La droite française, en quête d’honneur et de clarté morale, se débat entre soutien politique à Israël et malaise croissant face aux excès de sa politique à Gaza. Une tribune libre d’Alexandre de Galzain, journaliste à « Radio Courtoisie ».
| Nous savons parfaitement que le texte d’Alexandre de Galzain va ulcérer plus d’un lecteur. Les idées qu’on ne partage pas, c’est souvent dur à supporter, y compris pour votre servante. Mais c’est notre boulot. Le nôtre et aussi le vôtre chers lecteurs. C’est la douleur de la liberté, pour paraphraser Alain Finkielkraut. Si nous ne voulons pas que le débat public soit transformé en concours d’invectives, chacun doit jouer le jeu et s’imposer de répondre à l’argumentation par l’argumentation. Face à la contradiction, certains ne connaissent que l’injure et la menace : ce sont les Insoumis, pas les lecteurs de Causeur. Ici, il n’y a pas de sujet interdit – et certainement pas la politique de Benyamin Netanyahou. Ne tournons pas autour du pot. Il y a chez beaucoup de juifs aujourd’hui une tendance à confondre critique et haine, désaccord et désaveu. Les juifs ont inventé la polémique ou, en tout cas, lui ont donné ses lettres de noblesse. Depuis des siècles, on s’empaille dans les yeshivots et synagogues – pas seulement pour des motifs théologiques d’ailleurs. Il serait désastreux que cette tradition se perde dans le buzz contemporain. Juif ou pas, cher lecteur, si votre premier mouvement est d’insulter Alexandre de Galzain (par exemple en le traitant d’antisémite), eh bien, attendez le deuxième ! Merci à tous • Elisabeth Lévy |
Par réalisme, Maurras et les siens avaient suivi Drumont, Mussolini et Pétain. La droite mit un demi-siècle à s’en remettre. Par réalisme, nous avions suivi Assad et Poutine. Nous nous en relevons aujourd’hui à grand-peine, les mains encore un peu éclaboussées du sang de leurs crimes. Parce que nous sommes faibles, nous ne croyons encore qu’en la force et parce que la morale qui nous dirige aujourd’hui est mauvaise, nous rejetons en bloc toute morale.
La droite commet une faute morale sur le sujet d’Israël dont elle aura bien du mal à se remettre, et qui entachera nos mains pour encore longtemps.
Le 7-Octobre, nous nous indignions justement du massacre commis par des terroristes aveuglés par la haine : dans un élan infâme de ressentiment vicié, le Hamas frappait au cœur d’Israël et déclarait la guerre. Justement, nous n’avons alors pas manqué de mots pour condamner cette violence inouïe qui avait déjà blessé notre patrie au plus profond de son cœur. Le lendemain, la gauche s’en prenait à Israël, responsable de ses propres plaies : son impérialisme valait bien mille deux cents morts.
Mensonges de la gauche
Les mois suivants, justement encore, nous soutenions Israël dans son combat contre ce Hamas qui opprimait le peuple dont il avait pris la gouvernance. La gauche, alors à tort, dénonçait un « génocide » qui n’avait pas lieu : elle était trop heureuse de se découvrir un nouveau combat, une nouvelle oppression contre laquelle lutter, un nouveau crime à des milliers de kilomètres. Surtout, ce qui est plus grave, elle a fait d’un crime une opportunité, d’une opportunité un combat, d’un combat une obsession, d’une obsession un électorat.
La gauche a dans le même temps créé et détruit sa nouvelle mystique.
Que la gauche cesse un peu de nous mentir, cela lui changera, en affirmant que son combat n’avait aucune visée stratégique ni électorale, que le droit et la justice internationaux lui tiennent tant à cœur, qu’elle n’est motivée que par une digne indignation devant l’horreur.
La gauche veut le vote et la mobilisation des musulmans. Les musulmans votent et se mobilisent quand les leurs sont attaqués. Les Palestiniens sont attaqués. Les Palestiniens sont les leurs. Il faut donc soutenir les Palestiniens pour obtenir le vote des musulmans.
Dans cette affaire, reconnaissons un peu plus d’honneur à Rima Hassan. Rima Hassan est dangereuse. Rima Hassan est de mauvaise foi. Rima Hassan ment. Rima Hassan se moque bien de la signification d’un mandat de « députée française au Parlement européen » accordé par notre peuple. Rima Hassan fait tout cela, mais Rima Hassan ne triche pas. Rima Hassan est Palestinienne, son peuple a vécu sa Catastrophe. Elle est immigrée par la faute de ces horreurs, elle défend l’honneur de son peuple. Rima Hassan ne joue pas à la Française d’origine immigrée, Rima Hassan s’en moque. Rima Hassan ne triche pas : elle clame, tant que la loi le lui permet : « Je ne suis pas d’ici, je ne serai jamais des vôtres et je défendrai les miens que vous opprimez. Alors je vous combattrai avec toutes les armes que vous me laisserez ».
Mais Rima Hassan n’est pas des nôtres, il ne sert à rien de la traiter comme telle. Nous ne parlons pas le même langage.
Images affreuses
Mais nous, nous avons triché, en plus d’avoir menti et d’avoir été de mauvaise foi. Nous avons tenté de faire croire que la gauche n’était pas sincèrement soucieuse du sort des Palestiniens alors que nous savions, alors que nous avons vu comme eux – sans doute moins qu’eux, mais nous avons vu – ces images affreuses d’enfants palestiniens massacrés, de bombes pleuvant sur une ville détruite, d’hôpitaux en ruines, de mères abattues et de pères hagards à force de deuils. Et alors, nous avons dit, presque goguenards : « ce n’est pas notre faute ! », en ajoutant, comme si notre mensonge n’était pas assez gros : « ils ne veulent même pas défendre ces gens, ils veulent simplement être élus ! » Sans le savoir, ceux qui clamaient cela à grands cris dans les journaux et sur les plateaux ne révélaient là que la profonde misère de leur esprit calculateur.
Mais n’allons pas trop vite, car dans notre naïveté première, nous fûmes honorables.
Je l’écrivais plus haut, nous n’avons pas hurlé au génocide quand il n’y avait pas de génocide. Nous n’avons pas justifié l’injustifiable, et sans doute pour des raisons manquant parfois de justesse, nous avons fait preuve parfois d’un admirable manque de réalisme en refusant de justifier la haine par la haine, la violence par la violence, la fin par les moyens. Comme les Résistants combattaient les nazis par la violence parce que le nazisme justifiait la violence, alors le même raisonnement a été appliqué à Israël. « Israël est un Etat génocidaire, Netanyahou un nazi circoncis, Tsahal les SS de Judée ! » entendait-on déjà si souvent dans la bouche de cette gauche stupide ou antisémite. Mais qui ne comprend pas aujourd’hui que si le colonialisme est un impérialisme, que l’impérialisme est un fascisme, que le fascisme doit être combattu par tous les moyens, alors Israël delenda est? Alors même que le génocide n’était pas là, on hurlait ce mot sans frémir, et on trichait pour mieux s’indigner. A ne séparer les violences que par degré et non par nature, on les place toutes dans la même corbeille, et la violence physique est justifiée par la violence sociale, et la violence verbale est justifiée par la violence symbolique.
Alors, la gauche avait tort, réellement tort d’avoir « raison » trop tôt. Il est aujourd’hui établi que le projet actuel de M. Netanyahou est d’épurer ethniquement la bande de Gaza – j’écris « épurer ethniquement » car je crois qu’il importe assez peu à M. Netanyahou que les Palestiniens vivent ailleurs, meurent sous ses bombes ou meurent de faim.
Pourtant, est-il seulement établi que le projet de M. Netanyahou en novembre 2023, en novembre 2024, en janvier dernier même, était cette même épuration ethnique ? Rien n’est moins sûr, et à dire vrai, sans doute que si l’Europe gardienne de la morale avait déclaré plus tôt qu’il fallait mettre fin à cette offensive, sans doute que si nous avions été justes et avions tenu une parole de vérité alors que M. Netanyahou commençait à s’aventurer trop loin, alors nous aurions sans doute pu prévenir la venue de ce nouveau but.
La gauche rappelle un peu ces économistes qui se sont faits une spécialité de prédire la crise économique mondiale pour l’année prochaine depuis quinze ans et qui, au bout d’un moment, finissent bien par avoir raison.
Reste-t-il encore un seul otage d’Israël aux mains du Hamas ? Il est probable que non, et M. Netanyahou s’en moque bien, et nous le savons. Le Hamas est terroriste, il l’a prouvé cent fois, mais est-il djihadiste, commet-il des attentats chez nous ? Nous savons bien que non.
Alors que savons-nous, en fait ? Ce que nous savons, c’est que des dizaines de milliers de Palestiniens dont beaucoup n’ont eu pour crime que d’être eux aussi otages de ce même Hamas sont morts sous les bombes de Tsahal. Nous savons qu’une famine, qu’une crise humanitaire a cours présentement sur cette mince bande de terre. Et alors quoi, Israël serait « l’armée la plus morale du monde » et il faudrait tout à fait lui faire confiance ? Mais que craint M. Netanyahou en empêchant toute aide humanitaire ? Que le peuple de Palestine lui lance le pain qui lui manque à la figure et que, par un pareil procédé, Tsahal essuie un revers militaire ?
Nul n’ignore plus qu’Israël veut désormais annexer tout le territoire gazaoui ; et d’ailleurs, Israël l’affirme lui-même par la voix de son gouvernement. Nous l’avons dit, ce n’est pas d’un génocide, mais d’une épuration ethnique qu’il s’agit. Chose d’abord singulière, mais surtout terrible : ce sont aujourd’hui les juifs qui condamnent un peuple à l’éternel exil.
Et alors, on devrait demeurer silencieux là encore ? Mais encore ceux qui professent l’isolationnisme n’y croient pas assez pour en faire là leur principal argument. En fait, ce qui motive avant tout aujourd’hui la droite dans la défense du gouvernement, rappelons-le, criminel, de M. Netanyahou, c’est avant tout l’avantage politique français qu’il en retire.
Nul doute que la lutte de la droite contre l’antisémitisme est aujourd’hui sincère : chaque jour, nous côtoyons cette même droite et nous pouvons l’affirmer. Oh, il y a longtemps, nous fûmes pour certains antisémites. Était-ce une minorité agissante, une majorité ? Ces antisémites l’étaient-ils d’Etat, de haine raciale, de peur ? Je n’en sais rien et au fond, peut-être bien que cela n’a pas d’importance : sur nos mains, nous avons récolté les gouttes du sang des juifs d’Europe que nous n’avons pas défendus, que nous avons parfois combattus. Heureusement, quelques hommes parmi les autres tentèrent de sauver notre honneur, mais il était déjà trop tard.
Depuis, nous avons avec toute la sincérité du monde lavé nos mains de ce sang. Nos esprits sont purs de tout antisémitisme, nos paroles vierges de cette haine. Le 7-Octobre fut ainsi l’occasion de le prouver, de montrer à la face de la France un visage libre et clair, d’offrir à nouveau au monde une droite affranchie de ses crimes du passé. Nul n’ignore plus que ni Mme Le Pen, ni M. Zemmour, ni les autres ne sont antisémites pour un sou.
Lutte contre l’antisémitisme pervertie
Mais aujourd’hui, la mystique anti-antisémite est plus que jamais pervertie par la politique.
Si effrayés d’être appelés maurrassiens, si apeurés d’être liés à Drumont ou à quelque autre horreur collaborationniste, nous avons choisi de nous boucher les oreilles sans voir que le sionisme n’était pas le judaïsme ainsi que les débats nés au temps d’Herzl auraient dû nous l’apprendre. Et qu’est-ce que le sionisme alors ? S’il s’agit du droit d’Israël à exister, nous le soutenons. S’il s’agit de l’expansion de cet Israël, du Grand Israël rêvé par le ministre Ben Gvir, nous devons le rejeter.
Il y a eu la peur du procès à notre encontre ; il y a aussi la jouissance de mener un semblable procès à nos ennemis politiques. L’antisémitisme a toujours existé à gauche et il existe encore. Et comme ce procès nous a été fait, et comme il a longtemps fonctionné même de manière injuste contre nous, d’aucuns adoptent comme stratégie de le reproduire. Oh ! nous avons bien raison de dénoncer encore aujourd’hui l’antisémitisme de certains : il fait aujourd’hui peu de doutes que M. Portes, M. Guiraud, M. Caron, Mme Obono voire M. Mélenchon ont à tout le moins développé quelques acoquinages honteux avec cette rhétorique. Mais il y a un fossé entre ces attaques légitimes et ces méthodes de déshonneur par association, de catégorisation absolue, d’anathèmes et d’impensée totale. Nous nous plaignions autrefois de l’injuste sort réservé à notre camp parce que certains étaient antisémites : qui ne comprend pas aujourd’hui qu’en répétant, et donc avalisant, les mêmes stratégies, celles-ci finiront inévitablement par nous revenir dans la face ?
Une autre justification de la droite dans sa défense inconditionnelle d’Israël, c’est qu’elle défend les juifs de France contre les musulmans de France. Les premiers ont pris fait et cause pour Israël, les seconds pour la Palestine – en grande majorité du moins, semble-t-il – et alors que la droite combat, avec justesse, l’islamisation de notre pays, défendre Israël contre la Palestine, c’est s’opposer aux musulmans. Bien sûr, le lien entre violence politique, fondamentalisme islamique et soutien au Hamas n’est plus à prouver. Pourtant, nous ne pouvons que déplorer que toute lutte pour la défense du peuple gazaoui soit assimilée à une lutte pour le Hamas, à une lutte de gauche, à une lutte antiraciste ou décoloniale – dans le sens que la gauche leur a accordé en tout cas –, à une lutte antijuive, à une lutte de ces humanistes qui n’aiment défendre les peuples lointains que pour ne pas avoir à défendre le sien. On peut défendre le peuple gazaoui noyé sous les bombes israéliennes en rejetant le Hamas, en étant de droite, en n’adhérant pas aux combats de la gauche, en défendant les juifs et en aimant son peuple, sa terre et ses morts.
On apprend depuis quelques jours qu’Israël et l’Iran sont en conflit ouvert, qu’Israël a bombardé têtes du régime et civils avant de subir une semblable riposte. Et voilà que M. Netanyahou se plaint des frappes qu’il subit. Dans sa bouche, devant l’Occident, le voilà qui affirme qu’Israël serait le rempart de la civilisation face à la barbarie, que « l’armée la plus morale du monde » serait aussi notre bouclier, qu’Israël se battrait en fait pour nous. Mais quand donc le terrorisme iranien a-t-il frappé la France ? Quand donc Israël s’est-il battu pour autre chose que lui-même ? Nous ne le lui reprochons pas d’ailleurs, mais enfin, que la droite cesse d’affirmer bêtement qu’Israël « fait le travail que nous ne voulons pas faire » : M. Netanyahou combat l’Iran comme M. Assad combattait l’Etat islamique – c’est-à-dire qu’il fait face aux conséquences dont il est partiellement responsable et que ce combat sert bien son maintien au pouvoir.
L’Israël de M. Netanyahou, bouclier de la civilisation occidentale, de la chrétienté ? La belle affaire ! Il a été établi que M. Netanyahou finançait l’Etat islamique à Gaza contre le Hamas, qu’il finançait l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, qu’il méprisait et insultait les chrétiens autochtones ! Ah, et quel beau gardien de la morale que celui qui massacre femmes et enfants par milliers, qui met en péril la sécurité du monde par ses nouvelles offensives ! On me répondra que l’Iran était un danger pour le monde entier : chacun sait que c’est faux, que les mollahs oppriment ignoblement leur peuple, mais qu’ils n’ont jamais représenté la moindre menace pour l’Occident.
L’aveuglement volontaire de la droite de la situation israélienne est particulièrement préjudiciable en cela qu’elle refuse de comprendre que l’intérêt de M. Netanyahou réside en sa propre personne. Ce politicien corrompu, que toute la France abhorrerait si elle devait subir son règne, n’a pour but que d’échapper à la prison qu’il mérite tant. Comme la gauche se montre bien plus conciliante envers les dictatures de son camp, la droite fait de même et s’aveugle « par réalisme ». Mais quel réalisme est celui qui entache nos mains de sang, qui oublie deux mille ans de morale et de civilisation pour un simple intérêt politique temporaire ? En vérité, le camp de la morale est bien plus ardu à défendre que celui, court-termiste, du réalisme.
Si nous ne voulons pas répéter l’erreur que nous fîmes avec Poutine, Assad ou d’autres autrefois, il ne reste à la droite qu’une voie : celle de l’honneur. La voie de l’honneur aujourd’hui est simple : condamner sans équivoque la politique de M. Netanyahou, défendre le peuple gazaoui, cela sans jamais verser dans les erreurs et excès de la gauche que nous avons décrits. Dans toutes les rédactions de droite, du Figaro à Frontières en passant par CNews ou Valeurs Actuelles ; dans tous les partis politiques de droite des Républicains au Rassemblement national en passant par Reconquête, j’ai entendu pester contre les excès d’Israël, contre les excès de ce sionisme débridé, contre les massacres en cours à Gaza. Nous sommes nombreux à être révoltés devant le spectacle de mensonges et d’omissions en cours sous nos yeux. Nous sommes nombreux, levons-nous. A l’honneur de la droite manque encore le courage. Espérons qu’elle le trouvera.
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