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Le Neveu de Valère

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Ce roman est beau ; ce roman est fort. Il convie à une réflexion profonde et salvatrice. Avec Les passagers de la cathédrale, Valère Staraselski propose une manière de Neveu de Rameau. Sauf qu’ici, ils ne sont pas deux à converser, mais cinq, quatre hommes et une femme. Il y a François Koseltzov, un double de l’auteur, Louis Massardier, un ancien universitaire de haut vol, érudit, passionnant et passionné, Darius, ami iranien de François qui a passé dix-huit mois dans l’enfer des geôles de Khomeiny, Thierry Roy alias Chéri-Bibi depuis peu gardien au musée Carnavalet, et Katiuscia Ferrier, une jeune femme très sensuelle. Ils devisent aux abords de la sublime cathédrale de Meaux, ou au bord du canal de l’Ourcq, ou ailleurs. Ils dialoguent à propos de la vie, de la mort, de la spiritualité, de la politique… Tous sont terriblement émus par l’incendie de Notre-Dame de Paris.

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Ils se rencontrent à la faveur de l’enterrement d’un SDF anonyme grâce au collectif des Morts de la rue, ou lors d’une messe de minuit. Il est question du catholicisme et du communisme, de la foi et de l’engagement.

Mélenchon : « Le comédien de son idéal » 

L’auteur n’hésite pas à faire un audacieux et très juste parallèle entre le catholicisme et le communisme. « Dans ce roman, je rapporte ce que m’a dit Bernard Maris un soir : « Le communisme n’est qu’un christianisme athée. » Il l’a d’ailleurs écrit. Il y a eu les distanciations et condamnations récurrentes de l’Église contre l’émergence puis contre les expériences communistes. Expériences qui se sont trop souvent révélées, pour le moins, comme des religions sans miséricorde. Mais le communisme ne peut se ramener à une pédagogie établie sur des massacres comme le catholicisme ne peut se réduire à Torquemada ou à l’élimination des Incas. En outre, je constate qu’il y a aujourd’hui, parmi de nombreux autres catéchumènes, de plus en plus de jeunes militants communistes qui affichent leur foi. »

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Il égratigne également une certaine gauche actuelle, radicalisée et intolérante. Ça fait un bien fou : « Quand j’étais jeune, on taxait la droite d’être la plus bête du monde. Ça s’est inversé. Et salement ! À gauche, le peuple a été évacué, la direction des partis de gauche (à l’exception du Parti communiste profond) est confisquée par les représentants des couches moyennes supérieures qui, pour se donner le beau rôle, sont prêts à tous les dénis et compromissions possibles, n’hésitant pas à jouer la logique des extrêmes. Cette « petite gauche », triomphante aujourd’hui, est limitée et fière de l’être et le paie cash dans les urnes. Mélenchon n’est, selon le mot de Nietzche, que « le comédien de son idéal ». Seulement son idéal n’est commandé que par la vanité. Ce personnage qui fascine les foules du ressentiment est donc non seulement vain et destructeur pour son propre camp mais néfaste et dangereux pour la France. »

La parole de Staraselski, à l’instar de son roman, ne manque pas de panache.

Les Passagers de la cathédrale, Valère Staraselski, Le Cherche Midi, 2025. 256 pages

Les passagers de la cathédrale

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Hermann Graebe, les leçons d’un Juste oublié

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Le député LFI Aymeric Caron a écrit sur son compte X le 26 mai 2025: « Ce qu’on peut dire sans trop se tromper, c’est qu’il y a peu de différence entre l’armée israélienne et celle de l’armée nazie ». Puisque la journée commémorative du 20 juillet honorait aussi les Justes, je vais rendre hommage à un Allemand qui a vu l’armée nazie en action pour répondre à cette phrase qui est une ignominie. 

Il y a quarante ans, Yad Vashem décerna le titre de Juste parmi les Nations à Hermann Graebe. Les seuls Allemands à avoir alors reçu ce titre attribué depuis peu étaient un industriel de Cracovie et un héroïque soldat de la Wermacht, Anton Schmidt, fusillé par la Gestapo pour l’aide qu’il avait apportée aux Juifs.

Hermann Graebe, quand il planta un des premiers arbres de l’allée des Justes, venait de San Francisco. Depuis 1948 il s’y était exilé car sa vie était menacée en Allemagne. 

Nous sommes à Nuremberg le 26 juillet 1946 au procès des dirigeants nazis, et c’est au Procureur anglais de parler. Pendant plusieurs mois de débats, on n’avait guère entendu les victimes. La justice de l’époque était focalisée sur la preuve écrite et se méfiait de toute irruption de subjectivité dans l’enceinte du tribunal. Ce n’est que quinze ans plus tard, avec le procès Eichmann, comme l’écrira Annette Wieviorka, que commencera l’ère du témoin. Mais cette après-midi-là, Sir Hartley Shawcross insère dans son réquisitoire des fragments d’un témoignage déposé par un ingénieur allemand devant les autorités Alliées. Hermann Graebe travaillait dans une entreprise d’infrastructures ferroviaires dans la région de Lwow en Ukraine, alors occupée par l’Allemagne après l’invasion de l’URSS.

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Le 5 octobre 1942 il était à l’aérodrome de la petite ville de Dubno quand des Juifs de la localité y ont été amenés. Voici ce qu’il écrit: 

«Le chef d’équipe et moi-même sommes allés directement vers les fosses. Personne ne nous en a empêchés. Les gens qui étaient descendus des camions – des hommes, des femmes et des enfants de tout âge – ont dû se déshabiller sur ordre d’un SS qui tenait une cravache. Ils ont dû déposer leurs vêtements à des endroits précis, triés selon leur nature. Sans crier ni pleurer, ces gens se déshabillaient, se tenaient groupés en familles, ils s’embrassaient, se disaient adieu et attendaient un signe d’un autre SS qui se tenait près de la fosse, tenant un fouet dans sa main. Durant les quinze minutes où je suis resté, je n’ai entendu aucune plainte ou demande de grâce. Je regardais une famille de huit personnes, un homme et une femme  avec deux grandes jeunes filles. Une vieille femme aux cheveux blancs portait un enfant âgé d’un an tout en lui chantant et le chatouillant et le bébé gazouillait avec délice. Les parents regardaient, les larmes aux yeux. Le père tenait par la main un garçon d’environ dix ans et lui parlait doucement, tandis que l’enfant retenait ses larmes. Le père a montré le ciel, lui a caressé la tête et a semblé lui expliquer quelque chose. 

À ce moment-là, le SS près de la fosse a crié à son camarade. Celui-ci a compté une vingtaine de personnes et leur a ordonné d’aller derrière la butte de terre. Parmi eux se trouvait la famille que je viens de décrire. Une jeune fille passant devant moi, s’est désignée et a dit: « vingt-trois ans ». 

J’ai contourné la butte et je me suis trouvé devant une fosse épouvantable. Les gens étaient empilés les uns sur les autres et seules leurs têtes, d’où le sang coulait, étaient visibles. Certains bougeaient, levaient les bras et tournaient leur tête. La fosse était pleine presque aux deux tiers. J’ai estimé qu’elle contenait un millier de personnes. J’ai regardé l’homme qui avait procédé aux exécutions. C’était un SS, assis au bord de l’extrémité étroite de la fosse, les pieds ballants dans la fosse. Une mitraillette sur ses genoux, il fumait une cigarette. Les gens, entièrement nus descendaient quelques marches dans la paroi de la fosse et grimpaient sur la tête de ceux qui gisaient déjà là, vers où le SS les dirigeait. Ils se couchaient face aux morts ou aux blessés, certains caressaient ceux qui étaient encore en vie et leur parlaient à voix basse. Alors j’ai entendu une série de coups de feu. J’ai regardé dans la fosse et j’ai vu que les corps frémissaient ou que les têtes gisaient déjà, immobiles au-dessus des corps couchés dessous. Le sang coulait de leur nuque. Le groupe suivant s’approchait déjà. Ils sont descendus dans la fosse, se sont alignés par-dessus les victimes précédentes et ont été abattus »…

Hermann Graebe ne s’était pas contenté de témoigner. Il avait agi dès avant le massacre de Dubno pour protéger les Juifs employés par son entreprise, leur obtenir des « certificats d’indispensabilité », si besoin les cacher ou, plus tard, les mener lui-même à grands risques personnels vers des lieux où ils pouvaient rejoindre les troupes soviétiques.

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En octobre 1947, son témoignage fut lu de nouveau au procès des chefs des Einsatzgruppen,  ces unités qui ont assassiné probablement plus de deux millions de personnes, ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah par balles. Yahad in Unum, l’équipe de Patrick Desbois, continue  de recueillir les paroles des témoins ukrainiens survivants, qui corroborent parfaitement ce que Hermann Graebe a écrit.

Mais son témoignage eut pour lui et sa famille des conséquences dévastatrices. Dans l’Allemagne d’après-guerre, imprégnée de propagande raciale, dont douze années d’endoctrinement fanatique, la population ne voulait pas accepter de responsabilité. Les grands dirigeants avaient été pendus, ce n’était qu’une justice des vainqueurs, mais au fond, il y  avait une logique, car ces hommes n’avaient pas su éviter la défaite. Mais les chefs des Einsatzgruppen, ces officiers  patriotes, ces intellectuels fidèles à  leur serment d’obéissance, seul un traitre pouvait s’en prendre à eux. Les accusations resurgiront plus tard, en 1966,  quand Hermann Graebe fut vicieusement accusé de faux témoignage dans une cabale à laquelle s’associa le journal  le plus célèbre de l’époque, le Spiegel. Il ne retourna jamais dans une Allemagne qui continue de n’accorder à cet homme admirable qu’une chiche reconnaissance, peut-être parce qu’il  n’a pas trouvé son Spielberg.

L’histoire de Hermann Graebe nous amène à quelques brûlantes considérations.

La première, c’est qu’elle révèle ce qu’est un génocide. Je ne parle pas ici de la définition légale, par laquelle, suivant un spécialiste, on pourrait légitimement appeler génocide l’assassinat prémédité de trois individus du moment qu’il est effectué parce qu’ils appartiennent à un groupe national, ethnique, racial ou religieux donné. Non, je parle ici de ce que représente le génocide dans la psyché humaine, le crime le plus atroce qui soit, celui dont ses ennemis, enclenchant l’accusation et se moquant des garde-fous de sa définition juridique, tambourinent Israël pour lui imposer une opprobre morale aussi injustifiée qu’insupportable. Accuser les soldats israéliens de ce que les soldats nazis  ont fait à Dubno et ailleurs dévoile le monde de mensonges où vivent Aymeric Caron et consorts.

La seconde, c’est la pérennisation d’une vision du monde manichéenne comme celle que les nazis ont instituée en Allemagne, à rapprocher, de façon probablement encore plus caricaturale, de celle avec laquelle les habitants de Gaza ont été biberonnés par le Hamas. Il ne faut même pas chercher des exemples si extrêmes: l’endoctrinement idéologique inculqué par des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche compétents dans la manipulation mentale ne disparait pas dans un débat démocratique: quand on ne veut pas savoir, on ne sait pas car la vérité qui démantèlerait les certitudes du passé serait trop difficile à supporter. Cela a longtemps été le cas pour la population allemande. Hermann Graebe en a fait les frais. Cela risque d’être plus longtemps encore, parce que la religion s’en mêle, le cas de la population de Gaza.

La troisième considération est redoutable: nous-mêmes, défenseurs d’Israël, ne sommes-nous pas pris dans des ornières qui nous empêchent de voir la réalité? 

Je pense qu’il y a  des drames de la faim à Gaza  mais je ne crois pas du tout à une famine orchestrée. Parce que j’ai une confiance absolue dans la moralité de l’immense majorité des soldats de Tsahal et de leur direction, élevés dans une société du débat où de telles intentions ne pourraient pas être acceptées. Parce que j’ai une méfiance tout aussi absolue dans les témoignages de personnes qui ont un lien de dépendance, directe ou indirecte avec le Hamas, et cela inclut malheureusement les journalistes soi-disant indépendants et les membres d’institutions internationales qui ont fait leur choix il y a longtemps, d’être les faire-valoir d’une idéologie totalitaire et fanatique. Parce que les famines épouvantables du Soudan et du Yémen ne génèrent aucun intérêt international. Parce que les difficultés alimentaires ont été aggravées par la tactique du Hamas qui en a fait une arme de combat médiatique et de domination économique. Parce qu’il s’agit d’une guerre, que cette guerre a été déclenchée par le Hamas et parce qu’elle pourrait être arrêtée instantanément s’il libérait ses otages. Parce que, enfin, contrairement à la Shoah où le négationnisme international a commencé 25 ans après le dévoilement des crimes, le négationnisme de la responsabilité du Hamas a commencé le 8 octobre 2023, le jour qui a suivi le crime génocidaire et qu’il repose sur une ahurissante inversion victimaire.

Herman Graebe a été un Juste à l’époque nazie. Je suis sûr qu’il y a eu, et j’espère qu’il y a encore des Justes à Gaza. Seule une victoire israélienne leur permettrait de témoigner…

Roman national: «On ne peut pas priver les enfants d’un tel vivier d’histoires!»

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On ne présente plus le célèbre Puy du Fou, parc à thème internationalement reconnu et favori des Français. Mais derrière les reconstitutions historiques grandioses qu’il propose, se cache aussi depuis 2023 une maison d’édition, qui s’est lancée en avril dans une nouvelle aventure : un mensuel pour enfants ! Nous avons rencontré la rédactrice en chef, passionnée d’histoires et d’Histoire, la romancière Gwenaële Barussaud.


Causeur. Petits lecteurs, grandes histoires… Votre mensuel Le Panache appartient au groupe éditorial « Le Puy du Fou ». Quelles sont ses ambitions et quelle est la ligne éditoriale de ce nouveau magazine ?

Gwenaële Barussaud. Depuis sa création, le Puy du Fou a toujours raconté des histoires pour faire connaître et aimer l’Histoire de la France. L’édition est donc apparue comme un canal supplémentaire idéal pour prolonger cette ambition et offrir à cette transmission culturelle le support le plus pérenne : celui du livre. La ligne éditoriale de Puy du Fou Éditions s’inscrit dans la lignée de celle des spectacles offerts par le parc : il s’agit de raconter la France dans toutes ses dimensions, culturelles, géographiques, historiques, pour faire découvrir aux lecteurs les richesses du patrimoine français, avec une exigence narrative et esthétique.

Vous-même êtes dans cette aventure depuis le début ?

Presque ! Je suis arrivée au Puy du Fou via son école, Puy du Fou Académie, en 2023. J’y ai enseigné avant de rejoindre le projet Panache, qui a rencontré à la fois mon goût pour la création, les histoires, mon besoin de transmission et l’intérêt que je porte à la jeunesse depuis toujours.

Comment est apparue l’idée de créer un mensuel pour enfants ?

C’est une idée qui émane d’une réflexion commune à l’école et à l’édition : offrir à la jeunesse un support pour nourrir son imagination, assouvir son besoin d’émerveillement et développer le goût de la lecture. Par mon expérience de lectrice et de romancière, je sais à quel point les histoires jouent un rôle fondamental dans la formation de la personnalité : quelle lecture « adulte » peut se targuer de laisser une empreinte aussi profonde qu’une lecture jeunesse, qui a l’avantage des premières fois ? Par ailleurs, un magazine offre deux avantages : par sa variété, il s’adapte à tous les profils de lecteurs ; par sa périodicité, il propose un rendez-vous régulier et crée un lien durable. C’est donc le format idéal pour accompagner la jeunesse dans ces années charnières !

Pourquoi l’Histoire de France ?

D’abord parce qu’elle est un terreau inépuisable. J’ai écrit une cinquantaine de romans historiques et je m’étonne de trouver encore tant de sujets à développer ! Quand on promène son imagination devant une chronologie de l’Histoire de France, on constate qu’elle s’embrase à chaque époque. On ne peut pas priver les enfants d’un tel vivier d’histoires ! Ensuite parce qu’elle nous rappelle que nous ne sommes pas des électrons libres, mais que nous nous inscrivons dans la chaîne multiséculaire d’une histoire grandiose et tragique. Chaque lecteur du Panache peut éprouver par sa lecture le legs immense dont il est le dépositaire, pour le perpétuer et, plus tard, le transmettre à son tour.

Vous développez des thèmes spécifiques, comme les voyages de La Pérouse ou le chemin de fer. Comment les choisissez-vous?

Chaque thème du Panache raconte un aspect de la France : sa géographie (le littoral, les forêts françaises, Paris…), ses personnages (La Pérouse, les reines), ses inventions (le cinéma) et son histoire, évidemment ! Nous aimons aussi mettre en avant des passions typiquement françaises : le train, la gastronomie, les cafés… Nous essayons de nous adapter au calendrier annuel (Noël et la montagne l’hiver, les voyages et les plages l’été) et de varier les époques abordées.

Pensez-vous que l’Histoire de France soit mal connue des enfants ?

La question n’est pas tant la connaissance que l’adhésion affective. Nous contribuons, à notre échelle, à la diffusion de cette connaissance. Mais nous souhaitons surtout faire aimer cette histoire en en soulignant son caractère éminemment singulier et romanesque. Moi-même, j’ai aimé passionnément l’Histoire non en lisant des documentaires, mais des romans de Victor Hugo ou Alexandre Dumas. Ce furent mes meilleurs professeurs. Je suis toujours étonnée de voir à quel point certains destins, certaines époques de l’Histoire de France semblent avoir été écrits par un romancier particulièrement inspiré. Quel roman que ma vie ! constatait Napoléon à Sainte-Hélène. Connaissant l’appétence naturelle des enfants pour les histoires, Le Panache se propose de leur raconter celles qui ont façonné la France pour les émerveiller et les émouvoir.

A lire aussi: À la recherche de l’esprit français

Quel type de lectorat visez-vous ?

Le Panache s’adresse à tous les enfants de 8 à 13 ans, sans aucune restriction. Et bien sûr à tous les adultes qui ont gardé une âme d’enfant.

Y a-t-il une spécificité au Panache que l’on ne retrouve pas dans les autres publications destinées à la jeunesse ?

Sa ligne éditoriale – raconter la France – lui est spécifique. Par ailleurs, il n’existe pas pour cette tranche d’âge de revue proposant ce que nous voulons transmettre : le goût de l’Histoire, de l’aventure, l’héroïsme. Enfin, nous sommes fiers d’offrir une création 100 % française avec une haute exigence esthétique.

Comment recrutez-vous vos auteurs ?

C’est une question importante car, au-delà du souci des lecteurs qui nous anime en premier lieu, nous avons à cœur d’encourager la création française en mettant en valeur des auteurs et dessinateurs de talent, parfois inconnus, parfois confirmés. Les canaux de recrutement sont divers. Mon travail dans l’édition depuis quinze ans m’a permis de développer un réseau d’auteurs que j’admire ; certains sont devenus des amis que je contacte lorsque je devine que tel thème les inspirera. Par ailleurs, des auteurs m’ont envoyé spontanément une proposition de collaboration à la naissance du Panache. Enfin, je travaille aussi avec des élèves du lycée Puy du Fou Académie dans le cadre d’ateliers d’écriture. Une nouvelle rédigée par une élève sera publiée pour la première fois dans Le Panache de novembre, c’est une joie et une fierté !

Est-ce que Monsieur de Villiers intervient dans le processus rédactionnel ?

Philippe de Villiers n’intervient pas dans la rédaction du Panache, mais il soutient le projet depuis sa genèse. Je sais qu’il le lit, mais j’ignore s’il résout toutes les énigmes policières !

Quels sont les retours de vos jeunes lecteurs ?

Ils sont à la fois nombreux et enthousiastes ! Nous recevons une centaine de lettres chaque mois et ces retours, par leur spontanéité et leur authenticité, s’avèrent être le meilleur des moteurs. Je suis particulièrement touchée de voir à quel point les enfants se sont attachés aux mascottes du Panache et aux personnages de la bande dessinée Jacques, Vic et Otto. On devine que ces héros sont devenus, peut-être pas des modèles, mais sans doute des exemples et sûrement des amis. Par ailleurs, nous recevons aussi des lettres vraiment touchantes de parents et grands-parents qui nous disent le vif intérêt qu’ils prennent eux aussi en lisant le magazine.

Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

Nous espérons que Le Panache va poursuivre son rayonnement auprès de tous les enfants de France ! Le 5 novembre prochain sera une grande date, car nous publierons la bande dessinée Les Aventures de Jacques, Vic et Otto, premier ouvrage de Puy du Fou Éditions disponible dans toutes les librairies. Et puis nous espérons pouvoir ensuite créer des magazines pour les autres tranches d’âge afin de suivre nos abonnés dans leur croissance !

Comment est composé Le Panache ?

L’avantage d’un magazine, c’est qu’il offre une grande variété de formats de lecture. Chacun doit pouvoir y trouver une porte d’entrée, selon son niveau et ses goûts ! Le Panache propose ainsi une Grande Histoire illustrée en lien avec le thème mensuel, des rubriques documentaires (arts, géographie, gastronomie…), et huit planches de BD inédites, qui racontent par épisodes le périple de deux enfants dans la France de la Libération. On y trouve aussi une énigme, des tests, des recettes… bref, tous les ingrédients d’un rendez-vous mensuel vivant pour « instruire et plaire » dans l’esprit de la tradition pédagogique à la française !

Détails et abonnement ici.

Ma France

Notre chroniqueur ne prend apparemment des vacances que pour trouver des sujets de chronique. Séjournant actuellement en Bretagne, il nous en envoie une carte postale tricolore que la direction internationaliste de Causeur a saisi du bout des doigts, pour ne pas être contaminée…


Peut-être vous souvenez-vous :

« De plaines en forêts, de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirais pas d’écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France… »

Jean Ferrat a créé cette chanson en 1969. Il était alors communiste, et personne, au PCF, n’a eu l’idée de lui reprocher d’exalter un pays pour lequel « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas » étaient morts.
Aujourd’hui, n’y comptez plus. Nous vivons une époque curieuse où les gens de gauche (ou qui s’y croient) sont prêts à vilipender Ferrat et la France. Ils reprocheront au poète d’exalter la nation (quelle horreur !), le terroir (« Fasciste ! Viandard ! Agriculteur, va ! ») et les moments les plus patriotiques du pays : « La patrie, une invention masculiniste, paternaliste, dominatrice et colonialiste ! » assurent les gagas islamo-bobo-gauchisto-intersectionnels.
C’est ce que j’appelle l’Instant Orwell, où toutes les valeurs sont comprises à l’envers : La Liberté, c’est l’Esclavage, l’Ignorance, c’est la Force et l’amour du pays, c’est la haine mondialisée.
Et les intellectuels de gauche, s’il en reste, sont le degré zéro de l’intellect.
Et, accessoirement, de la gauche. Demandez à Ferrat. Demandez à Georges Marchais, qui se battait contre l’immigration, parce qu’il savait bien qu’on avait ouvert les portes pour faire disparaître les ouvriers français — c’est fait. Demandez à tous ceux que quarante ans de gauche a enfermés dans les ghettos où ils étaient nés — pendant que leurs propres enfants obtenaient des dérogations pour fréquenter tel ou tel de ces lycées, privés ou publics, où se confinent les élites auto-proclamées.

A lire aussi: Le goût du large!

Je reviens de Bretagne, où j’ai passé quinze jours miraculeusement beaux, de forêts hercyniennes en enclos paroissiaux, de côtes de granit rose en landes sauvages, me régalant de fraises de Plougastel et d’oignons roses de Roscoff — entre autres.
Avec ma moitié qui est mon tout, nous avons fait le projet, depuis quelques années, de passer des vacances, courtes ou longues, dans des régions que nous n’avons pas encore explorées. En fait, de nous aimer dans chacun des départements français — excepté Paris, peut-être, parce que la « ville-monde », comme disent les géographes, a divorcé d’avec la France il y a vilaine lurette.
Alors cet été la Bretagne, en avril dernier la Creuse, hier le Gers, avant-hier l’Alsace (ah, ce jarret braisé et confit au melfort dégusté à Strasbourg !), ou la Corse, ou le Jura, aux cascades du Hérisson… Sans oublier les Cévennes, sur les traces de Stevenson, ni les oranges amères qui bordent les allées à Menton, ni…
La France est inépuisable.

Il y a quelques années, ce grand couillon de Claude Askolovitch fustigeait un mien ami gastronome parce qu’il exaltait la cuisine des terroirs — un réflexe pétainiste, paraît-il. Réfléchissez-y à deux fois avant de vous résigner à la salade de quinoa mal cuit : la cuisine française est l’une des meilleures au monde, et seule une conspiration de bobos alter-mondialistes récuse l’onctuosité d’une daube ou d’un gigot de sept heures mariné dans un côtes-du-Ventoux charpenté nourri de thym et de romarin, de noix de muscade, de baies de genièvre, de clous de girofle, d’une bonne cuillérée de gingembre et d’un peu de sucre, un gigot dans lequel vous avez injecté à la seringue un mélange de jus d’orange et d’armagnac (recette à disposition). La France aime la viande — la mienne, la vôtre, celle de Ferrat, celle de ceux qui aiment la France : la table est un drapeau pour les vrais patriotes. Et l’odeur des côtes grillées au barbecue flatte les narines des vrais dieux, si elle offusque celles de Sandrine Rousseau.

A lire aussi, Elisabeth Lévy et Jonathan Siksou: À la recherche de l’esprit français

La France aime aussi son histoire et sa culture. Châteaux édifiés haut pour résister aux Anglais, cadets de Gascogne, volontaires de 93, le jeune Bara mourant pour la République, patriotes d’août 14, harkis mourant pour la libération du pays — une plaque célèbre leur sacrifice sur le monument aux morts de Béziers. Et Hugo, Voltaire, Rabelais, Chrétien de Troyes, Corneille, Racine, La Fontaine, Flaubert, Maupassant — tous effacés peu à peu des programmes au profit d’Annie Ernaux, d’Edouard Louis et de Virginie Despentes.

Elisabeth Borne, actuel ministre de l’Education, devrait se rappeler quelles références bien françaises lui ont permis de réussir Polytechnique et les Ponts et Chaussées, et les imposer aux enfants abêtis par quarante ans de pédagogisme, et livrés aujourd’hui à des maîtres largement ignorants. La culture française a permis à la fille de Joseph Bornstein de devenir Premier ministre, et à Jean Tenenbaum de devenir Ferrat : la vraie assimilation passe par la culture, par la cuisine, par l’amour des paysages — pas par le repliement sur les billevesées d’un chamelier fou de soleil.

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Paris enthousiaste, Paris mouillé, Paris réconcilié, plébiscite le Tour

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Pour la première fois passé par la butte Montmartre, ce Tour de France 2025, considéré comme l’un des plus palpitants de l’histoire récente par notre chroniqueur, s’est conclu par une victoire magistrale de Wout van Aert sur une dernière étape épique sous la pluie parisienne…


Assurément, osons le dire, n’hésitons pas à être dithyrambique, et que les acrimonieux qui ne veulent y voir qu’une « farce » à cause du soupçon récurrent de dopage ravalent leur bile, le Tour de France est beaucoup plus qu’une épreuve sportive.

Le mythe

Quel événement au monde peut se targuer en effet de rassembler tout au long de son parcours, pendant trois semaines un public aussi nombreux, impossible réellement à estimer, joyeux, bon enfant, facétieux, de tout âge et sexe, brandissant une multitude de drapeaux souvent inconnus, d’exploser les après-midis de juillet l’audimat, d’être suivi à la télé à des heures pas possibles à cause du décalage horaire en Asie, en Afrique et aux Amériques, même dans les îles les plus isolées du Pacifique ?

Dans les années 60, l’écrivain Roland Barthe, dans son livre Mythologies l’avait qualifié de dernière « épopée » dans une société sur-administrée. Probable, mais aujourd’hui, ce qui est sûr c’est qu’il est le plus grand événement mondial, toutes catégories confondues.

Aucune manifestation culturelle ou politique ne peut lui être comparée. Même les grands succès cinématographiques hollywoodiens ne rivalisent pas avec lui. En 2024, selon différentes sources concordantes, dont France Sport Expertise (FSE), un regroupement d’entreprises françaises, il avait été vu par 3,5 milliards de téléspectateurs cumulés… Seules les cérémonies d’ouverture et de clôture des JO et les deux finales des coupes du monde de foot et de rugby font mieux que la Grande boucle. Mais elles n’ont lieu que tous les quatre ans… Et le Tour, c’est tous les ans. Depuis sa création en 1903, le Tour n’a pas été couru à deux reprises : pendant les deux guerres mondiales.

Derniers feux

Dans une France qui a été chassée de son pré-carré africain, qui ne fait plus entendre sa voix sur la scène internationale, plus particulièrement moyenne-orientale, et ce depuis le mémorable discours anti-guerre du Golfe à l’ONU de Dominique de Villepin prononcé avec fougue à l’instigation de Jacques Chirac, que sa capitale n’est plus celle des arts et des lettres, n’est plus cette fête que célébrait Ernest Hemingway, le Tour est la dernière survivance de son feu rayonnement. Le Tour est l’ultime étendard d’une singularité nationale qui se dissout.

A lire aussi, Thomas Morales: Sortez de l’autoroute!

C’est sans doute pour cela que, dimanche, lors de la 21ème et ultime étape de cette 112ème édition, que Paris enthousiaste, Paris mouillé, Paris réconcilié, Paris festif[1], l’a plébiscité ! Et le Tour le lui a bien rendu en lui offrant une course homérique, digne de Dante. La rue Lepic qui mène au sommet de Montmartre où trône le Sacré-Cœur, est entrée dans la légende vélocipédique, au même titre que les grands cols, tels que le Tourmalet, le Galibier, le Ventoux…

C’est là, sous une pluie battante, sur un pavé glissant, sous les acclamations incrédules d’un public qui n’en attendait pas tant, sur ce « volcan en éruption » dixit Le Figaro, que le vainqueur, Wout van Aert, a dompté le vorace maillot jaune, Tadej Pogačar, qui de toute évidence la voulait cette étape.

Pas de temps mort

La victoire de Van Aert en solitaire est le résultat d’une habile tactique et aussi consécutive à un excès de suffisance de Pogacar. Le temps ayant été gelé par l’organisation à cause d’une chaussée glissante au troisième passage sur la ligne d’arrivée, son leader, second au général, Jonas Vingegaard, qu’il devait protéger jusqu’à la fin, lui a laissé carte blanche pour jouer la sienne et l’a jouée en maître tacticien car pour gagner il faut des jambes mais surtout une tête.

En résumé, au premier passage au sommet de Lepic, Julian Alaphilippe a déclenché les hostilités ; Pogacar a riposté sans faire la décision ; au deuxième passage, ce dernier, sûr de lui-même, son erreur, est passé à l’offensive pensant terminer en solitaire, comme à son habitude, et asseoir sa gloire. Mais, Van Aert était aux aguets et l’a neutralisé, lui portant un coup certain au moral. Et au troisième franchissement du haut de la butte de Montmartre, il lui a alors porté l’estocade fatale. Mais ce panache dont a fait preuve Pogacar a été aussi une sorte de cadeau qu’il a offert à un public ébahi de le voir dans ses œuvres… non plus à la télé mais bel et bien sur le vif.    

Ainsi il a contribué à faire de cette étape une étape d’anthologie dans un Tour d’anthologie qui depuis son départ de Lille n’a pas connu le moindre temps mort, un Tour qui marque un tournant dans l’histoire de la Grande Boucle. Les deux équipes les plus riches, UEA et Wisma, celles du premier et second au général, ont pratiquement tout raflé, ne laissant aux autres que les accessits. Nous y reviendrons rapidement dans ces colonnes, sur ce nouveau cyclisme, dont ce Tour 2025 est l’annonce… À suivre…


[1] Plagiat de la célèbre citation de de Gaulle prononcée à l’hôtel de ville de Paris, évidemment: Paris outragé, Paris brisé, Paris, martyrisé, Paris libéré…

Chasseurs de têtes nazies

Michel Tedoldi publie en poche son enquête « Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis » (Albin Michel)


Note secrète

1945 : l’armée de de Lattre occupe le sud-ouest de l’Allemagne et tend à maintenir si ce n’est à étendre son « pré-carré ». Joliot-Curie et une myriade d’organismes scientifiques et administratifs français vadrouillent dans l’aire d’occupation française, prenant progressivement conscience du potentiel en chercheurs, savants et matériels de tous ordres que recèle la zone. De Lattre ne sait que faire (si ce n’est, dixit Michel Tedoldi, organiser d’inutiles fiestas sur les bords du lac de Constance). Et de Gaulle, dans son style à la fois très écrit et ferme, de lui dicter ses instructions dans une note secrète qu’il y a lieu de transcrire in extenso tant elle condense bien tout ce qui est alors en jeu pour la France :

« Toute reconstruction en Allemagne serait destinée tôt ou tard à échapper aux organes de contrôle français ou alliés. Les bénéfices à retirer des travaux dans ces centres de recherche avec mainmise théorique de notre part seront faibles vis-à-vis des dangers certains que présente pour l’avenir leur remise en route. Aussi convient-il de rechercher la destruction sur le sol allemand de toutes possibilités de ce genre. Parallèlement, il faut s’efforcer de les reconstituer en France, avec le matériel ramené d’Allemagne, et attirer certaines personnalités scientifiques particulièrement qualifiées [c’est nous qui soulignons]. Il y a lieu de remarquer à ce propos que les Alliés ont déjà amorcé une politique d’absorption des meilleurs éléments. Dans ce but, il y aura lieu de transférer en France les scientifiques ou techniciens allemands de grande valeur pour les interroger à loisir sur leurs travaux et, éventuellement, les engager à rester à notre disposition. »

Rivalités

Pour résumer la suite des évènements, nous énoncerons la chose ainsi : c’est cette « éventualité » qui va devenir « généralité ».

De cette course-poursuite aux savants allemands « maudits », mais dont la ‘‘malédiction’’ va fondre au profit de la conscience de la ‘‘bénédiction’’ que constituerait leur collaboration à la recherche et en quelque sorte à l’œuvre scientifique française durant les Trente Glorieuses en matière militaire et civile, principalement aéronautique et spatiale, il va résulter ceci :

  • une rivalité accrue entre Français, Britanniques et Américains, chacun lorgnant le voisin, chacun cherchant le moyen d’attirer dans sa zone sa proie (savante et allemande), chacun, jaloux et sans foi, en tout cas sans respect du droit international, n’hésitant pas à aller la kidnapper chez le voisin et néanmoins « Allié » ;
  • un réel accaparement par la France (sans parler de tous les autres, partis sous d’autres cieux et au service d’autres puissances, y compris soviétiques) de savants, chercheurs ou chercheurs-industriels allemands – dont beaucoup ont activement et lourdement contribué comme on dit à l’effort de guerre du Troisième Reich et dont l’auteur, aux propos très moraux (sans, ici, aucune note ironique), déplore que la France ait passé par pertes et profits l’absence de repentir – qui ont nom : Von Zborowski, Schardin, Kraehe, Oestrich, le ‘‘motoriste du Führer’’, Sänger, Schall, Ferdinand Porsche, sans oublier bien sûr Bringer (qui, comme on dit encore, « a sa rue » à St Marcel, petit village près de l’ancienne usine de Vernon, dans l’Eure) et son mentor Werner von Braun.

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Repentir

On ajoutera que la figure de Marcel Dassault en prend aussi pour son grade et, plus généralement, selon l’auteur, toute l’histoire « officielle » de la grande famille des avionneurs français de l’après-guerre, à un point tel qu’il ne serait pas exagéré de soutenir que la fusée « européenne » lanceuse de satellites Ariane est la petite sœur des redoutés V2 allemands.

Il conviendrait que la France établisse une doctrine (d’application fatalement secrète) de possible exploitation et mise à disposition, autoritaire ou volontaire, de tous maîtres d’œuvre et savants étrangers se repentant de forfaits commis dans leur pays d’origine. Et ce repentir se manifesterait concrètement, gratuitement, gracieusement, secrètement par une mise au service de la France d’un talent utilisé jusque-là au profit d’un mal ennemi étranger.

Enfin avons-nous relevé que ce livre se conclue par une remarque de nature éditoriale. Dans ses Remerciements – rubrique courante en fin d’ouvrage -, Michel Tedoldi souligne que son livre ‘‘n’aurait jamais vu le jour sans la ténacité et le soutien de mon éditrice, Véronique de Bure’’. Ce qui, a contrario, tend tout simplement à souligner l’importance de ses révélations, sans même parler des réputations fallacieuses qu’il risque de bousculer. 

Michel Tedoldi, Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis – Albin Michel, 256 p.

Ersatz de bébés

Découvrez le monde merveilleux des « poupées reborn »


On connaissait les poupées gonflables, destinées à assouvir des fantasmes érotiques. On peut désormais se procurer des nourrissons artificiels. Les « poupées reborn » sont si réalistes qu’on peut presque les confondre avec de vrais bébés.

Leur mode commence aux États-Unis dans les années 1990 avant de gagner le reste de la planète. S’il s’agissait au début de poupées ordinaires retravaillées (d’où reborn, « qui renaissent ») par des artistes, aujourd’hui on peut les acheter en kit et les personnaliser. Il y a un marché florissant en ligne et les prix peuvent être élevés. La clientèle est composée surtout de femmes qui peuvent s’imaginer pouponnant un véritable nouveau-né. Des appareils électroniques simulent les battements de cœur et la respiration. Beaucoup de clientes donnent le bain à la poupée, la mettent au lit ou la promène dans une poussette. D’abord une affaire de collectionneuses, les poupées reborn sont devenues aussi un exutoire à l’instinct maternel et même une aide à surmonter le deuil d’un enfant. Certains commentateurs dénoncent une forme de dépendance malsaine. D’autres rappellent la théorie de la « vallée de l’étrange » connue en robotique : plus un objet ressemble à un être humain, plus il provoque en nous de l’empathie ; mais s’il est trop réaliste, il provoque un sentiment de rejet, d’« inquiétante étrangeté », dirait Freud. C’est ainsi qu’une véritable panique morale vient de saisir le Brésil où plus d’une trentaine de projets de loi au sujet des poupées reborn ont été introduits dans des conseils municipaux ou les assemblées des différents États. La plupart visent à sanctionner les femmes qui essaient de faire soigner leur poupée à l’hôpital public ou qui prétendent avoir un bébé pour se faire traiter en priorité. Pourtant, aucun cas avéré ne justifie cette mobilisation. Une vidéo sur TikTok montrant une poupée amenée à l’hôpital s’est révélée n’être qu’une mise en scène ludique. Cela n’a pas empêché les amatrices de subir un torrent de dérision vitriolique sur les réseaux ou les fabricants de recevoir des menaces de mort.

Une chanson de rap parodique prône le recours à la violence contre les maléfiques poupées. Le 6 juin, un homme a frappé un vrai bébé à la tête. Sa défense ? Il croyait que c’était une poupée reborn.

Le goût du large!

Arthur Da Costa Adao et Louis Grizeau ont fait leurs classes sur le continent avant de mettre le cap sur l’île de Ré. À L’Écailler, leur restaurant du port de La Flotte, ils mettent un point d’honneur à ne servir que les meilleurs produits du terroir comme le thon rouge, le lieu jaune et le homard, avec de jolis vins accessibles à tous.


« À l’origine, les nourritures naturelles de l’homme sont les bêtes et les plantes de son territoire, le mammouth, le caviar, l’huître, la truffe, les insectes, les fruits… » Joseph Delteil, La Cuisine paléolithique.

Dans nos campagnes, les touristes hollandais traînent la réputation d’apporter avec eux leur nourriture stockée au fond de leur camping-car. Vestige d’un vieux puritanisme protestant, cet esprit d’économie passe à l’as la plus grande joie des vacances, celle qui consiste à découvrir un pays étranger à travers ce qu’il offre de plus intime et de plus profond : son goût !

Le parfum d’une terre âpre et sauvage

Quel est donc le goût de l’île de Ré ? Depuis la construction du pont la reliant au continent (1988), bien des choses ont changé… Ceux qui se souviennent du bac qu’il fallait prendre au départ du port de La Pallice savent qu’il s’agissait d’une expédition, on se rendait sur une terre encore sauvage et préservée. Né en 1931 au village de Sainte-Marie, l’apiculteur Robert Guion, 94 ans et l’œil pétillant (il a passé sa vie à se soigner au miel et à la gelée royale), nous livre ici un témoignage ethnologique.

« Pour se rendre sur l’île de Ré avant la guerre, il fallait prendre un bateau, Le Coligny, qui partait de La Rochelle deux fois par semaine. Un petit train partait de Rivedoux et montait jusqu’aux Portes, au nord. Les gens avaient le sentiment de se retrouver sur une terre étrangère. Louis XIV avait d’ailleurs accordé à l’île de Ré le privilège royal d’être « un Pays étranger », exempt de taxes et libre de commercer avec les pays scandinaves et la Hollande pour leur vendre du vin, des eaux-de-vie et du sel. Le roi récompensait ainsi les Rétais d’avoir repoussé la tentative d’invasion anglo-hollandaise de juillet 1696, quand quarante-trois vaisseaux avaient bombardé le port de Saint-Martin fortifié par Vauban. Jusqu’à la Révolution, l’île s’est beaucoup enrichie. Après 1945, les touristes ont commencé à venir à bord du bac. Mais nous vivions toujours en autarcie : nous nous nourrissions de poissons pêchés à pied (il y avait 140 écluses !), de coquillages et de légumes. Pour l’eau, chaque maison avait son puits, une eau très fraîche et très pure. Nous avions aussi des poules, des lapins et des chèvres… C’était un monde clos. Au nord, les Rétais parlaient le patois de Vendée, au sud le patois d’Aunis et de Saintonge. Pour le divertissement, il y avait les cafés et les bals populaires. Les ânes portaient les vendanges. Le miel avait un autre goût qu’aujourd’hui car il y avait des fleurs de luzerne, d’asperges et d’immortelles des sables (toutes ramassées par l’industrie cosmétique). Le plat traditionnel de l’île de Ré était le ragoût de seiche aux pommes de terre, parfumé à l’oignon, à l’ail, au persil et au vin blanc de l’île (à base de folle-blanche) ; les seiches étaient séchées au soleil l’été pour être conservées, puis trempées dans de l’eau avec de la cendre l’hiver. Au dessert on mangeait de la galette à l’angélique confite des marais poitevins accompagnée d’un verre de pineau des Charentes. Le seul engrais que nous utilisions pour nos terres, c’était le varech naturel récolté sur les plages. Les derniers paysans que j’ai connus sont tous morts du cancer, empoisonnés par les pesticides. »

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Le père Guion aurait encore beaucoup de choses à nous raconter, mais le tableau qu’il peint exhale le parfum d’une terre encore âpre et sauvage. Est-il possible d’en retrouver la saveur ? Probablement pas. Loin des tomates-mozzarella qui ont envahi tous les restaurants de France, on peut toutefois aller manger à L’Écailler, sur le port de La Flotte, dont la pureté éclatante est digne d’un Nicolas de Staël. Depuis avril 2025, cette institution a été reprise par deux gaillards de 26 ans : le chef Arthur Da Costa Adao (visage d’ange) et le sommelier Louis Grizeau (moustaches à la Arsène Lupin).

Deux jeunes venus de chez Christopher Coutanceau

Construite en 1652, la maison a conservé son plancher d’origine fabriqué à partir de mâts de bateau posés à même le sable. Arthur et Louis viennent tous deux de chez Christopher Coutanceau, le chef trois étoiles Michelin de La Rochelle, qui leur a inculqué l’amour du poisson de saison pêché à l’âge adulte après s’être reproduit au moins une fois : « Un poisson digne de ce nom est un poisson pêché à la ligne. »

Lieu jaune de ligne, fèves blanches et marinière de coquillages.

Ces deux compères ont le mérite d’avoir constitué rapidement une équipe jeune et motivée de 15 personnes sans aucun appui financier derrière : les voici donc condamnés à réussir !

À L’Écailler, il n’est pas encore prévu de servir du ragoût de seiche… mais Arthur et Louis mettent un point d’honneur à ne sourcer que les meilleurs produits du territoire comme le thon rouge (pêché au large de La Rochelle), le lieu jaune de ligne servi nacré avec des fèves blanches à l’huile de laurier et une marinière de coquillages aux algues (un régal). L’été est la saison du homard : les meilleurs sont les vieilles femelles bien fermes dont la carapace est ornée de coquillages. Le chef les grille à la plancha sur leur carapace, « l’idée étant de faire monter la chaleur lentement dans la chair tout en la protégeant ».

Vue sur le port de La Flotte depuis la salle de L’Écailler.

Avant Coutanceau, Louis était chez Alain Passard, à L’Arpège : « Il n’y a pas de cuisine plus épurée que la sienne et c’est un rôtisseur de génie. C’est lui qui m’a fait comprendre que, quand on cuisine, on doit soi-même avoir un peu faim. Pour donner du plaisir aux gens, c’est indispensable ! »

Louis Grizeau, de son côté, est un sommelier qui aime sortir des sentiers battus en proposant des vins insolites, à l’image de son cahors blanc à base de roussanne élevé dans un fût de Corton-Charlemagne – une vraie pépite ! Formé dans un palace près d’Amsterdam, il voue un faible aux vieux goudas qu’il aime associer au grand pineau des Charentes du domaine François Ier. Surtout, la carte qu’il a mise sur pied (450 références) est accessible à toutes les bourses (à partir de 30 euros la bouteille) et se marie bien avec les produits du terroir, comme la jonchée, un très ancien fromage au lait cru frais et moulé à la louche, toujours fabriqué dans les marais rochefortais : « Nous le servons au dessert avec une compotée de rhubarbe et une infusion de géranium. Mais si vous voulez une bonne tarte aux fraises de Rivedoux, ou un soufflé au cognac de l’île de Ré, nous répondons aussi présents ! »

L’Écailler
3, quai de Sénac, 17630 La Flotte – tél. : 05 46 09 56 40.
www.lecaillerlaflotte.fr
Menu déjeuner à 55 euros, menus dîner à 80 et 120 euros.

Dans la peau du poète Constantin Cavafy

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Embarquez en 1901 pour la Grèce depuis l’Egypte à travers les yeux du poète Constantin Cavafy…


Constantinos Pétrou Cavafis, natif d’Alexandrie, rejeton déclassé d’une famille aristocratique ruinée, aurait pu rester un modeste fonctionnaire au ministère des Travaux publics, boursicoteur à ses heures, dans ce monde révolu de l’Égypte sous protectorat britannique. Cet « exilé économique » ne la découvre qu’à 38 ans ! Ce patronyme dissimule Constantin Cavafy (1863-1933), le plus grand poète hellène du premier XXème siècle. La comparaison s’impose avec Fernando Pessoa, le petit employé de banque lisboète, auteur du Livre de l’Intranquillité. Comme Pessoa, Cavafy est un célibataire taciturne, anglomane et polyglotte, affable et d’une l’élégance quelque peu guindée. Il distribue parcimonieusement son œuvre aux seuls initiés, sans en faire étalage. 

Apologie du désir

Joliment publié par Les Belles Lettres, Premier Voyage en Grèce exhume le texte intégral, originellement en anglais et nullement destiné à la publication, du journal de bord tenu par Cavafy lors de ce « retour aux sources » inaugural, du 13 juin au 4 juillet 1901 : sujet de l’Empire britannique, le nouvel Ulysse débarque en paquebot à Délos, sans avoir pu visiter la Crète, pour mouiller à Athènes trois jours plus tard, puis rejoindre Alexandrie sous l’ardent soleil estival dont il consigne scrupuleusement, jour après jour, la température au thermomètre…

La transcription de cette trentaine de feuillets manuscrits, traduits en français par l’essayiste et romancier Lucien d’Azay, n’occupe en réalité qu’une petite partie du présent volume. Lucien d’Azay a soin de faire utilement précéder ce très court texte d’une ample et belle préface de sa plume, érudite évocation du personnage en son temps, lequel, en cela différent de Pessoa, prisait discrètement le « bel éphèbe discobole », idéalisé sous la forme d’un érotisme « toujours enfoui et presque dissimulé dans un passé révolu dont seul le souvenir lui permet de retrouver l’intensité ».

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Ô temps révolus, si radicalement éloignés de ce XXIème siècle naissant, devenu frigide et tellement puritain ! « La sensualité et la passion amoureuse semblent avoir relevé pour lui d’un rite initiatique qui n’excluait pas la débauche », poursuit le préfacier. Constantin Cavafy « s’adonna aux plaisirs charnels avec dévotion ; d’où son apologie du désir, de l’hédonisme, de tout ce que le corps sollicite, jusqu’à sa dissolution, les conséquences dussent-elles être fatales ».

Très prosaïque et en cela bien différent de sa poésie, ce froid éphéméride se contente de détailler ses visites, sorties culturelles et autres rencontres mondaines. Le texte s’agrémente heureusement d’un scrupuleux appareil de notes, dû à l’excellent d’Azay, qui articule ce « fond de tiroir » à la biographie du poète et au contexte historique, culturel, et même topographique dans lequel il convient de le situer. S’il n’est pas empreint de poésie, ce « journal qui, pour reprendre l’expression du commentateur, tient du camouflage », « sec, factuel, frugal, elliptique et pour ainsi dire ‘’blanc’’ », s’illumine parfois, allusivement, à l’évocation de ces « soldats et officiers [qui] ont une magnifique allure »…

Pasolinien avant l’heure

Dans les Notes sur la poésie et l’éthique, étagées de 1902 à 1911, et que le présent volume propose ensuite en français à la lecture en regard de l’original grec, Cavafy, plus explicite, se fait pasolinien avant l’heure : « La beauté du peuple, des jeunes gens pauvres, me plaît et me touche. Domestiques, ouvriers, petits employés de commerce, commis de magasins. […] Ils sont presque toujours sveltes. Leur visage, tantôt blanc s’ils œuvrent dans une boutique, tantôt hâlé s’ils sont dehors, a une couleur agréable et poétique. C’est en cela qu’ils contrastent avec les jeunes gens aisés, avec une sale mine, soit empâtés et malpropres à force de manger, de boire et de paresser : on dirait que leur figure boursouflée ou flétrie révèle la laideur du vol et la spoliation dont procèdent leur héritage et leurs rentes ».

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Enchâssé au cœur de cette édition sous le titre Instants d’éternité, un portfolio de clichés en noir et blanc du photographe contemporain Nikos Aliagas s’essaie à révéler plastiquement « les plis secrets de l’âme » du poète, dans la lumière de son « territoire intérieur » – belles photos de paysages, d’objets, de visages, de statues, de scènes de rue : un tombeau de Cavafy en images.

Le recueil exhume pour finir deux petits articles du jeune Cavafy, parus respectivement en 1891 et 1892 ; une Note sur la langue grecque où Lucien d’Azay interroge, au prisme de la langue de Cavafy, les discontinuités entre le grec ancien et le grec moderne ; et enfin une chronologie reliant la biographie de Constantin Cavafy à son temps et à sa postérité.

De certains livres mineurs, on dit parfois qu’ils méritent leurs lecteurs. Ce précieux petit objet est de ceux-là : qui s’ouvre à Cavafy résiste à Marc Levy.

A lire : Premier voyage en Grèce, de Constantin Cavafy. 238p. Les Belles lettres, 2025

Premier voyage en Grèce: Suivi de Notes sur la poésie et l'éthique

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Sortez de l’autoroute!

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Monsieur Nostalgie poursuit sa série de l’été à la rencontre d’auteurs vivants qui comptent littérairement et dont l’empreinte médiatique est inversement proportionnelle à leur talent. Aujourd’hui, il nous parle de Guy Darol et de Marc Alyn…


En littérature comme en transport automobile, la voie la plus éclairante n’est pas toujours celle recommandée par les autorités. Bison Futé peut-il se tromper ? La critique peut-elle se fourvoyer dans la perpétuation de fausses valeurs ? L’été, les autoroutes charrient le flot des voyageurs, le gros des touristes passera à quelques mètres des départementales bordées de platanes et d’auberges girondes, la rapidité n’a que faire des flonflons à la française ; l’asphalte annihile tous les particularismes régionaux, l’entonnoir est lancé, il aspire toutes les beautés, le conducteur doit tracer vite et ne pas se détourner de son objectif initial, c’est-à-dire atteindre les plages en moins de temps qu’il n’en faut pour dissoudre une assemblée turbulente. En septembre, d’ici quelques semaines, le système éditorial, plus moutonnier que stratège, moins complotiste que fainéant, choisira sa poignée d’élus. La tenaille médiatique se resserrera sur deux ou trois noms qui feront consensus par leur innocuité et qui iront gaillardement jusqu’aux prix d’automne. Ces gagnants-là signeront et vendront jusqu’à la Noël. Des queues se formeront devant les échoppes de province et la télévision publique écorchera leur nom de famille. Face caméra, ils minauderont, en France, mieux vaut avoir l’air penaud ; d’une voix componctueuse, ils remercieront leurs professeurs d’antan et leurs lecteurs sans qui ils ne seraient rien alors qu’ils estiment cette victoire largement méritée, même, à vrai dire, tardive. Les autres regarderont la caravane passer avec des lumières dans les yeux. Ces centaines d’autres poursuivants, lampistes surnuméraires, figurants sacrificiels, traînards du peloton auront au moins eu le plaisir de participer à cette course truquée. Ils pourront dire à leurs petits-enfants comme ces marathoniens du dimanche : « En 2025, j’ai fait une rentrée littéraire, quelle mascarade ! Mais quel spectacle ! Ça secoue ! Un jour, peut-être, j’y retournerais ». L’écrivain est un joueur de casino qui s’accomplit dans la défaite, car c’est la perte qui donne le frisson, jamais le gain. Tous les addictologues vous le diront. Le succès taquin, dans son immense mansuétude, se porte parfois sur de bons livres. Certaines années, on n’est pas à l’abri d’un lauréat sincère qui nous changera des roués et des affidés. Depuis que les arts sont compétition, ils l’ont toujours été à travers l’Histoire, il faut bien des perdants. Julio Iglesias l’a même chanté :

Je sais
En amour il faut toujours un perdant
J’ai eu la chance de gagner souvent
Et j’ignorais que l’on pouvait souffrir autant

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Gloire à tous les perdants ! Ce sont nos frères de plume. Depuis mon adolescence boulimique, mes étés à manipuler les tourniquets de poche dans les librairies de campagne, j’avais la berlue à force de retourner les « Folio » colorés ; innocemment, j’ai été attiré par ceux que Philippe Claudel appelle « les grands petits maîtres ». Il utilise cette expression dans une préface de Pierre Charras. Par flemme, par horreur de l’école, par réaction, par snobisme aussi, j’ai repoussé tous les champions nobelisés, toutes les lectures obligatoires et les grands prêcheurs sur lesquels doivent s’agenouiller les mécréants de mon espèce. Désolé, je ne m’en félicite pas, dans mon métier ce serait même plutôt un handicap car cette méfiance paysanne pour les encartés oblige à sortir des sentiers balisés. Et puis, écrire sur des auteurs méconnus, c’est se priver de relations influentes dans nos métiers où l’échange commercial est légion. Je suis imperméable à la profondeur des penseurs patentés. Vieux réflexe berrichon, je me méfie des bestiaux trop beaux, trop parés à la foire de Sancoins. Suspicieux par nature, je ne crois pas aux êtres supérieurs et me fie uniquement à mon goût pour la ligne claire. Alors, j’ai dû me frayer un chemin tortueux dans les bibliothèques qui regorgent d’artifices, j’ai beaucoup tâtonné et, sur le tard, suis tombé sur des écrivains qui ne me quittent plus désormais. Ils n’étaient pourtant pas en pole position dans les rayons, ils n’étaient pas invités régulièrement dans le poste, c’est le miracle de la littérature de nous amener à eux. Je pense à Guy Darol, ce haut-breton des terres fourragères qui « a le goût des méandres », et peut s’intéresser dans un même élan à Joseph Delteil et à Frank Zappa. Ce grand pédagogue nous instruit sur les musiciens des années 1970 et les écrivains buissonniers. Il a le don d’ubiquité, vous pouvez le rencontrer à New-York dans un club de jazz ou sur les bords de la Marne, dans une banlieue d’atmosphère. Guy Darol a écrit un essai remarquable sur André Hardellet « ou le don de double vie » aux Presses de la Renaissance, il y a presque 35 ans maintenant. Son approche sensitive, d’un naturalisme désarmant, dans son jus le plus vif et le plus intelligent, sans l’artillerie intellectuelle habituelle, m’a fait mieux saisir la richesse intérieure d’Hardellet, à cheval entre le fantastique et le charnel. Parfois ce sont les rencontres qui nous guident vers des auteurs, je dois mon estime et mon intérêt au poète d’élite, Marc Alyn, à Pierre-Guillaume de Roux qui avait publié notamment sa correspondance amoureuse. Autrefois piéton de Venise ou dans l’intimité de Lawrence Durrell, l’écrivain discret, aujourd’hui âgé de 88 ans, qui fut lu par Trintignant ou Reggiani, prodige du vers, auréolé du Prix Max Jacob est un Mallarmé fécond où le mot ne cesse de fureter. Il devrait être célébré à sa juste valeur dans notre pays. Chaque été, comme je relis mon Fallet des quais de Seine, je replonge dans Paris point du jour (Bartillat) où Alyn se fait conteur, enchanteur, enlumineur de la ville.

Andre hardellet, le don de double vie

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Le Neveu de Valère

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Valère Saraselski © D.R.

Ce roman est beau ; ce roman est fort. Il convie à une réflexion profonde et salvatrice. Avec Les passagers de la cathédrale, Valère Staraselski propose une manière de Neveu de Rameau. Sauf qu’ici, ils ne sont pas deux à converser, mais cinq, quatre hommes et une femme. Il y a François Koseltzov, un double de l’auteur, Louis Massardier, un ancien universitaire de haut vol, érudit, passionnant et passionné, Darius, ami iranien de François qui a passé dix-huit mois dans l’enfer des geôles de Khomeiny, Thierry Roy alias Chéri-Bibi depuis peu gardien au musée Carnavalet, et Katiuscia Ferrier, une jeune femme très sensuelle. Ils devisent aux abords de la sublime cathédrale de Meaux, ou au bord du canal de l’Ourcq, ou ailleurs. Ils dialoguent à propos de la vie, de la mort, de la spiritualité, de la politique… Tous sont terriblement émus par l’incendie de Notre-Dame de Paris.

A lire aussi, du même auteur: Catholicisme et communisme

Ils se rencontrent à la faveur de l’enterrement d’un SDF anonyme grâce au collectif des Morts de la rue, ou lors d’une messe de minuit. Il est question du catholicisme et du communisme, de la foi et de l’engagement.

Mélenchon : « Le comédien de son idéal » 

L’auteur n’hésite pas à faire un audacieux et très juste parallèle entre le catholicisme et le communisme. « Dans ce roman, je rapporte ce que m’a dit Bernard Maris un soir : « Le communisme n’est qu’un christianisme athée. » Il l’a d’ailleurs écrit. Il y a eu les distanciations et condamnations récurrentes de l’Église contre l’émergence puis contre les expériences communistes. Expériences qui se sont trop souvent révélées, pour le moins, comme des religions sans miséricorde. Mais le communisme ne peut se ramener à une pédagogie établie sur des massacres comme le catholicisme ne peut se réduire à Torquemada ou à l’élimination des Incas. En outre, je constate qu’il y a aujourd’hui, parmi de nombreux autres catéchumènes, de plus en plus de jeunes militants communistes qui affichent leur foi. »

A lire aussi, Cyril Bennasar: L’enchantement du pèlerinage de Chartres

Il égratigne également une certaine gauche actuelle, radicalisée et intolérante. Ça fait un bien fou : « Quand j’étais jeune, on taxait la droite d’être la plus bête du monde. Ça s’est inversé. Et salement ! À gauche, le peuple a été évacué, la direction des partis de gauche (à l’exception du Parti communiste profond) est confisquée par les représentants des couches moyennes supérieures qui, pour se donner le beau rôle, sont prêts à tous les dénis et compromissions possibles, n’hésitant pas à jouer la logique des extrêmes. Cette « petite gauche », triomphante aujourd’hui, est limitée et fière de l’être et le paie cash dans les urnes. Mélenchon n’est, selon le mot de Nietzche, que « le comédien de son idéal ». Seulement son idéal n’est commandé que par la vanité. Ce personnage qui fascine les foules du ressentiment est donc non seulement vain et destructeur pour son propre camp mais néfaste et dangereux pour la France. »

La parole de Staraselski, à l’instar de son roman, ne manque pas de panache.

Les Passagers de la cathédrale, Valère Staraselski, Le Cherche Midi, 2025. 256 pages

Les passagers de la cathédrale

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Hermann Graebe, les leçons d’un Juste oublié

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Accusés au procès de Nuremberg, 1946. DR.

Le député LFI Aymeric Caron a écrit sur son compte X le 26 mai 2025: « Ce qu’on peut dire sans trop se tromper, c’est qu’il y a peu de différence entre l’armée israélienne et celle de l’armée nazie ». Puisque la journée commémorative du 20 juillet honorait aussi les Justes, je vais rendre hommage à un Allemand qui a vu l’armée nazie en action pour répondre à cette phrase qui est une ignominie. 

Il y a quarante ans, Yad Vashem décerna le titre de Juste parmi les Nations à Hermann Graebe. Les seuls Allemands à avoir alors reçu ce titre attribué depuis peu étaient un industriel de Cracovie et un héroïque soldat de la Wermacht, Anton Schmidt, fusillé par la Gestapo pour l’aide qu’il avait apportée aux Juifs.

Hermann Graebe, quand il planta un des premiers arbres de l’allée des Justes, venait de San Francisco. Depuis 1948 il s’y était exilé car sa vie était menacée en Allemagne. 

Nous sommes à Nuremberg le 26 juillet 1946 au procès des dirigeants nazis, et c’est au Procureur anglais de parler. Pendant plusieurs mois de débats, on n’avait guère entendu les victimes. La justice de l’époque était focalisée sur la preuve écrite et se méfiait de toute irruption de subjectivité dans l’enceinte du tribunal. Ce n’est que quinze ans plus tard, avec le procès Eichmann, comme l’écrira Annette Wieviorka, que commencera l’ère du témoin. Mais cette après-midi-là, Sir Hartley Shawcross insère dans son réquisitoire des fragments d’un témoignage déposé par un ingénieur allemand devant les autorités Alliées. Hermann Graebe travaillait dans une entreprise d’infrastructures ferroviaires dans la région de Lwow en Ukraine, alors occupée par l’Allemagne après l’invasion de l’URSS.

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Le 5 octobre 1942 il était à l’aérodrome de la petite ville de Dubno quand des Juifs de la localité y ont été amenés. Voici ce qu’il écrit: 

«Le chef d’équipe et moi-même sommes allés directement vers les fosses. Personne ne nous en a empêchés. Les gens qui étaient descendus des camions – des hommes, des femmes et des enfants de tout âge – ont dû se déshabiller sur ordre d’un SS qui tenait une cravache. Ils ont dû déposer leurs vêtements à des endroits précis, triés selon leur nature. Sans crier ni pleurer, ces gens se déshabillaient, se tenaient groupés en familles, ils s’embrassaient, se disaient adieu et attendaient un signe d’un autre SS qui se tenait près de la fosse, tenant un fouet dans sa main. Durant les quinze minutes où je suis resté, je n’ai entendu aucune plainte ou demande de grâce. Je regardais une famille de huit personnes, un homme et une femme  avec deux grandes jeunes filles. Une vieille femme aux cheveux blancs portait un enfant âgé d’un an tout en lui chantant et le chatouillant et le bébé gazouillait avec délice. Les parents regardaient, les larmes aux yeux. Le père tenait par la main un garçon d’environ dix ans et lui parlait doucement, tandis que l’enfant retenait ses larmes. Le père a montré le ciel, lui a caressé la tête et a semblé lui expliquer quelque chose. 

À ce moment-là, le SS près de la fosse a crié à son camarade. Celui-ci a compté une vingtaine de personnes et leur a ordonné d’aller derrière la butte de terre. Parmi eux se trouvait la famille que je viens de décrire. Une jeune fille passant devant moi, s’est désignée et a dit: « vingt-trois ans ». 

J’ai contourné la butte et je me suis trouvé devant une fosse épouvantable. Les gens étaient empilés les uns sur les autres et seules leurs têtes, d’où le sang coulait, étaient visibles. Certains bougeaient, levaient les bras et tournaient leur tête. La fosse était pleine presque aux deux tiers. J’ai estimé qu’elle contenait un millier de personnes. J’ai regardé l’homme qui avait procédé aux exécutions. C’était un SS, assis au bord de l’extrémité étroite de la fosse, les pieds ballants dans la fosse. Une mitraillette sur ses genoux, il fumait une cigarette. Les gens, entièrement nus descendaient quelques marches dans la paroi de la fosse et grimpaient sur la tête de ceux qui gisaient déjà là, vers où le SS les dirigeait. Ils se couchaient face aux morts ou aux blessés, certains caressaient ceux qui étaient encore en vie et leur parlaient à voix basse. Alors j’ai entendu une série de coups de feu. J’ai regardé dans la fosse et j’ai vu que les corps frémissaient ou que les têtes gisaient déjà, immobiles au-dessus des corps couchés dessous. Le sang coulait de leur nuque. Le groupe suivant s’approchait déjà. Ils sont descendus dans la fosse, se sont alignés par-dessus les victimes précédentes et ont été abattus »…

Hermann Graebe ne s’était pas contenté de témoigner. Il avait agi dès avant le massacre de Dubno pour protéger les Juifs employés par son entreprise, leur obtenir des « certificats d’indispensabilité », si besoin les cacher ou, plus tard, les mener lui-même à grands risques personnels vers des lieux où ils pouvaient rejoindre les troupes soviétiques.

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En octobre 1947, son témoignage fut lu de nouveau au procès des chefs des Einsatzgruppen,  ces unités qui ont assassiné probablement plus de deux millions de personnes, ce qu’on appelle aujourd’hui la Shoah par balles. Yahad in Unum, l’équipe de Patrick Desbois, continue  de recueillir les paroles des témoins ukrainiens survivants, qui corroborent parfaitement ce que Hermann Graebe a écrit.

Mais son témoignage eut pour lui et sa famille des conséquences dévastatrices. Dans l’Allemagne d’après-guerre, imprégnée de propagande raciale, dont douze années d’endoctrinement fanatique, la population ne voulait pas accepter de responsabilité. Les grands dirigeants avaient été pendus, ce n’était qu’une justice des vainqueurs, mais au fond, il y  avait une logique, car ces hommes n’avaient pas su éviter la défaite. Mais les chefs des Einsatzgruppen, ces officiers  patriotes, ces intellectuels fidèles à  leur serment d’obéissance, seul un traitre pouvait s’en prendre à eux. Les accusations resurgiront plus tard, en 1966,  quand Hermann Graebe fut vicieusement accusé de faux témoignage dans une cabale à laquelle s’associa le journal  le plus célèbre de l’époque, le Spiegel. Il ne retourna jamais dans une Allemagne qui continue de n’accorder à cet homme admirable qu’une chiche reconnaissance, peut-être parce qu’il  n’a pas trouvé son Spielberg.

L’histoire de Hermann Graebe nous amène à quelques brûlantes considérations.

La première, c’est qu’elle révèle ce qu’est un génocide. Je ne parle pas ici de la définition légale, par laquelle, suivant un spécialiste, on pourrait légitimement appeler génocide l’assassinat prémédité de trois individus du moment qu’il est effectué parce qu’ils appartiennent à un groupe national, ethnique, racial ou religieux donné. Non, je parle ici de ce que représente le génocide dans la psyché humaine, le crime le plus atroce qui soit, celui dont ses ennemis, enclenchant l’accusation et se moquant des garde-fous de sa définition juridique, tambourinent Israël pour lui imposer une opprobre morale aussi injustifiée qu’insupportable. Accuser les soldats israéliens de ce que les soldats nazis  ont fait à Dubno et ailleurs dévoile le monde de mensonges où vivent Aymeric Caron et consorts.

La seconde, c’est la pérennisation d’une vision du monde manichéenne comme celle que les nazis ont instituée en Allemagne, à rapprocher, de façon probablement encore plus caricaturale, de celle avec laquelle les habitants de Gaza ont été biberonnés par le Hamas. Il ne faut même pas chercher des exemples si extrêmes: l’endoctrinement idéologique inculqué par des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche compétents dans la manipulation mentale ne disparait pas dans un débat démocratique: quand on ne veut pas savoir, on ne sait pas car la vérité qui démantèlerait les certitudes du passé serait trop difficile à supporter. Cela a longtemps été le cas pour la population allemande. Hermann Graebe en a fait les frais. Cela risque d’être plus longtemps encore, parce que la religion s’en mêle, le cas de la population de Gaza.

La troisième considération est redoutable: nous-mêmes, défenseurs d’Israël, ne sommes-nous pas pris dans des ornières qui nous empêchent de voir la réalité? 

Je pense qu’il y a  des drames de la faim à Gaza  mais je ne crois pas du tout à une famine orchestrée. Parce que j’ai une confiance absolue dans la moralité de l’immense majorité des soldats de Tsahal et de leur direction, élevés dans une société du débat où de telles intentions ne pourraient pas être acceptées. Parce que j’ai une méfiance tout aussi absolue dans les témoignages de personnes qui ont un lien de dépendance, directe ou indirecte avec le Hamas, et cela inclut malheureusement les journalistes soi-disant indépendants et les membres d’institutions internationales qui ont fait leur choix il y a longtemps, d’être les faire-valoir d’une idéologie totalitaire et fanatique. Parce que les famines épouvantables du Soudan et du Yémen ne génèrent aucun intérêt international. Parce que les difficultés alimentaires ont été aggravées par la tactique du Hamas qui en a fait une arme de combat médiatique et de domination économique. Parce qu’il s’agit d’une guerre, que cette guerre a été déclenchée par le Hamas et parce qu’elle pourrait être arrêtée instantanément s’il libérait ses otages. Parce que, enfin, contrairement à la Shoah où le négationnisme international a commencé 25 ans après le dévoilement des crimes, le négationnisme de la responsabilité du Hamas a commencé le 8 octobre 2023, le jour qui a suivi le crime génocidaire et qu’il repose sur une ahurissante inversion victimaire.

Herman Graebe a été un Juste à l’époque nazie. Je suis sûr qu’il y a eu, et j’espère qu’il y a encore des Justes à Gaza. Seule une victoire israélienne leur permettrait de témoigner…

Roman national: «On ne peut pas priver les enfants d’un tel vivier d’histoires!»

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La romancière Gwenaële Barussaud. DR.

On ne présente plus le célèbre Puy du Fou, parc à thème internationalement reconnu et favori des Français. Mais derrière les reconstitutions historiques grandioses qu’il propose, se cache aussi depuis 2023 une maison d’édition, qui s’est lancée en avril dans une nouvelle aventure : un mensuel pour enfants ! Nous avons rencontré la rédactrice en chef, passionnée d’histoires et d’Histoire, la romancière Gwenaële Barussaud.


Causeur. Petits lecteurs, grandes histoires… Votre mensuel Le Panache appartient au groupe éditorial « Le Puy du Fou ». Quelles sont ses ambitions et quelle est la ligne éditoriale de ce nouveau magazine ?

Gwenaële Barussaud. Depuis sa création, le Puy du Fou a toujours raconté des histoires pour faire connaître et aimer l’Histoire de la France. L’édition est donc apparue comme un canal supplémentaire idéal pour prolonger cette ambition et offrir à cette transmission culturelle le support le plus pérenne : celui du livre. La ligne éditoriale de Puy du Fou Éditions s’inscrit dans la lignée de celle des spectacles offerts par le parc : il s’agit de raconter la France dans toutes ses dimensions, culturelles, géographiques, historiques, pour faire découvrir aux lecteurs les richesses du patrimoine français, avec une exigence narrative et esthétique.

Vous-même êtes dans cette aventure depuis le début ?

Presque ! Je suis arrivée au Puy du Fou via son école, Puy du Fou Académie, en 2023. J’y ai enseigné avant de rejoindre le projet Panache, qui a rencontré à la fois mon goût pour la création, les histoires, mon besoin de transmission et l’intérêt que je porte à la jeunesse depuis toujours.

Comment est apparue l’idée de créer un mensuel pour enfants ?

C’est une idée qui émane d’une réflexion commune à l’école et à l’édition : offrir à la jeunesse un support pour nourrir son imagination, assouvir son besoin d’émerveillement et développer le goût de la lecture. Par mon expérience de lectrice et de romancière, je sais à quel point les histoires jouent un rôle fondamental dans la formation de la personnalité : quelle lecture « adulte » peut se targuer de laisser une empreinte aussi profonde qu’une lecture jeunesse, qui a l’avantage des premières fois ? Par ailleurs, un magazine offre deux avantages : par sa variété, il s’adapte à tous les profils de lecteurs ; par sa périodicité, il propose un rendez-vous régulier et crée un lien durable. C’est donc le format idéal pour accompagner la jeunesse dans ces années charnières !

Pourquoi l’Histoire de France ?

D’abord parce qu’elle est un terreau inépuisable. J’ai écrit une cinquantaine de romans historiques et je m’étonne de trouver encore tant de sujets à développer ! Quand on promène son imagination devant une chronologie de l’Histoire de France, on constate qu’elle s’embrase à chaque époque. On ne peut pas priver les enfants d’un tel vivier d’histoires ! Ensuite parce qu’elle nous rappelle que nous ne sommes pas des électrons libres, mais que nous nous inscrivons dans la chaîne multiséculaire d’une histoire grandiose et tragique. Chaque lecteur du Panache peut éprouver par sa lecture le legs immense dont il est le dépositaire, pour le perpétuer et, plus tard, le transmettre à son tour.

Vous développez des thèmes spécifiques, comme les voyages de La Pérouse ou le chemin de fer. Comment les choisissez-vous?

Chaque thème du Panache raconte un aspect de la France : sa géographie (le littoral, les forêts françaises, Paris…), ses personnages (La Pérouse, les reines), ses inventions (le cinéma) et son histoire, évidemment ! Nous aimons aussi mettre en avant des passions typiquement françaises : le train, la gastronomie, les cafés… Nous essayons de nous adapter au calendrier annuel (Noël et la montagne l’hiver, les voyages et les plages l’été) et de varier les époques abordées.

Pensez-vous que l’Histoire de France soit mal connue des enfants ?

La question n’est pas tant la connaissance que l’adhésion affective. Nous contribuons, à notre échelle, à la diffusion de cette connaissance. Mais nous souhaitons surtout faire aimer cette histoire en en soulignant son caractère éminemment singulier et romanesque. Moi-même, j’ai aimé passionnément l’Histoire non en lisant des documentaires, mais des romans de Victor Hugo ou Alexandre Dumas. Ce furent mes meilleurs professeurs. Je suis toujours étonnée de voir à quel point certains destins, certaines époques de l’Histoire de France semblent avoir été écrits par un romancier particulièrement inspiré. Quel roman que ma vie ! constatait Napoléon à Sainte-Hélène. Connaissant l’appétence naturelle des enfants pour les histoires, Le Panache se propose de leur raconter celles qui ont façonné la France pour les émerveiller et les émouvoir.

A lire aussi: À la recherche de l’esprit français

Quel type de lectorat visez-vous ?

Le Panache s’adresse à tous les enfants de 8 à 13 ans, sans aucune restriction. Et bien sûr à tous les adultes qui ont gardé une âme d’enfant.

Y a-t-il une spécificité au Panache que l’on ne retrouve pas dans les autres publications destinées à la jeunesse ?

Sa ligne éditoriale – raconter la France – lui est spécifique. Par ailleurs, il n’existe pas pour cette tranche d’âge de revue proposant ce que nous voulons transmettre : le goût de l’Histoire, de l’aventure, l’héroïsme. Enfin, nous sommes fiers d’offrir une création 100 % française avec une haute exigence esthétique.

Comment recrutez-vous vos auteurs ?

C’est une question importante car, au-delà du souci des lecteurs qui nous anime en premier lieu, nous avons à cœur d’encourager la création française en mettant en valeur des auteurs et dessinateurs de talent, parfois inconnus, parfois confirmés. Les canaux de recrutement sont divers. Mon travail dans l’édition depuis quinze ans m’a permis de développer un réseau d’auteurs que j’admire ; certains sont devenus des amis que je contacte lorsque je devine que tel thème les inspirera. Par ailleurs, des auteurs m’ont envoyé spontanément une proposition de collaboration à la naissance du Panache. Enfin, je travaille aussi avec des élèves du lycée Puy du Fou Académie dans le cadre d’ateliers d’écriture. Une nouvelle rédigée par une élève sera publiée pour la première fois dans Le Panache de novembre, c’est une joie et une fierté !

Est-ce que Monsieur de Villiers intervient dans le processus rédactionnel ?

Philippe de Villiers n’intervient pas dans la rédaction du Panache, mais il soutient le projet depuis sa genèse. Je sais qu’il le lit, mais j’ignore s’il résout toutes les énigmes policières !

Quels sont les retours de vos jeunes lecteurs ?

Ils sont à la fois nombreux et enthousiastes ! Nous recevons une centaine de lettres chaque mois et ces retours, par leur spontanéité et leur authenticité, s’avèrent être le meilleur des moteurs. Je suis particulièrement touchée de voir à quel point les enfants se sont attachés aux mascottes du Panache et aux personnages de la bande dessinée Jacques, Vic et Otto. On devine que ces héros sont devenus, peut-être pas des modèles, mais sans doute des exemples et sûrement des amis. Par ailleurs, nous recevons aussi des lettres vraiment touchantes de parents et grands-parents qui nous disent le vif intérêt qu’ils prennent eux aussi en lisant le magazine.

Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

Nous espérons que Le Panache va poursuivre son rayonnement auprès de tous les enfants de France ! Le 5 novembre prochain sera une grande date, car nous publierons la bande dessinée Les Aventures de Jacques, Vic et Otto, premier ouvrage de Puy du Fou Éditions disponible dans toutes les librairies. Et puis nous espérons pouvoir ensuite créer des magazines pour les autres tranches d’âge afin de suivre nos abonnés dans leur croissance !

Comment est composé Le Panache ?

L’avantage d’un magazine, c’est qu’il offre une grande variété de formats de lecture. Chacun doit pouvoir y trouver une porte d’entrée, selon son niveau et ses goûts ! Le Panache propose ainsi une Grande Histoire illustrée en lien avec le thème mensuel, des rubriques documentaires (arts, géographie, gastronomie…), et huit planches de BD inédites, qui racontent par épisodes le périple de deux enfants dans la France de la Libération. On y trouve aussi une énigme, des tests, des recettes… bref, tous les ingrédients d’un rendez-vous mensuel vivant pour « instruire et plaire » dans l’esprit de la tradition pédagogique à la française !

Détails et abonnement ici.

Ma France

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DR.

Notre chroniqueur ne prend apparemment des vacances que pour trouver des sujets de chronique. Séjournant actuellement en Bretagne, il nous en envoie une carte postale tricolore que la direction internationaliste de Causeur a saisi du bout des doigts, pour ne pas être contaminée…


Peut-être vous souvenez-vous :

« De plaines en forêts, de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirais pas d’écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France… »

Jean Ferrat a créé cette chanson en 1969. Il était alors communiste, et personne, au PCF, n’a eu l’idée de lui reprocher d’exalter un pays pour lequel « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas » étaient morts.
Aujourd’hui, n’y comptez plus. Nous vivons une époque curieuse où les gens de gauche (ou qui s’y croient) sont prêts à vilipender Ferrat et la France. Ils reprocheront au poète d’exalter la nation (quelle horreur !), le terroir (« Fasciste ! Viandard ! Agriculteur, va ! ») et les moments les plus patriotiques du pays : « La patrie, une invention masculiniste, paternaliste, dominatrice et colonialiste ! » assurent les gagas islamo-bobo-gauchisto-intersectionnels.
C’est ce que j’appelle l’Instant Orwell, où toutes les valeurs sont comprises à l’envers : La Liberté, c’est l’Esclavage, l’Ignorance, c’est la Force et l’amour du pays, c’est la haine mondialisée.
Et les intellectuels de gauche, s’il en reste, sont le degré zéro de l’intellect.
Et, accessoirement, de la gauche. Demandez à Ferrat. Demandez à Georges Marchais, qui se battait contre l’immigration, parce qu’il savait bien qu’on avait ouvert les portes pour faire disparaître les ouvriers français — c’est fait. Demandez à tous ceux que quarante ans de gauche a enfermés dans les ghettos où ils étaient nés — pendant que leurs propres enfants obtenaient des dérogations pour fréquenter tel ou tel de ces lycées, privés ou publics, où se confinent les élites auto-proclamées.

A lire aussi: Le goût du large!

Je reviens de Bretagne, où j’ai passé quinze jours miraculeusement beaux, de forêts hercyniennes en enclos paroissiaux, de côtes de granit rose en landes sauvages, me régalant de fraises de Plougastel et d’oignons roses de Roscoff — entre autres.
Avec ma moitié qui est mon tout, nous avons fait le projet, depuis quelques années, de passer des vacances, courtes ou longues, dans des régions que nous n’avons pas encore explorées. En fait, de nous aimer dans chacun des départements français — excepté Paris, peut-être, parce que la « ville-monde », comme disent les géographes, a divorcé d’avec la France il y a vilaine lurette.
Alors cet été la Bretagne, en avril dernier la Creuse, hier le Gers, avant-hier l’Alsace (ah, ce jarret braisé et confit au melfort dégusté à Strasbourg !), ou la Corse, ou le Jura, aux cascades du Hérisson… Sans oublier les Cévennes, sur les traces de Stevenson, ni les oranges amères qui bordent les allées à Menton, ni…
La France est inépuisable.

Il y a quelques années, ce grand couillon de Claude Askolovitch fustigeait un mien ami gastronome parce qu’il exaltait la cuisine des terroirs — un réflexe pétainiste, paraît-il. Réfléchissez-y à deux fois avant de vous résigner à la salade de quinoa mal cuit : la cuisine française est l’une des meilleures au monde, et seule une conspiration de bobos alter-mondialistes récuse l’onctuosité d’une daube ou d’un gigot de sept heures mariné dans un côtes-du-Ventoux charpenté nourri de thym et de romarin, de noix de muscade, de baies de genièvre, de clous de girofle, d’une bonne cuillérée de gingembre et d’un peu de sucre, un gigot dans lequel vous avez injecté à la seringue un mélange de jus d’orange et d’armagnac (recette à disposition). La France aime la viande — la mienne, la vôtre, celle de Ferrat, celle de ceux qui aiment la France : la table est un drapeau pour les vrais patriotes. Et l’odeur des côtes grillées au barbecue flatte les narines des vrais dieux, si elle offusque celles de Sandrine Rousseau.

A lire aussi, Elisabeth Lévy et Jonathan Siksou: À la recherche de l’esprit français

La France aime aussi son histoire et sa culture. Châteaux édifiés haut pour résister aux Anglais, cadets de Gascogne, volontaires de 93, le jeune Bara mourant pour la République, patriotes d’août 14, harkis mourant pour la libération du pays — une plaque célèbre leur sacrifice sur le monument aux morts de Béziers. Et Hugo, Voltaire, Rabelais, Chrétien de Troyes, Corneille, Racine, La Fontaine, Flaubert, Maupassant — tous effacés peu à peu des programmes au profit d’Annie Ernaux, d’Edouard Louis et de Virginie Despentes.

Elisabeth Borne, actuel ministre de l’Education, devrait se rappeler quelles références bien françaises lui ont permis de réussir Polytechnique et les Ponts et Chaussées, et les imposer aux enfants abêtis par quarante ans de pédagogisme, et livrés aujourd’hui à des maîtres largement ignorants. La culture française a permis à la fille de Joseph Bornstein de devenir Premier ministre, et à Jean Tenenbaum de devenir Ferrat : la vraie assimilation passe par la culture, par la cuisine, par l’amour des paysages — pas par le repliement sur les billevesées d’un chamelier fou de soleil.

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Paris enthousiaste, Paris mouillé, Paris réconcilié, plébiscite le Tour

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Le Slovène Tadej Pogacar et le Belge Wout van Aert rue Lepic à Paris, 27 juillet 2025 © Shutterstock/SIPA

Pour la première fois passé par la butte Montmartre, ce Tour de France 2025, considéré comme l’un des plus palpitants de l’histoire récente par notre chroniqueur, s’est conclu par une victoire magistrale de Wout van Aert sur une dernière étape épique sous la pluie parisienne…


Assurément, osons le dire, n’hésitons pas à être dithyrambique, et que les acrimonieux qui ne veulent y voir qu’une « farce » à cause du soupçon récurrent de dopage ravalent leur bile, le Tour de France est beaucoup plus qu’une épreuve sportive.

Le mythe

Quel événement au monde peut se targuer en effet de rassembler tout au long de son parcours, pendant trois semaines un public aussi nombreux, impossible réellement à estimer, joyeux, bon enfant, facétieux, de tout âge et sexe, brandissant une multitude de drapeaux souvent inconnus, d’exploser les après-midis de juillet l’audimat, d’être suivi à la télé à des heures pas possibles à cause du décalage horaire en Asie, en Afrique et aux Amériques, même dans les îles les plus isolées du Pacifique ?

Dans les années 60, l’écrivain Roland Barthe, dans son livre Mythologies l’avait qualifié de dernière « épopée » dans une société sur-administrée. Probable, mais aujourd’hui, ce qui est sûr c’est qu’il est le plus grand événement mondial, toutes catégories confondues.

Aucune manifestation culturelle ou politique ne peut lui être comparée. Même les grands succès cinématographiques hollywoodiens ne rivalisent pas avec lui. En 2024, selon différentes sources concordantes, dont France Sport Expertise (FSE), un regroupement d’entreprises françaises, il avait été vu par 3,5 milliards de téléspectateurs cumulés… Seules les cérémonies d’ouverture et de clôture des JO et les deux finales des coupes du monde de foot et de rugby font mieux que la Grande boucle. Mais elles n’ont lieu que tous les quatre ans… Et le Tour, c’est tous les ans. Depuis sa création en 1903, le Tour n’a pas été couru à deux reprises : pendant les deux guerres mondiales.

Derniers feux

Dans une France qui a été chassée de son pré-carré africain, qui ne fait plus entendre sa voix sur la scène internationale, plus particulièrement moyenne-orientale, et ce depuis le mémorable discours anti-guerre du Golfe à l’ONU de Dominique de Villepin prononcé avec fougue à l’instigation de Jacques Chirac, que sa capitale n’est plus celle des arts et des lettres, n’est plus cette fête que célébrait Ernest Hemingway, le Tour est la dernière survivance de son feu rayonnement. Le Tour est l’ultime étendard d’une singularité nationale qui se dissout.

A lire aussi, Thomas Morales: Sortez de l’autoroute!

C’est sans doute pour cela que, dimanche, lors de la 21ème et ultime étape de cette 112ème édition, que Paris enthousiaste, Paris mouillé, Paris réconcilié, Paris festif[1], l’a plébiscité ! Et le Tour le lui a bien rendu en lui offrant une course homérique, digne de Dante. La rue Lepic qui mène au sommet de Montmartre où trône le Sacré-Cœur, est entrée dans la légende vélocipédique, au même titre que les grands cols, tels que le Tourmalet, le Galibier, le Ventoux…

C’est là, sous une pluie battante, sur un pavé glissant, sous les acclamations incrédules d’un public qui n’en attendait pas tant, sur ce « volcan en éruption » dixit Le Figaro, que le vainqueur, Wout van Aert, a dompté le vorace maillot jaune, Tadej Pogačar, qui de toute évidence la voulait cette étape.

Pas de temps mort

La victoire de Van Aert en solitaire est le résultat d’une habile tactique et aussi consécutive à un excès de suffisance de Pogacar. Le temps ayant été gelé par l’organisation à cause d’une chaussée glissante au troisième passage sur la ligne d’arrivée, son leader, second au général, Jonas Vingegaard, qu’il devait protéger jusqu’à la fin, lui a laissé carte blanche pour jouer la sienne et l’a jouée en maître tacticien car pour gagner il faut des jambes mais surtout une tête.

En résumé, au premier passage au sommet de Lepic, Julian Alaphilippe a déclenché les hostilités ; Pogacar a riposté sans faire la décision ; au deuxième passage, ce dernier, sûr de lui-même, son erreur, est passé à l’offensive pensant terminer en solitaire, comme à son habitude, et asseoir sa gloire. Mais, Van Aert était aux aguets et l’a neutralisé, lui portant un coup certain au moral. Et au troisième franchissement du haut de la butte de Montmartre, il lui a alors porté l’estocade fatale. Mais ce panache dont a fait preuve Pogacar a été aussi une sorte de cadeau qu’il a offert à un public ébahi de le voir dans ses œuvres… non plus à la télé mais bel et bien sur le vif.    

Ainsi il a contribué à faire de cette étape une étape d’anthologie dans un Tour d’anthologie qui depuis son départ de Lille n’a pas connu le moindre temps mort, un Tour qui marque un tournant dans l’histoire de la Grande Boucle. Les deux équipes les plus riches, UEA et Wisma, celles du premier et second au général, ont pratiquement tout raflé, ne laissant aux autres que les accessits. Nous y reviendrons rapidement dans ces colonnes, sur ce nouveau cyclisme, dont ce Tour 2025 est l’annonce… À suivre…


[1] Plagiat de la célèbre citation de de Gaulle prononcée à l’hôtel de ville de Paris, évidemment: Paris outragé, Paris brisé, Paris, martyrisé, Paris libéré…

Chasseurs de têtes nazies

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Michel Tedoldi publie en poche son enquête « Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis » (Albin Michel)


Note secrète

1945 : l’armée de de Lattre occupe le sud-ouest de l’Allemagne et tend à maintenir si ce n’est à étendre son « pré-carré ». Joliot-Curie et une myriade d’organismes scientifiques et administratifs français vadrouillent dans l’aire d’occupation française, prenant progressivement conscience du potentiel en chercheurs, savants et matériels de tous ordres que recèle la zone. De Lattre ne sait que faire (si ce n’est, dixit Michel Tedoldi, organiser d’inutiles fiestas sur les bords du lac de Constance). Et de Gaulle, dans son style à la fois très écrit et ferme, de lui dicter ses instructions dans une note secrète qu’il y a lieu de transcrire in extenso tant elle condense bien tout ce qui est alors en jeu pour la France :

« Toute reconstruction en Allemagne serait destinée tôt ou tard à échapper aux organes de contrôle français ou alliés. Les bénéfices à retirer des travaux dans ces centres de recherche avec mainmise théorique de notre part seront faibles vis-à-vis des dangers certains que présente pour l’avenir leur remise en route. Aussi convient-il de rechercher la destruction sur le sol allemand de toutes possibilités de ce genre. Parallèlement, il faut s’efforcer de les reconstituer en France, avec le matériel ramené d’Allemagne, et attirer certaines personnalités scientifiques particulièrement qualifiées [c’est nous qui soulignons]. Il y a lieu de remarquer à ce propos que les Alliés ont déjà amorcé une politique d’absorption des meilleurs éléments. Dans ce but, il y aura lieu de transférer en France les scientifiques ou techniciens allemands de grande valeur pour les interroger à loisir sur leurs travaux et, éventuellement, les engager à rester à notre disposition. »

Rivalités

Pour résumer la suite des évènements, nous énoncerons la chose ainsi : c’est cette « éventualité » qui va devenir « généralité ».

De cette course-poursuite aux savants allemands « maudits », mais dont la ‘‘malédiction’’ va fondre au profit de la conscience de la ‘‘bénédiction’’ que constituerait leur collaboration à la recherche et en quelque sorte à l’œuvre scientifique française durant les Trente Glorieuses en matière militaire et civile, principalement aéronautique et spatiale, il va résulter ceci :

  • une rivalité accrue entre Français, Britanniques et Américains, chacun lorgnant le voisin, chacun cherchant le moyen d’attirer dans sa zone sa proie (savante et allemande), chacun, jaloux et sans foi, en tout cas sans respect du droit international, n’hésitant pas à aller la kidnapper chez le voisin et néanmoins « Allié » ;
  • un réel accaparement par la France (sans parler de tous les autres, partis sous d’autres cieux et au service d’autres puissances, y compris soviétiques) de savants, chercheurs ou chercheurs-industriels allemands – dont beaucoup ont activement et lourdement contribué comme on dit à l’effort de guerre du Troisième Reich et dont l’auteur, aux propos très moraux (sans, ici, aucune note ironique), déplore que la France ait passé par pertes et profits l’absence de repentir – qui ont nom : Von Zborowski, Schardin, Kraehe, Oestrich, le ‘‘motoriste du Führer’’, Sänger, Schall, Ferdinand Porsche, sans oublier bien sûr Bringer (qui, comme on dit encore, « a sa rue » à St Marcel, petit village près de l’ancienne usine de Vernon, dans l’Eure) et son mentor Werner von Braun.

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Repentir

On ajoutera que la figure de Marcel Dassault en prend aussi pour son grade et, plus généralement, selon l’auteur, toute l’histoire « officielle » de la grande famille des avionneurs français de l’après-guerre, à un point tel qu’il ne serait pas exagéré de soutenir que la fusée « européenne » lanceuse de satellites Ariane est la petite sœur des redoutés V2 allemands.

Il conviendrait que la France établisse une doctrine (d’application fatalement secrète) de possible exploitation et mise à disposition, autoritaire ou volontaire, de tous maîtres d’œuvre et savants étrangers se repentant de forfaits commis dans leur pays d’origine. Et ce repentir se manifesterait concrètement, gratuitement, gracieusement, secrètement par une mise au service de la France d’un talent utilisé jusque-là au profit d’un mal ennemi étranger.

Enfin avons-nous relevé que ce livre se conclue par une remarque de nature éditoriale. Dans ses Remerciements – rubrique courante en fin d’ouvrage -, Michel Tedoldi souligne que son livre ‘‘n’aurait jamais vu le jour sans la ténacité et le soutien de mon éditrice, Véronique de Bure’’. Ce qui, a contrario, tend tout simplement à souligner l’importance de ses révélations, sans même parler des réputations fallacieuses qu’il risque de bousculer. 

Michel Tedoldi, Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis – Albin Michel, 256 p.

Ersatz de bébés

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DR.

Découvrez le monde merveilleux des « poupées reborn »


On connaissait les poupées gonflables, destinées à assouvir des fantasmes érotiques. On peut désormais se procurer des nourrissons artificiels. Les « poupées reborn » sont si réalistes qu’on peut presque les confondre avec de vrais bébés.

Leur mode commence aux États-Unis dans les années 1990 avant de gagner le reste de la planète. S’il s’agissait au début de poupées ordinaires retravaillées (d’où reborn, « qui renaissent ») par des artistes, aujourd’hui on peut les acheter en kit et les personnaliser. Il y a un marché florissant en ligne et les prix peuvent être élevés. La clientèle est composée surtout de femmes qui peuvent s’imaginer pouponnant un véritable nouveau-né. Des appareils électroniques simulent les battements de cœur et la respiration. Beaucoup de clientes donnent le bain à la poupée, la mettent au lit ou la promène dans une poussette. D’abord une affaire de collectionneuses, les poupées reborn sont devenues aussi un exutoire à l’instinct maternel et même une aide à surmonter le deuil d’un enfant. Certains commentateurs dénoncent une forme de dépendance malsaine. D’autres rappellent la théorie de la « vallée de l’étrange » connue en robotique : plus un objet ressemble à un être humain, plus il provoque en nous de l’empathie ; mais s’il est trop réaliste, il provoque un sentiment de rejet, d’« inquiétante étrangeté », dirait Freud. C’est ainsi qu’une véritable panique morale vient de saisir le Brésil où plus d’une trentaine de projets de loi au sujet des poupées reborn ont été introduits dans des conseils municipaux ou les assemblées des différents États. La plupart visent à sanctionner les femmes qui essaient de faire soigner leur poupée à l’hôpital public ou qui prétendent avoir un bébé pour se faire traiter en priorité. Pourtant, aucun cas avéré ne justifie cette mobilisation. Une vidéo sur TikTok montrant une poupée amenée à l’hôpital s’est révélée n’être qu’une mise en scène ludique. Cela n’a pas empêché les amatrices de subir un torrent de dérision vitriolique sur les réseaux ou les fabricants de recevoir des menaces de mort.

Une chanson de rap parodique prône le recours à la violence contre les maléfiques poupées. Le 6 juin, un homme a frappé un vrai bébé à la tête. Sa défense ? Il croyait que c’était une poupée reborn.

Le goût du large!

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Arthur Da Costa Adao, chef, et Louis Grizeau, sommelier © Clara Hospital

Arthur Da Costa Adao et Louis Grizeau ont fait leurs classes sur le continent avant de mettre le cap sur l’île de Ré. À L’Écailler, leur restaurant du port de La Flotte, ils mettent un point d’honneur à ne servir que les meilleurs produits du terroir comme le thon rouge, le lieu jaune et le homard, avec de jolis vins accessibles à tous.


« À l’origine, les nourritures naturelles de l’homme sont les bêtes et les plantes de son territoire, le mammouth, le caviar, l’huître, la truffe, les insectes, les fruits… » Joseph Delteil, La Cuisine paléolithique.

Dans nos campagnes, les touristes hollandais traînent la réputation d’apporter avec eux leur nourriture stockée au fond de leur camping-car. Vestige d’un vieux puritanisme protestant, cet esprit d’économie passe à l’as la plus grande joie des vacances, celle qui consiste à découvrir un pays étranger à travers ce qu’il offre de plus intime et de plus profond : son goût !

Le parfum d’une terre âpre et sauvage

Quel est donc le goût de l’île de Ré ? Depuis la construction du pont la reliant au continent (1988), bien des choses ont changé… Ceux qui se souviennent du bac qu’il fallait prendre au départ du port de La Pallice savent qu’il s’agissait d’une expédition, on se rendait sur une terre encore sauvage et préservée. Né en 1931 au village de Sainte-Marie, l’apiculteur Robert Guion, 94 ans et l’œil pétillant (il a passé sa vie à se soigner au miel et à la gelée royale), nous livre ici un témoignage ethnologique.

« Pour se rendre sur l’île de Ré avant la guerre, il fallait prendre un bateau, Le Coligny, qui partait de La Rochelle deux fois par semaine. Un petit train partait de Rivedoux et montait jusqu’aux Portes, au nord. Les gens avaient le sentiment de se retrouver sur une terre étrangère. Louis XIV avait d’ailleurs accordé à l’île de Ré le privilège royal d’être « un Pays étranger », exempt de taxes et libre de commercer avec les pays scandinaves et la Hollande pour leur vendre du vin, des eaux-de-vie et du sel. Le roi récompensait ainsi les Rétais d’avoir repoussé la tentative d’invasion anglo-hollandaise de juillet 1696, quand quarante-trois vaisseaux avaient bombardé le port de Saint-Martin fortifié par Vauban. Jusqu’à la Révolution, l’île s’est beaucoup enrichie. Après 1945, les touristes ont commencé à venir à bord du bac. Mais nous vivions toujours en autarcie : nous nous nourrissions de poissons pêchés à pied (il y avait 140 écluses !), de coquillages et de légumes. Pour l’eau, chaque maison avait son puits, une eau très fraîche et très pure. Nous avions aussi des poules, des lapins et des chèvres… C’était un monde clos. Au nord, les Rétais parlaient le patois de Vendée, au sud le patois d’Aunis et de Saintonge. Pour le divertissement, il y avait les cafés et les bals populaires. Les ânes portaient les vendanges. Le miel avait un autre goût qu’aujourd’hui car il y avait des fleurs de luzerne, d’asperges et d’immortelles des sables (toutes ramassées par l’industrie cosmétique). Le plat traditionnel de l’île de Ré était le ragoût de seiche aux pommes de terre, parfumé à l’oignon, à l’ail, au persil et au vin blanc de l’île (à base de folle-blanche) ; les seiches étaient séchées au soleil l’été pour être conservées, puis trempées dans de l’eau avec de la cendre l’hiver. Au dessert on mangeait de la galette à l’angélique confite des marais poitevins accompagnée d’un verre de pineau des Charentes. Le seul engrais que nous utilisions pour nos terres, c’était le varech naturel récolté sur les plages. Les derniers paysans que j’ai connus sont tous morts du cancer, empoisonnés par les pesticides. »

A lire aussi: Au roi et aux copains !

Le père Guion aurait encore beaucoup de choses à nous raconter, mais le tableau qu’il peint exhale le parfum d’une terre encore âpre et sauvage. Est-il possible d’en retrouver la saveur ? Probablement pas. Loin des tomates-mozzarella qui ont envahi tous les restaurants de France, on peut toutefois aller manger à L’Écailler, sur le port de La Flotte, dont la pureté éclatante est digne d’un Nicolas de Staël. Depuis avril 2025, cette institution a été reprise par deux gaillards de 26 ans : le chef Arthur Da Costa Adao (visage d’ange) et le sommelier Louis Grizeau (moustaches à la Arsène Lupin).

Deux jeunes venus de chez Christopher Coutanceau

Construite en 1652, la maison a conservé son plancher d’origine fabriqué à partir de mâts de bateau posés à même le sable. Arthur et Louis viennent tous deux de chez Christopher Coutanceau, le chef trois étoiles Michelin de La Rochelle, qui leur a inculqué l’amour du poisson de saison pêché à l’âge adulte après s’être reproduit au moins une fois : « Un poisson digne de ce nom est un poisson pêché à la ligne. »

Lieu jaune de ligne, fèves blanches et marinière de coquillages.

Ces deux compères ont le mérite d’avoir constitué rapidement une équipe jeune et motivée de 15 personnes sans aucun appui financier derrière : les voici donc condamnés à réussir !

À L’Écailler, il n’est pas encore prévu de servir du ragoût de seiche… mais Arthur et Louis mettent un point d’honneur à ne sourcer que les meilleurs produits du territoire comme le thon rouge (pêché au large de La Rochelle), le lieu jaune de ligne servi nacré avec des fèves blanches à l’huile de laurier et une marinière de coquillages aux algues (un régal). L’été est la saison du homard : les meilleurs sont les vieilles femelles bien fermes dont la carapace est ornée de coquillages. Le chef les grille à la plancha sur leur carapace, « l’idée étant de faire monter la chaleur lentement dans la chair tout en la protégeant ».

Vue sur le port de La Flotte depuis la salle de L’Écailler.

Avant Coutanceau, Louis était chez Alain Passard, à L’Arpège : « Il n’y a pas de cuisine plus épurée que la sienne et c’est un rôtisseur de génie. C’est lui qui m’a fait comprendre que, quand on cuisine, on doit soi-même avoir un peu faim. Pour donner du plaisir aux gens, c’est indispensable ! »

Louis Grizeau, de son côté, est un sommelier qui aime sortir des sentiers battus en proposant des vins insolites, à l’image de son cahors blanc à base de roussanne élevé dans un fût de Corton-Charlemagne – une vraie pépite ! Formé dans un palace près d’Amsterdam, il voue un faible aux vieux goudas qu’il aime associer au grand pineau des Charentes du domaine François Ier. Surtout, la carte qu’il a mise sur pied (450 références) est accessible à toutes les bourses (à partir de 30 euros la bouteille) et se marie bien avec les produits du terroir, comme la jonchée, un très ancien fromage au lait cru frais et moulé à la louche, toujours fabriqué dans les marais rochefortais : « Nous le servons au dessert avec une compotée de rhubarbe et une infusion de géranium. Mais si vous voulez une bonne tarte aux fraises de Rivedoux, ou un soufflé au cognac de l’île de Ré, nous répondons aussi présents ! »

L’Écailler
3, quai de Sénac, 17630 La Flotte – tél. : 05 46 09 56 40.
www.lecaillerlaflotte.fr
Menu déjeuner à 55 euros, menus dîner à 80 et 120 euros.

Dans la peau du poète Constantin Cavafy

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Le poète grec Constantin Cavafy (1863-1933). DR.

Embarquez en 1901 pour la Grèce depuis l’Egypte à travers les yeux du poète Constantin Cavafy…


Constantinos Pétrou Cavafis, natif d’Alexandrie, rejeton déclassé d’une famille aristocratique ruinée, aurait pu rester un modeste fonctionnaire au ministère des Travaux publics, boursicoteur à ses heures, dans ce monde révolu de l’Égypte sous protectorat britannique. Cet « exilé économique » ne la découvre qu’à 38 ans ! Ce patronyme dissimule Constantin Cavafy (1863-1933), le plus grand poète hellène du premier XXème siècle. La comparaison s’impose avec Fernando Pessoa, le petit employé de banque lisboète, auteur du Livre de l’Intranquillité. Comme Pessoa, Cavafy est un célibataire taciturne, anglomane et polyglotte, affable et d’une l’élégance quelque peu guindée. Il distribue parcimonieusement son œuvre aux seuls initiés, sans en faire étalage. 

Apologie du désir

Joliment publié par Les Belles Lettres, Premier Voyage en Grèce exhume le texte intégral, originellement en anglais et nullement destiné à la publication, du journal de bord tenu par Cavafy lors de ce « retour aux sources » inaugural, du 13 juin au 4 juillet 1901 : sujet de l’Empire britannique, le nouvel Ulysse débarque en paquebot à Délos, sans avoir pu visiter la Crète, pour mouiller à Athènes trois jours plus tard, puis rejoindre Alexandrie sous l’ardent soleil estival dont il consigne scrupuleusement, jour après jour, la température au thermomètre…

La transcription de cette trentaine de feuillets manuscrits, traduits en français par l’essayiste et romancier Lucien d’Azay, n’occupe en réalité qu’une petite partie du présent volume. Lucien d’Azay a soin de faire utilement précéder ce très court texte d’une ample et belle préface de sa plume, érudite évocation du personnage en son temps, lequel, en cela différent de Pessoa, prisait discrètement le « bel éphèbe discobole », idéalisé sous la forme d’un érotisme « toujours enfoui et presque dissimulé dans un passé révolu dont seul le souvenir lui permet de retrouver l’intensité ».

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Ô temps révolus, si radicalement éloignés de ce XXIème siècle naissant, devenu frigide et tellement puritain ! « La sensualité et la passion amoureuse semblent avoir relevé pour lui d’un rite initiatique qui n’excluait pas la débauche », poursuit le préfacier. Constantin Cavafy « s’adonna aux plaisirs charnels avec dévotion ; d’où son apologie du désir, de l’hédonisme, de tout ce que le corps sollicite, jusqu’à sa dissolution, les conséquences dussent-elles être fatales ».

Très prosaïque et en cela bien différent de sa poésie, ce froid éphéméride se contente de détailler ses visites, sorties culturelles et autres rencontres mondaines. Le texte s’agrémente heureusement d’un scrupuleux appareil de notes, dû à l’excellent d’Azay, qui articule ce « fond de tiroir » à la biographie du poète et au contexte historique, culturel, et même topographique dans lequel il convient de le situer. S’il n’est pas empreint de poésie, ce « journal qui, pour reprendre l’expression du commentateur, tient du camouflage », « sec, factuel, frugal, elliptique et pour ainsi dire ‘’blanc’’ », s’illumine parfois, allusivement, à l’évocation de ces « soldats et officiers [qui] ont une magnifique allure »…

Pasolinien avant l’heure

Dans les Notes sur la poésie et l’éthique, étagées de 1902 à 1911, et que le présent volume propose ensuite en français à la lecture en regard de l’original grec, Cavafy, plus explicite, se fait pasolinien avant l’heure : « La beauté du peuple, des jeunes gens pauvres, me plaît et me touche. Domestiques, ouvriers, petits employés de commerce, commis de magasins. […] Ils sont presque toujours sveltes. Leur visage, tantôt blanc s’ils œuvrent dans une boutique, tantôt hâlé s’ils sont dehors, a une couleur agréable et poétique. C’est en cela qu’ils contrastent avec les jeunes gens aisés, avec une sale mine, soit empâtés et malpropres à force de manger, de boire et de paresser : on dirait que leur figure boursouflée ou flétrie révèle la laideur du vol et la spoliation dont procèdent leur héritage et leurs rentes ».

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Enchâssé au cœur de cette édition sous le titre Instants d’éternité, un portfolio de clichés en noir et blanc du photographe contemporain Nikos Aliagas s’essaie à révéler plastiquement « les plis secrets de l’âme » du poète, dans la lumière de son « territoire intérieur » – belles photos de paysages, d’objets, de visages, de statues, de scènes de rue : un tombeau de Cavafy en images.

Le recueil exhume pour finir deux petits articles du jeune Cavafy, parus respectivement en 1891 et 1892 ; une Note sur la langue grecque où Lucien d’Azay interroge, au prisme de la langue de Cavafy, les discontinuités entre le grec ancien et le grec moderne ; et enfin une chronologie reliant la biographie de Constantin Cavafy à son temps et à sa postérité.

De certains livres mineurs, on dit parfois qu’ils méritent leurs lecteurs. Ce précieux petit objet est de ceux-là : qui s’ouvre à Cavafy résiste à Marc Levy.

A lire : Premier voyage en Grèce, de Constantin Cavafy. 238p. Les Belles lettres, 2025

Premier voyage en Grèce: Suivi de Notes sur la poésie et l'éthique

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Sortez de l’autoroute!

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L'écrivain et poète Marc Alyn, à gauche, l'écrivain Guy Darol, à droite © Sipa / DR.

Monsieur Nostalgie poursuit sa série de l’été à la rencontre d’auteurs vivants qui comptent littérairement et dont l’empreinte médiatique est inversement proportionnelle à leur talent. Aujourd’hui, il nous parle de Guy Darol et de Marc Alyn…


En littérature comme en transport automobile, la voie la plus éclairante n’est pas toujours celle recommandée par les autorités. Bison Futé peut-il se tromper ? La critique peut-elle se fourvoyer dans la perpétuation de fausses valeurs ? L’été, les autoroutes charrient le flot des voyageurs, le gros des touristes passera à quelques mètres des départementales bordées de platanes et d’auberges girondes, la rapidité n’a que faire des flonflons à la française ; l’asphalte annihile tous les particularismes régionaux, l’entonnoir est lancé, il aspire toutes les beautés, le conducteur doit tracer vite et ne pas se détourner de son objectif initial, c’est-à-dire atteindre les plages en moins de temps qu’il n’en faut pour dissoudre une assemblée turbulente. En septembre, d’ici quelques semaines, le système éditorial, plus moutonnier que stratège, moins complotiste que fainéant, choisira sa poignée d’élus. La tenaille médiatique se resserrera sur deux ou trois noms qui feront consensus par leur innocuité et qui iront gaillardement jusqu’aux prix d’automne. Ces gagnants-là signeront et vendront jusqu’à la Noël. Des queues se formeront devant les échoppes de province et la télévision publique écorchera leur nom de famille. Face caméra, ils minauderont, en France, mieux vaut avoir l’air penaud ; d’une voix componctueuse, ils remercieront leurs professeurs d’antan et leurs lecteurs sans qui ils ne seraient rien alors qu’ils estiment cette victoire largement méritée, même, à vrai dire, tardive. Les autres regarderont la caravane passer avec des lumières dans les yeux. Ces centaines d’autres poursuivants, lampistes surnuméraires, figurants sacrificiels, traînards du peloton auront au moins eu le plaisir de participer à cette course truquée. Ils pourront dire à leurs petits-enfants comme ces marathoniens du dimanche : « En 2025, j’ai fait une rentrée littéraire, quelle mascarade ! Mais quel spectacle ! Ça secoue ! Un jour, peut-être, j’y retournerais ». L’écrivain est un joueur de casino qui s’accomplit dans la défaite, car c’est la perte qui donne le frisson, jamais le gain. Tous les addictologues vous le diront. Le succès taquin, dans son immense mansuétude, se porte parfois sur de bons livres. Certaines années, on n’est pas à l’abri d’un lauréat sincère qui nous changera des roués et des affidés. Depuis que les arts sont compétition, ils l’ont toujours été à travers l’Histoire, il faut bien des perdants. Julio Iglesias l’a même chanté :

Je sais
En amour il faut toujours un perdant
J’ai eu la chance de gagner souvent
Et j’ignorais que l’on pouvait souffrir autant

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Gloire à tous les perdants ! Ce sont nos frères de plume. Depuis mon adolescence boulimique, mes étés à manipuler les tourniquets de poche dans les librairies de campagne, j’avais la berlue à force de retourner les « Folio » colorés ; innocemment, j’ai été attiré par ceux que Philippe Claudel appelle « les grands petits maîtres ». Il utilise cette expression dans une préface de Pierre Charras. Par flemme, par horreur de l’école, par réaction, par snobisme aussi, j’ai repoussé tous les champions nobelisés, toutes les lectures obligatoires et les grands prêcheurs sur lesquels doivent s’agenouiller les mécréants de mon espèce. Désolé, je ne m’en félicite pas, dans mon métier ce serait même plutôt un handicap car cette méfiance paysanne pour les encartés oblige à sortir des sentiers balisés. Et puis, écrire sur des auteurs méconnus, c’est se priver de relations influentes dans nos métiers où l’échange commercial est légion. Je suis imperméable à la profondeur des penseurs patentés. Vieux réflexe berrichon, je me méfie des bestiaux trop beaux, trop parés à la foire de Sancoins. Suspicieux par nature, je ne crois pas aux êtres supérieurs et me fie uniquement à mon goût pour la ligne claire. Alors, j’ai dû me frayer un chemin tortueux dans les bibliothèques qui regorgent d’artifices, j’ai beaucoup tâtonné et, sur le tard, suis tombé sur des écrivains qui ne me quittent plus désormais. Ils n’étaient pourtant pas en pole position dans les rayons, ils n’étaient pas invités régulièrement dans le poste, c’est le miracle de la littérature de nous amener à eux. Je pense à Guy Darol, ce haut-breton des terres fourragères qui « a le goût des méandres », et peut s’intéresser dans un même élan à Joseph Delteil et à Frank Zappa. Ce grand pédagogue nous instruit sur les musiciens des années 1970 et les écrivains buissonniers. Il a le don d’ubiquité, vous pouvez le rencontrer à New-York dans un club de jazz ou sur les bords de la Marne, dans une banlieue d’atmosphère. Guy Darol a écrit un essai remarquable sur André Hardellet « ou le don de double vie » aux Presses de la Renaissance, il y a presque 35 ans maintenant. Son approche sensitive, d’un naturalisme désarmant, dans son jus le plus vif et le plus intelligent, sans l’artillerie intellectuelle habituelle, m’a fait mieux saisir la richesse intérieure d’Hardellet, à cheval entre le fantastique et le charnel. Parfois ce sont les rencontres qui nous guident vers des auteurs, je dois mon estime et mon intérêt au poète d’élite, Marc Alyn, à Pierre-Guillaume de Roux qui avait publié notamment sa correspondance amoureuse. Autrefois piéton de Venise ou dans l’intimité de Lawrence Durrell, l’écrivain discret, aujourd’hui âgé de 88 ans, qui fut lu par Trintignant ou Reggiani, prodige du vers, auréolé du Prix Max Jacob est un Mallarmé fécond où le mot ne cesse de fureter. Il devrait être célébré à sa juste valeur dans notre pays. Chaque été, comme je relis mon Fallet des quais de Seine, je replonge dans Paris point du jour (Bartillat) où Alyn se fait conteur, enchanteur, enlumineur de la ville.

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