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La justice française est-elle tombée dans le piège tendu par un oligarque kazakh?


La justice française est-elle tombée dans le piège tendu par un oligarque kazakh?
Mukhtar Ablyazov, l'homme qui valait 6 milliards ! DR.

Les poursuites contre l’oligarque Moukhtar Abliazov ont été annulées en France pour des motifs politiques, relançant le débat sur l’accueil de figures controversées au nom des droits humains


Après plusieurs années de procédure, estimant que les tribunaux français n’étaient pas compétents, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a annulé en avril 2025 les charges pesant contre l’oligarque kazakh Moukhtar Abliazov. Cette décision constitue une victoire juridique pour l’ancien banquier et ministre kazakh, soupçonné d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars lorsqu’il dirigeait la BTA Bank, la plus grande banque du pays. Cependant, cette décision de justice soulève une question fondamentale : la protection légitime des droits humains ne risque-t-elle pas de conduire à une complaisance coupable envers des personnalités controversées ?

Condamné à la perpétuité dans son pays

Moukhtar Abliazov est bien connu dans les chancelleries européennes. Ancien ministre de l’Energie sous la présidence de Noursoultan Nazarbaïev, il est devenu l’un de ses plus farouches opposants avant de fuir le Kazakhstan en 2009. Les autorités kazakhes l’accusent d’avoir détourné 6 milliards de dollars de la BTA Bank et d’avoir orchestré le meurtre d’un de ses associés ; des faits pour lesquels il a été condamné à perpétuité par contumace dans son pays. Pour sa part, l’Ukraine le réclamait aussi pour des détournements de 500 millions de dollars.

En 2012, la Haute Cour du Royaume-Uni l’a reconnu coupable d’outrage à la cour pour avoir menti sous serment et falsifié des documents. « Il est difficile d’imaginer autant de cynisme, d’opportunisme et de ruse de la part d’un individu impliqué dans un litige commercial » a déclaré le juge britannique Maurice Kay. Condamné à 22 mois de prison au Royaume-Uni, Abliazov s’est réfugié en France en 2013. Par la suite, une amende de 218 millions de dollars lui a été infligée par les États-Unis pour ses montages financiers douteux.

En France, il a su intelligemment tirer parti des failles du système. En septembre 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, a signé un décret autorisant son extradition. Mais en 2020, Abliazov a obtenu l’asile politique qui lui a été retiré deux ans plus tard. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État en 2024. Pourtant, il continue à plaider sa cause auprès des autorités françaises en se présentant comme victime de persécutions politiques.

L’annulation des charges pesant contre Abliazov par la Cour d’appel de Paris repose sur un argument juridique : les poursuites engagées contre M. Abliazov seraient motivées par des considérations politiques, dissimulées derrière des accusations de droit commun. Ce raisonnement s’appuie sur le refus de la France, en 2014, d’extrader l’oligarque, ainsi que sur les mises en garde du Conseil d’État contre une possible instrumentalisation de la justice par les autorités kazakhes.

Cette prudence doit-elle pour autant conduire à ignorer les accusations portées contre lui ?

M. Abliazov sait habilement faire intervenir ses relais d’influence. Des personnalités européennes telles que l’ancien eurodéputé Marco Panzeri, impliqué dans le scandale du Qatargate, ont pris sa défense. De même, basée à Bruxelles, la Fondation Open Dialogue (ODF) lui est également fidèle.

Entre 2013 et 2020, l’ODF a expliqué qu’Abliazov et ses acolytes étaient victimes de persécutions politiques. Aujourd’hui, l’ODF qui présente l’oligarque comme un de ses « consultants », publie de rapports qui attaquent ses opposants, qu’il s’agisse d’officiels kazakhs, de banques d’Asie centrale ou d’institutions traquant les fonds de la BTA.

Un OQTF pas comme les autres !

M. Abliazov n’est plus sous contrôle judiciaire. Les charges de blanchiment et d’abus de confiance qui pesaient contre lui ont été abandonnées. Il reste pourtant au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire qui indigne certains responsables politiques français, comme la sénatrice Nathalie Goulet : pourquoi un OQTF déchu de son statut de réfugié – fut-il un oligarque – peut-il continuer à résider en France ?

Au Royaume-Uni, le Crown Prosecution Service (CPS) et la National Crime Agency ont invoqué un « manque de ressources » ou des failles juridiques pour ne pas poursuivre la procédure d’extradition qui le visait. Les avocats de la BTA Bank, menés par le cabinet Hogan Lovells, ont prié le CPS d’agir. En vain.

En annulant les poursuites pour défaut de compétence, la France n’a pas blanchi Moukhtar Abliazov. Elle a simplement pris acte du fait que l’État de droit ne permet pas de juger une affaire lorsque les motivations du plaignant peuvent être considérées comme politiques. Cette décision laisse toutefois entière une question cruciale : un personnage comme Abliazov doit-il continuer à bénéficier de la protection de la France ? En voulant protéger les droits de tous, la France n’est-elle pas en train de devenir un refuge pour ceux qui savent manipuler le droit ?

Aujourd’hui, le nom d’Abliazov figure toujours sur les listes de surveillance britanniques, mais sans volonté politique de la part de Londres et de Paris, cet oligarque insaisissable continuera à échapper à la justice.



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Gary Cartwright est l'éditeur de EU Today et l'auteur du livre « Wanted Man: The Story of Mukhtar Ablyazov »

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