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Zemmour au-delà des lignes

Tant du côté du monde religieux juif que du catholicisme, on avait fait les gorges chaudes autour des « pas-de-deux » que Gad Elmaleh avait esquissés entre les deux pôles. Quoiqu’il dise son attrait envers l’univers du catholicisme limité au « culturel » et non au cultuel, le parcours intellectuel d’Éric Zemmour n’est pas sans ressembler à celui de l’humoriste. Il ne faudrait toutefois pas qu’il se fasse plus royaliste que le roi…


« Un journaliste dans le texte, un journaliste dans le siècle » (et, même, en l’occurrence, bien des siècles…), c’est ainsi que pourrait se sous-titrer cette biographie intellectuelle, mixte d’essai et de pure biographie1.

L’auteur n’est pas de celles qui, pour pondre leur prose enamourée, croit suffisant de donner rendez-vous à leur interlocuteur dans un bistrot à la mode d’où, autour d’une tasse de thé vert, et sans une once d’esprit critique, jaillira un portrait riche de tous les souverains poncifs du moment. Danièle Masson aime prendre ses sujets à bras-le-corps, éprouve un faible pour ce que nous appellerons les « intellectuels mystiques », navigue donc en permanence entre la philosophie et la religion tout en tenant ferme son gouvernail. Après Gustave Thibon, le philosophe de l’Ardèche (qui disait ne pas croire en Dieu mais ne croire qu’en Dieu et qui s’était si bien entendu avec Simone Weil avec un W), que cet essayiste puisse s’intéresser à celui qui, au fond, fut dès ses débuts, un éditorialiste (la politique n’étant que l’application de ses ardentes préconisations) coule de source, la source même qui avait alimenté l’interrogation qui avait donné son titre à un précédent recueil d’entretiens : Dieu est-il mort en Occident ?2

De cette bio, voici donc ce qui s’y lit et ce qui s’en déduit. Non pas « Zemmour entre les lignes » (car il ne s’agit pas ici de sous-entendus politiciens) mais « Zemmour derrière, au-delà des lignes » (pour tenter d’appréhender le substrat doctrinal présent en arrière-plan de sa démarche).    

Un rapport tout particulier au temps

Pour comprendre pourquoi Zemmour est si attaché à la pensée du passé et donc à cette science humaine, mais pas si inexacte que cela, qui se nomme l’Histoire, il faut avoir à l’esprit sa nostalgie personnelle, celle de la banlieue des années soixante et soixante-dix, de ce qu’on appelait alors la Ceinture rouge. A Stains, à Montreuil, il régnait un ordre, qui, tout laïcard qu’il ait été, baignait dans une certaine morale pour ne pas dire une morale certaine qui eut abominé l’esprit du temps présent. Pour Zemmour, ce qui vient après n’a pas, de droit, préséance sur ce qui était avant : l’avenir ne doit jamais oublier le souvenir, et, même, ce dernier doit-il se rappeler à son bon souvenir. Au pire doivent-ils en permanence entretenir une dialectique où le prétendu passé joue le rôle de la Statue du Commandeur, toujours prêt, du haut de sa gravité, à proférer à nos cervelles écervelées nos quatre vérités.

Un rapport classique à la notion de vérité

L’idée que nous nous faisons du temps, la façon même dont viscéralement nous le ressentons (laquelle nous rend capable, à l’instar de Zemmour, de précisément prendre le pouls de son époque) entraîne et résulte à la fois d’une conception classique, c’est-à-dire fixiste et thomiste de la vérité. Celle-ci, bien évidemment s’inscrit en faux contre le présentisme, pis l’instantanéisme aujourd’hui dominant. Remarquons que nous évitons d’employer le terme de ‘‘relativisme’’, en ce sens que toute la question n’est pas de savoir si la vérité est relative, mais de détecter avec quoi, avec qui est-elle en relation ; non pas exactement : de quoi dépend-elle ?, mais : de qui émane-t-elle, quelle instance l’a-t-elle édictée ?

A relire, Sarah Knafo: «Et si on admettait tout simplement qu’on refuse l’islamisation de notre pays?»

Les idées de Zemmour sont ainsi en porte-à-faux avec celle de notre époque tout en continuant à imprégner l’inconscient collectif, un inconscient qui se révolte de plus en plus et aspire à devenir conscience reconnue.

Question pécuniaire, il est préférable de faire des ménages que d’être astreint au statut de jeune journaliste, d’ « intellectuel précaire ». Fin des années quatre-vingt, après J’informe (de Joseph Fontanet), le jeune Zemmour a accepté d’être mal (et parfois, pas) payé au Quotidien de Paris de Philippe Tesson dont le libéralisme avait au moins la vertu de laisser vaquer ceux qui ne savaient pas encore combien et comment ils allaient progressivement – si l’on n’ose dire – le tenir en piètre estime… le libéralisme disais-je. Passé au quotidien Le Figaro, des confrères, à l’exemple de Dominique Jamet, remarquaient la place encore à l’époque restreinte dévolue à ses papiers. On sentait que les thuriféraires de la monnaie nationale n’étaient pas en odeur de sainteté. Ils ne le sont certes toujours pas, mais, pourtant, entre-temps, la divine surprise advint, la greffe a opéré, entre le public (que d’aucuns diraient n’être qu’un certain public, peut-être la France moisie visée par Philippe Sollers) et lui.

Le journaliste français Philippe Tesson photographié en 2011 © BALTEL/SIPA

Les raisons de la réussite de cette greffe demeurent une énigme si l’on sait que le courant dominant des grands médias demeure libéral-libertaire et que, contrairement au cliché, « la société » n’a pas viré à droite

Sans remonter aux Mérovingiens, ni même à la Convention de 1792, mais, seulement à l’Assemblée nationale de 1969 – lorsque ce que l’on ne nommait pas alors « la droite », mais la « majorité présidentielle » gaulliste (c’est quand La chose n’y est pas qu’on y met le mot faisait dire le théâtre de Montherlant à l’un de ses fameux personnages, et inversement) s’est élargie au centre-droit avec l’entrée au gouvernement du parti Démocratie et Progrès de Jacques Duhamel,- il est manifeste que, dans ses mœurs, dans son être, – plus précisément : dans l’acceptation officielle des mœurs, dans sa manière d’être -, la société française a, dans son ensemble, dérivé vers la gauche3. Par contre, l’étude de l’histoire du droit du travail et l’observation du comportement des grands syndicats depuis cette date montrent un net glissement vers le libéralisme individualiste de droite (dominante : Friedman/Hayek). L’observation clinique de la société confirme donc le diagnostic d’un Jean-Claude Michéa, qui, outre cette indissociabilité du gauchisme des mœurs et du gauchisme économique et financier,insiste sur la non neutralité de la technique, en ce sens que les NTIC, en tant que telles, favorisent cette dérive. Michéa est peut-être le meilleur théoricien, l’expression la plus articulée du sens commun zemmourien. (Laetitia Strauch-Bonart, qui se dit disciple de Michéa, ne nous démentira pas).

Si nous parlons de sens commun zemmourien, c’est, certes, que son diagnostic et son pronostic seraient le plus couramment répandus, mais, aussi et surtout, que la société, que toute société digne de ce nom (qui répond à la définition du mot société) est structurellement de droite

Autrement dit, et aussi paradoxal que cela apparaisse de prime abord : la politique de droite (toutes matières confondues) est naturelle, est conforme avec la structure inhérente à toute société. Elle suppose (et implique réciproquement) une hiérarchie des décideurs, c’est-à-dire une structure nécessairement pyramidale des normes… droite/gauche… composition de la Convention… droit de veto (relatif ou en dernier ressort) du roi… Mais cet ordonnancement n’est pas seulement vertical ; il est aussi horizontal si l’on s’en rapporte à l’organisation tri-fonctionnelle de la société telle que révélée par Georges Dumézil et que les trois ordres de l’Ancien Régime n’ont fait que décalquer. Autrement dit, il existe des invariants qui, par définition, plus ou moins enfouis, plus ou moins tabous selon les époques, ne peuvent que demeurer. Au sens de manant (le membre de la petite noblesse qui, sous l’Ancien Régime, veut se maintenir sur ses terres et maintenir ses traditions), Éric Zemmour est donc un demeuré. Il veut étirer le temps, éterniser (tant faire se peut, et toute la question est de savoir si l’on peut prétendre que cela soit possible) l’instant d’avant. Et c’est en partie ce que l’on appelle la Tradition.

Les conceptions zemmouriennes ne sont peut-être pas sans lien avec la religion hébraïque biblique 

Boris Cyrulnik faisait observer qu’historiquement, les Juifs avaient été des « agitateurs culturels ». Et, de fait, de Jésus-Christ à Judith Butler en passant par Daniel Bensaïd et Marx, en a-t-on souvent intellectuellement cette vision. Mais, cet anti-essentialisme exacerbé, cette aversion envers toutes prédéterminations et déterminations radicales en l’homme (qu’on pourrait résume par cette formule : il est de l’essence de l’homme de n’avoir aucune essence) ne correspondent toutefois qu’à une portion du monde juif4. Le judaïsme, pris ici à l’instar de ce que Claude Tresmontant désignait du nom de ‘‘religion hébraïque biblique’’, effectue un geste opposé (cf. par exemple la pensée d’un Léo Strauss ou d’un Bergson). On agite le verre de vin, puis on laisse reposer. Et on s’intéresse, on isole, on préserve et conserve ce qui se sera déposé ; c’est le ‘‘dépôt de la foi’’. Pour l’essentiel s’assimile-t-il au Décalogue, à la Loi naturelle, lesquels, tout au long de l’histoire des hommes, agissent à la lettre comme un garde-fou, le mettant en garde contre ce qui est la tentation permanente du genre humain, et qu’on appelle la Tentation de Prométhée. Aussi n’est-il pas exagéré d’écrire qu’Éric Zemmour s’inscrit en faux contre, en l’homme, la perpétuelle recherche de l’autonomie, la volonté de soi-même se donner à soi-même sa propre loi au risque, bien sûr, par finir par ne plus ne s’en donner aucune : l’autonomie absolue mène à l’anomie universelle.

Solide, bien pensée (et, on l’a compris, dans les deux sens du terme), la biographie intellectuelle de Danièle Masson, en drainant toutes ces notions, contribuera à l’édification de l’Histoire des idées. Elle donnera aussi à nos descendants une idée assez exacte de l’état intellectuel et mental de notre époque qui, se diront-ils, en était ainsi venu à considérer comme inconvenante voire réprouvable une appréhension du monde somme toute conforme à la nature des choses, si tant est que les adjectifs ‘‘banal’’ et ‘‘naturel’’ puissent se dire synonymes.

Certains se souviendront de ce journaliste catholique des années soixante-dix, qui fut d’abord au nombre de ces chrétiens de gauche avant de virer sa cuti. Il est l’auteur de cette formule, qui est au fond une formule de bon sens, en ce sens qu’elle résume bien ce qu’il y a lieu de comprendre et d’admettre. Ce Jean-Marie Paupert disait donc : « l’expression judéo-christianisme est à la fois un contresens et une redondance. ». D’une part, le christianisme s’inscrit en faux contre l’affirmation première du judaïsme qui est de nier la divinité du Christ ; d’autre part, il ne fait que l’accomplir, le Nouveau Testament n’étant (selon l’Eglise) que la réalisation des promesses contenues dans l’Ancien. Or, dans l’expression de sa pensée (et il n’est point obséquieux de notre part de soutenir que Zemmour détient une pensée digne de ce nom), Zemmour montre qu’il est en déséquilibre entre ces deux « marques de fabrique », et qu’il aurait, consciemment ou non, tendance à ne vouloir estimer qu’une Eglise ayant pris ses distances avec ce que la vulgate judaïque conserverait de « progressiste ». Or, le judaïsme, c’est d’abord la Loi et les Prophètes, le Décalogue, tout ce que le monde post-moderne déteste (puisque ceux-là seuls, aujourd’hui, sont les derniers à vouloir l’empêcher d’agir à sa guise). Et puis, Zemmour, dites-vous bien que cette très ancienne hérésie chrétienne, qui a nom marcionisme et qui voudrait que le christianisme n’ait plus rien à voir avec son illustre devancier, a été, suite à Harnack, recyclée par toute la mouvance chrétienne libérale (tant catholique que protestante) pleine, pour reprendre le mot de Chesterton, de ces vertus folles qui régentent notre monde.

Une journaliste du service Culture du Figaro, il y a peu, relevait en privé et en substance – mais pour le déplorer – que le vœu le plus cher de Zemmour était de devenir catholique. Antoine Beauquier, un des avocats du président de Reconquête, a, comme on dit, l’oreille de ce dernier et, à l’occasion, pratique ce que d’aucuns, de nos jours, appellerait endoctrinement (étymologiquement parlant, bien sûr), « coaching doctrinal » ou « bienveillant enseignement ».Nul doute que l’élève a encore des questions à lui poser, pour pouvoir, le cas échéant, prendre position.

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  1. Danièle Masson, Zemmour, itinéraire d’un insoumis, éditions Pierre-Guillaume de Roux. ↩︎
  2. Danièle Masson, Dieu est-il mort en Occident ?, éditions Guy Trédaniel, 1998 ↩︎
  3. cf. Emmanuel et Mathias Roux, Michéa, l’Inactuel – Une critique de la civilisation libérale –, éd. Le Bord de l’Eau ↩︎
  4. Voir Ce soir ou jamais, France 2, 10 X 2014 : symptomatique de cette opposition, le débat Jacques Attali/Éric Zemmour. ↩︎

Le tribalisme solidaire, angle mort du discours sur l’islamisme

L’islamisme n’est qu’un prétexte: ce qui ronge vraiment la France, c’est la loi du clan, redoute notre contributeur dans cette tribune libre contre le séparatisme


Depuis quarante ans, on croit conjurer l’ensauvagement de certaines banlieues en invoquant « la radicalisation islamiste ». Mais derrière le barbu, il y a le caïd. Derrière le caïd, le clan. Et derrière le clan, un tribalisme importé, concurrentiel et jamais déconstruit. Récit et analyse d’un témoin de l’intérieur.

1989. Marché nocturne de Sallaumines, près de Lens.
J’y vais avec ma sœur et son petit ami. Dans la foule, un grand Gaulois moustachu, ivre, titube. Deux gamins maghrébins le harcèlent, le font trébucher. Puis surgit la meute : une dizaine de jeunes, tous de la « même origine », forment un cercle, frappent, piétinent. En vingt secondes, un corps gît dans le sang. Autour, la foule détourne le regard. Un gosse me glisse, fier : « C’est ça la solidarité musulmane ! »

Ce soir-là, mon logiciel « antiraciste » explose. Moi qui croyais aux bons sentiments universalistes, je découvre le tribalisme brut : Moi contre mon frère ; mon frère et moi contre mon cousin ; mon cousin, mon frère et moi contre l’étranger.

Dans nos cités, le caïd est le descendant direct du chef de clan arabe ou berbère : meneur d’hommes, protecteur du territoire, racketteur en chef. Le mot « caïd » n’est pas une insulte : c’est un titre valorisé. Celui qui domine le quartier humilie la police, l’instituteur, le juge — et gagne l’admiration de la tribu.

Renée Fregosi l’a écrit : « Ces structures communautaires neutralisent l’État de droit. »
Quand la République recule, le clan prospère.
Quand la police est absente, le caïd fait régner la loi du sang et du silence.

Al-Andalus nous avait déjà tout appris.
Les conquérants arabes et berbères de l’Espagne wisigothique étaient des tribus soudées par la parenté. Chaque contingent militaire était un clan : vengeance, butin, endogamie. Là où l’État est faible, ces structures survivent. Là où il est fort, elles se soumettent ou se dissolvent.

A lire aussi, Cyril Bennasar: Aux Champs-Élysées

Mais ce tribalisme n’est pas un bloc monolithique : il est aussi une poudrière interne.
Comme les Arabes et les Berbères se sont entretués en Andalousie, nos banlieues modernes voient coexister une mosaïque de clans : Maghrébins, Subsahariens, Comoriens, parfois même entre sous-groupes rivaux du même pays.
Beaucoup viennent de sociétés africaines où la colonisation a figé des frontières arbitraires, sans jamais effacer les rivalités ethniques. Ces comptes se règlent désormais sur le sol français — guerres de quartiers, agressions ciblées, émeutes inter-clans.

La République ne comprend pas ce monde où l’on est frère contre frère, mais tribu contre tribu. Elle croit pacifier un bloc homogène. Elle ignore qu’en réalité, cette force tribale est à la fois un bouclier contre l’État et une faille violente en interne.

Aujourd’hui, une autre dérive s’ajoute : la surenchère religieuse.
Ces quartiers sont avant tout des sociétés de l’honneur : l’image publique compte plus que la foi intérieure. Pour ne pas passer pour un « mauvais musulman », chacun surjoue sa piété. On exhibe sa barbe, on dit « Wallah ! » à chaque phrase, on jure « Inch’Allah » même pour bénir un petit trafic.
C’est une course au Sur-Musulman : plus musulman que moi, tu meurs.

Cette surenchère rassure l’entourage et verrouille la norme communautaire. Elle fournit un vivier idéal aux prêcheurs radicaux, car tout écart se paie d’humiliation publique ou de bannissement.

Aujourd’hui, nos quartiers fonctionnent pareil :
– On ne balance pas un cousin, même criminel.
– On signe des pactes locaux avec les élus pour acheter la paix.
– On recycle le caïdat en économie parallèle, en prosélytisme.

Quartier « Air Bel » dans le 11ème arrondissement de Marseille gangrené par la drogue et les clans © Frederic MUNSCH/SIPA

Et pour sauver la face, la classe politico-médiatique invente le bouc émissaire magique : « l’islamisme ». Comme s’il suffisait de fermer trois mosquées pour restaurer l’ordre. En vérité, le djihadiste français est souvent un caïd recyclé : même goût de la domination, même violence clanique, simplement « justifiée » par le Coran.

Pendant que la gauche accuse le racisme et le chômage, la réalité persiste : cent tribalistes valent mille individualistes désunis. Si l’État ne redevient pas le plus fort, il devra demain négocier son existence avec ceux qui, déjà, occupent le terrain.

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Divorce à la MAGA

Notre spécialiste des Etats-Unis revient sur la rupture fracassante et les affrontements récents houleux entre le président des États-Unis et le géant de la tech. Le milliardaire aura passé cent-trente jours au sein de l’administration, et contrairement à ce que prévoyaient de mauvaises langues, il en sort plus pauvre que quand il y est entré


C’est un divorce dans la douleur et tout le monde a pu assister aux scènes de ménages. Avec fracas et bris de vaisselles. Mais c’est aussi une leçon de réalisme politique et la première rupture du second mandat de Donald Trump. Il s’agit de la fin de sa collaboration avec Elon Musk, marquée par une furieuse joute verbale sur les réseaux sociaux.

Après une cordiale cérémonie d’adieu dans le bureau ovale le 31 mai, où il s’est vu offrir une clé de la Maison Blanche, Elon Musk s’en est pris à la loi budgétaire actuellement débattue au Sénat, appelant les Républicains à « tuer cette loi », alors qu’elle est essentielle à l’accomplissement du programme et des promesses électorales de Donald Trump. Inévitablement le président s’est offusqué, et a répliqué à son ancien collaborateur. Le ton entre les deux est monté et les pires menaces et insinuations ont été échangées…

Cette fin brutale à une association politique improbable n’est pas en soi une surprise. La séparation couvait depuis des semaines. Sa violence verbale tient en partie aux personnalités hors normes de deux protagonistes, et à leurs égos démesurés. Mais il y a plus.

L’alliance d’un chef d’entreprise visionnaire devenu l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, avec un autre entrepreneur visionnaire devenu président des Etats-Unis et donc l’homme le plus puissant de la planète, Donald Trump, avait quelque chose d’extraordinairement prometteur et totalement irréel à la fois.

Le premier imagine le monde de demain, le second façonne le monde d’aujourd’hui. L’innovation et la haute technologie s’étaient mises au service de la plus puissante démocratie. Cela promettait un feu d’artifice. En fait il y a surtout eu des étincelles, jusqu’à ce que tout cela parte en flammes.

Retour sur une idylle politique inattendue, les raisons de sa fin brutale, et les leçons pour l’avenir.

Un intrigant couple politique

Le rapprochement entre Elon Musk et Donald Trump date de la campagne présidentielle américaine de 2024. Plus précisément de la tentative d’assassinat dont Trump fut la cible le 13 juillet 2024 à Butler en Pennsylvanie.

Donald Trump visé par un tireur à Butler, Pennsylvanie, 13 juillet 2024 © Gene J. Puskar/AP/SIPA

Jusqu’alors Musk avait plutôt émis des réserves sur le personnage. « Sa personnalité ne donnerait pas une bonne image du pays », avait-il dit en 2016, préférant soutenir Hillary Clinton pour la Maison Blanche. Idem en 2020 où il avait penché pour Joe Biden. Toutefois la campagne présidentielle de 2020 puis la politique de l’administration démocrate à partir de 2021 provoquèrent un déclic chez lui.

Musk observa un détournement de la démocratie doublé d’une attaque contre la liberté d’expression, menés par le parti Démocrate avec la complicité des grands médias et des réseaux sociaux. Ce fut l’affaire des « Twitter files », quand des milliers de comptes d’internautes furent supprimés, et leurs messages bloqués, soient parce qu’ils étaient favorables à Donald Trump, soient parce qu’ils s’opposaient à l’obligation vaccinale dans le cadre du Covid, soit parce qu’ils dénonçaient la corruption du clan Biden et l’existence bien réelle d’un ordinateur appartenant au fils Hunter (le fameux « laptop from hell ») contenant les preuves de cette corruption.

À lire aussi : Elon Musk, vox populiste

La dérive « wokiste » de la nouvelle administration acheva de détourner Musk du parti démocrate. « Ce parti était celui-ci de la gentillesse, il est devenu celui de la division, de la haine, et des sales combines dit-il en 2022, Je ne peux plus le soutenir. »

Au soir de l’attentat de Butler, quand il apparut à Musk que les « sales combines » du parti Démocrate pouvaient aller jusqu’à laisser l’ancien président et candidat adverse être assassiné, il prit position, haut et fort en sa faveur.

Dès lors il devint omniprésent dans la campagne de Trump, venant conclure ses réunions publiques en sautant sur scène comme un cabri. Il dépensa aussi 225 millions de dollars dans la campagne du candidat républicain contribuant à attirer un électorat plus jeune, plus urbain et plus branché, que les traditionnels supporters du mouvement « MAGA ».

Ministère Musk

L’élection remportée, Trump et Musk convinrent d’une nouvelle mission pour le génial entrepreneur. Il serait placé à la tête d’un nouveau ministère chargé de faire des économies budgétaires. Avec un déficit de 1,7 milliers de milliards et une dette de 37 mille milliards de dollars, la tâche était facile à justifier. Ce ministère est devenu le DOGE, pour « Department of Government Efficiency », dont la mission est de faire la chasse aux « abus, gaspillages et fraudes » au sein de l’administration. Aux dires de Trump et Musk, des centaines de milliards de dollars, voire des milliers, pouvaient être économisés, simplement en rendant le gouvernement plus efficace.

Musk a foncé tête baissée. Avec un enthousiasme non dissimulé. En appliquant les méthodes de la Silicon Valley. A savoir, « aller vite et casser des choses » (« Move Fast & Break Things »). Il s’agit de déstabiliser délibérément ses interlocuteurs par l’étendue des coupes envisagées et la rapidité d’exécution, pour imposer une nouvelle façon de penser et de d’opérer.

Des citoyens américains manifestent contre la fermeture de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), Washington, 5 février 2025 © Aaron Schwartz/Sipa USA/SIPA

Ce fut un blitzkrieg managérial avec des annulations de postes par dizaines de milliers, des économies budgétaires par dizaines de milliards et la suppression pure et simple de certaines agences, telle l’USAID, l’agence d’aide internationale. Ce faisant Musk réduisait aussi « l’Etat profond », cet Etat dans l’Etat qui vit à travers les dizaines de milliers de fonctionnaires habituellement inamovibles et qui injectent leur idéologie dans leur fonction. Il rendait donc un double service à Trump qui, depuis son arrivée sur la scène politique a juré « d’assécher le marais » (« drain the swamp ») c’est-à-dire d’éliminer l’Etat profond et sa corruption endémique.

À lire aussi : La guerre des nerds

Le choc fut brutal et l’opposition lente à s’organiser tant la méthode était inattendue. C’était néanmoins celle que Musk avait utilisée pour Twitter. Après avoir racheté le réseau social pour une somme colossale (44 milliards de dollars), à l’automne 2022, Musk avait licencié 80% des employés (les effectifs étaient tombés de 7 500 à 1 500). Et l’entreprise avait continué de fonctionner. Pourquoi une telle approche ne fonctionnerait-elle donc pas pour le gouvernement ?

La méthode fut saluée par des hurlements de plaisir chez les militants conservateurs. Au forum CPAC, en février, Musk se vit remettre une tronçonneuse par le président argentin Javier Milei, grand apôtre du libertarisme, pour illustrer son rapport à la bureaucratie…

Mais en coulisse les choses étaient plus houleuses. Plusieurs personnalités de l’administration Trump manifestèrent leur déplaisir face à la brutalité des méthodes de Musk et leur impact sur l’image des Etats-Unis. Notamment Marco Rubio, le secrétaire d’Etat. Pour eux, Musk mettait en danger la réputation et la fiabilité des Etats-Unis voire leurs objectifs stratégiques. Trump prit leur parti et il fut demandé à Musk d’opérer désormais « au scalpel » et non plus « à la tronçonneuse ».

Cette restriction imposée au milliardaire fut le premier clou dans son cercueil. Lui qui était omniprésent et que certains accusaient d’agir comme un « co-président », venait d’être recadré par les membres du cabinet et désavoué par son employeur et patron, le président.

Musk soutint qu’il n’avait pas d’autre choix que de tailler radicalement dans la dépense: « La dette publique n’est pas tenable dit-il. Le gouvernement dépense plus pour financer les seuls intérêts de la dette que pour financer la défense du pays… A ce rythme nous allons à la faillite.»

Musk souligna alors que loin d’être un « co-président », il était « aux ordres » du président. Au journaliste de la chaine Fox News, Sean Hannity, Musk confia en avril : « Le président Trump est le représentant élu du peuple, il représente la volonté du peuple, si la bureaucratie s’oppose à la volonté du président et bloque son action alors la bureaucratie s’oppose à la volonté du peuple et nous ne sommes plus en démocratie, nous sommes en bureaucratie. »

La bureaucratie, justement s’est aussi rebiffé. Des juges fédéraux Démocrates, prenant la défense des personnes licenciées, ont bloqué l’action de DOGE, arguant de son inconstitutionnalité et de son illégalité. Musk est devenu la tête de turc de l’administration Trump. Il a été vilipendé et caricaturé dans les médias. Ses prises de position politiques – notamment son soutien au parti nationaliste allemand AFD, ont été dénoncées. On l’a accusé de sympathies « nazi » (accusation néanmoins fréquente venant de la gauche envers quiconque ose critiquer le wokisme). Les violences verbales ont débouché sur des violences physiques et des actes terroristes. Des voitures Tesla ont été brulées et des concessionnaires vandalisés. L’action de la compagnie s’est effondrée en bourse. Trump a soutenu son collaborateur et promis d’acheter une Tesla. Début mars, il a convoqué la presse à la Maison Blanche pour mettre en scène la vente.

Washington, 11 mars 2025 © Sipa USA/SIPA

Aussi spectaculaire fut-elle, l’opération de pub avait quelque chose d’un chant du cygne pour Elon Musk. En quelques semaines, le DOGE avait déjà fait le tour des départements et agences gouvernementales et réalisé 160 milliards de dollars d’économie. C’était énorme, mais loin du millier de milliards envisagé initialement. La montagne avait accouché d’une souris. Certes DOGE avait mis à jour des abus honteux – comme le nombre de personnes décédés percevant toujours une pension de retraite – mais le résultat n’était pas la hauteur des attentes, ni du remue-ménage suscité.

« Kill the bill »

Musk n’était plus la coqueluche de la Maison Blanche. Et Trump avait déjà reporté son attention sur d’autres. A partir d’avril, la question des tarifs devint sa priorité, remplacée début mai par son conflit avec l’université d’Harvard, et début juin par la « Big Beautiful Bill ».

Autant de questions qui, au passage, ont mis en lumière les profondes divergences de vues entre les deux hommes.

Musk s’oppose aux tarifs douaniers. C’est un partisan du libre-échange. Et comme il possède des usines en Chine, l’idée de surtaxer les importations chinoises lui déplait.

Sur l’immigration il a souligné le besoin des entreprises américaines d’avoir les meilleurs ingénieurs sous la main et donc de faire venir encore plus d’étudiants étrangers. Le président et les supporters MAGA s’y opposent.

La « Big Beautiful Bill », surnom de la loi budgétaire à l’étude, contient des dizaines de milliards de dollars de dépenses inutiles à son goût. D’autant qu’elles décrédibilisent sa propre mission. Pourquoi lui demander de faire des économies, si c’est pour dépenser inconsidérément derrière… ?

À lire aussi : Quand la Silicon Valley débranche le wokisme

Le vote de cette loi, par la Chambre des représentants, fin mai, avec une seule voix de majorité, 215 contre 214,  sera la goutte d’eau de trop. Celle qui a fait déborder le vase de ses  récriminations.

Trois jours après la cérémonie d’adieu dans le bureau ovale, Musk se lâche sur sa plateforme X : « Désolé, écrit-il, mais je ne peux pas me retenir plus longtemps, cette monstrueuse loi est une abjecte abomination, honte à ceux qui l’ont voté. Vous avez fait du mal et vous le savez ». Ce sont tous les élus Républicains de la chambre qui sont visés.

A présent ce texte est devant le Sénat. Il est capital pour Trump que la loi passe. Il répond instantanément à son ancien collaborateur sur son propre réseau Truth Social. « Cette loi est magnifique » écrit-il « elle va ouvrir la voie au nouvel âge d’or de l’Amérique… Elle va engendrer la prospérité et le retour de la grandeur. » Et de signer « MAGA »

Musk n’en démord pas : « « Appelez votre sénateur, » dit-il à ses millions de suiveurs sur X. « Il faut tuer cette loi. » (Kill the bill)

La guerre des tweets

« Musk est devenu fou », a répondu Trump. J’ai supprimé les subventions aux véhicules électriques et il a pété les plombs. Pourtant il était au courant depuis longtemps. »

Quand un internaute suggère qu’il est temps de destituer Trump (impeach) – une menace habituellement mise en avant par les Démocrates – Musk dit simplement « oui ».

La guerre des tweets ne s’arrête pas là.

« Le meilleur moyen d’économiser des milliards et des milliards de dollars dans le budget est du supprimer les contrats avec Space X et les entreprises d’Elon Musk », écrit Trump.

Musk le prend au mot. « Dès à présent, mon « space-dragon » (la fusée Space X qui approvisionne la station internationale de l’espace) cesse d’être à la disposition de la NASA » écrit-il sur X.  

Quelques heures plus tard, il est revenu sur ce tweet. Space X et la NASA vont continuer de coopérer. Starlink aussi. Musk est un acteur incontournable du programme spatial américain, civil et militaire, et quelles ques soient ses relations avec l’homme de la Maison blanche, l’idée d’un rupture entre ses sociétés et le gouvernement est inconcevable.

Il a néanmoins accusé le président « d’ingratitude ». « Sans moi il aurait perdu l’élection. »

« J’aurai gagné même sans lui » répond Trump. « Que Musk se retourne contre moi ne me dérange pas, mais il aurait du le faire plus tôt. Il a tort de critiquer la « big beautfiul bill », c’est une des meilleures lois jamais rédigées, elle va mettre notre pays sur la voie de la grandeur… »

Musk lâche enfin une dernière  « bombe » : « Trump est impliqué dans le dossier Epstein, c’est pourquoi ce dossier n’a pas été rendu public » écrit-il sur X. Une accusation qu’il ne peut pas bien sûr prouver, et qui ne convainc personne. Sauf que le dossier Epstein que Trump avait promis de totalement publier, ne l’a pas encore été…

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Cette fois Trump ne répond pas. Quand on lui demande s’il va appeler Musk, il répond « non ». « Je suis déçu de son comportement. Je l’ai beaucoup aidé… » Rien ne sert d’envenimer encore les choses… Il a d’autres priorités plus importantes, dont la fameuse « Big Beautiful Bill ».

C’est bien elle qui est au cœur du divorce. Son passage est essentiel à la réussite du mandat de Donald Trump.  Et tant pis si elle contient un peu trop de ce « gras de porc » (« pork barrel » en anglais), nom donné aux petits programmes locaux ne servant qu’à graisser la patte des élus pour garantir leur vote… Elle contient surtout l’ensemble de son programme économique, et de ses promesses de sa campagne. Elle forme un tout cohérent qui comprend la sécurisation de la frontière, la relance des énergies fossiles pour parvenir à une dominance globale, une réforme de l’aide sociale, l’élimination des subventions aux énergies dites vertes, un renforcement du secteur de la défense et la pérennisation de baisses d’impôts votées lors de son premier mandat qui, si elles venaient à ne pas être prolongées, représentaient un surplus de ponction fiscale très pénalisant pour l’économie américaine. Bref, Donald Trump ne peut pas se permettre de voir cette loi rejetée.

Elon s’est trompé…

Elle est bien plus importante que les états d’âme d’Elon Musk. En appelant les élus à « tuer »  le texte, Musk a commis une faute inacceptable et impardonnable. Il a tenté de monter une partie du camp républicain contre le président. Alors que les Républicains ont une majorité infiniment étroite au Congrès.

Musk s’est laissé emporter. Il a péché par narcissisme et naïveté. Il a montré sa méconnaissance de la politique. Il s’est trompé sur son rôle, sa place et son pouvoir. Il n’était  pas le « roi », mais le « conseiller du roi » agissant au gré de la volonté du roi. Sa présence dans l’entourage du roi était un privilège octroyé par le roi, pas un droit.

Musk a aussi eu la naïveté de croire que sa mission avec le DOGE était la plus importante et le narcissisme de penser qu’il était incontournable. Il a cru que le besoin de combler le déficit budgétaire était la priorité du président Trump. Elle ne l’est pas. Sa priorité est de faire passer son programme. Tout son programme. Les économies budgétaires n’en sont qu’un détail.

Enfin il a été vexé de voir, en effet, les subventions aux véhicules électriques supprimées par cette loi, qui octroie en même temps de nouvelles subventions pour la production d’énergies fossiles. D’où son accusation d’ingratitude envers Trump…

Il n’empêche. Musk aurait dû comprendre que la politique impose des concessions et que Trump avait dû en faire pour espérer voir la « Big Beautiful Bill » passer. L’heure n’était donc pas aux récriminations et aux divisions mais à l’unité. Les griefs de Musk sont survenus au pire moment.

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D’autant que si la croissance économique générée par le passage de ce texte de loi est bien au rendez-vous, le déficit et la dette seront comblés par le haut, c’est-à-dire par des revenus supplémentaires. C’est bien l’un des objectifs de cette loi et du programme de Donald Trump.

C’en est donc fini du binôme du bureau ovale. Ceux qui ont parlé d’une présidence « bicéphale » en sont pour leurs frais. Ceux qui ont dit que Musk était là pour s’enrichir aussi. Le milliardaire aura passé cent-trente jours au sein de l’administration et il en sort plus pauvre que quand il y est entré. Sa compagnie Tesla a perdu près de deux cents milliards de dollars de capitalisation boursière en un an.

Cé départ menace-t-il le reste de la présidence Trump ? N’en déplaise à Elon Musk, non. Au contraire.

Le milliardaire est un trublion incontrôlable. D’un certain côté, Trump est heureux d’en être débarrassé. Son ascension n’avait jamais été vue d’un bon œil par la base MAGA, notamment les militants des premières heures, ceux que Steve Bannon avait rassemblés pour obtenir la victoire surprise de 2016.

L’arrivée des techno-libertariens

Les autres milliardaires de la « Tech » qui se sont ralliés à Donald Trump depuis sa victoire en sont prévenus : on n’achète pas ce président. Et c’est lui seul qui décide. Le dernier grief de Musk a été de voir la candidature de Jared Isaacson, autre milliardaire de la Silicon Valley, pour diriger la NASA, retirée par Trump. Pressenti dès le mois de décembre 2024 pour prendre la tête de l’agence aérospatiale américaine, avec laquelle Musk a de nombreux contrats, Isaacson a été récusé le 31 mai ! Le jour même du départ d’Elon Musk. Motif ? Isaacson a soutenu des candidats Démocrates en 2024. Or Donald Trump ne veut à des postes de responsabilités que des gens à la loyauté indéfectible…  

Numéro de février du magazine « Causeur »

Il est vrai que jusqu’à l’été dernier, tous les « magnats » de la Silicon Valley, ne juraient que par le parti de l’âne, et déclaraient haut et fort leur adhésion au wokisme. Ils ne se sont rangés derrière Donald Trump que lorsque sa victoire électorale s’est dessinée. Marc Zuckerberg, le patron de Facebook, a fait un mea culpa public et déclaré son engagement pour la liberté d’expression. Jeff Bezos, patron d’Amazon et propriétaire du Washington Post s’est contenté de ne pas prendre parti pour un candidat ou l’autre, comme les quotidiens américains le font d’habitude.

Tous cependant étaient présents sous la coupole du Capitole pour l’investiture.

Ces « oligarques » américains ne représentent cependant pas une force politique soudée et homogène. Ils ont juste beaucoup, beaucoup d’argent à leur disposition, ce qui fait inévitablement baver les politiques… Quand à leurs idées, elles divergent, sauf pour une tendance commune à la détestation de la bureaucratie. Cela a suffi pour que les médias les qualifient de « techno-libertariens »  et évoquent le spectre d’un gouvernement du monde par ces oligarques soucieux de liberté, d’efficacité et d’opportunité mais certainement pas de justice sociale…

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Toutefois on est très loin de la réalité d’un tel gouvernement. Depuis sa rupture avec Trump, Elon Musk a émis l’idée de fonder un nouveau parti politique, appelé le Parti Américain, et de défier les candidats républicains lors de primaires avant les élections intermédiaires de 2026. C’est un projet sans avenir. Une entreprise mort-née.

En 1992 déjà, Ross Perot, un autre milliardaire de l’informatique, était entré dans la course à la présidence avec la volonté de réduire la dette et le déficit, qui étaient à des niveaux incomparables à ceux d’aujourd’hui mais déjà jugés excessifs. A l’arrivée, il n’avait pas été élu, mais il avait fait perdre George Bush et permis l’élection de Bill Clinton. Dix ans plus tard son mouvement avait disparu, alors que la dette avait progressé de 50%. Si Musk fonde un parti avec le même objectif, il connaîtra le même sort. Il pourrait faire perdre le candidat Républicain en 2028, et quelques autres dès 2026, mais sa formation n’aurait aucune chance de s’imposer sur le long terme.

N’en déplaise à son égo, Musk ne représente qu’une petite cohorte de « geeks » présents dans la Silicon Valley. Ce sont quelques milliers d’électeurs, guère plus. Donald Trump représente 75 millions d’électeurs, d’âges, de milieux, d’origines, de sexes, de religions et de couleurs différents. La lutte n’est pas égale et Musk devrait s’en rendre compte.

Karoline Leavitt, la jeune porte-parole de la Maison Blanche a parfaitement résumé la situation pour ramener de la sérénité dans ce clash : « En tant que chef d’entreprise Elon Musk a le droit de parler pour défendre ses entreprises. En tant que chef de l’Etat, Donald Trump a le devoir de se battre pour le pays. »

Retrouvez les analyses de Gerald Olivier sur son blog.

Iran / Israël: à la recherche de l’imam casher

Mardi matin, Donald Trump a annoncé que le cessez-le-feu, accepté par Israël, était désormais « en vigueur ». Fragilisés, les mollahs n’ont pu bénéficier d’aucun appui de leurs alliés traditionnels, la Chine et la Russie. Pour autant, si Israël a remporté une bataille décisive, la guerre, elle, est loin d’être terminée, observe notre directeur de la publication – toutes les hypothèses restant ouvertes quant au devenir du régime iranien.


À l’heure où ces lignes sont rédigées, le cessez-le-feu twitté par Donald Trump avec tambour et trompette demeure fragile, mais le cadre stratégique, lui, est désormais limpide : la guerre est la continuation de la diplomatie, et cette dernière reprend le relais aussitôt que possible. Et cela ne devrait pas surprendre : c’est exactement le modèle appliqué au Liban, l’automne dernier.

En septembre, au moment où Israël détourne son attention de Gaza vers le Liban, ses intentions restent volontairement opaques. Après onze mois d’échanges de frappes avec le Hezbollah, feignant de se plier aux règles du jeu imposées par la milice chiite, Israël passe à l’action. Et d’abord, Tsahal frappe les esprits avec l’opération « Bipper ». Une fois l’ennemi désorienté, et tandis que l’on met en scène l’illusion d’un cessez-le-feu imminent, le marteau tombe une seconde fois. Le vendredi 27 septembre, en milieu d’après-midi, le quartier général du Hezbollah est détruit et Hassan Nasrallah éliminé, rejoignant ainsi la quasi-totalité du haut commandement de la milice, décimé par des frappes de précision israéliennes.

Le Liban, une répétition générale

S’ensuivent six semaines d’opérations terrestres, marquées par la destruction systématique de l’infrastructure militaire du Hezbollah au sud du Litani. Enfin, le 26 novembre, un cessez-le-feu est annoncé. Le Hezbollah est alors mis KO, sans être pour autant HS. Une quinzaine de jours plus tard survient un « bonus » espéré, quoique non planifié : le régime syrien de Bachar el-Assad s’évapore.

La logique stratégique est claire : faire usage de la force de manière ciblée et maîtrisée pour atteindre des objectifs militaires bien définis et raisonnables, puis repasser le flambeau à la diplomatie américaine. Avec cette conviction : seul le corps politique libanais, pour sa propre survie, peut produire une solution durable au problème que pose le Hezbollah à Israël. Le rôle d’Israël est de scier le tronc, suffisamment, mais pas totalement. Il revient aux Libanais d’abattre l’arbre.

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À la lumière de l’opération iranienne, ce qui s’est joué au Liban entre la mi-septembre et la fin novembre apparaît rétrospectivement comme une répétition générale. Une ouverture spectaculaire et sidérante, suivie d’un ciblage méthodique des objectifs, tout en maintenant le contact avec l’ennemi et en guettant le moment opportun pour suspendre l’usage de la force armée. Douze jours après son déclenchement, l’opération israélienne entre dans une phase de rendement marginal décroissant : chaque action supplémentaire apporte de moins en moins au bilan stratégique, largement constitué durant les premiers jours. Et dans le même temps, chaque jour de combat supplémentaire augmente le risque d’endommager ce bilan – qu’il s’agisse d’un avion abattu, de pertes civiles importantes en Iran, ou de dégâts sensibles en Israël.

Un bilan militaire brillant pour Tsahal

Et le bilan, justement, est impressionnant. Au-delà des destructions matérielles infligées aux capacités balistiques et nucléaires de la République islamique, les coups portés à son prestige et à son statut sur la scène régionale et internationale sont dévastateurs. On peut imaginer que les caricatures griffonnées sur les parois des toilettes publiques de Téhéran ressemblent déjà à certaines « unes » de Charlie Hebdo. Quant à ce que pense la « rue sunnite » des enturbannés chiites, il n’est sans doute pas très éloigné de ce même imaginaire…

Enfin, les accords proclamés triomphalement avec la Chine et la Russie n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Pékin est même allé jusqu’à priver l’Iran d’un atout stratégique majeur, en déclarant que la fermeture du détroit d’Ormuz serait une « mauvaise idée », au moment précis où Téhéran agitait cette menace. Le Sud global et les BRICS ne se sont pas révélés, eux non plus, d’un grand secours, sans doute trop occupés à tenter de détrôner le dollar comme monnaie d’échange internationale.

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Les effets conjugués de ces éléments affaibliront sans doute le régime iranien, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Dix jours après le 13 juin, on peut donc affirmer qu’Israël a gagné une bataille, mais pas encore la guerre. Et c’est là un point essentiel : les slogans « Mort à l’Amérique, mort à Israël » demeurent parmi les plus puissants leviers de mobilisation politique au monde.

Et pourtant Gabriel Attal avait raison !

Jeudi 19 juin, le Conseil constitutionnel a censuré six articles clés de la proposition de loi Attal sur la justice des mineurs, notamment ceux sur la comparution immédiate et la remise en cause de l’excuse de minorité, jugés contraires aux grands principes constitutionnels. Ce revers marque un désaveu pour Gabriel Attal et vient démontrer une nouvelle fois que l’État de droit empêche l’approche répressive réclamée en la matière par une majorité de Français


Un blocage majeur contre la délinquance des mineurs. « Six articles-clés de la proposition de loi pour durcir la justice des mineurs ont été déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel », rapporte Le Monde dans son édition du 20 juin. Cette proposition de loi portée par Gabriel Attal, chef des députés macronistes à l’Assemblée nationale, et appuyée par le garde des Sceaux Gérald Darmanin, visait à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents.

Le Conseil constitutionnel a encore frappé !

Sur ce dernier point, il y a eu validation mais en revanche trois dispositions fondamentales du texte, visant à rapprocher la justice des mineurs de celle des adultes, ont été censurées au motif de leur valeur constitutionnelle.

– l’excuse de minorité qui serait devenue l’exception à partir de 16 ans ;
– une audience unique qui aurait mis fin au clivage instauré par la loi de 2021 entre culpabilité et sanction ;
– la procédure de comparution immédiate qui aurait permis de juger plus rapidement les mineurs récidivistes à partir de 16 ans.

Gabriel Attal a souligné que, pour ne pas être censuré, on pouvait aussi ne jamais agir. Les opposants à cette proposition de loi n’ont pas été déçus par le Conseil constitutionnel : gauche, extrême gauche, magistrats chargés des mineurs, associations. Ceux qui sont prêts à l’angélisme sur le dos de la communauté nationale.

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Cette proposition de loi, cependant, aurait mérité d’être appréhendée avec la volonté de la part du Conseil de moins tenir à la pureté des principes de la minorité et à leur caractère prétendument intangible qu’à la nécessaire adaptation de la législation des mineurs à l’évolution de ceux-ci – de plus en plus violents et de plus en plus précocement – et au caractère plus théorique que pratique, aujourd’hui, de la primauté de l’éducatif sur le répressif.

On aboutit à ce paradoxe d’une société qui se dégrade, d’abord avec une jeunesse qui n’a plus rien à voir avec celle de 1945, mais avec une stabilité législative qui ne cesse, jour après jour, de démontrer son inefficacité. Les mineurs changent mais les principes les concernant demeurent. Non parce qu’ils seraient opératoires mais en raison d’une adhésion systématique à une vision dépassée. Avec des scrupules humanistes à se mettre au goût du jour de la délinquance des mineurs, dont les délits et les crimes les ont pourtant rendus à niveau des adultes.

Vert paradis

La censure de ces trois dispositions est d’autant plus regrettable qu’elles se seraient appliquées avec une parfaite efficacité à ce dont la minorité coupable a besoin : immédiateté de la sanction et refus, la plupart du temps, d’une excuse qui à partir de 16 ans n’a plus aucun sens. Pendant que le Conseil persiste à se voiler la face pour les violences des mineurs d’aujourd’hui, ceux-ci – l’actualité le démontre surabondamment – volent, agressent, violent, trafiquent et parfois tuent, partout et sans vergogne. Directement ou sur commande.

Dans ce domaine, la France n’a pas besoin de nostalgie – le vert paradis enfantin est loin ! – mais de lucidité: les coupables qui sont devant nous veulent bien être protégés comme des enfants mais désirent transgresser comme des adultes.

Ce que Gabriel Attal a compris, le Conseil constitutionnel l’a éludé. Va-t-on continuer longtemps cette course perdue d’avance entre des instances immobiles et une malfaisance qui court, entre le Conseil constitutionnel qui prône l’éducation quand le réel et les citoyens exigent la répression ? Gabriel Attal a eu raison. Trop tôt ou trop tard ?

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La terre promise du frérisme en Europe

Le Royaume-Uni est devenu la tête de pont des organisations islamistes internationales pour conquérir l’Europe. En quadrillant le territoire d’associations, de syndicats, d’écoles et d’instituts, leur priorité n’est pas d’imposer un État islamique par la force mais d’islamiser à bas bruit toute la société


L’histoire du frérisme au Royaume-Uni est une histoire de réseaux. Des réseaux qui prolifèrent à travers la création régulière de nouvelles institutions, reliées entre elles par des accords formels, des transferts de fonds, ou le plus souvent par de simples relations personnelles. Des figures-clés cumulent des rôles dans de multiples organisations ou passent de l’une à l’autre. Il y a comme un enchevêtrement de plantes rampantes qui, à l’origine, ont été ensemencées par des membres des Frères musulmans. Mais aujourd’hui, les acteurs de ces réseaux n’ont pas nécessairement de lien direct avec les Frères et quand ils en ont, ils le nient. Beaucoup sont des compagnons engagés dans le même combat. L’opacité du système et sa complexité sont redoublées par le fait que les réseaux britanniques s’imbriquent à leur tour dans des réseaux paneuropéens dans la construction desquels ils ont souvent joué un rôle-clé[1].

Frérisme et jamaatisme : la fusion britannique

Dans ce contexte, les spécialistes britanniques ne parlent pas de « frérisme » (vocable difficile à adapter en anglais), mais d’« extrémisme islamiste non violent », une dénomination qui ne désigne pas seulement les Frères musulmans, originaires d’Égypte et du Moyen-Orient. Il existe aussi d’autres courants, dont le plus important est le mouvement Jamaat-e-Islami en provenance du sous-continent indien qui est, à l’origine, l’émanation d’un parti politique pakistanais. Ce courant est très important en Angleterre où l’immigration pakistanaise et bangladaise a fortement contribué à la population musulmane. Ses premières associations sont fondées outre-Manche dès les années 1960. C’est précisément la fusion entre fréristes et jamaatistes qui a engendré la puissante force d’entrisme qui aujourd’hui assiège l’Europe occidentale de l’intérieur. Et c’est en Angleterre que cette fusion s’est forgée dans les années 1970, quand des représentants des deux mouvements se sont rencontrés pour planifier un projet commun. L’année 1973 voit la création à Londres, sous des auspices égypto-saoudiens, de l’Islamic Council of Europe, destiné à coordonner les différents centres islamiques dans les pays européens. La même année, à Leicester, ville anglaise aujourd’hui à 23 % musulmane, les jamaatistes fondent la Islamic Foundation qui établit un réseau d’une vingtaine de mosquées et de centres communautaires, avant de se consacrer à la recherche et à l’édition. Quand, en 1989, se crée la puissante Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), structure faîtière rassemblant aujourd’hui plus de 500 organismes sur le continent, son siège est installé dans le village de Markford, à côté de Leicester, dans les nouveaux locaux de l’Islamic Foundation. En 2007, le siège est transféré à Bruxelles pour permettre à la Fédération d’intensifier sa campagne de lobbying auprès de l’UE. Cet exemple en dit long sur l’étroite collaboration entre les réseaux jamaatiste et frériste et aussi sur la façon dont ils ont utilisé le Royaume-Uni comme première tête de pont pour la conquête de l’Europe. Le choix de ce pays a été sans doute motivé par la forte présence des jamaatistes qui, par leur nombre, étaient en mesure d’accueillir les fréristes et les aider à lancer des initiatives collectives.

Tous ces acteurs sont réunis par un projet commun visant à imposer graduellement aux sociétés européennes un mode de vie unique fondé sur une interprétation rétrograde et rigide de l’islam. L’« extrémisme » de ces « islamistes » est « non violent », car ils rejettent les méthodes terroristes comme celles d’Al-Qaïda. Ils sont qualifiés aussi de « participationnistes », car c’est précisément en investissant le système démocratique et l’État de droit que les fréro-jamaatistes comptent arriver à leurs fins. Le problème, c’est que leur but ultime n’est pas différent de celui des terroristes. Khurram Murad (1932-1996), né au Pakistan mais établi à Leicester où il a été le directeur général de l’Islamic Foundation, a défini « une lutte organisée pour transformer la société existante en une société islamique fondée sur le Coran et la sunna, et rendre l’islam, qui est un code pour tous les aspects de la vie, suprême et dominant ». Le moyen est la da’wa qui oblige chaque musulman à faire du prosélytisme, mais aussi à se montrer exemplaire de toutes les valeurs islamiques. Selon l’idéologue frériste, Youssef al-Qaradâwî (1926-2022), l’islam, qui avait conquis l’Occident par l’épée avant d’en être expulsé, le reconquerra par la da’wa. Comme son ami jamaatiste Murad, il voit dans les institutions occidentales le moyen idéal de propager librement sa vision d’une société régie par la charia. Pour lui, il faut être ouvert à ces institutions sans être contaminés par elles. Autrement dit, il faut les utiliser pour préparer l’instauration du suprématisme islamique. Né en Égypte mais qatari d’adoption, al-Qaradâwî a néanmoins présidé le Conseil européen pour la fatwa et la recherche, créée à l’initiative de la FOIE à Londres en 1997 et domicilié à Dublin, dont l’ambition est d’aider les croyants à respecter la charia le mieux possible dans toutes les situations de la vie en Occident. Pour les fréro-jamaatistes, la priorité n’est pas d’imposer un État islamique à l’Angleterre, mais d’islamiser toute la société par la da’wa. Une fois ce but atteint, l’État islamique suivra naturellement. Il s’agit donc, par le prosélytisme, de mettre au pas tous les croyants qui ne suivent pas la version stricte de l’islam et de convertir les incroyants. L’islam étant la religion naturelle de l’humanité, on appelle les « convertis » des « revertis » (reverts en anglais), car ils sont revenus à la vérité originelle.

Réglementer la vie des fidèles pour islamiser la société

La vision partagée fréro-jamaatiste a créé une identité commune qui transcende les frontières nationales et les différences ethniques et linguistiques. Les multiples structures appartenant à leurs réseaux œuvrent sans cesse pour réglementer la vie des fidèles, normaliser les pratiques dans l’espace public et présenter l’islam comme un choix de vie positif pour tout le monde. Les domaines où elles exercent le plus d’influence comprennent le code vestimentaire des femmes, le mariage et le divorce, ainsi que l’éducation où l’objectif est de maximiser les situations en non-mixité et de rendre les programmes scolaires plus islamo-compatibles. Contrairement à une légende urbaine, il n’y a pas de tribunaux de la charia outre-Manche, mais des conseils chargés de faire de la médiation. Subodorant que cette médiation, bien que sans statut juridique, exerçait une influence biaisée sur les femmes, le gouvernement a lancé une enquête en 2015 qui a conclu seulement qu’il fallait plus de réglementation. Les fréro-jamaatistes poursuivent une sorte de politique de la corde raide. Ils promeuvent le plus possible leur mode de vie sans avoir l’air de transgresser les normes de la société occidentale. Mais, parfois, les autorités découvrent une école musulmane qui enfreint la législation ou encore que des opinions misogynes, homophobes ou antisémites surnagent dans un document ou un discours. On réagit par une opération de communication et en jurant qu’on refuse l’extrémisme.

À lire aussi, Dominique Labarrière : Tremblez, Frères musulmans! La République sort la grosse Bertha

Une cartographie complète de toutes les institutions – organismes de lobbying, associations caritatives, écoles, instituts de recherche, syndicats d’étudiants, centres communautaires, médias – chargées de mettre en œuvre ce programme provoquerait le vertige. Aucune structure ne se proclame islamiste, mais leur vrai caractère se décèle à travers leurs affiliations institutionnelles et les parcours de leurs dirigeants. De ces réseaux, deux moyeux ressortent. Le Muslim Council of Britain (MCB), créé en 1994, est un organisme parapluie réunissant plus de 500 mosquées et associations, et il est plutôt jamaatiste. Il a le réseau le plus dense au Royaume-Uni, mais il a de multiples liens avec la Muslim Association of Britain (MAB), créée en 1997, qui est plutôt frériste. Avec un réseau moins dense, la MAB réunit néanmoins des acteurs qui jouent un rôle essentiel dans la propagation du frérisme au niveau international et dans la création d’autres organismes de premier plan. Par exemple, Ahmed Ai-Rawi, un Britannique né en Irak en 1947, a été président de la FOIE et membre du Conseil européen pour la fatwa et la recherche. Un autre Britannique né en Irak (en 1968), Anas Altikriti a fondé la Cordoba Foundation en 2005 et la British Muslim Initiative en 2007 dont les missions consistent à produire de la propagande, faire du lobbying politique et contribuer à la construction de réseaux mondiaux. Altikriti a exprimé publiquement son soutien au Hamas, la branche palestinienne des Frères, franchissant la « corde raide » et montrant ouvertement le caractère extrémiste de son idéologie. Certaines associations caritatives comme Islamic Relief, le Muslim Charities Forum ou Muslim Aid, affilié au MCB, ou Interpal (le Fonds de secours et de développement palestiniens) ont été accusées d’avoir des liens avec le Hamas. Le Qatar contribue par d’importantes sommes à des projets fréristes en Europe, et une grande partie de cet argent transite par Londres, à travers Qatar Charity UK, rebaptisée le Nectar Trust en 2017.

Anas Altikriti, fondateur de la Cordoba Foundation © D.R.

Trois causes militantes pour influencer la société britannique

Les réseaux fréro-jamaatistes font campagne sur trois fronts outre-Manche. La cause palestinienne permet de réunir différentes communautés musulmanes et de forger une alliance politique avec des militants de gauche. La forte capacité mobilisatrice de ces réseaux est derrière les grandes manifestations organisées à Londres depuis le 7-Octobre. Pour eux, les actions du Hamas sont considérées comme une forme de résistance légitime – un « djihad défensif » – qui relève d’une problématique islamique plutôt que palestinienne : toute terre qui a été sous la loi coranique dans l’histoire doit y revenir. Ainsi, les fréro-jamaatistes approuvent au Proche-Orient la violence qu’ils prétendent condamner en Europe.

La deuxième cause est la lutte contre l’islamophobie. En diffusant l’idée que les musulmans sont tous des victimes d’une haine généralisée et en lançant des accusations contre leurs adversaires, les acteurs de ces réseaux cherchent à désamorcer toute critique à leur propre égard, maintenir les musulmans dans une mentalité de siège collective et attirer la sympathie des médias et partis politiques. Depuis 2012, un « Islamophobia Awareness Month » est célébré en novembre par syndicats, police, scouts et universités… En 2018, une commission multipartite à Westminster a formulé, sous l’influence de deux organismes islamistes, une définition de l’islamophobie dangereusement large et en contradiction avec la Loi sur l’égalité de 2010. Elle a été pourtant adoptée par presque tous les partis politiques, à l’exception des conservateurs. Le gouvernement travailliste actuel a créé sur le sujet un nouveau groupe de travail qui fait craindre le pire.

La troisième cause est la lutte contre les programmes et institutions destinés à combattre le terrorisme et l’extrémisme : « Prevent », créé à la suite des attentats de Londres en 2005, et la Commission pour contrer l’extrémisme, lancée en 2017, après l’attentat de Manchester. Les organismes islamistes appellent à l’abolition de ces programmes au motif qu’ils seraient « stigmatisants » pour les musulmans. Ils déplorent la notion de « valeurs britanniques fondamentales » utilisée pour définir l’extrémisme. Plutôt que de défendre ouvertement le terrorisme, ils essaient de maîtriser le discours sur l’extrémisme afin de protéger leur version de l’islam, bien qu’elle soit incompatible avec les normes occidentales.

Le gouvernement n’est pas resté les bras croisés, ordonnant notamment une enquête sur les Frères musulmans en 2014, et deux autres enquêtes la même année sur une tentative islamiste de prendre le contrôle de plusieurs écoles à Birmingham. Mais son action, relativement efficace contre le terrorisme, est restée inefficace contre l’entrisme. Cela tient en partie à la difficulté, pour des organisations centralisées et pyramidales, comme l’État, de combattre des réseaux plus décentralisés et flexibles : il n’y a pas de centre de commandement à neutraliser et il faut récolter des informations précises sur le terrain. L’armée américaine a appris en combattant Al-Qaïda en Irak que, pour battre des réseaux, il faut ses propres réseaux. Notre tragédie, c’est que nos agents de terrain – élus locaux, enseignants, assistant sociaux – sont convaincus par la propagande de l’adversaire ou tétanisés par la peur.


[1] Cet article s’inspire des travaux, entre autres, de Lorenzo Vidino, Florence Bergeaud-Blackler, Damon L. Perry et Sir John Jenkins.

Bond revival

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Éclats pop, pastiches baroques, souvenirs psychédéliques: ce film hors norme dynamite les codes du cinéma d’espionnage avec une jubilation graphique et référentielle débridée. Un tourbillon visuel où l’intrigue se dérobe mais où la cinéphilie triomphe, en hommage effervescent à un âge d’or fantasmé


La parodie se donne des ailes pour grimper jusqu’à hauteur stratosphérique, les plans s’enchaînent à la mitraillette, dans un montage millimétré de très haute précision, le pastiche fait des étincelles, les cartoons s’incrustent à foison dans une image grevée de split screen, les citations des 007 de la grande époque (celle des « diamants éternels », bien sûr) dérapent dans des ruisseaux d’hémoglobine, sous le soleil de plomb de la Riviera, les suites aussi opulentes que démodées sont le théâtre de règlements de compte définitifs, les déchirures du latex découvrent une panoplie de faux visages superposés, les masques tombent sous les coups de canifs, le fétichisme érotique fait sa flaque, les télescopages s’accélèrent jusqu’au vertige. Remixant avec malice tous les codes du film d’espionnage mais aussi du cinéma de genre, ce délire savamment orchestré est assez jouissif.

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L’intrigue ? On n’y pige rien, mais c’est fait exprès. En deux mots, le septuagénaire John D. (Fabio Testi), ancien agent secret en costume d’alpaga, épuise ses dernières ressources pécuniaires dans le palace de la côte d’azur où on le supporte encore – plus pour bien longtemps. Et voilà que les démons du passé refont surface, que les sixties se fraient jusqu’à ses méninges défaillantes un chemin ludique dans la jungle des contrefaçons transalpines, de Diabolik à Satanik – BD, séries B, romans-photos… Dans sa robe vintage Paco Rabanne, Amanda, sa partenaire, fait illusion. La bande-son également, qui tire des bords entre La Wally de Catalani, un tube de Christophe, des extraits de la BO de Orgasmo, ou encore les thèmes revisités des plus canoniques blockbusters de l’espionnage…

Si le titre du film évoque immanquablement le célèbre Reflet dans un œil d’or, classique hollywoodien de John Huston avec Marlon Brando – rien à voir. Ou plutôt si: les reflets d’un certain l’âge d’or du cinéma, ce diamant mort brillamment ressuscité, rééclairé sur toutes ses facettes, par les fantasmes radieusement inventifs d’une cinéphilie débridée.  

En salles le 25 juin.


Reflet dans un diamant mort. Avec Fabio Testi, Yannick Renier, Koren de Bouw, Maria de Medeiros, Thi Mai Nguyen. Film d’Hélène Cattet et Bruni Forzani. Belgique, Luxembourg, Italie, France, 2025. Durée : 1h27.

Pourquoi cette guerre me semble juste

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Sous les missiles iraniens, beaucoup d’Israéliens ont l’impression de vivre quelque chose d’irréel. Mais dire que c’est irréel, c’est encore une mise à distance, une manière de se protéger d’une réalité trop grave pour être intégrée véritablement.


Depuis vendredi matin, des messages affluent sur mon téléphone. Pas une avalanche, non. Mais quelques messages, sincères, venant de celles et ceux avec qui j’ai traversé de vraies tranches de vie en France.

« Nath, donne-moi de tes nouvelles. Je suis inquiète. Si ce qu’ils disent à la télé reflète ta réalité, alors c’est très grave, et j’ai raison de m’inquiéter. »

Jusqu’ici, à dire vrai, je leur ai répondu avec un laconique « ça va », comme pour me débarrasser de la question, pour ne pas prendre leur anxiété en plus de la mienne. Un « ça va » qui veut dire : je gère. Ou plutôt : on gère. On a l’habitude.

Ces mêmes amis m’ont vue partir en Israël il y a dix ans. Déjà, à l’époque, alors cadre supérieure dans une entreprise en pleine croissance, habitant au cœur du Paris huppé, ils n’avaient pas vraiment compris mon choix. Du point de vue de la raison, c’était un contre-sens de tout quitter comme ça, pour aller tout recommencer ailleurs, sans parler la langue, sans connaître les codes locaux. Sûrement à l’époque, j’avais dû leur dire « ça ira », il m’était alors impossible d’expliquer le pourquoi du comment. J’étais appelée, voilà tout, et vers une terre qui m’était à la fois étrangère et parfaitement familière. Appelée pour faire partie d’un autre collectif, pour vivre une autre vie, une vie diamétralement opposée que celle que j’avais construite à Paris sur fond de grandes écoles et de lettres modernes.

J’étais partie, donc. Avec vingt valises et mes trois enfants sous le bras, je suis arrivée dans une ville que je ne connaissais pas. A l’arrivée, je me suis plongée dans l’apprentissage de l’hébreu avec une sorte de plaisir indicible, la sensation de renouer avec quelque chose d’ancestral, je redevenais étudiante, tandis que mes amis parisiens grimpaient les échelons de leurs carrières reluisantes. A l’époque, j’avais l’impression d’avoir immigré dans un pays presque comme un autre, un pays émergent, dynamique, en pleine croissance économique et en relative paix du point de vue géopolitique. J’étais venue pour écrire une histoire, la mienne.

Lorsqu’on a visité notre appartement, je me souviens nettement que j’étais distraite lorsque l’agent immobilier m’a montré la chambre sécurisée — le mamad, comme on l’appelle ici. Pour moi, c’était un vestige d’un passé révolu, un écho des guerres d’avant qui ne me concernaient en rien. Dès notre emménagement, cette pièce est devenue mon bureau : je l’ai remplie de meubles, j’y ai mis une bibliothèque, un piano… C’est vrai que cette pièce était spéciale, sa porte était particulièrement lourde et sa fenêtre en métal, très difficile à fermer. Il fallait s’y prendre à deux mains pour le faire et durant toutes ces années, jusqu’au 7-Octobre, je ne l’avais pratiquement jamais fait.

C’est dans la nuit de jeudi à vendredi dernier que tout m’est revenu. Réveillés par l’atroce bip de nos téléphones portables qui nous ordonnait de nous réfugier d’urgence dans nos abris, calfeutrés dans ce mamad, je réalisais que jusqu’ici, j’avais tout fait pour vivre dans une sorte de déni, dans une réalité au-dessus du réel, dans laquelle la vraie guerre, la guerre dure, celle que l’on redoute, n’aurait jamais lieu.

Cette nuit-là était différente de toutes les autres nuits. Les détonations étaient proches comme jamais, elles ne ressemblaient pas à toutes celles qui les avaient précédées depuis le 7-Octobre, le ciel s’assombrissait, il était couvert de drones, de missiles, les murs de notre appartement tremblaient pour de bon. En quelques secondes, nous basculions dans une autre réalité. Le scénario du pire, celui tant redouté et jamais réalisé, devenait concret. Je regardais mes enfants, c’était moi qui avais pris la responsabilité de les déraciner de leur Paris natal. C’était moi qui avais voulu les faire grandir ici. Tout se téléscopait dans ma tête. Je les regarde, moitié endormis, moitié lucides, à un âge où on saisit parfaitement ce qui est en train de se dérouler, ils ne semblent pas spécialement choqués. Être israélien, c’est intérioriser depuis toujours ce qui pourrait se passer de pire et vivre au jour le jour comme si de rien n’était. Mon bureau n’est plus. Il redevient un abri. Et nous, assis par terre, dos au mur, nous devenons les enfants d’une histoire dont nous sommes les acteurs involontaires.

Dire que cette guerre avec l’Iran est une surprise serait un mensonge. C’est le genre de choses qui depuis quelques temps, surtout depuis le 7-Octobre, était évoqué dans les conversations comme une sorte de fatalité abstraite. L’extrémité à laquelle nous ne devrions jamais arriver. Personnellement, j’écoutais sans vraiment y croire. On en parlait entre deux gorgées de café, comme on parlerait du climat qui se dérègle ou d’un séisme qui finira bien par venir. Un danger réel, mais lointain, presque théorique. Pour nous tous, c’était la guerre ultime, la plus délicate de toutes les guerres possibles. Celle du « ça passe ou ça casse ».

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Jeudi soir, nous retournons dormir mais nous sommes assommés. Je commence mentalement à détricoter tous les plans que j’avais échafaudés. Je réalise que cette vague qui nous emporte vient tout juste de commencer et que notre vie est désormais placée sous le règne de l’incertitude. Je réalise que je vis au Moyen-Orient, que je suis loin de l’Europe, que je suis loin de tout et que mon sort ne fait qu’un avec le sort du pays tout entier.

Le lendemain matin, c’est calme. Un calme qui inquiète. La sensation d’une vie qui retient son souffle. Personne ne dit rien. Les voisins ne disent rien. Les enfants ne jouent pas. Tout le monde se demandant comment l’autre vit la chose présente. Les uns et les autres ayant peur de se transmettre leur anxiété. Chacun reste chez soi. Confiné dans ses propres peurs. Se débattant comme il peut avec une réalité naissante. La nuit qui suit, une amie israélienne m’écrit « ce que nous vivons est irréel ». Dire que c’est irréel, c’est encore une mise à distance, une manière de se protéger d’une réalité trop grave pour être intégrée véritablement.

Les heures s’égrènent. Le shabbat arrive. Il donne l’impression que tout est normal puisqu’en ce jour chômé, la ville est au repos. Mais le dimanche, la vie ne reprend toujours pas. Comme la semaine qui suivit le 7-Octobre, nous perdons la notion du temps. Les écoles ne reprennent pas. Les restaurants, les plages sont fermés. Les rassemblements sont interdits. Les dégâts s’accumulent. Les blessés et les morts augmentent.  Les nuits sans sommeil s’enchainent. Seule la chaleur intense est de saison.

Au milieu de la fatigue, de l’inquiétude, de l’absence de visibilité, une chose me fait tenir : trouver du sens. Avec le sens, tout devient digeste. Et nos quotidiens fragmentés ne sont rien à côté de l’immensité de ce qui est à l’œuvre. C’est l’Histoire qui s’écrit au cours de nos nuits blanches. Notre histoire millénaire n’est qu’un combat éternel pour la survie, et cette guerre en est une nouvelle page. Je sais que notre narratif est difficile à entendre, je sais que ce conflit est complexe, qu’il divise, qu’il soulève des passions. Je sais que, dans l’imaginaire européen, la guerre appartient au passé, qu’elle est synonyme de régression, de retour à une barbarie archaïque.

Mais cette guerre est plus qu’un simple conflit, c’est une reconfiguration profonde de l’ordre établi. Elle vise à neutraliser un régime totalitaire et sanguinaire dont le projet politique central est l’anéantissement pur et simple du seul État démocratique de la région, ainsi que la propagation de son idéologie délétère dans le monde entier. Je sais que dans un monde aseptisé, à l’ère d’une mondialisation à outrance, notre singularité irrite. Je sais aussi qu’on préférerait nous voir plus discrets, qu’on se taise un peu, qu’on se fonde dans le silence diplomatique. Mais cette passivité face au Mal serait une trahison de notre vocation profonde. Cette guerre est juste, parce que son message est universel : montrer à l’humanité qu’on ne négocie pas avec le Mal, mais qu’on le combat au contraire avec force, courage et détermination. Un jour, elle sera étudiée, analysée, racontée dans les livres d’histoire comme l’un des tournants majeurs de notre époque. Une guerre de libération, un moment de bascule improbable entre deux mondes. Et nous, nous aurons eu la chance d’assister, et même de participer à notre modeste niveau, à l’écriture de cette grande page d’histoire.

L’euro numérique contre le citoyen 

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La BCE entend mettre en place l’euro numérique. Il pourrait être déployé à partir de 2027 ou 2028. S’il est censé renforcer la souveraineté européenne face aux géants du paiement et aux monnaies virtuelles, il suscite de vives inquiétudes quant à ses répercussions économiques, son potentiel de déstabilisation bancaire et les risques qu’il fait peser sur les libertés individuelles.


Annoncé en grande pompe pour la première fois par la BCE en 2021, le projet d’euro numérique achèvera à l’automne sa phase préparatoire avec un déploiement visé à l’horizon 2027. Au-delà des bruits de couloirs et des spéculations, les Français sont en droit de savoir quelles seront les véritables implications de ce projet technocratique qui ne répond à aucun besoin concret pour le citoyen européen. 

Un outil de souveraineté ? 

Il convient d’abord de rappeler brièvement en quoi consiste cet euro numérique ou euro digital et les utilisations pratiques dans le quotidien de chacun. 

Cette monnaie aura la même valeur que l’euro et ne constituera pas une crypto-monnaie au sens spéculatif du terme. L’euro numérique aura pour vocation de constituer un moyen de paiement indépendant des plateformes traditionnelles souvent extra européennes comme Visa, Mastercard ou Paypal. Chaque personne physique ou entreprise pourra disposer, jusqu’à un certain plafond – à hauteur de trois mille euros selon les dernières discussions, ce qui couvre de facto une grande partie des comptes de dépôts – de cette monnaie dans un portefeuille dématérialisé pour effectuer des paiements dans le commerce ou des virements entre particuliers. Cette solution gratuite et pouvant fonctionner hors ligne paraît à première vue séduisante dans un contexte où les européens doivent se défaire de l’omniprésence des entreprises américaines sur fond de guerre commerciale larvée. 

Déstabilisation du système bancaire 

À l’heure où l’économie européenne a grandement besoin d’investissement pour combler son retard sur ses concurrents internationaux, la mise en circulation de l’euro numérique viendrait grever la possibilité de prêt des banques commerciales et donc la capacité d’emprunt des ménages et des entreprises.

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Les banques sont soumises à un certain nombre d’obligations prudentielles les contraignant à détenir une certaine réserve de dépôts pour garantir leurs prêts, réserves qui seraient considérablement asséchées par la mise en place de l’euro numérique faisant sortir du système bancaire une part substantielle des liquidités en circulation. De plus, ce siphonnage des liquidités amoindrirait l’impact de la politique des taux décidée par la Banque Centrale, affaiblissant notre capacité à réagir en cas de crise. Pire encore, l’euro numérique serait un facteur d’aggravation, par l’instantanéité des transactions, rendant les crises plus brutales, plus rapides et plus incontrôlables. Là où un retrait massif prenait autrefois plusieurs jours, il suffira demain de quelques clics pour provoquer une ruée numérique vers un actif perçu comme plus sûr. La BCE se crée ainsi un pouvoir de désintermédiation potentiellement explosif, qu’aucun contre-pouvoir politique ne pourra maîtriser.

Le spectre d’un contrôle accru sur les transactions 

Outre les considérations économiques, le flou demeure total sur les garanties concrètes relatives aux libertés fondamentales des futurs utilisateurs. Sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme, les paiements au-delà d’un certain seuil feront l’objet d’un traçage automatisé et systématique. Sans aller jusqu’à jouer sur les peurs et agiter le spectre d’une BCE se voulant Big Brother et contrôlant chacune de nos transactions, il est légitime de soulever la question du respect de la vie privée et de l’absence de toute idéologie justifiant une potentielle entrave à la liberté des transactions.  

L’euro numérique ou comment faire du neuf avec du vieux

Comme souvent, avec des formules ronflantes et à grands coups de campagnes promotionnelles, les institutions européennes se targuent d’inventer des concepts qui ont déjà cours. L’euro numérique ne fait pas exception à cette règle puisqu’il existe déjà un système de paiement similaire issu du secteur privé fonctionnant dans plusieurs pays européens. Comme à son habitude, plutôt que de la soutenir, l’Union européenne choisit de monopoliser l’innovation, d’y ajouter des couches réglementaires, et de s’en servir comme levier d’un contrôle toujours plus centralisé.

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Ce n’est pas d’un euro numérique dont l’Europe a besoin, mais d’une politique économique lisible et efficiente. Rappelons-nous qu’une monnaie est un outil, pas un instrument de surveillance. L’Union doit encourager l’innovation, non la capter pour l’encadrer ; accompagner les citoyens, non les tracer ; renforcer la souveraineté des États, non l’invoquer pour mieux la neutraliser à son seul profit.


Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen.

Le pari israélien

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Au dixième jour de l’Opération « Lion Ascendant », voici notre perspective ici en Israël.


Avec le recul, il est clair que nous, en Israël, n’avions pas pleinement mesuré l’ampleur de la menace qui nous entourait. Nous vivions une vie confortable, souvent dans l’illusion. En réalité, sous la direction de l’Iran, un réseau coordonné d’États hostiles et d’organisations terroristes préparait activement la destruction de l’État d’Israël et l’anéantissement physique de sa population juive – une seconde Shoah. Bien que nous en ayons été conscients en principe, peu croyaient réellement que cette menace pouvait se concrétiser. Tragiquement, cela a bien failli arriver.

Cependant, à la suite du massacre du 7 octobre 2023, quelque chose s’est produit que nos ennemis n’avaient pas anticipé : Israël a riposté – avec force et détermination. Grâce à un leadership de guerre solide, à notre capital humain exceptionnel, et à notre supériorité technologique, militaire et dans le domaine des renseignements, nous avons démantelé nos ennemis un par un. Le Hamas, le Hezbollah, le régime d’Assad en Syrie, les milices chi’ites en Irak et les Houtis, tous ont été battus ou alors contraint à cesser le feu. Il ne restait alors que la tête du serpent : la République islamique d’Iran.

L’Ayatollah Ali Khamenei, 18 juin 2025 © Iranian Supreme Leader’S Office/ZUMA/SIPA

Cette phase finale a commencé le 13 juin. Elle ne peut être décrite que comme l’une des opérations militaires les plus spectaculaires de l’histoire.

Comme l’a exprimé John Spencer, l’analyste militaire américain de renom :
« Cette opération n’était pas seulement historique, elle était transformationnelle. Elle a redéfini ce que « choc et effroi » signifie au XXIe siècle. Ce n’était pas une simple frappe, mais une campagne : une démonstration en couches, synchronisée, de l’art opérationnel moderne, fondée sur un renseignement profond, une tromperie stratégique, et une fusion innovante des outils de guerre traditionnels et modernes. La campagne israélienne contre l’Iran est un cas d’école de guerre moderne. Il s’agissait d’une offensive synchronisée et multi-domaine, combinant cybersécurité, renseignement humain, guerre électronique, puissance aérienne, forces spéciales et opérations psychologiques. »

Le résultat : une victoire totale de facto, obtenue en quelques minutes ou quelques heures après le début de l’opération.

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En quelques jours seulement, la capacité de l’Iran à lancer des missiles a été sévèrement réduite, et son programme nucléaire est désormais pratiquement à l’arrêt, et ce, à plus forte raison, après les frappes américaines à Fordow. Il sera encore plus détruit dans les jours et semaines à venir. Même si d’autres opérations sont encore nécessaires pour achever la mission, le paysage stratégique de la région a déjà été profondément bouleversé, avec des conséquences qui se feront sentir au Moyen-Orient et bien au-delà pendant des années. L’image de marque du régime des Mollahs a été sérieusement écornée, et sa capacité de nuisance profondément limitée, dans la mesure où leurs programmes nucléaires et balistiques ont été durement touchés et où leur espace aérien est désormais ouvert, ce qui veut dire qu’Israël peut maintenant détruire toute infrastructure stratégique à volonté. Même si ces programmes ne sont pas complétement anéantis, les Iraniens ne pourront pas les reconstruire, puisqu’Israël détruira facilement chaque menace significative.  

Alors que ce conflit approche de sa conclusion, la position stratégique et sécuritaire d’Israël, désormais considérablement renforcée, devrait entraîner une vague de croissance économique, financière et d’investissements – en particulier dans les secteurs de la défense et de la sécurité, à la lumière du contexte mondial sensible.

Tenez bon : Israël est en train de remporter une victoire monumentale. Cette victoire entraînera des répercussions très positives sur la stabilité de la région, et donc sur son développement humain, social et économique. La sécurité de tous, y compris les pays du Golfe, va s’améliorer, et nous pouvons nous attendre à ce que les Accords d’Abraham s’élargisse et que des relations fondées sur la paix et la coopération régionale puissent se développer. 

Ce ne sera peut-être pas immédiat, mais c’est désormais la direction claire que prennent les choses dans la région.

Zemmour au-delà des lignes

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Eric Zemmour à Lille, le 27 avril 2024 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Tant du côté du monde religieux juif que du catholicisme, on avait fait les gorges chaudes autour des « pas-de-deux » que Gad Elmaleh avait esquissés entre les deux pôles. Quoiqu’il dise son attrait envers l’univers du catholicisme limité au « culturel » et non au cultuel, le parcours intellectuel d’Éric Zemmour n’est pas sans ressembler à celui de l’humoriste. Il ne faudrait toutefois pas qu’il se fasse plus royaliste que le roi…


« Un journaliste dans le texte, un journaliste dans le siècle » (et, même, en l’occurrence, bien des siècles…), c’est ainsi que pourrait se sous-titrer cette biographie intellectuelle, mixte d’essai et de pure biographie1.

L’auteur n’est pas de celles qui, pour pondre leur prose enamourée, croit suffisant de donner rendez-vous à leur interlocuteur dans un bistrot à la mode d’où, autour d’une tasse de thé vert, et sans une once d’esprit critique, jaillira un portrait riche de tous les souverains poncifs du moment. Danièle Masson aime prendre ses sujets à bras-le-corps, éprouve un faible pour ce que nous appellerons les « intellectuels mystiques », navigue donc en permanence entre la philosophie et la religion tout en tenant ferme son gouvernail. Après Gustave Thibon, le philosophe de l’Ardèche (qui disait ne pas croire en Dieu mais ne croire qu’en Dieu et qui s’était si bien entendu avec Simone Weil avec un W), que cet essayiste puisse s’intéresser à celui qui, au fond, fut dès ses débuts, un éditorialiste (la politique n’étant que l’application de ses ardentes préconisations) coule de source, la source même qui avait alimenté l’interrogation qui avait donné son titre à un précédent recueil d’entretiens : Dieu est-il mort en Occident ?2

De cette bio, voici donc ce qui s’y lit et ce qui s’en déduit. Non pas « Zemmour entre les lignes » (car il ne s’agit pas ici de sous-entendus politiciens) mais « Zemmour derrière, au-delà des lignes » (pour tenter d’appréhender le substrat doctrinal présent en arrière-plan de sa démarche).    

Un rapport tout particulier au temps

Pour comprendre pourquoi Zemmour est si attaché à la pensée du passé et donc à cette science humaine, mais pas si inexacte que cela, qui se nomme l’Histoire, il faut avoir à l’esprit sa nostalgie personnelle, celle de la banlieue des années soixante et soixante-dix, de ce qu’on appelait alors la Ceinture rouge. A Stains, à Montreuil, il régnait un ordre, qui, tout laïcard qu’il ait été, baignait dans une certaine morale pour ne pas dire une morale certaine qui eut abominé l’esprit du temps présent. Pour Zemmour, ce qui vient après n’a pas, de droit, préséance sur ce qui était avant : l’avenir ne doit jamais oublier le souvenir, et, même, ce dernier doit-il se rappeler à son bon souvenir. Au pire doivent-ils en permanence entretenir une dialectique où le prétendu passé joue le rôle de la Statue du Commandeur, toujours prêt, du haut de sa gravité, à proférer à nos cervelles écervelées nos quatre vérités.

Un rapport classique à la notion de vérité

L’idée que nous nous faisons du temps, la façon même dont viscéralement nous le ressentons (laquelle nous rend capable, à l’instar de Zemmour, de précisément prendre le pouls de son époque) entraîne et résulte à la fois d’une conception classique, c’est-à-dire fixiste et thomiste de la vérité. Celle-ci, bien évidemment s’inscrit en faux contre le présentisme, pis l’instantanéisme aujourd’hui dominant. Remarquons que nous évitons d’employer le terme de ‘‘relativisme’’, en ce sens que toute la question n’est pas de savoir si la vérité est relative, mais de détecter avec quoi, avec qui est-elle en relation ; non pas exactement : de quoi dépend-elle ?, mais : de qui émane-t-elle, quelle instance l’a-t-elle édictée ?

A relire, Sarah Knafo: «Et si on admettait tout simplement qu’on refuse l’islamisation de notre pays?»

Les idées de Zemmour sont ainsi en porte-à-faux avec celle de notre époque tout en continuant à imprégner l’inconscient collectif, un inconscient qui se révolte de plus en plus et aspire à devenir conscience reconnue.

Question pécuniaire, il est préférable de faire des ménages que d’être astreint au statut de jeune journaliste, d’ « intellectuel précaire ». Fin des années quatre-vingt, après J’informe (de Joseph Fontanet), le jeune Zemmour a accepté d’être mal (et parfois, pas) payé au Quotidien de Paris de Philippe Tesson dont le libéralisme avait au moins la vertu de laisser vaquer ceux qui ne savaient pas encore combien et comment ils allaient progressivement – si l’on n’ose dire – le tenir en piètre estime… le libéralisme disais-je. Passé au quotidien Le Figaro, des confrères, à l’exemple de Dominique Jamet, remarquaient la place encore à l’époque restreinte dévolue à ses papiers. On sentait que les thuriféraires de la monnaie nationale n’étaient pas en odeur de sainteté. Ils ne le sont certes toujours pas, mais, pourtant, entre-temps, la divine surprise advint, la greffe a opéré, entre le public (que d’aucuns diraient n’être qu’un certain public, peut-être la France moisie visée par Philippe Sollers) et lui.

Le journaliste français Philippe Tesson photographié en 2011 © BALTEL/SIPA

Les raisons de la réussite de cette greffe demeurent une énigme si l’on sait que le courant dominant des grands médias demeure libéral-libertaire et que, contrairement au cliché, « la société » n’a pas viré à droite

Sans remonter aux Mérovingiens, ni même à la Convention de 1792, mais, seulement à l’Assemblée nationale de 1969 – lorsque ce que l’on ne nommait pas alors « la droite », mais la « majorité présidentielle » gaulliste (c’est quand La chose n’y est pas qu’on y met le mot faisait dire le théâtre de Montherlant à l’un de ses fameux personnages, et inversement) s’est élargie au centre-droit avec l’entrée au gouvernement du parti Démocratie et Progrès de Jacques Duhamel,- il est manifeste que, dans ses mœurs, dans son être, – plus précisément : dans l’acceptation officielle des mœurs, dans sa manière d’être -, la société française a, dans son ensemble, dérivé vers la gauche3. Par contre, l’étude de l’histoire du droit du travail et l’observation du comportement des grands syndicats depuis cette date montrent un net glissement vers le libéralisme individualiste de droite (dominante : Friedman/Hayek). L’observation clinique de la société confirme donc le diagnostic d’un Jean-Claude Michéa, qui, outre cette indissociabilité du gauchisme des mœurs et du gauchisme économique et financier,insiste sur la non neutralité de la technique, en ce sens que les NTIC, en tant que telles, favorisent cette dérive. Michéa est peut-être le meilleur théoricien, l’expression la plus articulée du sens commun zemmourien. (Laetitia Strauch-Bonart, qui se dit disciple de Michéa, ne nous démentira pas).

Si nous parlons de sens commun zemmourien, c’est, certes, que son diagnostic et son pronostic seraient le plus couramment répandus, mais, aussi et surtout, que la société, que toute société digne de ce nom (qui répond à la définition du mot société) est structurellement de droite

Autrement dit, et aussi paradoxal que cela apparaisse de prime abord : la politique de droite (toutes matières confondues) est naturelle, est conforme avec la structure inhérente à toute société. Elle suppose (et implique réciproquement) une hiérarchie des décideurs, c’est-à-dire une structure nécessairement pyramidale des normes… droite/gauche… composition de la Convention… droit de veto (relatif ou en dernier ressort) du roi… Mais cet ordonnancement n’est pas seulement vertical ; il est aussi horizontal si l’on s’en rapporte à l’organisation tri-fonctionnelle de la société telle que révélée par Georges Dumézil et que les trois ordres de l’Ancien Régime n’ont fait que décalquer. Autrement dit, il existe des invariants qui, par définition, plus ou moins enfouis, plus ou moins tabous selon les époques, ne peuvent que demeurer. Au sens de manant (le membre de la petite noblesse qui, sous l’Ancien Régime, veut se maintenir sur ses terres et maintenir ses traditions), Éric Zemmour est donc un demeuré. Il veut étirer le temps, éterniser (tant faire se peut, et toute la question est de savoir si l’on peut prétendre que cela soit possible) l’instant d’avant. Et c’est en partie ce que l’on appelle la Tradition.

Les conceptions zemmouriennes ne sont peut-être pas sans lien avec la religion hébraïque biblique 

Boris Cyrulnik faisait observer qu’historiquement, les Juifs avaient été des « agitateurs culturels ». Et, de fait, de Jésus-Christ à Judith Butler en passant par Daniel Bensaïd et Marx, en a-t-on souvent intellectuellement cette vision. Mais, cet anti-essentialisme exacerbé, cette aversion envers toutes prédéterminations et déterminations radicales en l’homme (qu’on pourrait résume par cette formule : il est de l’essence de l’homme de n’avoir aucune essence) ne correspondent toutefois qu’à une portion du monde juif4. Le judaïsme, pris ici à l’instar de ce que Claude Tresmontant désignait du nom de ‘‘religion hébraïque biblique’’, effectue un geste opposé (cf. par exemple la pensée d’un Léo Strauss ou d’un Bergson). On agite le verre de vin, puis on laisse reposer. Et on s’intéresse, on isole, on préserve et conserve ce qui se sera déposé ; c’est le ‘‘dépôt de la foi’’. Pour l’essentiel s’assimile-t-il au Décalogue, à la Loi naturelle, lesquels, tout au long de l’histoire des hommes, agissent à la lettre comme un garde-fou, le mettant en garde contre ce qui est la tentation permanente du genre humain, et qu’on appelle la Tentation de Prométhée. Aussi n’est-il pas exagéré d’écrire qu’Éric Zemmour s’inscrit en faux contre, en l’homme, la perpétuelle recherche de l’autonomie, la volonté de soi-même se donner à soi-même sa propre loi au risque, bien sûr, par finir par ne plus ne s’en donner aucune : l’autonomie absolue mène à l’anomie universelle.

Solide, bien pensée (et, on l’a compris, dans les deux sens du terme), la biographie intellectuelle de Danièle Masson, en drainant toutes ces notions, contribuera à l’édification de l’Histoire des idées. Elle donnera aussi à nos descendants une idée assez exacte de l’état intellectuel et mental de notre époque qui, se diront-ils, en était ainsi venu à considérer comme inconvenante voire réprouvable une appréhension du monde somme toute conforme à la nature des choses, si tant est que les adjectifs ‘‘banal’’ et ‘‘naturel’’ puissent se dire synonymes.

Certains se souviendront de ce journaliste catholique des années soixante-dix, qui fut d’abord au nombre de ces chrétiens de gauche avant de virer sa cuti. Il est l’auteur de cette formule, qui est au fond une formule de bon sens, en ce sens qu’elle résume bien ce qu’il y a lieu de comprendre et d’admettre. Ce Jean-Marie Paupert disait donc : « l’expression judéo-christianisme est à la fois un contresens et une redondance. ». D’une part, le christianisme s’inscrit en faux contre l’affirmation première du judaïsme qui est de nier la divinité du Christ ; d’autre part, il ne fait que l’accomplir, le Nouveau Testament n’étant (selon l’Eglise) que la réalisation des promesses contenues dans l’Ancien. Or, dans l’expression de sa pensée (et il n’est point obséquieux de notre part de soutenir que Zemmour détient une pensée digne de ce nom), Zemmour montre qu’il est en déséquilibre entre ces deux « marques de fabrique », et qu’il aurait, consciemment ou non, tendance à ne vouloir estimer qu’une Eglise ayant pris ses distances avec ce que la vulgate judaïque conserverait de « progressiste ». Or, le judaïsme, c’est d’abord la Loi et les Prophètes, le Décalogue, tout ce que le monde post-moderne déteste (puisque ceux-là seuls, aujourd’hui, sont les derniers à vouloir l’empêcher d’agir à sa guise). Et puis, Zemmour, dites-vous bien que cette très ancienne hérésie chrétienne, qui a nom marcionisme et qui voudrait que le christianisme n’ait plus rien à voir avec son illustre devancier, a été, suite à Harnack, recyclée par toute la mouvance chrétienne libérale (tant catholique que protestante) pleine, pour reprendre le mot de Chesterton, de ces vertus folles qui régentent notre monde.

Une journaliste du service Culture du Figaro, il y a peu, relevait en privé et en substance – mais pour le déplorer – que le vœu le plus cher de Zemmour était de devenir catholique. Antoine Beauquier, un des avocats du président de Reconquête, a, comme on dit, l’oreille de ce dernier et, à l’occasion, pratique ce que d’aucuns, de nos jours, appellerait endoctrinement (étymologiquement parlant, bien sûr), « coaching doctrinal » ou « bienveillant enseignement ».Nul doute que l’élève a encore des questions à lui poser, pour pouvoir, le cas échéant, prendre position.

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  1. Danièle Masson, Zemmour, itinéraire d’un insoumis, éditions Pierre-Guillaume de Roux. ↩︎
  2. Danièle Masson, Dieu est-il mort en Occident ?, éditions Guy Trédaniel, 1998 ↩︎
  3. cf. Emmanuel et Mathias Roux, Michéa, l’Inactuel – Une critique de la civilisation libérale –, éd. Le Bord de l’Eau ↩︎
  4. Voir Ce soir ou jamais, France 2, 10 X 2014 : symptomatique de cette opposition, le débat Jacques Attali/Éric Zemmour. ↩︎

Le tribalisme solidaire, angle mort du discours sur l’islamisme

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Marseille, 10 avril 2025 © Frederic Munsch/SIPA

L’islamisme n’est qu’un prétexte: ce qui ronge vraiment la France, c’est la loi du clan, redoute notre contributeur dans cette tribune libre contre le séparatisme


Depuis quarante ans, on croit conjurer l’ensauvagement de certaines banlieues en invoquant « la radicalisation islamiste ». Mais derrière le barbu, il y a le caïd. Derrière le caïd, le clan. Et derrière le clan, un tribalisme importé, concurrentiel et jamais déconstruit. Récit et analyse d’un témoin de l’intérieur.

1989. Marché nocturne de Sallaumines, près de Lens.
J’y vais avec ma sœur et son petit ami. Dans la foule, un grand Gaulois moustachu, ivre, titube. Deux gamins maghrébins le harcèlent, le font trébucher. Puis surgit la meute : une dizaine de jeunes, tous de la « même origine », forment un cercle, frappent, piétinent. En vingt secondes, un corps gît dans le sang. Autour, la foule détourne le regard. Un gosse me glisse, fier : « C’est ça la solidarité musulmane ! »

Ce soir-là, mon logiciel « antiraciste » explose. Moi qui croyais aux bons sentiments universalistes, je découvre le tribalisme brut : Moi contre mon frère ; mon frère et moi contre mon cousin ; mon cousin, mon frère et moi contre l’étranger.

Dans nos cités, le caïd est le descendant direct du chef de clan arabe ou berbère : meneur d’hommes, protecteur du territoire, racketteur en chef. Le mot « caïd » n’est pas une insulte : c’est un titre valorisé. Celui qui domine le quartier humilie la police, l’instituteur, le juge — et gagne l’admiration de la tribu.

Renée Fregosi l’a écrit : « Ces structures communautaires neutralisent l’État de droit. »
Quand la République recule, le clan prospère.
Quand la police est absente, le caïd fait régner la loi du sang et du silence.

Al-Andalus nous avait déjà tout appris.
Les conquérants arabes et berbères de l’Espagne wisigothique étaient des tribus soudées par la parenté. Chaque contingent militaire était un clan : vengeance, butin, endogamie. Là où l’État est faible, ces structures survivent. Là où il est fort, elles se soumettent ou se dissolvent.

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Mais ce tribalisme n’est pas un bloc monolithique : il est aussi une poudrière interne.
Comme les Arabes et les Berbères se sont entretués en Andalousie, nos banlieues modernes voient coexister une mosaïque de clans : Maghrébins, Subsahariens, Comoriens, parfois même entre sous-groupes rivaux du même pays.
Beaucoup viennent de sociétés africaines où la colonisation a figé des frontières arbitraires, sans jamais effacer les rivalités ethniques. Ces comptes se règlent désormais sur le sol français — guerres de quartiers, agressions ciblées, émeutes inter-clans.

La République ne comprend pas ce monde où l’on est frère contre frère, mais tribu contre tribu. Elle croit pacifier un bloc homogène. Elle ignore qu’en réalité, cette force tribale est à la fois un bouclier contre l’État et une faille violente en interne.

Aujourd’hui, une autre dérive s’ajoute : la surenchère religieuse.
Ces quartiers sont avant tout des sociétés de l’honneur : l’image publique compte plus que la foi intérieure. Pour ne pas passer pour un « mauvais musulman », chacun surjoue sa piété. On exhibe sa barbe, on dit « Wallah ! » à chaque phrase, on jure « Inch’Allah » même pour bénir un petit trafic.
C’est une course au Sur-Musulman : plus musulman que moi, tu meurs.

Cette surenchère rassure l’entourage et verrouille la norme communautaire. Elle fournit un vivier idéal aux prêcheurs radicaux, car tout écart se paie d’humiliation publique ou de bannissement.

Aujourd’hui, nos quartiers fonctionnent pareil :
– On ne balance pas un cousin, même criminel.
– On signe des pactes locaux avec les élus pour acheter la paix.
– On recycle le caïdat en économie parallèle, en prosélytisme.

Quartier « Air Bel » dans le 11ème arrondissement de Marseille gangrené par la drogue et les clans © Frederic MUNSCH/SIPA

Et pour sauver la face, la classe politico-médiatique invente le bouc émissaire magique : « l’islamisme ». Comme s’il suffisait de fermer trois mosquées pour restaurer l’ordre. En vérité, le djihadiste français est souvent un caïd recyclé : même goût de la domination, même violence clanique, simplement « justifiée » par le Coran.

Pendant que la gauche accuse le racisme et le chômage, la réalité persiste : cent tribalistes valent mille individualistes désunis. Si l’État ne redevient pas le plus fort, il devra demain négocier son existence avec ceux qui, déjà, occupent le terrain.

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Divorce à la MAGA

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Donald Trump et Elon Musk lors d'une conférence de presse dans le bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington D.C, 30 mai 2025 © CNP/NEWSCOM/SIPA

Notre spécialiste des Etats-Unis revient sur la rupture fracassante et les affrontements récents houleux entre le président des États-Unis et le géant de la tech. Le milliardaire aura passé cent-trente jours au sein de l’administration, et contrairement à ce que prévoyaient de mauvaises langues, il en sort plus pauvre que quand il y est entré


C’est un divorce dans la douleur et tout le monde a pu assister aux scènes de ménages. Avec fracas et bris de vaisselles. Mais c’est aussi une leçon de réalisme politique et la première rupture du second mandat de Donald Trump. Il s’agit de la fin de sa collaboration avec Elon Musk, marquée par une furieuse joute verbale sur les réseaux sociaux.

Après une cordiale cérémonie d’adieu dans le bureau ovale le 31 mai, où il s’est vu offrir une clé de la Maison Blanche, Elon Musk s’en est pris à la loi budgétaire actuellement débattue au Sénat, appelant les Républicains à « tuer cette loi », alors qu’elle est essentielle à l’accomplissement du programme et des promesses électorales de Donald Trump. Inévitablement le président s’est offusqué, et a répliqué à son ancien collaborateur. Le ton entre les deux est monté et les pires menaces et insinuations ont été échangées…

Cette fin brutale à une association politique improbable n’est pas en soi une surprise. La séparation couvait depuis des semaines. Sa violence verbale tient en partie aux personnalités hors normes de deux protagonistes, et à leurs égos démesurés. Mais il y a plus.

L’alliance d’un chef d’entreprise visionnaire devenu l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, avec un autre entrepreneur visionnaire devenu président des Etats-Unis et donc l’homme le plus puissant de la planète, Donald Trump, avait quelque chose d’extraordinairement prometteur et totalement irréel à la fois.

Le premier imagine le monde de demain, le second façonne le monde d’aujourd’hui. L’innovation et la haute technologie s’étaient mises au service de la plus puissante démocratie. Cela promettait un feu d’artifice. En fait il y a surtout eu des étincelles, jusqu’à ce que tout cela parte en flammes.

Retour sur une idylle politique inattendue, les raisons de sa fin brutale, et les leçons pour l’avenir.

Un intrigant couple politique

Le rapprochement entre Elon Musk et Donald Trump date de la campagne présidentielle américaine de 2024. Plus précisément de la tentative d’assassinat dont Trump fut la cible le 13 juillet 2024 à Butler en Pennsylvanie.

Donald Trump visé par un tireur à Butler, Pennsylvanie, 13 juillet 2024 © Gene J. Puskar/AP/SIPA

Jusqu’alors Musk avait plutôt émis des réserves sur le personnage. « Sa personnalité ne donnerait pas une bonne image du pays », avait-il dit en 2016, préférant soutenir Hillary Clinton pour la Maison Blanche. Idem en 2020 où il avait penché pour Joe Biden. Toutefois la campagne présidentielle de 2020 puis la politique de l’administration démocrate à partir de 2021 provoquèrent un déclic chez lui.

Musk observa un détournement de la démocratie doublé d’une attaque contre la liberté d’expression, menés par le parti Démocrate avec la complicité des grands médias et des réseaux sociaux. Ce fut l’affaire des « Twitter files », quand des milliers de comptes d’internautes furent supprimés, et leurs messages bloqués, soient parce qu’ils étaient favorables à Donald Trump, soient parce qu’ils s’opposaient à l’obligation vaccinale dans le cadre du Covid, soit parce qu’ils dénonçaient la corruption du clan Biden et l’existence bien réelle d’un ordinateur appartenant au fils Hunter (le fameux « laptop from hell ») contenant les preuves de cette corruption.

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La dérive « wokiste » de la nouvelle administration acheva de détourner Musk du parti démocrate. « Ce parti était celui-ci de la gentillesse, il est devenu celui de la division, de la haine, et des sales combines dit-il en 2022, Je ne peux plus le soutenir. »

Au soir de l’attentat de Butler, quand il apparut à Musk que les « sales combines » du parti Démocrate pouvaient aller jusqu’à laisser l’ancien président et candidat adverse être assassiné, il prit position, haut et fort en sa faveur.

Dès lors il devint omniprésent dans la campagne de Trump, venant conclure ses réunions publiques en sautant sur scène comme un cabri. Il dépensa aussi 225 millions de dollars dans la campagne du candidat républicain contribuant à attirer un électorat plus jeune, plus urbain et plus branché, que les traditionnels supporters du mouvement « MAGA ».

Ministère Musk

L’élection remportée, Trump et Musk convinrent d’une nouvelle mission pour le génial entrepreneur. Il serait placé à la tête d’un nouveau ministère chargé de faire des économies budgétaires. Avec un déficit de 1,7 milliers de milliards et une dette de 37 mille milliards de dollars, la tâche était facile à justifier. Ce ministère est devenu le DOGE, pour « Department of Government Efficiency », dont la mission est de faire la chasse aux « abus, gaspillages et fraudes » au sein de l’administration. Aux dires de Trump et Musk, des centaines de milliards de dollars, voire des milliers, pouvaient être économisés, simplement en rendant le gouvernement plus efficace.

Musk a foncé tête baissée. Avec un enthousiasme non dissimulé. En appliquant les méthodes de la Silicon Valley. A savoir, « aller vite et casser des choses » (« Move Fast & Break Things »). Il s’agit de déstabiliser délibérément ses interlocuteurs par l’étendue des coupes envisagées et la rapidité d’exécution, pour imposer une nouvelle façon de penser et de d’opérer.

Des citoyens américains manifestent contre la fermeture de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), Washington, 5 février 2025 © Aaron Schwartz/Sipa USA/SIPA

Ce fut un blitzkrieg managérial avec des annulations de postes par dizaines de milliers, des économies budgétaires par dizaines de milliards et la suppression pure et simple de certaines agences, telle l’USAID, l’agence d’aide internationale. Ce faisant Musk réduisait aussi « l’Etat profond », cet Etat dans l’Etat qui vit à travers les dizaines de milliers de fonctionnaires habituellement inamovibles et qui injectent leur idéologie dans leur fonction. Il rendait donc un double service à Trump qui, depuis son arrivée sur la scène politique a juré « d’assécher le marais » (« drain the swamp ») c’est-à-dire d’éliminer l’Etat profond et sa corruption endémique.

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Le choc fut brutal et l’opposition lente à s’organiser tant la méthode était inattendue. C’était néanmoins celle que Musk avait utilisée pour Twitter. Après avoir racheté le réseau social pour une somme colossale (44 milliards de dollars), à l’automne 2022, Musk avait licencié 80% des employés (les effectifs étaient tombés de 7 500 à 1 500). Et l’entreprise avait continué de fonctionner. Pourquoi une telle approche ne fonctionnerait-elle donc pas pour le gouvernement ?

La méthode fut saluée par des hurlements de plaisir chez les militants conservateurs. Au forum CPAC, en février, Musk se vit remettre une tronçonneuse par le président argentin Javier Milei, grand apôtre du libertarisme, pour illustrer son rapport à la bureaucratie…

Mais en coulisse les choses étaient plus houleuses. Plusieurs personnalités de l’administration Trump manifestèrent leur déplaisir face à la brutalité des méthodes de Musk et leur impact sur l’image des Etats-Unis. Notamment Marco Rubio, le secrétaire d’Etat. Pour eux, Musk mettait en danger la réputation et la fiabilité des Etats-Unis voire leurs objectifs stratégiques. Trump prit leur parti et il fut demandé à Musk d’opérer désormais « au scalpel » et non plus « à la tronçonneuse ».

Cette restriction imposée au milliardaire fut le premier clou dans son cercueil. Lui qui était omniprésent et que certains accusaient d’agir comme un « co-président », venait d’être recadré par les membres du cabinet et désavoué par son employeur et patron, le président.

Musk soutint qu’il n’avait pas d’autre choix que de tailler radicalement dans la dépense: « La dette publique n’est pas tenable dit-il. Le gouvernement dépense plus pour financer les seuls intérêts de la dette que pour financer la défense du pays… A ce rythme nous allons à la faillite.»

Musk souligna alors que loin d’être un « co-président », il était « aux ordres » du président. Au journaliste de la chaine Fox News, Sean Hannity, Musk confia en avril : « Le président Trump est le représentant élu du peuple, il représente la volonté du peuple, si la bureaucratie s’oppose à la volonté du président et bloque son action alors la bureaucratie s’oppose à la volonté du peuple et nous ne sommes plus en démocratie, nous sommes en bureaucratie. »

La bureaucratie, justement s’est aussi rebiffé. Des juges fédéraux Démocrates, prenant la défense des personnes licenciées, ont bloqué l’action de DOGE, arguant de son inconstitutionnalité et de son illégalité. Musk est devenu la tête de turc de l’administration Trump. Il a été vilipendé et caricaturé dans les médias. Ses prises de position politiques – notamment son soutien au parti nationaliste allemand AFD, ont été dénoncées. On l’a accusé de sympathies « nazi » (accusation néanmoins fréquente venant de la gauche envers quiconque ose critiquer le wokisme). Les violences verbales ont débouché sur des violences physiques et des actes terroristes. Des voitures Tesla ont été brulées et des concessionnaires vandalisés. L’action de la compagnie s’est effondrée en bourse. Trump a soutenu son collaborateur et promis d’acheter une Tesla. Début mars, il a convoqué la presse à la Maison Blanche pour mettre en scène la vente.

Washington, 11 mars 2025 © Sipa USA/SIPA

Aussi spectaculaire fut-elle, l’opération de pub avait quelque chose d’un chant du cygne pour Elon Musk. En quelques semaines, le DOGE avait déjà fait le tour des départements et agences gouvernementales et réalisé 160 milliards de dollars d’économie. C’était énorme, mais loin du millier de milliards envisagé initialement. La montagne avait accouché d’une souris. Certes DOGE avait mis à jour des abus honteux – comme le nombre de personnes décédés percevant toujours une pension de retraite – mais le résultat n’était pas la hauteur des attentes, ni du remue-ménage suscité.

« Kill the bill »

Musk n’était plus la coqueluche de la Maison Blanche. Et Trump avait déjà reporté son attention sur d’autres. A partir d’avril, la question des tarifs devint sa priorité, remplacée début mai par son conflit avec l’université d’Harvard, et début juin par la « Big Beautiful Bill ».

Autant de questions qui, au passage, ont mis en lumière les profondes divergences de vues entre les deux hommes.

Musk s’oppose aux tarifs douaniers. C’est un partisan du libre-échange. Et comme il possède des usines en Chine, l’idée de surtaxer les importations chinoises lui déplait.

Sur l’immigration il a souligné le besoin des entreprises américaines d’avoir les meilleurs ingénieurs sous la main et donc de faire venir encore plus d’étudiants étrangers. Le président et les supporters MAGA s’y opposent.

La « Big Beautiful Bill », surnom de la loi budgétaire à l’étude, contient des dizaines de milliards de dollars de dépenses inutiles à son goût. D’autant qu’elles décrédibilisent sa propre mission. Pourquoi lui demander de faire des économies, si c’est pour dépenser inconsidérément derrière… ?

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Le vote de cette loi, par la Chambre des représentants, fin mai, avec une seule voix de majorité, 215 contre 214,  sera la goutte d’eau de trop. Celle qui a fait déborder le vase de ses  récriminations.

Trois jours après la cérémonie d’adieu dans le bureau ovale, Musk se lâche sur sa plateforme X : « Désolé, écrit-il, mais je ne peux pas me retenir plus longtemps, cette monstrueuse loi est une abjecte abomination, honte à ceux qui l’ont voté. Vous avez fait du mal et vous le savez ». Ce sont tous les élus Républicains de la chambre qui sont visés.

A présent ce texte est devant le Sénat. Il est capital pour Trump que la loi passe. Il répond instantanément à son ancien collaborateur sur son propre réseau Truth Social. « Cette loi est magnifique » écrit-il « elle va ouvrir la voie au nouvel âge d’or de l’Amérique… Elle va engendrer la prospérité et le retour de la grandeur. » Et de signer « MAGA »

Musk n’en démord pas : « « Appelez votre sénateur, » dit-il à ses millions de suiveurs sur X. « Il faut tuer cette loi. » (Kill the bill)

La guerre des tweets

« Musk est devenu fou », a répondu Trump. J’ai supprimé les subventions aux véhicules électriques et il a pété les plombs. Pourtant il était au courant depuis longtemps. »

Quand un internaute suggère qu’il est temps de destituer Trump (impeach) – une menace habituellement mise en avant par les Démocrates – Musk dit simplement « oui ».

La guerre des tweets ne s’arrête pas là.

« Le meilleur moyen d’économiser des milliards et des milliards de dollars dans le budget est du supprimer les contrats avec Space X et les entreprises d’Elon Musk », écrit Trump.

Musk le prend au mot. « Dès à présent, mon « space-dragon » (la fusée Space X qui approvisionne la station internationale de l’espace) cesse d’être à la disposition de la NASA » écrit-il sur X.  

Quelques heures plus tard, il est revenu sur ce tweet. Space X et la NASA vont continuer de coopérer. Starlink aussi. Musk est un acteur incontournable du programme spatial américain, civil et militaire, et quelles ques soient ses relations avec l’homme de la Maison blanche, l’idée d’un rupture entre ses sociétés et le gouvernement est inconcevable.

Il a néanmoins accusé le président « d’ingratitude ». « Sans moi il aurait perdu l’élection. »

« J’aurai gagné même sans lui » répond Trump. « Que Musk se retourne contre moi ne me dérange pas, mais il aurait du le faire plus tôt. Il a tort de critiquer la « big beautfiul bill », c’est une des meilleures lois jamais rédigées, elle va mettre notre pays sur la voie de la grandeur… »

Musk lâche enfin une dernière  « bombe » : « Trump est impliqué dans le dossier Epstein, c’est pourquoi ce dossier n’a pas été rendu public » écrit-il sur X. Une accusation qu’il ne peut pas bien sûr prouver, et qui ne convainc personne. Sauf que le dossier Epstein que Trump avait promis de totalement publier, ne l’a pas encore été…

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Cette fois Trump ne répond pas. Quand on lui demande s’il va appeler Musk, il répond « non ». « Je suis déçu de son comportement. Je l’ai beaucoup aidé… » Rien ne sert d’envenimer encore les choses… Il a d’autres priorités plus importantes, dont la fameuse « Big Beautiful Bill ».

C’est bien elle qui est au cœur du divorce. Son passage est essentiel à la réussite du mandat de Donald Trump.  Et tant pis si elle contient un peu trop de ce « gras de porc » (« pork barrel » en anglais), nom donné aux petits programmes locaux ne servant qu’à graisser la patte des élus pour garantir leur vote… Elle contient surtout l’ensemble de son programme économique, et de ses promesses de sa campagne. Elle forme un tout cohérent qui comprend la sécurisation de la frontière, la relance des énergies fossiles pour parvenir à une dominance globale, une réforme de l’aide sociale, l’élimination des subventions aux énergies dites vertes, un renforcement du secteur de la défense et la pérennisation de baisses d’impôts votées lors de son premier mandat qui, si elles venaient à ne pas être prolongées, représentaient un surplus de ponction fiscale très pénalisant pour l’économie américaine. Bref, Donald Trump ne peut pas se permettre de voir cette loi rejetée.

Elon s’est trompé…

Elle est bien plus importante que les états d’âme d’Elon Musk. En appelant les élus à « tuer »  le texte, Musk a commis une faute inacceptable et impardonnable. Il a tenté de monter une partie du camp républicain contre le président. Alors que les Républicains ont une majorité infiniment étroite au Congrès.

Musk s’est laissé emporter. Il a péché par narcissisme et naïveté. Il a montré sa méconnaissance de la politique. Il s’est trompé sur son rôle, sa place et son pouvoir. Il n’était  pas le « roi », mais le « conseiller du roi » agissant au gré de la volonté du roi. Sa présence dans l’entourage du roi était un privilège octroyé par le roi, pas un droit.

Musk a aussi eu la naïveté de croire que sa mission avec le DOGE était la plus importante et le narcissisme de penser qu’il était incontournable. Il a cru que le besoin de combler le déficit budgétaire était la priorité du président Trump. Elle ne l’est pas. Sa priorité est de faire passer son programme. Tout son programme. Les économies budgétaires n’en sont qu’un détail.

Enfin il a été vexé de voir, en effet, les subventions aux véhicules électriques supprimées par cette loi, qui octroie en même temps de nouvelles subventions pour la production d’énergies fossiles. D’où son accusation d’ingratitude envers Trump…

Il n’empêche. Musk aurait dû comprendre que la politique impose des concessions et que Trump avait dû en faire pour espérer voir la « Big Beautiful Bill » passer. L’heure n’était donc pas aux récriminations et aux divisions mais à l’unité. Les griefs de Musk sont survenus au pire moment.

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D’autant que si la croissance économique générée par le passage de ce texte de loi est bien au rendez-vous, le déficit et la dette seront comblés par le haut, c’est-à-dire par des revenus supplémentaires. C’est bien l’un des objectifs de cette loi et du programme de Donald Trump.

C’en est donc fini du binôme du bureau ovale. Ceux qui ont parlé d’une présidence « bicéphale » en sont pour leurs frais. Ceux qui ont dit que Musk était là pour s’enrichir aussi. Le milliardaire aura passé cent-trente jours au sein de l’administration et il en sort plus pauvre que quand il y est entré. Sa compagnie Tesla a perdu près de deux cents milliards de dollars de capitalisation boursière en un an.

Cé départ menace-t-il le reste de la présidence Trump ? N’en déplaise à Elon Musk, non. Au contraire.

Le milliardaire est un trublion incontrôlable. D’un certain côté, Trump est heureux d’en être débarrassé. Son ascension n’avait jamais été vue d’un bon œil par la base MAGA, notamment les militants des premières heures, ceux que Steve Bannon avait rassemblés pour obtenir la victoire surprise de 2016.

L’arrivée des techno-libertariens

Les autres milliardaires de la « Tech » qui se sont ralliés à Donald Trump depuis sa victoire en sont prévenus : on n’achète pas ce président. Et c’est lui seul qui décide. Le dernier grief de Musk a été de voir la candidature de Jared Isaacson, autre milliardaire de la Silicon Valley, pour diriger la NASA, retirée par Trump. Pressenti dès le mois de décembre 2024 pour prendre la tête de l’agence aérospatiale américaine, avec laquelle Musk a de nombreux contrats, Isaacson a été récusé le 31 mai ! Le jour même du départ d’Elon Musk. Motif ? Isaacson a soutenu des candidats Démocrates en 2024. Or Donald Trump ne veut à des postes de responsabilités que des gens à la loyauté indéfectible…  

Numéro de février du magazine « Causeur »

Il est vrai que jusqu’à l’été dernier, tous les « magnats » de la Silicon Valley, ne juraient que par le parti de l’âne, et déclaraient haut et fort leur adhésion au wokisme. Ils ne se sont rangés derrière Donald Trump que lorsque sa victoire électorale s’est dessinée. Marc Zuckerberg, le patron de Facebook, a fait un mea culpa public et déclaré son engagement pour la liberté d’expression. Jeff Bezos, patron d’Amazon et propriétaire du Washington Post s’est contenté de ne pas prendre parti pour un candidat ou l’autre, comme les quotidiens américains le font d’habitude.

Tous cependant étaient présents sous la coupole du Capitole pour l’investiture.

Ces « oligarques » américains ne représentent cependant pas une force politique soudée et homogène. Ils ont juste beaucoup, beaucoup d’argent à leur disposition, ce qui fait inévitablement baver les politiques… Quand à leurs idées, elles divergent, sauf pour une tendance commune à la détestation de la bureaucratie. Cela a suffi pour que les médias les qualifient de « techno-libertariens »  et évoquent le spectre d’un gouvernement du monde par ces oligarques soucieux de liberté, d’efficacité et d’opportunité mais certainement pas de justice sociale…

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Toutefois on est très loin de la réalité d’un tel gouvernement. Depuis sa rupture avec Trump, Elon Musk a émis l’idée de fonder un nouveau parti politique, appelé le Parti Américain, et de défier les candidats républicains lors de primaires avant les élections intermédiaires de 2026. C’est un projet sans avenir. Une entreprise mort-née.

En 1992 déjà, Ross Perot, un autre milliardaire de l’informatique, était entré dans la course à la présidence avec la volonté de réduire la dette et le déficit, qui étaient à des niveaux incomparables à ceux d’aujourd’hui mais déjà jugés excessifs. A l’arrivée, il n’avait pas été élu, mais il avait fait perdre George Bush et permis l’élection de Bill Clinton. Dix ans plus tard son mouvement avait disparu, alors que la dette avait progressé de 50%. Si Musk fonde un parti avec le même objectif, il connaîtra le même sort. Il pourrait faire perdre le candidat Républicain en 2028, et quelques autres dès 2026, mais sa formation n’aurait aucune chance de s’imposer sur le long terme.

N’en déplaise à son égo, Musk ne représente qu’une petite cohorte de « geeks » présents dans la Silicon Valley. Ce sont quelques milliers d’électeurs, guère plus. Donald Trump représente 75 millions d’électeurs, d’âges, de milieux, d’origines, de sexes, de religions et de couleurs différents. La lutte n’est pas égale et Musk devrait s’en rendre compte.

Karoline Leavitt, la jeune porte-parole de la Maison Blanche a parfaitement résumé la situation pour ramener de la sérénité dans ce clash : « En tant que chef d’entreprise Elon Musk a le droit de parler pour défendre ses entreprises. En tant que chef de l’Etat, Donald Trump a le devoir de se battre pour le pays. »

Retrouvez les analyses de Gerald Olivier sur son blog.

Iran / Israël: à la recherche de l’imam casher

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La télévision d’État iranienne bombardée en plein direct par Israël surprend la journaliste Sahar Emami, 17 juin 2025 © D.R.

Mardi matin, Donald Trump a annoncé que le cessez-le-feu, accepté par Israël, était désormais « en vigueur ». Fragilisés, les mollahs n’ont pu bénéficier d’aucun appui de leurs alliés traditionnels, la Chine et la Russie. Pour autant, si Israël a remporté une bataille décisive, la guerre, elle, est loin d’être terminée, observe notre directeur de la publication – toutes les hypothèses restant ouvertes quant au devenir du régime iranien.


À l’heure où ces lignes sont rédigées, le cessez-le-feu twitté par Donald Trump avec tambour et trompette demeure fragile, mais le cadre stratégique, lui, est désormais limpide : la guerre est la continuation de la diplomatie, et cette dernière reprend le relais aussitôt que possible. Et cela ne devrait pas surprendre : c’est exactement le modèle appliqué au Liban, l’automne dernier.

En septembre, au moment où Israël détourne son attention de Gaza vers le Liban, ses intentions restent volontairement opaques. Après onze mois d’échanges de frappes avec le Hezbollah, feignant de se plier aux règles du jeu imposées par la milice chiite, Israël passe à l’action. Et d’abord, Tsahal frappe les esprits avec l’opération « Bipper ». Une fois l’ennemi désorienté, et tandis que l’on met en scène l’illusion d’un cessez-le-feu imminent, le marteau tombe une seconde fois. Le vendredi 27 septembre, en milieu d’après-midi, le quartier général du Hezbollah est détruit et Hassan Nasrallah éliminé, rejoignant ainsi la quasi-totalité du haut commandement de la milice, décimé par des frappes de précision israéliennes.

Le Liban, une répétition générale

S’ensuivent six semaines d’opérations terrestres, marquées par la destruction systématique de l’infrastructure militaire du Hezbollah au sud du Litani. Enfin, le 26 novembre, un cessez-le-feu est annoncé. Le Hezbollah est alors mis KO, sans être pour autant HS. Une quinzaine de jours plus tard survient un « bonus » espéré, quoique non planifié : le régime syrien de Bachar el-Assad s’évapore.

La logique stratégique est claire : faire usage de la force de manière ciblée et maîtrisée pour atteindre des objectifs militaires bien définis et raisonnables, puis repasser le flambeau à la diplomatie américaine. Avec cette conviction : seul le corps politique libanais, pour sa propre survie, peut produire une solution durable au problème que pose le Hezbollah à Israël. Le rôle d’Israël est de scier le tronc, suffisamment, mais pas totalement. Il revient aux Libanais d’abattre l’arbre.

À lire aussi : Israël fait le sale boulot pour tout le monde

À la lumière de l’opération iranienne, ce qui s’est joué au Liban entre la mi-septembre et la fin novembre apparaît rétrospectivement comme une répétition générale. Une ouverture spectaculaire et sidérante, suivie d’un ciblage méthodique des objectifs, tout en maintenant le contact avec l’ennemi et en guettant le moment opportun pour suspendre l’usage de la force armée. Douze jours après son déclenchement, l’opération israélienne entre dans une phase de rendement marginal décroissant : chaque action supplémentaire apporte de moins en moins au bilan stratégique, largement constitué durant les premiers jours. Et dans le même temps, chaque jour de combat supplémentaire augmente le risque d’endommager ce bilan – qu’il s’agisse d’un avion abattu, de pertes civiles importantes en Iran, ou de dégâts sensibles en Israël.

Un bilan militaire brillant pour Tsahal

Et le bilan, justement, est impressionnant. Au-delà des destructions matérielles infligées aux capacités balistiques et nucléaires de la République islamique, les coups portés à son prestige et à son statut sur la scène régionale et internationale sont dévastateurs. On peut imaginer que les caricatures griffonnées sur les parois des toilettes publiques de Téhéran ressemblent déjà à certaines « unes » de Charlie Hebdo. Quant à ce que pense la « rue sunnite » des enturbannés chiites, il n’est sans doute pas très éloigné de ce même imaginaire…

Enfin, les accords proclamés triomphalement avec la Chine et la Russie n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Pékin est même allé jusqu’à priver l’Iran d’un atout stratégique majeur, en déclarant que la fermeture du détroit d’Ormuz serait une « mauvaise idée », au moment précis où Téhéran agitait cette menace. Le Sud global et les BRICS ne se sont pas révélés, eux non plus, d’un grand secours, sans doute trop occupés à tenter de détrôner le dollar comme monnaie d’échange internationale.

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Les effets conjugués de ces éléments affaibliront sans doute le régime iranien, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Dix jours après le 13 juin, on peut donc affirmer qu’Israël a gagné une bataille, mais pas encore la guerre. Et c’est là un point essentiel : les slogans « Mort à l’Amérique, mort à Israël » demeurent parmi les plus puissants leviers de mobilisation politique au monde.

Et pourtant Gabriel Attal avait raison !

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Le président du groupe parlementaire Ensemble pour la République, Gabriel Attal, lors d'un débat sur le narcotrafic à l'Assemblée nationale, le 29 avril © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Jeudi 19 juin, le Conseil constitutionnel a censuré six articles clés de la proposition de loi Attal sur la justice des mineurs, notamment ceux sur la comparution immédiate et la remise en cause de l’excuse de minorité, jugés contraires aux grands principes constitutionnels. Ce revers marque un désaveu pour Gabriel Attal et vient démontrer une nouvelle fois que l’État de droit empêche l’approche répressive réclamée en la matière par une majorité de Français


Un blocage majeur contre la délinquance des mineurs. « Six articles-clés de la proposition de loi pour durcir la justice des mineurs ont été déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel », rapporte Le Monde dans son édition du 20 juin. Cette proposition de loi portée par Gabriel Attal, chef des députés macronistes à l’Assemblée nationale, et appuyée par le garde des Sceaux Gérald Darmanin, visait à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents.

Le Conseil constitutionnel a encore frappé !

Sur ce dernier point, il y a eu validation mais en revanche trois dispositions fondamentales du texte, visant à rapprocher la justice des mineurs de celle des adultes, ont été censurées au motif de leur valeur constitutionnelle.

– l’excuse de minorité qui serait devenue l’exception à partir de 16 ans ;
– une audience unique qui aurait mis fin au clivage instauré par la loi de 2021 entre culpabilité et sanction ;
– la procédure de comparution immédiate qui aurait permis de juger plus rapidement les mineurs récidivistes à partir de 16 ans.

Gabriel Attal a souligné que, pour ne pas être censuré, on pouvait aussi ne jamais agir. Les opposants à cette proposition de loi n’ont pas été déçus par le Conseil constitutionnel : gauche, extrême gauche, magistrats chargés des mineurs, associations. Ceux qui sont prêts à l’angélisme sur le dos de la communauté nationale.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

Cette proposition de loi, cependant, aurait mérité d’être appréhendée avec la volonté de la part du Conseil de moins tenir à la pureté des principes de la minorité et à leur caractère prétendument intangible qu’à la nécessaire adaptation de la législation des mineurs à l’évolution de ceux-ci – de plus en plus violents et de plus en plus précocement – et au caractère plus théorique que pratique, aujourd’hui, de la primauté de l’éducatif sur le répressif.

On aboutit à ce paradoxe d’une société qui se dégrade, d’abord avec une jeunesse qui n’a plus rien à voir avec celle de 1945, mais avec une stabilité législative qui ne cesse, jour après jour, de démontrer son inefficacité. Les mineurs changent mais les principes les concernant demeurent. Non parce qu’ils seraient opératoires mais en raison d’une adhésion systématique à une vision dépassée. Avec des scrupules humanistes à se mettre au goût du jour de la délinquance des mineurs, dont les délits et les crimes les ont pourtant rendus à niveau des adultes.

Vert paradis

La censure de ces trois dispositions est d’autant plus regrettable qu’elles se seraient appliquées avec une parfaite efficacité à ce dont la minorité coupable a besoin : immédiateté de la sanction et refus, la plupart du temps, d’une excuse qui à partir de 16 ans n’a plus aucun sens. Pendant que le Conseil persiste à se voiler la face pour les violences des mineurs d’aujourd’hui, ceux-ci – l’actualité le démontre surabondamment – volent, agressent, violent, trafiquent et parfois tuent, partout et sans vergogne. Directement ou sur commande.

Dans ce domaine, la France n’a pas besoin de nostalgie – le vert paradis enfantin est loin ! – mais de lucidité: les coupables qui sont devant nous veulent bien être protégés comme des enfants mais désirent transgresser comme des adultes.

Ce que Gabriel Attal a compris, le Conseil constitutionnel l’a éludé. Va-t-on continuer longtemps cette course perdue d’avance entre des instances immobiles et une malfaisance qui court, entre le Conseil constitutionnel qui prône l’éducation quand le réel et les citoyens exigent la répression ? Gabriel Attal a eu raison. Trop tôt ou trop tard ?

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La terre promise du frérisme en Europe

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Manifestation propalestinienne à l’occasion du premier anniversaire du 7-Octobre et du déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, Londres, 5 octobre 2024 © Hesther Ng/Story Picture Agency/Shutterstock/SIPA

Le Royaume-Uni est devenu la tête de pont des organisations islamistes internationales pour conquérir l’Europe. En quadrillant le territoire d’associations, de syndicats, d’écoles et d’instituts, leur priorité n’est pas d’imposer un État islamique par la force mais d’islamiser à bas bruit toute la société


L’histoire du frérisme au Royaume-Uni est une histoire de réseaux. Des réseaux qui prolifèrent à travers la création régulière de nouvelles institutions, reliées entre elles par des accords formels, des transferts de fonds, ou le plus souvent par de simples relations personnelles. Des figures-clés cumulent des rôles dans de multiples organisations ou passent de l’une à l’autre. Il y a comme un enchevêtrement de plantes rampantes qui, à l’origine, ont été ensemencées par des membres des Frères musulmans. Mais aujourd’hui, les acteurs de ces réseaux n’ont pas nécessairement de lien direct avec les Frères et quand ils en ont, ils le nient. Beaucoup sont des compagnons engagés dans le même combat. L’opacité du système et sa complexité sont redoublées par le fait que les réseaux britanniques s’imbriquent à leur tour dans des réseaux paneuropéens dans la construction desquels ils ont souvent joué un rôle-clé[1].

Frérisme et jamaatisme : la fusion britannique

Dans ce contexte, les spécialistes britanniques ne parlent pas de « frérisme » (vocable difficile à adapter en anglais), mais d’« extrémisme islamiste non violent », une dénomination qui ne désigne pas seulement les Frères musulmans, originaires d’Égypte et du Moyen-Orient. Il existe aussi d’autres courants, dont le plus important est le mouvement Jamaat-e-Islami en provenance du sous-continent indien qui est, à l’origine, l’émanation d’un parti politique pakistanais. Ce courant est très important en Angleterre où l’immigration pakistanaise et bangladaise a fortement contribué à la population musulmane. Ses premières associations sont fondées outre-Manche dès les années 1960. C’est précisément la fusion entre fréristes et jamaatistes qui a engendré la puissante force d’entrisme qui aujourd’hui assiège l’Europe occidentale de l’intérieur. Et c’est en Angleterre que cette fusion s’est forgée dans les années 1970, quand des représentants des deux mouvements se sont rencontrés pour planifier un projet commun. L’année 1973 voit la création à Londres, sous des auspices égypto-saoudiens, de l’Islamic Council of Europe, destiné à coordonner les différents centres islamiques dans les pays européens. La même année, à Leicester, ville anglaise aujourd’hui à 23 % musulmane, les jamaatistes fondent la Islamic Foundation qui établit un réseau d’une vingtaine de mosquées et de centres communautaires, avant de se consacrer à la recherche et à l’édition. Quand, en 1989, se crée la puissante Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), structure faîtière rassemblant aujourd’hui plus de 500 organismes sur le continent, son siège est installé dans le village de Markford, à côté de Leicester, dans les nouveaux locaux de l’Islamic Foundation. En 2007, le siège est transféré à Bruxelles pour permettre à la Fédération d’intensifier sa campagne de lobbying auprès de l’UE. Cet exemple en dit long sur l’étroite collaboration entre les réseaux jamaatiste et frériste et aussi sur la façon dont ils ont utilisé le Royaume-Uni comme première tête de pont pour la conquête de l’Europe. Le choix de ce pays a été sans doute motivé par la forte présence des jamaatistes qui, par leur nombre, étaient en mesure d’accueillir les fréristes et les aider à lancer des initiatives collectives.

Tous ces acteurs sont réunis par un projet commun visant à imposer graduellement aux sociétés européennes un mode de vie unique fondé sur une interprétation rétrograde et rigide de l’islam. L’« extrémisme » de ces « islamistes » est « non violent », car ils rejettent les méthodes terroristes comme celles d’Al-Qaïda. Ils sont qualifiés aussi de « participationnistes », car c’est précisément en investissant le système démocratique et l’État de droit que les fréro-jamaatistes comptent arriver à leurs fins. Le problème, c’est que leur but ultime n’est pas différent de celui des terroristes. Khurram Murad (1932-1996), né au Pakistan mais établi à Leicester où il a été le directeur général de l’Islamic Foundation, a défini « une lutte organisée pour transformer la société existante en une société islamique fondée sur le Coran et la sunna, et rendre l’islam, qui est un code pour tous les aspects de la vie, suprême et dominant ». Le moyen est la da’wa qui oblige chaque musulman à faire du prosélytisme, mais aussi à se montrer exemplaire de toutes les valeurs islamiques. Selon l’idéologue frériste, Youssef al-Qaradâwî (1926-2022), l’islam, qui avait conquis l’Occident par l’épée avant d’en être expulsé, le reconquerra par la da’wa. Comme son ami jamaatiste Murad, il voit dans les institutions occidentales le moyen idéal de propager librement sa vision d’une société régie par la charia. Pour lui, il faut être ouvert à ces institutions sans être contaminés par elles. Autrement dit, il faut les utiliser pour préparer l’instauration du suprématisme islamique. Né en Égypte mais qatari d’adoption, al-Qaradâwî a néanmoins présidé le Conseil européen pour la fatwa et la recherche, créée à l’initiative de la FOIE à Londres en 1997 et domicilié à Dublin, dont l’ambition est d’aider les croyants à respecter la charia le mieux possible dans toutes les situations de la vie en Occident. Pour les fréro-jamaatistes, la priorité n’est pas d’imposer un État islamique à l’Angleterre, mais d’islamiser toute la société par la da’wa. Une fois ce but atteint, l’État islamique suivra naturellement. Il s’agit donc, par le prosélytisme, de mettre au pas tous les croyants qui ne suivent pas la version stricte de l’islam et de convertir les incroyants. L’islam étant la religion naturelle de l’humanité, on appelle les « convertis » des « revertis » (reverts en anglais), car ils sont revenus à la vérité originelle.

Réglementer la vie des fidèles pour islamiser la société

La vision partagée fréro-jamaatiste a créé une identité commune qui transcende les frontières nationales et les différences ethniques et linguistiques. Les multiples structures appartenant à leurs réseaux œuvrent sans cesse pour réglementer la vie des fidèles, normaliser les pratiques dans l’espace public et présenter l’islam comme un choix de vie positif pour tout le monde. Les domaines où elles exercent le plus d’influence comprennent le code vestimentaire des femmes, le mariage et le divorce, ainsi que l’éducation où l’objectif est de maximiser les situations en non-mixité et de rendre les programmes scolaires plus islamo-compatibles. Contrairement à une légende urbaine, il n’y a pas de tribunaux de la charia outre-Manche, mais des conseils chargés de faire de la médiation. Subodorant que cette médiation, bien que sans statut juridique, exerçait une influence biaisée sur les femmes, le gouvernement a lancé une enquête en 2015 qui a conclu seulement qu’il fallait plus de réglementation. Les fréro-jamaatistes poursuivent une sorte de politique de la corde raide. Ils promeuvent le plus possible leur mode de vie sans avoir l’air de transgresser les normes de la société occidentale. Mais, parfois, les autorités découvrent une école musulmane qui enfreint la législation ou encore que des opinions misogynes, homophobes ou antisémites surnagent dans un document ou un discours. On réagit par une opération de communication et en jurant qu’on refuse l’extrémisme.

À lire aussi, Dominique Labarrière : Tremblez, Frères musulmans! La République sort la grosse Bertha

Une cartographie complète de toutes les institutions – organismes de lobbying, associations caritatives, écoles, instituts de recherche, syndicats d’étudiants, centres communautaires, médias – chargées de mettre en œuvre ce programme provoquerait le vertige. Aucune structure ne se proclame islamiste, mais leur vrai caractère se décèle à travers leurs affiliations institutionnelles et les parcours de leurs dirigeants. De ces réseaux, deux moyeux ressortent. Le Muslim Council of Britain (MCB), créé en 1994, est un organisme parapluie réunissant plus de 500 mosquées et associations, et il est plutôt jamaatiste. Il a le réseau le plus dense au Royaume-Uni, mais il a de multiples liens avec la Muslim Association of Britain (MAB), créée en 1997, qui est plutôt frériste. Avec un réseau moins dense, la MAB réunit néanmoins des acteurs qui jouent un rôle essentiel dans la propagation du frérisme au niveau international et dans la création d’autres organismes de premier plan. Par exemple, Ahmed Ai-Rawi, un Britannique né en Irak en 1947, a été président de la FOIE et membre du Conseil européen pour la fatwa et la recherche. Un autre Britannique né en Irak (en 1968), Anas Altikriti a fondé la Cordoba Foundation en 2005 et la British Muslim Initiative en 2007 dont les missions consistent à produire de la propagande, faire du lobbying politique et contribuer à la construction de réseaux mondiaux. Altikriti a exprimé publiquement son soutien au Hamas, la branche palestinienne des Frères, franchissant la « corde raide » et montrant ouvertement le caractère extrémiste de son idéologie. Certaines associations caritatives comme Islamic Relief, le Muslim Charities Forum ou Muslim Aid, affilié au MCB, ou Interpal (le Fonds de secours et de développement palestiniens) ont été accusées d’avoir des liens avec le Hamas. Le Qatar contribue par d’importantes sommes à des projets fréristes en Europe, et une grande partie de cet argent transite par Londres, à travers Qatar Charity UK, rebaptisée le Nectar Trust en 2017.

Anas Altikriti, fondateur de la Cordoba Foundation © D.R.

Trois causes militantes pour influencer la société britannique

Les réseaux fréro-jamaatistes font campagne sur trois fronts outre-Manche. La cause palestinienne permet de réunir différentes communautés musulmanes et de forger une alliance politique avec des militants de gauche. La forte capacité mobilisatrice de ces réseaux est derrière les grandes manifestations organisées à Londres depuis le 7-Octobre. Pour eux, les actions du Hamas sont considérées comme une forme de résistance légitime – un « djihad défensif » – qui relève d’une problématique islamique plutôt que palestinienne : toute terre qui a été sous la loi coranique dans l’histoire doit y revenir. Ainsi, les fréro-jamaatistes approuvent au Proche-Orient la violence qu’ils prétendent condamner en Europe.

La deuxième cause est la lutte contre l’islamophobie. En diffusant l’idée que les musulmans sont tous des victimes d’une haine généralisée et en lançant des accusations contre leurs adversaires, les acteurs de ces réseaux cherchent à désamorcer toute critique à leur propre égard, maintenir les musulmans dans une mentalité de siège collective et attirer la sympathie des médias et partis politiques. Depuis 2012, un « Islamophobia Awareness Month » est célébré en novembre par syndicats, police, scouts et universités… En 2018, une commission multipartite à Westminster a formulé, sous l’influence de deux organismes islamistes, une définition de l’islamophobie dangereusement large et en contradiction avec la Loi sur l’égalité de 2010. Elle a été pourtant adoptée par presque tous les partis politiques, à l’exception des conservateurs. Le gouvernement travailliste actuel a créé sur le sujet un nouveau groupe de travail qui fait craindre le pire.

La troisième cause est la lutte contre les programmes et institutions destinés à combattre le terrorisme et l’extrémisme : « Prevent », créé à la suite des attentats de Londres en 2005, et la Commission pour contrer l’extrémisme, lancée en 2017, après l’attentat de Manchester. Les organismes islamistes appellent à l’abolition de ces programmes au motif qu’ils seraient « stigmatisants » pour les musulmans. Ils déplorent la notion de « valeurs britanniques fondamentales » utilisée pour définir l’extrémisme. Plutôt que de défendre ouvertement le terrorisme, ils essaient de maîtriser le discours sur l’extrémisme afin de protéger leur version de l’islam, bien qu’elle soit incompatible avec les normes occidentales.

Le gouvernement n’est pas resté les bras croisés, ordonnant notamment une enquête sur les Frères musulmans en 2014, et deux autres enquêtes la même année sur une tentative islamiste de prendre le contrôle de plusieurs écoles à Birmingham. Mais son action, relativement efficace contre le terrorisme, est restée inefficace contre l’entrisme. Cela tient en partie à la difficulté, pour des organisations centralisées et pyramidales, comme l’État, de combattre des réseaux plus décentralisés et flexibles : il n’y a pas de centre de commandement à neutraliser et il faut récolter des informations précises sur le terrain. L’armée américaine a appris en combattant Al-Qaïda en Irak que, pour battre des réseaux, il faut ses propres réseaux. Notre tragédie, c’est que nos agents de terrain – élus locaux, enseignants, assistant sociaux – sont convaincus par la propagande de l’adversaire ou tétanisés par la peur.


[1] Cet article s’inspire des travaux, entre autres, de Lorenzo Vidino, Florence Bergeaud-Blackler, Damon L. Perry et Sir John Jenkins.

Bond revival

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Fabio Testi dans le film Reflet dans un diamant mort © UFO Distribution

Éclats pop, pastiches baroques, souvenirs psychédéliques: ce film hors norme dynamite les codes du cinéma d’espionnage avec une jubilation graphique et référentielle débridée. Un tourbillon visuel où l’intrigue se dérobe mais où la cinéphilie triomphe, en hommage effervescent à un âge d’or fantasmé


La parodie se donne des ailes pour grimper jusqu’à hauteur stratosphérique, les plans s’enchaînent à la mitraillette, dans un montage millimétré de très haute précision, le pastiche fait des étincelles, les cartoons s’incrustent à foison dans une image grevée de split screen, les citations des 007 de la grande époque (celle des « diamants éternels », bien sûr) dérapent dans des ruisseaux d’hémoglobine, sous le soleil de plomb de la Riviera, les suites aussi opulentes que démodées sont le théâtre de règlements de compte définitifs, les déchirures du latex découvrent une panoplie de faux visages superposés, les masques tombent sous les coups de canifs, le fétichisme érotique fait sa flaque, les télescopages s’accélèrent jusqu’au vertige. Remixant avec malice tous les codes du film d’espionnage mais aussi du cinéma de genre, ce délire savamment orchestré est assez jouissif.

A lire aussi: Jésus-Christ, scénariste hollywoodien

L’intrigue ? On n’y pige rien, mais c’est fait exprès. En deux mots, le septuagénaire John D. (Fabio Testi), ancien agent secret en costume d’alpaga, épuise ses dernières ressources pécuniaires dans le palace de la côte d’azur où on le supporte encore – plus pour bien longtemps. Et voilà que les démons du passé refont surface, que les sixties se fraient jusqu’à ses méninges défaillantes un chemin ludique dans la jungle des contrefaçons transalpines, de Diabolik à Satanik – BD, séries B, romans-photos… Dans sa robe vintage Paco Rabanne, Amanda, sa partenaire, fait illusion. La bande-son également, qui tire des bords entre La Wally de Catalani, un tube de Christophe, des extraits de la BO de Orgasmo, ou encore les thèmes revisités des plus canoniques blockbusters de l’espionnage…

Si le titre du film évoque immanquablement le célèbre Reflet dans un œil d’or, classique hollywoodien de John Huston avec Marlon Brando – rien à voir. Ou plutôt si: les reflets d’un certain l’âge d’or du cinéma, ce diamant mort brillamment ressuscité, rééclairé sur toutes ses facettes, par les fantasmes radieusement inventifs d’une cinéphilie débridée.  

En salles le 25 juin.


Reflet dans un diamant mort. Avec Fabio Testi, Yannick Renier, Koren de Bouw, Maria de Medeiros, Thi Mai Nguyen. Film d’Hélène Cattet et Bruni Forzani. Belgique, Luxembourg, Italie, France, 2025. Durée : 1h27.

Pourquoi cette guerre me semble juste

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Haïfa, Israël, 20 juin 2025 © SOPA Images/SIPA

Sous les missiles iraniens, beaucoup d’Israéliens ont l’impression de vivre quelque chose d’irréel. Mais dire que c’est irréel, c’est encore une mise à distance, une manière de se protéger d’une réalité trop grave pour être intégrée véritablement.


Depuis vendredi matin, des messages affluent sur mon téléphone. Pas une avalanche, non. Mais quelques messages, sincères, venant de celles et ceux avec qui j’ai traversé de vraies tranches de vie en France.

« Nath, donne-moi de tes nouvelles. Je suis inquiète. Si ce qu’ils disent à la télé reflète ta réalité, alors c’est très grave, et j’ai raison de m’inquiéter. »

Jusqu’ici, à dire vrai, je leur ai répondu avec un laconique « ça va », comme pour me débarrasser de la question, pour ne pas prendre leur anxiété en plus de la mienne. Un « ça va » qui veut dire : je gère. Ou plutôt : on gère. On a l’habitude.

Ces mêmes amis m’ont vue partir en Israël il y a dix ans. Déjà, à l’époque, alors cadre supérieure dans une entreprise en pleine croissance, habitant au cœur du Paris huppé, ils n’avaient pas vraiment compris mon choix. Du point de vue de la raison, c’était un contre-sens de tout quitter comme ça, pour aller tout recommencer ailleurs, sans parler la langue, sans connaître les codes locaux. Sûrement à l’époque, j’avais dû leur dire « ça ira », il m’était alors impossible d’expliquer le pourquoi du comment. J’étais appelée, voilà tout, et vers une terre qui m’était à la fois étrangère et parfaitement familière. Appelée pour faire partie d’un autre collectif, pour vivre une autre vie, une vie diamétralement opposée que celle que j’avais construite à Paris sur fond de grandes écoles et de lettres modernes.

J’étais partie, donc. Avec vingt valises et mes trois enfants sous le bras, je suis arrivée dans une ville que je ne connaissais pas. A l’arrivée, je me suis plongée dans l’apprentissage de l’hébreu avec une sorte de plaisir indicible, la sensation de renouer avec quelque chose d’ancestral, je redevenais étudiante, tandis que mes amis parisiens grimpaient les échelons de leurs carrières reluisantes. A l’époque, j’avais l’impression d’avoir immigré dans un pays presque comme un autre, un pays émergent, dynamique, en pleine croissance économique et en relative paix du point de vue géopolitique. J’étais venue pour écrire une histoire, la mienne.

Lorsqu’on a visité notre appartement, je me souviens nettement que j’étais distraite lorsque l’agent immobilier m’a montré la chambre sécurisée — le mamad, comme on l’appelle ici. Pour moi, c’était un vestige d’un passé révolu, un écho des guerres d’avant qui ne me concernaient en rien. Dès notre emménagement, cette pièce est devenue mon bureau : je l’ai remplie de meubles, j’y ai mis une bibliothèque, un piano… C’est vrai que cette pièce était spéciale, sa porte était particulièrement lourde et sa fenêtre en métal, très difficile à fermer. Il fallait s’y prendre à deux mains pour le faire et durant toutes ces années, jusqu’au 7-Octobre, je ne l’avais pratiquement jamais fait.

C’est dans la nuit de jeudi à vendredi dernier que tout m’est revenu. Réveillés par l’atroce bip de nos téléphones portables qui nous ordonnait de nous réfugier d’urgence dans nos abris, calfeutrés dans ce mamad, je réalisais que jusqu’ici, j’avais tout fait pour vivre dans une sorte de déni, dans une réalité au-dessus du réel, dans laquelle la vraie guerre, la guerre dure, celle que l’on redoute, n’aurait jamais lieu.

Cette nuit-là était différente de toutes les autres nuits. Les détonations étaient proches comme jamais, elles ne ressemblaient pas à toutes celles qui les avaient précédées depuis le 7-Octobre, le ciel s’assombrissait, il était couvert de drones, de missiles, les murs de notre appartement tremblaient pour de bon. En quelques secondes, nous basculions dans une autre réalité. Le scénario du pire, celui tant redouté et jamais réalisé, devenait concret. Je regardais mes enfants, c’était moi qui avais pris la responsabilité de les déraciner de leur Paris natal. C’était moi qui avais voulu les faire grandir ici. Tout se téléscopait dans ma tête. Je les regarde, moitié endormis, moitié lucides, à un âge où on saisit parfaitement ce qui est en train de se dérouler, ils ne semblent pas spécialement choqués. Être israélien, c’est intérioriser depuis toujours ce qui pourrait se passer de pire et vivre au jour le jour comme si de rien n’était. Mon bureau n’est plus. Il redevient un abri. Et nous, assis par terre, dos au mur, nous devenons les enfants d’une histoire dont nous sommes les acteurs involontaires.

Dire que cette guerre avec l’Iran est une surprise serait un mensonge. C’est le genre de choses qui depuis quelques temps, surtout depuis le 7-Octobre, était évoqué dans les conversations comme une sorte de fatalité abstraite. L’extrémité à laquelle nous ne devrions jamais arriver. Personnellement, j’écoutais sans vraiment y croire. On en parlait entre deux gorgées de café, comme on parlerait du climat qui se dérègle ou d’un séisme qui finira bien par venir. Un danger réel, mais lointain, presque théorique. Pour nous tous, c’était la guerre ultime, la plus délicate de toutes les guerres possibles. Celle du « ça passe ou ça casse ».

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Jeudi soir, nous retournons dormir mais nous sommes assommés. Je commence mentalement à détricoter tous les plans que j’avais échafaudés. Je réalise que cette vague qui nous emporte vient tout juste de commencer et que notre vie est désormais placée sous le règne de l’incertitude. Je réalise que je vis au Moyen-Orient, que je suis loin de l’Europe, que je suis loin de tout et que mon sort ne fait qu’un avec le sort du pays tout entier.

Le lendemain matin, c’est calme. Un calme qui inquiète. La sensation d’une vie qui retient son souffle. Personne ne dit rien. Les voisins ne disent rien. Les enfants ne jouent pas. Tout le monde se demandant comment l’autre vit la chose présente. Les uns et les autres ayant peur de se transmettre leur anxiété. Chacun reste chez soi. Confiné dans ses propres peurs. Se débattant comme il peut avec une réalité naissante. La nuit qui suit, une amie israélienne m’écrit « ce que nous vivons est irréel ». Dire que c’est irréel, c’est encore une mise à distance, une manière de se protéger d’une réalité trop grave pour être intégrée véritablement.

Les heures s’égrènent. Le shabbat arrive. Il donne l’impression que tout est normal puisqu’en ce jour chômé, la ville est au repos. Mais le dimanche, la vie ne reprend toujours pas. Comme la semaine qui suivit le 7-Octobre, nous perdons la notion du temps. Les écoles ne reprennent pas. Les restaurants, les plages sont fermés. Les rassemblements sont interdits. Les dégâts s’accumulent. Les blessés et les morts augmentent.  Les nuits sans sommeil s’enchainent. Seule la chaleur intense est de saison.

Au milieu de la fatigue, de l’inquiétude, de l’absence de visibilité, une chose me fait tenir : trouver du sens. Avec le sens, tout devient digeste. Et nos quotidiens fragmentés ne sont rien à côté de l’immensité de ce qui est à l’œuvre. C’est l’Histoire qui s’écrit au cours de nos nuits blanches. Notre histoire millénaire n’est qu’un combat éternel pour la survie, et cette guerre en est une nouvelle page. Je sais que notre narratif est difficile à entendre, je sais que ce conflit est complexe, qu’il divise, qu’il soulève des passions. Je sais que, dans l’imaginaire européen, la guerre appartient au passé, qu’elle est synonyme de régression, de retour à une barbarie archaïque.

Mais cette guerre est plus qu’un simple conflit, c’est une reconfiguration profonde de l’ordre établi. Elle vise à neutraliser un régime totalitaire et sanguinaire dont le projet politique central est l’anéantissement pur et simple du seul État démocratique de la région, ainsi que la propagation de son idéologie délétère dans le monde entier. Je sais que dans un monde aseptisé, à l’ère d’une mondialisation à outrance, notre singularité irrite. Je sais aussi qu’on préférerait nous voir plus discrets, qu’on se taise un peu, qu’on se fonde dans le silence diplomatique. Mais cette passivité face au Mal serait une trahison de notre vocation profonde. Cette guerre est juste, parce que son message est universel : montrer à l’humanité qu’on ne négocie pas avec le Mal, mais qu’on le combat au contraire avec force, courage et détermination. Un jour, elle sera étudiée, analysée, racontée dans les livres d’histoire comme l’un des tournants majeurs de notre époque. Une guerre de libération, un moment de bascule improbable entre deux mondes. Et nous, nous aurons eu la chance d’assister, et même de participer à notre modeste niveau, à l’écriture de cette grande page d’histoire.

L’euro numérique contre le citoyen 

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La présidente de la BCE, Christine Lagarde, lors de la conférence de presse après la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE sur la baisse des taux d'intérêt, Francfort, 5 juin 2025 © IMAGO/SIPA

La BCE entend mettre en place l’euro numérique. Il pourrait être déployé à partir de 2027 ou 2028. S’il est censé renforcer la souveraineté européenne face aux géants du paiement et aux monnaies virtuelles, il suscite de vives inquiétudes quant à ses répercussions économiques, son potentiel de déstabilisation bancaire et les risques qu’il fait peser sur les libertés individuelles.


Annoncé en grande pompe pour la première fois par la BCE en 2021, le projet d’euro numérique achèvera à l’automne sa phase préparatoire avec un déploiement visé à l’horizon 2027. Au-delà des bruits de couloirs et des spéculations, les Français sont en droit de savoir quelles seront les véritables implications de ce projet technocratique qui ne répond à aucun besoin concret pour le citoyen européen. 

Un outil de souveraineté ? 

Il convient d’abord de rappeler brièvement en quoi consiste cet euro numérique ou euro digital et les utilisations pratiques dans le quotidien de chacun. 

Cette monnaie aura la même valeur que l’euro et ne constituera pas une crypto-monnaie au sens spéculatif du terme. L’euro numérique aura pour vocation de constituer un moyen de paiement indépendant des plateformes traditionnelles souvent extra européennes comme Visa, Mastercard ou Paypal. Chaque personne physique ou entreprise pourra disposer, jusqu’à un certain plafond – à hauteur de trois mille euros selon les dernières discussions, ce qui couvre de facto une grande partie des comptes de dépôts – de cette monnaie dans un portefeuille dématérialisé pour effectuer des paiements dans le commerce ou des virements entre particuliers. Cette solution gratuite et pouvant fonctionner hors ligne paraît à première vue séduisante dans un contexte où les européens doivent se défaire de l’omniprésence des entreprises américaines sur fond de guerre commerciale larvée. 

Déstabilisation du système bancaire 

À l’heure où l’économie européenne a grandement besoin d’investissement pour combler son retard sur ses concurrents internationaux, la mise en circulation de l’euro numérique viendrait grever la possibilité de prêt des banques commerciales et donc la capacité d’emprunt des ménages et des entreprises.

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Les banques sont soumises à un certain nombre d’obligations prudentielles les contraignant à détenir une certaine réserve de dépôts pour garantir leurs prêts, réserves qui seraient considérablement asséchées par la mise en place de l’euro numérique faisant sortir du système bancaire une part substantielle des liquidités en circulation. De plus, ce siphonnage des liquidités amoindrirait l’impact de la politique des taux décidée par la Banque Centrale, affaiblissant notre capacité à réagir en cas de crise. Pire encore, l’euro numérique serait un facteur d’aggravation, par l’instantanéité des transactions, rendant les crises plus brutales, plus rapides et plus incontrôlables. Là où un retrait massif prenait autrefois plusieurs jours, il suffira demain de quelques clics pour provoquer une ruée numérique vers un actif perçu comme plus sûr. La BCE se crée ainsi un pouvoir de désintermédiation potentiellement explosif, qu’aucun contre-pouvoir politique ne pourra maîtriser.

Le spectre d’un contrôle accru sur les transactions 

Outre les considérations économiques, le flou demeure total sur les garanties concrètes relatives aux libertés fondamentales des futurs utilisateurs. Sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme, les paiements au-delà d’un certain seuil feront l’objet d’un traçage automatisé et systématique. Sans aller jusqu’à jouer sur les peurs et agiter le spectre d’une BCE se voulant Big Brother et contrôlant chacune de nos transactions, il est légitime de soulever la question du respect de la vie privée et de l’absence de toute idéologie justifiant une potentielle entrave à la liberté des transactions.  

L’euro numérique ou comment faire du neuf avec du vieux

Comme souvent, avec des formules ronflantes et à grands coups de campagnes promotionnelles, les institutions européennes se targuent d’inventer des concepts qui ont déjà cours. L’euro numérique ne fait pas exception à cette règle puisqu’il existe déjà un système de paiement similaire issu du secteur privé fonctionnant dans plusieurs pays européens. Comme à son habitude, plutôt que de la soutenir, l’Union européenne choisit de monopoliser l’innovation, d’y ajouter des couches réglementaires, et de s’en servir comme levier d’un contrôle toujours plus centralisé.

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Ce n’est pas d’un euro numérique dont l’Europe a besoin, mais d’une politique économique lisible et efficiente. Rappelons-nous qu’une monnaie est un outil, pas un instrument de surveillance. L’Union doit encourager l’innovation, non la capter pour l’encadrer ; accompagner les citoyens, non les tracer ; renforcer la souveraineté des États, non l’invoquer pour mieux la neutraliser à son seul profit.


Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen.

Le pari israélien

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Des habitants descendent aux abris, Tel Aviv, Israël, 21 juin 2025 © SOPA Images/SIPA

Au dixième jour de l’Opération « Lion Ascendant », voici notre perspective ici en Israël.


Avec le recul, il est clair que nous, en Israël, n’avions pas pleinement mesuré l’ampleur de la menace qui nous entourait. Nous vivions une vie confortable, souvent dans l’illusion. En réalité, sous la direction de l’Iran, un réseau coordonné d’États hostiles et d’organisations terroristes préparait activement la destruction de l’État d’Israël et l’anéantissement physique de sa population juive – une seconde Shoah. Bien que nous en ayons été conscients en principe, peu croyaient réellement que cette menace pouvait se concrétiser. Tragiquement, cela a bien failli arriver.

Cependant, à la suite du massacre du 7 octobre 2023, quelque chose s’est produit que nos ennemis n’avaient pas anticipé : Israël a riposté – avec force et détermination. Grâce à un leadership de guerre solide, à notre capital humain exceptionnel, et à notre supériorité technologique, militaire et dans le domaine des renseignements, nous avons démantelé nos ennemis un par un. Le Hamas, le Hezbollah, le régime d’Assad en Syrie, les milices chi’ites en Irak et les Houtis, tous ont été battus ou alors contraint à cesser le feu. Il ne restait alors que la tête du serpent : la République islamique d’Iran.

L’Ayatollah Ali Khamenei, 18 juin 2025 © Iranian Supreme Leader’S Office/ZUMA/SIPA

Cette phase finale a commencé le 13 juin. Elle ne peut être décrite que comme l’une des opérations militaires les plus spectaculaires de l’histoire.

Comme l’a exprimé John Spencer, l’analyste militaire américain de renom :
« Cette opération n’était pas seulement historique, elle était transformationnelle. Elle a redéfini ce que « choc et effroi » signifie au XXIe siècle. Ce n’était pas une simple frappe, mais une campagne : une démonstration en couches, synchronisée, de l’art opérationnel moderne, fondée sur un renseignement profond, une tromperie stratégique, et une fusion innovante des outils de guerre traditionnels et modernes. La campagne israélienne contre l’Iran est un cas d’école de guerre moderne. Il s’agissait d’une offensive synchronisée et multi-domaine, combinant cybersécurité, renseignement humain, guerre électronique, puissance aérienne, forces spéciales et opérations psychologiques. »

Le résultat : une victoire totale de facto, obtenue en quelques minutes ou quelques heures après le début de l’opération.

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En quelques jours seulement, la capacité de l’Iran à lancer des missiles a été sévèrement réduite, et son programme nucléaire est désormais pratiquement à l’arrêt, et ce, à plus forte raison, après les frappes américaines à Fordow. Il sera encore plus détruit dans les jours et semaines à venir. Même si d’autres opérations sont encore nécessaires pour achever la mission, le paysage stratégique de la région a déjà été profondément bouleversé, avec des conséquences qui se feront sentir au Moyen-Orient et bien au-delà pendant des années. L’image de marque du régime des Mollahs a été sérieusement écornée, et sa capacité de nuisance profondément limitée, dans la mesure où leurs programmes nucléaires et balistiques ont été durement touchés et où leur espace aérien est désormais ouvert, ce qui veut dire qu’Israël peut maintenant détruire toute infrastructure stratégique à volonté. Même si ces programmes ne sont pas complétement anéantis, les Iraniens ne pourront pas les reconstruire, puisqu’Israël détruira facilement chaque menace significative.  

Alors que ce conflit approche de sa conclusion, la position stratégique et sécuritaire d’Israël, désormais considérablement renforcée, devrait entraîner une vague de croissance économique, financière et d’investissements – en particulier dans les secteurs de la défense et de la sécurité, à la lumière du contexte mondial sensible.

Tenez bon : Israël est en train de remporter une victoire monumentale. Cette victoire entraînera des répercussions très positives sur la stabilité de la région, et donc sur son développement humain, social et économique. La sécurité de tous, y compris les pays du Golfe, va s’améliorer, et nous pouvons nous attendre à ce que les Accords d’Abraham s’élargisse et que des relations fondées sur la paix et la coopération régionale puissent se développer. 

Ce ne sera peut-être pas immédiat, mais c’est désormais la direction claire que prennent les choses dans la région.