Même si la politique de Netanyahou à Gaza est de plus en plus critiquée par les chancelleries occidentales, elles se gardent bien de condamner les arraisonnements en mer des fameuses « flottilles de la liberté ». Pourquoi ?
En juin, Rima Hassan, après avoir tenté sans succès de forcer le blocus israélien à Gaza à bord du Madleen, avec une petite troupe comptant notamment Greta Thunberg, était accueillie en héroïne par Jean-Luc Mélenchon pour son retour en France.
Le 20 juillet 2025, un mois après l’interception du voilier Madleen, la « Freedom Flotilla » récidive : un nouveau bateau, le Handala, s’apprête à tenter de forcer le blocus de Gaza.
À son bord se trouvent dix-huit passagers, dont deux élues françaises : Gabrielle Cathala, députée du Val-d’Oise, et Emma Fourreau, eurodéputée. L’arraisonnement annoncé du Handala serait, selon Gabrielle Cathala « une énième violation du droit international ». La condamnation militante est prévisible. Mais est-elle fondée en droit ?
Un blocus légal du point de vue du droit de la guerre
La réponse se trouve dans le droit des conflits armés. Depuis plus de quinze ans, Israël impose un blocus maritime autour de la bande de Gaza – établi en 2007 après la prise de pouvoir du Hamas, formalisé en 2009. En droit international humanitaire, un blocus naval est une méthode licite de guerre à certaines conditions : il doit être déclaré, effectif, non discriminatoire, et ne pas viser à affamer la population civile. Un panel d’enquête de l’ONU (rapport Palmer, 2011) a d’ailleurs conclu que le blocus de Gaza avait été instauré « en conformité avec le droit international ». Autrement dit, empêcher par un blocus maritime le ravitaillement du Hamas en armes est permis dans le cadre d’un conflit armé, dès lors que ces conditions sont respectées. En somme, le blocus israélien de Gaza est légal du point de vue du droit de la guerre.
Certes, ce blocus inflige des souffrances à la population de Gaza, même si la part des détournements par le Hamas dans ces souffrances paraît essentielle. Mais sa légalité obéit à des normes objectives. Sur ce plan, le blocus demeure une méthode reconnue – tant qu’il n’a pas pour but d’affamer toute une population et qu’une aide humanitaire minimale continue d’arriver par ailleurs. D’ailleurs, aucun État n’a engagé – en tout cas avec succès – de procédure contraignante à l’encontre de ce blocus. Pas même la Grande-Bretagne et la Norvège, dont le Madleen et le Handala battent pavillon, n’accusent Israël d’agir illégalement. Londres s’est borné à demander des explications et à s’assurer du bon traitement de sa ressortissante. C’est a posteriori, après l’arraisonnement du Madleen, qu’Emmanuel Macron a dénoncé le blocus comme une « honte » et « un scandale ».
Et les arraisonnements en mer ?
Qu’en est-il d’un éventuel arraisonnement en haute mer, loin des côtes israéliennes ou gazaouies ? À première vue, selon le droit maritime en temps de paix, aucun État n’a compétence hors de ses eaux territoriales pour intervenir sur un navire étranger. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer consacre en effet le principe de la liberté de navigation en haute mer. Cependant, ce principe ne vaut pleinement qu’en l’absence de conflit. En temps de guerre, le droit de la mer cède le pas au droit des conflits armés : un belligérant peut intercepter, visiter et saisir en haute mer un navire neutre qui tente de violer un blocus légal.
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En résumé, l’arraisonnement du Handala, comme auparavant celui du Madleen, en zone internationale s’expliquerait et se justifierait par le droit de la guerre, qui supplante le droit maritime ordinaire. Contrairement à la vision simpliste de LFI (qui y voit un État agissant illégalement « hors de ses eaux »), on serait bien dans le cadre d’un blocus de guerre : le navire intercepté violerait ce blocus et relèverait donc de la compétence de l’État bloquant. On peut comprendre l’émoi suscité par le fait qu’une frégate de guerre stoppe un vieux chalutier prétendument humanitaire en pleine Méditerranée, mais juridiquement ce ne serait que l’application classique, quoique rare de nos jours, du droit de la guerre sur mer. Qualifier l’opération de « kidnapping » ou de « piraterie » serait tout aussi erroné : il s’agirait d’une capture en temps de guerre, prévue par les lois et coutumes de la guerre navale.
Le caractère « humanitaire » douteux des bateaux remplis de militants médiatisés
Le Handala se revendique « navire humanitaire ». En droit pourtant, cette notion n’existe pas. Hormis les navires-hôpitaux – bâtiments sanitaires clairement identifiés par les Conventions de Genève –, aucun bâtiment civil ne jouit d’une protection spéciale s’il participe à un conflit. Or le Handala n’est évidemment pas un navire-hôpital. C’est un vieux bateau de pêche affrété par la Freedom Flotilla, un collectif militant opposé au blocus israélien. Il bat pavillon norvégien mais sera paré de drapeaux palestiniens. Ses objectifs déclarés sont doubles : apporter une aide (symbolique, au premier sens du terme) aux Gazaouis, et surtout forcer la main d’Israël en contestant publiquement le blocus. En se fixant pour but politique de « briser le blocus » (comme le confirmait Gabrielle Cathala à l’AFP, le 12 juillet), ce bateau s’exclut du cadre d’une mission humanitaire pour se placer dans celui d’un acte de rupture de blocus.
Jean-Noël Barrot, qui ne fait pas figure d’agent pro-israélien, qualifie l’initiative « d’irresponsable » et confirme qu’elle ne contribuera « en rien à résoudre la catastrophe humanitaire en cours[1] ».
Le droit international n’accorde pas de passe-droit à de telles initiatives improvisées, fût-ce au nom de causes qui se veulent nobles. La puissance bloquante conserve le droit de contrôler et de filtrer l’aide destinée à l’ennemi. Un tel contrôle – certes strict et qui peut être politiquement débattu – n’est pas illégal tant qu’une partie des secours parvient aux civils par des voies légitimes. D’ailleurs, au moment où le Handala s’apprête à appareiller, des négociations sont en cours pour faire transiter l’aide humanitaire par des mécanismes structurés. La démarche isolée de ce bateau relève donc avant tout du coup d’éclat médiatique.
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Restera à apprécier la manière dont l’arraisonnement sera mené. Sur ce point, le précédent du Madleen plaide pour Israël. On se souvient qu’en 2010, l’assaut israélien contre le navire Mavi Marmara s’était soldé par la mort de dix militants, soulevant une indignation internationale et des accusations d’usage excessif de la force. En 2025, l’opération contre le Madleen s’est déroulée sans affrontement ni effusion de sang – aucun coup de feu tiré, aucun blessé de part et d’autre. Les passagers avaient été appréhendés sains et saufs, et n’avaient été retenus que le temps de leur identification et de l’organisation de leur retour.
Le traitement réservé aux militants illustrait que l’usage de la force était resté au strict minimum. L’armée israélienne avait même pris soin de fournir de l’eau et des sandwiches aux passagers après leur arrestation. Une photo diffusée montrait Greta Thunberg, tout sourire et vêtue d’un gilet de sauvetage, en train de recevoir un sandwich d’un soldat israélien. Sans parler de la « grève de la faim » que Rima Hassan a maintenu pendant 24 heures. Des militants opposés au Hamas ou des féministes iraniennes capturés dans des circonstances analogues auraient-ils bénéficié d’une telle courtoisie de la part du Hamas ou du régime de Téhéran ? Poser la question, c’est y répondre.
En définitive, il importe peu que l’arraisonnement du Handala ait lieu en haute mer. Dès lors qu’un blocus légal est en vigueur et que sévit un conflit armé, un État belligérant peut intercepter un navire civil en zone internationale pour faire respecter ce blocus. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, le droit de la mer et le droit de la guerre offrent une base légale aux actions d’Israël pour maintenir le blocus de Gaza et intercepter les tentatives de le briser. Les proclamations de LFI et d’autres qualifiant à l’avance l’arraisonnement d’illégal relèvent davantage de la polémique que d’une quelconque analyse juridique. Mais qui s’en étonne vraiment ?
[1] https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/irresponsable-la-passe-d-armes-entre-jean-noel-barrot-et-lfi-n-a-pas-attendu-que-le-handala-s-approche-de-gaza_252825.html
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