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Bret Easton Ellis revient et il n’aime pas son époque

Son nouveau livre "White" dégomme la génération du millénaire


Bret Easton Ellis revient et il n’aime pas son époque
Bret Easton Ellis. Auteurs : BALTEL/SIPA. Numéro de reportage : 00606642_000013

Bret Easton Ellis publie White, un essai décapant, teinté d’ironie voltairienne, chose rare de nos jours, sur l’état de la société occidentale. Le problème est posé, il est crucial : « Le plus grand crime perpétré dans ce nouveau monde est l’éradication de la passion et la réduction au silence de l’individu. » C’est Pascal contre Descartes devenu dingue.


L’auteur du best-seller, American Psycho, avec son personnage psychopathe, Patrick Bateman, lâche une bombe portative. Mais il est peut-être trop tard pour sauver la liberté de penser.

Ils ont eu notre liberté de pensée

Le lavage des cerveaux a commencé, la grande lessiveuse tourne à plein régime. La génération des milléniaux, comprenant toute personne née entre 1980 et 1999, impose la culture binaire du « j’aime » « j’aime pas », effaçant du même coup les échanges, les discussions contradictoires, explosant les personnalités duales, complexes, bigarrées. D’un seul tweet, le millénial te met hors jeu social. Pire, il peut te faire perdre ton job.

Gare à toi, si tu ne penses pas comme ton voisin d’ordinateur. Tu seras victime d’un ostracisme définitif. Et fais attention à ne pas l’agacer en lui disant qu’il peut avoir tort. La raison du plus grand nombre à toujours raison. Le millénial, toujours en bande, pour se rassurer, s’emporte rapidement, tape du pied, pique une énorme colère. C’est un pleurnichard, pour reprendre l’expression de BEE. Son système mental est fragile. Il devient vite hystérique, et demande à la foudre (les réseaux sociaux) de te réduire en cendres. Il se victimise dans le but de protéger le groupe auquel il appartient.

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La génération X, celle de BEE, regarde hébétée le développement inouï de cette violence qui n’est pas sans rappeler la violence totalitaire. BEE va plus loin et part en guerre contre ce conformisme mortifère. C’est courageux, car il risque d’être poussé vers les oubliettes où croupissent les politiquement incorrects, les « grandes gueules », les atypiques, ceux qui ont été frappés d’indignité sociale en quelques secondes. Taxé de racisme ou de misogynie, et hop, disparition immédiate.

Ne soutiens surtout pas les gilets jaunes, lis Fred Vargas, regarde « Game of Thrones », roule en trottinette, flanque à la poubelle tes CD de Michael Jackson, dégueule sur Trump devant ton assiette de chou kale, milite en faveur du bien-être du poussin, mais ne t’avise pas de dénoncer les moutons égorgés dans des hangars désaffectés, sans avoir été étourdis au préalable, comme le voudrait le respect que nous devons aux animaux, etc.

L’art en danger de mort

BEE est un écrivain qui pense, et ça fait du bien. C’est rare en ces jours moroses où l’on se caille malgré le réchauffement climatique dû à l’homme, il paraît… Il démontre que c’est l’art qui est en danger de mort. Car un artiste, par définition est un type seul, oui seul, unique, oui unique, qui se méfie, avec l’instinct du fauve, de toute idéologie, ayant pour valeur première l’esthétisme. Mais qui se soucie de la musicalité d’une phrase, de la vibration d’un tableau, de la mélancolie d’une voix sous le plafond de Chagall ? Le premier imbécile venu balance un texte de deux lignes sur les réseaux sociaux et il se déclare aussitôt écrivain, journaliste, penseur ou je ne sais quoi tellement la confusion est totale. Il y va de son couplet sous moraline, et guette fébrile le nombre de likes. Ah, le culte du like. Le béotien s’érige en procureur d’internet, et dénonce les vrais artistes avec le sérieux du crétin qui sait tout sur tout.

Or l’art ne devrait jamais nous offenser, comme le souligne BEE qui ajoute : « Je n’ai jamais été offensé parce que j’avais compris que toutes les œuvres d’art sont un produit de l’imagination humaine, créées comme tout le reste par des individus faillibles et imparfaits. Que ce soit la brutalité de Sade, l’antisémitisme de Céline, la misogynie de Mailer ou le goût pour les mineures de Polanski, j’ai toujours été capable de séparer l’art de son créateur et de l’examiner, de l’apprécier (ou pas) sur le plan esthétique. » Et quand un journaliste demande à BEE s’il pourrait, en 2019, publier American Psycho, sa réponse fuse sans la moindre hésitation : non ! La régression est glaçante.

Fossilisation neuronale

C’est donc la mort de la liberté de créer. Créer exige d’aimer l’ambiguïté, rappelle BEE. Il faut être capable de se retrouver dans la peau de quelqu’un d’autre, d’un monstre, d’une bête étrange, de s’éloigner de sa zone de confort, « d’être secoué », pour quitter l’enfance et devenir enfin adulte. BEE, encore : «  Cela m’a poussé loin du narcissisme de l’enfance et vers les mystères du monde – l’inexpliqué, le tabou, l’autre – et m’a rapproché d’un lieu de compréhension et d’acceptation. » C’est l’apprentissage de la tolérance. Sinon, sous prétexte de défendre des idées progressistes, d’aimer tout le monde alors que tu n’aimes que toi dans le miroir de ton ordinateur, tu marginalises les aventuriers de la pensée, tu les pousses à la soumission, ou au silence. Tu es fasciste.

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Les gens de gauche semblent les plus enclins à accepter cette fossilisation neuronale. BEE note : « La gauche était en train de se métamorphoser, de devenir quelque chose qu’elle n’avait jamais été au cours de ma vie : un parti autoritaire, intolérant, moralement supérieur, déphasé, privé d’une idéologie cohérente (…). La Gauche était devenue une machine enragée, qui se consumait : une bulle qui se dissolvait. » En France, elle a éclaté. Mais certains de leurs représentants ont été recyclés et agissent toujours avec zèle.

Liberté en danger

Il se fait rare l’artiste qui ose dire ce qu’il pense, sans précautions identitaires, quitte à foutre le feu au cirque médiatique. Il en existe bien encore deux ou trois, en France, dans le Loiret, ou face au golfe pas très clair de Saint-Tropez, qui agitent les consciences, n’acceptent pas de présenter leurs excuses quand ils ont gueulé trop fort dans le mouroir culturel où nous avançons tels des zombies. Et quand ils auront disparu ? demande l’intraitable Antigone. Le dernier mot de White est « liberté ». BEE a écrit ce livre qu’on n’espérait plus en voulant sauver la liberté. Je crains que cela ne serve à rien. La liberté n’intéresse plus personne. Elle exige trop de courage.

Bret Easton Ellis, White, Robert Laffont.

White - édition française

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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