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Pour les Polonais, toute la France est de gauche


Macron tance régulièrement la Pologne conservatrice du parti Droit et justice (PiS). Ça tombe bien, le journaliste polonais Marek Gladysz, correspondant à Paris depuis vingt ans, lui rend la monnaie de sa pièce dans son livre La France, maillon faible de l’Europe ? (L’Artilleur). Il décrit un pays inexorablement victime du gauchisme culturel.


Marek Gladysz est le correspondant en France de la principale radio polonaise. Installé à Paris depuis 1999, il dresse un tableau pessimiste de l’Hexagone dans son essai La France, maillon faible de l’Europe ? (L’Artilleur).

La partie du livre intitulée « Services à la française, amabilités parisiennes et miction impossible », présente une amusante chronique – quoique déjà lue – des surprises rencontrées par un étranger se frottant à nos us gaulois les plus rustres. Le reste du bouquin est une violente charge visant la politique française. Politique globalement classée dans le rang des « progressistes », alors que c’est le conservateur PiS qui dirige la Pologne.

Abritées dans un politiquement correct dont le peuple polonais ne s’encombre pas, nos élites politiques dirigent une France décrite comme une nation sur le chemin de la partition. Les Français ne voient même plus le chaos ahurissant qui peut y régner, et qui fait les gorges chaudes de nos voisins !

Et la France se mit les Polonais à dos 

Emmanuel Macron a tenu un discours dont Marek Gladysz ne s’est pas remis, le 1er mai 2017. Celui qui allait devenir président avait alors amalgamé la Pologne à la Russie entre les deux tours de la présidentielle. Outrageant ! La Pologne est conservatrice, mais on ne peut tout de même pas la mettre dans le même sac que la Russie autoritaire de Poutine.

Les déclarations de Macron s’inscrivent dans une longue tradition d’arrogance française vis à vis de la Pologne. Pénibles négociations de l’entrée dans l’UE sous Chirac, critique du nouvel axe Italie-Pologne, et, bien évidemment, répartition des migrants ou fâcheuse question du « plombier polonais »… Gladysz nous apprend que la France n’a de cesse de se mettre son peuple à dos.

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Alors qu’on puisse en France « toujours trouver des rues Lénine dans les municipalités administrées par les progressistes », c’est un peu fort ! Gladysz, qui a grandi sous le joug communiste, s’indigne : « Si c’est ça le progrès, je préfère être réactionnaire. » Le ton est donné. Et comme la Pologne n’a « jamais été un Etat colonial », nous sommes bien servis… Gladysz, à l’image de la plupart de ses compatriotes, ne ressent pas le besoin de « sans cesse battre [sa] coulpe ». L’antisémitisme en Pologne est sans cesse pointé du doigt, alors que « les Juifs [y] courent aujourd’hui infiniment moins de danger que dans la France de 2019, en proie à l’antisémitisme islamiste, où l’on massacre les Juifs en les tuant par balles ou en les défenestrant. »

Des barrages de migrants sur les routes

Le « politiquement correct » dont souffre la France est une « véritable maladie hexagonale », selon le journaliste. Si cette affirmation n’a rien d’une découverte, la chronique détaillée de faits d’actualité français qui ont marqué l’auteur apporte un éclairage intéressant. Sévère mais jamais injuste, Gladysz nous administre une critique inquiète. Là où nos médiatiques veulent souvent voir de l’anecdote, lui voit des faits tout à fait extraordinaires.

Nos dirigeants « progressistes » estiment que le 31 décembre ou le Mondial se sont bien passés ? Gladysz a vu des voitures flamber de partout !

Il appuie là où ça fait mal. Pourquoi plus personne ne semble s’étonner dans les rédactions parisiennes que des migrants puissent mettre en place des barrages sur nos routes ? A ses yeux, ce type d’événement est au contraire d’une gravité extrême. Gladysz et ses collègues de Varsovie au téléphone se marrent, tantôt incrédules, tantôt hallucinés.

Zéro pointé en intégration

11 septembre 2001, émeutes en banlieue ou attentats de 2015, quand notre journaliste polonais tend son micro, il a la « déroutante impression de ne pas voir et entendre les mêmes choses » que ce qui est reporté dans nos médias mainstream. Dans les banlieues, en particulier, un discours hostile à la France est fréquemment entendu, quand le journaliste n’est pas carrément pris à partie. Alors que c’est désormais la France « que la Pologne cite comme le pire exemple d’inefficacité en matière de politique d’intégration », il observe qu’on y bâillonne les débats « avec de simples mots, tout aussi efficaces que ceux de la novlangue de 1984 » ou… comme sous la Pologne communiste. Macron trace « pour la France et pour l’UE les limites fluctuantes du politiquement correct », mais Gladysz nous rappelle le bon sens du peuple polonais quant aux menaces d’une immigration incontrôlée : « Le lien entre immigration massive des populations des pays musulmans vers l’Europe occidentale et le terrorisme islamique (considéré comme le summum de l’amalgame par les élites en France) n’est pas perçu chez de nombreux Polonais comme dépourvu de sens. » Il enfonce le clou : « D’innombrables Polonais » pensent « qu’en pratique, la France n’existe déjà plus. »

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En proie à ces graves fractures identitaires, incapable de se réformer économiquement, la France et ses remontrances vis-à-vis du groupe de Visegrad apparaissent comme déplacées. Perçu à l’Est comme un repoussoir, le modèle français ne fait pas rêver une Pologne qui bénéficie d’une confortable croissance économique. «  Pour résumer crûment le modèle français, on pourrait dire qu’il repose sur trois grands piliers : une croissance assez faible, un chômage élevé et une [fiscalité] qui bat des records. » Même si l’ironie distillée tout au long du bouquin est souvent mordante, Monsieur Gladysz, n’en jetez plus.

La France, maillon faible de l'Europe ?: Observations d'un journaliste Polonais

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Bret Easton Ellis revient et il n’aime pas son époque


Bret Easton Ellis publie White, un essai décapant, teinté d’ironie voltairienne, chose rare de nos jours, sur l’état de la société occidentale. Le problème est posé, il est crucial : « Le plus grand crime perpétré dans ce nouveau monde est l’éradication de la passion et la réduction au silence de l’individu. » C’est Pascal contre Descartes devenu dingue.


L’auteur du best-seller, American Psycho, avec son personnage psychopathe, Patrick Bateman, lâche une bombe portative. Mais il est peut-être trop tard pour sauver la liberté de penser.

Ils ont eu notre liberté de pensée

Le lavage des cerveaux a commencé, la grande lessiveuse tourne à plein régime. La génération des milléniaux, comprenant toute personne née entre 1980 et 1999, impose la culture binaire du « j’aime » « j’aime pas », effaçant du même coup les échanges, les discussions contradictoires, explosant les personnalités duales, complexes, bigarrées. D’un seul tweet, le millénial te met hors jeu social. Pire, il peut te faire perdre ton job.

Gare à toi, si tu ne penses pas comme ton voisin d’ordinateur. Tu seras victime d’un ostracisme définitif. Et fais attention à ne pas l’agacer en lui disant qu’il peut avoir tort. La raison du plus grand nombre à toujours raison. Le millénial, toujours en bande, pour se rassurer, s’emporte rapidement, tape du pied, pique une énorme colère. C’est un pleurnichard, pour reprendre l’expression de BEE. Son système mental est fragile. Il devient vite hystérique, et demande à la foudre (les réseaux sociaux) de te réduire en cendres. Il se victimise dans le but de protéger le groupe auquel il appartient.

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La génération X, celle de BEE, regarde hébétée le développement inouï de cette violence qui n’est pas sans rappeler la violence totalitaire. BEE va plus loin et part en guerre contre ce conformisme mortifère. C’est courageux, car il risque d’être poussé vers les oubliettes où croupissent les politiquement incorrects, les « grandes gueules », les atypiques, ceux qui ont été frappés d’indignité sociale en quelques secondes. Taxé de racisme ou de misogynie, et hop, disparition immédiate.

Ne soutiens surtout pas les gilets jaunes, lis Fred Vargas, regarde « Game of Thrones », roule en trottinette, flanque à la poubelle tes CD de Michael Jackson, dégueule sur Trump devant ton assiette de chou kale, milite en faveur du bien-être du poussin, mais ne t’avise pas de dénoncer les moutons égorgés dans des hangars désaffectés, sans avoir été étourdis au préalable, comme le voudrait le respect que nous devons aux animaux, etc.

L’art en danger de mort

BEE est un écrivain qui pense, et ça fait du bien. C’est rare en ces jours moroses où l’on se caille malgré le réchauffement climatique dû à l’homme, il paraît… Il démontre que c’est l’art qui est en danger de mort. Car un artiste, par définition est un type seul, oui seul, unique, oui unique, qui se méfie, avec l’instinct du fauve, de toute idéologie, ayant pour valeur première l’esthétisme. Mais qui se soucie de la musicalité d’une phrase, de la vibration d’un tableau, de la mélancolie d’une voix sous le plafond de Chagall ? Le premier imbécile venu balance un texte de deux lignes sur les réseaux sociaux et il se déclare aussitôt écrivain, journaliste, penseur ou je ne sais quoi tellement la confusion est totale. Il y va de son couplet sous moraline, et guette fébrile le nombre de likes. Ah, le culte du like. Le béotien s’érige en procureur d’internet, et dénonce les vrais artistes avec le sérieux du crétin qui sait tout sur tout.

Or l’art ne devrait jamais nous offenser, comme le souligne BEE qui ajoute : « Je n’ai jamais été offensé parce que j’avais compris que toutes les œuvres d’art sont un produit de l’imagination humaine, créées comme tout le reste par des individus faillibles et imparfaits. Que ce soit la brutalité de Sade, l’antisémitisme de Céline, la misogynie de Mailer ou le goût pour les mineures de Polanski, j’ai toujours été capable de séparer l’art de son créateur et de l’examiner, de l’apprécier (ou pas) sur le plan esthétique. » Et quand un journaliste demande à BEE s’il pourrait, en 2019, publier American Psycho, sa réponse fuse sans la moindre hésitation : non ! La régression est glaçante.

Fossilisation neuronale

C’est donc la mort de la liberté de créer. Créer exige d’aimer l’ambiguïté, rappelle BEE. Il faut être capable de se retrouver dans la peau de quelqu’un d’autre, d’un monstre, d’une bête étrange, de s’éloigner de sa zone de confort, « d’être secoué », pour quitter l’enfance et devenir enfin adulte. BEE, encore : «  Cela m’a poussé loin du narcissisme de l’enfance et vers les mystères du monde – l’inexpliqué, le tabou, l’autre – et m’a rapproché d’un lieu de compréhension et d’acceptation. » C’est l’apprentissage de la tolérance. Sinon, sous prétexte de défendre des idées progressistes, d’aimer tout le monde alors que tu n’aimes que toi dans le miroir de ton ordinateur, tu marginalises les aventuriers de la pensée, tu les pousses à la soumission, ou au silence. Tu es fasciste.

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Les gens de gauche semblent les plus enclins à accepter cette fossilisation neuronale. BEE note : « La gauche était en train de se métamorphoser, de devenir quelque chose qu’elle n’avait jamais été au cours de ma vie : un parti autoritaire, intolérant, moralement supérieur, déphasé, privé d’une idéologie cohérente (…). La Gauche était devenue une machine enragée, qui se consumait : une bulle qui se dissolvait. » En France, elle a éclaté. Mais certains de leurs représentants ont été recyclés et agissent toujours avec zèle.

Liberté en danger

Il se fait rare l’artiste qui ose dire ce qu’il pense, sans précautions identitaires, quitte à foutre le feu au cirque médiatique. Il en existe bien encore deux ou trois, en France, dans le Loiret, ou face au golfe pas très clair de Saint-Tropez, qui agitent les consciences, n’acceptent pas de présenter leurs excuses quand ils ont gueulé trop fort dans le mouroir culturel où nous avançons tels des zombies. Et quand ils auront disparu ? demande l’intraitable Antigone. Le dernier mot de White est « liberté ». BEE a écrit ce livre qu’on n’espérait plus en voulant sauver la liberté. Je crains que cela ne serve à rien. La liberté n’intéresse plus personne. Elle exige trop de courage.

Bret Easton Ellis, White, Robert Laffont.

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Supermal, Hitler en bande dessinée


La bande dessinée de Bernard Swysen et Ptiluc Hitler, la véritable histoire vraie retrace la vie et l’oeuvre d’un des plus grands monstres du XXe siècle. Avec pédagogie et finesse, les auteurs dépeignent le maître du IIIe Reich sous la forme d’un petit rat tourmenté devenu génie du mal et de la propagande. Une leçon à méditer. 


Hitler n’a jamais été aussi vivant que depuis qu’il est mort, a coutume de dire Alain Finkielkraut. Quelques semaines après une énième vente aux enchères, à Nuremberg, de tableaux et objets qui auraient appartenu au dictateur nazi et la polémique qui s’était ensuivie, la « révélation » concernant le versement de pensions à d’anciens collaborateurs du régime hitlérien continue à maintenir le nom de son chef suprême à la une de toute la presse. Mort et calciné, le premier intéressé n’en serait sans doute pas mécontent. En revanche, il n’est pas aussi certain qu’il apprécierait la bande dessinée sur lui qui sort ces jours-ci en librairie. Hitler, la véritable histoire vraie, de Bernard Swysen, scénariste, et de Ptiluc, dessinateur, s’inscrit dans la collection « Les méchants de l’Histoire », initiée avec Caligula et Dracula. Inclure Hitler dans la lignée de ces êtres que l’on aime situer à mi-chemin entre la bête et l’homme, pas très loin non plus d’une créature démoniaque, n’enlève rien à ses traits humainement frustres. Mais ce n’est pas tout. Johann Chapoutot, historien et spécialiste du nazisme, relève très justement dans la préface de la BD que le Hitler de Swysen et Ptiluc surprend par son penchant hystérique, parfois irritant, parfois touchant. Incarné dans un petit rat, « Adolf sait être drôle ou attachant. »

Pas une énième démonstration de la « banalité du mal »

Il ne s’agit pourtant pas d’une énième démonstration de la « banalité du mal ». Le duo belge remonte un bout de chemin dans la généalogie de la famille Hitler (originellement Hiedler), pour contextualiser l’apparition de celui qui deviendra responsable de la mort de millions de ses semblables : les maladies, les fréquents déménagements, le conflit générationnel père-fils, mais aussi les ambitions, les aspirations, les joies. Ainsi on découvre Adolf Hitler en ado fainéant, mégalo, rêveur, pris de vertiges après une représentation du Rienzi de Wagner, au point de se mettre au piano lui-même et se projeter en auteur d’un opéra. Un « jeune en difficulté » qui essaie de s’arracher à un destin tout tracé et trop ordinaire, dirait-on aujourd’hui. Un gars suffisamment malin pour comprendre que faire de la politique est la dernière carte qui lui reste. Dessiné en filigrane, avec beaucoup d’humour, ce profil psychologique fait écho à la question que Bernard Swysen s’est posée, en démarrant ce travail : « Comment quelqu’un d’aussi insignifiant est-il parvenu au pouvoir suprême et à entraîner le monde entier dans le chaos ? »

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Cependant, le cas Hitler est-il toujours pertinent pour nous rappeler la façon dont émergent les dictatures ? À l’heure des réseaux sociaux et des leaders d’opinion plus ou moins éphémères, quoique toujours potentiellement dangereux, ne serait-il pas judicieux de reconnaître que l’Histoire ne peut plus rien nous apprendre ?

« La stupidité populaire n’a pas de limites ! » s’écrie le petit rat Adolf

Faux, répond Swysen. L’essor du nazisme, son incroyable emprise sur les gens, n’aurait jamais été possible sans la propagande mise en place par le NSDAP. Hitler l’avait compris très tôt, grâce à la publicité d’une pommade pour les cheveux qui promettait à tout un chacun une chevelure foisonnante. « La stupidité populaire n’a pas de limites ! » s’écrie le petit rat Adolf. Selon Swysen, la prolifération des « fake news » prouve que, de ce côté, les mentalités n’ont pas beaucoup évolué : en racontant aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, on est à peu près sûr de rencontrer le succès. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France et historien, évoque pour sa part dans la postface de l’ouvrage l’enthousiasme suscité par l’exposition « Le Juif et la France », présentée à Paris à l’automne 1941. Quelque 200 000 visiteurs s’y étaient pressés, impatients qu’on leur explique – science à l’appui – comment reconnaître « le Juif »… Hasard du calendrier, début mars 2019, un hebdomadaire polonais ultranationaliste, Tylko Polska, a fourni à ses lecteurs le même dossier, riche en renseignements sur les « caractéristiques anthropologiques et psychologiques » des juifs, leur « façon d’agir et de s’exprimer », ainsi qu’en conseils sur les moyens de les « vaincre ». Le numéro avait été mis en vente dans le kiosque à journaux du Parlement polonais. « Et c’est ainsi que, à l’heure des fake news, lorsque n’importe quel abruti muni d’un smartphone se mue en théoricien de la conspiration, cette BD est un grand coup de massue sur la tête des négationnistes de tout poil, conclut Barnavi. En bonne logique, elle devrait figurer comme lecture obligatoire dans tous les programmes scolaires. »

Ce n’est pas du retour de la censure qu’il faut avoir peur

Si la visée pédagogique de la BD ne laisse aucun doute, si sa rigueur et son esprit d’analyse dans la présentation des faits forcent l’admiration, on peut exprimer un regret. Le récit de Swysen et de Ptiluc se termine avec la chute du mur de Berlin, qui a mis fin, du moins symboliquement, à la division de l’Europe issue de la Seconde Guerre mondiale. Quid de l’Union européenne ? On peut critiquer à volonté l’incapacité de cette institution à répondre aux problèmes les plus urgents et graves des Européens, mais une Polonaise a quelques raisons de penser qu’elle a permis aux Européens de vivre en paix. Bernard Swysen, invité au Salon de livre de Paris pour débattre sur la caricature après les attentats contre Charlie Hebdo, a bien voulu me l’accorder. Reste à savoir de quoi pourra-t-on continuer de rire dans cette Europe libre et pacifique ? « Quand on essaie de réintroduire un délit de blasphème, je trouve la situation très inquiétante », avoue le scénariste. Pourtant, ce n’est pas du retour de la censure, ajoute-t-il, qu’il faut avoir peur en premier lieu, mais plutôt de l’autocensure, que nombre d’humoristes s’imposent face à la menace islamiste. Comparé au Prophète, Hitler semble en effet à la fois moins dangereux et plus rigolo…

Bernard Swysen et Ptiluc, Hitler, la véritable histoire vraie, Dupuis.

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Préparer Roland Garros sans se fatiguer

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L’érudit des lignes blanches Nicolas Grenier publie une anthologie littéraire du tennis en préparation de Roland Garros.


Dans quelques jours, l’écho du Court central résonnera jusqu’à la station « Porte d’Auteuil ». Une mélopée étrange à base de 15–0 ; 15–A ; 30–15 qui traîne dans l’atmosphère comme un rhume des foins tenace.  Au printemps, le tennis se lève à l’Ouest du périf’. Dans le métro, des parisiens hagards croiseront de juvéniles sparring-partners chargés de raquettes et de serviettes. Ils remarqueront surtout leurs baskets recouvertes de cette terre ocre, la poussière éphémère du Grand Chelem.

Cette quinzaine est la hantise des DRH

Les « petits » ramasseurs s’entraînent déjà dans leurs chambres d’adolescents devant leur miroir à plier les genoux et à relancer la balle comme s’ils devaient se présenter au concours du Conservatoire d’art dramatique. Ils sont la fierté du tournoi. Les accordeurs refont leur gamme, avec toujours, cette question existentielle : boyau naturel, multifilament, monofilament ou hybride, quelle matière choisir pour trouver la meilleure harmonie. C’est aussi le moment où le panama fleurit dans les tribunes et où les intrigants cherchent des places dans les loges. Cette quinzaine est la hantise des DRH et des CPE.

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Du 26 mai au 9 juin, les Internationaux de France à Roland Garros annoncent le début des examens et la bascule vers l’été. Même Roger l’esthète helvète a daigné se déplacer dans le XVIème arrondissement. Car la hiérarchie mondiale a du mou dans la raquette depuis plusieurs semaines. L’ère Nadal-Federer-Djokovic plie mais ne rompt pas face à la montée d’une nouvelle génération (Tsitsipás, Thiem, Zverev, etc.). Tous ces champions d’aujourd’hui partagent le même quotidien que leurs glorieux ainés du siècle dernier. « À proprement parler, je goute peu le repos auquel toute personne normale a droit. En hiver, ce sont les tournois de la Côte d’Azur ; en été, ce sont les championnats de France, les championnats du monde sur terre battue, les championnats du monde et d’Angleterre sur gazon, les multiples compétitions de plages et villes d’eaux, sans compter les Olympiades, comme l’année dernière, et les tournées en Amérique, comme cette année-ci » écrivait Suzanne Lenglen dans Quelques conseils pour jouer au tennis paru en 1921.

Quand le tennis était snob

Le chantre de l’olympisme Pierre de Coubertin prédisait en 1910 dans ses Notes sur le lawn-tennis un grand avenir à ce jeu de balles qui met les nerfs en pelote : « C’est un sport dont les adeptes sont non seulement devenus très nombreux mais n’appartiennent à aucune catégorie spéciale. Jeunes garçons et hommes âgés, femmes mariées et jeunes filles, gens oisifs et gens occupés, le lawn-tennis a fait des conquêtes dans tous les milieux sociaux et dans toutes les périodes de la vie. C’est une très heureuse circonstance ». Le Baron avait un demi-siècle d’avance sur son époque, il annonçait la démocratisation de ce sport et sa propagation dans toutes les couches sociales.

Au début du XXe siècle, la balle jaune n’avait pas atteint les masses payantes et les budgets publicité des sponsors. On la tapait entre sportsmen tout de blanc vêtus, sous l’œil de dames en capelines de soie qui sirotaient un Pimm’s tonic. L’entre-soi et une pointe de snobisme habillaient les joueurs et joueuses de tennis en polo ou en robes longues. Il n’était pas encore venu le temps des foules ahuries et des bobs bariolés. Pour saisir cet air des premiers instants, où le tennis se pratique entre gens bien nés et prend la forme d’un loisir à la mode, à la fois jeu d’adresse et de tactique à l’ombre des cyprès, il faut lire l’étonnante anthologie littéraire du tennis de Nicolas Grenier. Dans Jeu, set et match ! préfacé par Patrick Clastres aux éditions du Volcan, l’érudit des lignes blanches a recensé des textes majeurs et mineurs sur cette activité en plein air. Au-delà des « classiques », Maupassant, Alphonse Daudet, Paul Bourget, Georges Feydeau ou Tristan Bernard, ce recueil ressuscite des auteurs complément oubliés. De ces anonymes des bibliothèques, plumes vigoureuses à la Belle Époque, naît un charme désuet, le témoignage d’une insouciante élégance. C’est joliment ampoulé, un style sous naphtaline qui émeut par sa préciosité et ses maladresses. D’un esthétisme fabriqué non dénué d’une certaine langueur érotique.

Les aventures de l’abbé tennisman

Les balbutiements du tennis se mariaient alors admirablement avec les tâtonnements littéraires de ces écrivains en herbe. Qui se souvient d’Emile Pouvillon (1840-1906) à part ceux qui empruntent son avenue ? Il écrivit Le Vœu d’être chaste en 1900 où figure un abbé tennisman. « Pourquoi le tennis serait-il défendu pendant les vacances ? Le concile de Trente n’a pas d’objection, sans doute, contre le tennis » s’interroge une demoiselle faussement naïve. Et que penser de Pierre Ardouin (1870-1934) dans ses Poèmes de Saintonge à la mélancolie doucereuse :

Les fervents du Tennis, sveltes et point moroses

Dans des bas écossais cambrant leurs forts mollets,

Sur le sable élastique ont posé leurs gilets,

Et leurs corps dégagés prennent de fières poses.

Ou encore cet obscur René Turpin qui publia en 1908 La Fillette à la Raquette, évocation légère qui lui vaudrait aujourd’hui les foudres de certaines associations :

Elle n’ignore pas qu’on la regarde un peu

Quand, jouant au tennis, volent ses jupes blanches :

Pour montrer ses bras frais, elle lève ses manches

Fixant innocemment sur vous son regard bleu

Jeu, set et match, Nicolas Grenier, Editions du Volcan.

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Pierric Guittaut, le vengeur rural


En quelques années, Pierric Guittaut a fait ses preuves à la Série noire. Avec Ma Douleur est sauvagerie, il franchit un nouveau cap romanesque dans son univers marque de fabrique : la campagne mondialisée. 


L’épanouissement du talent spontané de Pierric Guittaut, composite de réflexion, d’enthousiasme et de travail est une réalité aveuglante dont il faudra bien un jour qu’il admette lui-même l’indéniable singularité.

Beau coup d’essai

En une dizaine d’années, à travers cinq ou six bouquins, le bouillonnement encore informe de Beyrouth-sur-Loire, son premier roman si mal servi par une édition bâclée, torrent d’énergie qui balayait tout sur son passage, s’est transformé en maîtrise de ses moyens, en véritable accomplissement d’artiste des mots.

Si son premier roman avait la puissance aveugle d’une cataracte, on y relevait déjà quelques prouesses : qui d’autre aurait pu forger ce personnage de flic libanais chrétien retrouvant ses guerres d’origine dans les cités d’urgence des banlieues tourangelles sans tomber dans l’invraisemblable ?… Et c’est pourtant celui-ci qui emportait l’adhésion sans coup férir, premier jalon de ce qui allait devenir la marque de fabrique de Guittaut : la campagne mondialisée, la province planétaire dans son exotisme avant Pierric inexploré. Et qu’on ne vienne pas me parler de nature-writing avec ses amants de Lady Chatterley qui font un malheur à la Fnac de Fouilly-les-Bouses en chemise à carreaux. Non, Pierric seul. Les autres ne sont que les VRP de la fiction bio.

Trois romans maîtrisés

Et depuis trois romans, c’est toujours cette touche d’originalité, cette empreinte qui le distingue : le tableau d’une cambrousse appartenant déjà à la transhistoire qui est la nôtre, et la rend finalement semblable, dans sa particularité berrichonne, à n’importe quel trou au large de Brisbane ou de Chelyabinsk. Très naturellement — et c’est sans doute au départ à peine conscient chez l’auteur, tout au moins au départ, à mesure qu’il explore ce territoire dépossédé de lui-même, la campagne moderne dont on a muséifié, c’est à dire réifié tous les signes historiques à présent indéchiffrables — celui-ci se tourne vers le mythe. C’est déjà présent dans son second roman La Fille de la pluie. Dans cet exercice de rigueur où le romancier ajuste son tir, une Hermione de l’eau aiguillonnée par le mal hante le paysage éternel des jalousies mesquines, dans des fermes virtualisées tant par la Wi-Fi que par le crédit agricole.

C’est D’Ombres et de Flammes qui signera la première maturité de Guittaut avec ce portrait de gendarme tourmenté par son siècle et sa hiérarchie, fils de guérisseur aux prises avec une filiation qu’il refuse, de retour dans son village natal. Au cours d’une enquête où se mêlent les femmes d’un passé énigmatique, les jeteurs de sort, et les cerfs stéroïdés importés de Nouvelle-Zélande dans les chasses solognotes pour le bon plaisir des nouveaux comtes Zaroff, venus du XVIe arrondissement ou de Dubaï, les hologrammes de la néo-féodalité se superposent aux esprits de la forêt. Si les assassins et les cadavres sont bien réels, leurs armes et leurs mobiles se dérobent, irréductibles à toute analyse anthropométrique. Le lyrisme de Pierric y donne sa pleine mesure d’instinct et de lucidité indissociables.

Chasse animale

Et nous voici plus loin, un degré plus haut dans l’incandescence avec Ma Douleur est sauvagerie, qui vient de paraître aux éditions des Arènes. Le classicisme de la construction des thèmes de la vengeance et de l’obsession y est encore confronté à un monde dématérialisé dont le rejet, cette fois, sera entier ou ne sera pas. Lorsque Stéphane, à l’instar de St-Julien le Pauvre, s’abstient d’abattre le grand cerf blanc, symbole de puissance brute, indistincte, il met le doigt dans l’engrenage — presque volontairement. La vision, dès le premier instant a la brutalité d’une idée fixe, il a trouvé son double maudit. Lorsqu’il se lance dans la traque acharnée de l’animal coupable de la mort de sa femme, ce n’est au départ que pour tuer dans un élan aveugle. Puis, comme dans toute chasse, il faudra que Stéphane devienne identique à l’assassin qu’il poursuit pour avoir une chance de le piéger et de le vaincre. Alors, il faudra que Stéphane se dépouille de la civilisation au cours d’un lent et minutieux processus remarquablement décrit dont chaque étape est tout d’abord un arrachement.

Ma douleur est sauvagerie de Pierric Guittaut (Equinox/Les Arènes, 2019)



Qui est vraiment un « extrémiste »?

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Utilisé à tort et à travers par de nombreux médias, et par Emmanuel Macron, le mot « extrémiste » s’applique pourtant à bien peu de cas, et pas toujours à ceux que l’on croit…


Le psittacisme (de psittacos, le perroquet) est l’utilisation répétée de mots et de concepts dont le sens est incompris, ou à contenu variable. Par exemple, le mot « extrémisme », utilisé souvent à tort et à travers, telle une insulte, plus sournoise et dangereuse que les très débiles « facho », « populiste »… Le reproche d’extrémisme a été et est souvent articulé contre des opposants politiques ; notamment en Chine (livre blanc de 2019).

« Défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance »

Pour le Larousse, l’extrémisme c’est le « comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance ». Pour Wikipedia c’est un « terme utilisé pour qualifier une doctrine ou attitude politique, religieuse ou idéologique » qui refuse « toute modération ou toute alternative à ce que dicte cette doctrine ». Selon la même source, « les actions extrémistes sont par conséquent des méthodes (pouvant être violentes et agressives) ayant pour but un changement radical ». Pour Emmanuel Macron, c’est tout ce qui n’est pas d’accord avec le macronisme et menace l’ordre dominant.

Or, la volière médiatique caquette sans fin le mot « extrémisme ». Ne doit-on pas en affiner le sens ?

Dès le tout premier abord, on constate deux évolutions ou dérives : Larousse n’évoque pas la violence, mais Wikipédia l’ajoute, non pas dans la définition mais comme méthode d’action. Ce qui est incorrect car la posture idéologique se distingue de la praxis. Or, ce premier amalgame entre idées et actions, s’il est simpliste, est parfois lui-même une forme d’extrémisme. Surtout quand le premier amalgame est inclus dans un second amalgame. Litanie stéréotypée des médias principaux, l’expression « d’extrême droite » est associée, dans la conscience collective sous influence, à « dictature » ou pire au fascisme, au nazisme.

C’est celui qui le dit…

Si l’on s’en tient à la définition du Larousse on recensera bien des formes d’extrémisme. Au passage, hors du champ politique qui est celui de notre sujet, « défendre des positions radicales » peut s’avérer comme une qualité car la demi-mesure est souvent source d’échec. Mais même en matière politique ou économique le statu quo ou la demi-mesure peuvent être extrémistes : l’extrême mollesse irresponsable dont les exemples sont légion. Il est, aussi, des extrémismes conservateurs : ceux des autocraties politiques, c’est certain. Mais on peut en dire autant des choix monétaires installés (euro, émission monétaire par les banques, quantitative easing), du pédagogisme, du mode de rétablissement de l’ordre contre les gilets jaunes, des privatisations, de l’ouverture des frontières, du mondialisme, du centralisme fédéral bruxellois après le viol du referendum de 2005, du niveau des retraites et des taxes ? Qui peut démontrer qu’il ne s’agit pas d’un « comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie » (Larousse) ? Certes toutes ces mesures ou presque sont choisies par des autorités légales à défaut d’être toujours légitimes, mais cela suffit-il à éviter la qualification « extrémiste » ?

La terrible répression en Chine, mais aussi au Venezuela, à Cuba, est légale mais illégitime tant par son mode d’action que par sa « défense des positions les plus radicales d’une idéologie ». Le summum de l’hypocrisie est incarné par Jean-Pierre Raffarin qui déclare en avril 2017 : « Avant, on avait une menace Le Pen. Maintenant, on a deux extrémismes qui s’entendent un peu, parce qu[‘avec] le ni-ni, ils se confortent l’un l’autre : extrémisme de droite, extrémisme de gauche. Et donc c’est deux menaces. » Le nouvel ami du président n’a pas les mêmes élégances pour la Chine, dirigée par un dictateur à vie, et où des milliers de personnes sont exécutées chaque année. Le président de la Fondation Prospective et Innovation et du colloque économique franco-chinois annuel du Comité France-Chine est très lié au pays de Xi Jinping.

Mal nommer les choses…

La violence peut être légale et illégitime ; mais aussi inversement elle peut être illégale et légitime : c’est le cas pour certaines révolutions lorsque la majorité est opprimée par une minorité non élue ou mal élue. L’appel de Christchurch du 15 mai dernier lie terrorisme et extrémisme, ce qui est ambigu, tout en prenant soin d’associer le mot « extrémisme » au qualificatif « violent », et laisse ainsi penser qu’il peut y avoir un extrémisme non-violent. Qui est visé ?

Pour défendre les libertés menacées, il faut d’ores et déjà affirmer que le terme « extrémisme » devrait être strictement réservé au seul cas des idéologies et actions ayant pour objet ou pour effet d’instaurer ou de maintenir en place un régime non démocratique et autoritaire. A part quelques groupuscules d’extrême gauche qui rêvent encore du grand soir de la révolution prolétarienne et de dictature du prolétariat, qui en France mérite d’être dénoncé du mot « extrémiste » ?

Denis Lalanne, prince de l’ovalie


L’ancienne plume de L’Equipe Denis Lalanne, 93 ans, est de retour sur les étals des libraires avec Dieu ramasse les copies (Atlantica), roman distingué par le jury du prix des Hussards.


 Légende de la presse sportive, prince de L’Equipe quand ce quotidien possédait encore un esprit et des plumes non goudronnées, intime d’Antoine Blondin et de Kléber Haedens, de Yannick Noah, Jean-Pierre Rives, des frères Boniface – auxquels il a consacré un petit chef-d’œuvre – et de tout ce que les terroirs d’Ovalie comptèrent de « saigneurs » et de beau linge au temps de l’amateurisme marron (à tel point qu’on lui décerna le titre de seizième homme du Quinze de France), patenté bouffeur d’herbe ayant traîné guêtres et crampons sur les plus prestigieuses moquettes de la planète (Wimbledon, Augusta National, Saint Andrews, Ellis et Eden Parks), Denis Lalanne a fêté ses 93 printemps le 1er avril dernier. Notre homme tient donc autant du bélier que du poisson : vaillant dans la mêlée, mais toujours le premier à en sortir le museau pour s’intercaler parmi ses trois-quarts avec le plus sûr instinct, vif-argent et gai cavalier. On appelle cela le french flair et Dieu sait qu’on nous l’enviait outre-Manche à l’époque où le rugby français possédait encore de l’imagination.

Troisième mi-temps, fourchette et descente de compète 

Bon pied, bon œil, notre Denis se défend aussi toujours au moment de la troisième mi-temps, fourchette et descente de compète (on a pu le vérifier récemment lors d’un amical déjeuner chez Vagenende où, délicate attention, il nous avait réservé la table d’Antoine Blondin, à qui, croyez-le ou non, il arrivait de manger), à l’image de sa plume, qui jette toujours sur la portée une petite musique qui emportera ses aficionados.

Denis Lalanne ou le dernier des Hussards de la première génération. Ceux de la dernière possédant désormais un prix, il était logique que son jury lui décerne le Shako 2019 pour Dieu ramasse les copies, émouvant roman paru chez Atlantica. « Il reste encore, et c’est tant mieux, des hommes ayant le souci de donner un coup de pouce aux espoirs », plaisantait le lauréat à la veille de la cérémonie de remise des prix au Lutétia.

Assez naturel aussi que ce nouveau devoir de français soit un roman de caps (des grandes espérances) et de plaies dans lequel un jeune d’Artagnan, Robert Gabault, d’abord connu sous le sobriquet de « Roro » puis, au soir de sa vie, du « Gab’ », Gascon d’adoption grandi entre Adour et gaves sous l’Occupation, fait un apprentissage express de cette pute de luxe qu’est l’existence.

Mark Twain, Margaret Mitchell et vents mauvais

Le Gab’ redescend maintenant la pente sur les collines de Ciboure, au pied d’un vieux bouleau plus fourbu que lui, sur un air d’Yves Montand : souvenirs et regrets… Printemps d’une vie très occupée, songes à son hiver, sans correction (on laisse cela au Tout-Puissant) : Mark Twain, Trenet, bicloune sur le grand développement, sprints et course de haies, premiers béguins, rêveries de grand Sud à la Margaret Mitchell, et autant de vents pour s’emporter. Seulement ceux qui soufflent en France à ce moment-là tourbillonnent sec.

C’est la première partie du livre, le temps des copains et des petites aventures, l’ordinaire au rutabaga oublié un soir de fiesta avec un chapon tombé du ciel, dont la découpe offre des pages aussi tendres et savoureuses que le volatile sortant doré du four. Mais subitement, l’horizon, déjà vert-de-gris, vire au gris foncé. Le destin ouvre des gouffres. La faute, entre autres, à un pauvre gus acoquiné avec les doryphores pour « faire chier le monde ». Les sanctions seront lourdes : double et triples peines pour tout le monde, chemin de croix des princes de Pau et de l’exil pour Robert.

Lacombe Lucien du Béarn

Baigné jusqu’alors dans une ambiance très Lacombe Lucien à la sauce béarnaise, le roman entame une grande vadrouille dans le sud-est asiatique : les brumes de la jungle indochinoise, très « schoendoerfferiennes », sont rehaussées d’une pincée de Chancel. Puis, c’est le retour dans un Hexagone des années 50 aux humeurs encore vagabondes, celui d’Air France et de Louison Bobet, des hussards et des pionniers de Cognacq-Jay. Robert Gabault se fait un nouveau copain en or massif, surnommé « Le Cosaque » (au plus sain esprit), à vrai dire une vieille connaissance, un de ces types que les Yankees qualifieraient de bigger than life, effectivement revenu de tout et surtout du pire. Sacré Yvon Matalin : celui-là, élevé au lait de tigre, « avec ses doigts gros comme les cigares à Churchill », on peut dire que c’est un vrai !

Roman d’apprentissage, Dieu ramasse les copies se veut aussi un livre de guerres, coloniales et intérieures. On y retrouve le style Lalanne, prenant le lecteur par l’épaule et l’on renoue avec toute l’effervescence d’une époque. On cravate des scotches avec le « Chinois » Lucien Bodard au bar de l’Intercontinental de Saïgon, on dîne à la table du général de Lattre, ou à la Coupole, dans l’ombre du quatuor chic et choc Morand, Nimier, Haedens et Blondin. L’auteur du Singe en hiver fait en fin d’ouvrage une nouvelle apparition et du rififi à Biarritz : pas le seul épisode du bouquin à ne pas strictement ressortir de la fiction ! Les admirateurs de l’Antoine savent qu’avec lui, tout commence et se termine par un ballon : de blanc, ovale ou de la maison poulaga. Le prince bayonnais Jean Dauger tient aussi sa place de titulaire dans cette belle équipe, inspectant à la saison des cèpes des lignes arrières connues de lui seul, le panier à la main.

Farces tragiques et fighting spirit

Tragiques farces du destin, dilemmes, lourds secrets, tous les abcès crèveront à coups de calottes et de marrons une nuit de furia sur le golf de Chiberta. Entre deux bunkers, comme de juste…

Fin de la récré et de la prolongation, on ne regarde plus par-dessus l’épaule du voisin, voilà l’heure d’afficher l’intégralité de la copie. Qui pour la ramasser ? Le Diable, hors de forme et laissé sur le banc, on s’en remet à Dieu, sélectionneur en chef passant sur son nuage dans un grand ciel bleu renaissant, lavé par les bourrasques du golfe de Gascogne.

A dire vrai, on avait aussi été soufflé lorsque Denis nous avait appris qu’il s’était remis à sa table de travail, il y a trois ans. « Que veux-tu, je ne peux plus faire mon parcours hebdomadaire sur les fairways de Biarritz, et les copains tirent un à un leur révérence[tooltips content= »Au moment où nous mettions la dernière main à cet article, nous apprenions le décès du grand Michel Crauste, à l’âge de 84 ans. Emblématique capitaine du XV de France, rugueux troisième ligne, Crauste, surnommé «Le Mongol», fut sacré champion de France à trois reprises avec le Racing et le FC Lourdes, dans les années 50 et 60. Denis Lalanne l’évoque avec tendresse dans plusieurs de ses livres. Celui-là aussi, c’était un vrai, un vieux et valeureux soldat des grands combats en bleu… « ]1[/tooltips]. Mais, surtout, je tenais à savoir ce que j’avais encore dans le ventre ». Quel exemple que cette démonstration de fighting spirit, vertu cardinale des natifs de la verte Erin, les grands habitués du tournoi des VI Nations le savent bien. Les spectateurs qui ont pu assister à un match de l’équipe nationale des deux Irlande dans l’antique arène de Lansdowne Road, à Dublin (où Denis Lalanne fit ses premières armes de globe-trotter, à l’hiver 1954) ont à jamais gravé dans la mémoire le chant que l’on entonnait là-bas, les jours de grand combat : Old Soldiers never die.

Les vieux soldats ne meurent jamais. Ni à Lansdowne Road ni à Aguilera.

Et les chœurs, irlandais ou basques, à l’esprit bagarreur, ça s’écoute le cœur au bord des lèvres, les yeux écrasant une larme, ça se reçoit cinq sur cinq, et ça ramasse un 18 ou un 20 avec les félicitations du jury.

Dieu ramasse les copies, Denis Lalanne (Atlantica, 2019)

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Le Temps des Boni, (La Table Ronde) est disponible en collection Petite Vermillon, tout comme Rue du Bac, splendide évocation des années Blondin et des Hussards, ou Le Grand Combat du Quinze de France, mythique reportage sur la tournée française en Afrique du Sud au printemps 1958, faisant désormais figure de classique de la littérature sportive.

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Rue du bac : Salut aux années Blondin

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Alain Finkielkraut: le suicide de Notre-Dame


L’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, mais une tentative de suicide. Confrontée aux cargaisons de touristes et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours. 


Un étudiant qui, sur le quai de l’Hôtel de Ville, regardait l’embrasement de Notre-Dame a confié à une journaliste du Monde : « C’est une part de moi qui s’effondre. » Catholiques ou pas, croyants ou incroyants, Français d’origine française ou Français de fraîche date, nous sommes nombreux à avoir éprouvé ce sentiment. Notre-Dame de Paris, nous n’y pensons pas tous les jours, mais cette cathédrale rehausse notre vie sur terre de sa beauté et de sa spiritualité.

Notre-Dame n’est pas une abstraction

« Notre-Dame, notre histoire », titrait Le Monde au lendemain de la catastrophe. Or, ce n’est pas faire injure à ce quotidien que de dire qu’il est l’un des organes les plus éloquents de la morale post-identitaire et postnationale. Au nom du « Plus jamais ça », cette morale a abandonné l’histoire pour les valeurs, l’identité pour l’universel. Le sociologue allemand Ulrich Beck formule sa devise en ces termes : « vacuité substantielle, ouverture radicale ». Et voici que les partisans de l’ouverture eux-mêmes redécouvrent les vertus de la substance. Notre-Dame n’est pas une abstraction, c’est un vestige palpable du passé que nous ne supportons pas de voir disparaître. La civilisation s’incarne dans les choses.

A lire aussi: Alain Finkielkraut sur l’incendie de Notre-Dame

Nous ne sommes pas seulement des travailleurs et des consommateurs pour qui la vie est le souverain bien, nous sommes des habitants. Portés par l’idéal d’abondance, nous avons aussi besoin pour vivre humainement d’un monde. Qu’est-ce que le monde ? C’est, comme l’écrit Paul Ricœur, « l’ensemble des objets durables qui résistent à l’érosion du temps ». Et au moment de rebâtir l’édifice endommagé, la « start-up nation » redécouvre les métiers ancestraux : tailleur de pierre, maçon, charpentier, couvreur…

Notre-Dame 2024

Mais, pour que l’émotion qui nous étreint aujourd’hui soit suivie d’effet, il faudrait que la politique s’assigne à nouveau pour tâche, face à l’enlaidissement généralisé, de rendre le monde habitable. Or, aujourd’hui, ce qui tient lieu de politique c’est, toutes tendances confondues, la gestion du processus vital de la société. À voir les élus déshabiller les centres-villes au profit de zones commerciales hideuses et transformer, avec les monstres vrombissants que sont les éoliennes, la campagne en paysage industriel, on se rend compte que l’habitabilité n’est pas leur problème. Et la maire de Paris donne l’exemple : non contente de saccager la capitale par la multiplication insensée de chantiers sans ouvriers, elle promet que Notre-Dame de Paris sera fin prête pour les Jeux olympiques de 2024. Anne Hidalgo, en effet, joue la carte du tourisme. Le patrimoine se réduit pour elle à la mobilisation comptable de tout ce qui est comme richesse économique dans la compétition planétaire. On était sorti par la stupeur et la douleur de l’univers de la consommation : elle nous y ramène.

L’art contemporain est la négation de l’art moderne

Une autre menace plane sur la cathédrale dévastée : celle d’une reconstruction selon les critères de l’esthétique contemporaine. L’art contemporain, en effet, n’est pas, comme il le prétend, la négation de l’académisme. Il est la négation de l’art moderne : avec leurs performances idiotes, leurs jouets criards ou leurs installations à message, les artistes auxquels le marché décerne le label « contemporain » ne poursuivent pas l’histoire de la beauté, ils l’achèvent. Paul McCarthy et Jeff Koons sont les liquidateurs et non les continuateurs de Picasso, de Matisse ou de Paul Klee, et qui a envie de voir un vagin de Marie au sommet de Notre-Dame ? Quant aux architectes contemporains, ils se moquent (à quelques rares exceptions près) du génie des lieux. La convenance est le cadet de leurs soucis. Ce qu’ils veulent, c’est apposer leur signature. La pyramide du Louvre – cette tente en verre – est un aérolithe chu d’un désastre obscur. On s’y est habitué, c’est vrai, mais depuis quand l’habitude est-elle une valeur esthétique ?

L’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, c’est une tentative de suicide. Confrontée aux cargaisons de touristes et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours. Si nous ne savons pas nous montrer dignes du malheur qui nous frappe, elle recommencera.

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« Négationnisme climatique », ça ne vous choque pas?


C’est la dernière invective à la mode: « négationniste climatique ». Des militants écologistes l’utilisent, non pour dénoncer ceux qui contestent le réchauffement climatique, mais pour disqualifier ceux qui ne pensent pas comme eux quant à ses causes. La science n’a pas besoin de ça. 


Les campagnes électorales sont souvent l’objet de raccourcis, d’anathèmes, de joutes verbales, d’impolitesses, de quolibets, mais il arrive néanmoins que certains mots choquent, c’est ainsi que j’ai lu, venant d’une écologiste politique convaincue, l’injure suprême vis-à-vis de ses contradicteurs de « négationniste climatique ».

La dérive des mots

La dérive des mots a déjà conduit à généraliser le mot « génocide » pour des conflits interethniques, mais il me semblait que, depuis une quarantaine d’années, le négationnisme était réservé à la contestation du massacre des juifs par les nazis.

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Que l’on se permette d’accoler « climatique » laisserait croire que ceux ou celles qui poseraient des questions sur le « réchauffement climatique » devraient bientôt être lynchés après un passage rapide à un nouveau tribunal de Nuremberg : c’est aller vite en besogne et c’est surtout se tromper de cibles.

Nier la mort atroce de six millions de juifs et de la volonté du pouvoir nazi d’éradiquer cette « race » est d’abord stupide, mais les responsables politiques ont souhaité en punir l’expression pour lutter contre la résurgence de l’antisémitisme et empêcher des rassemblements néo-nazis. Le sujet traité est donc celui d’une observation impossible à contester qui peut donner lieu à l’émergence de sectes dangereuses.

La science de l’interprétation

Concernant le climat, on ne parle pas d’observations comme « il pleut ou il neige », ou « le soleil est plus chaud cet été », « on manque d’eau pour les cultures »… ce sur quoi des instruments de mesure peuvent rapidement conduire à une évidence , mais de données forcément partielles permettant de conclure à un dérèglement climatique ou à un réchauffement de la planète dont la poursuite menacerait la poursuite de la vie humaine dans un grand nombre de régions. On passe donc de l’observation de phénomènes comme la fonte des glaciers (et bien d’autres, bien sûr), à l’interprétation de ces évidences. On rentre dans un processus scientifique qui peut conduire à des opinions différentes sans que les observations soient niées, ce qui serait avant tout stupide.

Les débats, car il y a débat, portent d’abord sur la généralisation du concept de réchauffement qui, en l’absence de capacités à placer des capteurs de température partout, nécessite de théoriser l’existence d’une température moyenne de la Terre. Ce premier concept ne va pas de soi, mais surtout peut conduire à différentes théories sans que l’observation (insuffisante par essence) puisse départager les scientifiques. Certains territoires vivent un réchauffement, d’autres une augmentation des sinistres causés par la nature. On veut à la fois comprendre et prévoir, autrefois on interrogeait les dieux, maintenant on questionne la science, et des scientifiques répondent.

Les militants du climat ne sont pas des écologistes

C’est alors que les difficultés surviennent. Quand certains insistent sur les cycles naturels de la planète en remontant très loin dans le temps, d’autres veulent trouver des réponses sur une plus courte période, qui commence avec les observations précises, c’est-à-dire à partir d’environ 1880. Pour répondre aux « consommateurs » de science, ils sont à la fois sommés de trouver des coupables et de prédire, ce qui les conduit à bâtir des modèles dont ils affirment la pertinence en multipliant les indices. La partie la plus intéressante de ces modèles est, bien évidemment, celle qui prédit des catastrophes et qui interroge la façon dont les humains se servent de la planète.

L’urgence climatique telle qu’elle est criée par les nouveaux prophètes est donc à la jonction de deux aspirations : comprendre et prévoir le futur de territoires qui évoluent et défendre des milieux naturels dévastés par le gaspillage de la société dite de consommation.

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L’écologie, quant à elle, étudie la nature, la vie, et cherche à employer au mieux les sciences et les techniques pour préserver nos ressources. L’écologie politique dénonce les dangers encourus par les humains sur une planète qui se déglingue et va se désintégrer.

Les militants du climat insistent sur les périls et manipulent la peur, les écologistes veulent préserver pour les générations futures les trésors que fabrique la vie.

Pour les premiers, le climat est devenu le grand cheval de bataille, avec un zeste de nucléaire, une pincée de glyphosate, une pale d’éolienne, ils plaident pour un ordre mondial du « bien », une éradication des mal-pensants. La notion de « négationnisme climatique » vise à jeter un anathème définitif sur ceux qui ne partagent pas leur opinion. Ils en appellent au consensus scientifique de milliers d’experts dont ils interprètent à leur façon les rapports et commentaires. Le consensus scientifique peut exister sur la pertinence d’une observation : « les glaciers des Rocheuses au Canada fondent », pas sur une théorie en train de naître. Galilée est esseulé lorsque qu’il dit que la Terre est ronde et tourne, 10% de Français affirment encore qu’elle est plate alors que les images prises à partir de l’espace  montrent clairement sa rotondité. La science a progressé grâce à des hommes seuls qui  énonçaient à partir d’une observation une théorie que tous les autres contestaient (prenons Pasteur par exemple). Il n’y a donc pas « consensus » sur le climat, pas plus sur le réchauffement que sur son caractère anthropique ou sur les prévisions de cataclysme, et il ne peut pas y en avoir car il suffirait d’un seul qui soit en désaccord pour qu’il ait une chance d’avoir raison comme Galilée hier et comme Einstein beaucoup plus tard sans oublier Léonard de Vinci. Nier que la Terre est ronde est avant tout stupide, s’interroger sur le climat est légitime, la nature est complexe, la vie est une grande inconnue et la science n’apporte que des réponses parcellaires sur un passé mystérieux et un futur inconnu.

Pour les écologistes, dont l’émergence a commencé dans les années 70, l’évolution des sociétés industrielles pose une question essentielle : quelle Terre laisserons-nous à nos enfants ? Le péril nucléaire de la guerre froide, la course aux armements, la consommation effrénée des pays développés, les pans entiers de la nature dévastés, les grands lacs américains pollués, les modifications des territoires dues à l’extraction des matières du sous-sol… ont fini par donner le tournis et ont conduit beaucoup de scientifiques à demander une meilleure utilisation de nos ressources, la fin des gaspillages, le recyclage des produits usagés, donc une prise en compte de l’environnement par une discipline individuelle de citoyen du monde.

Les jours d’après

C’est de cette prise de conscience que sont nées la plupart des grandes avancées qui se traduisent par une meilleure appréciation de notre responsabilité dans l’usage de la nature. Les conflits peuvent apparaître à cet égard, puisque tout est affaire de compromis : il faut de l’énergie pour vivre, mais la consommation d’énergie affecte notre environnement. Reste qu’on perçoit désormais partout la nécessité impérieuse de ne pas faire n’importe quoi n’importe où. Pour cela il n’est pas nécessaire d’alimenter des peurs et de lancer des anathèmes, il suffit d’aimer la vie et de vouloir la transmettre.

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L’idée que l’on puisse, au nom de la science, lancer le concept de « négationniste climatique » m’apparaît donc dramatique car le terme revêt au contraire un caractère idéologique. L’observation scientifique peut mesurer le gaspillage, la science peut trouver des solutions pour le restreindre puis l’éradiquer, mais la science ne peut pas dire de quoi demain sera fait. Peut-être nos petits-enfants auront-ils trop chaud, peut-être auront-ils trop froid, nous n’en savons rien. Ce que nous savons c’est qu’ils seront plus heureux dans un monde qui pratique le dialogue et la bienveillance plutôt que l’invective et l’anathème.

Une cochonne à la Rencontre des musulmans de France


Qui a dit que les musulmans n’étaient pas ouverts au changement? Peppa la cochonne et sa maîtresse voilée font bouger les mentalités…


Le week-end de Pâques, les « Musulmans de France » (ex-UOIF) ont organisé leur traditionnel grand raout du Bourget. Comme à la Samaritaine, on y trouve de tout : de la restauration rapide hallal, des tenues de mariées, quelques librairies islamiques et même un stand d’« écodjihad » axé sur la défense de l’environnement. Mais, cette année, un personnage inattendu a fait tourner les têtes : une truie promenée en laisse !

« C’est un cochon hallal ? »

Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une provocation identitaire, la maîtresse de l’animal étant une musulmane voilée de stricte observance. Un coup d’œil sur le programme du rassemblement nous apprend que la cochonne se prénomme Peppa et loge à la ferme écologique La Francilienne, représentée au salon par une petite ménagerie. Questionnée par un quidam amusé (« C’est un cochon hallal ? Il est venu se convertir ? »), l’une des fermières explique « essayer de déconstruire les représentations stéréotypées que les musulmans ont envers le cochon. On ne doit pas le manger, mais ça reste un animal que Dieu a créé ». Courageuse profession de foi ! Car contrairement à l’alcool, promis aux élus du paradis, le cochon pâtit chez la majorité des musulmans d’une mauvaise image associée à la saleté.

La cochonne oui, le porc non

De son propre aveu, l’agricultrice convertie à l’islam a essuyé des quolibets (« C’est la honte ! N’importe quoi ! Le foulard et ça à la main, ça ne va pas ! »), malgré ses justifications : « Dans un système écologique, il a tout à fait sa place dans la mesure où il permet de réduire le gaspillage alimentaire. Il absorbe une matière organique énorme, parce qu’il mange beaucoup. Et c’est une force de travail aussi parce qu’il laboure énormément la terre… »

En attendant que Peppa devienne la mascotte du Bourget, un porc présumé, naguère habitué du salon, a brillé par son absence : Tariq Ramadan !

Pour les Polonais, toute la France est de gauche

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pologne migrants marek gladysz
Marche Solidaire pour les Migrants, Paris, juin 2018. Auteurs : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. Numéro de reportage : 00864117_000003.

Macron tance régulièrement la Pologne conservatrice du parti Droit et justice (PiS). Ça tombe bien, le journaliste polonais Marek Gladysz, correspondant à Paris depuis vingt ans, lui rend la monnaie de sa pièce dans son livre La France, maillon faible de l’Europe ? (L’Artilleur). Il décrit un pays inexorablement victime du gauchisme culturel.


Marek Gladysz est le correspondant en France de la principale radio polonaise. Installé à Paris depuis 1999, il dresse un tableau pessimiste de l’Hexagone dans son essai La France, maillon faible de l’Europe ? (L’Artilleur).

La partie du livre intitulée « Services à la française, amabilités parisiennes et miction impossible », présente une amusante chronique – quoique déjà lue – des surprises rencontrées par un étranger se frottant à nos us gaulois les plus rustres. Le reste du bouquin est une violente charge visant la politique française. Politique globalement classée dans le rang des « progressistes », alors que c’est le conservateur PiS qui dirige la Pologne.

Abritées dans un politiquement correct dont le peuple polonais ne s’encombre pas, nos élites politiques dirigent une France décrite comme une nation sur le chemin de la partition. Les Français ne voient même plus le chaos ahurissant qui peut y régner, et qui fait les gorges chaudes de nos voisins !

Et la France se mit les Polonais à dos 

Emmanuel Macron a tenu un discours dont Marek Gladysz ne s’est pas remis, le 1er mai 2017. Celui qui allait devenir président avait alors amalgamé la Pologne à la Russie entre les deux tours de la présidentielle. Outrageant ! La Pologne est conservatrice, mais on ne peut tout de même pas la mettre dans le même sac que la Russie autoritaire de Poutine.

Les déclarations de Macron s’inscrivent dans une longue tradition d’arrogance française vis à vis de la Pologne. Pénibles négociations de l’entrée dans l’UE sous Chirac, critique du nouvel axe Italie-Pologne, et, bien évidemment, répartition des migrants ou fâcheuse question du « plombier polonais »… Gladysz nous apprend que la France n’a de cesse de se mettre son peuple à dos.

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Alors qu’on puisse en France « toujours trouver des rues Lénine dans les municipalités administrées par les progressistes », c’est un peu fort ! Gladysz, qui a grandi sous le joug communiste, s’indigne : « Si c’est ça le progrès, je préfère être réactionnaire. » Le ton est donné. Et comme la Pologne n’a « jamais été un Etat colonial », nous sommes bien servis… Gladysz, à l’image de la plupart de ses compatriotes, ne ressent pas le besoin de « sans cesse battre [sa] coulpe ». L’antisémitisme en Pologne est sans cesse pointé du doigt, alors que « les Juifs [y] courent aujourd’hui infiniment moins de danger que dans la France de 2019, en proie à l’antisémitisme islamiste, où l’on massacre les Juifs en les tuant par balles ou en les défenestrant. »

Des barrages de migrants sur les routes

Le « politiquement correct » dont souffre la France est une « véritable maladie hexagonale », selon le journaliste. Si cette affirmation n’a rien d’une découverte, la chronique détaillée de faits d’actualité français qui ont marqué l’auteur apporte un éclairage intéressant. Sévère mais jamais injuste, Gladysz nous administre une critique inquiète. Là où nos médiatiques veulent souvent voir de l’anecdote, lui voit des faits tout à fait extraordinaires.

Nos dirigeants « progressistes » estiment que le 31 décembre ou le Mondial se sont bien passés ? Gladysz a vu des voitures flamber de partout !

Il appuie là où ça fait mal. Pourquoi plus personne ne semble s’étonner dans les rédactions parisiennes que des migrants puissent mettre en place des barrages sur nos routes ? A ses yeux, ce type d’événement est au contraire d’une gravité extrême. Gladysz et ses collègues de Varsovie au téléphone se marrent, tantôt incrédules, tantôt hallucinés.

Zéro pointé en intégration

11 septembre 2001, émeutes en banlieue ou attentats de 2015, quand notre journaliste polonais tend son micro, il a la « déroutante impression de ne pas voir et entendre les mêmes choses » que ce qui est reporté dans nos médias mainstream. Dans les banlieues, en particulier, un discours hostile à la France est fréquemment entendu, quand le journaliste n’est pas carrément pris à partie. Alors que c’est désormais la France « que la Pologne cite comme le pire exemple d’inefficacité en matière de politique d’intégration », il observe qu’on y bâillonne les débats « avec de simples mots, tout aussi efficaces que ceux de la novlangue de 1984 » ou… comme sous la Pologne communiste. Macron trace « pour la France et pour l’UE les limites fluctuantes du politiquement correct », mais Gladysz nous rappelle le bon sens du peuple polonais quant aux menaces d’une immigration incontrôlée : « Le lien entre immigration massive des populations des pays musulmans vers l’Europe occidentale et le terrorisme islamique (considéré comme le summum de l’amalgame par les élites en France) n’est pas perçu chez de nombreux Polonais comme dépourvu de sens. » Il enfonce le clou : « D’innombrables Polonais » pensent « qu’en pratique, la France n’existe déjà plus. »

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En proie à ces graves fractures identitaires, incapable de se réformer économiquement, la France et ses remontrances vis-à-vis du groupe de Visegrad apparaissent comme déplacées. Perçu à l’Est comme un repoussoir, le modèle français ne fait pas rêver une Pologne qui bénéficie d’une confortable croissance économique. «  Pour résumer crûment le modèle français, on pourrait dire qu’il repose sur trois grands piliers : une croissance assez faible, un chômage élevé et une [fiscalité] qui bat des records. » Même si l’ironie distillée tout au long du bouquin est souvent mordante, Monsieur Gladysz, n’en jetez plus.

La France, maillon faible de l'Europe ?: Observations d'un journaliste Polonais

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Bret Easton Ellis revient et il n’aime pas son époque

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bret easton ellis white
Bret Easton Ellis. Auteurs : BALTEL/SIPA. Numéro de reportage : 00606642_000013

Bret Easton Ellis publie White, un essai décapant, teinté d’ironie voltairienne, chose rare de nos jours, sur l’état de la société occidentale. Le problème est posé, il est crucial : « Le plus grand crime perpétré dans ce nouveau monde est l’éradication de la passion et la réduction au silence de l’individu. » C’est Pascal contre Descartes devenu dingue.


L’auteur du best-seller, American Psycho, avec son personnage psychopathe, Patrick Bateman, lâche une bombe portative. Mais il est peut-être trop tard pour sauver la liberté de penser.

Ils ont eu notre liberté de pensée

Le lavage des cerveaux a commencé, la grande lessiveuse tourne à plein régime. La génération des milléniaux, comprenant toute personne née entre 1980 et 1999, impose la culture binaire du « j’aime » « j’aime pas », effaçant du même coup les échanges, les discussions contradictoires, explosant les personnalités duales, complexes, bigarrées. D’un seul tweet, le millénial te met hors jeu social. Pire, il peut te faire perdre ton job.

Gare à toi, si tu ne penses pas comme ton voisin d’ordinateur. Tu seras victime d’un ostracisme définitif. Et fais attention à ne pas l’agacer en lui disant qu’il peut avoir tort. La raison du plus grand nombre à toujours raison. Le millénial, toujours en bande, pour se rassurer, s’emporte rapidement, tape du pied, pique une énorme colère. C’est un pleurnichard, pour reprendre l’expression de BEE. Son système mental est fragile. Il devient vite hystérique, et demande à la foudre (les réseaux sociaux) de te réduire en cendres. Il se victimise dans le but de protéger le groupe auquel il appartient.

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La génération X, celle de BEE, regarde hébétée le développement inouï de cette violence qui n’est pas sans rappeler la violence totalitaire. BEE va plus loin et part en guerre contre ce conformisme mortifère. C’est courageux, car il risque d’être poussé vers les oubliettes où croupissent les politiquement incorrects, les « grandes gueules », les atypiques, ceux qui ont été frappés d’indignité sociale en quelques secondes. Taxé de racisme ou de misogynie, et hop, disparition immédiate.

Ne soutiens surtout pas les gilets jaunes, lis Fred Vargas, regarde « Game of Thrones », roule en trottinette, flanque à la poubelle tes CD de Michael Jackson, dégueule sur Trump devant ton assiette de chou kale, milite en faveur du bien-être du poussin, mais ne t’avise pas de dénoncer les moutons égorgés dans des hangars désaffectés, sans avoir été étourdis au préalable, comme le voudrait le respect que nous devons aux animaux, etc.

L’art en danger de mort

BEE est un écrivain qui pense, et ça fait du bien. C’est rare en ces jours moroses où l’on se caille malgré le réchauffement climatique dû à l’homme, il paraît… Il démontre que c’est l’art qui est en danger de mort. Car un artiste, par définition est un type seul, oui seul, unique, oui unique, qui se méfie, avec l’instinct du fauve, de toute idéologie, ayant pour valeur première l’esthétisme. Mais qui se soucie de la musicalité d’une phrase, de la vibration d’un tableau, de la mélancolie d’une voix sous le plafond de Chagall ? Le premier imbécile venu balance un texte de deux lignes sur les réseaux sociaux et il se déclare aussitôt écrivain, journaliste, penseur ou je ne sais quoi tellement la confusion est totale. Il y va de son couplet sous moraline, et guette fébrile le nombre de likes. Ah, le culte du like. Le béotien s’érige en procureur d’internet, et dénonce les vrais artistes avec le sérieux du crétin qui sait tout sur tout.

Or l’art ne devrait jamais nous offenser, comme le souligne BEE qui ajoute : « Je n’ai jamais été offensé parce que j’avais compris que toutes les œuvres d’art sont un produit de l’imagination humaine, créées comme tout le reste par des individus faillibles et imparfaits. Que ce soit la brutalité de Sade, l’antisémitisme de Céline, la misogynie de Mailer ou le goût pour les mineures de Polanski, j’ai toujours été capable de séparer l’art de son créateur et de l’examiner, de l’apprécier (ou pas) sur le plan esthétique. » Et quand un journaliste demande à BEE s’il pourrait, en 2019, publier American Psycho, sa réponse fuse sans la moindre hésitation : non ! La régression est glaçante.

Fossilisation neuronale

C’est donc la mort de la liberté de créer. Créer exige d’aimer l’ambiguïté, rappelle BEE. Il faut être capable de se retrouver dans la peau de quelqu’un d’autre, d’un monstre, d’une bête étrange, de s’éloigner de sa zone de confort, « d’être secoué », pour quitter l’enfance et devenir enfin adulte. BEE, encore : «  Cela m’a poussé loin du narcissisme de l’enfance et vers les mystères du monde – l’inexpliqué, le tabou, l’autre – et m’a rapproché d’un lieu de compréhension et d’acceptation. » C’est l’apprentissage de la tolérance. Sinon, sous prétexte de défendre des idées progressistes, d’aimer tout le monde alors que tu n’aimes que toi dans le miroir de ton ordinateur, tu marginalises les aventuriers de la pensée, tu les pousses à la soumission, ou au silence. Tu es fasciste.

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Les gens de gauche semblent les plus enclins à accepter cette fossilisation neuronale. BEE note : « La gauche était en train de se métamorphoser, de devenir quelque chose qu’elle n’avait jamais été au cours de ma vie : un parti autoritaire, intolérant, moralement supérieur, déphasé, privé d’une idéologie cohérente (…). La Gauche était devenue une machine enragée, qui se consumait : une bulle qui se dissolvait. » En France, elle a éclaté. Mais certains de leurs représentants ont été recyclés et agissent toujours avec zèle.

Liberté en danger

Il se fait rare l’artiste qui ose dire ce qu’il pense, sans précautions identitaires, quitte à foutre le feu au cirque médiatique. Il en existe bien encore deux ou trois, en France, dans le Loiret, ou face au golfe pas très clair de Saint-Tropez, qui agitent les consciences, n’acceptent pas de présenter leurs excuses quand ils ont gueulé trop fort dans le mouroir culturel où nous avançons tels des zombies. Et quand ils auront disparu ? demande l’intraitable Antigone. Le dernier mot de White est « liberté ». BEE a écrit ce livre qu’on n’espérait plus en voulant sauver la liberté. Je crains que cela ne serve à rien. La liberté n’intéresse plus personne. Elle exige trop de courage.

Bret Easton Ellis, White, Robert Laffont.

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Supermal, Hitler en bande dessinée

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©Editions Dupuis

La bande dessinée de Bernard Swysen et Ptiluc Hitler, la véritable histoire vraie retrace la vie et l’oeuvre d’un des plus grands monstres du XXe siècle. Avec pédagogie et finesse, les auteurs dépeignent le maître du IIIe Reich sous la forme d’un petit rat tourmenté devenu génie du mal et de la propagande. Une leçon à méditer. 


Hitler n’a jamais été aussi vivant que depuis qu’il est mort, a coutume de dire Alain Finkielkraut. Quelques semaines après une énième vente aux enchères, à Nuremberg, de tableaux et objets qui auraient appartenu au dictateur nazi et la polémique qui s’était ensuivie, la « révélation » concernant le versement de pensions à d’anciens collaborateurs du régime hitlérien continue à maintenir le nom de son chef suprême à la une de toute la presse. Mort et calciné, le premier intéressé n’en serait sans doute pas mécontent. En revanche, il n’est pas aussi certain qu’il apprécierait la bande dessinée sur lui qui sort ces jours-ci en librairie. Hitler, la véritable histoire vraie, de Bernard Swysen, scénariste, et de Ptiluc, dessinateur, s’inscrit dans la collection « Les méchants de l’Histoire », initiée avec Caligula et Dracula. Inclure Hitler dans la lignée de ces êtres que l’on aime situer à mi-chemin entre la bête et l’homme, pas très loin non plus d’une créature démoniaque, n’enlève rien à ses traits humainement frustres. Mais ce n’est pas tout. Johann Chapoutot, historien et spécialiste du nazisme, relève très justement dans la préface de la BD que le Hitler de Swysen et Ptiluc surprend par son penchant hystérique, parfois irritant, parfois touchant. Incarné dans un petit rat, « Adolf sait être drôle ou attachant. »

Pas une énième démonstration de la « banalité du mal »

Il ne s’agit pourtant pas d’une énième démonstration de la « banalité du mal ». Le duo belge remonte un bout de chemin dans la généalogie de la famille Hitler (originellement Hiedler), pour contextualiser l’apparition de celui qui deviendra responsable de la mort de millions de ses semblables : les maladies, les fréquents déménagements, le conflit générationnel père-fils, mais aussi les ambitions, les aspirations, les joies. Ainsi on découvre Adolf Hitler en ado fainéant, mégalo, rêveur, pris de vertiges après une représentation du Rienzi de Wagner, au point de se mettre au piano lui-même et se projeter en auteur d’un opéra. Un « jeune en difficulté » qui essaie de s’arracher à un destin tout tracé et trop ordinaire, dirait-on aujourd’hui. Un gars suffisamment malin pour comprendre que faire de la politique est la dernière carte qui lui reste. Dessiné en filigrane, avec beaucoup d’humour, ce profil psychologique fait écho à la question que Bernard Swysen s’est posée, en démarrant ce travail : « Comment quelqu’un d’aussi insignifiant est-il parvenu au pouvoir suprême et à entraîner le monde entier dans le chaos ? »

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Cependant, le cas Hitler est-il toujours pertinent pour nous rappeler la façon dont émergent les dictatures ? À l’heure des réseaux sociaux et des leaders d’opinion plus ou moins éphémères, quoique toujours potentiellement dangereux, ne serait-il pas judicieux de reconnaître que l’Histoire ne peut plus rien nous apprendre ?

« La stupidité populaire n’a pas de limites ! » s’écrie le petit rat Adolf

Faux, répond Swysen. L’essor du nazisme, son incroyable emprise sur les gens, n’aurait jamais été possible sans la propagande mise en place par le NSDAP. Hitler l’avait compris très tôt, grâce à la publicité d’une pommade pour les cheveux qui promettait à tout un chacun une chevelure foisonnante. « La stupidité populaire n’a pas de limites ! » s’écrie le petit rat Adolf. Selon Swysen, la prolifération des « fake news » prouve que, de ce côté, les mentalités n’ont pas beaucoup évolué : en racontant aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, on est à peu près sûr de rencontrer le succès. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France et historien, évoque pour sa part dans la postface de l’ouvrage l’enthousiasme suscité par l’exposition « Le Juif et la France », présentée à Paris à l’automne 1941. Quelque 200 000 visiteurs s’y étaient pressés, impatients qu’on leur explique – science à l’appui – comment reconnaître « le Juif »… Hasard du calendrier, début mars 2019, un hebdomadaire polonais ultranationaliste, Tylko Polska, a fourni à ses lecteurs le même dossier, riche en renseignements sur les « caractéristiques anthropologiques et psychologiques » des juifs, leur « façon d’agir et de s’exprimer », ainsi qu’en conseils sur les moyens de les « vaincre ». Le numéro avait été mis en vente dans le kiosque à journaux du Parlement polonais. « Et c’est ainsi que, à l’heure des fake news, lorsque n’importe quel abruti muni d’un smartphone se mue en théoricien de la conspiration, cette BD est un grand coup de massue sur la tête des négationnistes de tout poil, conclut Barnavi. En bonne logique, elle devrait figurer comme lecture obligatoire dans tous les programmes scolaires. »

Ce n’est pas du retour de la censure qu’il faut avoir peur

Si la visée pédagogique de la BD ne laisse aucun doute, si sa rigueur et son esprit d’analyse dans la présentation des faits forcent l’admiration, on peut exprimer un regret. Le récit de Swysen et de Ptiluc se termine avec la chute du mur de Berlin, qui a mis fin, du moins symboliquement, à la division de l’Europe issue de la Seconde Guerre mondiale. Quid de l’Union européenne ? On peut critiquer à volonté l’incapacité de cette institution à répondre aux problèmes les plus urgents et graves des Européens, mais une Polonaise a quelques raisons de penser qu’elle a permis aux Européens de vivre en paix. Bernard Swysen, invité au Salon de livre de Paris pour débattre sur la caricature après les attentats contre Charlie Hebdo, a bien voulu me l’accorder. Reste à savoir de quoi pourra-t-on continuer de rire dans cette Europe libre et pacifique ? « Quand on essaie de réintroduire un délit de blasphème, je trouve la situation très inquiétante », avoue le scénariste. Pourtant, ce n’est pas du retour de la censure, ajoute-t-il, qu’il faut avoir peur en premier lieu, mais plutôt de l’autocensure, que nombre d’humoristes s’imposent face à la menace islamiste. Comparé au Prophète, Hitler semble en effet à la fois moins dangereux et plus rigolo…

Bernard Swysen et Ptiluc, Hitler, la véritable histoire vraie, Dupuis.

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Préparer Roland Garros sans se fatiguer

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nicolas grenier tennis jeu set
Yannick Noah, Roland Garros 1987. Auteurs : GALMICHE/TF1/SIPA. Numéro de reportage : TF135001024_000013

L’érudit des lignes blanches Nicolas Grenier publie une anthologie littéraire du tennis en préparation de Roland Garros.


Dans quelques jours, l’écho du Court central résonnera jusqu’à la station « Porte d’Auteuil ». Une mélopée étrange à base de 15–0 ; 15–A ; 30–15 qui traîne dans l’atmosphère comme un rhume des foins tenace.  Au printemps, le tennis se lève à l’Ouest du périf’. Dans le métro, des parisiens hagards croiseront de juvéniles sparring-partners chargés de raquettes et de serviettes. Ils remarqueront surtout leurs baskets recouvertes de cette terre ocre, la poussière éphémère du Grand Chelem.

Cette quinzaine est la hantise des DRH

Les « petits » ramasseurs s’entraînent déjà dans leurs chambres d’adolescents devant leur miroir à plier les genoux et à relancer la balle comme s’ils devaient se présenter au concours du Conservatoire d’art dramatique. Ils sont la fierté du tournoi. Les accordeurs refont leur gamme, avec toujours, cette question existentielle : boyau naturel, multifilament, monofilament ou hybride, quelle matière choisir pour trouver la meilleure harmonie. C’est aussi le moment où le panama fleurit dans les tribunes et où les intrigants cherchent des places dans les loges. Cette quinzaine est la hantise des DRH et des CPE.

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Du 26 mai au 9 juin, les Internationaux de France à Roland Garros annoncent le début des examens et la bascule vers l’été. Même Roger l’esthète helvète a daigné se déplacer dans le XVIème arrondissement. Car la hiérarchie mondiale a du mou dans la raquette depuis plusieurs semaines. L’ère Nadal-Federer-Djokovic plie mais ne rompt pas face à la montée d’une nouvelle génération (Tsitsipás, Thiem, Zverev, etc.). Tous ces champions d’aujourd’hui partagent le même quotidien que leurs glorieux ainés du siècle dernier. « À proprement parler, je goute peu le repos auquel toute personne normale a droit. En hiver, ce sont les tournois de la Côte d’Azur ; en été, ce sont les championnats de France, les championnats du monde sur terre battue, les championnats du monde et d’Angleterre sur gazon, les multiples compétitions de plages et villes d’eaux, sans compter les Olympiades, comme l’année dernière, et les tournées en Amérique, comme cette année-ci » écrivait Suzanne Lenglen dans Quelques conseils pour jouer au tennis paru en 1921.

Quand le tennis était snob

Le chantre de l’olympisme Pierre de Coubertin prédisait en 1910 dans ses Notes sur le lawn-tennis un grand avenir à ce jeu de balles qui met les nerfs en pelote : « C’est un sport dont les adeptes sont non seulement devenus très nombreux mais n’appartiennent à aucune catégorie spéciale. Jeunes garçons et hommes âgés, femmes mariées et jeunes filles, gens oisifs et gens occupés, le lawn-tennis a fait des conquêtes dans tous les milieux sociaux et dans toutes les périodes de la vie. C’est une très heureuse circonstance ». Le Baron avait un demi-siècle d’avance sur son époque, il annonçait la démocratisation de ce sport et sa propagation dans toutes les couches sociales.

Au début du XXe siècle, la balle jaune n’avait pas atteint les masses payantes et les budgets publicité des sponsors. On la tapait entre sportsmen tout de blanc vêtus, sous l’œil de dames en capelines de soie qui sirotaient un Pimm’s tonic. L’entre-soi et une pointe de snobisme habillaient les joueurs et joueuses de tennis en polo ou en robes longues. Il n’était pas encore venu le temps des foules ahuries et des bobs bariolés. Pour saisir cet air des premiers instants, où le tennis se pratique entre gens bien nés et prend la forme d’un loisir à la mode, à la fois jeu d’adresse et de tactique à l’ombre des cyprès, il faut lire l’étonnante anthologie littéraire du tennis de Nicolas Grenier. Dans Jeu, set et match ! préfacé par Patrick Clastres aux éditions du Volcan, l’érudit des lignes blanches a recensé des textes majeurs et mineurs sur cette activité en plein air. Au-delà des « classiques », Maupassant, Alphonse Daudet, Paul Bourget, Georges Feydeau ou Tristan Bernard, ce recueil ressuscite des auteurs complément oubliés. De ces anonymes des bibliothèques, plumes vigoureuses à la Belle Époque, naît un charme désuet, le témoignage d’une insouciante élégance. C’est joliment ampoulé, un style sous naphtaline qui émeut par sa préciosité et ses maladresses. D’un esthétisme fabriqué non dénué d’une certaine langueur érotique.

Les aventures de l’abbé tennisman

Les balbutiements du tennis se mariaient alors admirablement avec les tâtonnements littéraires de ces écrivains en herbe. Qui se souvient d’Emile Pouvillon (1840-1906) à part ceux qui empruntent son avenue ? Il écrivit Le Vœu d’être chaste en 1900 où figure un abbé tennisman. « Pourquoi le tennis serait-il défendu pendant les vacances ? Le concile de Trente n’a pas d’objection, sans doute, contre le tennis » s’interroge une demoiselle faussement naïve. Et que penser de Pierre Ardouin (1870-1934) dans ses Poèmes de Saintonge à la mélancolie doucereuse :

Les fervents du Tennis, sveltes et point moroses

Dans des bas écossais cambrant leurs forts mollets,

Sur le sable élastique ont posé leurs gilets,

Et leurs corps dégagés prennent de fières poses.

Ou encore cet obscur René Turpin qui publia en 1908 La Fillette à la Raquette, évocation légère qui lui vaudrait aujourd’hui les foudres de certaines associations :

Elle n’ignore pas qu’on la regarde un peu

Quand, jouant au tennis, volent ses jupes blanches :

Pour montrer ses bras frais, elle lève ses manches

Fixant innocemment sur vous son regard bleu

Jeu, set et match, Nicolas Grenier, Editions du Volcan.

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Pierric Guittaut, le vengeur rural

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Pierric Guittaut. Wikipedia.

En quelques années, Pierric Guittaut a fait ses preuves à la Série noire. Avec Ma Douleur est sauvagerie, il franchit un nouveau cap romanesque dans son univers marque de fabrique : la campagne mondialisée. 


L’épanouissement du talent spontané de Pierric Guittaut, composite de réflexion, d’enthousiasme et de travail est une réalité aveuglante dont il faudra bien un jour qu’il admette lui-même l’indéniable singularité.

Beau coup d’essai

En une dizaine d’années, à travers cinq ou six bouquins, le bouillonnement encore informe de Beyrouth-sur-Loire, son premier roman si mal servi par une édition bâclée, torrent d’énergie qui balayait tout sur son passage, s’est transformé en maîtrise de ses moyens, en véritable accomplissement d’artiste des mots.

Si son premier roman avait la puissance aveugle d’une cataracte, on y relevait déjà quelques prouesses : qui d’autre aurait pu forger ce personnage de flic libanais chrétien retrouvant ses guerres d’origine dans les cités d’urgence des banlieues tourangelles sans tomber dans l’invraisemblable ?… Et c’est pourtant celui-ci qui emportait l’adhésion sans coup férir, premier jalon de ce qui allait devenir la marque de fabrique de Guittaut : la campagne mondialisée, la province planétaire dans son exotisme avant Pierric inexploré. Et qu’on ne vienne pas me parler de nature-writing avec ses amants de Lady Chatterley qui font un malheur à la Fnac de Fouilly-les-Bouses en chemise à carreaux. Non, Pierric seul. Les autres ne sont que les VRP de la fiction bio.

Trois romans maîtrisés

Et depuis trois romans, c’est toujours cette touche d’originalité, cette empreinte qui le distingue : le tableau d’une cambrousse appartenant déjà à la transhistoire qui est la nôtre, et la rend finalement semblable, dans sa particularité berrichonne, à n’importe quel trou au large de Brisbane ou de Chelyabinsk. Très naturellement — et c’est sans doute au départ à peine conscient chez l’auteur, tout au moins au départ, à mesure qu’il explore ce territoire dépossédé de lui-même, la campagne moderne dont on a muséifié, c’est à dire réifié tous les signes historiques à présent indéchiffrables — celui-ci se tourne vers le mythe. C’est déjà présent dans son second roman La Fille de la pluie. Dans cet exercice de rigueur où le romancier ajuste son tir, une Hermione de l’eau aiguillonnée par le mal hante le paysage éternel des jalousies mesquines, dans des fermes virtualisées tant par la Wi-Fi que par le crédit agricole.

C’est D’Ombres et de Flammes qui signera la première maturité de Guittaut avec ce portrait de gendarme tourmenté par son siècle et sa hiérarchie, fils de guérisseur aux prises avec une filiation qu’il refuse, de retour dans son village natal. Au cours d’une enquête où se mêlent les femmes d’un passé énigmatique, les jeteurs de sort, et les cerfs stéroïdés importés de Nouvelle-Zélande dans les chasses solognotes pour le bon plaisir des nouveaux comtes Zaroff, venus du XVIe arrondissement ou de Dubaï, les hologrammes de la néo-féodalité se superposent aux esprits de la forêt. Si les assassins et les cadavres sont bien réels, leurs armes et leurs mobiles se dérobent, irréductibles à toute analyse anthropométrique. Le lyrisme de Pierric y donne sa pleine mesure d’instinct et de lucidité indissociables.

Chasse animale

Et nous voici plus loin, un degré plus haut dans l’incandescence avec Ma Douleur est sauvagerie, qui vient de paraître aux éditions des Arènes. Le classicisme de la construction des thèmes de la vengeance et de l’obsession y est encore confronté à un monde dématérialisé dont le rejet, cette fois, sera entier ou ne sera pas. Lorsque Stéphane, à l’instar de St-Julien le Pauvre, s’abstient d’abattre le grand cerf blanc, symbole de puissance brute, indistincte, il met le doigt dans l’engrenage — presque volontairement. La vision, dès le premier instant a la brutalité d’une idée fixe, il a trouvé son double maudit. Lorsqu’il se lance dans la traque acharnée de l’animal coupable de la mort de sa femme, ce n’est au départ que pour tuer dans un élan aveugle. Puis, comme dans toute chasse, il faudra que Stéphane devienne identique à l’assassin qu’il poursuit pour avoir une chance de le piéger et de le vaincre. Alors, il faudra que Stéphane se dépouille de la civilisation au cours d’un lent et minutieux processus remarquablement décrit dont chaque étape est tout d’abord un arrachement.

Ma douleur est sauvagerie de Pierric Guittaut (Equinox/Les Arènes, 2019)



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Qui est vraiment un « extrémiste »?

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Utilisé à tort et à travers par de nombreux médias, et par Emmanuel Macron, le mot « extrémiste » s’applique pourtant à bien peu de cas, et pas toujours à ceux que l’on croit…


Le psittacisme (de psittacos, le perroquet) est l’utilisation répétée de mots et de concepts dont le sens est incompris, ou à contenu variable. Par exemple, le mot « extrémisme », utilisé souvent à tort et à travers, telle une insulte, plus sournoise et dangereuse que les très débiles « facho », « populiste »… Le reproche d’extrémisme a été et est souvent articulé contre des opposants politiques ; notamment en Chine (livre blanc de 2019).

« Défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance »

Pour le Larousse, l’extrémisme c’est le « comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance ». Pour Wikipedia c’est un « terme utilisé pour qualifier une doctrine ou attitude politique, religieuse ou idéologique » qui refuse « toute modération ou toute alternative à ce que dicte cette doctrine ». Selon la même source, « les actions extrémistes sont par conséquent des méthodes (pouvant être violentes et agressives) ayant pour but un changement radical ». Pour Emmanuel Macron, c’est tout ce qui n’est pas d’accord avec le macronisme et menace l’ordre dominant.

Or, la volière médiatique caquette sans fin le mot « extrémisme ». Ne doit-on pas en affiner le sens ?

Dès le tout premier abord, on constate deux évolutions ou dérives : Larousse n’évoque pas la violence, mais Wikipédia l’ajoute, non pas dans la définition mais comme méthode d’action. Ce qui est incorrect car la posture idéologique se distingue de la praxis. Or, ce premier amalgame entre idées et actions, s’il est simpliste, est parfois lui-même une forme d’extrémisme. Surtout quand le premier amalgame est inclus dans un second amalgame. Litanie stéréotypée des médias principaux, l’expression « d’extrême droite » est associée, dans la conscience collective sous influence, à « dictature » ou pire au fascisme, au nazisme.

C’est celui qui le dit…

Si l’on s’en tient à la définition du Larousse on recensera bien des formes d’extrémisme. Au passage, hors du champ politique qui est celui de notre sujet, « défendre des positions radicales » peut s’avérer comme une qualité car la demi-mesure est souvent source d’échec. Mais même en matière politique ou économique le statu quo ou la demi-mesure peuvent être extrémistes : l’extrême mollesse irresponsable dont les exemples sont légion. Il est, aussi, des extrémismes conservateurs : ceux des autocraties politiques, c’est certain. Mais on peut en dire autant des choix monétaires installés (euro, émission monétaire par les banques, quantitative easing), du pédagogisme, du mode de rétablissement de l’ordre contre les gilets jaunes, des privatisations, de l’ouverture des frontières, du mondialisme, du centralisme fédéral bruxellois après le viol du referendum de 2005, du niveau des retraites et des taxes ? Qui peut démontrer qu’il ne s’agit pas d’un « comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie » (Larousse) ? Certes toutes ces mesures ou presque sont choisies par des autorités légales à défaut d’être toujours légitimes, mais cela suffit-il à éviter la qualification « extrémiste » ?

La terrible répression en Chine, mais aussi au Venezuela, à Cuba, est légale mais illégitime tant par son mode d’action que par sa « défense des positions les plus radicales d’une idéologie ». Le summum de l’hypocrisie est incarné par Jean-Pierre Raffarin qui déclare en avril 2017 : « Avant, on avait une menace Le Pen. Maintenant, on a deux extrémismes qui s’entendent un peu, parce qu[‘avec] le ni-ni, ils se confortent l’un l’autre : extrémisme de droite, extrémisme de gauche. Et donc c’est deux menaces. » Le nouvel ami du président n’a pas les mêmes élégances pour la Chine, dirigée par un dictateur à vie, et où des milliers de personnes sont exécutées chaque année. Le président de la Fondation Prospective et Innovation et du colloque économique franco-chinois annuel du Comité France-Chine est très lié au pays de Xi Jinping.

Mal nommer les choses…

La violence peut être légale et illégitime ; mais aussi inversement elle peut être illégale et légitime : c’est le cas pour certaines révolutions lorsque la majorité est opprimée par une minorité non élue ou mal élue. L’appel de Christchurch du 15 mai dernier lie terrorisme et extrémisme, ce qui est ambigu, tout en prenant soin d’associer le mot « extrémisme » au qualificatif « violent », et laisse ainsi penser qu’il peut y avoir un extrémisme non-violent. Qui est visé ?

Pour défendre les libertés menacées, il faut d’ores et déjà affirmer que le terme « extrémisme » devrait être strictement réservé au seul cas des idéologies et actions ayant pour objet ou pour effet d’instaurer ou de maintenir en place un régime non démocratique et autoritaire. A part quelques groupuscules d’extrême gauche qui rêvent encore du grand soir de la révolution prolétarienne et de dictature du prolétariat, qui en France mérite d’être dénoncé du mot « extrémiste » ?

Denis Lalanne, prince de l’ovalie

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denis lalanne dieu ramasse copies
Denis Lalanne. Wikipedia. Travail personnel.

L’ancienne plume de L’Equipe Denis Lalanne, 93 ans, est de retour sur les étals des libraires avec Dieu ramasse les copies (Atlantica), roman distingué par le jury du prix des Hussards.


 Légende de la presse sportive, prince de L’Equipe quand ce quotidien possédait encore un esprit et des plumes non goudronnées, intime d’Antoine Blondin et de Kléber Haedens, de Yannick Noah, Jean-Pierre Rives, des frères Boniface – auxquels il a consacré un petit chef-d’œuvre – et de tout ce que les terroirs d’Ovalie comptèrent de « saigneurs » et de beau linge au temps de l’amateurisme marron (à tel point qu’on lui décerna le titre de seizième homme du Quinze de France), patenté bouffeur d’herbe ayant traîné guêtres et crampons sur les plus prestigieuses moquettes de la planète (Wimbledon, Augusta National, Saint Andrews, Ellis et Eden Parks), Denis Lalanne a fêté ses 93 printemps le 1er avril dernier. Notre homme tient donc autant du bélier que du poisson : vaillant dans la mêlée, mais toujours le premier à en sortir le museau pour s’intercaler parmi ses trois-quarts avec le plus sûr instinct, vif-argent et gai cavalier. On appelle cela le french flair et Dieu sait qu’on nous l’enviait outre-Manche à l’époque où le rugby français possédait encore de l’imagination.

Troisième mi-temps, fourchette et descente de compète 

Bon pied, bon œil, notre Denis se défend aussi toujours au moment de la troisième mi-temps, fourchette et descente de compète (on a pu le vérifier récemment lors d’un amical déjeuner chez Vagenende où, délicate attention, il nous avait réservé la table d’Antoine Blondin, à qui, croyez-le ou non, il arrivait de manger), à l’image de sa plume, qui jette toujours sur la portée une petite musique qui emportera ses aficionados.

Denis Lalanne ou le dernier des Hussards de la première génération. Ceux de la dernière possédant désormais un prix, il était logique que son jury lui décerne le Shako 2019 pour Dieu ramasse les copies, émouvant roman paru chez Atlantica. « Il reste encore, et c’est tant mieux, des hommes ayant le souci de donner un coup de pouce aux espoirs », plaisantait le lauréat à la veille de la cérémonie de remise des prix au Lutétia.

Assez naturel aussi que ce nouveau devoir de français soit un roman de caps (des grandes espérances) et de plaies dans lequel un jeune d’Artagnan, Robert Gabault, d’abord connu sous le sobriquet de « Roro » puis, au soir de sa vie, du « Gab’ », Gascon d’adoption grandi entre Adour et gaves sous l’Occupation, fait un apprentissage express de cette pute de luxe qu’est l’existence.

Mark Twain, Margaret Mitchell et vents mauvais

Le Gab’ redescend maintenant la pente sur les collines de Ciboure, au pied d’un vieux bouleau plus fourbu que lui, sur un air d’Yves Montand : souvenirs et regrets… Printemps d’une vie très occupée, songes à son hiver, sans correction (on laisse cela au Tout-Puissant) : Mark Twain, Trenet, bicloune sur le grand développement, sprints et course de haies, premiers béguins, rêveries de grand Sud à la Margaret Mitchell, et autant de vents pour s’emporter. Seulement ceux qui soufflent en France à ce moment-là tourbillonnent sec.

C’est la première partie du livre, le temps des copains et des petites aventures, l’ordinaire au rutabaga oublié un soir de fiesta avec un chapon tombé du ciel, dont la découpe offre des pages aussi tendres et savoureuses que le volatile sortant doré du four. Mais subitement, l’horizon, déjà vert-de-gris, vire au gris foncé. Le destin ouvre des gouffres. La faute, entre autres, à un pauvre gus acoquiné avec les doryphores pour « faire chier le monde ». Les sanctions seront lourdes : double et triples peines pour tout le monde, chemin de croix des princes de Pau et de l’exil pour Robert.

Lacombe Lucien du Béarn

Baigné jusqu’alors dans une ambiance très Lacombe Lucien à la sauce béarnaise, le roman entame une grande vadrouille dans le sud-est asiatique : les brumes de la jungle indochinoise, très « schoendoerfferiennes », sont rehaussées d’une pincée de Chancel. Puis, c’est le retour dans un Hexagone des années 50 aux humeurs encore vagabondes, celui d’Air France et de Louison Bobet, des hussards et des pionniers de Cognacq-Jay. Robert Gabault se fait un nouveau copain en or massif, surnommé « Le Cosaque » (au plus sain esprit), à vrai dire une vieille connaissance, un de ces types que les Yankees qualifieraient de bigger than life, effectivement revenu de tout et surtout du pire. Sacré Yvon Matalin : celui-là, élevé au lait de tigre, « avec ses doigts gros comme les cigares à Churchill », on peut dire que c’est un vrai !

Roman d’apprentissage, Dieu ramasse les copies se veut aussi un livre de guerres, coloniales et intérieures. On y retrouve le style Lalanne, prenant le lecteur par l’épaule et l’on renoue avec toute l’effervescence d’une époque. On cravate des scotches avec le « Chinois » Lucien Bodard au bar de l’Intercontinental de Saïgon, on dîne à la table du général de Lattre, ou à la Coupole, dans l’ombre du quatuor chic et choc Morand, Nimier, Haedens et Blondin. L’auteur du Singe en hiver fait en fin d’ouvrage une nouvelle apparition et du rififi à Biarritz : pas le seul épisode du bouquin à ne pas strictement ressortir de la fiction ! Les admirateurs de l’Antoine savent qu’avec lui, tout commence et se termine par un ballon : de blanc, ovale ou de la maison poulaga. Le prince bayonnais Jean Dauger tient aussi sa place de titulaire dans cette belle équipe, inspectant à la saison des cèpes des lignes arrières connues de lui seul, le panier à la main.

Farces tragiques et fighting spirit

Tragiques farces du destin, dilemmes, lourds secrets, tous les abcès crèveront à coups de calottes et de marrons une nuit de furia sur le golf de Chiberta. Entre deux bunkers, comme de juste…

Fin de la récré et de la prolongation, on ne regarde plus par-dessus l’épaule du voisin, voilà l’heure d’afficher l’intégralité de la copie. Qui pour la ramasser ? Le Diable, hors de forme et laissé sur le banc, on s’en remet à Dieu, sélectionneur en chef passant sur son nuage dans un grand ciel bleu renaissant, lavé par les bourrasques du golfe de Gascogne.

A dire vrai, on avait aussi été soufflé lorsque Denis nous avait appris qu’il s’était remis à sa table de travail, il y a trois ans. « Que veux-tu, je ne peux plus faire mon parcours hebdomadaire sur les fairways de Biarritz, et les copains tirent un à un leur révérence[tooltips content= »Au moment où nous mettions la dernière main à cet article, nous apprenions le décès du grand Michel Crauste, à l’âge de 84 ans. Emblématique capitaine du XV de France, rugueux troisième ligne, Crauste, surnommé «Le Mongol», fut sacré champion de France à trois reprises avec le Racing et le FC Lourdes, dans les années 50 et 60. Denis Lalanne l’évoque avec tendresse dans plusieurs de ses livres. Celui-là aussi, c’était un vrai, un vieux et valeureux soldat des grands combats en bleu… « ]1[/tooltips]. Mais, surtout, je tenais à savoir ce que j’avais encore dans le ventre ». Quel exemple que cette démonstration de fighting spirit, vertu cardinale des natifs de la verte Erin, les grands habitués du tournoi des VI Nations le savent bien. Les spectateurs qui ont pu assister à un match de l’équipe nationale des deux Irlande dans l’antique arène de Lansdowne Road, à Dublin (où Denis Lalanne fit ses premières armes de globe-trotter, à l’hiver 1954) ont à jamais gravé dans la mémoire le chant que l’on entonnait là-bas, les jours de grand combat : Old Soldiers never die.

Les vieux soldats ne meurent jamais. Ni à Lansdowne Road ni à Aguilera.

Et les chœurs, irlandais ou basques, à l’esprit bagarreur, ça s’écoute le cœur au bord des lèvres, les yeux écrasant une larme, ça se reçoit cinq sur cinq, et ça ramasse un 18 ou un 20 avec les félicitations du jury.

Dieu ramasse les copies, Denis Lalanne (Atlantica, 2019)

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Le Temps des Boni, (La Table Ronde) est disponible en collection Petite Vermillon, tout comme Rue du Bac, splendide évocation des années Blondin et des Hussards, ou Le Grand Combat du Quinze de France, mythique reportage sur la tournée française en Afrique du Sud au printemps 1958, faisant désormais figure de classique de la littérature sportive.

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Alain Finkielkraut: le suicide de Notre-Dame

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Alain Finkielkraut ©Hannah ASSOULINE

L’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, mais une tentative de suicide. Confrontée aux cargaisons de touristes et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours. 


Un étudiant qui, sur le quai de l’Hôtel de Ville, regardait l’embrasement de Notre-Dame a confié à une journaliste du Monde : « C’est une part de moi qui s’effondre. » Catholiques ou pas, croyants ou incroyants, Français d’origine française ou Français de fraîche date, nous sommes nombreux à avoir éprouvé ce sentiment. Notre-Dame de Paris, nous n’y pensons pas tous les jours, mais cette cathédrale rehausse notre vie sur terre de sa beauté et de sa spiritualité.

Notre-Dame n’est pas une abstraction

« Notre-Dame, notre histoire », titrait Le Monde au lendemain de la catastrophe. Or, ce n’est pas faire injure à ce quotidien que de dire qu’il est l’un des organes les plus éloquents de la morale post-identitaire et postnationale. Au nom du « Plus jamais ça », cette morale a abandonné l’histoire pour les valeurs, l’identité pour l’universel. Le sociologue allemand Ulrich Beck formule sa devise en ces termes : « vacuité substantielle, ouverture radicale ». Et voici que les partisans de l’ouverture eux-mêmes redécouvrent les vertus de la substance. Notre-Dame n’est pas une abstraction, c’est un vestige palpable du passé que nous ne supportons pas de voir disparaître. La civilisation s’incarne dans les choses.

A lire aussi: Alain Finkielkraut sur l’incendie de Notre-Dame

Nous ne sommes pas seulement des travailleurs et des consommateurs pour qui la vie est le souverain bien, nous sommes des habitants. Portés par l’idéal d’abondance, nous avons aussi besoin pour vivre humainement d’un monde. Qu’est-ce que le monde ? C’est, comme l’écrit Paul Ricœur, « l’ensemble des objets durables qui résistent à l’érosion du temps ». Et au moment de rebâtir l’édifice endommagé, la « start-up nation » redécouvre les métiers ancestraux : tailleur de pierre, maçon, charpentier, couvreur…

Notre-Dame 2024

Mais, pour que l’émotion qui nous étreint aujourd’hui soit suivie d’effet, il faudrait que la politique s’assigne à nouveau pour tâche, face à l’enlaidissement généralisé, de rendre le monde habitable. Or, aujourd’hui, ce qui tient lieu de politique c’est, toutes tendances confondues, la gestion du processus vital de la société. À voir les élus déshabiller les centres-villes au profit de zones commerciales hideuses et transformer, avec les monstres vrombissants que sont les éoliennes, la campagne en paysage industriel, on se rend compte que l’habitabilité n’est pas leur problème. Et la maire de Paris donne l’exemple : non contente de saccager la capitale par la multiplication insensée de chantiers sans ouvriers, elle promet que Notre-Dame de Paris sera fin prête pour les Jeux olympiques de 2024. Anne Hidalgo, en effet, joue la carte du tourisme. Le patrimoine se réduit pour elle à la mobilisation comptable de tout ce qui est comme richesse économique dans la compétition planétaire. On était sorti par la stupeur et la douleur de l’univers de la consommation : elle nous y ramène.

L’art contemporain est la négation de l’art moderne

Une autre menace plane sur la cathédrale dévastée : celle d’une reconstruction selon les critères de l’esthétique contemporaine. L’art contemporain, en effet, n’est pas, comme il le prétend, la négation de l’académisme. Il est la négation de l’art moderne : avec leurs performances idiotes, leurs jouets criards ou leurs installations à message, les artistes auxquels le marché décerne le label « contemporain » ne poursuivent pas l’histoire de la beauté, ils l’achèvent. Paul McCarthy et Jeff Koons sont les liquidateurs et non les continuateurs de Picasso, de Matisse ou de Paul Klee, et qui a envie de voir un vagin de Marie au sommet de Notre-Dame ? Quant aux architectes contemporains, ils se moquent (à quelques rares exceptions près) du génie des lieux. La convenance est le cadet de leurs soucis. Ce qu’ils veulent, c’est apposer leur signature. La pyramide du Louvre – cette tente en verre – est un aérolithe chu d’un désastre obscur. On s’y est habitué, c’est vrai, mais depuis quand l’habitude est-elle une valeur esthétique ?

L’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, c’est une tentative de suicide. Confrontée aux cargaisons de touristes et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours. Si nous ne savons pas nous montrer dignes du malheur qui nous frappe, elle recommencera.

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« Négationnisme climatique », ça ne vous choque pas?

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Martine Aubry et Claire Nouvian lors d'un meeting des "jeunes socialistes" à Lille, mars 2019. ©Sarah Alcalay/SIPA / 00900439_000018

C’est la dernière invective à la mode: « négationniste climatique ». Des militants écologistes l’utilisent, non pour dénoncer ceux qui contestent le réchauffement climatique, mais pour disqualifier ceux qui ne pensent pas comme eux quant à ses causes. La science n’a pas besoin de ça. 


Les campagnes électorales sont souvent l’objet de raccourcis, d’anathèmes, de joutes verbales, d’impolitesses, de quolibets, mais il arrive néanmoins que certains mots choquent, c’est ainsi que j’ai lu, venant d’une écologiste politique convaincue, l’injure suprême vis-à-vis de ses contradicteurs de « négationniste climatique ».

La dérive des mots

La dérive des mots a déjà conduit à généraliser le mot « génocide » pour des conflits interethniques, mais il me semblait que, depuis une quarantaine d’années, le négationnisme était réservé à la contestation du massacre des juifs par les nazis.

A lire aussi: Elisabeth Lévy – Affaire Nouvian: comment on fabrique une victime

Que l’on se permette d’accoler « climatique » laisserait croire que ceux ou celles qui poseraient des questions sur le « réchauffement climatique » devraient bientôt être lynchés après un passage rapide à un nouveau tribunal de Nuremberg : c’est aller vite en besogne et c’est surtout se tromper de cibles.

Nier la mort atroce de six millions de juifs et de la volonté du pouvoir nazi d’éradiquer cette « race » est d’abord stupide, mais les responsables politiques ont souhaité en punir l’expression pour lutter contre la résurgence de l’antisémitisme et empêcher des rassemblements néo-nazis. Le sujet traité est donc celui d’une observation impossible à contester qui peut donner lieu à l’émergence de sectes dangereuses.

La science de l’interprétation

Concernant le climat, on ne parle pas d’observations comme « il pleut ou il neige », ou « le soleil est plus chaud cet été », « on manque d’eau pour les cultures »… ce sur quoi des instruments de mesure peuvent rapidement conduire à une évidence , mais de données forcément partielles permettant de conclure à un dérèglement climatique ou à un réchauffement de la planète dont la poursuite menacerait la poursuite de la vie humaine dans un grand nombre de régions. On passe donc de l’observation de phénomènes comme la fonte des glaciers (et bien d’autres, bien sûr), à l’interprétation de ces évidences. On rentre dans un processus scientifique qui peut conduire à des opinions différentes sans que les observations soient niées, ce qui serait avant tout stupide.

Les débats, car il y a débat, portent d’abord sur la généralisation du concept de réchauffement qui, en l’absence de capacités à placer des capteurs de température partout, nécessite de théoriser l’existence d’une température moyenne de la Terre. Ce premier concept ne va pas de soi, mais surtout peut conduire à différentes théories sans que l’observation (insuffisante par essence) puisse départager les scientifiques. Certains territoires vivent un réchauffement, d’autres une augmentation des sinistres causés par la nature. On veut à la fois comprendre et prévoir, autrefois on interrogeait les dieux, maintenant on questionne la science, et des scientifiques répondent.

Les militants du climat ne sont pas des écologistes

C’est alors que les difficultés surviennent. Quand certains insistent sur les cycles naturels de la planète en remontant très loin dans le temps, d’autres veulent trouver des réponses sur une plus courte période, qui commence avec les observations précises, c’est-à-dire à partir d’environ 1880. Pour répondre aux « consommateurs » de science, ils sont à la fois sommés de trouver des coupables et de prédire, ce qui les conduit à bâtir des modèles dont ils affirment la pertinence en multipliant les indices. La partie la plus intéressante de ces modèles est, bien évidemment, celle qui prédit des catastrophes et qui interroge la façon dont les humains se servent de la planète.

L’urgence climatique telle qu’elle est criée par les nouveaux prophètes est donc à la jonction de deux aspirations : comprendre et prévoir le futur de territoires qui évoluent et défendre des milieux naturels dévastés par le gaspillage de la société dite de consommation.

A lire aussi: Climat: les missionnaires de l’Apocalypse

L’écologie, quant à elle, étudie la nature, la vie, et cherche à employer au mieux les sciences et les techniques pour préserver nos ressources. L’écologie politique dénonce les dangers encourus par les humains sur une planète qui se déglingue et va se désintégrer.

Les militants du climat insistent sur les périls et manipulent la peur, les écologistes veulent préserver pour les générations futures les trésors que fabrique la vie.

Pour les premiers, le climat est devenu le grand cheval de bataille, avec un zeste de nucléaire, une pincée de glyphosate, une pale d’éolienne, ils plaident pour un ordre mondial du « bien », une éradication des mal-pensants. La notion de « négationnisme climatique » vise à jeter un anathème définitif sur ceux qui ne partagent pas leur opinion. Ils en appellent au consensus scientifique de milliers d’experts dont ils interprètent à leur façon les rapports et commentaires. Le consensus scientifique peut exister sur la pertinence d’une observation : « les glaciers des Rocheuses au Canada fondent », pas sur une théorie en train de naître. Galilée est esseulé lorsque qu’il dit que la Terre est ronde et tourne, 10% de Français affirment encore qu’elle est plate alors que les images prises à partir de l’espace  montrent clairement sa rotondité. La science a progressé grâce à des hommes seuls qui  énonçaient à partir d’une observation une théorie que tous les autres contestaient (prenons Pasteur par exemple). Il n’y a donc pas « consensus » sur le climat, pas plus sur le réchauffement que sur son caractère anthropique ou sur les prévisions de cataclysme, et il ne peut pas y en avoir car il suffirait d’un seul qui soit en désaccord pour qu’il ait une chance d’avoir raison comme Galilée hier et comme Einstein beaucoup plus tard sans oublier Léonard de Vinci. Nier que la Terre est ronde est avant tout stupide, s’interroger sur le climat est légitime, la nature est complexe, la vie est une grande inconnue et la science n’apporte que des réponses parcellaires sur un passé mystérieux et un futur inconnu.

Pour les écologistes, dont l’émergence a commencé dans les années 70, l’évolution des sociétés industrielles pose une question essentielle : quelle Terre laisserons-nous à nos enfants ? Le péril nucléaire de la guerre froide, la course aux armements, la consommation effrénée des pays développés, les pans entiers de la nature dévastés, les grands lacs américains pollués, les modifications des territoires dues à l’extraction des matières du sous-sol… ont fini par donner le tournis et ont conduit beaucoup de scientifiques à demander une meilleure utilisation de nos ressources, la fin des gaspillages, le recyclage des produits usagés, donc une prise en compte de l’environnement par une discipline individuelle de citoyen du monde.

Les jours d’après

C’est de cette prise de conscience que sont nées la plupart des grandes avancées qui se traduisent par une meilleure appréciation de notre responsabilité dans l’usage de la nature. Les conflits peuvent apparaître à cet égard, puisque tout est affaire de compromis : il faut de l’énergie pour vivre, mais la consommation d’énergie affecte notre environnement. Reste qu’on perçoit désormais partout la nécessité impérieuse de ne pas faire n’importe quoi n’importe où. Pour cela il n’est pas nécessaire d’alimenter des peurs et de lancer des anathèmes, il suffit d’aimer la vie et de vouloir la transmettre.

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L’idée que l’on puisse, au nom de la science, lancer le concept de « négationniste climatique » m’apparaît donc dramatique car le terme revêt au contraire un caractère idéologique. L’observation scientifique peut mesurer le gaspillage, la science peut trouver des solutions pour le restreindre puis l’éradiquer, mais la science ne peut pas dire de quoi demain sera fait. Peut-être nos petits-enfants auront-ils trop chaud, peut-être auront-ils trop froid, nous n’en savons rien. Ce que nous savons c’est qu’ils seront plus heureux dans un monde qui pratique le dialogue et la bienveillance plutôt que l’invective et l’anathème.

Une cochonne à la Rencontre des musulmans de France

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©Stuart Forster/REX/Shutterstock/SIPA

Qui a dit que les musulmans n’étaient pas ouverts au changement? Peppa la cochonne et sa maîtresse voilée font bouger les mentalités…


Le week-end de Pâques, les « Musulmans de France » (ex-UOIF) ont organisé leur traditionnel grand raout du Bourget. Comme à la Samaritaine, on y trouve de tout : de la restauration rapide hallal, des tenues de mariées, quelques librairies islamiques et même un stand d’« écodjihad » axé sur la défense de l’environnement. Mais, cette année, un personnage inattendu a fait tourner les têtes : une truie promenée en laisse !

« C’est un cochon hallal ? »

Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une provocation identitaire, la maîtresse de l’animal étant une musulmane voilée de stricte observance. Un coup d’œil sur le programme du rassemblement nous apprend que la cochonne se prénomme Peppa et loge à la ferme écologique La Francilienne, représentée au salon par une petite ménagerie. Questionnée par un quidam amusé (« C’est un cochon hallal ? Il est venu se convertir ? »), l’une des fermières explique « essayer de déconstruire les représentations stéréotypées que les musulmans ont envers le cochon. On ne doit pas le manger, mais ça reste un animal que Dieu a créé ». Courageuse profession de foi ! Car contrairement à l’alcool, promis aux élus du paradis, le cochon pâtit chez la majorité des musulmans d’une mauvaise image associée à la saleté.

La cochonne oui, le porc non

De son propre aveu, l’agricultrice convertie à l’islam a essuyé des quolibets (« C’est la honte ! N’importe quoi ! Le foulard et ça à la main, ça ne va pas ! »), malgré ses justifications : « Dans un système écologique, il a tout à fait sa place dans la mesure où il permet de réduire le gaspillage alimentaire. Il absorbe une matière organique énorme, parce qu’il mange beaucoup. Et c’est une force de travail aussi parce qu’il laboure énormément la terre… »

En attendant que Peppa devienne la mascotte du Bourget, un porc présumé, naguère habitué du salon, a brillé par son absence : Tariq Ramadan !