Le néoféminisme et le wokisme, loin d’être des avancées, sont une sorte de résurgence de la foi — mais sans transcendance, sans pardon, sans salut… Bienvenue dans l’ère ennuyeuse et glaciale du « consentement normé » !
Il est des condamnations plus définitives que celles prononcées dans les prétoires. L’homme moderne, surtout s’il est célèbre, tombe moins par le glaive de la justice que par le venin de la morale sociale, diffusé en continu par des armées sans visage mais non sans dogme. Nicolas Bedos a été condamné : non pas tant pour des gestes que l’on qualifierait, dans un monde encore sensé, d’indélicats ou de déplacés, mais parce qu’il est devenu, aux yeux du nouveau clergé, l’archétype de ce que l’époque cherche à rayer de sa mémoire : le mâle blanc occidental, trop libre, trop brillant, trop sûr de son charme.
Terrain miné
Ce qui fut jadis le terreau ambigu de la séduction est désormais un terrain miné, quadrillé par la police des corps et des mots. Le simple fait d’adresser la parole, de regarder, de toucher même légèrement, devient matière à procédure. L’amour, ou ce qu’il en reste, a été soumis à une régulation maniaque, comme si toute initiative devait être encadrée par un code pénal. Nous ne nous aimons plus, nous nous auditons. Le désir, ce feu dont naissait la littérature, la musique, la guerre parfois, se voit réduit à une simple variable juridique.
Mais sous cette obsession du consentement normé, sous cette volonté de transparence absolue des rapports, se cache une autre vérité : la régression religieuse du monde occidental. Le wokisme, loin d’être une avancée de la conscience, est une résurgence de la foi — mais sans transcendance, sans pardon, sans salut. Un puritanisme sans Dieu, où les fidèles sont appelés à dénoncer les impurs, à s’auto-flageller, à montrer patte blanche, à chaque instant. Les réseaux sociaux sont devenus les nouvelles sacristies. On y confesse, on y excommunie, on y lapide, avec une ferveur qui n’a rien à envier aux pires inquisitions.
Abdication de l’homme occidental
Ce qui frappe, c’est la manière dont cette religion séculière s’est imposée, non par la force, mais par la honte. L’homme occidental s’est convaincu de sa faute originelle — coloniale, patriarcale, culturelle — et, en bon chrétien sans Évangile, il cherche à se racheter. Il abdique, il s’efface, il renonce à lui-même. Il rêve de devenir une figure neutre, transparente, inoffensive. Il devient un eunuque moral, un spectre docile dans une société qui prétend n’avoir plus besoin de lui.
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Et pourtant, jamais la solitude n’a été aussi criante. L’hyperconnexion masque mal le désert. Les hommes n’osent plus aimer ; les femmes ne savent plus être aimées autrement que comme des vestales. Le couple s’effondre sous le poids de la suspicion mutuelle. Le flirt est une prise de risque. L’attirance, un procès en germe. Chacun se replie, s’isole, se dépolitise par peur de heurter. On vit à distance, protégés par des écrans, des codes, des lois. Et dans cet isolement affectif organisé, c’est toute une civilisation qui se meurt — non dans la violence, mais dans la stérilité.
Haine de soi
L’amour, naguère moteur du monde, n’est plus qu’un champ de ruines, cerné de jurisprudences et de tweets indignés. À force de vouloir prévenir tout abus, nous avons tué tout élan. L’homme, dévirilisé, surveillé, culpabilisé, ne tente plus rien. Et dans cette vacance, d’autres s’engouffrent, porteurs d’une vitalité brute, parfois brutale, mais assumée. Ce n’est pas un remplacement : c’est une substitution active de la pulsion de vie. Et c’est cela, précisément, que notre époque ne veut pas voir : ce n’est pas la justice qui progresse, c’est la libido occidentale qui s’éteint.
L’affaire Bedos n’est pas une péripétie médiatique de plus. C’est un symptôme. Le symptôme d’un monde occidental qui, rongé par la haine de soi, a remplacé la civilisation par le règlement, la littérature par l’indignation, la séduction par la contrainte. Un monde qui préfère détruire ses créateurs plutôt que d’assumer leur complexité. Un monde qui ne croit plus en l’homme, mais en sa correction.
Dans ce monde-là, il n’y aura plus d’art, plus d’amour, plus de tragédie, donc plus de beauté. Il n’y aura que des comportements licites, des existences sans aspérité, des fantômes certifiés inoffensifs.
Et c’est peut-être cela, la vraie condamnation de Nicolas Bedos : non pas la prison, non pas le bracelet, mais d’avoir incarné, jusqu’au bout, une liberté que notre époque veut abolir.
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