L’historienne Dominique Missika nous conte avec maestria la vie éminemment romanesque de l’auteur de Suite fançaise.

D’Irène Némirovsky on ne retient souvent que la mort tragique en 1942 à Auschwitz, oubliant parfois l’immense écrivaine à qui l’on doit entre-autre David Golder, Le bal et Suite Française. La formidable biographie que lui consacre Dominique Missika a le mérite de la remettre sur le devant de la scène. Il aura fallu plus de trente ans à l’historienne pour raconter celle que d’aucuns considèrent comme « la Sagan des années 30 ». En juillet 1942, lorsqu’elle est arrêtée pour être emmenée au camp de Pithiviers, Irène Némirovsky laisse derrière elle son mari et ses deux petites filles, Denise et Elisabeth. Dominique Missika, touchée par leur histoire, leur avait consacré un chapitre du Chagrin des innocents, son premier livre paru en 1998. Elle a ensuite relu l’œuvre de leur mère, fouillé dans les archives, revu les fims adaptés de ses livres, s’est imprégné de son univers puis s’est mise à écrire. « Irène Némirovsky est un vrai personnage de roman – confie-t-elle en préambule – une héroïne complexe, ardente et torturée ». Née en 1903 en Ukraine, Irina quitte son pays avec sa famille pour fuir la Révolution russe et trouve refuge en France. Élevée par sa mère dans le culte de la langue française, elle ne tarde pas à adopter cette dernière. L’histoire de son roman David Golder est saisissante. Elle envoie son manuscrit par la poste aux Editions Grasset mais omet d’écrire son nom et son adresse. Bernard Grasset enquête et finit par retrouver sa trace. La jeune femme n’a que 26 ans mais il décide de la rajeunir de 2 ans. Le livre a un succès retentissant. La carrière d’Irène Némirovsky est lancée.
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Si Dominique Missika raconte avec justesse et sensibilité l’épouse et la mère comblée, elle excelle dès lors qu’il s’agit de l’écrivaine. L’on découvre sous sa plume, une jeune femme nullement déstabilisée par sa célébrité soudaine et qui n’a qu’une obsession : écrire. Elle écrira beaucoup. Peut-être trop. Souvent pour raisons pécuniaires. Puis viendra la guerre. Les époux Epstein se réfugieront avec leurs deux petites filles à Issy-L’Evêque dans le Morvan. Là malgré la peur et les restrictions, Irène composera son chef-d’œuvre Suite française. Pendant cette période, l’écrivaine qui était pourtant au firmament de sa gloire se verra peu à peu délaissée par le monde littéraire du fait de sa judéité. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre sa route coûte que coûte. Le jour de son arrestation, son mari fera promettre à leurs filles de ne jamais se séparer de la valise contenant le manuscrit de leur mère, certain qu’elle finira par revenir. Irène Némirovsky mourra du typhus à Auschwitz à l’âge de 39 ans. Des années plus tard, l’aînée ouvrira la fameuse valise et découvrira le roman inachevé de sa mère. En 2004 Suite française se verra décerner le Prix Renaudot à titre posthume. Une consécration qui sortira de l’oubli l’écrivaine au destin tragique. Il fallait tout le talent et toute l’empathie de Dominique Missika pour retracer l’histoire follement romanesque de celle qui fut si tôt adulée, si vite oubliée, et miraculeusement ressuscitée.
Irène Némirovsky, Une vie inachevée de Dominique Missika, Editions Denoël, 288 pages


