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Un Maigret, sinon rien

Georges Simenon publiait « Maigret a peur » en 1953


Un Maigret, sinon rien
Georges Simenon a Paris en mars 1969 © LE CAMPION/SIPA

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (4)


Il fait très chaud, le rapace décrit des cercles de plus en plus petits dans le ciel d’un bleu métallique étrange. Je prends au hasard une enquête du commissaire Maigret. Il est curieux Georges Simenon. Il dit qu’il ne faut aucune indication météorologique dans un début de roman et il commence toujours par préciser le temps qu’il fait. Dans Maigret a peur, il pleut beaucoup, le vent souffle fort, les nuages sont menaçants. Le printemps se fait attendre. Ça a quelque chose de rafraîchissant même si l’atmosphère est pesante. Maigret revient d’un congrès de criminologie, à Bordeaux. Avant de retrouver son épouse et son bureau au 36, quai des Orfèvres, le commissaire fait une halte dans une petite ville de province, Fontenay-le-Comte, traversée par la Vendée. Simenon y a séjourné en 1940-1941. Il semble ne pas en avoir gardé un bon souvenir. Les rues sont désertes le soir, les gens s’épient derrière les fenêtres, les lettres de dénonciation sont prisées et les ragots ne manquent jamais. Maigret descend du train où il a fait la connaissance d’un personnage nommé Vernoux de Courçon, un individu qui lui a rappelé son enfance et « les gens du château », comprenez la classe sociale dominante à laquelle n’appartient pas Maigret. Vernoux de Courçon est le beau-frère de l’homme qui vient d’être assassiné. Mais le commissaire ignore tout de l’affaire. Il vient juste rendre visite à son vieil ami Chabot, juge d’instruction. Il va être mêlé à l’enquête sans y participer directement puisqu’il est hors de sa juridiction.

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Robert de Courçon, notable, a été tué sauvagement. Mais deux autres crimes vont se produire, créant un vent de panique dans la petite ville si tranquille. D’abord une veuve, ancienne sage-femme ; ensuite un ivrogne inoffensif. Il doit s’agir d’actes commis par un fou. Les soupçons se portent sur le docteur Vernoux, spécialiste en psychiatrie. C’est un original, un coupable tout désigné. L’affaire réactive la lutte des classes : les possédants contre les « gueux ». Le ciel au-dessus de la ville résume la situation : c’est un « ciel noir de Crucifixion », écrit Simenon. Pour une fois, Maigret, qui ne peut s’empêcher d’observer les comportements et d’analyser les réactions des uns et des autres, notamment pendant une partie de bridge à laquelle il ne participe pas, ne donne pas complètement tort à la foule. Mais il y a quelque chose qui cloche et que seul le commissaire, à trois ans de la retraire, a su cerner. Il a peur du dénouement. Il connaît trop la part noire de l’homme. Le livre, écrit en 1953, montre une France apeurée, manichéenne, nostalgique du pétainisme ou avide du « Grand Soir », au choix.

Le docteur Vernoux a une maîtresse – « la fameuse recherche des compensations » –, elle se nomme Louise Sabati. C’est une femme de chambre que la vie a cabossée. Elle n’est pas très belle, fatiguée par le travail harassant. Mais Maigret ne peut s’empêcher de penser qu’« il y avait quelque chose d’attachant, de presque pathétique dans son visage pâle où des yeux sombres vivaient intensément. » Elle et Vernoux vivent une vraie histoire d’amour hélas impossible. Un paquet de lettres le prouvera. Trop tard.

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Simenon signe une nouvelle enquête écrite avec sobriété et précision. La tension est palpable dès les premières lignes. Son célèbre commissaire est sans illusion sur la nature humaine, mais il se garde bien de juger, même s’il ne supporte pas ceux qui s’acharnent sur « le bas peuple » alors qu’ils en sortent. Maigret est un pragmatique : « Les gens sensés ne tuent pas ». Mais sa plus grande force, c’est de ne pas avoir oublié les jeux secrets de son enfance, et de savoir qu’il ne faut jamais louper une demi-journée de soleil printanier.

Georges Simenon, Maigret a peur, Le Livre de Poche. 188 pages


Retrouvez les cartes postales précédentes sur la page auteur de Pascal Louvrier



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Pascal Louvrier est écrivain. Derniers ouvrages parus: biographie « Malraux maintenant », Le Passeur éditeur; roman « Portuaire », Kubik Editions.

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