Accueil Site Page 93

Combler la faille?

0

Elias, jeune ingénieur sous-marinier en passe d’intégrer une vaste organisation associant plusieurs pays nordiques pour s’inquiéter d’une faille océanique en dangereuse expansion, se fait allumer par une fille – « alors, tu as envie d’explorer ma faille ? », – se laisse prendre aux filets de l’amour, et finit par mettre en cloque malgré lui son Anita chérie. Avorter ou pas ? Lui n’est pas prêt du tout à s’embarrasser d’un mouflet à élever ; elle pleure à l’idée de s’ôter son fœtus de deux mois. Mais fait mine de se laisser convaincre. Le couple Elias/Anita ne résiste pourtant pas à cette épreuve, et part à vau l’eau. A chacun sa vie.

12 ans plus tard…

Filant la métaphore de la faille, Eternal emprunte les chemins de la science-fiction pour téléporter nos ci-devant tourtereaux quelque douze ans plus tard (au reste campés par deux autres comédiens pas franchement ressemblants à leurs doubles juvéniles), Elias devenu le commandant des périlleuses expéditions en sous-marins de poche dans les abysses, avec mission de cimenter si possible la fameuse faille aux moyens de drones télécommandés ; Anita ayant refait sa vie avec un autre homme, dont elle semble avoir eu un fils.

A lire aussi: Tant qu’il y aura des films

Au risque de déflorer, si l’on ose dire, cette double matrice (quelque peu fastidieuse dans son insistance allégorique, prévisible et redondante à l’excès), votre serviteur ne résiste pas à vous révéler le secret de polichinelle qui fonde le laborieux parallèle mis en œuvre par Ulaa Salim, cinéaste danois âgé de 38 ans, dont c’est le deuxième long métrage après Sons of Denmark en 2019 : Elias, traversé de visions qui flashent son cerveau à l’approche de l’inopérable cicatrice tellurique (l’une de ces expériences subaquatiques se soldant par la perte du copilote sous-marinier, accidentellement englouti dans la faille en feu), a des doutes sur la réalité de l’IVG, et partant, sur l’identité réelle du géniteur de cet adolescent dont quelques flash-back nous révèleront les étapes de sa croissance…

Elle a fait un bébé toute seule

Anita, retrouvée par hasard, finit par confesser à Elias qu’il est bien le père génétique du garçon, lequel, élevé par son beau-père depuis la petite enfance, ignore évidemment tout de son origine. De la part d’Elias, une revendication de paternité serait-elle légitime ? Le fils y perdrait tous ses repères, pense Anita, toujours persuadée qu’Elias, jadis, aurait dû accepter la providence de l’enfant à naître.  Et qu’à présent, son sacrifice est la rançon méritée de sa lâcheté d’alors. Le message du film est clair, il se place univoquement du côté de la Femme – nous sommes en 2025 : l’Homme a tous les torts.

Il n’en demeure pas moins qu’un enfant, ça se fait à deux, – en principe. Pourquoi le mensonge d’Anita, renonçant secrètement à avorter sans s’ouvrir jamais de sa décision clandestine à son partenaire, serait-il en soi plus légitime que la résistance du géniteur à assumer une paternité non envisagée de concert ? Au-delà même du schématisme pesant de l’allégorie matricielle, Eternal prend implicitement position dans un débat de fond qui, comme dit le poète, exigerait « la Nuance encor, pas la Couleur, rien que la nuance ! ». On en est loin.


Eternal. Film de Ulaa Salim. Danemark, Islande, Norvège, couleur, 2023. Durée : 1h39. En salles le 30 juillet 2025

Un Maigret, sinon rien

0

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (4)


Il fait très chaud, le rapace décrit des cercles de plus en plus petits dans le ciel d’un bleu métallique étrange. Je prends au hasard une enquête du commissaire Maigret. Il est curieux Georges Simenon. Il dit qu’il ne faut aucune indication météorologique dans un début de roman et il commence toujours par préciser le temps qu’il fait. Dans Maigret a peur, il pleut beaucoup, le vent souffle fort, les nuages sont menaçants. Le printemps se fait attendre. Ça a quelque chose de rafraîchissant même si l’atmosphère est pesante. Maigret revient d’un congrès de criminologie, à Bordeaux. Avant de retrouver son épouse et son bureau au 36, quai des Orfèvres, le commissaire fait une halte dans une petite ville de province, Fontenay-le-Comte, traversée par la Vendée. Simenon y a séjourné en 1940-1941. Il semble ne pas en avoir gardé un bon souvenir. Les rues sont désertes le soir, les gens s’épient derrière les fenêtres, les lettres de dénonciation sont prisées et les ragots ne manquent jamais. Maigret descend du train où il a fait la connaissance d’un personnage nommé Vernoux de Courçon, un individu qui lui a rappelé son enfance et « les gens du château », comprenez la classe sociale dominante à laquelle n’appartient pas Maigret. Vernoux de Courçon est le beau-frère de l’homme qui vient d’être assassiné. Mais le commissaire ignore tout de l’affaire. Il vient juste rendre visite à son vieil ami Chabot, juge d’instruction. Il va être mêlé à l’enquête sans y participer directement puisqu’il est hors de sa juridiction.

A relire, Thomas Morales: Simenon, ce drôle d’ostrogoth

Robert de Courçon, notable, a été tué sauvagement. Mais deux autres crimes vont se produire, créant un vent de panique dans la petite ville si tranquille. D’abord une veuve, ancienne sage-femme ; ensuite un ivrogne inoffensif. Il doit s’agir d’actes commis par un fou. Les soupçons se portent sur le docteur Vernoux, spécialiste en psychiatrie. C’est un original, un coupable tout désigné. L’affaire réactive la lutte des classes : les possédants contre les « gueux ». Le ciel au-dessus de la ville résume la situation : c’est un « ciel noir de Crucifixion », écrit Simenon. Pour une fois, Maigret, qui ne peut s’empêcher d’observer les comportements et d’analyser les réactions des uns et des autres, notamment pendant une partie de bridge à laquelle il ne participe pas, ne donne pas complètement tort à la foule. Mais il y a quelque chose qui cloche et que seul le commissaire, à trois ans de la retraire, a su cerner. Il a peur du dénouement. Il connaît trop la part noire de l’homme. Le livre, écrit en 1953, montre une France apeurée, manichéenne, nostalgique du pétainisme ou avide du « Grand Soir », au choix.

Le docteur Vernoux a une maîtresse – « la fameuse recherche des compensations » –, elle se nomme Louise Sabati. C’est une femme de chambre que la vie a cabossée. Elle n’est pas très belle, fatiguée par le travail harassant. Mais Maigret ne peut s’empêcher de penser qu’« il y avait quelque chose d’attachant, de presque pathétique dans son visage pâle où des yeux sombres vivaient intensément. » Elle et Vernoux vivent une vraie histoire d’amour hélas impossible. Un paquet de lettres le prouvera. Trop tard.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Sophia, Najat, honneur et déshonneur

Simenon signe une nouvelle enquête écrite avec sobriété et précision. La tension est palpable dès les premières lignes. Son célèbre commissaire est sans illusion sur la nature humaine, mais il se garde bien de juger, même s’il ne supporte pas ceux qui s’acharnent sur « le bas peuple » alors qu’ils en sortent. Maigret est un pragmatique : « Les gens sensés ne tuent pas ». Mais sa plus grande force, c’est de ne pas avoir oublié les jeux secrets de son enfance, et de savoir qu’il ne faut jamais louper une demi-journée de soleil printanier.

Georges Simenon, Maigret a peur, Le Livre de Poche. 188 pages

Maigret a peur

Price: 6,90 €

25 used & new available from 2,91 €


Retrouvez les cartes postales précédentes sur la page auteur de Pascal Louvrier

Gaza: la faim et les moyens

Dès le début du conflit entre Israël et le Hamas, à l’automne 2023, humanitaires et instances internationales ont alerté sur l’imminence d’une famine généralisée à Gaza. Depuis deux mois, la situation a changé et oblige de réexaminer les faits. L’essentiel des 470 000 personnes actuellement en situation de malnutrition se situent dans le nord de l’enclave, dont Israël assume la stratégie d’isolement. Analyse.


« Les bombes, les missiles, les obus de char, les balles de sniper. Et maintenant la famine. » C’est par ces mots que s’ouvre le reportage de Lucas Minisini et Marie Jo Sader, publié par Le Monde le 24 juillet 2025, décrivant avec une sobriété glaçante la spirale de violence à laquelle sont soumis les habitants de Gaza[1]. Comme si les ravages infligés par vingt et un mois de guerre ne suffisaient pas, un nouveau fléau, plus silencieux mais tout aussi implacable, s’est installé : la faim. Ce reportage n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un tournant dans le traitement médiatique du conflit. Depuis plusieurs semaines, la question de la famine et de l’accès à l’aide humanitaire est devenue centrale dans le débat international, mobilisant journalistes, diplomates, agences humanitaires et responsables politiques. Le poids des mots, mais plus encore le choc des images – corps émaciés, enfants dans des files d’attente, mères suppliant pour un sac de farine – font naître une inquiétude croissante pour la survie des civils gazaouis. Sans en minimiser la gravité, il convient néanmoins de rappeler que les alertes concernant la famine à Gaza ne sont pas récentes.

« Famine généralisée imminente » depuis janvier 2024, selon le Secrétaire général de l’ONU

Dès novembre 2023, au tout début de la guerre, les mises en garde se sont multipliées, émanant des principales agences des Nations Unies et d’ONG humanitaires, accompagnées d’accusations de crimes de guerre et d’utilisation de la famine comme arme. Le 17 novembre, alors que commençait le premier cessez-le-feu et la libération d’otages, la directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain, alertait sur un risque « immédiat de famine ». Deux semaines plus tard, le 1er décembre, la classification IPC (Integrated Food Security Phase Classification) plaçait déjà 15 % de la population gazaouie en phase 5, le niveau le plus élevé, correspondant à une famine avérée. Le 7 décembre, le PAM signalait que 97 % des foyers consommaient une alimentation inadéquate, contraints à des stratégies extrêmes de survie. Entre le 20 et le 22 décembre, l’UNICEF et Mercy Corps estimaient que plus de 500 000 personnes étaient confrontées à une faim catastrophique.

Le 3 janvier 2024, l’IPC confirmait que le nord de la bande de Gaza, notamment Gaza-ville et Jabalia, était entièrement en phase 5. Le 7 du mois, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, évoquait une « famine généralisée imminente ». Fin février, l’UNICEF rapportait que 16 % des enfants de moins de deux ans souffraient de malnutrition aiguë dans le nord.

En mai 2025, le PAM estimait à 470 000 le nombre de personnes en situation de famine aiguë, un chiffre confirmé le 23 juillet par l’OMS, qui dénonçait une « famine de masse provoquée par l’homme ». Selon le célèbre ministère de la Santé de Gaza, au moins 113 personnes seraient mortes de faim depuis octobre 2023, principalement dans le nord du territoire, au-delà du corridor de Netzarim. Ces données amènent à interroger non seulement les fondements des accusations formulées dès la fin 2023, mais aussi les perspectives sinistres qu’elles annonçaient. Or, depuis deux mois, la situation a changé et oblige de réexaminer les faits.

L’UNRWA hors jeu

Depuis le 27 mai 2025, un programme inédit de distribution alimentaire a été mis en œuvre à l’initiative du gouvernement israélien, sous pression internationale. Ce dispositif vise à répondre à une crise humanitaire aiguë tout en réduisant l’influence du Hamas sur la distribution de l’aide. Conçu en marge des canaux traditionnels de l’ONU, le programme repose sur un partenariat entre une fondation privée, le Gaza Humanitarian Fund (GHF), et une entreprise américaine de sécurité, Safe Reach Solutions (SRS). Son efficacité reste cependant très inégale selon les régions, entravée par des contraintes logistiques, politiques et sécuritaires majeures.

A lire aussi, Céline Pina: Quel antisioniste êtes-vous ?

Avant la mise en place du GHF, la distribution alimentaire à Gaza reposait sur un dispositif piloté par l’UNRWA (Office de secours pour les réfugiés palestiniens), le PAM et une constellation d’ONG internationales. L’aide humanitaire transitait principalement par le point de passage de Kerem Shalom, côté israélien, et, dans une moindre mesure, par celui de Rafah, à la frontière égyptienne. Les colis contenant typiquement de la farine, de l’huile, des légumineuses, parfois de pâtes ou du riz et du sucre, étaient livrés dans les entrepôts des agences, puis redistribués via des centres locaux. Ce système, bien qu’ayant assuré la survie de la population pendant des années, faisait l’objet de critiques croissantes du côté israélien. La première portait sur l’allocation des ressources : malgré le retrait israélien de 2005 et la prise de pouvoir du Hamas en 2007, ce dernier n’a jamais assumé la charge des services essentiels comme la santé, l’éducation ou l’alimentation. Les recettes générées par la fiscalité locale n’étaient pas consacrées à ces missions, financées presque exclusivement par l’ONU et les bailleurs étrangers. Pire encore, le Hamas aurait utilisé ces structures financées par la communauté internationale pour y placer ses partisans, établissant une forme de clientélisme institutionnalisé aux frais de l’aide étrangère. Chaque euro ainsi détourné finançait, côté Hamas, les préparatifs de guerre contre Israël – tunnels, roquettes, salaires de combattants – et le train de vie de ses dirigeants à l’étranger. À la veille du 7 octobre 2023, plusieurs figures du mouvement (Haniyeh, Mashal, Abu Marzouk) étaient ainsi considérées comme faisant partie de la classe des ultra-riches, ayant bâti leur fortune sur les dons, la taxation, le commerce des tunnels, les investissements étrangers et le soutien iranien.

Capture Fox News, 2023. DR

Par ailleurs, ce système souffrait, aux yeux d’Israël, d’un manque de traçabilité : une fois l’aide entrée à Gaza, elle échappait largement au contrôle, alimentant la crainte qu’elle profite à l’effort de guerre du Hamas. La guerre déclenchée par ce dernier le 7 octobre n’a fait que renforcer cet enjeu : battu militairement, sa direction décapitée, le Hamas s’accroche au contrôle de l’aide comme à l’un de ses derniers leviers de pouvoir. D’où la volonté israélienne de contourner les circuits multilatéraux et de mettre en place un système autonome, sécurisé, sous supervision extérieure : le GHF. Ce programme est censé à la fois soulager la population civile et briser l’emprise du Hamas sur l’économie de subsistance.

Quatre centres de distribution

La structure du programme repose sur quatre centres de distribution installés dans le sud de Gaza (à Rafah, Tel Sultan, Muwasi et près du corridor de Netzarim), chacun conçu pour desservir environ 300 000 personnes. Concrètement, seules les populations situées au sud-ouest de Gaza-ville peuvent accéder à un point de distribution. Cette géographie ne doit rien au hasard : elle s’inscrit dans une stratégie israélienne visant à vider le nord de la bande de Gaza de sa population civile. Dès le début de l’offensive, en octobre 2023, Israël a encouragé, voire contraint, le déplacement massif des civils vers le sud. Le nord, considéré comme le bastion du Hamas, a été largement détruit, privé d’infrastructures essentielles, et demeure interdit d’accès à ses anciens habitants. En empêchant leur retour, Israël entend priver le Hamas de son ancrage territorial tout en créant une zone de sécurité durable. La recomposition démographique qui en résulte, avec un déplacement du centre de gravité humain vers le sud, redessine de fait la carte politique de Gaza.

A lire aussi, du même auteur: Iran: le déclin de l’empire des Mollahs

Sur le plan opérationnel, la gestion du programme GHF a été confiée à des sous-traitants locaux, tandis que la sécurité est assurée par des agents de SRS, épaulés par le renseignement israélien. La distribution se fait sans enregistrement préalable, sans présence du Hamas, avec un recours probable à la reconnaissance faciale. Chaque foyer reçoit une caisse de 20 kg de produits de base. Mais, sur le terrain, le programme peine à s’imposer. Les centres sont submergés par une affluence massive, provoquant désordres, violences et fermetures temporaires. Le coût du dispositif, notamment sécuritaire, est estimé à 35 millions de dollars par mois.

Le Hamas hostile au programme GHF

Les obstacles sont nombreux. Le Hamas, parfaitement conscient du danger stratégique que représente le succès du programme, a multiplié les attaques contre les bénéficiaires, les accusant de collaboration, confisquant les colis et incitant à l’hostilité envers les centres. Le 27 mai, un centre à Rafah a été pillé. Le 18 juillet, plusieurs civils ont été pris à partie. Par ailleurs, les violences autour des centres sont fréquentes : depuis mai, plusieurs centaines de civils ont été tués ou blessés lors de tirs ou de mouvements de foule. Le 1er juin, une frappe israélienne près d’un centre aurait fait une trentaine de morts et de nombreux blessés.

Après deux mois de fonctionnement, le programme fonctionne de manière dégradée. L’UNRWA affirme qu’il « ne fonctionne pas », tandis que le PAM recense 470 000 personnes en situation de famine aiguë, soit un quart de la population. L’agriculture locale est en ruine : plus de 70 % des vergers et serres ont été détruits, et les boulangeries ont cessé leur activité faute de farine et de carburant. La dépendance à l’aide humanitaire n’a jamais été aussi totale et aussi mal satisfaite.

Un indicateur parlant de cette crise est le prix des denrées. Avant la guerre, le kilo de farine coûtait 1 à 2 shekels (environ 25 à 50 centimes d’euros). En juillet 2025, il atteint 150 à 200 shekels dans le nord, contre 20 à 50 shekels dans le sud. Le sucre a connu une évolution similaire : de 3 à 5 shekels/kg avant-guerre, il grimpe à 350–400 shekels dans le nord, contre 15 shekels dans le sud. Cette disparité traduit une réalité logistique : le sud est ravitaillé par les centres du GHF, tandis que le nord reste isolé. Comme prévu.

Ainsi, la majorité des cas documentés de famine aiguë à Gaza se concentre aujourd’hui au nord du corridor de Netzarim, où l’aide ne parvient presque plus. Ces zones concentrent l’essentiel des 470 000 personnes en situation de malnutrition recensées. Malgré des réussites ponctuelles (baisse des prix dans le sud, affaiblissement du Hamas dans les circuits de distribution, plus de 10 000 colis distribués quotidiennement), le programme reste structurellement insuffisant pour une population de 2,1 millions d’habitants. Les violences, les obstructions du Hamas, les détournements et le marché noir (où la farine atteint 70 shekels /kg) compromettent son efficacité.

Dans cette guerre, la maîtrise de la distribution alimentaire est devenue, pour Israël, un levier stratégique essentiel. Le système mis en place depuis mai 2025 semble délibérément conçu pour accentuer la pression sur les zones du nord, afin d’en pousser la population vers le sud. Or, selon la quatrième Convention de Genève, Israël, en tant que puissance occupante, a l’obligation de fournir, de manière inconditionnelle et adéquate, les biens et services essentiels à l’ensemble de la population sous son contrôle. Lorsque cette population n’est pas suffisamment approvisionnée, les parties au conflit doivent permettre un passage rapide, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire. Toutefois, il faut rappeler que cette obligation n’est pas absolue : elle peut être restreinte pour des motifs de sécurité, notamment en cas de détournement de l’aide au profit d’un groupe armé. Le droit international humanitaire ne contraint pas une puissance à faciliter une aide qui renforcerait l’effort de guerre ennemi. Enfin, si beaucoup accusent Israël de violations de ses obligations, il faut noter que le Hamas non plus ne respecte pas les siennes, et cherche à instrumentaliser la crise humanitaire à des fins politiques : avec les otages et les accusations de génocide, la faim est aujourd’hui l’un des derniers actifs dont dispose la mouvance islamiste palestinienne.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/07/24/dans-la-bande-de-gaza-les-ravages-de-la-famine_6623463_3210.html

Du particulier à l’universel

À la recherche de l’esprit français


« L’esprit français ? » : un pléonasme ; et c’est un Allemand qui le dit. Non le moindre : Emmanuel Kant, qui, dans son Anthropologie (1798), réfléchit aux caractères des peuples. « La nation française se caractérise par le goût de la conversation ; elle est à ce point de vue un modèle pour les autres nations. » « Le Français, ajoute-t-il, est courtois, non par intérêt [contrairement à l’Anglais], mais par une exigence immédiate de son goût. Puisque le goût concerne le commerce avec les femmes du grand monde, la conversation des dames est devenue le langage commun des gens de ce milieu ; et une pareille tendance […] doit avoir son effet sur la complaisance à rendre service, sur la bonne volonté à venir en aide, et peu à peu sur la philanthropie universelle fondée sur les principes : elle rend un peuple aimable dans son ensemble… » Voilà comment on passe, sans solution de continuité, du parler au penser et du particulier à l’universel. Sans doute, ajoute Kant, y a-t-il un « revers de la médaille » : une certaine frivolité, comparée à la profondeur germanique ; un goût du paraître, face à la gravité anglaise ; et, bien sûr, l’appétit de liberté qui peut aller jusqu’à la rébellion, voire la révolution. Sommes-nous toujours fidèles à ce portrait peint au zénith des Lumières ? D’aucuns en douteront, voyant dans l’esprit français surtout celui de contradiction, voire celui qui « toujours nie », et qui, envahi par la passion de l’universel, en arrive parfois à celle de l’autodestruction.

Ben Salomo, la voix juive qui dérange le rap allemand

Né en 1977 en Israël, Jonathan Kalmanovich arrive à Berlin à l’âge de quatre ans. Il devient Ben Salomo – « fils de la paix » – lors de sa bar-mitsvah, et s’impose dès 1999 comme l’un des rares rappeurs juifs sur la scène allemande. Pendant près de vingt ans, il observe la montée d’un antisémitisme de plus en plus décomplexé dans le milieu du rap. Écœuré, il arrête sa carrière de chanteur en 2018. Depuis, il sillonne les écoles pour parler d’antisémitisme aux jeunes. Cinq ans et demi de terrain, 5 000 élèves, et un constat sans appel : toute l’Allemagne n’a pas tiré les leçons d’Auschwitz. Son livre, « Six millions, qui dit mieux ? La haine des Juifs dans les écoles allemandes »[1], paraîtra en octobre en Allemagne.


Causeur. La France est actuellement au cœur d’une polémique. Des artistes boycottent le chanteur franco-israélien Amir en raison de son identité juive et de ses prises de position, tandis que des slogans violents comme “Death to the IDF” sont scandés lors du festival Glastonbury. Comment expliquer cet antisionisme dans le milieu culturel ?

Ben Salomo. L’antisionisme culturel est le langage de l’antisémitisme moderne. Sur la scène musicale, il se manifeste par une équation assimilant Israël à l’ensemble des Juifs, par des délires conspirationnistes et par une apologie de la violence de plus en plus assumée. Ce n’est pas nouveau. À Berlin, dès 2003, le groupe de rap Battlemiliz visait les « ennemis sionistes » dans ses morceaux, avec des lignes comme : « T’es aussi inutile que le mémorial juif de la Porte de Brandebourg. » À l’époque, je voulais y voir un acte isolé. Mais les provocations se sont multipliées. En 2006, lors d’un concert à Berlin, juste après ma prestation, le rappeur Deso Dogg est monté sur scène, a brandi un drapeau du Hezbollah sorti de son sac à dos et a été ovationné par deux mille spectateurs. Quelques années après, il a rejoint Daesh, s’est engagé dans le djihad et a fini en « martyr ». C’est là que j’ai saisi l’ampleur du basculement. L’islamisme, mêlé d’un antisémitisme décomplexé, s’est d’abord imposé à Berlin puis à travers toute l’Allemagne. Comme je le dis en conférence, la scène rap est le miroir de la société de demain.

Qu’est-ce qui vous a fait tourner le dos définitivement à la scène du rap, en 2018 ?

Le point de rupture a été progressif. En 2016, j’ai fait ce que j’ai appelé mon « coming out juif ». Je suis devenu, publiquement, le premier rappeur juif d’Allemagne à assumer son identité. À partir de là, ma carrière a commencé à décliner brutalement. Les maisons de disques ont cessé de me contacter, certains partenaires ont disparu, et j’ai été la cible d’insultes et de menaces. Je n’ai reçu pratiquement aucun soutien de mes collègues rappeurs. Pire encore : certains de ceux que j’avais personnellement aidés grâce à Rap am Mittwoch le Rap du Mercredi ») — la plateforme que j’avais créée — se sont murés dans le silence. En parallèle, ma voiture a été incendiée. Tout cela m’a profondément marqué. Et en 2018, le coup de grâce est venu du rappeur Farid Bang, qui a balancé dans un morceau : « Mon corps est plus défini que celui des détenus d’Auschwitz ». Ce genre de provocation n’a pas choqué l’industrie. Il n’y a eu ni boycott, ni prise de distance significative. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de quitter définitivement la scène. Par la suite, j’ai écrit « Kampf Allein » Combat solitaire »1) pour dénoncer que le slogan Free Palestine soit devenu le nouvel Heil Hitler : un véritable appel à la guerre, à la haine et à l’anéantissement.

Vous avez mentionné que le rappeur germano-palestinien Massiv a été financé par Al-Jazeera pour son titre Blut gegen Blut (2006), où il évoque ses origines palestiniennes et se compare à une bombe. Cela suggère-t-il un entrisme islamiste dans l’industrie musicale européenne ?

Absolument. Prenez SadiQ, rappeur d’origine afghane, dont le clip Kalashnikow Flow 2[2] le montre avec un keffieh et une kalachnikov, se revendiquant taliban. Ce titre a été sponsorisé par Qatar Airlines. L’influence financière du Qatar dans la musique est évidente, ce qui explique le silence des artistes, labels et producteurs face à ce djihad culturel. Des artistes comme Kanye West ou Macklemore versent dans l’antisémitisme, tandis que d’autres, pas nécessairement antisémites, soutiennent la Palestine par peur de perdre des fans, de subir le BDS ou de s’aliéner les financements qataris.

En France, le chanteur chrétien Bruno Moneroe a défendu les Juifs[3] et Israël après le 7 octobre, ce qui a nui à sa carrière. Avec des artistes comme Amir, Bruno, ou vous-même, ne pourrait-on pas imaginer des festivals alternatifs où ceux qui sont exclus du paysage culturel islamo-gauchiste pourraient s’exprimer librement ?

Tout à fait. Et j’adresse un appel aux Juifs qui nous lisent dans Causeur. Chers Juifs de France, vous formez la plus grande communauté juive d’Europe. L’avenir des artistes juifs européens repose sur vous. Vous pouvez être une lumière pour l’Europe. Il est à présent crucial de s’organiser, de tisser des liens entre les Juifs de France, d’Angleterre, d’Allemagne… Nous devons créer des plateformes, des labels, des podcasts, des festivals, des scènes. Je rêve du jour – rêvons un peu – où je pourrai chanter librement en France, affirmer mon identité de Juif et d’Israélien sans craindre les insultes ni les agressions. Si nous ne réagissons pas dès maintenant face à ce djihad culturel, que restera-t-il de notre liberté d’expression et de notre identité dans vingt ans ?

2022, selon l’Office fédéral de police criminelle allemande (BKA), 84 % des actes antisémites étaient imputés à des groupes d’extrême droite, alors qu’Emmanuel Abramowicz, du BNVCA, déclarait que 100 % des actes antisémites[4] recensés par son organisation en France étaient d’origine musulmane. Quel est votre point de vue sur cette disparité ?

Mon expérience personnelle corrobore les observations du BNVCA. Je suis né en 1977 à Rehovot, en Israël, et c’est à l’âge de quatre ans que ma famille s’est installée à Berlin, dans le quartier populaire de Schöneberg. Dans mon vécu, 90 % des actes antisémites de mon enfance venaient de personnes d’origine musulmane et 10 % de professeurs de gauche. Les tensions les plus fréquentes étaient avec des enfants turcs. Un jour, lors d’une fête, un garçon turc m’a demandé si je connaissais « l’hymne national juif ». J’ai répondu qu’il n’existait pas, qu’il n’y avait que l’hymne israélien. Il a alors ouvert le gaz, allumé un briquet qu’il a brandi sous mon nez en disant : « Voilà l’hymne national juif. » Parmi les autres Juifs, souvent des Russes encore marqués par l’antisémitisme soviétique, beaucoup cachaient leur identité, se présentant comme Russes. J’ai essayé, moi aussi, de dissimuler qui j’étais, mais ça m’a rendu dingue. Cacher son identité, c’est se condamner à des relations superficielles, mentir, ne pas pouvoir inviter des amis à la maison pour mon anniversaire parce que mes parents parlaient hébreu. J’ai fini par assumer pleinement mon identité juive et israélienne, mais cela m’a valu des insultes et même des coups.

Après avoir quitté l’univers du rap, vous vous êtes engagé dans la lutte contre l’antisémitisme, notamment en intervenant dans les écoles allemandes. En cinq ans et demi, vous avez visité 500 établissements et rencontré environ 5 000 élèves. Quel est votre constat ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que, pour beaucoup d’enfants, j’étais le premier Juif qu’ils rencontraient. Les Juifs se retrouvent aujourd’hui pris en étau, coincés entre deux formes d’antisémitisme : celui de l’extrême droite et celui de l’islamogauchisme. Ainsi, l’antisémitisme ne s’exprime pas de la même manière selon les régions. Dans l’est de l’Allemagne, il prend souvent la forme d’un extrémisme de droite. Mais honnêtement, ce n’est pas celui qui me préoccupe le plus. À l’ouest, en revanche, on observe un antisémitisme lié à un certain islamo-gauchisme, et c’est celui-là qui m’inquiète davantage. Quand l’agression vient de milieux néonazis, la société allemande réagit d’une seule voix pour condamner. Mais lorsque l’agresseur est d’origine musulmane, la justice devient souvent silencieuse, voire complaisante.

Avant le 7 octobre, j’estimais que 20 % des cas d’antisémitisme dans les écoles étaient signalés. Aujourd’hui, on est plutôt autour de 40 %. La bonne nouvelle, c’est que cela signifie aussi que 60 % des élèves ne posent aucun problème de ce type. Je reste convaincu que les Allemands, dans leur ensemble, ne sont pas fondamentalement antisémites. D’ailleurs, regardez le nombre de points qu’ils ont attribués à Israël lors du dernier concours de l’Eurovision : c’est un signe encourageant. Mais, dans mon quotidien, le véritable obstacle vient des institutions elles-mêmes. L’Éducation nationale allemande, très marquée à gauche, refuse souvent de financer des projets spécifiquement consacrés à la lutte contre l’antisémitisme. Il est devenu difficile de trouver des financements pour ce type d’initiatives.

Récemment, nous avons reçu Alexandre de Galzain, journaliste de droite, qui rejetait vigoureusement l’idée que Benyamin Netanyahou puisse incarner un « bouclier de la civilisation occidentale », et donc, indirectement, l’idée même d’un bouclier judéo-chrétien. Vous êtes juif et allemand. Que lui répondez-vous ?

Je lui aurais donné raison… il y a cinq siècles. Mais après la Shoah, beaucoup de choses ont changé, en particulier dans le regard que portent les chrétiens sur les juifs et sur Israël. Il faut reconnaître que, depuis cette tragédie, un véritable dialogue s’est instauré. En Europe et aux États-Unis, nous avons reçu un soutien important de la part de nombreuses communautés chrétiennes. Il suffit de regarder les évangéliques, par exemple : leur engagement en faveur des juifs et d’Israël est massif. Il faudrait être aveugle pour nier qu’il existe aujourd’hui un socle de valeurs communes, porté par des juifs et des chrétiens qui travaillent ensemble. Cela dit, je partage une partie de la critique : ce « bouclier » judéo-chrétien serait incomplet s’il n’intégrait pas d’autres peuples également menacés par l’islamisme radical. Je pense aux Druzes, aux Yézidis, aux Iraniens… Le problème, c’est que Monsieur de Galzain raisonne avec un logiciel vieux de soixante ans. Il vit dans une époque révolue. Mais il n’est jamais trop tard pour se mettre à jour. L’Histoire avance, et ce qui compte, c’est le présent et ceux qui s’unissent pour le défendre.

Dernière question. Est-ce que vous voyez votre engagement dans les écoles comme une manière d’accomplir le tikkoun olam, ce principe spirituel de réparation du monde dans la tradition juive ?

Ah, c’est une bonne question ! Vous savez, le tikkoun olam, tout le monde s’en réclame. Même ceux qui défilent dans les manifestations pro-palestiniennes sont convaincus, eux aussi, de participer à une forme de réparation du monde. Pour ma part, je ne pense pas à ce concept quand j’interviens dans les écoles. Je fais cela parce que je crois au droit des Juifs à vivre en paix. Je veux que quelqu’un puisse porter une étoile de David sans craindre les regards ou les agressions, que les propriétaires de restaurants cachères n’aient plus peur de voir leurs vitrines brisées, que les enfants juifs puissent aller à l’école sans être attaqués. Alors oui, peut-être qu’au fond, cette volonté de défendre la dignité, la liberté et la sécurité de chacun s’inscrit déjà dans l’esprit du tikkoun olam. Je crois que tikkoun olam et l’éthique de notre civilisation européenne poursuivent une même ambition : celle de transformer le monde, non par la force, mais par l’éducation, la justice et la responsabilité morale. L’un comme l’autre nous invitent à refuser l’indifférence et à ne jamais rester passifs face à la souffrance d’autrui.


[1]     Salomo, Ben. Sechs Millionen, wer bietet mehr? Judenhass an deutschen Schulen (en allemand), Juedischer Verlag, 13 octobre 2025, 170 pages.

[2]     https://www.youtube.com/watch?v=dV4cFchFJkQ&list=RDdV4cFchFJkQ&start_radio=1

[3]     https://www.streetpress.com/sujet/1750861382-bruno-moneroe-chanteur-coming-out-patriote-homonationaliste-nouvelle-star-tele-realite-extreme-droite-marine-le-pen-attal

[4]     https://ladroiteaucoeur.fr/2023/01/26/qui-actes-antisemites-france/

  1. https://www.youtube.com/watch?v=Ylc7LlKjkts&list=RDYlc7LlKjkts&start_radio=1 ↩︎

Une discrimination qui peut rapporter gros

Transmania. En Allemagne, Alina S. multiplie les actions en justice contre les entreprises refusant de l’embaucher. Non sans succès.


Originaire de Dortmund, Alina S. a postulé dernièrement à un emploi de secrétaire dans une imprimerie située à Hagen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Considérant qu’elle n’avait pas les compétences pour ce poste, l’entreprise n’a pas retenu sa candidature. Ni une ni deux, Alina S. a immédiatement porté plainte pour… discrimination. Précisons qu’Alina S. est un homme qui se définit pour le moment comme une « personne trans et intersexuelle » en raison d’une « réassignation sexuelle incomplète » en vue de devenir une femme – sa voix, non encore modifiée par une chirurgie du larynx, ne laisse par exemple aucun doute sur son sexe d’origine. Cette personne a réclamé une indemnisation de 5 000 euros et obtenu finalement 700 euros après que l’affaire a été jugée au tribunal du travail de Bielefeld, tribunal dont le président, Joachim Kleveman, a révélé à la presse qu’Alina S. avait déclenché ces dernières années 239 actions en justice contre des entreprises ayant refusé de l’embaucher. Cette créature procédurière a touché à chaque fois des dommages et intérêts dont les montants étaient parfois supérieurs à 3 000 euros. Au chômage depuis douze ans, Alina S. a eu le temps de se renseigner sur les multiples possibilités qu’offre la loi allemande. Par exemple, il suffit que l’entreprise oublie d’ajouter, dans son annonce d’emploi, un « d » pour « divers » dans la rubrique indiquant le sexe du candidat, pour qu’elle encoure le risque de se voir traîner, comme l’imprimerie de Hagen, devant un tribunal. Dans un autre cas, Alina S. a porté plainte contre une société qui parlait dans son annonce de « jeune équipe »âgé.e de 47 ans, iel s’est senti.e discriminé.e. Résultat : 3 750 euros de dommages et intérêts. L’un dans l’autre, Alina S. aurait ainsi empoché au bas mot la somme rondelette, exonérée d’impôts, de 240 000 euros, selon le président du tribunal Joachim Kleveman qui, à l’issue de son dernier procès gagné, lui a lancé un facétieux : « À la semaine prochaine ! » Cette fois, c’est une entreprise de nettoyage qui est la cible d’Alina S.

Du vent dans les keffiehs: arraisonner la déraison

0

Même si la politique de Netanyahou à Gaza est de plus en plus critiquée par les chancelleries occidentales, elles se gardent bien de condamner les arraisonnements en mer des fameuses « flottilles de la liberté ». Pourquoi ?


En juin, Rima Hassan, après avoir tenté sans succès de forcer le blocus israélien à Gaza à bord du Madleen, avec une petite troupe comptant notamment Greta Thunberg, était accueillie en héroïne par Jean-Luc Mélenchon pour son retour en France.

Le 20 juillet 2025, un mois après l’interception du voilier Madleen, la « Freedom Flotilla » récidive : un nouveau bateau, le Handala, s’apprête à tenter de forcer le blocus de Gaza.

À son bord se trouvent dix-huit passagers, dont deux élues françaises : Gabrielle Cathala, députée du Val-d’Oise, et Emma Fourreau, eurodéputée. L’arraisonnement annoncé du Handala serait, selon Gabrielle Cathala « une énième violation du droit international ». La condamnation militante est prévisible. Mais est-elle fondée en droit ?

Un blocus légal du point de vue du droit de la guerre

La réponse se trouve dans le droit des conflits armés. Depuis plus de quinze ans, Israël impose un blocus maritime autour de la bande de Gaza – établi en 2007 après la prise de pouvoir du Hamas, formalisé en 2009. En droit international humanitaire, un blocus naval est une méthode licite de guerre à certaines conditions : il doit être déclaré, effectif, non discriminatoire, et ne pas viser à affamer la population civile. Un panel d’enquête de l’ONU (rapport Palmer, 2011) a d’ailleurs conclu que le blocus de Gaza avait été instauré « en conformité avec le droit international ». Autrement dit, empêcher par un blocus maritime le ravitaillement du Hamas en armes est permis dans le cadre d’un conflit armé, dès lors que ces conditions sont respectées. En somme, le blocus israélien de Gaza est légal du point de vue du droit de la guerre.

Certes, ce blocus inflige des souffrances à la population de Gaza, même si la part des détournements par le Hamas dans ces souffrances paraît essentielle. Mais sa légalité obéit à des normes objectives. Sur ce plan, le blocus demeure une méthode reconnue – tant qu’il n’a pas pour but d’affamer toute une population et qu’une aide humanitaire minimale continue d’arriver par ailleurs. D’ailleurs, aucun État n’a engagé – en tout cas avec succès – de procédure contraignante à l’encontre de ce blocus. Pas même la Grande-Bretagne et la Norvège, dont le Madleen et le Handala battent pavillon, n’accusent Israël d’agir illégalement. Londres s’est borné à demander des explications et à s’assurer du bon traitement de sa ressortissante. C’est a posteriori, après l’arraisonnement du Madleen, qu’Emmanuel Macron a dénoncé le blocus comme une « honte » et « un scandale ».

Et les arraisonnements en mer ?

Qu’en est-il d’un éventuel arraisonnement en haute mer, loin des côtes israéliennes ou gazaouies ? À première vue, selon le droit maritime en temps de paix, aucun État n’a compétence hors de ses eaux territoriales pour intervenir sur un navire étranger. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer consacre en effet le principe de la liberté de navigation en haute mer. Cependant, ce principe ne vaut pleinement qu’en l’absence de conflit. En temps de guerre, le droit de la mer cède le pas au droit des conflits armés : un belligérant peut intercepter, visiter et saisir en haute mer un navire neutre qui tente de violer un blocus légal.

A lire aussi: 83 ans après la rafle du Vel d’Hiv, la question du génocide à Gaza

En résumé, l’arraisonnement du Handala, comme auparavant celui du Madleen, en zone internationale s’expliquerait et se justifierait par le droit de la guerre, qui supplante le droit maritime ordinaire. Contrairement à la vision simpliste de LFI (qui y voit un État agissant illégalement « hors de ses eaux »), on serait bien dans le cadre d’un blocus de guerre : le navire intercepté violerait ce blocus et relèverait donc de la compétence de l’État bloquant. On peut comprendre l’émoi suscité par le fait qu’une frégate de guerre stoppe un vieux chalutier prétendument humanitaire en pleine Méditerranée, mais juridiquement ce ne serait que l’application classique, quoique rare de nos jours, du droit de la guerre sur mer. Qualifier l’opération de « kidnapping » ou de « piraterie » serait tout aussi erroné : il s’agirait d’une capture en temps de guerre, prévue par les lois et coutumes de la guerre navale.

Le caractère « humanitaire » douteux des bateaux remplis de militants médiatisés

Le Handala se revendique « navire humanitaire ». En droit pourtant, cette notion n’existe pas. Hormis les navires-hôpitaux – bâtiments sanitaires clairement identifiés par les Conventions de Genève –, aucun bâtiment civil ne jouit d’une protection spéciale s’il participe à un conflit. Or le Handala n’est évidemment pas un navire-hôpital. C’est un vieux bateau de pêche affrété par la Freedom Flotilla, un collectif militant opposé au blocus israélien. Il bat pavillon norvégien mais sera paré de drapeaux palestiniens. Ses objectifs déclarés sont doubles : apporter une aide (symbolique, au premier sens du terme) aux Gazaouis, et surtout forcer la main d’Israël en contestant publiquement le blocus. En se fixant pour but politique de « briser le blocus » (comme le confirmait Gabrielle Cathala à l’AFP, le 12 juillet), ce bateau s’exclut du cadre d’une mission humanitaire pour se placer dans celui d’un acte de rupture de blocus.

Jean-Noël Barrot, qui ne fait pas figure d’agent pro-israélien, qualifie l’initiative « d’irresponsable » et confirme qu’elle ne contribuera « en rien à résoudre la catastrophe humanitaire en cours[1] ».

Le droit international n’accorde pas de passe-droit à de telles initiatives improvisées, fût-ce au nom de causes qui se veulent nobles. La puissance bloquante conserve le droit de contrôler et de filtrer l’aide destinée à l’ennemi. Un tel contrôle – certes strict et qui peut être politiquement débattu – n’est pas illégal tant qu’une partie des secours parvient aux civils par des voies légitimes. D’ailleurs, au moment où le Handala s’apprête à appareiller, des négociations sont en cours pour faire transiter l’aide humanitaire par des mécanismes structurés. La démarche isolée de ce bateau relève donc avant tout du coup d’éclat médiatique.

A lire aussi: Lève-toi et tue le premier !

Restera à apprécier la manière dont l’arraisonnement sera mené. Sur ce point, le précédent du Madleen plaide pour Israël. On se souvient qu’en 2010, l’assaut israélien contre le navire Mavi Marmara s’était soldé par la mort de dix militants, soulevant une indignation internationale et des accusations d’usage excessif de la force. En 2025, l’opération contre le Madleen s’est déroulée sans affrontement ni effusion de sang – aucun coup de feu tiré, aucun blessé de part et d’autre. Les passagers avaient été appréhendés sains et saufs, et n’avaient été retenus que le temps de leur identification et de l’organisation de leur retour.

Le traitement réservé aux militants illustrait que l’usage de la force était resté au strict minimum. L’armée israélienne avait même pris soin de fournir de l’eau et des sandwiches aux passagers après leur arrestation. Une photo diffusée montrait Greta Thunberg, tout sourire et vêtue d’un gilet de sauvetage, en train de recevoir un sandwich d’un soldat israélien. Sans parler de la « grève de la faim » que Rima Hassan a maintenu pendant 24 heures. Des militants opposés au Hamas ou des féministes iraniennes capturés dans des circonstances analogues auraient-ils bénéficié d’une telle courtoisie de la part du Hamas ou du régime de Téhéran ? Poser la question, c’est y répondre.

En définitive, il importe peu que l’arraisonnement du Handala ait lieu en haute mer. Dès lors qu’un blocus légal est en vigueur et que sévit un conflit armé, un État belligérant peut intercepter un navire civil en zone internationale pour faire respecter ce blocus. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, le droit de la mer et le droit de la guerre offrent une base légale aux actions d’Israël pour maintenir le blocus de Gaza et intercepter les tentatives de le briser. Les proclamations de LFI et d’autres qualifiant à l’avance l’arraisonnement d’illégal relèvent davantage de la polémique que d’une quelconque analyse juridique. Mais qui s’en étonne vraiment ?


[1] https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/irresponsable-la-passe-d-armes-entre-jean-noel-barrot-et-lfi-n-a-pas-attendu-que-le-handala-s-approche-de-gaza_252825.html

Gisèle Pelicot, Nahel: jusqu’où ira la glorification des victimes?

0

Demandera-t-on demain la panthéonisation de Nahel Merzouk ?


Le 23 août 1996, la Belgique effondrée assistait aux funérailles de deux petites filles dont les prénoms, Julie et Mélissa, flottaient depuis des semaines dans toutes les têtes. Tous les drapeaux étaient en berne et le palais royal avait proposé d’envoyer un représentant. Les parents s’y étaient opposés, « Le Roi ou rien ! ». 

Nombre de Belges avaient pris congé pour suivre la retransmission de la messe d’adieu ou pour assister directement à celle-ci. Mais aussi spacieuse que soit la Basilique Saint-Martin à Liège, elle ne pouvait contenir le 5 à 10 000 personnes, journalistes, célébrités ou simples citoyens venus soutenir les parents des petites filles, victimes d’une épouvantable tragédie. La rue Mont Saint-Martin qui mène à la basilique, fermée au trafic était noire de monde. Lorsqu’y pénétrèrent les corbillards, le silence se fit. Mais lorsque, suivant ceux-ci, apparurent à pas lents les parents des deux défuntes, dont plus personne n’ignorait le calvaire, la foule applaudit. Cela me laissa interloquée. On applaudit un exploit, une prestation remarquable, un héros… Mais des familles de victimes ? Ça me semblait incompréhensible. C’était il y a presque 30 ans. 

Depuis, le statut de victime – voire de simple plaignant et surtout plaignante – a pris du galon. Hissé au plus haut niveau des gloires nationales, ce sont les victimes ultra médiatisées qui tiennent le haut du pavé. Et si elles sont victimes d’une erreur d’appréciation de la police, on n’est pas loin de leur élever une statue. Ça permettra de remplacer celles que nous érigions autrefois à nos héros et que le wokisme déboulonne à tour de bras… Ainsi la ville de Nanterre prévoit d’installer une plaque commémorative au jeune délinquant Nahel[1].

A lire aussi: Nicolas Bedos ou l’ange déchu du Vieux Monde

Mais il n’y a pas que les statues et les plaques commémoratives dont il convient de détricoter tant le sens que la fierté. Depuis 1802, la France, par la loi du 29 floréal an X, récompense des militaires ou des civils pour mérites éminents en les décorant de la plus haute distinction : la Légion d’Honneur. Ce vieux gadget qui sent la France rance, qui symbolise un patriarcat blanc, une Histoire glorieuse, et surtout qui contredit l’égalitarisme mou qui sert à présent d’horizon en hissant certains au-dessus des autres, doit à son tour être l’objet d’une entreprise de démolition ou, à minima, de dissolution. 

C’est ainsi que Madame Pelicot, sexuellement abusée, victime entre les victimes et surtout victime des hommes, est proposée à la prochaine fournée de la Légion d’Honneur. Qu’a-t-elle fait pour mériter l’éternelle reconnaissance de la patrie ? Il ne se trouve pas un cœur assez sec pour nier son martyre et y compatir sincèrement. Mais en quoi cela fait-il d’elle un sauveur de la nation ? Une héroïne ? Ses terribles épreuves jusqu’au verdict final la hisse-t-elle vraiment au rang de Marie Curie ou de Jean Moulin ? La falsification sémantique que l’on voit chaque jour à l’œuvre rappelle la novlangue de George Orwell. Dans le monde effrayant décrit dans « 1984 », les mots n’ont pas simplement subi un glissement de sens, mais une inversion. La vérité est le mot pour signifier le mensonge, comme l’amour est le mot pour signifier la haine. Le temps est-il venu, en France, où le mot « héros » signifiera « victime », avant que « gloire » ne signifie « honte » ?


[1] https://www.causeur.fr/nahel-refus-d-obtemperer-plaque-raphael-adam-312887

Le macronisme s’est déjà tué lui-même…

0

Dans un entretien accordé hier à Valeurs actuelles, Bruno Retailleau a prédit la fin du macronisme et fustigé l’impuissance politique du « en même temps ». Les macronistes sont furieux : ils reprochent au candidat de « la France des honnêtes gens » de faire trop de presse, de ne pas jouer collectif et de ne pas évoquer son bilan sécuritaire. Qu’ils se rassurent: Emmanuel Macron et Bruno Retailleau pourront en discuter très prochainement en tête-à-tête. Ils ont un rendez-vous prévu en fin de journée… Analyse.


Bruno Retailleau a tout dit dans un remarquable entretien accordé à Valeurs actuelles[1]. Outre sa volonté de rester au gouvernement tant qu’il s’estimera utile aux Français et nécessaire pour faire face à la menace que représente LFI, il a développé une double argumentation, s’appuyant à la fois sur sa fonction ministérielle et sur sa présidence des Républicains.

« La gauche soixante-huitarde a engendré une société permissive. Quelque part, les “déconstructeurs” ont gagné… »

La première argumentation porte sur l’obligation, pour une droite authentique, de se débarrasser de l’influence pernicieuse d’une idéologie de gauche qui l’a gangrenée dans beaucoup de domaines, notamment judiciaire et culturel. Rien de ce que la gauche a de valable ne lui appartient en propre, une droite intelligente a le devoir de le récupérer, comme Nicolas Sarkozy l’avait d’ailleurs proposé en 2007. Je ne doute pas que Bruno Retailleau a pour objectif principal de redonner à la droite dont il a pris la tête, fierté, audace, sincérité et moralité. J’insiste sur ce dernier point qui est l’angle mort de la politique française, tous partis, responsables, opposants, ministres confondus. La droite, comme le souligne le ministre de l’Intérieur, ne doit pas se contenter d’être un peu mieux ou un peu moins mal que la gauche, elle se doit d’être tout autre chose, indépendante et inventive.

A lire aussi, Jean-Jacques Netter: Le Mur des comptes

La seconde argumentation, qui a énoncé une évidence – le macronisme disparaîtra avec la fin politique d’Emmanuel Macron – a pourtant suscité une controverse et des réactions très vives de Renaissance. On comprend mal celles-ci. Dans une situation catastrophique dont l’initiateur, il ne faut jamais l’oublier, a été Emmanuel Macron, il était inévitable que la pratique gouvernementale ne ressemblât pas aux périodes ordinaires et fût secouée par des antagonismes qui n’excluent pas pour l’instant un accord de base sur l’essentiel souhaité par le Premier ministre.

Le dépassement, c’est dépassé

Je serais prêt à admettre que le macronisme, si on peut conceptuellement le définir, a d’abord, et surtout, été un dépassement affiché de la droite et de la gauche afin d’opérer une prise du pouvoir grâce à un électorat séduit par cette espérance, mais vite désabusé. Par la suite, la politique d’Emmanuel Macron a mélangé dans le désordre, avec des contradictions, des voltes voire des aberrations, des mesures plutôt libérales, une vision internationale se voulant gaulliste, beaucoup de repentance, longtemps un fiasco régalien, une manière narcissique, trop sûre de son fait, d’exercer le pouvoir, avec une indifférence totale à l’égard des critiques même les plus républicaines qui soient.

Si macronisme il y a eu, il a été tué par lui-même et depuis 2017, la seule preuve du macronisme est Emmanuel Macron lui-même, qui a tout fait par d’incessantes variations pour nous contraindre à ne considérer que lui comme point fixe. Celui-ci disparu, il n’y aura plus rien. Ce qui démontre la pertinence du point de vue de Bruno Retailleau, au demeurant déjà proféré mardi 20 mai sur un mode atténué par la porte-parole Sophie Primas.

L’action politique impose des arbitrages clairs

Bruno Retailleau affirme qu’il « ne croit pas au en même temps » et que « le macronisme alimente l’impuissance ». Il n’est plus personne, au regard des résultats nationaux ou internationaux, qui ne fustige pas cette prétendue simultanéité qui a rendu notre politique à la fois inefficace et illisible. L’action impose des choix, des arbitrages, des exclusions quand le « en même temps » conduit à la stérilité. Sa seule utilité est dans le débat intellectuel, personnel, où chacun, pour s’enrichir de plénitude, a le devoir de peser le pour et le contre, les idées et leur contradiction, son opinion et ce qui pourrait la nier.

A lire aussi, Didier Desrimais: Mesures budgétaires: Bayrou épargne l’immigration! Pourtant…

La démonstration de la faillite du « en même temps » est facile à opérer. Par exemple quand on voit le sondage écrasant (la gauche à peine moins sévère que la droite) sur le fiasco régalien du président de la République. Le régalien, longtemps un domaine trop vulgaire, trop populaire pour lui. Puis il a tenté d’en apprendre la langue mais cela a toujours été une langue étrangère. Grâce à François Bayrou, pour la première fois de notre histoire, nous avons un couple régalien exceptionnel, exactement sur la même longueur d’onde. Il masque la faiblesse présidentielle.

M. Retailleau a toute légitimité pour s’exprimer sur l’ensemble des sujets et ce n’est pas, de son chef et enfin, la première mesure de rétorsion véritable à l’encontre des autorités algériennes qui va diminuer son crédit. Quatre-vingts dignitaires algériens privés des facilités diplomatiques dues à l’accord de 1968 ! La diplomatie à la Jean-Noël Barrot a vécu ! La seule question qui vaille est non pas de savoir si Bruno Retailleau restera au gouvernement – cela dépend de paramètres qui ne relèvent pas que de lui – mais si jusqu’en 2027 la droite dont il est aujourd’hui l’incarnation éclatante saura faire bloc pour gagner. Avec un adieu sans trop de regret au macronisme !

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

12 used & new available from 3,91 €


[1] https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/bruno-retailleau-le-macronisme-sachevera-avec-emmanuel-macron

La justice française est-elle tombée dans le piège tendu par un oligarque kazakh?

0

Les poursuites contre l’oligarque Moukhtar Abliazov ont été annulées en France pour des motifs politiques, relançant le débat sur l’accueil de figures controversées au nom des droits humains


Après plusieurs années de procédure, estimant que les tribunaux français n’étaient pas compétents, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a annulé en avril 2025 les charges pesant contre l’oligarque kazakh Moukhtar Abliazov. Cette décision constitue une victoire juridique pour l’ancien banquier et ministre kazakh, soupçonné d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars lorsqu’il dirigeait la BTA Bank, la plus grande banque du pays. Cependant, cette décision de justice soulève une question fondamentale : la protection légitime des droits humains ne risque-t-elle pas de conduire à une complaisance coupable envers des personnalités controversées ?

Condamné à la perpétuité dans son pays

Moukhtar Abliazov est bien connu dans les chancelleries européennes. Ancien ministre de l’Energie sous la présidence de Noursoultan Nazarbaïev, il est devenu l’un de ses plus farouches opposants avant de fuir le Kazakhstan en 2009. Les autorités kazakhes l’accusent d’avoir détourné 6 milliards de dollars de la BTA Bank et d’avoir orchestré le meurtre d’un de ses associés ; des faits pour lesquels il a été condamné à perpétuité par contumace dans son pays. Pour sa part, l’Ukraine le réclamait aussi pour des détournements de 500 millions de dollars.

En 2012, la Haute Cour du Royaume-Uni l’a reconnu coupable d’outrage à la cour pour avoir menti sous serment et falsifié des documents. « Il est difficile d’imaginer autant de cynisme, d’opportunisme et de ruse de la part d’un individu impliqué dans un litige commercial » a déclaré le juge britannique Maurice Kay. Condamné à 22 mois de prison au Royaume-Uni, Abliazov s’est réfugié en France en 2013. Par la suite, une amende de 218 millions de dollars lui a été infligée par les États-Unis pour ses montages financiers douteux.

En France, il a su intelligemment tirer parti des failles du système. En septembre 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, a signé un décret autorisant son extradition. Mais en 2020, Abliazov a obtenu l’asile politique qui lui a été retiré deux ans plus tard. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État en 2024. Pourtant, il continue à plaider sa cause auprès des autorités françaises en se présentant comme victime de persécutions politiques.

L’annulation des charges pesant contre Abliazov par la Cour d’appel de Paris repose sur un argument juridique : les poursuites engagées contre M. Abliazov seraient motivées par des considérations politiques, dissimulées derrière des accusations de droit commun. Ce raisonnement s’appuie sur le refus de la France, en 2014, d’extrader l’oligarque, ainsi que sur les mises en garde du Conseil d’État contre une possible instrumentalisation de la justice par les autorités kazakhes.

Cette prudence doit-elle pour autant conduire à ignorer les accusations portées contre lui ?

M. Abliazov sait habilement faire intervenir ses relais d’influence. Des personnalités européennes telles que l’ancien eurodéputé Marco Panzeri, impliqué dans le scandale du Qatargate, ont pris sa défense. De même, basée à Bruxelles, la Fondation Open Dialogue (ODF) lui est également fidèle.

Entre 2013 et 2020, l’ODF a expliqué qu’Abliazov et ses acolytes étaient victimes de persécutions politiques. Aujourd’hui, l’ODF qui présente l’oligarque comme un de ses « consultants », publie de rapports qui attaquent ses opposants, qu’il s’agisse d’officiels kazakhs, de banques d’Asie centrale ou d’institutions traquant les fonds de la BTA.

Un OQTF pas comme les autres !

M. Abliazov n’est plus sous contrôle judiciaire. Les charges de blanchiment et d’abus de confiance qui pesaient contre lui ont été abandonnées. Il reste pourtant au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire qui indigne certains responsables politiques français, comme la sénatrice Nathalie Goulet : pourquoi un OQTF déchu de son statut de réfugié – fut-il un oligarque – peut-il continuer à résider en France ?

Au Royaume-Uni, le Crown Prosecution Service (CPS) et la National Crime Agency ont invoqué un « manque de ressources » ou des failles juridiques pour ne pas poursuivre la procédure d’extradition qui le visait. Les avocats de la BTA Bank, menés par le cabinet Hogan Lovells, ont prié le CPS d’agir. En vain.

En annulant les poursuites pour défaut de compétence, la France n’a pas blanchi Moukhtar Abliazov. Elle a simplement pris acte du fait que l’État de droit ne permet pas de juger une affaire lorsque les motivations du plaignant peuvent être considérées comme politiques. Cette décision laisse toutefois entière une question cruciale : un personnage comme Abliazov doit-il continuer à bénéficier de la protection de la France ? En voulant protéger les droits de tous, la France n’est-elle pas en train de devenir un refuge pour ceux qui savent manipuler le droit ?

Aujourd’hui, le nom d’Abliazov figure toujours sur les listes de surveillance britanniques, mais sans volonté politique de la part de Londres et de Paris, cet oligarque insaisissable continuera à échapper à la justice.

Combler la faille?

0
© KMBO

Elias, jeune ingénieur sous-marinier en passe d’intégrer une vaste organisation associant plusieurs pays nordiques pour s’inquiéter d’une faille océanique en dangereuse expansion, se fait allumer par une fille – « alors, tu as envie d’explorer ma faille ? », – se laisse prendre aux filets de l’amour, et finit par mettre en cloque malgré lui son Anita chérie. Avorter ou pas ? Lui n’est pas prêt du tout à s’embarrasser d’un mouflet à élever ; elle pleure à l’idée de s’ôter son fœtus de deux mois. Mais fait mine de se laisser convaincre. Le couple Elias/Anita ne résiste pourtant pas à cette épreuve, et part à vau l’eau. A chacun sa vie.

12 ans plus tard…

Filant la métaphore de la faille, Eternal emprunte les chemins de la science-fiction pour téléporter nos ci-devant tourtereaux quelque douze ans plus tard (au reste campés par deux autres comédiens pas franchement ressemblants à leurs doubles juvéniles), Elias devenu le commandant des périlleuses expéditions en sous-marins de poche dans les abysses, avec mission de cimenter si possible la fameuse faille aux moyens de drones télécommandés ; Anita ayant refait sa vie avec un autre homme, dont elle semble avoir eu un fils.

A lire aussi: Tant qu’il y aura des films

Au risque de déflorer, si l’on ose dire, cette double matrice (quelque peu fastidieuse dans son insistance allégorique, prévisible et redondante à l’excès), votre serviteur ne résiste pas à vous révéler le secret de polichinelle qui fonde le laborieux parallèle mis en œuvre par Ulaa Salim, cinéaste danois âgé de 38 ans, dont c’est le deuxième long métrage après Sons of Denmark en 2019 : Elias, traversé de visions qui flashent son cerveau à l’approche de l’inopérable cicatrice tellurique (l’une de ces expériences subaquatiques se soldant par la perte du copilote sous-marinier, accidentellement englouti dans la faille en feu), a des doutes sur la réalité de l’IVG, et partant, sur l’identité réelle du géniteur de cet adolescent dont quelques flash-back nous révèleront les étapes de sa croissance…

Elle a fait un bébé toute seule

Anita, retrouvée par hasard, finit par confesser à Elias qu’il est bien le père génétique du garçon, lequel, élevé par son beau-père depuis la petite enfance, ignore évidemment tout de son origine. De la part d’Elias, une revendication de paternité serait-elle légitime ? Le fils y perdrait tous ses repères, pense Anita, toujours persuadée qu’Elias, jadis, aurait dû accepter la providence de l’enfant à naître.  Et qu’à présent, son sacrifice est la rançon méritée de sa lâcheté d’alors. Le message du film est clair, il se place univoquement du côté de la Femme – nous sommes en 2025 : l’Homme a tous les torts.

Il n’en demeure pas moins qu’un enfant, ça se fait à deux, – en principe. Pourquoi le mensonge d’Anita, renonçant secrètement à avorter sans s’ouvrir jamais de sa décision clandestine à son partenaire, serait-il en soi plus légitime que la résistance du géniteur à assumer une paternité non envisagée de concert ? Au-delà même du schématisme pesant de l’allégorie matricielle, Eternal prend implicitement position dans un débat de fond qui, comme dit le poète, exigerait « la Nuance encor, pas la Couleur, rien que la nuance ! ». On en est loin.


Eternal. Film de Ulaa Salim. Danemark, Islande, Norvège, couleur, 2023. Durée : 1h39. En salles le 30 juillet 2025

Un Maigret, sinon rien

0
Georges Simenon a Paris en mars 1969 © LE CAMPION/SIPA

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (4)


Il fait très chaud, le rapace décrit des cercles de plus en plus petits dans le ciel d’un bleu métallique étrange. Je prends au hasard une enquête du commissaire Maigret. Il est curieux Georges Simenon. Il dit qu’il ne faut aucune indication météorologique dans un début de roman et il commence toujours par préciser le temps qu’il fait. Dans Maigret a peur, il pleut beaucoup, le vent souffle fort, les nuages sont menaçants. Le printemps se fait attendre. Ça a quelque chose de rafraîchissant même si l’atmosphère est pesante. Maigret revient d’un congrès de criminologie, à Bordeaux. Avant de retrouver son épouse et son bureau au 36, quai des Orfèvres, le commissaire fait une halte dans une petite ville de province, Fontenay-le-Comte, traversée par la Vendée. Simenon y a séjourné en 1940-1941. Il semble ne pas en avoir gardé un bon souvenir. Les rues sont désertes le soir, les gens s’épient derrière les fenêtres, les lettres de dénonciation sont prisées et les ragots ne manquent jamais. Maigret descend du train où il a fait la connaissance d’un personnage nommé Vernoux de Courçon, un individu qui lui a rappelé son enfance et « les gens du château », comprenez la classe sociale dominante à laquelle n’appartient pas Maigret. Vernoux de Courçon est le beau-frère de l’homme qui vient d’être assassiné. Mais le commissaire ignore tout de l’affaire. Il vient juste rendre visite à son vieil ami Chabot, juge d’instruction. Il va être mêlé à l’enquête sans y participer directement puisqu’il est hors de sa juridiction.

A relire, Thomas Morales: Simenon, ce drôle d’ostrogoth

Robert de Courçon, notable, a été tué sauvagement. Mais deux autres crimes vont se produire, créant un vent de panique dans la petite ville si tranquille. D’abord une veuve, ancienne sage-femme ; ensuite un ivrogne inoffensif. Il doit s’agir d’actes commis par un fou. Les soupçons se portent sur le docteur Vernoux, spécialiste en psychiatrie. C’est un original, un coupable tout désigné. L’affaire réactive la lutte des classes : les possédants contre les « gueux ». Le ciel au-dessus de la ville résume la situation : c’est un « ciel noir de Crucifixion », écrit Simenon. Pour une fois, Maigret, qui ne peut s’empêcher d’observer les comportements et d’analyser les réactions des uns et des autres, notamment pendant une partie de bridge à laquelle il ne participe pas, ne donne pas complètement tort à la foule. Mais il y a quelque chose qui cloche et que seul le commissaire, à trois ans de la retraire, a su cerner. Il a peur du dénouement. Il connaît trop la part noire de l’homme. Le livre, écrit en 1953, montre une France apeurée, manichéenne, nostalgique du pétainisme ou avide du « Grand Soir », au choix.

Le docteur Vernoux a une maîtresse – « la fameuse recherche des compensations » –, elle se nomme Louise Sabati. C’est une femme de chambre que la vie a cabossée. Elle n’est pas très belle, fatiguée par le travail harassant. Mais Maigret ne peut s’empêcher de penser qu’« il y avait quelque chose d’attachant, de presque pathétique dans son visage pâle où des yeux sombres vivaient intensément. » Elle et Vernoux vivent une vraie histoire d’amour hélas impossible. Un paquet de lettres le prouvera. Trop tard.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Sophia, Najat, honneur et déshonneur

Simenon signe une nouvelle enquête écrite avec sobriété et précision. La tension est palpable dès les premières lignes. Son célèbre commissaire est sans illusion sur la nature humaine, mais il se garde bien de juger, même s’il ne supporte pas ceux qui s’acharnent sur « le bas peuple » alors qu’ils en sortent. Maigret est un pragmatique : « Les gens sensés ne tuent pas ». Mais sa plus grande force, c’est de ne pas avoir oublié les jeux secrets de son enfance, et de savoir qu’il ne faut jamais louper une demi-journée de soleil printanier.

Georges Simenon, Maigret a peur, Le Livre de Poche. 188 pages

Maigret a peur

Price: 6,90 €

25 used & new available from 2,91 €


Retrouvez les cartes postales précédentes sur la page auteur de Pascal Louvrier

Gaza: la faim et les moyens

0
Nuseirat, centre de la bande de Gaza, 13 juillet 2025 © Ahmed Ibrahim / apaimages /SIPA

Dès le début du conflit entre Israël et le Hamas, à l’automne 2023, humanitaires et instances internationales ont alerté sur l’imminence d’une famine généralisée à Gaza. Depuis deux mois, la situation a changé et oblige de réexaminer les faits. L’essentiel des 470 000 personnes actuellement en situation de malnutrition se situent dans le nord de l’enclave, dont Israël assume la stratégie d’isolement. Analyse.


« Les bombes, les missiles, les obus de char, les balles de sniper. Et maintenant la famine. » C’est par ces mots que s’ouvre le reportage de Lucas Minisini et Marie Jo Sader, publié par Le Monde le 24 juillet 2025, décrivant avec une sobriété glaçante la spirale de violence à laquelle sont soumis les habitants de Gaza[1]. Comme si les ravages infligés par vingt et un mois de guerre ne suffisaient pas, un nouveau fléau, plus silencieux mais tout aussi implacable, s’est installé : la faim. Ce reportage n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un tournant dans le traitement médiatique du conflit. Depuis plusieurs semaines, la question de la famine et de l’accès à l’aide humanitaire est devenue centrale dans le débat international, mobilisant journalistes, diplomates, agences humanitaires et responsables politiques. Le poids des mots, mais plus encore le choc des images – corps émaciés, enfants dans des files d’attente, mères suppliant pour un sac de farine – font naître une inquiétude croissante pour la survie des civils gazaouis. Sans en minimiser la gravité, il convient néanmoins de rappeler que les alertes concernant la famine à Gaza ne sont pas récentes.

« Famine généralisée imminente » depuis janvier 2024, selon le Secrétaire général de l’ONU

Dès novembre 2023, au tout début de la guerre, les mises en garde se sont multipliées, émanant des principales agences des Nations Unies et d’ONG humanitaires, accompagnées d’accusations de crimes de guerre et d’utilisation de la famine comme arme. Le 17 novembre, alors que commençait le premier cessez-le-feu et la libération d’otages, la directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain, alertait sur un risque « immédiat de famine ». Deux semaines plus tard, le 1er décembre, la classification IPC (Integrated Food Security Phase Classification) plaçait déjà 15 % de la population gazaouie en phase 5, le niveau le plus élevé, correspondant à une famine avérée. Le 7 décembre, le PAM signalait que 97 % des foyers consommaient une alimentation inadéquate, contraints à des stratégies extrêmes de survie. Entre le 20 et le 22 décembre, l’UNICEF et Mercy Corps estimaient que plus de 500 000 personnes étaient confrontées à une faim catastrophique.

Le 3 janvier 2024, l’IPC confirmait que le nord de la bande de Gaza, notamment Gaza-ville et Jabalia, était entièrement en phase 5. Le 7 du mois, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, évoquait une « famine généralisée imminente ». Fin février, l’UNICEF rapportait que 16 % des enfants de moins de deux ans souffraient de malnutrition aiguë dans le nord.

En mai 2025, le PAM estimait à 470 000 le nombre de personnes en situation de famine aiguë, un chiffre confirmé le 23 juillet par l’OMS, qui dénonçait une « famine de masse provoquée par l’homme ». Selon le célèbre ministère de la Santé de Gaza, au moins 113 personnes seraient mortes de faim depuis octobre 2023, principalement dans le nord du territoire, au-delà du corridor de Netzarim. Ces données amènent à interroger non seulement les fondements des accusations formulées dès la fin 2023, mais aussi les perspectives sinistres qu’elles annonçaient. Or, depuis deux mois, la situation a changé et oblige de réexaminer les faits.

L’UNRWA hors jeu

Depuis le 27 mai 2025, un programme inédit de distribution alimentaire a été mis en œuvre à l’initiative du gouvernement israélien, sous pression internationale. Ce dispositif vise à répondre à une crise humanitaire aiguë tout en réduisant l’influence du Hamas sur la distribution de l’aide. Conçu en marge des canaux traditionnels de l’ONU, le programme repose sur un partenariat entre une fondation privée, le Gaza Humanitarian Fund (GHF), et une entreprise américaine de sécurité, Safe Reach Solutions (SRS). Son efficacité reste cependant très inégale selon les régions, entravée par des contraintes logistiques, politiques et sécuritaires majeures.

A lire aussi, Céline Pina: Quel antisioniste êtes-vous ?

Avant la mise en place du GHF, la distribution alimentaire à Gaza reposait sur un dispositif piloté par l’UNRWA (Office de secours pour les réfugiés palestiniens), le PAM et une constellation d’ONG internationales. L’aide humanitaire transitait principalement par le point de passage de Kerem Shalom, côté israélien, et, dans une moindre mesure, par celui de Rafah, à la frontière égyptienne. Les colis contenant typiquement de la farine, de l’huile, des légumineuses, parfois de pâtes ou du riz et du sucre, étaient livrés dans les entrepôts des agences, puis redistribués via des centres locaux. Ce système, bien qu’ayant assuré la survie de la population pendant des années, faisait l’objet de critiques croissantes du côté israélien. La première portait sur l’allocation des ressources : malgré le retrait israélien de 2005 et la prise de pouvoir du Hamas en 2007, ce dernier n’a jamais assumé la charge des services essentiels comme la santé, l’éducation ou l’alimentation. Les recettes générées par la fiscalité locale n’étaient pas consacrées à ces missions, financées presque exclusivement par l’ONU et les bailleurs étrangers. Pire encore, le Hamas aurait utilisé ces structures financées par la communauté internationale pour y placer ses partisans, établissant une forme de clientélisme institutionnalisé aux frais de l’aide étrangère. Chaque euro ainsi détourné finançait, côté Hamas, les préparatifs de guerre contre Israël – tunnels, roquettes, salaires de combattants – et le train de vie de ses dirigeants à l’étranger. À la veille du 7 octobre 2023, plusieurs figures du mouvement (Haniyeh, Mashal, Abu Marzouk) étaient ainsi considérées comme faisant partie de la classe des ultra-riches, ayant bâti leur fortune sur les dons, la taxation, le commerce des tunnels, les investissements étrangers et le soutien iranien.

Capture Fox News, 2023. DR

Par ailleurs, ce système souffrait, aux yeux d’Israël, d’un manque de traçabilité : une fois l’aide entrée à Gaza, elle échappait largement au contrôle, alimentant la crainte qu’elle profite à l’effort de guerre du Hamas. La guerre déclenchée par ce dernier le 7 octobre n’a fait que renforcer cet enjeu : battu militairement, sa direction décapitée, le Hamas s’accroche au contrôle de l’aide comme à l’un de ses derniers leviers de pouvoir. D’où la volonté israélienne de contourner les circuits multilatéraux et de mettre en place un système autonome, sécurisé, sous supervision extérieure : le GHF. Ce programme est censé à la fois soulager la population civile et briser l’emprise du Hamas sur l’économie de subsistance.

Quatre centres de distribution

La structure du programme repose sur quatre centres de distribution installés dans le sud de Gaza (à Rafah, Tel Sultan, Muwasi et près du corridor de Netzarim), chacun conçu pour desservir environ 300 000 personnes. Concrètement, seules les populations situées au sud-ouest de Gaza-ville peuvent accéder à un point de distribution. Cette géographie ne doit rien au hasard : elle s’inscrit dans une stratégie israélienne visant à vider le nord de la bande de Gaza de sa population civile. Dès le début de l’offensive, en octobre 2023, Israël a encouragé, voire contraint, le déplacement massif des civils vers le sud. Le nord, considéré comme le bastion du Hamas, a été largement détruit, privé d’infrastructures essentielles, et demeure interdit d’accès à ses anciens habitants. En empêchant leur retour, Israël entend priver le Hamas de son ancrage territorial tout en créant une zone de sécurité durable. La recomposition démographique qui en résulte, avec un déplacement du centre de gravité humain vers le sud, redessine de fait la carte politique de Gaza.

A lire aussi, du même auteur: Iran: le déclin de l’empire des Mollahs

Sur le plan opérationnel, la gestion du programme GHF a été confiée à des sous-traitants locaux, tandis que la sécurité est assurée par des agents de SRS, épaulés par le renseignement israélien. La distribution se fait sans enregistrement préalable, sans présence du Hamas, avec un recours probable à la reconnaissance faciale. Chaque foyer reçoit une caisse de 20 kg de produits de base. Mais, sur le terrain, le programme peine à s’imposer. Les centres sont submergés par une affluence massive, provoquant désordres, violences et fermetures temporaires. Le coût du dispositif, notamment sécuritaire, est estimé à 35 millions de dollars par mois.

Le Hamas hostile au programme GHF

Les obstacles sont nombreux. Le Hamas, parfaitement conscient du danger stratégique que représente le succès du programme, a multiplié les attaques contre les bénéficiaires, les accusant de collaboration, confisquant les colis et incitant à l’hostilité envers les centres. Le 27 mai, un centre à Rafah a été pillé. Le 18 juillet, plusieurs civils ont été pris à partie. Par ailleurs, les violences autour des centres sont fréquentes : depuis mai, plusieurs centaines de civils ont été tués ou blessés lors de tirs ou de mouvements de foule. Le 1er juin, une frappe israélienne près d’un centre aurait fait une trentaine de morts et de nombreux blessés.

Après deux mois de fonctionnement, le programme fonctionne de manière dégradée. L’UNRWA affirme qu’il « ne fonctionne pas », tandis que le PAM recense 470 000 personnes en situation de famine aiguë, soit un quart de la population. L’agriculture locale est en ruine : plus de 70 % des vergers et serres ont été détruits, et les boulangeries ont cessé leur activité faute de farine et de carburant. La dépendance à l’aide humanitaire n’a jamais été aussi totale et aussi mal satisfaite.

Un indicateur parlant de cette crise est le prix des denrées. Avant la guerre, le kilo de farine coûtait 1 à 2 shekels (environ 25 à 50 centimes d’euros). En juillet 2025, il atteint 150 à 200 shekels dans le nord, contre 20 à 50 shekels dans le sud. Le sucre a connu une évolution similaire : de 3 à 5 shekels/kg avant-guerre, il grimpe à 350–400 shekels dans le nord, contre 15 shekels dans le sud. Cette disparité traduit une réalité logistique : le sud est ravitaillé par les centres du GHF, tandis que le nord reste isolé. Comme prévu.

Ainsi, la majorité des cas documentés de famine aiguë à Gaza se concentre aujourd’hui au nord du corridor de Netzarim, où l’aide ne parvient presque plus. Ces zones concentrent l’essentiel des 470 000 personnes en situation de malnutrition recensées. Malgré des réussites ponctuelles (baisse des prix dans le sud, affaiblissement du Hamas dans les circuits de distribution, plus de 10 000 colis distribués quotidiennement), le programme reste structurellement insuffisant pour une population de 2,1 millions d’habitants. Les violences, les obstructions du Hamas, les détournements et le marché noir (où la farine atteint 70 shekels /kg) compromettent son efficacité.

Dans cette guerre, la maîtrise de la distribution alimentaire est devenue, pour Israël, un levier stratégique essentiel. Le système mis en place depuis mai 2025 semble délibérément conçu pour accentuer la pression sur les zones du nord, afin d’en pousser la population vers le sud. Or, selon la quatrième Convention de Genève, Israël, en tant que puissance occupante, a l’obligation de fournir, de manière inconditionnelle et adéquate, les biens et services essentiels à l’ensemble de la population sous son contrôle. Lorsque cette population n’est pas suffisamment approvisionnée, les parties au conflit doivent permettre un passage rapide, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire. Toutefois, il faut rappeler que cette obligation n’est pas absolue : elle peut être restreinte pour des motifs de sécurité, notamment en cas de détournement de l’aide au profit d’un groupe armé. Le droit international humanitaire ne contraint pas une puissance à faciliter une aide qui renforcerait l’effort de guerre ennemi. Enfin, si beaucoup accusent Israël de violations de ses obligations, il faut noter que le Hamas non plus ne respecte pas les siennes, et cherche à instrumentaliser la crise humanitaire à des fins politiques : avec les otages et les accusations de génocide, la faim est aujourd’hui l’un des derniers actifs dont dispose la mouvance islamiste palestinienne.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/07/24/dans-la-bande-de-gaza-les-ravages-de-la-famine_6623463_3210.html

Du particulier à l’universel

0
© Hassah Assouline / Causeur

À la recherche de l’esprit français


« L’esprit français ? » : un pléonasme ; et c’est un Allemand qui le dit. Non le moindre : Emmanuel Kant, qui, dans son Anthropologie (1798), réfléchit aux caractères des peuples. « La nation française se caractérise par le goût de la conversation ; elle est à ce point de vue un modèle pour les autres nations. » « Le Français, ajoute-t-il, est courtois, non par intérêt [contrairement à l’Anglais], mais par une exigence immédiate de son goût. Puisque le goût concerne le commerce avec les femmes du grand monde, la conversation des dames est devenue le langage commun des gens de ce milieu ; et une pareille tendance […] doit avoir son effet sur la complaisance à rendre service, sur la bonne volonté à venir en aide, et peu à peu sur la philanthropie universelle fondée sur les principes : elle rend un peuple aimable dans son ensemble… » Voilà comment on passe, sans solution de continuité, du parler au penser et du particulier à l’universel. Sans doute, ajoute Kant, y a-t-il un « revers de la médaille » : une certaine frivolité, comparée à la profondeur germanique ; un goût du paraître, face à la gravité anglaise ; et, bien sûr, l’appétit de liberté qui peut aller jusqu’à la rébellion, voire la révolution. Sommes-nous toujours fidèles à ce portrait peint au zénith des Lumières ? D’aucuns en douteront, voyant dans l’esprit français surtout celui de contradiction, voire celui qui « toujours nie », et qui, envahi par la passion de l’universel, en arrive parfois à celle de l’autodestruction.

Ben Salomo, la voix juive qui dérange le rap allemand

0
Ben Salomo. DR.

Né en 1977 en Israël, Jonathan Kalmanovich arrive à Berlin à l’âge de quatre ans. Il devient Ben Salomo – « fils de la paix » – lors de sa bar-mitsvah, et s’impose dès 1999 comme l’un des rares rappeurs juifs sur la scène allemande. Pendant près de vingt ans, il observe la montée d’un antisémitisme de plus en plus décomplexé dans le milieu du rap. Écœuré, il arrête sa carrière de chanteur en 2018. Depuis, il sillonne les écoles pour parler d’antisémitisme aux jeunes. Cinq ans et demi de terrain, 5 000 élèves, et un constat sans appel : toute l’Allemagne n’a pas tiré les leçons d’Auschwitz. Son livre, « Six millions, qui dit mieux ? La haine des Juifs dans les écoles allemandes »[1], paraîtra en octobre en Allemagne.


Causeur. La France est actuellement au cœur d’une polémique. Des artistes boycottent le chanteur franco-israélien Amir en raison de son identité juive et de ses prises de position, tandis que des slogans violents comme “Death to the IDF” sont scandés lors du festival Glastonbury. Comment expliquer cet antisionisme dans le milieu culturel ?

Ben Salomo. L’antisionisme culturel est le langage de l’antisémitisme moderne. Sur la scène musicale, il se manifeste par une équation assimilant Israël à l’ensemble des Juifs, par des délires conspirationnistes et par une apologie de la violence de plus en plus assumée. Ce n’est pas nouveau. À Berlin, dès 2003, le groupe de rap Battlemiliz visait les « ennemis sionistes » dans ses morceaux, avec des lignes comme : « T’es aussi inutile que le mémorial juif de la Porte de Brandebourg. » À l’époque, je voulais y voir un acte isolé. Mais les provocations se sont multipliées. En 2006, lors d’un concert à Berlin, juste après ma prestation, le rappeur Deso Dogg est monté sur scène, a brandi un drapeau du Hezbollah sorti de son sac à dos et a été ovationné par deux mille spectateurs. Quelques années après, il a rejoint Daesh, s’est engagé dans le djihad et a fini en « martyr ». C’est là que j’ai saisi l’ampleur du basculement. L’islamisme, mêlé d’un antisémitisme décomplexé, s’est d’abord imposé à Berlin puis à travers toute l’Allemagne. Comme je le dis en conférence, la scène rap est le miroir de la société de demain.

Qu’est-ce qui vous a fait tourner le dos définitivement à la scène du rap, en 2018 ?

Le point de rupture a été progressif. En 2016, j’ai fait ce que j’ai appelé mon « coming out juif ». Je suis devenu, publiquement, le premier rappeur juif d’Allemagne à assumer son identité. À partir de là, ma carrière a commencé à décliner brutalement. Les maisons de disques ont cessé de me contacter, certains partenaires ont disparu, et j’ai été la cible d’insultes et de menaces. Je n’ai reçu pratiquement aucun soutien de mes collègues rappeurs. Pire encore : certains de ceux que j’avais personnellement aidés grâce à Rap am Mittwoch le Rap du Mercredi ») — la plateforme que j’avais créée — se sont murés dans le silence. En parallèle, ma voiture a été incendiée. Tout cela m’a profondément marqué. Et en 2018, le coup de grâce est venu du rappeur Farid Bang, qui a balancé dans un morceau : « Mon corps est plus défini que celui des détenus d’Auschwitz ». Ce genre de provocation n’a pas choqué l’industrie. Il n’y a eu ni boycott, ni prise de distance significative. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de quitter définitivement la scène. Par la suite, j’ai écrit « Kampf Allein » Combat solitaire »1) pour dénoncer que le slogan Free Palestine soit devenu le nouvel Heil Hitler : un véritable appel à la guerre, à la haine et à l’anéantissement.

Vous avez mentionné que le rappeur germano-palestinien Massiv a été financé par Al-Jazeera pour son titre Blut gegen Blut (2006), où il évoque ses origines palestiniennes et se compare à une bombe. Cela suggère-t-il un entrisme islamiste dans l’industrie musicale européenne ?

Absolument. Prenez SadiQ, rappeur d’origine afghane, dont le clip Kalashnikow Flow 2[2] le montre avec un keffieh et une kalachnikov, se revendiquant taliban. Ce titre a été sponsorisé par Qatar Airlines. L’influence financière du Qatar dans la musique est évidente, ce qui explique le silence des artistes, labels et producteurs face à ce djihad culturel. Des artistes comme Kanye West ou Macklemore versent dans l’antisémitisme, tandis que d’autres, pas nécessairement antisémites, soutiennent la Palestine par peur de perdre des fans, de subir le BDS ou de s’aliéner les financements qataris.

En France, le chanteur chrétien Bruno Moneroe a défendu les Juifs[3] et Israël après le 7 octobre, ce qui a nui à sa carrière. Avec des artistes comme Amir, Bruno, ou vous-même, ne pourrait-on pas imaginer des festivals alternatifs où ceux qui sont exclus du paysage culturel islamo-gauchiste pourraient s’exprimer librement ?

Tout à fait. Et j’adresse un appel aux Juifs qui nous lisent dans Causeur. Chers Juifs de France, vous formez la plus grande communauté juive d’Europe. L’avenir des artistes juifs européens repose sur vous. Vous pouvez être une lumière pour l’Europe. Il est à présent crucial de s’organiser, de tisser des liens entre les Juifs de France, d’Angleterre, d’Allemagne… Nous devons créer des plateformes, des labels, des podcasts, des festivals, des scènes. Je rêve du jour – rêvons un peu – où je pourrai chanter librement en France, affirmer mon identité de Juif et d’Israélien sans craindre les insultes ni les agressions. Si nous ne réagissons pas dès maintenant face à ce djihad culturel, que restera-t-il de notre liberté d’expression et de notre identité dans vingt ans ?

2022, selon l’Office fédéral de police criminelle allemande (BKA), 84 % des actes antisémites étaient imputés à des groupes d’extrême droite, alors qu’Emmanuel Abramowicz, du BNVCA, déclarait que 100 % des actes antisémites[4] recensés par son organisation en France étaient d’origine musulmane. Quel est votre point de vue sur cette disparité ?

Mon expérience personnelle corrobore les observations du BNVCA. Je suis né en 1977 à Rehovot, en Israël, et c’est à l’âge de quatre ans que ma famille s’est installée à Berlin, dans le quartier populaire de Schöneberg. Dans mon vécu, 90 % des actes antisémites de mon enfance venaient de personnes d’origine musulmane et 10 % de professeurs de gauche. Les tensions les plus fréquentes étaient avec des enfants turcs. Un jour, lors d’une fête, un garçon turc m’a demandé si je connaissais « l’hymne national juif ». J’ai répondu qu’il n’existait pas, qu’il n’y avait que l’hymne israélien. Il a alors ouvert le gaz, allumé un briquet qu’il a brandi sous mon nez en disant : « Voilà l’hymne national juif. » Parmi les autres Juifs, souvent des Russes encore marqués par l’antisémitisme soviétique, beaucoup cachaient leur identité, se présentant comme Russes. J’ai essayé, moi aussi, de dissimuler qui j’étais, mais ça m’a rendu dingue. Cacher son identité, c’est se condamner à des relations superficielles, mentir, ne pas pouvoir inviter des amis à la maison pour mon anniversaire parce que mes parents parlaient hébreu. J’ai fini par assumer pleinement mon identité juive et israélienne, mais cela m’a valu des insultes et même des coups.

Après avoir quitté l’univers du rap, vous vous êtes engagé dans la lutte contre l’antisémitisme, notamment en intervenant dans les écoles allemandes. En cinq ans et demi, vous avez visité 500 établissements et rencontré environ 5 000 élèves. Quel est votre constat ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que, pour beaucoup d’enfants, j’étais le premier Juif qu’ils rencontraient. Les Juifs se retrouvent aujourd’hui pris en étau, coincés entre deux formes d’antisémitisme : celui de l’extrême droite et celui de l’islamogauchisme. Ainsi, l’antisémitisme ne s’exprime pas de la même manière selon les régions. Dans l’est de l’Allemagne, il prend souvent la forme d’un extrémisme de droite. Mais honnêtement, ce n’est pas celui qui me préoccupe le plus. À l’ouest, en revanche, on observe un antisémitisme lié à un certain islamo-gauchisme, et c’est celui-là qui m’inquiète davantage. Quand l’agression vient de milieux néonazis, la société allemande réagit d’une seule voix pour condamner. Mais lorsque l’agresseur est d’origine musulmane, la justice devient souvent silencieuse, voire complaisante.

Avant le 7 octobre, j’estimais que 20 % des cas d’antisémitisme dans les écoles étaient signalés. Aujourd’hui, on est plutôt autour de 40 %. La bonne nouvelle, c’est que cela signifie aussi que 60 % des élèves ne posent aucun problème de ce type. Je reste convaincu que les Allemands, dans leur ensemble, ne sont pas fondamentalement antisémites. D’ailleurs, regardez le nombre de points qu’ils ont attribués à Israël lors du dernier concours de l’Eurovision : c’est un signe encourageant. Mais, dans mon quotidien, le véritable obstacle vient des institutions elles-mêmes. L’Éducation nationale allemande, très marquée à gauche, refuse souvent de financer des projets spécifiquement consacrés à la lutte contre l’antisémitisme. Il est devenu difficile de trouver des financements pour ce type d’initiatives.

Récemment, nous avons reçu Alexandre de Galzain, journaliste de droite, qui rejetait vigoureusement l’idée que Benyamin Netanyahou puisse incarner un « bouclier de la civilisation occidentale », et donc, indirectement, l’idée même d’un bouclier judéo-chrétien. Vous êtes juif et allemand. Que lui répondez-vous ?

Je lui aurais donné raison… il y a cinq siècles. Mais après la Shoah, beaucoup de choses ont changé, en particulier dans le regard que portent les chrétiens sur les juifs et sur Israël. Il faut reconnaître que, depuis cette tragédie, un véritable dialogue s’est instauré. En Europe et aux États-Unis, nous avons reçu un soutien important de la part de nombreuses communautés chrétiennes. Il suffit de regarder les évangéliques, par exemple : leur engagement en faveur des juifs et d’Israël est massif. Il faudrait être aveugle pour nier qu’il existe aujourd’hui un socle de valeurs communes, porté par des juifs et des chrétiens qui travaillent ensemble. Cela dit, je partage une partie de la critique : ce « bouclier » judéo-chrétien serait incomplet s’il n’intégrait pas d’autres peuples également menacés par l’islamisme radical. Je pense aux Druzes, aux Yézidis, aux Iraniens… Le problème, c’est que Monsieur de Galzain raisonne avec un logiciel vieux de soixante ans. Il vit dans une époque révolue. Mais il n’est jamais trop tard pour se mettre à jour. L’Histoire avance, et ce qui compte, c’est le présent et ceux qui s’unissent pour le défendre.

Dernière question. Est-ce que vous voyez votre engagement dans les écoles comme une manière d’accomplir le tikkoun olam, ce principe spirituel de réparation du monde dans la tradition juive ?

Ah, c’est une bonne question ! Vous savez, le tikkoun olam, tout le monde s’en réclame. Même ceux qui défilent dans les manifestations pro-palestiniennes sont convaincus, eux aussi, de participer à une forme de réparation du monde. Pour ma part, je ne pense pas à ce concept quand j’interviens dans les écoles. Je fais cela parce que je crois au droit des Juifs à vivre en paix. Je veux que quelqu’un puisse porter une étoile de David sans craindre les regards ou les agressions, que les propriétaires de restaurants cachères n’aient plus peur de voir leurs vitrines brisées, que les enfants juifs puissent aller à l’école sans être attaqués. Alors oui, peut-être qu’au fond, cette volonté de défendre la dignité, la liberté et la sécurité de chacun s’inscrit déjà dans l’esprit du tikkoun olam. Je crois que tikkoun olam et l’éthique de notre civilisation européenne poursuivent une même ambition : celle de transformer le monde, non par la force, mais par l’éducation, la justice et la responsabilité morale. L’un comme l’autre nous invitent à refuser l’indifférence et à ne jamais rester passifs face à la souffrance d’autrui.


[1]     Salomo, Ben. Sechs Millionen, wer bietet mehr? Judenhass an deutschen Schulen (en allemand), Juedischer Verlag, 13 octobre 2025, 170 pages.

[2]     https://www.youtube.com/watch?v=dV4cFchFJkQ&list=RDdV4cFchFJkQ&start_radio=1

[3]     https://www.streetpress.com/sujet/1750861382-bruno-moneroe-chanteur-coming-out-patriote-homonationaliste-nouvelle-star-tele-realite-extreme-droite-marine-le-pen-attal

[4]     https://ladroiteaucoeur.fr/2023/01/26/qui-actes-antisemites-france/

  1. https://www.youtube.com/watch?v=Ylc7LlKjkts&list=RDYlc7LlKjkts&start_radio=1 ↩︎

Une discrimination qui peut rapporter gros

0
DR.

Transmania. En Allemagne, Alina S. multiplie les actions en justice contre les entreprises refusant de l’embaucher. Non sans succès.


Originaire de Dortmund, Alina S. a postulé dernièrement à un emploi de secrétaire dans une imprimerie située à Hagen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Considérant qu’elle n’avait pas les compétences pour ce poste, l’entreprise n’a pas retenu sa candidature. Ni une ni deux, Alina S. a immédiatement porté plainte pour… discrimination. Précisons qu’Alina S. est un homme qui se définit pour le moment comme une « personne trans et intersexuelle » en raison d’une « réassignation sexuelle incomplète » en vue de devenir une femme – sa voix, non encore modifiée par une chirurgie du larynx, ne laisse par exemple aucun doute sur son sexe d’origine. Cette personne a réclamé une indemnisation de 5 000 euros et obtenu finalement 700 euros après que l’affaire a été jugée au tribunal du travail de Bielefeld, tribunal dont le président, Joachim Kleveman, a révélé à la presse qu’Alina S. avait déclenché ces dernières années 239 actions en justice contre des entreprises ayant refusé de l’embaucher. Cette créature procédurière a touché à chaque fois des dommages et intérêts dont les montants étaient parfois supérieurs à 3 000 euros. Au chômage depuis douze ans, Alina S. a eu le temps de se renseigner sur les multiples possibilités qu’offre la loi allemande. Par exemple, il suffit que l’entreprise oublie d’ajouter, dans son annonce d’emploi, un « d » pour « divers » dans la rubrique indiquant le sexe du candidat, pour qu’elle encoure le risque de se voir traîner, comme l’imprimerie de Hagen, devant un tribunal. Dans un autre cas, Alina S. a porté plainte contre une société qui parlait dans son annonce de « jeune équipe »âgé.e de 47 ans, iel s’est senti.e discriminé.e. Résultat : 3 750 euros de dommages et intérêts. L’un dans l’autre, Alina S. aurait ainsi empoché au bas mot la somme rondelette, exonérée d’impôts, de 240 000 euros, selon le président du tribunal Joachim Kleveman qui, à l’issue de son dernier procès gagné, lui a lancé un facétieux : « À la semaine prochaine ! » Cette fois, c’est une entreprise de nettoyage qui est la cible d’Alina S.

Du vent dans les keffiehs: arraisonner la déraison

0
L'équipage du Handala, le navire actuellement en route vers la bande de Gaza. RS.

Même si la politique de Netanyahou à Gaza est de plus en plus critiquée par les chancelleries occidentales, elles se gardent bien de condamner les arraisonnements en mer des fameuses « flottilles de la liberté ». Pourquoi ?


En juin, Rima Hassan, après avoir tenté sans succès de forcer le blocus israélien à Gaza à bord du Madleen, avec une petite troupe comptant notamment Greta Thunberg, était accueillie en héroïne par Jean-Luc Mélenchon pour son retour en France.

Le 20 juillet 2025, un mois après l’interception du voilier Madleen, la « Freedom Flotilla » récidive : un nouveau bateau, le Handala, s’apprête à tenter de forcer le blocus de Gaza.

À son bord se trouvent dix-huit passagers, dont deux élues françaises : Gabrielle Cathala, députée du Val-d’Oise, et Emma Fourreau, eurodéputée. L’arraisonnement annoncé du Handala serait, selon Gabrielle Cathala « une énième violation du droit international ». La condamnation militante est prévisible. Mais est-elle fondée en droit ?

Un blocus légal du point de vue du droit de la guerre

La réponse se trouve dans le droit des conflits armés. Depuis plus de quinze ans, Israël impose un blocus maritime autour de la bande de Gaza – établi en 2007 après la prise de pouvoir du Hamas, formalisé en 2009. En droit international humanitaire, un blocus naval est une méthode licite de guerre à certaines conditions : il doit être déclaré, effectif, non discriminatoire, et ne pas viser à affamer la population civile. Un panel d’enquête de l’ONU (rapport Palmer, 2011) a d’ailleurs conclu que le blocus de Gaza avait été instauré « en conformité avec le droit international ». Autrement dit, empêcher par un blocus maritime le ravitaillement du Hamas en armes est permis dans le cadre d’un conflit armé, dès lors que ces conditions sont respectées. En somme, le blocus israélien de Gaza est légal du point de vue du droit de la guerre.

Certes, ce blocus inflige des souffrances à la population de Gaza, même si la part des détournements par le Hamas dans ces souffrances paraît essentielle. Mais sa légalité obéit à des normes objectives. Sur ce plan, le blocus demeure une méthode reconnue – tant qu’il n’a pas pour but d’affamer toute une population et qu’une aide humanitaire minimale continue d’arriver par ailleurs. D’ailleurs, aucun État n’a engagé – en tout cas avec succès – de procédure contraignante à l’encontre de ce blocus. Pas même la Grande-Bretagne et la Norvège, dont le Madleen et le Handala battent pavillon, n’accusent Israël d’agir illégalement. Londres s’est borné à demander des explications et à s’assurer du bon traitement de sa ressortissante. C’est a posteriori, après l’arraisonnement du Madleen, qu’Emmanuel Macron a dénoncé le blocus comme une « honte » et « un scandale ».

Et les arraisonnements en mer ?

Qu’en est-il d’un éventuel arraisonnement en haute mer, loin des côtes israéliennes ou gazaouies ? À première vue, selon le droit maritime en temps de paix, aucun État n’a compétence hors de ses eaux territoriales pour intervenir sur un navire étranger. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer consacre en effet le principe de la liberté de navigation en haute mer. Cependant, ce principe ne vaut pleinement qu’en l’absence de conflit. En temps de guerre, le droit de la mer cède le pas au droit des conflits armés : un belligérant peut intercepter, visiter et saisir en haute mer un navire neutre qui tente de violer un blocus légal.

A lire aussi: 83 ans après la rafle du Vel d’Hiv, la question du génocide à Gaza

En résumé, l’arraisonnement du Handala, comme auparavant celui du Madleen, en zone internationale s’expliquerait et se justifierait par le droit de la guerre, qui supplante le droit maritime ordinaire. Contrairement à la vision simpliste de LFI (qui y voit un État agissant illégalement « hors de ses eaux »), on serait bien dans le cadre d’un blocus de guerre : le navire intercepté violerait ce blocus et relèverait donc de la compétence de l’État bloquant. On peut comprendre l’émoi suscité par le fait qu’une frégate de guerre stoppe un vieux chalutier prétendument humanitaire en pleine Méditerranée, mais juridiquement ce ne serait que l’application classique, quoique rare de nos jours, du droit de la guerre sur mer. Qualifier l’opération de « kidnapping » ou de « piraterie » serait tout aussi erroné : il s’agirait d’une capture en temps de guerre, prévue par les lois et coutumes de la guerre navale.

Le caractère « humanitaire » douteux des bateaux remplis de militants médiatisés

Le Handala se revendique « navire humanitaire ». En droit pourtant, cette notion n’existe pas. Hormis les navires-hôpitaux – bâtiments sanitaires clairement identifiés par les Conventions de Genève –, aucun bâtiment civil ne jouit d’une protection spéciale s’il participe à un conflit. Or le Handala n’est évidemment pas un navire-hôpital. C’est un vieux bateau de pêche affrété par la Freedom Flotilla, un collectif militant opposé au blocus israélien. Il bat pavillon norvégien mais sera paré de drapeaux palestiniens. Ses objectifs déclarés sont doubles : apporter une aide (symbolique, au premier sens du terme) aux Gazaouis, et surtout forcer la main d’Israël en contestant publiquement le blocus. En se fixant pour but politique de « briser le blocus » (comme le confirmait Gabrielle Cathala à l’AFP, le 12 juillet), ce bateau s’exclut du cadre d’une mission humanitaire pour se placer dans celui d’un acte de rupture de blocus.

Jean-Noël Barrot, qui ne fait pas figure d’agent pro-israélien, qualifie l’initiative « d’irresponsable » et confirme qu’elle ne contribuera « en rien à résoudre la catastrophe humanitaire en cours[1] ».

Le droit international n’accorde pas de passe-droit à de telles initiatives improvisées, fût-ce au nom de causes qui se veulent nobles. La puissance bloquante conserve le droit de contrôler et de filtrer l’aide destinée à l’ennemi. Un tel contrôle – certes strict et qui peut être politiquement débattu – n’est pas illégal tant qu’une partie des secours parvient aux civils par des voies légitimes. D’ailleurs, au moment où le Handala s’apprête à appareiller, des négociations sont en cours pour faire transiter l’aide humanitaire par des mécanismes structurés. La démarche isolée de ce bateau relève donc avant tout du coup d’éclat médiatique.

A lire aussi: Lève-toi et tue le premier !

Restera à apprécier la manière dont l’arraisonnement sera mené. Sur ce point, le précédent du Madleen plaide pour Israël. On se souvient qu’en 2010, l’assaut israélien contre le navire Mavi Marmara s’était soldé par la mort de dix militants, soulevant une indignation internationale et des accusations d’usage excessif de la force. En 2025, l’opération contre le Madleen s’est déroulée sans affrontement ni effusion de sang – aucun coup de feu tiré, aucun blessé de part et d’autre. Les passagers avaient été appréhendés sains et saufs, et n’avaient été retenus que le temps de leur identification et de l’organisation de leur retour.

Le traitement réservé aux militants illustrait que l’usage de la force était resté au strict minimum. L’armée israélienne avait même pris soin de fournir de l’eau et des sandwiches aux passagers après leur arrestation. Une photo diffusée montrait Greta Thunberg, tout sourire et vêtue d’un gilet de sauvetage, en train de recevoir un sandwich d’un soldat israélien. Sans parler de la « grève de la faim » que Rima Hassan a maintenu pendant 24 heures. Des militants opposés au Hamas ou des féministes iraniennes capturés dans des circonstances analogues auraient-ils bénéficié d’une telle courtoisie de la part du Hamas ou du régime de Téhéran ? Poser la question, c’est y répondre.

En définitive, il importe peu que l’arraisonnement du Handala ait lieu en haute mer. Dès lors qu’un blocus légal est en vigueur et que sévit un conflit armé, un État belligérant peut intercepter un navire civil en zone internationale pour faire respecter ce blocus. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, le droit de la mer et le droit de la guerre offrent une base légale aux actions d’Israël pour maintenir le blocus de Gaza et intercepter les tentatives de le briser. Les proclamations de LFI et d’autres qualifiant à l’avance l’arraisonnement d’illégal relèvent davantage de la polémique que d’une quelconque analyse juridique. Mais qui s’en étonne vraiment ?


[1] https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/irresponsable-la-passe-d-armes-entre-jean-noel-barrot-et-lfi-n-a-pas-attendu-que-le-handala-s-approche-de-gaza_252825.html

Gisèle Pelicot, Nahel: jusqu’où ira la glorification des victimes?

0
A Madrid le 8 mars 2025, les militantes féministes disent "gracias" à Gisèle Pelicot © Bernat Armangue/AP/SIPA

Demandera-t-on demain la panthéonisation de Nahel Merzouk ?


Le 23 août 1996, la Belgique effondrée assistait aux funérailles de deux petites filles dont les prénoms, Julie et Mélissa, flottaient depuis des semaines dans toutes les têtes. Tous les drapeaux étaient en berne et le palais royal avait proposé d’envoyer un représentant. Les parents s’y étaient opposés, « Le Roi ou rien ! ». 

Nombre de Belges avaient pris congé pour suivre la retransmission de la messe d’adieu ou pour assister directement à celle-ci. Mais aussi spacieuse que soit la Basilique Saint-Martin à Liège, elle ne pouvait contenir le 5 à 10 000 personnes, journalistes, célébrités ou simples citoyens venus soutenir les parents des petites filles, victimes d’une épouvantable tragédie. La rue Mont Saint-Martin qui mène à la basilique, fermée au trafic était noire de monde. Lorsqu’y pénétrèrent les corbillards, le silence se fit. Mais lorsque, suivant ceux-ci, apparurent à pas lents les parents des deux défuntes, dont plus personne n’ignorait le calvaire, la foule applaudit. Cela me laissa interloquée. On applaudit un exploit, une prestation remarquable, un héros… Mais des familles de victimes ? Ça me semblait incompréhensible. C’était il y a presque 30 ans. 

Depuis, le statut de victime – voire de simple plaignant et surtout plaignante – a pris du galon. Hissé au plus haut niveau des gloires nationales, ce sont les victimes ultra médiatisées qui tiennent le haut du pavé. Et si elles sont victimes d’une erreur d’appréciation de la police, on n’est pas loin de leur élever une statue. Ça permettra de remplacer celles que nous érigions autrefois à nos héros et que le wokisme déboulonne à tour de bras… Ainsi la ville de Nanterre prévoit d’installer une plaque commémorative au jeune délinquant Nahel[1].

A lire aussi: Nicolas Bedos ou l’ange déchu du Vieux Monde

Mais il n’y a pas que les statues et les plaques commémoratives dont il convient de détricoter tant le sens que la fierté. Depuis 1802, la France, par la loi du 29 floréal an X, récompense des militaires ou des civils pour mérites éminents en les décorant de la plus haute distinction : la Légion d’Honneur. Ce vieux gadget qui sent la France rance, qui symbolise un patriarcat blanc, une Histoire glorieuse, et surtout qui contredit l’égalitarisme mou qui sert à présent d’horizon en hissant certains au-dessus des autres, doit à son tour être l’objet d’une entreprise de démolition ou, à minima, de dissolution. 

C’est ainsi que Madame Pelicot, sexuellement abusée, victime entre les victimes et surtout victime des hommes, est proposée à la prochaine fournée de la Légion d’Honneur. Qu’a-t-elle fait pour mériter l’éternelle reconnaissance de la patrie ? Il ne se trouve pas un cœur assez sec pour nier son martyre et y compatir sincèrement. Mais en quoi cela fait-il d’elle un sauveur de la nation ? Une héroïne ? Ses terribles épreuves jusqu’au verdict final la hisse-t-elle vraiment au rang de Marie Curie ou de Jean Moulin ? La falsification sémantique que l’on voit chaque jour à l’œuvre rappelle la novlangue de George Orwell. Dans le monde effrayant décrit dans « 1984 », les mots n’ont pas simplement subi un glissement de sens, mais une inversion. La vérité est le mot pour signifier le mensonge, comme l’amour est le mot pour signifier la haine. Le temps est-il venu, en France, où le mot « héros » signifiera « victime », avant que « gloire » ne signifie « honte » ?


[1] https://www.causeur.fr/nahel-refus-d-obtemperer-plaque-raphael-adam-312887

Le macronisme s’est déjà tué lui-même…

0
Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau photographié lors d'un déplacement consacré aux incivilités et rodéos sauvages en milieu rural, à Condécourt, dans le Val d'Oise, le 23 juillet 2025 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Dans un entretien accordé hier à Valeurs actuelles, Bruno Retailleau a prédit la fin du macronisme et fustigé l’impuissance politique du « en même temps ». Les macronistes sont furieux : ils reprochent au candidat de « la France des honnêtes gens » de faire trop de presse, de ne pas jouer collectif et de ne pas évoquer son bilan sécuritaire. Qu’ils se rassurent: Emmanuel Macron et Bruno Retailleau pourront en discuter très prochainement en tête-à-tête. Ils ont un rendez-vous prévu en fin de journée… Analyse.


Bruno Retailleau a tout dit dans un remarquable entretien accordé à Valeurs actuelles[1]. Outre sa volonté de rester au gouvernement tant qu’il s’estimera utile aux Français et nécessaire pour faire face à la menace que représente LFI, il a développé une double argumentation, s’appuyant à la fois sur sa fonction ministérielle et sur sa présidence des Républicains.

« La gauche soixante-huitarde a engendré une société permissive. Quelque part, les “déconstructeurs” ont gagné… »

La première argumentation porte sur l’obligation, pour une droite authentique, de se débarrasser de l’influence pernicieuse d’une idéologie de gauche qui l’a gangrenée dans beaucoup de domaines, notamment judiciaire et culturel. Rien de ce que la gauche a de valable ne lui appartient en propre, une droite intelligente a le devoir de le récupérer, comme Nicolas Sarkozy l’avait d’ailleurs proposé en 2007. Je ne doute pas que Bruno Retailleau a pour objectif principal de redonner à la droite dont il a pris la tête, fierté, audace, sincérité et moralité. J’insiste sur ce dernier point qui est l’angle mort de la politique française, tous partis, responsables, opposants, ministres confondus. La droite, comme le souligne le ministre de l’Intérieur, ne doit pas se contenter d’être un peu mieux ou un peu moins mal que la gauche, elle se doit d’être tout autre chose, indépendante et inventive.

A lire aussi, Jean-Jacques Netter: Le Mur des comptes

La seconde argumentation, qui a énoncé une évidence – le macronisme disparaîtra avec la fin politique d’Emmanuel Macron – a pourtant suscité une controverse et des réactions très vives de Renaissance. On comprend mal celles-ci. Dans une situation catastrophique dont l’initiateur, il ne faut jamais l’oublier, a été Emmanuel Macron, il était inévitable que la pratique gouvernementale ne ressemblât pas aux périodes ordinaires et fût secouée par des antagonismes qui n’excluent pas pour l’instant un accord de base sur l’essentiel souhaité par le Premier ministre.

Le dépassement, c’est dépassé

Je serais prêt à admettre que le macronisme, si on peut conceptuellement le définir, a d’abord, et surtout, été un dépassement affiché de la droite et de la gauche afin d’opérer une prise du pouvoir grâce à un électorat séduit par cette espérance, mais vite désabusé. Par la suite, la politique d’Emmanuel Macron a mélangé dans le désordre, avec des contradictions, des voltes voire des aberrations, des mesures plutôt libérales, une vision internationale se voulant gaulliste, beaucoup de repentance, longtemps un fiasco régalien, une manière narcissique, trop sûre de son fait, d’exercer le pouvoir, avec une indifférence totale à l’égard des critiques même les plus républicaines qui soient.

Si macronisme il y a eu, il a été tué par lui-même et depuis 2017, la seule preuve du macronisme est Emmanuel Macron lui-même, qui a tout fait par d’incessantes variations pour nous contraindre à ne considérer que lui comme point fixe. Celui-ci disparu, il n’y aura plus rien. Ce qui démontre la pertinence du point de vue de Bruno Retailleau, au demeurant déjà proféré mardi 20 mai sur un mode atténué par la porte-parole Sophie Primas.

L’action politique impose des arbitrages clairs

Bruno Retailleau affirme qu’il « ne croit pas au en même temps » et que « le macronisme alimente l’impuissance ». Il n’est plus personne, au regard des résultats nationaux ou internationaux, qui ne fustige pas cette prétendue simultanéité qui a rendu notre politique à la fois inefficace et illisible. L’action impose des choix, des arbitrages, des exclusions quand le « en même temps » conduit à la stérilité. Sa seule utilité est dans le débat intellectuel, personnel, où chacun, pour s’enrichir de plénitude, a le devoir de peser le pour et le contre, les idées et leur contradiction, son opinion et ce qui pourrait la nier.

A lire aussi, Didier Desrimais: Mesures budgétaires: Bayrou épargne l’immigration! Pourtant…

La démonstration de la faillite du « en même temps » est facile à opérer. Par exemple quand on voit le sondage écrasant (la gauche à peine moins sévère que la droite) sur le fiasco régalien du président de la République. Le régalien, longtemps un domaine trop vulgaire, trop populaire pour lui. Puis il a tenté d’en apprendre la langue mais cela a toujours été une langue étrangère. Grâce à François Bayrou, pour la première fois de notre histoire, nous avons un couple régalien exceptionnel, exactement sur la même longueur d’onde. Il masque la faiblesse présidentielle.

M. Retailleau a toute légitimité pour s’exprimer sur l’ensemble des sujets et ce n’est pas, de son chef et enfin, la première mesure de rétorsion véritable à l’encontre des autorités algériennes qui va diminuer son crédit. Quatre-vingts dignitaires algériens privés des facilités diplomatiques dues à l’accord de 1968 ! La diplomatie à la Jean-Noël Barrot a vécu ! La seule question qui vaille est non pas de savoir si Bruno Retailleau restera au gouvernement – cela dépend de paramètres qui ne relèvent pas que de lui – mais si jusqu’en 2027 la droite dont il est aujourd’hui l’incarnation éclatante saura faire bloc pour gagner. Avec un adieu sans trop de regret au macronisme !

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

12 used & new available from 3,91 €


[1] https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/bruno-retailleau-le-macronisme-sachevera-avec-emmanuel-macron

La justice française est-elle tombée dans le piège tendu par un oligarque kazakh?

0
Mukhtar Ablyazov, l'homme qui valait 6 milliards ! DR.

Les poursuites contre l’oligarque Moukhtar Abliazov ont été annulées en France pour des motifs politiques, relançant le débat sur l’accueil de figures controversées au nom des droits humains


Après plusieurs années de procédure, estimant que les tribunaux français n’étaient pas compétents, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a annulé en avril 2025 les charges pesant contre l’oligarque kazakh Moukhtar Abliazov. Cette décision constitue une victoire juridique pour l’ancien banquier et ministre kazakh, soupçonné d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars lorsqu’il dirigeait la BTA Bank, la plus grande banque du pays. Cependant, cette décision de justice soulève une question fondamentale : la protection légitime des droits humains ne risque-t-elle pas de conduire à une complaisance coupable envers des personnalités controversées ?

Condamné à la perpétuité dans son pays

Moukhtar Abliazov est bien connu dans les chancelleries européennes. Ancien ministre de l’Energie sous la présidence de Noursoultan Nazarbaïev, il est devenu l’un de ses plus farouches opposants avant de fuir le Kazakhstan en 2009. Les autorités kazakhes l’accusent d’avoir détourné 6 milliards de dollars de la BTA Bank et d’avoir orchestré le meurtre d’un de ses associés ; des faits pour lesquels il a été condamné à perpétuité par contumace dans son pays. Pour sa part, l’Ukraine le réclamait aussi pour des détournements de 500 millions de dollars.

En 2012, la Haute Cour du Royaume-Uni l’a reconnu coupable d’outrage à la cour pour avoir menti sous serment et falsifié des documents. « Il est difficile d’imaginer autant de cynisme, d’opportunisme et de ruse de la part d’un individu impliqué dans un litige commercial » a déclaré le juge britannique Maurice Kay. Condamné à 22 mois de prison au Royaume-Uni, Abliazov s’est réfugié en France en 2013. Par la suite, une amende de 218 millions de dollars lui a été infligée par les États-Unis pour ses montages financiers douteux.

En France, il a su intelligemment tirer parti des failles du système. En septembre 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, a signé un décret autorisant son extradition. Mais en 2020, Abliazov a obtenu l’asile politique qui lui a été retiré deux ans plus tard. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État en 2024. Pourtant, il continue à plaider sa cause auprès des autorités françaises en se présentant comme victime de persécutions politiques.

L’annulation des charges pesant contre Abliazov par la Cour d’appel de Paris repose sur un argument juridique : les poursuites engagées contre M. Abliazov seraient motivées par des considérations politiques, dissimulées derrière des accusations de droit commun. Ce raisonnement s’appuie sur le refus de la France, en 2014, d’extrader l’oligarque, ainsi que sur les mises en garde du Conseil d’État contre une possible instrumentalisation de la justice par les autorités kazakhes.

Cette prudence doit-elle pour autant conduire à ignorer les accusations portées contre lui ?

M. Abliazov sait habilement faire intervenir ses relais d’influence. Des personnalités européennes telles que l’ancien eurodéputé Marco Panzeri, impliqué dans le scandale du Qatargate, ont pris sa défense. De même, basée à Bruxelles, la Fondation Open Dialogue (ODF) lui est également fidèle.

Entre 2013 et 2020, l’ODF a expliqué qu’Abliazov et ses acolytes étaient victimes de persécutions politiques. Aujourd’hui, l’ODF qui présente l’oligarque comme un de ses « consultants », publie de rapports qui attaquent ses opposants, qu’il s’agisse d’officiels kazakhs, de banques d’Asie centrale ou d’institutions traquant les fonds de la BTA.

Un OQTF pas comme les autres !

M. Abliazov n’est plus sous contrôle judiciaire. Les charges de blanchiment et d’abus de confiance qui pesaient contre lui ont été abandonnées. Il reste pourtant au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire qui indigne certains responsables politiques français, comme la sénatrice Nathalie Goulet : pourquoi un OQTF déchu de son statut de réfugié – fut-il un oligarque – peut-il continuer à résider en France ?

Au Royaume-Uni, le Crown Prosecution Service (CPS) et la National Crime Agency ont invoqué un « manque de ressources » ou des failles juridiques pour ne pas poursuivre la procédure d’extradition qui le visait. Les avocats de la BTA Bank, menés par le cabinet Hogan Lovells, ont prié le CPS d’agir. En vain.

En annulant les poursuites pour défaut de compétence, la France n’a pas blanchi Moukhtar Abliazov. Elle a simplement pris acte du fait que l’État de droit ne permet pas de juger une affaire lorsque les motivations du plaignant peuvent être considérées comme politiques. Cette décision laisse toutefois entière une question cruciale : un personnage comme Abliazov doit-il continuer à bénéficier de la protection de la France ? En voulant protéger les droits de tous, la France n’est-elle pas en train de devenir un refuge pour ceux qui savent manipuler le droit ?

Aujourd’hui, le nom d’Abliazov figure toujours sur les listes de surveillance britanniques, mais sans volonté politique de la part de Londres et de Paris, cet oligarque insaisissable continuera à échapper à la justice.