Demandera-t-on demain la panthéonisation de Nahel Merzouk ?
Le 23 août 1996, la Belgique effondrée assistait aux funérailles de deux petites filles dont les prénoms, Julie et Mélissa, flottaient depuis des semaines dans toutes les têtes. Tous les drapeaux étaient en berne et le palais royal avait proposé d’envoyer un représentant. Les parents s’y étaient opposés, « Le Roi ou rien ! ».
Nombre de Belges avaient pris congé pour suivre la retransmission de la messe d’adieu ou pour assister directement à celle-ci. Mais aussi spacieuse que soit la Basilique Saint-Martin à Liège, elle ne pouvait contenir le 5 à 10 000 personnes, journalistes, célébrités ou simples citoyens venus soutenir les parents des petites filles, victimes d’une épouvantable tragédie. La rue Mont Saint-Martin qui mène à la basilique, fermée au trafic était noire de monde. Lorsqu’y pénétrèrent les corbillards, le silence se fit. Mais lorsque, suivant ceux-ci, apparurent à pas lents les parents des deux défuntes, dont plus personne n’ignorait le calvaire, la foule applaudit. Cela me laissa interloquée. On applaudit un exploit, une prestation remarquable, un héros… Mais des familles de victimes ? Ça me semblait incompréhensible. C’était il y a presque 30 ans.
Depuis, le statut de victime – voire de simple plaignant et surtout plaignante – a pris du galon. Hissé au plus haut niveau des gloires nationales, ce sont les victimes ultra médiatisées qui tiennent le haut du pavé. Et si elles sont victimes d’une erreur d’appréciation de la police, on n’est pas loin de leur élever une statue. Ça permettra de remplacer celles que nous érigions autrefois à nos héros et que le wokisme déboulonne à tour de bras… Ainsi la ville de Nanterre prévoit d’installer une plaque commémorative au jeune délinquant Nahel[1].
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Mais il n’y a pas que les statues et les plaques commémoratives dont il convient de détricoter tant le sens que la fierté. Depuis 1802, la France, par la loi du 29 floréal an X, récompense des militaires ou des civils pour mérites éminents en les décorant de la plus haute distinction : la Légion d’Honneur. Ce vieux gadget qui sent la France rance, qui symbolise un patriarcat blanc, une Histoire glorieuse, et surtout qui contredit l’égalitarisme mou qui sert à présent d’horizon en hissant certains au-dessus des autres, doit à son tour être l’objet d’une entreprise de démolition ou, à minima, de dissolution.
C’est ainsi que Madame Pelicot, sexuellement abusée, victime entre les victimes et surtout victime des hommes, est proposée à la prochaine fournée de la Légion d’Honneur. Qu’a-t-elle fait pour mériter l’éternelle reconnaissance de la patrie ? Il ne se trouve pas un cœur assez sec pour nier son martyre et y compatir sincèrement. Mais en quoi cela fait-il d’elle un sauveur de la nation ? Une héroïne ? Ses terribles épreuves jusqu’au verdict final la hisse-t-elle vraiment au rang de Marie Curie ou de Jean Moulin ? La falsification sémantique que l’on voit chaque jour à l’œuvre rappelle la novlangue de George Orwell. Dans le monde effrayant décrit dans « 1984 », les mots n’ont pas simplement subi un glissement de sens, mais une inversion. La vérité est le mot pour signifier le mensonge, comme l’amour est le mot pour signifier la haine. Le temps est-il venu, en France, où le mot « héros » signifiera « victime », avant que « gloire » ne signifie « honte » ?
[1] https://www.causeur.fr/nahel-refus-d-obtemperer-plaque-raphael-adam-312887
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