant, le nouveau venu par naissance, qui, s’il n’apprend pas à connaître et à aimer la civilisation dans laquelle il est introduit en naissant, menace de défaire ce que ses ancêtres ont fait de singulier et de précieux. C’est un faux humanisme, disait Merleau-Ponty, que celui qui nie que l’altérité soit une question.

A lire aussi, le sommaire de notre numéro de janvier: Causeur: Assimilez-vous!

On comprend mieux dès lors que là où les autres pays peuvent se contenter d’une simple coexistence, pourvu qu’elle soit pacifique, d’un vivre-ensemble dans ses différences, et de l’insertion du nouveau venu dans la vie économique, la France, elle, poursuit un dessein autrement ambitieux : elle demande au nouveau venu de se fondre dans le creuset français. Elle attend de lui qu’il ait le souci, le scrupule même, de devenir, dans la sphère publique, un Français comme les autres, c’est-à-dire comme les autochtones.

L’assimilation, le mot dit la chose : il ne suffit pas au nouveau venu de respecter la culture du pays dans lequel il entre, il lui faut se l’approprier, faire sienne l’histoire, unique, que raconte notre pays, apprendre les notes et les harmoniques qui composent la partition que nos ancêtres ont arrangée, interprétée et nous lèguent. L’assimilation proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, elle affirme sans trembler l’essentielle asymétrie entre la société d’accueil et le nouveau venu. Immigrer, comme naître, c’est entrer dans un monde qui était là antérieurement à l’individu, cette antériorité oblige. Un monde, c’est-à-dire une communauté historiquement constituée, une collectivité sédimentée, cimentée par des siècles de civilisation commune, un « vieux peuple chargé d’expériences » (Bernanos). Si l’identité de la France est bien narrative, si elle n’est pas figée dans quelque essence et éternité que ce soit, elle n’est pas non plus un palimpseste.

L’assimilation n’est pas une punition, c’est une offrande

L’assimilation repose sur une conception qu’on pourrait dire épique du peuple et de la patrie. Il s’agit d’entraîner tous les membres de la nation dans une histoire commune. Elle s’ancre dans une conception non ethnique de la nation. La France, disait l’historien Jacques Bainville, c’est « mieux qu’une race, c’est une nation ». Ce qui cimente le peuple français, ce sont des souvenirs, le souvenir des actes et des accomplissements de ceux qui ont fait la France, la langue dont le secret perce et rayonne dans sa littérature, longtemps, du temps de l’apprentissage par cœur, des poèmes, des textes en prose. Qui que vous soyez, d’où que vous veniez, dit en substance l’assimilation, vous pouvez devenir Français pourvu que vous ayez la volonté et le désir d’apprendre notre histoire, de la comprendre et de l’aimer. Et cette proposition est possible parce que, être français ce n’est pas seulement avoir du sang français qui coule dans ses veines, parce que, pour être français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître. Il faut donner des gages de son aspiration à maintenir vivant un héritage, et le maintenir vivant non en le visitant et éventuellement le goûtant en touriste, mais en trempant sa plume dans l’encrier et en en continuant l’esprit, et non la seule lettre.

La France attend de l’étranger qu’il transmue cette substance en sa moelle propre, et substantifique. Appropriation de l’Histoire, mais non moins des mœurs. C’est peut-être ce qui frappe le plus dans le modèle français d’intégration, que cette exigence d’adoption des us et coutumes. Les autres pays d’Europe, à l’exception des pays ex-soviétiques d’Europe centrale qui connaissent d’expérience l’expropriation culturelle, s’accommodent très bien d’usages, de pratiques, de codes distincts des leurs. L’espace public français n’est pas un fast-food McDonald, « on n’y vient pas comme on est ». On dépose ses bagages et l’on s’apprête : on revêt les atours du pays d’accueil, on en adopte les manières, la forme de vie, la sociabilité, la mixité des sexes. Dans le plébiscite de tous les jours qu’est une nation, pour reprendre la définition d’Ernest Renan, l’imitation des manières du pays dont on devient membre est un premier oui d’approbation, c’est ainsi que nous l’interprétons. D’où, et avant même toute autre considération, les vives réticences que nous inspire le port du voile. C’est bien par l’adoption des signes extérieurs que le nouveau venu affirme et confirme que la citoyenneté française n’est pas, pour lui, qu’une citoyenneté de papier.

L’assimilation, point capital, en appelle aux sentiments. L’intégration, en comparaison, a quelque chose d’aride, de distant, de froid. « Ce qui nous attache à la patrie, disait Stendhal, c’est que nous sommes accoutumés aux mœurs de nos compatriotes et que nous nous y plaisons. » Nous ne concevons pas que l’on devienne français sans se plaire aux mœurs françaises, sans se délecter de la composition française, comme dirait Mona Ozouf. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », les choses n’ont sans doute pas cette simplicité d’épure mais enfin, le mot de Philippe de Villiers contient une vérité puissante : l’identité française est une affaire de cœur avant d’être une affaire de tête.

L’assimilation nous parle en effet d’un temps que les moins de 40 voire de 50 ans ne connaissent pas, un temps où la France s’aimait, s’estimait et en savait les raisons, où elle avait une conscience vive des trésors qu’elle recélait, et c’était comme tels qu’elle les proposait aux nouveaux venus. Péché d’universalisme peut-être, mais nous étions convaincus que la forme de vie française était susceptible d’être appréciée, admirée, savourée par l’homme en tant qu’homme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, et somme toute, nos visiteurs ne nous démentaient pas.

Demande exorbitante que ces exigences françaises qui semblent réclamer une « conversion » de tout l’être – « offrir l’asile au corps » et « convaincre l’âme de changer », disait le romancier Kamel Daoud, belle synthèse du programme assimilationniste ? Nullement.

On a trop tendance à présenter l’assimilation comme une contrainte, voire une punition, mais elle est d’abord une offre, une offrande même. Il entre dans l’assimilation – le mot, à n’en pas douter, surprendra tant on s’est employé à la grimer en monstre exterminateur – de la générosité. Générosité française longtemps perçue comme telle par ceux qui en bénéficiaient ; longtemps en effet les Français par naturalisation n’ont pas été chiches de leur gratitude. L’hommage que le peintre Chagall rendait à la France – « En somme, je dois ce que j’ai réussi à la France dont l’air, les hommes, la nature furent pour moi la véritable école de ma vie et de mon art » –, chacun des membres de l’école de Paris, tous d’origine étrangère, Modigliani, Soutine, Zadkine, pour ne citer que quelques noms, aurait pu le prononcer[tooltips content= »Je renvoie au catalogue de l’exposition « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1950-1940 » (Co-Edition MAHJ et Réunion des musées nationaux, 2020), qui apporte de très précieux éléments pour penser cette alchimie. L’exposition devrait se tenir au printemps prochain à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. »](1)[/tooltips].

Des nourritures charnelles

L’assimilation est peut-être la seule forme d’hospitalité véritable. Elle conjure et panse la douleur par excellence de l’exil, le déracinement. Car c’est bien un nouvel enracinement qu’au travers de l’assimilation, la France propose à l’immigré. « Avec les avantages d’une citoyenneté, les nouveaux Français recevaient l’honneur d’une appartenance », aimait à rappeler Jean Daniel. L’assimilation connaît bien l’homme. Elle sait, ce que nous nous obstinons à méconnaître, que c’est d’incarnation, de grandes figures, d’épopée, que l’humaine nature a besoin, pas d’abstraction. Ce sont des nourritures charnelles qu’elle offre au nouveau venu.

L’assimilation apporte d’ailleurs un énergique démenti à ceux qui accusent la France de se former et de cultiver une idée abstraite du citoyen. Sans doute l’assimilation commence-t-elle par délier l’individu de ses appartenances premières : elle est un processus en première personne. Elle s’adresse à l’individu, elle le convoque, lui et lui seul. « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout leur accorder comme individu », disait Clermont-Tonnerre, défenseur de 1789 de l’accès des juifs à la citoyenneté – « tout accorder à l’individu », peut-être pas de nos jours, en ces temps d’individu-mesure-de-toutes-choses, mais en tout cas, ne pas voir dans le futur citoyen le membre d’un groupe. L’émancipation, toutefois, n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit en aucune façon de jeter cet individu que l’on vient d’affranchir, de le délier de sa famille, de son église, dans un grand vide identitaire : il n’est libéré de ses appartenances primitives qu’afin de contracter d’autres liens, ceux qui le rattachent à cette réalité plus vaste qu’est la nation, dont il est appelé à devenir sociétaire et membre…

Les pères fondateurs de la IIIe République savaient très bien que l’on n’unit pas un peuple autour des valeurs, de la République, de la laïcité, toutes ces clochettes que nous ne cessons de faire tintinnabuler convaincus que cela nous fera d’excellents Français. Être citoyen, clame l’assimilation, ce n’est pas seulement être un sujet de droits et de devoirs, ce n’est pas non plus répondre de ses choix et de ses actes devant quelque tribunal universel des « valeurs » ou des « droits de l’homme », mais répondre de ses décisions et de leurs conséquences : devant le tribunal des vivants et de ceux qui viendront après nous, certes mais d’abord des morts qui ont fait la France, qui lui ont donné sa physionomie et son génie propre.

Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.
Prière juive pour l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. © Selva/Leemage.

Ensuite, révisons un des procès les plus iniques intenté à l’assimilation et qui, en ces temps de fièvre identitaire, travaille le mieux à la disqualifier. Ignorance, paresse, démagogie, idéologie, le tout mêlé, on se plaît, y compris parmi des hommes politiques des plus respectables, ainsi d’Alain Juppé, à colporter l’idée que l’assimilation impliquerait l’immolation des appartenances inaugurales, qu’elle frapperait d’interdit les attachements et les fidélités particulières. Or, jamais l’assimilation n’a signifié pareil sacrifice et même sacrilège. Elle se fonde assurément sur l’autonomie de l’individu, mais si elle lui demande de déposer ses bagages lorsqu’il pénètre dans l’espace public, elle ne lui refuse en aucune manière la liberté d’entretenir le culte de ses dieux et de ses morts. Assurément, ainsi que l’écrit l’historien Marc Bloch, est-ce « un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse », mais la France n’a jamais rien imposé de tel à ceux qui aspiraient à devenir français. Si elle proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, si elle détache l’individu de sa communauté première, elle n’exige pas l’oubli et le mépris des origines, elle en circonscrit seulement la pratique à l’espace privé.

L’heure de la tyrannie des identités

L’assimilation, comme la laïcité, vit de la frontière que nous traçons rigoureusement et vigoureusement entre la sphère publique et la sphère privée. L’espace public, espace des apparences et de la vie en commun, est le lieu de la discrétion, noble vertu bien outragée à l’heure de la revendication véhémente et venimeuse de « visibilité ». La vie s’est simplifiée, observait la conteuse Karen Blixen : l’individu contemporain entend être partout et toujours le même. La hiérarchie des ordres est frappée d’illégitimité. Et la France est cette belle audacieuse qui rappelle chacun à sa liberté, au jeu qu’il peut instaurer avec lui-même, au pas de côté qu’il lui est toujours loisible d’accomplir par rapport à toutes les formes de déterminismes. L’assimilation fait le pari de la liberté. Une liberté non d’arrachement, mais de la mise à distance. Vertus émancipatrices qui manifestement ne séduisent plus.

A lire ensuite, Renée Fregosi: Contre l’islamisme: pas de «tenaille identitaire» qui vaille!

Que faire de cet héritage à l’heure de l’exaltation et de la tyrannie des identités ? L’assimilation peut-elle nous être une ressource alors que les « minorités » et les « diversités » ont investi l’espace public et ne cessent de gagner en autorité et légitimité auprès des élites politiques, médiatiques, culturelles ? Je le crois. Toute politique soucieuse de répondre de la continuité historique de la France, anxieuse de restaurer quelque chose comme un peuple devrait en faire son programme. Elle n’immole pas les identités premières, elle les remet à leur place. L’assimilation, en tant qu’elle proclame la préséance de cette réalité transhistorique qu’est la France sur toutes les identités particulières, nous arme contre la décomposition nationale et la transformation de la France en un archipel d’îlots communautaires, crucifié par les « diversités ». Elle seule est à même de nous rendre un monde, un ciment qui ne soit l’exclusive de personne, mais l’affaire de tous. Ayons le courage de nous en saisir, de la brandir même. Évidemment, cela suppose que nous recouvrions, collectivement, les raisons de nous estimer, que nous retrouvions plus que la fierté de nous-mêmes, le goût et la saveur de la composition française.

L’assimilation n’a pas échoué, contrairement à ce que l’on répète à satiété, voici quatre ou cinq décennies que, sur fond de conscience coupable, de tyrannie de la repentance et de politique de reconnaissance des identités importée des États-Unis, doutant de notre légitimité,  nous y avons purement et simplement renoncé.

« Ils se sont faits dévots, de peur de n’être rien », disait Voltaire. Cessons d’acculer les individus à cette diabolique et funeste alternative. Et puis que l’on ne nous accuse pas de discrimination : au point où nous en sommes d’ignorance généralisée, je propose que nous décrétions l’assimilation pour chacun et pour tous ! Pour chacun, car, nous l’avons vu, l’assimilation s’adresse à l’individu en personne ; pour tous, c’est-à-dire aussi bien pour les Français de souche, comme il ne faut pas dire, qui ne savent plus rien de leur propre histoire !

États-Unis: le 18 brumaire de Donald Trump n’a pas eu lieu

0
Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s'adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027

Mais le temple de la démocratie américaine a été profané…


Les images qui nous sont arrivées des États-Unis sont sidérantes. Avant de se pencher sur les faits et leur signification, une chose est évidente : le temple de la démocratie américaine a été profané. Plutôt qu’à une prise de pouvoir, nous avons assisté à des scènes de désacralisation. Les personnes qui ont envahi le Sénat et la Chambre des représentants n’ont pas fait de discours ni de déclaration. Ils n’avaient ni communiqué ni plan. Ils étaient ivres de rage et ils se sont soulagés. Mettre ses bottes sur le bureau de Nancy Pelosi est un geste dont le sens est anthropologique. Ce n’est pas une étape dans un projet politique. Et c’est là que se trouve le vrai problème : hier à Washington il y avait de la colère, de la violence, mais il n’y avait pas de rationalité, il n’y avait de plan. Et surtout il n’y avait pas de limite.  

La drôle d’entrée en campagne de Trump pour 2024

Donald Trump espérait sans doute changer la donne. Soit il pense toujours se maintenir au pouvoir soit – ce qui est plus probable – il est déjà en campagne pour 2024. 

Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP
Le président Donald Trump en campagne pour sa réélection, le 26 octobre 2020 à Martinsburg en Pennsylvanie © SAUL LOEB / AFP

Pour se maintenir au pouvoir, il lui fallait le soutien d’une véritable force fédérale – l’armée – et peut-être des forces locales capables de prendre le contrôle des institutions. Mais Trump n’a pas ce genre de soutiens. On peut supposer qu’il a essayé de les obtenir et que ces tentatives et appels infructueux sont la cause de la tribune des anciens ministres de la Défense. Quoi qu’il en soit, en toute probabilité, le 7 janvier en fin de matinée Trump savait que l’armée, la police, le FBI et le service de protection n’allaient pas bouger. Mais il a tellement l’habitude de changer la donne avec ses transgressions ahurissantes – rappelons qu’il a été le premier surpris par son élection en 2016 – qu’il a appelé ses supporters à se manifester au Capitole. 

En 2016 Trump n’espérait pas tant d’une campagne qui l’avait grisé et lui promettait même en cas de défaite une célébrité encore plus lucrative. On peut donc supposer qu’hier matin à Washington, Trump jouait encore avec le feu, cherchait les limites pour les dépasser et voir ce que cela donne.  Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait pas un véritable plan de putsch. Mais on peut aussi supposer que la possibilité d’un coup d’État voire d’un simple massacre n’a pas fait reculer le président des États-Unis. Trump a lâché le boulet. Il a harangué la foule, flattant l’une de plus vieilles passions américaines : la haine de Washington. Souvenez-vous de Mr Smith goes to Washington comme des premières décennies de la république américaine. Tout y est déjà. 

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Trump: le funambule qui tombe?

Donald Trump a donc fait ce qu’il faut pour provoquer ce qu’il espérait : le chaos, le drame. Avec ce manque de responsabilité qui est sa marque de fabrique : puisque lui personnellement n’a rien à perdre, tout le reste peut bien aller au diable. 

Trump ne savait pas ce qui allait se passer. Comme toujours, il renverse la table sans avoir de plan pour la suite. Il sait juste qu’il profite plus souvent que d’autres du chaos et de la sidération de l’inédit, de la stupéfaction suscitée devant la transgression de tout « ce qui ne se fait pas » (« it’s not done »). Le président américain a donc jeté les dés en espérant une bonne combinaison de chiffres, un « six-six » et cela aurait pu être un putsch, on ne sait jamais… Sur un malentendu comme disait Jean-Claude Dusse on aurait pu avoir un scénario bien pire.

Les plaies de la guerre de Sécession rouvertes?

Si l’opérette d’hier n’a pas accouché d’un coup d’État, elle a en revanche de fortes chances de devenir le mythe fondateur du trumpisme, l’Alamo, la défaite glorieuse, le dernier carré de Waterloo. « We few, we happy few we band of brothers » diront bientôt les Trumpistes en parlant du 6 janvier 2021. Des millions d’Américains vont jurer y avoir participé !  Ils ont leur cause – « les élections volées » – et leur charge aussi héroïque que désespérée. 

Les failles sont profondes aux États-Unis. Les plaies de la guerre de Sécession ne sont toujours pas cicatrisées et la nouvelle cause risque d’épouser ces anciennes lignes de fracture. Le problème actuel de la démocratie américaine n’est pas un coup d’État à craindre dans les jours ou les semaines à venir, mais de voir une minorité trop importante se retrancher dans un refus des institutions, sapant profondément et durablement leur légitimité.

L’histoire de l’Union est parcourue de tensions

Les États-Unis ont connu des crises dramatiques.    

En juin 1858, dans un moment de l’histoire américaine où les tensions et contradictions au sein de l’Union s’approchaient du point critique de la guerre civile, Abraham Lincoln, nommé sénateur de l’Illinois, a prononcé un discours devenu classique :  « Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir, disait-il. Je ne m’attends pas à ce que l’Union soit dissoute – je ne m’attends pas à ce que la Chambre tombe – mais je m’attends à ce qu’elle cesse d’être divisée. Cela deviendra une chose ou une autre. » En janvier 2021 ces mots ont une résonance toute particulière. 

A lire ensuite: Gilets jaunes: « Les comiques de France inter étaient paumés »

En 1932 le chef d’état-major Douglas McArthur a déployé des chars sous le Capitole pour disperser des anciens combattants venus réclamer leurs allocations. Une vingtaine d’années plus tard il a été viré par Truman qui craignait son césarisme… Les assassinats politiques et la violence raciale des années 1960 ont eux aussi poussé la démocratie américaine au bord du gouffre. L’union a survécu sans qu’on puisse dire exactement pourquoi, mais très probablement grâce à certaines personnes dont le courage et la probité ont évité l’écroulement des institutions. Aujourd’hui les États-Unis sont de nouveau une maison divisée contemplant l’abime. Mais soyons rassurés : des personnes courageuses et honnêtes sont toujours là pour dépasser leurs appartenances politiques et tenir le toit de la maison.

Trump: le funambule qui tombe?

0
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Après une soirée mouvementée et l’intrusion d’ultras dans le bâtiment du Capitole, le Congrès américain a finalement validé la victoire de Biden. Pensant faire un coup d’éclat, Trump sort perdant de cette séquence étonnante où certains sont allés jusqu’à crier au « coup d’État ». Analyse.


Aujourd’hui, le trumpisme semble avoir subi une triple défaite. Joe Biden a gagné les élections présidentielles de novembre : sa victoire vient enfin d’être certifiée par le Congrès après une des séances les plus dramatiques de l’histoire de la démocratie américaine. Les Démocrates, en remportant deux victoires dans l’état de Géorgie, ont pris le contrôle du Sénat, permettant au nouveau président de gouverner comme bon lui semble, sans risque de voir ses projets bloqués au Congrès. Finalement, après les scènes violentes au Capitole hier, les Démocrates et leurs supporteurs peuvent désormais se présenter en défenseurs de la démocratie contre une insurrection antidémocratique. 

A lire aussi, du même auteur: Le trumpisme avait tout de même du bon

Pence: “La violence ne triomphe jamais”

Ces mêmes scènes ont consacré une scission au sein du Parti républicain entre les supporteurs les plus intransigeants de M. Trump et les autres. Des opposants de longue date au président sortant sont confortés dans leur opposition. Arnold Schwarzenegger, l’ancien gouverneur républicain de la Californie, venait de publier le 5 janvier une tribune dans The Economist où il dénonçait comme « une charade » les tentatives de M. Trump d’invalider les résultats des élections de novembre. Lui et ceux qui pensent comme lui peuvent maintenant proclamer : « On vous l’avait bien dit ! » Ils seront en meilleure position pour se débarrasser de M. Trump comme chef du parti, même si la chose ne va pas de soi. Un grand nombre des fidèles du président milliardaire ont été obligés de prendre leurs distances. Le vice-président, Mike Pence, président du Sénat et chargé ès-qualités de superviser la ratification par le Congrès de la victoire de Joe Biden, a non seulement fait la sourde oreille à la demande de Trump d’invalider les résultats, mais a déclaré, face à l’interruption de la séance du Congrès par les insurgés : « La violence ne triomphe jamais ; seule la liberté triomphe. » La Sénatrice Kelly Loeffler, qui venait de perdre son siège en Géorgie et qui, trumpiste dévouée, s’était déclarée prête à s’opposer à la ratification des élections présidentielles, y a finalement renoncé, comme un certain nombre d’autres élus républicains. 

Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles…

À l’étranger, des alliés réputés proches de M. Trump, tels que Boris Johnson, ont condamné – à l’instar d’autres leaders – les actions de ses supporteurs comme une atteinte à la démocratie. L’association qui est faite dans l’esprit de la plupart des observateurs entre les événements du Capitole et les déclarations récentes de Donald Trump, maintenant que sa victoire lui a été volée, transforme la condamnation de l’insurrection d’hier en condamnation du futur ex-Président lui-même.

Trump compromet son avenir

Les conséquences pour la stratégie politique de Trump sont graves. Celui-ci s’apprêtait à adopter la posture du « vrai Président en exil », c’est-à-dire de celui qui s’oppose, non seulement aux politiques mises en œuvre par le président Biden, mais à sa légitimité même, ainsi qu’à celle de tout l’establishment politique de Washington. Il comptait ainsi continuer à jouer le porte-parole de la colère populaire, de ceux que le système a abandonnés. Ce rôle est désormais sérieusement compromis. Trump risque de ne plus représenter que la frange la plus colérique des cols bleus patriotiques. Jusqu’ici, il se tenait sur la ligne de crête entre l’esprit de révolte des laissés-pour-compte et les institutions politiques traditionnelles. Au lieu d’avoir un pied dans les deux camps, pour ainsi dire, il est condamné à sautiller du côté des ultras, à canaliser, non la juste colère de la foule, mais la rage désespérée d’une minorité.

Au cours des mois à venir, les Républicains seront amenés à faire l’autopsie de leurs défaites. Ils trouveront que leurs revers dans les urnes sont moins le résultat d’une fraude que de leur incapacité à exploiter les nouvelles règles de la procédure électorale introduites par les Démocrates après leur reprise de la Chambre des représentants en 2019. Comme l’explique Kimberley Strassel dans The Wall Street Journal, les nouvelles pratiques rendues légales par la réforme électorale – la possibilité de s’inscrire le jour même du vote, le recours au vote postal à grande échelle et le « ballot harvesting » (la collecte et la remise de bulletins de vote par un tiers) – ont favorisé les Démocrates qui maîtrisaient ces processus sur le terrain beaucoup mieux que les Républicains. 

Le succès futur de ces derniers ne dépendra donc pas uniquement de leur capacité à exploiter la grogne, mais d’un retour aux fondamentaux des techniques de campagne électorale. 

Donald Trump a plus le profil d’un apprenti sorcier de la rage populaire que d’un architecte des procédures.