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Affaire Nouvian: comment on fabrique une victime

La militante diffuse un montage bidon mais les fact-checkeurs veillent


Affaire Nouvian: comment on fabrique une victime
©Capture d'écran Dailymotion

Pour se victimiser, la militante écologiste, Claire Nouvian, diffuse un montage bidon de son passage dans l’émission de Pascal Praud sur CNEWS. Heureusement, les fact-checkeurs veillent.


Pardonnez-moi, chers lecteurs, mais pas moyen d’y échapper. Maintenant que nombre de belles personnes ont donné par voie numérique leur avis (le même à quelques exceptions près) sur l’affaire Nouvian, exprimé leur solidarité dans l’épreuve et leurs souhaits de prompt rétablissement à l’infortunée victime de ma méchanterie et de celle de Pascal Praud, je me sens presque sommée d’y aller de mon commentaire. Le premier étant qu’une embrouille de cour d’école médiatique peut devenir une affaire d’Etat, ce qui infirme le diagnostic optimiste du sociologue Philippe d’Irribarne qui conclut, de « l’effet Notre-Dame », que « les Français refusent l’insignifiance comme seul horizon ».

Les malheurs de « Martine » Nouvian

Pendant trois jours, les malheurs de Martine, qui en l’occurrence s’appelle Claire, ont fait l’objet de très nombreux articles, ils sont traités en prime time par les frères ennemis du PAF, Yann Barthès et Cyril Hanouna et surtout, ils ont suscité des torrents de tweets, l’outrage ayant même été, me susurre-t-on, en tête des TT durant plusieurs heures – je blague, moi aussi je sais ce que trending topics veut dire : que des milliers de gens ne prenant nullement la peine de s’informer se sont sentis héroïques en hurlant et en dénonçant avec la meute. Au cas où certains asociaux, parmi vous, auraient préféré se livrer à des activités réactionnaires comme la lecture, les disputes entre amis ou d’autres, moins avouables publiquement, un petit rappel des faits s’impose.

Lundi 6 mai au matin, avant l’émission de Pascal Praud sur C News à laquelle je participe, je fais la connaissance au maquillage d’une charmante jeune femme, colistière de Raphaël Glucksmann pour Place publique, avec laquelle j’échange quelques amabilités. Je ne crois pas partager une seule de ses idées, mais je me dis qu’il faut du courage pour se lancer dans la bataille politique. Certes, je tique un brin quand elle me dit, avec un ton de maîtresse d’école légèrement pète-sec : « Je suppose que vous avez l’intention de parler de l’IPBES ? », mais j’attribue cela à la nervosité d’avant-émission et lui réponds gentiment que ce n’est pas moi qui fixe le menu.

Claire Nouvian outragée, brisée, martyrisée…

Très vite, la cheftaine-écolo montre qu’elle n’est pas venue discuter mais prêcher, convaincue qu’elle est de détenir la vérité. Dès ses premières interventions, elle s’alarme de savoir s’il n’y aurait pas d’affreux climato-sceptiques dans le coin, idée qui semble l’épouvanter autant que si on avait invité des nazis. Alors que je tente de lui faire remarquer que le terme « sceptique » ne devrait pas être une insulte et que, par ailleurs, le consensus sur la réalité du changement ne saurait être étendu à l’ensemble des discours qui l’accompagnent (je dis ça moins bien mais c’est l’idée), elle s’emporte, se prend la tête entre les mains, se demande si elle est tombée dans une émission de réactionnaires (ce qui n’est guère aimable pour mes camarades). Ce numéro de victime outragée se révèlera a posteriori très efficace mais sidère tout le monde sur le plateau.

C’est sans doute la première fois que la dame, qui confirme modestement le titre de « Prix Nobel d’écologie » dont la gratifie un téléspectateur, se trouve confrontée à des gens qui ne pensent pas la même chose qu’elle. Et elle n’apprécie pas du tout l’expérience. Elle tempête, me traite de « tarée » et de « dingue », gentillesse que je finirai par lui retourner (« dingue », pas « tarée »). Qu’on se rassure, je ne me sens ni humiliée ni traumatisée, je n’ai nullement l’intention d’en appeler à môman CSA ni de prendre à témoin toute la planète de mon malheur. Surtout, elle n’en démord pas : elle entend empêcher toute contradiction. Son comportement finit par faire exploser Pascal Praud qui lui rappelle que, dans son émission, toutes les opinions peuvent s’exprimer et, dans la colère, prononce le mot « hystérique ». Mue par un réflexe pavlovien qu’elle saura titiller chez ses partisans, elle triomphe : « C’est parce que je suis une femme ». Avec ce raisonnement, le terme « hystérique » devrait être banni à propos des femmes, ce qui reviendrait à en faire un qualificatif sexiste, puisque réservé aux hommes.

Autant dire que notre sauveuse de la planète a pourri l’ambiance. Toutefois, grâce aux interventions pacificatrices de Michel Chevalet, Frédéric Dabi, Bernard Debré, Gérard Leclerc et Jacques Séguéla, la tension redescend. Pas de quoi fouetter un ours blanc : on n’est pas d’accord, on se dispute, le ton monte, on laisse échapper des noms d’oiseaux et, la plupart du temps, on se sépare bons amis et on oublie. Du reste, tout le monde se salue courtoisement à la fin de l’émission.

Video killed the radio star

Alors que nous sommes en plein lancement de REACnROLL, l’incident me sort de la tête. Pas de celle de la gracieuse Nouvian qui entend en tirer tout le parti possible. Le lendemain, dans les couloirs de C News où je viens débattre avec l’excellente Catherine Tricot, un camarade me glisse, affolé : « Vous vous faites cartonner sur les réseaux ! ». « Que veux-tu que ça me fasse ? » Je trouve très amusant le hashtag « je suis folle de rage » lancé par la victime parce que moi, quand je suis folle de rage, ça me rend hystérique. J’en profite tant qu’on a le droit d’utiliser ce mot dont l’amie Sophie Obadia, avocate de son état, m’informe qu’aux Etats-Unis, il est désormais assimilé à une injure, donc banni.

C’est seulement le mercredi, deux jours après l’émission, que je découvre le pot-aux-roses. Jean-Baptiste Roques, l’un des piliers fondateurs de REACnROLL me signale que c’est un montage vidéo réalisé par son parti, Place Publique, qui a déclenché une véritable émeute numérique.

Or, ce montage est un bidonnage. Bizarrement, je me fiche des insultes mais la malhonnêteté me rend, pour le coup, folle de rage. Notre donneuse de leçons scientifique a tout simplement fait fabriquer un faux pour passer pour une victime et faire du buzz. En effet, la vidéo que son porte-parole a postée et sur la foi de laquelle des centaines de couillons, tout heureux de jouer les redresseurs de torts à bon compte, se sont fendus d’une dénonciation au CSA, est une réécriture proprement stalinienne de l’incident, puisque sa propre responsabilité (totale dans la montée aux extrêmes) est proprement effacée et qu’elle y apparaît comme une malheureuse agressée sans raison. Quand on a vécu la scène en direct, ce numéro de petite chose fragile est assez cocasse.

Il peut arriver à tout le monde d’être de mauvaise foi dans la discussion, mais Claire Nouvian, après avoir quitté le plateau, a soigneusement sélectionné les extraits avant de les monter : c’est donc en toute conscience qu’elle trompe le public, à commencer par ses sympathisants. Qu’une femme qui brigue les suffrages des électeurs emploie ce genre de méthodes devrait la disqualifier, a fortiori quand elle a des prétentions scientifiques qui devraient lui interdire de trafiquer les faits. J’adresse un message étonné à Raphaël Glucksmann, convaincue qu’il n’a pas pu se prêter volontairement à une telle manipulation. Il n’a pas trouvé le temps de me répondre, sans doute était-il trop occupé à rappeler à sa colistière les règles élémentaires de l’éthique.

Aubry, Hidalgo, Vallaud-Belkacem premières sur l’infaux

Cette tempête dans un verre d’eau médiatique a tout de même fait beaucoup plus de vagues cette semaine que la crise iranienne, et elle pourrait en faire encore. Raison pour laquelle il faut peut-être s’y intéresser de plus près.

Comme toujours, ce sont les réseaux sociaux qui ont transformé une partie du public en meute ivre de sa bonne conscience. Claire Nouvian joue les cruches qui ne savait pas que, dans une émission de débat, on est exposé à la divergence, mais pour lever sa petite armée de supporters, elle a fait preuve d’un talent certain pour l’agit-prop numérique, accompagnant son faux grossier d’une petite vidéo bouleversante. Le ban et l’arrière-ban de la gauche tweeteuse, avec en tête la sainte-Trinité des femmes (Martine Aubry, Anne Hidalgo, Najat Vallaud-Belkacem), trouvant dans la violence faite à Claire la confirmation de sa vision d’un monde partagé entre gentils et méchants et de sa certitude d’appartenir pour l’éternité au bon camp, proclame #jesuisfollederage. Je ne saurais imaginer que de respectables élus diffusent un bidonnage en connaissance de cause parce qu’il sert leur idéologie. Reste que, répétée des milliers de fois par des gens convaincus qu’à eux, on ne la fait pas, la fake news de l’agression anti-Nouvian est devenue une vérité.

Heureusement, les fact-checkeurs veillent !

Je dois toutefois faire amende honorable sur un point. J’ai eu tort de désespérer du journalisme – et peut-être même de me moquer des décodeurs car ce n’est pas la première fois qu’ils me sauvent la mise en rétablissant la vérité. Ce sont les médias que l’on dit aujourd’hui mainstream, en clair la presse de gauche, qui ont débusqué le mensonge de Claire Nouvian. Grâces soient notamment rendues aux fact-checkeurs de Libération et du Monde (je ne pensais pas écrire un jour une telle phrase) ainsi qu’aux journalistes de Marianne qui ont réalisé leur propre montage pour combler les trous de la version truquée.

Même sur France Culture (c’est une blague !), la chroniqueuse est convenue qu’après visionnage de l’émission, la victime ne l’était peut-être pas tant que ça.

Je m’interroge cependant sur un commentaire récurrent de mes estimés confrères. Ce déplorable incident serait le fruit de la « culture du clash » favorisée par des chaînes de télé avides d’audience. Si les journaux ont publié autant d’articles sur l’affaire Nouvian et, dans un genre plus familial, sur le royal baby, ce n’est évidemment pas pour faire de l’audience mais dans le noble souci d’informer le public. Passons. En réalité, les dirigeants de chaîne détestent ces incidents, porteurs de bad buzz.

Taisez-vous ou je vous clashe !

Surtout, on se demande si, a contrario, les contempteurs de la « culture du clash » voudraient nous faire adopter une culture du consensus. Certes, le terme « clash » vise d’abord la forme. Sur certains plateaux, comme dans certaines discussions entre amis, les affrontements sont moins feutrés que dans un colloque universitaire. On s’énerve, on se coupe la parole, on se balance une vacherie, et puis on se reprend, on argumente, on cède, on entre dans les raisons de l’autre. Et c’est ainsi qu’au-delà de ses divergences, on reconnaît appartenir au même monde. Alors, sans doute serait-il préférable de toujours se dominer et de ne jamais céder sur la courtoisie, mais la colère est humaine. Et peut-être le risque du clash est-il la contrepartie de la liberté de ton.

Reste à se demander pourquoi la question du climat suscite aujourd’hui chez ceux qui prétendent alerter à son sujet une telle exigence d’unanimité. Comme l’a noté Pascal Praud, il y a quelque chose de « suspect » dans cette rage de faire taire ses contradicteurs. La vérité dont ils se disent détenteurs est-elle si fragile qu’elle ne puisse souffrir aucune objection, aucune question ? Peut-être le problème vient-il plutôt du fait que le climat ne relève plus de la seule science, il est devenu une « grande cause » à laquelle de nombreux militants et professionnels ont lié leur existence. Le discours apocalyptique qu’ils tiennent en toute occasion est en quelque sorte la justification de leur engagement.

Les croisés du climat

On me dira qu’on ne discute pas avec des gens qui pensent que la Terre est plate. Certes, mais on contre leur éventuelle influence par l’argumentation et la démonstration, pas par l’anathème. De plus, très peu de gens (et pas votre servante) contestent la réalité du changement climatique. Mais les croisés du climat entendent étendre le domaine de l’incontestable à l’ensemble de leur discours. Or, celui-ci, dans sa radicalité, pousse plutôt à l’inaction qu’à la mobilisation. En effet, ils nous expliquent en substance que, si nous ne cessons pas immédiatement d’émettre du CO2, donc d’utiliser des énergies fossiles, nous allons détruire la planète et l’humanité avec. Sauf que, si nous le faisons, nous détruirons les sociétés humaines et pas seulement les nôtres, mais aussi celle de tous les pays qui travaillent aujourd’hui pour la consommation européenne et américaine. Nous ne changerons pas nos modes de production et de consommation en dix ans en créant des fermes solaires et des parcs d’éoliennes. De plus, voilà quarante ans qu’on nous vante les charmes, et même la supériorité morale, de la mobilité. Il faudra plus que les vidéos de madame Nouvian pour faire de la sédentarité un impératif civique.

Le climat de la liberté

En attendant, il y a un combat encore plus urgent que celui du climat, c’est celui de notre liberté. Dans sa dernière production, Claire Nouvian, vidéaste endiablée, demande que l’on fasse « condamner le négationnisme climatique à la télé ». Nous y sommes. Le choix des mots est éloquent : il s’agit d’appliquer à ceux qui enfreignent la doxa climatique le traitement prévu par la loi Gayssot (laquelle s’avère décidément funeste) pour les négationnistes de la Shoah. On les fait taire. Avec le succès que l’on sait s’agissant des négationnistes et des antisémites qui se planquaient derrière eux. Sous prétexte que l’on a maladroitement voulu protéger une vérité historique, on voudrait maintenant soustraire à la critique, non seulement un discours scientifique, mais aussi l’ensemble des conclusions politiques qui en sont tirées. Et après, que proposera Claire Nouvian ? Que l’on prive de leur droit de vote les adversaires de la PMA ? À ce régime de substitution de l’interdit à la controverse, je ne sais pas s’il restera des ours blancs, mais l’humanité sera bientôt revenue au niveau culturel des singes.

Une semaine après les faits, Libération nous apprend que « Claire Nouvian garde la pêche ». Tant mieux. Elle a raison. Tout le monde connait désormais son nom et son visage. Avoir été victime de Pascal Praud (et plus modestement de ma pomme), quel titre de gloire ! À cynique, cynique et demie : qu’elle me permette de la remercier pour le coup de pouce donné au lancement de REACnROLL.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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