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Fantômes de Goya

Un documentaire posthume et éblouissant où Jean-Claude Carrière perce les mystères de Goya…


Au seuil de mourir âgé de 89 ans en 2021, le célèbre écrivain, parolier, metteur en scène et acteur Jean-Claude Carrière, en outre scénariste et vieux complice de Luis Buñuel (Journal d’une femme de chambre, Belle de Jour, Le Charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir) ou de Jacques Deray (La Piscine), lui qui a écrit pour Juliette Gréco, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau et tant d’autres, lui le compagnon de cœur de Jean-Luc Godard, de Louis Malle, de Jean-Paul Rappeneau, en se glissant dans les ombres fuligineuses du peintre de Saturne dévorant ses fils, de la Maja nue ou de Tres de Mayo, nous démontre, avec Les ombres de Goya, que rien n’a plus de prix que la pénétration d’un regard singulier, nourri d’érudition personnelle et d’intelligence critique. Sur un artiste du calibre de Goya, qu’ajouter qui n’ait été dit déjà ? Justement, cela.

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Un voyage de cœur

Aux antipodes du documentaire pesamment didactique, ou pire encore, de la vogue du docu-fiction mollasson dont le formatage télévisuel nous abreuve aujourd’hui jusqu’à la nausée, l’intense délectation procurée par ce film tient à celle, contagieuse, que prend Jean-Claude Carrière à nous emporter dans son périple, de Saragosse à Séville, de Madrid à Bordeaux, sur les traces du génial peintre et graveur espagnol né en 1746 et mort en 1828. Voyage dans l’espace géographique, de la Chartreuse d’Aula Dei, à Saragosse, décorée par Goya en 1773-1774 au village natal de l’artiste, Fuendetodos, jusqu’aux incomparables salles du musée du Prado, en passant par la basilique de Nuestra senora del Pilar, où Goya, en 1780/1781 réalisa les fresques de la coupole Regina Martyrium… Mais également voyage dans le temps, à travers la remémoration de ses intercesseurs sur le chemin de l’art : Bunuel (Aragonais comme Goya et auteur, dans sa jeunesse, d’un scénario à lui consacré), Carlos Saura (le cinéaste de Cria cuervos)… 

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Voyage de cœur et d’esprit, également, auprès de Michel Cassé, par exemple, qui nous parle de la mécanique cantiques, du peintre-sculpteur Guillermo Pérez Villalta, qui commente merveilleusement pour nous la toile La Prairie de Saint-Isidore, du graveur Pascual Adolfo Lopez Salueña, qu’on voit au travail : riche enseignement sur l’élaboration des fameuses gravures dont, comme l’observe Jean-Claude Carrière avec justesse,  « chacune pose une question à celui qui la regarde » ou encore du claveciniste et musicologue Luis Antonio Gonzalez, pour évoquer le séjour de Goya à Bologne… Sans compter l’ami peintre et cinéaste Julian Schnabel qui, devant l’objectif, debout en tablier de travail blanc, disserte devant le gigantesque portrait de Maria Luisa de Parmes, reine d’Espagne, dont l’original est conservé au Prado et dont il a magistralement réalisé la copie qui lui sert ici de toile de fond à l’écran !

« J’ai toujours été poussé par la curiosité. Et la sympathie », confie Jean-Claude Carrière, critique « amateur » si pertinent dans sa connaissance sensible, intime, viscérale pourrait-on dire, de l’œuvre et de l’artiste. En témoigne, devant la caméra, sa veuve d’origine iranienne, jeune et magnifique de simplicité. Sympathie hautement communicative, que son époux disparu inspire au spectateur, pris à témoin dans cette quête du sens et dans cet ultime pèlerinage en abyme qui, à distance de toute cuistrerie, joint sa parole post-mortem à celle des savants, telle Charlotte-Chastel Rousseau, conservatrice de la peinture hispanique au Musée du Louvre.

Envoutante sonorité plastique

La Société des Amis du Louvre, notons-le au passage, a été bien inspirée de soutenir l’excellent travail du réalisateur José Luis Lopez-Linares, à qui l’on doit déjà Le Mystère Jérôme Bosch (2016). Tout, dans L’Ombre de Goya, est un régal. Depuis les extraits de films qui, sous les auspices du créateur des « Caprices » ou des « Désastres de la guerre », jalonnent cette circulation de Manet à Velasquez ou de Picasso au Greco, jusqu’à ces morceaux choisis des Goyescas de Granados dont l’envoûtante sonorité pianistique nous accompagne dans ces contrées énigmatiques où « le sommeil de la raison engendre les monstres ».      

« L’Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière ». Documentaire de José-Luis Lopez-Linares. Espagne, France, couleur, 2021. Durée: 1h30. En salles, le 21 septembre.

François Bayrou pense que c’est «l’opinion publique» qui gouverne les gouvernants

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Nucléaire: comme le président Macron, le maire de Pau et haut commissaire au Plan estime qu’il ne faut pas le «chercher» sur ce sujet.


François Bayrou était l’invité du Grand Rendez-vous d’Europe 1/Les Échos/Cnews ce dimanche 18 septembre. Conformément à la tendance politique actuelle qui consiste à prendre les Français pour des triples buses, le haut-commissaire au Plan a déclaré, à propos de la fermeture de Fessenheim et de la politique globale des gouvernements français depuis trente ans sur le nucléaire : « C’est pas les gouvernants qui gouvernent les pays, c’est les opinions publiques qui gouvernent les pays. […] L’opinion publique était archi-contre le nucléaire, tout le monde était contre le nucléaire, toutes les forces politiques étaient contre le nucléaire. » Il avait beau avoir prévenu avant de tenir ces propos hallucinants – « Je vais dire quelque chose de bizarre. » – on reste quand même pantois devant le culot de cet homme qui, à l’en croire, a été le seul homme politique, voire le seul Français, à être pour le nucléaire quand tout le monde était contre, selon lui.

Le poids grandissant et l’influence des Verts sur nos gouvernants

Hormis le fait que « l’opinion publique » n’a jamais été « archi-contre » le nucléaire, doit-on rappeler à François Bayrou de quelle manière et par qui a été travaillée au corps cette « opinion publique » contrainte de subir pendant de nombreuses années la propagande écologiste anti-nucléaire.

A lire aussi, du même auteur: GIEC: et si la France ne s’en sortait pas si mal?

Les écologistes français, toujours prompts à singer les Verts allemands et à écouter l’insupportable donneur de leçons Daniel Cohn-Bendit, mènent campagne depuis toujours contre cette énergie peu chère, propre, et qui assure l’indépendance énergétique de la France. Tous les moyens sont bons. Après 1986, les Verts européens utiliseront sans vergogne la catastrophe de Tchernobyl pour affoler et manipuler les foules. Puis, sous la pression des Verts qui participent à la victoire de la « gauche plurielle » lors des élections législatives de 1997 et de Dominique Voynet, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, le gouvernement du Premier ministre Lionel Jospin fera définitivement capoter le programme du prometteur surgénérateur Superphénix (1). En novembre 2011, Martine Aubry et Cécile Duflot se rencontreront pour valider un “accord politique de majorité parlementaire” entre le PS et EELV pour les élections de 2012. Cet accord stipulera la fermeture de 24 réacteurs dont, prioritairement, ceux de Fessenheim (2). Lors du débat contre Nicolas Sarkozy, François Hollande justifiera la future fermeture de Fessenheim en parlant de l’ancienneté de la centrale – sauf qu’au début des années 2000, EDF a investi 550 millions d’euros pour remplacer la plupart des composants majeurs du site, faisant ainsi de Fessenheim une des centrales les plus sûres du parc nucléaire français, au dire des experts. Le candidat socialiste jouera également sur la corde sensible « Fukushima » déjà utilisée par les Verts en évoquant la proximité d’une zone sismique – sauf que les réacteurs de la centrale de Fessenheim sont prévus pour résister à un tremblement de terre de magnitude 6,7, c’est-à-dire un tremblement plus puissant que celui de Bâle en 1356, le plus fort jamais ressenti en Europe centrale (3). Mais c’est Emmanuel Macron qui entérinera la décision de la fermeture de Fessenheim, laquelle sera effective le 22 février 2020. Incapable de reconnaître son erreur, agacé par les vérités assénées par l’actuel PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy rappelant les désastreuses décisions gouvernementales, Emmanuel Macron reprend aujourd’hui grosso modo les mêmes arguments fallacieux que ceux de son prédécesseur et demande gracieusement qu’on ne vienne pas le « chercher » sur ce sujet.

Communistes et droite dépassés par les « progressistes »

Avant 2011, date du tsunami à Fukushima, « l’opinion publique » française est majoritairement pour le nucléaire. À l’époque, pourtant, les gouvernants ne semblent guère à l’écoute de « l’opinion publique » et le projet de destruction du programme nucléaire français est déjà dans les tuyaux. Quant aux partis politiques, à l’inverse de ce que prétend François Bayrou, seuls les Verts (par idéologie), les socialistes et l’extrême-gauche (par calcul électoraliste) ont très activement participé au démantèlement de l’expertise nucléaire française. Le PCF s’y est toujours opposé (1), ainsi que la majorité des représentants politiques de droite. Lors des élections présidentielles de 2012, devant les ingénieurs et les ouvriers de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, Nicolas Sarkozy prévient : « Si vous voulez défendre le nucléaire, c’est maintenant qu’il faut se mobiliser parce qu’après, ce sera trop tard. […] Depuis 60 ans, le nucléaire fait l’objet d’un consensus, ce consensus a été brisé dans des conditions scandaleuses par un accord électoral entre des gens sectaires (François Hollande et le PS, Eva Joly et EELV) qui profitent de l’accident de Fukushima pour jouer sur les peurs et pour casser le nucléaire français ». Lors de la campagne des dernières élections présidentielles, le candidat Jean-Luc Mélenchon promettait, lui, une sortie complète du nucléaire en 2045. Ceci dit, il progresse : un an auparavant, au micro de France Inter, il plaidait pour une sortie totale du nucléaire en… 2030.

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Si « l’opinion publique » gouvernait les gouvernants, comme le prétend M. Bayrou, le nucléaire, fleuron technologique français, ne serait pas dans la difficile situation où il est aujourd’hui ; le traité sur la Constitution européenne n’aurait pas pu être ratifié par le parlement après que les Français avaient voté contre ; les autoroutes n’aurait pas été vendues à vil prix à des sociétés privées rapaces ; EDF n’aurait pas été découpé en tranches sous la pression de la Commission européenne (et donc de l’Allemagne) et nous n’aurions pas aligné le prix modéré de notre électricité sur celui du gaz européen ; Alstom n’aurait pas été vendu à l’américain General Electric ; les flux migratoires auraient considérablement diminué et les déboutés du droit d’asile ainsi que les délinquants étrangers seraient renvoyés manu militari dans leurs pays ; la France ne se laisserait pas dicter la conduite de sa politique par Mme Ursula Von der Leyen, par la chancellerie allemande ou par la diplomatie américaine. Si « l’opinion publique » gouvernait les gouvernants, Emmanuel Macron inscrirait dans le marbre son plan d’urgence et d’envergure pour relancer définitivement le nucléaire français – d’autant plus qu’après les premières annonces sur la construction de six EPR (dont le début du chantier du premier d’entre eux est prévu en 2028), le GIFEN (Groupement des Industriels français de l’énergie nucléaire) estime nécessaire le recrutement de 4000 ingénieurs par an auxquels devront s’ajouter des milliers de calorifugeurs, soudeurs, chaudronniers, mécaniciens, techniciens, etc., qui restent à former (4) : un dernier sondage confirme en effet que les Français ont compris l’intérêt énergétique, économique, écologique et géopolitique d’une énergie nationale reposant principalement sur le nucléaire. 75 % de nos concitoyens soutiennent cette énergie et 65 % sont favorables à la construction de nouveaux réacteurs (5). Espérons que M. Bayrou a raison et que nos gouvernants sauront se laisser gouverner par une « opinion publique » qui refuse catégoriquement le catastrophique scénario énergétique germanique qui fait que l’écologique Allemagne, entre autres aberrations, émet dix fois plus de CO2 par kilowatt-heure produit que la France (6).

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(1) Les Échos, article du 4 février 1998 : La majorité plurielle est très divisée sur la fermeture de Superphénix.

(2) Le Point, article du 15 novembre 2011 : Aubry et Duflot se sont rencontrées pour valider l’accord entre le PS et les écologistes.

(3) Challenges, article du 21 février 2020 : Fermeture de Fessenheim, chronique d’une mort annoncée.

(4) Le Figaro, article du 10 février 2022 : Ces profils dont la filière nucléaire a plus que jamais besoin pour se relancer.

(5) Transitions & Énergies, article du 20 septembre 2022 : Sondage, 75 % des Français maintenant favorables au nucléaire.

(6) France Inter, mardi 27 novembre 2018 : L’Allemagne émet-elle vraiment dix fois plus de gaz à effet de serre que la France ?

Vous aussi, devenez avocat général!

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Notre pays surabonde en accusateurs.


Les mêmes Français qui ignorent souvent le rôle d’un avocat général en matière criminelle se muent dans leur quotidienneté en des Fouquier-Tinville de mauvais aloi et si la décapitation était envisageable au propre, certains ne s’en contentent même pas au figuré.

J’admets avoir parfois dérivé parce qu’on a du mal à dominer une hostilité de principe mais sans me surestimer j’ai la faiblesse de m’attribuer une qualité sinon de modération du moins d’équité. Cela ne vient pas de rien mais de la manière dont je concevais ma fonction d’accusateur à la cour d’assises de Paris. Représentant de tous les citoyens, je n’aurais pas pu requérir contre un accusé sans prendre en compte à la fois sa parole, sa défense et son argumentation et bien sûr les propos de la victime – ou de sa famille si elle était morte. Je ressentais comme une obligation cette forme d’honnêteté élémentaire qui ne confondait pas la compréhension avec l’absolution, l’explication avec l’exonération.

Exigence de pureté absolue

Les avocats généraux qui pullulent en France n’ont cure de ces précautions, de cet équilibre. Il faut condamner, stigmatiser à tout-va non seulement sur les réseaux sociaux mais partout où on offre l’opportunité à des citoyens de faire connaître leur point de vue, de juger et d’arbitrer. La cause est entendue tout de suite, et une fois pour toutes. La contrition ne sert à rien, l’aveu est méprisé, la sincérité moquée. Le monde politique n’est pas appréhendé comme le nôtre qui trop souvent est tout sauf exemplaire, mais comme une exigence de pureté absolue. Comme si dans notre univers, aussi fondamentaux que soient les devoirs, on pouvait espérer de nos élus, de nos députés, de nos sénateurs une rectitude sans cesse irréprochable, admirable à tout coup.

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Soutenir qu’il convient de se regarder soi avant de hurler, qu’il n’est pas inutile de mettre de la nuance, de tenter d’élucider avant de sanctionner, qu’il est souhaitable de savoir hiérarchiser dans une gamme qui passe du dérisoire au grave, et qu’en définitive c’est moins la morale que la bêtise qui est sommaire et expéditive, relève aujourd’hui d’un courage suicidaire.

Adrien Quatennens n’a aucune excuse : une gifle il y a un an, et il doit tout perdre… Il s’est retiré de la coordination de LFI mais député c’est encore trop ! La horde des anges que nous sommes tous se rue sur le démon qu’il a été et la moindre circonstance atténuante est perçue telle une offense intolérable à son épouse – malgré la retenue et la modération de cette dernière qui est tout de même la principale intéressée ! Une enquête a été ordonnée.

Jeu de massacre

LFI épouvantablement mal à l’aise va permettre à l’un des meilleurs du groupe, sinon le meilleur, de demeurer à l’Assemblée nationale. Mais sans parler. C’est absurde alors qu’il y avait place à la fois pour une dénonciation de son geste et de son attitude dans une période de crise conjugale mais aussi d’une relativisation en faveur d’un homme qui n’était pas auteur de violences systématiques. Sandrine Rousseau, sur France 5, pour accabler Julien Bayou, affirme avoir reçu son ex-compagne tellement traumatisée qu’elle aurait tenté de se suicider. A-t-elle demandé à cette dernière le droit d’exposer ainsi sa souffrance et la résolution qu’elle avait prise ? Toujours est-il que Julien Bayou, lui aussi, s’est mis en retrait de la coprésidence du groupe écologiste…

Quel massacre ! À ce rythme, à droite comme à gauche, il n’y aura plus d’innocents…

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Le simple fait d’avoir mis « si c’est vrai » dans un tweet dénonçant le fait que le couple Macron n’aurait pas pris le bus réservé aux chefs d’Etat m’a valu, pour cette prudence, des insultes de ses ennemis et des diatribes de ses partisans. L’honnêteté est étrangère à ces procureurs sans titre. La chasse à Patrick Poivre d’Arvor est menée depuis longtemps maintenant et même s’il est défendu par une remarquable avocate, Jacqueline Laffont, sa cause semble bien mal engagée.

La prescription aujourd’hui ne sert plus à justifier l’absence de poursuite mais à accabler encore davantage la personne soupçonnée. À défaut de pouvoir démontrer qu’elle est coupable, on lui reproche de vous interdire de démontrer qu’elle l’est.

L’emprise à toutes les sauces

Par exemple, quand l’une des femmes, au sujet de sa relation avec PPDA, déclare qu’elle a eu « honte de n’avoir pas su résister », on ne s’interroge pas alors sur la capacité de l’auteur présumé à avoir pu deviner l’absence de consentement. On met la notion d’emprise à toutes les sauces. Elle apparaît de plus en plus comme le substitut à une argumentation à charge défaillante et une vision mécanique des rapports de subordination.

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Qu’on m’entende bien : je n’éprouve pas la moindre indulgence pour les violeurs et les agresseurs sexuels. Mais il me paraît d’autant plus nécessaire de rappeler ces évidences que les multiples victimes – souvent qualifiées ainsi avant la moindre investigation – bénéficient médiatiquement d’une forte présence, d’une aura de principe, d’une compassion automatique et d’un préjugé forcément favorable. Ainsi Hélène Devynck pour son livre Impunité.

Le Monde Magazine du 17 septembre 2022

Je pourrais prendre encore beaucoup d’exemples de cette propension française, depuis quelques années, à jouer les avocats généraux en considérant qu’on n’a pas le droit de contredire, voire d’infléchir, d’amender ou de nuancer une stigmatisation précipitée, tellement intolérante qu’elle ne supporte pas l’ombre d’une réserve. Cette cohorte de médiocres accusateurs est évidemment, la plupart du temps, caractérisée par une pauvreté du langage et donc de la pensée. Si seulement tous ces Fouquier-Tinville du pauvre, au lieu de banaliser la charge obtuse et haineuse, allaient écouter dans les cours d’assises les authentiques et légitimes avocats généraux ! Ils y gagneraient, et nous aussi.

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Le retour controversé du Roi Soleil à Rennes

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2,37 millions: c’est la modique somme déboursée par le Musée des beaux-arts de la capitale bretonne, pour acquérir un modèle réduit de la statue équestre XXL de Louis XIV qui était installée devant le Parlement de Bretagne et qui avait été fondue à la Révolution…


Dans l’ouest aussi ce week-end, ont eu lieu les journées du patrimoine (et du matrimoine, s’il vous plait). À Rennes, l’événement, c’était l’acquisition d’une réplique de la statue équestre de Louis XIV, investissement consenti par le musée des Beaux-Arts pour un montant de 2,37 millions d’euros. Elle est venue rejoindre les deux imposants bas-reliefs qui étaient à l’origine apposés au socle, et le Nouveau-Né de Georges de la Tour.

Estampe représentant la statue équestre en bronze de Louis XIV par Antoine Coysevox, érigée en 1685 et détruite en 1792. D.R.

L’originale, de sept mètres de haut, avait été réalisée par Antoine Coysevox au terme d’un long demi-siècle de péripéties techniques et avait pu être enfin installée à Rennes, en 1726, place du Parlement, non sans avoir attisé la convoitise de la voisine nantaise… Elle fut commandée en 1685 par les Etats de Bretagne, bien décidés à réhabiliter la province aux yeux du monarque alors que dix ans plus tôt, celle-ci s’embrasait à la suite de la création d’une taxe sur le papier timbré (et accessoirement, de perturbations sur la distribution de tabac à fumer et à chiquer). D’abord révolte du papier timbré en avril 1675 dans les villes de l’Est breton (Rennes, Nantes, Saint-Malo), la contestation gagne l’Ouest plus rural et devient un mouvement paysan. Elle devient la fameuse révolte des bonnets rouges, menée par un notaire, Sébastien Le Balp ; elle est restée dans les mémoires au point de donner son nom à une marque de bière locale et à une fronde contre l’écotaxe, au temps pas si lointain de François Hollande…

Nathalie Appéré, pas une royaliste

Bien plus remonté que l’Est, l’Ouest breton dépasse le stade de la révolte antifiscale et en vient à édicter des codes paysans qui remettent en cause tout l’édifice féodal, au nom de « la liberté armorique ». Pour le monarque, c’en est trop. Embarqué dans la guerre de Hollande, il est pour lui hors de question de céder. La reprise en main va être sanglante. Un tableau de 1676, « Allégorie de la révolte du papier timbré », également présent au musée des Beaux-Arts de la capitale bretonne, symbolise en quelque sorte les effets du mauvais gouvernement louis-quatorzien et la brutalité de la répression.

Allégorie de la révolte du Papier timbré (musée des Beaux-Arts de Rennes), toile de Jean-Bernard Chalette (1631-1684)

A lire aussi: Rennes: la fessée, non. Le voilement des fillettes, oui !

Justement, le souvenir de cette répression a heurté plusieurs militants régionalistes. Ceux-ci ont distribué samedi des tracts aux visiteurs, pour leur rappeler « la face obscure du Roi-Soleil » : « La décision d’accueillir cette statue est une offense à la mémoire des révoltés qui donnèrent leur vie pour combattre le tyran. Il n’y aura jamais de statue du meneur des révoltés Sébastien Ar Balp. L’histoire ne doit pour autant pas être seulement celle des puissants » précise l’un d’entre eux à Ouest-France. La maire PS de la ville de Rennes, Nathalie Appéré, a même dû se défendre de tout penchant royaliste : « La miniature de la statue équestre de Louis XIV est la plus importante jamais réalisée par le musée des Beaux-Arts. Cela ne fait pas de nous des monarchistes. Il est plus intéressant d’exposer le passé que de l’expliquer, plutôt que de le nier ».

Portée symbolique

Il est vrai qu’en ces temps de cancel culture, les statues font l’objet d’une suspicion à l’échelle mondiale. De Thomas Jefferson à New York à Napoléon à Rouen, en passant par Christophe Colomb à Mexico et Colbert devant l’Assemblée nationale, il est peu de personnages historiques dont la statue ne fasse pas l’objet d’un fantasme de déboulonnage de la part de tel ou tel mouvement militant. Notre époque n’a pas inventé grand-chose puisque dès 1794, notre bonne statue équestre rennaise avait déjà été fondue, ce qui lui a donné finalement un temps d’existence à peine plus long que son temps de fabrication. Non seulement sa portée symbolique était un peu problématique pour la toute jeune République, mais surtout, il fallait récupérer le bronze pour en faire des canons : les révolutionnaires savaient combiner sens de la table rase et préoccupations martiales, ce qui les différencie peut-être du mouvement woke actuel (!) En avance sur le monde, la Bretagne avait ensuite été le théâtre en 1932 d’un attentat statuaire, lorsque le mouvement indépendantiste « Gwenn ha Du » fit exploser dans une niche de l’hôtel de ville une représentation (un peu dégradante) de la duchesse Anne à genou devant le roi de France. Depuis, pas plus que la place du Parlement, la niche de l’hôtel de ville est vierge de toute statue. Voir la statue d’un roi de France à Rennes n’est donc possible que depuis quelques jours, à condition d’acheter un ticket d’entrée au musée des Beaux-Arts (ou d’y aller pendant les journées du patrimoine).

Sauve qui peut (l’artiste)

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Très sympathique ce qui se passe en ce moment sur la toile autour de la mort de Jean-Luc Godard. Les pour, les contre. Les « c’est un génie », les « c’est un imposteur ». Les « c’est un sale gauchiste », les « non, c’est un fasciste ». 


« Œuvre imbitable » VS « œuvre mallarméenne »… 
« Cinéma d’happy few » contre « peut-être mais avec notre argent ». 

Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’avoir une (mini, certes, mais quand même !) bataille d’Hernani.

Eh oui ! Godard clive, c’est son métier. Et on va cliver avec lui, on va être déplaisant avec lui, seule façon de lui rendre hommage – un peu comme ce que Michel Hazanavicius avait fait dans son admirable Redoutable.

Donc, les fameuses trois périodes. L’anarchiste (la meilleure), la maoïste (la pire), la « protestante » (qui commence avec Sauve qui peut (la vie) et où l’on trouve le meilleur et le pire). « Protestante » au sens où l’entend un catholique, c’est-à-dire peine-à-jouir, sermonneur, iconoclaste, et dans son cas, obtus à force d’être obscur, puritain de son propre art, se tirant une balle dans sa caméra pourtant si poétique. Ce qu’il admet volontiers :

« Le film, dit-il dans un bonus du DVD de Passion, ça consiste à refermer la porte. Il était prévu d’aller à la fenêtre et voir le paysage et tout ce qu’on a pu faire, c’est de refermer la porte qui avait fait se refermer la fenêtre, et on ne voit plus. Non seulement on n’a pas pu voir le paysage, mais on lui a tourné le dos. »

Un cinéma castrateur

Toutes son esthétique et son éthique sont là. Une façon de se contrarier soi-même (et le spectateur héroïque avec), de suspecter son art au moment où il le fait, de montrer en quoi il est un simulacre, donc un mensonge auquel nous cédons tous, de dire « non » alors qu’on attendait « oui », de couper la musique, le son, le sens à l’instant où on commençait à frissonner – parce que le sens, surtout linéaire, c’est facile, spectaculaire, stérile, capitaliste, bourgeois. Pour l’auteur de Film socialisme, respecter le spectateur, c’est le castrer en pleine érection. Pas étonnant que cela se soit mal passé avec Catherine Ringer dans Soigne ta droite, un film consacré, entre autres, aux Rita Mitsouko, et dans lequel il lance la superbe chanson Les Histoires d’A. pour la couper aussitôt. Ça ne devrait pas trop lui plaire, à la Ringer, d’être « déconstruite » par un puritain nasillard. En même temps, comme dirait l’autre, c’est un des plus grands cinéastes de la femme, souvent fatale, qui soit : Seberg, Bardot, Karina, Méril, Wiazemsky, Vlady, Baye, Birkin, Huppert, Schygulla, Fonda, Darc, Pauline Lafont, Myriem Roussel, Domiziana Giordano – et la plus terrible de toutes, Maruschka Detmers, qui, dans Prénom Carmen, couche avec son amant devant son compagnon, obligeant celui-ci à se masturber dans sa douche. « Il faut fermer les yeux au lieu de les ouvrir », dit l’oncle Jean interprété par Godard dans ce dernier film, réplique qu’on est en droit de retourner contre lui.

A lire aussi, Thomas Morales: Deux ou trois choses que je sais de lui

Car fermer les yeux devant les horreurs de l’Histoire, ce fut son attitude toute sa vie. L’Eyes wide shut du laogai et du terrorisme, c’est lui – et puisqu’il n’aime pas Kubrick, on va lui en faire bouffer du Kubrick, au Jean-Luc. Aucune raison de l’épargner. « Il nous veut du mal », disait de lui François Bégaudeau dans Notre joie. Ça tombe bien, nous aussi. 

Parce qu’à force d’autocritique, de montage punitif et de brouillage volontaire, il finit par foirer son art, par passer du beau au moche, de l’inspiré à l’irrespirable, de la parole au discours creux, niais, toxique, assurément antisémite (son abominable mixage Golda Meir / Hitler, dans Ici et ailleurs, 1971), faisant de son montage anti-propagande une nouvelle forme de propagande (mais acceptée par la doxa de l’époque car « intello », « insurrectionnelle », « propalestinienne »). Il est vrai que la centaine de millions de morts causée par le communisme n’a jamais empêché cette génération de dormir. 

Je comprends Gérard Darmon

Le pire est qu’il n’a jamais convaincu – même dans son camp. Pour les situationnistes, il reste « le plus con des Suisses prochinois ». Pour les étudiants de 68, un parasite. Et lorsque Gérard Darmon déclare aujourd’hui qu’il ne peut pas « admirer quelqu’un qui hait à ce point les Juifs », on peut le comprendre. Intellectuellement nul, politiquement dégueulasse, socialement sale (dans son conflit avec Truffaut sur la culture, on est à fond pour Truffaut et contre lui), humainement douteux (« merde sur son socle », écrit encore Truffaut à son sujet dans une lettre fameuse lui étant directement adressée), il a tout du faux enfant sauvage, du fumiste qui se croit incendiaire (sauf le très médiocre Je vous salue Marie, aucun de ses films n’a réellement fait scandale), du fils à papa qui joue à Rimbaud – en plus d’être un illettré notoire (des livres qui défilent dans ses films, il n’a lu que les titres et les citations les plus connues). C’est un idéologue incompétent dont même les gauchistes les plus radicaux n’ont pas voulu (La Chinoise rejetée par les maoïstes) tant il ne comprend rien à rien et que son gauchisme est comme une opération transsexuelle qui aurait mal tourné. Comme gauchiste, il ne sera jamais crédible et ce sera son drame (alors que comme fasciste, et comme disait Michel Marmin [1], il aurait fait des merveilles). Un drame qui, pour ma chère Aurora Cornu [2], date de son accident de moto. « C’est aplrrès ça qu’il est devenu clrrétin », me disait-elle. 

Il est clair que sur le plan de la pensée, de l’histoire et de la vision, Godard n’arrivera jamais à la cheville d’un Pasolini, d’un Fassbinder, d’un Tarkovski – et pour enfoncer le clou qu’il mérite amplement, d’un Kubrick. Mais paradoxalement, c’est cette imbécillité métaphysique et morale qui fait la singularité et la grandeur (inattendue) de son cinéma. Car cet oculaire, si inepte dans les idées, sait filmer les choses comme personne – Le Parti pris des choses, au cinéma, c’est lui. Ce confusionniste complexé a un sens de la présence qui fait de lui un cinéaste de l’épiphanie. Ce crétin des Alpes Suisses se retrouve dès qu’il y a du ciel, du visage, du geste, de la musique, du mot, à filmer. Et l’on ne parle pas là simplement du Mépris et de Pierrot le fou, chefs-d’oeuvres objectifs, mais bien de Passion, Nouvelle vague, Hélas pour moi, Notre Musique, Adieu au langage et tant d’autres films dits irregardables. Il suffit qu’il oublie un instant son gloubiboulga socio-tarte pour être repris par des moments d’inspiration, de possession, d’assomption qui font de lui l’égal en effet d’un De Kooning ou d’un Rothko, d’un Webern ou d’un Ornette Coleman. En ce sens, il est vraiment un cinéaste de la fascination (comme Sternberg ou Lynch) même s’il semble horrifié par sa propre fascination. Comme s’il avait peur de la beauté, du sens, de l’incarnation alors qu’il est fait pour ça. 

A lire ensuite, Jean Chauvet: Tant qu’il y aura des films

Prenez un film comme Je vous salue Marie, immaculé ratage où, pendant une heure quarante, il nous et s’emmerde avec un concept auquel il ne pige que dalle – mais qui lui donne à filmer quand même, un instant, une main d’homme tendu vers un ventre de femme, plan sublimissime, ultra-signifiant, marialement inoubliable et qui semble lui-même le dépasser. Et tout Godard est dans cet auto-dépassement impromptu, cet éclair d’aveugle, comme s’il avait été « appelé » malgré lui à produire des icones. La fameuse phrase de Cavana à propos de « Beethoven qui était tellement sourd que toute sa vie il a cru qu’il faisait de la peinture » fonctionne encore mieux avec lui – d’ailleurs amateur obsessionnel des quatuors et symphonies de Ludwig van (comme l’Alex d’Orange mécanique, tiens !), maintes fois utilisés dans ses films. Les voix de l’art sont impénétrables. 

Le fameux plan michel-angelien de « Je vous salue Marie »

Alors oui, Godard for ever. Idiot mystique. Bouffon du roi Lear (du cinéma) dont on oubliera les saloperies politiques pour se rappeler les sons, les couleurs, et par-dessus-tout, les fondus sublimes, sa spécialité diégétique où il fait des images avec des images (Histoire(s) du cinéma), des couleurs avec des couleurs (Éloge de l’amour), des images avec des mots, des livres d’images et tout cela dans du cadre dans le cadre, « du cadre cadré et non encadré », et pour paraphraser Caroline Champetier, sa cheffe-opératrice – telle cette scène d’À bout de souffle, véritable haïku du couple amoureux, lorsque Belmondo scande le prénom de sa copine : « Pa / tri / cia » et que celle-ci ouvre les rideaux de sa chambre en lui répondant sur le même ton : « qu’est-ce / qu’il / y a ? ». 

Godard, notre musique.


[1] « Alors que d’autres cinéastes issus des Cahiers du cinéma avaient une vraie culture de droite, même le balzacien Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, lui, avait un instinct, un goût, un style et un tempérament d’extrême droite et, pour tout dire, fasciste, le “fascisme” de Godard étant fondé, comme tout fascisme ontologique, sur un “existentialisme”, ce que n’a peut-être pas voulu voir Parvulesco (et que n’aurait probablement pas voulu reconnaître Sartre). On ne s’étonnera donc pas que, en fasciste conséquent, Godard se soit rallié au maoïsme et non au PCF en 1968, comme Sartre lui-même du reste… Sans doute Godard est-il revenu depuis longtemps de son maoïsme : il n’en est pas moins demeuré intrinsèquement fasciste. » Michel Marmin, entretien, Contrelittérature n°1, 2019

[2] Mon livre à paraître aux éditions Unicité le mois prochain.

L’économie libidinale de l’Union européenne

Sur l’énergie nucléaire comme sur les OGM, l’approche de saisons de vaches maigres oblige nos dirigeants européens à prendre le réel en compte. Une modification du cadre réglementaire européen sur les OGM est annoncée pour 2023.


Toutes les décisions humaines procèdent d’un choix, que les psys appellent « économie libidinale », mais que l’on peut toujours réduire à un rapport coût/bénéfice entre deux options [1]. Les décisions politiques ne font pas exception à cette règle. Ce truisme mérite d’être rappelé le jour où l’Union européenne déclare qu’elle va légiférer sur l’autorisation d’un produit qu’elle condamnait formellement la veille.

Le diable et le bon dieu

Si le procédé du choix est toujours le même, ce qui importe ce sont les représentations que les décideurs se font des éléments entre lesquels ils doivent choisir.

Ainsi, pour le bannissement des OGM, le choix était fondé sur le fantasme du mal incarné par le terme OGM dans l’esprit du public européen et sur l’attrait libidinal des idées « vertes » parmi les leaders d’opinion.

A lire aussi, Olivier Marleix: « La lâcheté de Macron sur le nucléaire a scandaleusement affaibli la France »

Ces représentations sont aussi à la base d’autres décisions irrationnelles, par exemple celle qui a conduit l’Allemagne à fermer des centrales nucléaires, dont le potentiel futur danger a été jugé plus important que l’économie nationale et le bien-être présents de ses habitants. À l’inverse, le choix d’énergies dites renouvelables pour les remplacer témoigne d’une foi religieuse dans le péché originel (plus c’est proche de la nature, plus c’est « bien », plus cela doit à l’homme et plus c’est « mal ») doublée d’une pensée magique (le vent et le soleil produiront autant d’énergie que le pétrole et le nucléaire).

L’écologie aime l’humanité, mais déteste les humains

C’est aussi à l’aune de la morale religieuse qu’a été édictée l’interdiction des OGM : organismes génétiquement modifiés, parce que modifiés par l’homme. Pourtant, si l’Homo Ecologicus possède des technologies supérieures à celle des premières version d’Homo sapiens, ce n’est pas à des prières à Gaïa qu’il le doit, mais à la lon-on-ongue évolution de son génome.

Il est cocasse d’observer que certains préfèrent le sourire de leur égo à la survie de leur espèce : les mêmes, qui veulent que le sexe fourni par la nature soit inféodé à leur ressenti de genre, réprouvent avec violence le recours au maïs transgénique. Peu leur importe qu’il soit susceptible de sauver de la famine des populations qui se fichent du genre comme du sexe des anges.

La différence entre l’homme et dieu, c’est que dieu ne se croit pas homme

L’UE se prend pour une déité politique. À preuve le fait qu’elle laisse nombre de décisions à sa commission, dont les membres, à défaut de procéder du droit divin, ne sont pas élus par les peuples.

L’approche de saisons de vaches maigres, où la demande d’électricité sera supérieure à l’offre, a obligé nos dirigeants à prendre le réel en compte.

Ils ont donc, en deux étapes, renié tout ce qui était jusqu’alors vérité d’évangile. Une première salve a été tirée discrètement le 29 avril 2021, quand l’UE a évoqué la création d’un cadre spécifique pour les produits issus de mutagenèse : « Selon la commissaire européenne à la Santé et à la sécurité alimentaire Stella Kyriakides, l’étude relayée par la Commission « conclut que les nouvelles techniques génomiques peuvent promouvoir la durabilité de la production agricole »[2] ». 

Au commencement était le verbe…

En juillet 2018, la Cour de justice de l’UE avait statué sur les produits issus de la mutagenèse : c’était des OGM comme les autres.

Après les tirs de sommation, en 2022, la grosse Bertha a transformé le vice en vertu.

A lire aussi, Jean-Paul Lilienfeld: Kokopelli contre Monsanto et les Juifs

Les ministres de l’agriculture des 27 ont exigé de pouvoir utiliser les variétés de semences résistantes à certains herbicides ou à la sécheresse, qui existaient mais restaient interdites par la réglementation.

Les mots magiques ont été prononcés : dérèglement climatique. Cet Abracadabra du XXIe siècle est venu au secours des OGM.

Ces organismes génétiquement modifiés ne sont plus des poisons cancérigènes, mais des produits de biotechnologies, « un magnifique instrument pour faire en sorte que les cultures aient besoin de moins d’eau, de moins de produits phytosanitaires et d’engrais, qu’elles soient plus résistantes. Dès lors {qu’elles} permettent d’assurer la transition agro-écologique et de faire face au dérèglement climatique, c’est une voie qu’il faut explorer. [3] » Dixit le ministre espagnol de l’agriculture.

En-Même-Temps 1er ayant fait des émules, le ministre slovaque a expliqué, lui, qu’on peut tout faire, à condition de ne pas le dire : « Nous ne voulons pas des OGM, mais là, nous parlons d’édition génomique: il faut une approche prudente qui s’apparente le plus possible aux méthodes traditionnelles de sélection (…) Il faut développer des variétés plus résistantes à la sécheresse, au gel, aux nuisibles. »

… Et à la fin sera le vote

Les parlementaires européens, qui sont sûrement capables de trier le bon génomique de l’ivraie OGM, seront donc amenés à voter au deuxième semestre 2023 sur une proposition législative… faite par le commissaire à l’Agriculture.

Qui c’est le chef ? Celui qui vote ou celui qui écrit ce sur quoi on vote ?


[1] La libido peut être simplifiée en socialisation de l’énergie produite par la pulsion sexuelle transformée en objets sublimables.

[2] https://mapecology.ma/actualites/lunion-europeenne-appelle-a-definir-nouveau-cadre-juridique-produits-issus-de-technique-genetique-de-mutagenese/

[3] www.lefigaro.fr/conjoncture/climat-l-ue-va-miser-sur-les-techniques-genomiques-pour-adapter-son-agriculture-20220916

Immersion chez les Papous

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Un documentaire de Céline Rouzet montre la mise en coupe réglée par Exxon d’un pays mal connu, la Papouasie Nouvelle Guinée…


Au nord de l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée reste l’une des régions les plus enclavées du globe. Les trois-quarts de ses habitants n’ont guère de contacts avec ce qu’il était convenu d’appeler, jadis, « la civilisation ». Ils vivent, ou plutôt ils survivent, dans la jungle. De dix années d’immersion chez ces autochtones, Céline Rouzet a tiré un long métrage documentaire, « 140km à l’ouest du paradis » –  son premier film. Edifiant.

Selfies devant les danses tribales

Troublé par de violents mouvements sécessionnistes et de sanglants conflits frontaliers, l’ancienne colonie britannique, indépendante depuis 1975, est devenue une sorte de zoo humain pour touristes anglo-saxons en goguette, qui se font des selfies devant les danses tribales, en se félicitant, face à la caméra, de voir si bien préservées ces « authentiques » traditions ancestrales. L’envers du décor nous est bientôt révélé par l’objectif : pure mise en scène, le spectacle se déroule sur un terrain vague ceinturé de clôtures.

Un monde qui disparait (C) New Story

Sur ce désastre ethnologique se pose incidemment la voix off de la réalisatrice, comme pour souligner l’intimité de son regard. Regard qu’elle concentre, après ce préambule, sur le destin tragique d’une famille du cru, à présent sans ressources. De fait, patriarcale, clanique et jusqu’alors autosuffisante (principalement grâce à la culture vivrière), la société traditionnelle se voit aujourd’hui dépecée par le jeu trouble des politiciens et autres affairistes locaux, lesquels, contre la promesse jamais tenue d’aménagement du territoire et de profits fonciers, s’ingénient à dépouiller de leurs terres des chefs de tribus parfaitement ignorants des notions de cadastre ou de propriété privée.

A lire aussi: Tant qu’il y aura des films

Territoire en coupe réglée

Dans le rôle de l’accusée, Exxon Mobil, qui occupe un périmètre interdit d’accès et clos de barbelés. La multinationale américaine est l’unique exploitant des gigantesques gisements de gaz naturels découverts là il y a un peu plus de dix ans. Transformés en « parcelles d’exploitations » chacune dotée de son numéro, les villages de dissolvent ainsi dans un processus de mise en coupe réglée du territoire, sur fond de drogue, de propagande et de violence armée.  

Figure récurrente du récit, Tony, le fils disparu (on comprend qu’il est mort du sida) incarne la fatalité de cette déréliction mortifère, mais aussi l’ambivalence morale où cette sournoise entreprise de spoliation trouve ses appuis et se cherche une légitimité. Les clairs partis pris de Céline Rouzet n’épuisent pas la taraudante question de la relation du « local » au « global », sur une planète où les échanges (financiers, marchands, humains, symboliques) sont, quoi qu’on fasse, mondialisés.

140 km à l’ouest du paradis. Documentaire de Céline Rouzet. France, 2022. Couleur. Durée : 1h26. En salles le 21 septembre 2022.

Moix: profession écrivain

Après Orléans, Reims et Verdun, Yann Moix achève de raconter son éducation cabossée et coprophage dans Paris. Il clôt ainsi sa tétralogie qu’il nomme « Au pays de l’enfance immobile ».


Le jeune homme, Rastignac ou Rubempré, l’hésitation est permise à ce moment du récit, n’a pas un rond en poche. Il se faufile entre les pots d’échappement d’une capitale hideuse, bien plus hideuse que ne l’avait décrite Baudelaire. Et comme la poésie est morte, l’alchimie n’est plus possible pour transformer la boue en or. Le provincial a le trait mordant : « Paris était une ville de décombres, de détritus roux, d’os gesticulant – de visages intranquilles. » Avec l’arrivée de l’automne, le spleen suinte de partout. Les femmes, souples l’été, se raidissent avec le froid, « s’éparpillant comme des oiseaux maigres. » Avec les femmes, justement, ça se passe mal. Pas de fluide à fusion.

Le provincial ne croit pas en ses chances ; pire il se dévalorise. À ce jeu-là, Moix est imbattable. Reconnaissons que la haine de soi est un moteur aussi puissant que le narcissisme. Ses fringues sont élimées, ses chaussures pliées « telles deux bacchantes de lutteurs » (le style de Moix, toujours), les épaules saupoudrées de pellicules.

Provincial rongé

Comme le dit son faux ami, double inversé du narrateur, le truculent baiseur compulsif Delphin Drach : « On dirait que tu passes tes nuits dans les cimetières. » Ce n’est pas facile de draguer en entraînant sur la tombe des écrivains qu’on adule, Gide et Péguy en tête, de longilignes jeunes filles qui ne pensent qu’au sexe. Et puis, il y a toujours ce manque de confiance en soi qui ronge le provincial. C’est que l’histoire avait mal commencé pour l’enfant Moix. Il tient à rappeler : « Ce que les femmes devinaient sur mon visage, c’était la matière fécale dont mes ‘’parents’’ l’avaient barbouillé. Ma merde s’accrochait à la figure comme une intorchable glu. Mon enfance se voyait sur moi. » Mais ne pas oublier que Georges Bataille a révélé l’envers du décor : la littérature est du côté du mal. Les descriptions de Moix sont souvent morbides. La bidoche grasse y est omniprésente. La putréfaction la guette, les mouches pullulent. Les abattoirs de Vaugirard n’existent plus, sinon Moix en aurait fait son territoire de repli. Il est en quelque sorte Job sur son fumier, entouré de ses trois amis.

A lire aussi, Thomas Morales: «Le plaisir n’est plus à la mode»

Alors que faire après des études humiliantes et avec un visage qui inquiète ? Dès la première phrase, Moix répond : « Il était temps de devenir écrivain. » Pugnace, le jeune homme va parvenir à faire éditer son premier roman Jubilations vers le ciel. Il en prépare trois exemplaires. Un pour Sollers (Gallimard) ; un pour Bernard-Henri Lévy (Grasset) ; « un pour moi, chez personne. » Après une prière à l’église Saint-Thomas d’Aquin, « les lieux saints sont d’abord faits pour les athées », affirme Moix, Grasset l’édite. Devenir écrivain, dans une époque où la littérature est contrôlée par les fonctionnaires idéologiques, ressemble à une démarche suicidaire de moine-soldat.

Éclater les egos

Le temps des grandes figures, telles Malraux, Morand, Mauriac, est révolu. La civilisation européenne est entrée en agonie et la langue française se meurt dans l’indifférence. Sans oublier que les lecteurs, ceux qui savent lire, se font de plus en plus rares. Moix, malgré tout, a plié sans rompre. Il fait scandale de temps à autre, preuve de la bonne santé de ses écrits. Il dérange car, comme les très bons écrivains, il vampirise ceux qui le côtoient. Ils se retrouvent dans ses romans et ils y apparaissent méconnaissables, ce qui, au fond, les dérange plus que tout. Moix lâche ses phrases comme le boxeur ses coups. Ça éclate les egos. Les féministes vitupèrent, les familles éructent, les salariés de la culture s’étranglent. Le talent de Moix les aplatit. Ils ne peuvent comprendre qu’un bon roman se fait avec la sentine de la vie.

Yann Moix, Paris, Grasset.

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Nos disettes

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Moutarde, conducteurs de bus, assistantes maternelles, médecins… La société française assiste à un surprenant retour de disettes. Concernant la médecine, certaines normes administratives annihilent tout espoir d’un retour à la normale. Démoralisant!


Nous affrontons en France des pénuries de toutes sortes, inédites depuis bien des années. Le grand petit sujet de l’été aura été la disparition de la moutarde, un produit peu coûteux d’un usage quotidien dans toutes les classes de la société. Quand on trouve un pot sur une étagère, aussitôt on l’achète, en souriant de l’aubaine, mais c’est bien rare. Autre disette chronique, celle des autobus parisiens : officiellement ils existent toujours mais il faut les attendre 25 minutes, 40 minutes, 50 minutes même, en pleine semaine pourtant, à des heures de grande activité urbaine. On nous dit que c’est parce qu’il n’y a plus personne pour les conduire. On manque aussi de personnels qualifiés pour s’occuper des petits enfants dans les crèches. On manque de papier pour éditer des livres, de voitures, de matériaux de construction, de main-d’œuvre pour cueillir les fruits et récolter les raisins dans les vignes, d’eau pour arroser les cultures. Nous découvrons tous les jours des pénuries plus ou moins graves.

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Mais ce qui fait jour aussi, c’est la disette en médecins. Spécialistes comme généralistes, ville comme campagne ; même Paris est devenu un désert médical. Il faut attendre, attendre, des mois et des mois, puis finir par aller aux urgences (pour y attendre seulement de nombreuses heures). Les médecins disparaissent de notre environnement : les anciens finissent par prendre leur retraite, les jeunes diffèrent leur installation, attendent en faisant des remplacements. Le système ne les encourage pas à s’installer ; ils ont à faire face aux normes : cet été de jeunes médecins qui voulaient s’installer dans de petites villes ou à la campagne se sont vu opposer comme préalable par les ARS la mise aux normes des locaux en termes d’accessibilité et de sécurité. Ces mises aux normes sont très dispendieuses et les jeunes praticiens ont renoncé à s’installer, préférant continuer un exercice itinérant et moins responsabilisant. La mise en danger des populations par l’absence de médecins ou de soignants implantés est bien plus pénalisante et dangereuse que l’absence de normes ; celles-ci sont des critères théoriques pas toujours en prise avec les conditions réelles ; pour être utiles, elles ne sont pas indispensables dans une situation de réduction de l’accès au soin. Dans les hôpitaux occidentaux, la mise aux normes permanente absorbe une part prédominante des budgets aux dépens de l’investissement technique et du remplacement des matériels obsolètes.

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La rareté des médecins devient telle que l’HAS (haute autorité de santé) demande aux sociétés savantes de valider des algorithmes décisionnels permettant, devant un symptôme, de se passer de médecins, généralistes comme spécialistes. Ainsi la SFORL a été interrogée sur un algorithme destiné aux pharmaciens d’officine concernant les maux de gorge. Le propos est de permettre aux pharmaciens de prescrire directement, des antiseptiques, des antalgiques ou des antibiotiques, sans examen physique ni prescription médicale. C’est un processus grossier, un mode de prise en charge dégradé, qui risque de laisser passer des infections ou des tumeurs en l’absence d’examen direct compétent. Une société savante ne peut se résoudre à un tel mode de traitement probabiliste et non performant. Mais la réalité du désert médical est présente partout en France. Il est à souhaiter que les pharmaciens acceptant cette responsabilité aient l’intelligence d’orienter au mieux leurs clients d’officine et que les médecins surchargés aient le discernement pour examiner les patients ayant des symptômes signifiants.

Le problème est que le process et les arbres décisionnels (dit autrement, l’intelligence artificielle et les robots) ne remplacent ni l’intelligence clinique ni des années d’études médicales. Comme on ne peut tirer sur les céréales qui ne poussent pas par manque d’eau, pour les faire grandir, on ne peut faire surgir des médecins qui n’ont pas été formés. En attendant, il faut se montrer facilitateur et réaliste pour les médecins diplômés et compétents qui veulent s’installer ; il faut en finir avec une politique de santé et une inefficiente gestion par les normes.

Dernières recherches historiques sur la rafle du Vel d’Hiv

Un livre passionnant, de Laurent Joly, a été écrit à l’occasion de la préparation du documentaire de France Télévisions, réalisé par David Korn-Brzoza, et diffusé en juillet dernier, date anniversaire des 80 ans de la rafle du Vel d’Hiv.


« Sans ce projet, je n’aurais sans doute pas entrepris une recherche d’une telle ampleur » déclare Laurent Joly, jeune historien, spécialiste de Vichy et des juifs. Il avait notamment publié en 2018 L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, ouvrage qui dressait un bilan des dernières avancées de la recherche historique, sur un sujet hautement sensible en France. Il le redit dans ce volume présent : « Cette opération si monstrueuse et emblématique demeure pourtant relativement peu connue. » Sans doute parce qu’elle mettait en cause le rôle « proactif » des responsables français de l’époque, et évidemment celui de la police parisienne : « même à Berlin entre 1941 et 1943, on n’arrêta pas autant de victimes en si peu de temps », souligne Laurent Joly.

Grasset

Dès 1940, la chasse aux étrangers avait pu commencer. Les juifs furent contraints de se faire recenser, afin de demeurer dans la « légalité ». Laurent Joly nous précise ainsi que « 115 000 juifs, résidant à Paris et en banlieue, sont répertoriés dans un fichier central et quatre sous-fichiers thématiques ». Ces fichiers seront une arme redoutable le jour où la rafle des juifs sera décidée.

Laurent Joly a constitué son livre essentiellement de témoignages. Il répertorie les divers cas de figures d’arrestation des juifs, et les illustre par des exemples précis, puisés auprès des très rares victimes ayant pu s’échapper avant d’être déportées à Auschwitz, ou celles qui, par miracle, sont revenues de la déportation. Tous ces témoignages, mis les uns à la suite des autres, accentuent un sentiment dramatique qui happe le lecteur et le hante.

Les enfants aussi

Les policiers, munis de leurs fiches, se présentent très tôt, le matin de la rafle, aux logis des juifs qu’ils veulent arrêter. En général, ceux-ci sont des Polonais ou des Allemands qui ont fui leur pays dans les années trente. Certains juifs ont été prévenus, et ont pu aller se réfugier ailleurs, quand c’était possible. La plupart du temps, seuls les hommes ont pris la poudre d’escampette. Les femmes et les enfants sont restés chez eux, personne n’imaginant qu’ils puissent eux-mêmes être arrêtés. C’est pourtant ce qui arrive.

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Car, sans conteste, le plus abominable, et Laurent Joly y revient plusieurs fois, est le sort réservé aux enfants, pour la plupart Français, conséquence d’une organisation floue et approximative de la rafle par les autorités. Les enfants, en particulier, vont servir à faire nombre, pour satisfaire certains quotas exigés par l’occupant allemand (qui, pourtant, au début, ne voulait pas d’enfants). Comme l’écrit Laurent Joly à ce propos : « Même placés sous la pire des férules par l’occupant ce qui était loin d’être le cas en 1942 , jamais les autorités françaises n’auraient dû être amenées à déporter des enfants, dans de telles conditions. Aucune des possibilités qui existaient pour éviter cette tragédie n’a été saisie, Vichy et son administration s’enfermant dans leur logique criminelle. »

Laurent Joly évoque la responsabilité plus que manifeste de Laval, et aussi du jeune René Bousquet, secrétaire général de la Police. Il analyse leur cynisme de « criminels d’État »,en soulignant « leur volonté farouche, l’un comme l’autre, de s’appuyer sur l’armature de l’administration traditionnelle, dont les compétences et l’esprit d’obéissance sont ainsi dévoyés ». Les hommes de Vichy ont fait preuve d’un zèle que même les Allemands ne leur demandaient pas.

Une situation kafkaïenne

Le plus « invraisemblable » peut-être est que cette traque impitoyable va continuer après les 16 et 17 juillet, et ce, malgré la réprobation globale de l’opinion publique. La police française reste à pied d’œuvre. À tel point qu’on semble être confronté ici à une situation proprement kafkaïenne, dans cette obstination si littéralement absurde de poursuivre de pauvres gens qui n’ont rien fait.

Laurent Joly cite beaucoup de lettres clandestines de juifs arrêtés et déportés. Ainsi de Paul Zuckermann, interné à Drancy depuis août 1941, qui, dans une lettre à sa fiancée datant du 14 août 1942, a le pressentiment de la fin d’un monde : « C’est bien la fin d’une civilisation, écrit-il, qui avait pour base la liberté et l’humanité. »

Le livre de Laurent Joly met admirablement à plat cet événement central de l’Occupation en France que fut la rafle du Vel d’Hiv, cette participation de l’État français à la Shoah, et nous permet d’en réévaluer la terrible portée historique.

La Rafle du Vel d’Hiv. Paris, juillet 1942. Laurent Joly. Éd Grasset.

La Rafle du Vél d'Hiv: Paris, juillet 1942

Price: 24,00 €

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Fantômes de Goya

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© Epicentre Films

Un documentaire posthume et éblouissant où Jean-Claude Carrière perce les mystères de Goya…


Au seuil de mourir âgé de 89 ans en 2021, le célèbre écrivain, parolier, metteur en scène et acteur Jean-Claude Carrière, en outre scénariste et vieux complice de Luis Buñuel (Journal d’une femme de chambre, Belle de Jour, Le Charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir) ou de Jacques Deray (La Piscine), lui qui a écrit pour Juliette Gréco, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau et tant d’autres, lui le compagnon de cœur de Jean-Luc Godard, de Louis Malle, de Jean-Paul Rappeneau, en se glissant dans les ombres fuligineuses du peintre de Saturne dévorant ses fils, de la Maja nue ou de Tres de Mayo, nous démontre, avec Les ombres de Goya, que rien n’a plus de prix que la pénétration d’un regard singulier, nourri d’érudition personnelle et d’intelligence critique. Sur un artiste du calibre de Goya, qu’ajouter qui n’ait été dit déjà ? Justement, cela.

Epicentre Films

Un voyage de cœur

Aux antipodes du documentaire pesamment didactique, ou pire encore, de la vogue du docu-fiction mollasson dont le formatage télévisuel nous abreuve aujourd’hui jusqu’à la nausée, l’intense délectation procurée par ce film tient à celle, contagieuse, que prend Jean-Claude Carrière à nous emporter dans son périple, de Saragosse à Séville, de Madrid à Bordeaux, sur les traces du génial peintre et graveur espagnol né en 1746 et mort en 1828. Voyage dans l’espace géographique, de la Chartreuse d’Aula Dei, à Saragosse, décorée par Goya en 1773-1774 au village natal de l’artiste, Fuendetodos, jusqu’aux incomparables salles du musée du Prado, en passant par la basilique de Nuestra senora del Pilar, où Goya, en 1780/1781 réalisa les fresques de la coupole Regina Martyrium… Mais également voyage dans le temps, à travers la remémoration de ses intercesseurs sur le chemin de l’art : Bunuel (Aragonais comme Goya et auteur, dans sa jeunesse, d’un scénario à lui consacré), Carlos Saura (le cinéaste de Cria cuervos)… 

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Voyage de cœur et d’esprit, également, auprès de Michel Cassé, par exemple, qui nous parle de la mécanique cantiques, du peintre-sculpteur Guillermo Pérez Villalta, qui commente merveilleusement pour nous la toile La Prairie de Saint-Isidore, du graveur Pascual Adolfo Lopez Salueña, qu’on voit au travail : riche enseignement sur l’élaboration des fameuses gravures dont, comme l’observe Jean-Claude Carrière avec justesse,  « chacune pose une question à celui qui la regarde » ou encore du claveciniste et musicologue Luis Antonio Gonzalez, pour évoquer le séjour de Goya à Bologne… Sans compter l’ami peintre et cinéaste Julian Schnabel qui, devant l’objectif, debout en tablier de travail blanc, disserte devant le gigantesque portrait de Maria Luisa de Parmes, reine d’Espagne, dont l’original est conservé au Prado et dont il a magistralement réalisé la copie qui lui sert ici de toile de fond à l’écran !

« J’ai toujours été poussé par la curiosité. Et la sympathie », confie Jean-Claude Carrière, critique « amateur » si pertinent dans sa connaissance sensible, intime, viscérale pourrait-on dire, de l’œuvre et de l’artiste. En témoigne, devant la caméra, sa veuve d’origine iranienne, jeune et magnifique de simplicité. Sympathie hautement communicative, que son époux disparu inspire au spectateur, pris à témoin dans cette quête du sens et dans cet ultime pèlerinage en abyme qui, à distance de toute cuistrerie, joint sa parole post-mortem à celle des savants, telle Charlotte-Chastel Rousseau, conservatrice de la peinture hispanique au Musée du Louvre.

Envoutante sonorité plastique

La Société des Amis du Louvre, notons-le au passage, a été bien inspirée de soutenir l’excellent travail du réalisateur José Luis Lopez-Linares, à qui l’on doit déjà Le Mystère Jérôme Bosch (2016). Tout, dans L’Ombre de Goya, est un régal. Depuis les extraits de films qui, sous les auspices du créateur des « Caprices » ou des « Désastres de la guerre », jalonnent cette circulation de Manet à Velasquez ou de Picasso au Greco, jusqu’à ces morceaux choisis des Goyescas de Granados dont l’envoûtante sonorité pianistique nous accompagne dans ces contrées énigmatiques où « le sommeil de la raison engendre les monstres ».      

« L’Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière ». Documentaire de José-Luis Lopez-Linares. Espagne, France, couleur, 2021. Durée: 1h30. En salles, le 21 septembre.

François Bayrou pense que c’est «l’opinion publique» qui gouverne les gouvernants

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François Bayrou chez Europe 1, 18 septembre 2022 / Capture d'écran Dailymotion

Nucléaire: comme le président Macron, le maire de Pau et haut commissaire au Plan estime qu’il ne faut pas le «chercher» sur ce sujet.


François Bayrou était l’invité du Grand Rendez-vous d’Europe 1/Les Échos/Cnews ce dimanche 18 septembre. Conformément à la tendance politique actuelle qui consiste à prendre les Français pour des triples buses, le haut-commissaire au Plan a déclaré, à propos de la fermeture de Fessenheim et de la politique globale des gouvernements français depuis trente ans sur le nucléaire : « C’est pas les gouvernants qui gouvernent les pays, c’est les opinions publiques qui gouvernent les pays. […] L’opinion publique était archi-contre le nucléaire, tout le monde était contre le nucléaire, toutes les forces politiques étaient contre le nucléaire. » Il avait beau avoir prévenu avant de tenir ces propos hallucinants – « Je vais dire quelque chose de bizarre. » – on reste quand même pantois devant le culot de cet homme qui, à l’en croire, a été le seul homme politique, voire le seul Français, à être pour le nucléaire quand tout le monde était contre, selon lui.

Le poids grandissant et l’influence des Verts sur nos gouvernants

Hormis le fait que « l’opinion publique » n’a jamais été « archi-contre » le nucléaire, doit-on rappeler à François Bayrou de quelle manière et par qui a été travaillée au corps cette « opinion publique » contrainte de subir pendant de nombreuses années la propagande écologiste anti-nucléaire.

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Les écologistes français, toujours prompts à singer les Verts allemands et à écouter l’insupportable donneur de leçons Daniel Cohn-Bendit, mènent campagne depuis toujours contre cette énergie peu chère, propre, et qui assure l’indépendance énergétique de la France. Tous les moyens sont bons. Après 1986, les Verts européens utiliseront sans vergogne la catastrophe de Tchernobyl pour affoler et manipuler les foules. Puis, sous la pression des Verts qui participent à la victoire de la « gauche plurielle » lors des élections législatives de 1997 et de Dominique Voynet, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, le gouvernement du Premier ministre Lionel Jospin fera définitivement capoter le programme du prometteur surgénérateur Superphénix (1). En novembre 2011, Martine Aubry et Cécile Duflot se rencontreront pour valider un “accord politique de majorité parlementaire” entre le PS et EELV pour les élections de 2012. Cet accord stipulera la fermeture de 24 réacteurs dont, prioritairement, ceux de Fessenheim (2). Lors du débat contre Nicolas Sarkozy, François Hollande justifiera la future fermeture de Fessenheim en parlant de l’ancienneté de la centrale – sauf qu’au début des années 2000, EDF a investi 550 millions d’euros pour remplacer la plupart des composants majeurs du site, faisant ainsi de Fessenheim une des centrales les plus sûres du parc nucléaire français, au dire des experts. Le candidat socialiste jouera également sur la corde sensible « Fukushima » déjà utilisée par les Verts en évoquant la proximité d’une zone sismique – sauf que les réacteurs de la centrale de Fessenheim sont prévus pour résister à un tremblement de terre de magnitude 6,7, c’est-à-dire un tremblement plus puissant que celui de Bâle en 1356, le plus fort jamais ressenti en Europe centrale (3). Mais c’est Emmanuel Macron qui entérinera la décision de la fermeture de Fessenheim, laquelle sera effective le 22 février 2020. Incapable de reconnaître son erreur, agacé par les vérités assénées par l’actuel PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy rappelant les désastreuses décisions gouvernementales, Emmanuel Macron reprend aujourd’hui grosso modo les mêmes arguments fallacieux que ceux de son prédécesseur et demande gracieusement qu’on ne vienne pas le « chercher » sur ce sujet.

Communistes et droite dépassés par les « progressistes »

Avant 2011, date du tsunami à Fukushima, « l’opinion publique » française est majoritairement pour le nucléaire. À l’époque, pourtant, les gouvernants ne semblent guère à l’écoute de « l’opinion publique » et le projet de destruction du programme nucléaire français est déjà dans les tuyaux. Quant aux partis politiques, à l’inverse de ce que prétend François Bayrou, seuls les Verts (par idéologie), les socialistes et l’extrême-gauche (par calcul électoraliste) ont très activement participé au démantèlement de l’expertise nucléaire française. Le PCF s’y est toujours opposé (1), ainsi que la majorité des représentants politiques de droite. Lors des élections présidentielles de 2012, devant les ingénieurs et les ouvriers de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, Nicolas Sarkozy prévient : « Si vous voulez défendre le nucléaire, c’est maintenant qu’il faut se mobiliser parce qu’après, ce sera trop tard. […] Depuis 60 ans, le nucléaire fait l’objet d’un consensus, ce consensus a été brisé dans des conditions scandaleuses par un accord électoral entre des gens sectaires (François Hollande et le PS, Eva Joly et EELV) qui profitent de l’accident de Fukushima pour jouer sur les peurs et pour casser le nucléaire français ». Lors de la campagne des dernières élections présidentielles, le candidat Jean-Luc Mélenchon promettait, lui, une sortie complète du nucléaire en 2045. Ceci dit, il progresse : un an auparavant, au micro de France Inter, il plaidait pour une sortie totale du nucléaire en… 2030.

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Si « l’opinion publique » gouvernait les gouvernants, comme le prétend M. Bayrou, le nucléaire, fleuron technologique français, ne serait pas dans la difficile situation où il est aujourd’hui ; le traité sur la Constitution européenne n’aurait pas pu être ratifié par le parlement après que les Français avaient voté contre ; les autoroutes n’aurait pas été vendues à vil prix à des sociétés privées rapaces ; EDF n’aurait pas été découpé en tranches sous la pression de la Commission européenne (et donc de l’Allemagne) et nous n’aurions pas aligné le prix modéré de notre électricité sur celui du gaz européen ; Alstom n’aurait pas été vendu à l’américain General Electric ; les flux migratoires auraient considérablement diminué et les déboutés du droit d’asile ainsi que les délinquants étrangers seraient renvoyés manu militari dans leurs pays ; la France ne se laisserait pas dicter la conduite de sa politique par Mme Ursula Von der Leyen, par la chancellerie allemande ou par la diplomatie américaine. Si « l’opinion publique » gouvernait les gouvernants, Emmanuel Macron inscrirait dans le marbre son plan d’urgence et d’envergure pour relancer définitivement le nucléaire français – d’autant plus qu’après les premières annonces sur la construction de six EPR (dont le début du chantier du premier d’entre eux est prévu en 2028), le GIFEN (Groupement des Industriels français de l’énergie nucléaire) estime nécessaire le recrutement de 4000 ingénieurs par an auxquels devront s’ajouter des milliers de calorifugeurs, soudeurs, chaudronniers, mécaniciens, techniciens, etc., qui restent à former (4) : un dernier sondage confirme en effet que les Français ont compris l’intérêt énergétique, économique, écologique et géopolitique d’une énergie nationale reposant principalement sur le nucléaire. 75 % de nos concitoyens soutiennent cette énergie et 65 % sont favorables à la construction de nouveaux réacteurs (5). Espérons que M. Bayrou a raison et que nos gouvernants sauront se laisser gouverner par une « opinion publique » qui refuse catégoriquement le catastrophique scénario énergétique germanique qui fait que l’écologique Allemagne, entre autres aberrations, émet dix fois plus de CO2 par kilowatt-heure produit que la France (6).

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(1) Les Échos, article du 4 février 1998 : La majorité plurielle est très divisée sur la fermeture de Superphénix.

(2) Le Point, article du 15 novembre 2011 : Aubry et Duflot se sont rencontrées pour valider l’accord entre le PS et les écologistes.

(3) Challenges, article du 21 février 2020 : Fermeture de Fessenheim, chronique d’une mort annoncée.

(4) Le Figaro, article du 10 février 2022 : Ces profils dont la filière nucléaire a plus que jamais besoin pour se relancer.

(5) Transitions & Énergies, article du 20 septembre 2022 : Sondage, 75 % des Français maintenant favorables au nucléaire.

(6) France Inter, mardi 27 novembre 2018 : L’Allemagne émet-elle vraiment dix fois plus de gaz à effet de serre que la France ?

Vous aussi, devenez avocat général!

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Le 19 septembre, la responsable de la brigade des mœurs de la Nupes, la députée Sandrine Rousseau (EELV), a annoncé qu'une "enquête journalistique" était en cours concernant les agissements supposés de Julien Bayou envers les femmes. Image : capture France 5.

Notre pays surabonde en accusateurs.


Les mêmes Français qui ignorent souvent le rôle d’un avocat général en matière criminelle se muent dans leur quotidienneté en des Fouquier-Tinville de mauvais aloi et si la décapitation était envisageable au propre, certains ne s’en contentent même pas au figuré.

J’admets avoir parfois dérivé parce qu’on a du mal à dominer une hostilité de principe mais sans me surestimer j’ai la faiblesse de m’attribuer une qualité sinon de modération du moins d’équité. Cela ne vient pas de rien mais de la manière dont je concevais ma fonction d’accusateur à la cour d’assises de Paris. Représentant de tous les citoyens, je n’aurais pas pu requérir contre un accusé sans prendre en compte à la fois sa parole, sa défense et son argumentation et bien sûr les propos de la victime – ou de sa famille si elle était morte. Je ressentais comme une obligation cette forme d’honnêteté élémentaire qui ne confondait pas la compréhension avec l’absolution, l’explication avec l’exonération.

Exigence de pureté absolue

Les avocats généraux qui pullulent en France n’ont cure de ces précautions, de cet équilibre. Il faut condamner, stigmatiser à tout-va non seulement sur les réseaux sociaux mais partout où on offre l’opportunité à des citoyens de faire connaître leur point de vue, de juger et d’arbitrer. La cause est entendue tout de suite, et une fois pour toutes. La contrition ne sert à rien, l’aveu est méprisé, la sincérité moquée. Le monde politique n’est pas appréhendé comme le nôtre qui trop souvent est tout sauf exemplaire, mais comme une exigence de pureté absolue. Comme si dans notre univers, aussi fondamentaux que soient les devoirs, on pouvait espérer de nos élus, de nos députés, de nos sénateurs une rectitude sans cesse irréprochable, admirable à tout coup.

À lire aussi, Céline Pina: LFI: qui veut faire l’ange fait la bête… à deux dos

Soutenir qu’il convient de se regarder soi avant de hurler, qu’il n’est pas inutile de mettre de la nuance, de tenter d’élucider avant de sanctionner, qu’il est souhaitable de savoir hiérarchiser dans une gamme qui passe du dérisoire au grave, et qu’en définitive c’est moins la morale que la bêtise qui est sommaire et expéditive, relève aujourd’hui d’un courage suicidaire.

Adrien Quatennens n’a aucune excuse : une gifle il y a un an, et il doit tout perdre… Il s’est retiré de la coordination de LFI mais député c’est encore trop ! La horde des anges que nous sommes tous se rue sur le démon qu’il a été et la moindre circonstance atténuante est perçue telle une offense intolérable à son épouse – malgré la retenue et la modération de cette dernière qui est tout de même la principale intéressée ! Une enquête a été ordonnée.

Jeu de massacre

LFI épouvantablement mal à l’aise va permettre à l’un des meilleurs du groupe, sinon le meilleur, de demeurer à l’Assemblée nationale. Mais sans parler. C’est absurde alors qu’il y avait place à la fois pour une dénonciation de son geste et de son attitude dans une période de crise conjugale mais aussi d’une relativisation en faveur d’un homme qui n’était pas auteur de violences systématiques. Sandrine Rousseau, sur France 5, pour accabler Julien Bayou, affirme avoir reçu son ex-compagne tellement traumatisée qu’elle aurait tenté de se suicider. A-t-elle demandé à cette dernière le droit d’exposer ainsi sa souffrance et la résolution qu’elle avait prise ? Toujours est-il que Julien Bayou, lui aussi, s’est mis en retrait de la coprésidence du groupe écologiste…

Quel massacre ! À ce rythme, à droite comme à gauche, il n’y aura plus d’innocents…

À lire aussi, du même auteur: Emmanuel Mouret: il n’y a pas d’amour léger

Le simple fait d’avoir mis « si c’est vrai » dans un tweet dénonçant le fait que le couple Macron n’aurait pas pris le bus réservé aux chefs d’Etat m’a valu, pour cette prudence, des insultes de ses ennemis et des diatribes de ses partisans. L’honnêteté est étrangère à ces procureurs sans titre. La chasse à Patrick Poivre d’Arvor est menée depuis longtemps maintenant et même s’il est défendu par une remarquable avocate, Jacqueline Laffont, sa cause semble bien mal engagée.

La prescription aujourd’hui ne sert plus à justifier l’absence de poursuite mais à accabler encore davantage la personne soupçonnée. À défaut de pouvoir démontrer qu’elle est coupable, on lui reproche de vous interdire de démontrer qu’elle l’est.

L’emprise à toutes les sauces

Par exemple, quand l’une des femmes, au sujet de sa relation avec PPDA, déclare qu’elle a eu « honte de n’avoir pas su résister », on ne s’interroge pas alors sur la capacité de l’auteur présumé à avoir pu deviner l’absence de consentement. On met la notion d’emprise à toutes les sauces. Elle apparaît de plus en plus comme le substitut à une argumentation à charge défaillante et une vision mécanique des rapports de subordination.

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Qu’on m’entende bien : je n’éprouve pas la moindre indulgence pour les violeurs et les agresseurs sexuels. Mais il me paraît d’autant plus nécessaire de rappeler ces évidences que les multiples victimes – souvent qualifiées ainsi avant la moindre investigation – bénéficient médiatiquement d’une forte présence, d’une aura de principe, d’une compassion automatique et d’un préjugé forcément favorable. Ainsi Hélène Devynck pour son livre Impunité.

Le Monde Magazine du 17 septembre 2022

Je pourrais prendre encore beaucoup d’exemples de cette propension française, depuis quelques années, à jouer les avocats généraux en considérant qu’on n’a pas le droit de contredire, voire d’infléchir, d’amender ou de nuancer une stigmatisation précipitée, tellement intolérante qu’elle ne supporte pas l’ombre d’une réserve. Cette cohorte de médiocres accusateurs est évidemment, la plupart du temps, caractérisée par une pauvreté du langage et donc de la pensée. Si seulement tous ces Fouquier-Tinville du pauvre, au lieu de banaliser la charge obtuse et haineuse, allaient écouter dans les cours d’assises les authentiques et légitimes avocats généraux ! Ils y gagneraient, et nous aussi.

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Le retour controversé du Roi Soleil à Rennes

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Miniature en bronze de Louis XIV à cheval, Antoine Coysevox / Musée du Louvre

2,37 millions: c’est la modique somme déboursée par le Musée des beaux-arts de la capitale bretonne, pour acquérir un modèle réduit de la statue équestre XXL de Louis XIV qui était installée devant le Parlement de Bretagne et qui avait été fondue à la Révolution…


Dans l’ouest aussi ce week-end, ont eu lieu les journées du patrimoine (et du matrimoine, s’il vous plait). À Rennes, l’événement, c’était l’acquisition d’une réplique de la statue équestre de Louis XIV, investissement consenti par le musée des Beaux-Arts pour un montant de 2,37 millions d’euros. Elle est venue rejoindre les deux imposants bas-reliefs qui étaient à l’origine apposés au socle, et le Nouveau-Né de Georges de la Tour.

Estampe représentant la statue équestre en bronze de Louis XIV par Antoine Coysevox, érigée en 1685 et détruite en 1792. D.R.

L’originale, de sept mètres de haut, avait été réalisée par Antoine Coysevox au terme d’un long demi-siècle de péripéties techniques et avait pu être enfin installée à Rennes, en 1726, place du Parlement, non sans avoir attisé la convoitise de la voisine nantaise… Elle fut commandée en 1685 par les Etats de Bretagne, bien décidés à réhabiliter la province aux yeux du monarque alors que dix ans plus tôt, celle-ci s’embrasait à la suite de la création d’une taxe sur le papier timbré (et accessoirement, de perturbations sur la distribution de tabac à fumer et à chiquer). D’abord révolte du papier timbré en avril 1675 dans les villes de l’Est breton (Rennes, Nantes, Saint-Malo), la contestation gagne l’Ouest plus rural et devient un mouvement paysan. Elle devient la fameuse révolte des bonnets rouges, menée par un notaire, Sébastien Le Balp ; elle est restée dans les mémoires au point de donner son nom à une marque de bière locale et à une fronde contre l’écotaxe, au temps pas si lointain de François Hollande…

Nathalie Appéré, pas une royaliste

Bien plus remonté que l’Est, l’Ouest breton dépasse le stade de la révolte antifiscale et en vient à édicter des codes paysans qui remettent en cause tout l’édifice féodal, au nom de « la liberté armorique ». Pour le monarque, c’en est trop. Embarqué dans la guerre de Hollande, il est pour lui hors de question de céder. La reprise en main va être sanglante. Un tableau de 1676, « Allégorie de la révolte du papier timbré », également présent au musée des Beaux-Arts de la capitale bretonne, symbolise en quelque sorte les effets du mauvais gouvernement louis-quatorzien et la brutalité de la répression.

Allégorie de la révolte du Papier timbré (musée des Beaux-Arts de Rennes), toile de Jean-Bernard Chalette (1631-1684)

A lire aussi: Rennes: la fessée, non. Le voilement des fillettes, oui !

Justement, le souvenir de cette répression a heurté plusieurs militants régionalistes. Ceux-ci ont distribué samedi des tracts aux visiteurs, pour leur rappeler « la face obscure du Roi-Soleil » : « La décision d’accueillir cette statue est une offense à la mémoire des révoltés qui donnèrent leur vie pour combattre le tyran. Il n’y aura jamais de statue du meneur des révoltés Sébastien Ar Balp. L’histoire ne doit pour autant pas être seulement celle des puissants » précise l’un d’entre eux à Ouest-France. La maire PS de la ville de Rennes, Nathalie Appéré, a même dû se défendre de tout penchant royaliste : « La miniature de la statue équestre de Louis XIV est la plus importante jamais réalisée par le musée des Beaux-Arts. Cela ne fait pas de nous des monarchistes. Il est plus intéressant d’exposer le passé que de l’expliquer, plutôt que de le nier ».

Portée symbolique

Il est vrai qu’en ces temps de cancel culture, les statues font l’objet d’une suspicion à l’échelle mondiale. De Thomas Jefferson à New York à Napoléon à Rouen, en passant par Christophe Colomb à Mexico et Colbert devant l’Assemblée nationale, il est peu de personnages historiques dont la statue ne fasse pas l’objet d’un fantasme de déboulonnage de la part de tel ou tel mouvement militant. Notre époque n’a pas inventé grand-chose puisque dès 1794, notre bonne statue équestre rennaise avait déjà été fondue, ce qui lui a donné finalement un temps d’existence à peine plus long que son temps de fabrication. Non seulement sa portée symbolique était un peu problématique pour la toute jeune République, mais surtout, il fallait récupérer le bronze pour en faire des canons : les révolutionnaires savaient combiner sens de la table rase et préoccupations martiales, ce qui les différencie peut-être du mouvement woke actuel (!) En avance sur le monde, la Bretagne avait ensuite été le théâtre en 1932 d’un attentat statuaire, lorsque le mouvement indépendantiste « Gwenn ha Du » fit exploser dans une niche de l’hôtel de ville une représentation (un peu dégradante) de la duchesse Anne à genou devant le roi de France. Depuis, pas plus que la place du Parlement, la niche de l’hôtel de ville est vierge de toute statue. Voir la statue d’un roi de France à Rennes n’est donc possible que depuis quelques jours, à condition d’acheter un ticket d’entrée au musée des Beaux-Arts (ou d’y aller pendant les journées du patrimoine).

Sauve qui peut (l’artiste)

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Jean-Luc Godard pendant mai 68 © LE CAMPION/SIPA

Très sympathique ce qui se passe en ce moment sur la toile autour de la mort de Jean-Luc Godard. Les pour, les contre. Les « c’est un génie », les « c’est un imposteur ». Les « c’est un sale gauchiste », les « non, c’est un fasciste ». 


« Œuvre imbitable » VS « œuvre mallarméenne »… 
« Cinéma d’happy few » contre « peut-être mais avec notre argent ». 

Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’avoir une (mini, certes, mais quand même !) bataille d’Hernani.

Eh oui ! Godard clive, c’est son métier. Et on va cliver avec lui, on va être déplaisant avec lui, seule façon de lui rendre hommage – un peu comme ce que Michel Hazanavicius avait fait dans son admirable Redoutable.

Donc, les fameuses trois périodes. L’anarchiste (la meilleure), la maoïste (la pire), la « protestante » (qui commence avec Sauve qui peut (la vie) et où l’on trouve le meilleur et le pire). « Protestante » au sens où l’entend un catholique, c’est-à-dire peine-à-jouir, sermonneur, iconoclaste, et dans son cas, obtus à force d’être obscur, puritain de son propre art, se tirant une balle dans sa caméra pourtant si poétique. Ce qu’il admet volontiers :

« Le film, dit-il dans un bonus du DVD de Passion, ça consiste à refermer la porte. Il était prévu d’aller à la fenêtre et voir le paysage et tout ce qu’on a pu faire, c’est de refermer la porte qui avait fait se refermer la fenêtre, et on ne voit plus. Non seulement on n’a pas pu voir le paysage, mais on lui a tourné le dos. »

Un cinéma castrateur

Toutes son esthétique et son éthique sont là. Une façon de se contrarier soi-même (et le spectateur héroïque avec), de suspecter son art au moment où il le fait, de montrer en quoi il est un simulacre, donc un mensonge auquel nous cédons tous, de dire « non » alors qu’on attendait « oui », de couper la musique, le son, le sens à l’instant où on commençait à frissonner – parce que le sens, surtout linéaire, c’est facile, spectaculaire, stérile, capitaliste, bourgeois. Pour l’auteur de Film socialisme, respecter le spectateur, c’est le castrer en pleine érection. Pas étonnant que cela se soit mal passé avec Catherine Ringer dans Soigne ta droite, un film consacré, entre autres, aux Rita Mitsouko, et dans lequel il lance la superbe chanson Les Histoires d’A. pour la couper aussitôt. Ça ne devrait pas trop lui plaire, à la Ringer, d’être « déconstruite » par un puritain nasillard. En même temps, comme dirait l’autre, c’est un des plus grands cinéastes de la femme, souvent fatale, qui soit : Seberg, Bardot, Karina, Méril, Wiazemsky, Vlady, Baye, Birkin, Huppert, Schygulla, Fonda, Darc, Pauline Lafont, Myriem Roussel, Domiziana Giordano – et la plus terrible de toutes, Maruschka Detmers, qui, dans Prénom Carmen, couche avec son amant devant son compagnon, obligeant celui-ci à se masturber dans sa douche. « Il faut fermer les yeux au lieu de les ouvrir », dit l’oncle Jean interprété par Godard dans ce dernier film, réplique qu’on est en droit de retourner contre lui.

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Car fermer les yeux devant les horreurs de l’Histoire, ce fut son attitude toute sa vie. L’Eyes wide shut du laogai et du terrorisme, c’est lui – et puisqu’il n’aime pas Kubrick, on va lui en faire bouffer du Kubrick, au Jean-Luc. Aucune raison de l’épargner. « Il nous veut du mal », disait de lui François Bégaudeau dans Notre joie. Ça tombe bien, nous aussi. 

Parce qu’à force d’autocritique, de montage punitif et de brouillage volontaire, il finit par foirer son art, par passer du beau au moche, de l’inspiré à l’irrespirable, de la parole au discours creux, niais, toxique, assurément antisémite (son abominable mixage Golda Meir / Hitler, dans Ici et ailleurs, 1971), faisant de son montage anti-propagande une nouvelle forme de propagande (mais acceptée par la doxa de l’époque car « intello », « insurrectionnelle », « propalestinienne »). Il est vrai que la centaine de millions de morts causée par le communisme n’a jamais empêché cette génération de dormir. 

Je comprends Gérard Darmon

Le pire est qu’il n’a jamais convaincu – même dans son camp. Pour les situationnistes, il reste « le plus con des Suisses prochinois ». Pour les étudiants de 68, un parasite. Et lorsque Gérard Darmon déclare aujourd’hui qu’il ne peut pas « admirer quelqu’un qui hait à ce point les Juifs », on peut le comprendre. Intellectuellement nul, politiquement dégueulasse, socialement sale (dans son conflit avec Truffaut sur la culture, on est à fond pour Truffaut et contre lui), humainement douteux (« merde sur son socle », écrit encore Truffaut à son sujet dans une lettre fameuse lui étant directement adressée), il a tout du faux enfant sauvage, du fumiste qui se croit incendiaire (sauf le très médiocre Je vous salue Marie, aucun de ses films n’a réellement fait scandale), du fils à papa qui joue à Rimbaud – en plus d’être un illettré notoire (des livres qui défilent dans ses films, il n’a lu que les titres et les citations les plus connues). C’est un idéologue incompétent dont même les gauchistes les plus radicaux n’ont pas voulu (La Chinoise rejetée par les maoïstes) tant il ne comprend rien à rien et que son gauchisme est comme une opération transsexuelle qui aurait mal tourné. Comme gauchiste, il ne sera jamais crédible et ce sera son drame (alors que comme fasciste, et comme disait Michel Marmin [1], il aurait fait des merveilles). Un drame qui, pour ma chère Aurora Cornu [2], date de son accident de moto. « C’est aplrrès ça qu’il est devenu clrrétin », me disait-elle. 

Il est clair que sur le plan de la pensée, de l’histoire et de la vision, Godard n’arrivera jamais à la cheville d’un Pasolini, d’un Fassbinder, d’un Tarkovski – et pour enfoncer le clou qu’il mérite amplement, d’un Kubrick. Mais paradoxalement, c’est cette imbécillité métaphysique et morale qui fait la singularité et la grandeur (inattendue) de son cinéma. Car cet oculaire, si inepte dans les idées, sait filmer les choses comme personne – Le Parti pris des choses, au cinéma, c’est lui. Ce confusionniste complexé a un sens de la présence qui fait de lui un cinéaste de l’épiphanie. Ce crétin des Alpes Suisses se retrouve dès qu’il y a du ciel, du visage, du geste, de la musique, du mot, à filmer. Et l’on ne parle pas là simplement du Mépris et de Pierrot le fou, chefs-d’oeuvres objectifs, mais bien de Passion, Nouvelle vague, Hélas pour moi, Notre Musique, Adieu au langage et tant d’autres films dits irregardables. Il suffit qu’il oublie un instant son gloubiboulga socio-tarte pour être repris par des moments d’inspiration, de possession, d’assomption qui font de lui l’égal en effet d’un De Kooning ou d’un Rothko, d’un Webern ou d’un Ornette Coleman. En ce sens, il est vraiment un cinéaste de la fascination (comme Sternberg ou Lynch) même s’il semble horrifié par sa propre fascination. Comme s’il avait peur de la beauté, du sens, de l’incarnation alors qu’il est fait pour ça. 

A lire ensuite, Jean Chauvet: Tant qu’il y aura des films

Prenez un film comme Je vous salue Marie, immaculé ratage où, pendant une heure quarante, il nous et s’emmerde avec un concept auquel il ne pige que dalle – mais qui lui donne à filmer quand même, un instant, une main d’homme tendu vers un ventre de femme, plan sublimissime, ultra-signifiant, marialement inoubliable et qui semble lui-même le dépasser. Et tout Godard est dans cet auto-dépassement impromptu, cet éclair d’aveugle, comme s’il avait été « appelé » malgré lui à produire des icones. La fameuse phrase de Cavana à propos de « Beethoven qui était tellement sourd que toute sa vie il a cru qu’il faisait de la peinture » fonctionne encore mieux avec lui – d’ailleurs amateur obsessionnel des quatuors et symphonies de Ludwig van (comme l’Alex d’Orange mécanique, tiens !), maintes fois utilisés dans ses films. Les voix de l’art sont impénétrables. 

Le fameux plan michel-angelien de « Je vous salue Marie »

Alors oui, Godard for ever. Idiot mystique. Bouffon du roi Lear (du cinéma) dont on oubliera les saloperies politiques pour se rappeler les sons, les couleurs, et par-dessus-tout, les fondus sublimes, sa spécialité diégétique où il fait des images avec des images (Histoire(s) du cinéma), des couleurs avec des couleurs (Éloge de l’amour), des images avec des mots, des livres d’images et tout cela dans du cadre dans le cadre, « du cadre cadré et non encadré », et pour paraphraser Caroline Champetier, sa cheffe-opératrice – telle cette scène d’À bout de souffle, véritable haïku du couple amoureux, lorsque Belmondo scande le prénom de sa copine : « Pa / tri / cia » et que celle-ci ouvre les rideaux de sa chambre en lui répondant sur le même ton : « qu’est-ce / qu’il / y a ? ». 

Godard, notre musique.


[1] « Alors que d’autres cinéastes issus des Cahiers du cinéma avaient une vraie culture de droite, même le balzacien Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, lui, avait un instinct, un goût, un style et un tempérament d’extrême droite et, pour tout dire, fasciste, le “fascisme” de Godard étant fondé, comme tout fascisme ontologique, sur un “existentialisme”, ce que n’a peut-être pas voulu voir Parvulesco (et que n’aurait probablement pas voulu reconnaître Sartre). On ne s’étonnera donc pas que, en fasciste conséquent, Godard se soit rallié au maoïsme et non au PCF en 1968, comme Sartre lui-même du reste… Sans doute Godard est-il revenu depuis longtemps de son maoïsme : il n’en est pas moins demeuré intrinsèquement fasciste. » Michel Marmin, entretien, Contrelittérature n°1, 2019

[2] Mon livre à paraître aux éditions Unicité le mois prochain.

L’économie libidinale de l’Union européenne

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Le Commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs Stélla Kyriakídou avec la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, Bruxelles, 20 juillet 2022 © Virginia Mayo/AP/SIPA

Sur l’énergie nucléaire comme sur les OGM, l’approche de saisons de vaches maigres oblige nos dirigeants européens à prendre le réel en compte. Une modification du cadre réglementaire européen sur les OGM est annoncée pour 2023.


Toutes les décisions humaines procèdent d’un choix, que les psys appellent « économie libidinale », mais que l’on peut toujours réduire à un rapport coût/bénéfice entre deux options [1]. Les décisions politiques ne font pas exception à cette règle. Ce truisme mérite d’être rappelé le jour où l’Union européenne déclare qu’elle va légiférer sur l’autorisation d’un produit qu’elle condamnait formellement la veille.

Le diable et le bon dieu

Si le procédé du choix est toujours le même, ce qui importe ce sont les représentations que les décideurs se font des éléments entre lesquels ils doivent choisir.

Ainsi, pour le bannissement des OGM, le choix était fondé sur le fantasme du mal incarné par le terme OGM dans l’esprit du public européen et sur l’attrait libidinal des idées « vertes » parmi les leaders d’opinion.

A lire aussi, Olivier Marleix: « La lâcheté de Macron sur le nucléaire a scandaleusement affaibli la France »

Ces représentations sont aussi à la base d’autres décisions irrationnelles, par exemple celle qui a conduit l’Allemagne à fermer des centrales nucléaires, dont le potentiel futur danger a été jugé plus important que l’économie nationale et le bien-être présents de ses habitants. À l’inverse, le choix d’énergies dites renouvelables pour les remplacer témoigne d’une foi religieuse dans le péché originel (plus c’est proche de la nature, plus c’est « bien », plus cela doit à l’homme et plus c’est « mal ») doublée d’une pensée magique (le vent et le soleil produiront autant d’énergie que le pétrole et le nucléaire).

L’écologie aime l’humanité, mais déteste les humains

C’est aussi à l’aune de la morale religieuse qu’a été édictée l’interdiction des OGM : organismes génétiquement modifiés, parce que modifiés par l’homme. Pourtant, si l’Homo Ecologicus possède des technologies supérieures à celle des premières version d’Homo sapiens, ce n’est pas à des prières à Gaïa qu’il le doit, mais à la lon-on-ongue évolution de son génome.

Il est cocasse d’observer que certains préfèrent le sourire de leur égo à la survie de leur espèce : les mêmes, qui veulent que le sexe fourni par la nature soit inféodé à leur ressenti de genre, réprouvent avec violence le recours au maïs transgénique. Peu leur importe qu’il soit susceptible de sauver de la famine des populations qui se fichent du genre comme du sexe des anges.

La différence entre l’homme et dieu, c’est que dieu ne se croit pas homme

L’UE se prend pour une déité politique. À preuve le fait qu’elle laisse nombre de décisions à sa commission, dont les membres, à défaut de procéder du droit divin, ne sont pas élus par les peuples.

L’approche de saisons de vaches maigres, où la demande d’électricité sera supérieure à l’offre, a obligé nos dirigeants à prendre le réel en compte.

Ils ont donc, en deux étapes, renié tout ce qui était jusqu’alors vérité d’évangile. Une première salve a été tirée discrètement le 29 avril 2021, quand l’UE a évoqué la création d’un cadre spécifique pour les produits issus de mutagenèse : « Selon la commissaire européenne à la Santé et à la sécurité alimentaire Stella Kyriakides, l’étude relayée par la Commission « conclut que les nouvelles techniques génomiques peuvent promouvoir la durabilité de la production agricole »[2] ». 

Au commencement était le verbe…

En juillet 2018, la Cour de justice de l’UE avait statué sur les produits issus de la mutagenèse : c’était des OGM comme les autres.

Après les tirs de sommation, en 2022, la grosse Bertha a transformé le vice en vertu.

A lire aussi, Jean-Paul Lilienfeld: Kokopelli contre Monsanto et les Juifs

Les ministres de l’agriculture des 27 ont exigé de pouvoir utiliser les variétés de semences résistantes à certains herbicides ou à la sécheresse, qui existaient mais restaient interdites par la réglementation.

Les mots magiques ont été prononcés : dérèglement climatique. Cet Abracadabra du XXIe siècle est venu au secours des OGM.

Ces organismes génétiquement modifiés ne sont plus des poisons cancérigènes, mais des produits de biotechnologies, « un magnifique instrument pour faire en sorte que les cultures aient besoin de moins d’eau, de moins de produits phytosanitaires et d’engrais, qu’elles soient plus résistantes. Dès lors {qu’elles} permettent d’assurer la transition agro-écologique et de faire face au dérèglement climatique, c’est une voie qu’il faut explorer. [3] » Dixit le ministre espagnol de l’agriculture.

En-Même-Temps 1er ayant fait des émules, le ministre slovaque a expliqué, lui, qu’on peut tout faire, à condition de ne pas le dire : « Nous ne voulons pas des OGM, mais là, nous parlons d’édition génomique: il faut une approche prudente qui s’apparente le plus possible aux méthodes traditionnelles de sélection (…) Il faut développer des variétés plus résistantes à la sécheresse, au gel, aux nuisibles. »

… Et à la fin sera le vote

Les parlementaires européens, qui sont sûrement capables de trier le bon génomique de l’ivraie OGM, seront donc amenés à voter au deuxième semestre 2023 sur une proposition législative… faite par le commissaire à l’Agriculture.

Qui c’est le chef ? Celui qui vote ou celui qui écrit ce sur quoi on vote ?


[1] La libido peut être simplifiée en socialisation de l’énergie produite par la pulsion sexuelle transformée en objets sublimables.

[2] https://mapecology.ma/actualites/lunion-europeenne-appelle-a-definir-nouveau-cadre-juridique-produits-issus-de-technique-genetique-de-mutagenese/

[3] www.lefigaro.fr/conjoncture/climat-l-ue-va-miser-sur-les-techniques-genomiques-pour-adapter-son-agriculture-20220916

Immersion chez les Papous

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140 km à l'ouest du paradis, un film de Céline Rouzet (2022) © New Story

Un documentaire de Céline Rouzet montre la mise en coupe réglée par Exxon d’un pays mal connu, la Papouasie Nouvelle Guinée…


Au nord de l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée reste l’une des régions les plus enclavées du globe. Les trois-quarts de ses habitants n’ont guère de contacts avec ce qu’il était convenu d’appeler, jadis, « la civilisation ». Ils vivent, ou plutôt ils survivent, dans la jungle. De dix années d’immersion chez ces autochtones, Céline Rouzet a tiré un long métrage documentaire, « 140km à l’ouest du paradis » –  son premier film. Edifiant.

Selfies devant les danses tribales

Troublé par de violents mouvements sécessionnistes et de sanglants conflits frontaliers, l’ancienne colonie britannique, indépendante depuis 1975, est devenue une sorte de zoo humain pour touristes anglo-saxons en goguette, qui se font des selfies devant les danses tribales, en se félicitant, face à la caméra, de voir si bien préservées ces « authentiques » traditions ancestrales. L’envers du décor nous est bientôt révélé par l’objectif : pure mise en scène, le spectacle se déroule sur un terrain vague ceinturé de clôtures.

Un monde qui disparait (C) New Story

Sur ce désastre ethnologique se pose incidemment la voix off de la réalisatrice, comme pour souligner l’intimité de son regard. Regard qu’elle concentre, après ce préambule, sur le destin tragique d’une famille du cru, à présent sans ressources. De fait, patriarcale, clanique et jusqu’alors autosuffisante (principalement grâce à la culture vivrière), la société traditionnelle se voit aujourd’hui dépecée par le jeu trouble des politiciens et autres affairistes locaux, lesquels, contre la promesse jamais tenue d’aménagement du territoire et de profits fonciers, s’ingénient à dépouiller de leurs terres des chefs de tribus parfaitement ignorants des notions de cadastre ou de propriété privée.

A lire aussi: Tant qu’il y aura des films

Territoire en coupe réglée

Dans le rôle de l’accusée, Exxon Mobil, qui occupe un périmètre interdit d’accès et clos de barbelés. La multinationale américaine est l’unique exploitant des gigantesques gisements de gaz naturels découverts là il y a un peu plus de dix ans. Transformés en « parcelles d’exploitations » chacune dotée de son numéro, les villages de dissolvent ainsi dans un processus de mise en coupe réglée du territoire, sur fond de drogue, de propagande et de violence armée.  

Figure récurrente du récit, Tony, le fils disparu (on comprend qu’il est mort du sida) incarne la fatalité de cette déréliction mortifère, mais aussi l’ambivalence morale où cette sournoise entreprise de spoliation trouve ses appuis et se cherche une légitimité. Les clairs partis pris de Céline Rouzet n’épuisent pas la taraudante question de la relation du « local » au « global », sur une planète où les échanges (financiers, marchands, humains, symboliques) sont, quoi qu’on fasse, mondialisés.

140 km à l’ouest du paradis. Documentaire de Céline Rouzet. France, 2022. Couleur. Durée : 1h26. En salles le 21 septembre 2022.

Moix: profession écrivain

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L'écrivain Yann Moix photographié en 2018 © Sarah ALCALAY Sipa.

Après Orléans, Reims et Verdun, Yann Moix achève de raconter son éducation cabossée et coprophage dans Paris. Il clôt ainsi sa tétralogie qu’il nomme « Au pays de l’enfance immobile ».


Le jeune homme, Rastignac ou Rubempré, l’hésitation est permise à ce moment du récit, n’a pas un rond en poche. Il se faufile entre les pots d’échappement d’une capitale hideuse, bien plus hideuse que ne l’avait décrite Baudelaire. Et comme la poésie est morte, l’alchimie n’est plus possible pour transformer la boue en or. Le provincial a le trait mordant : « Paris était une ville de décombres, de détritus roux, d’os gesticulant – de visages intranquilles. » Avec l’arrivée de l’automne, le spleen suinte de partout. Les femmes, souples l’été, se raidissent avec le froid, « s’éparpillant comme des oiseaux maigres. » Avec les femmes, justement, ça se passe mal. Pas de fluide à fusion.

Le provincial ne croit pas en ses chances ; pire il se dévalorise. À ce jeu-là, Moix est imbattable. Reconnaissons que la haine de soi est un moteur aussi puissant que le narcissisme. Ses fringues sont élimées, ses chaussures pliées « telles deux bacchantes de lutteurs » (le style de Moix, toujours), les épaules saupoudrées de pellicules.

Provincial rongé

Comme le dit son faux ami, double inversé du narrateur, le truculent baiseur compulsif Delphin Drach : « On dirait que tu passes tes nuits dans les cimetières. » Ce n’est pas facile de draguer en entraînant sur la tombe des écrivains qu’on adule, Gide et Péguy en tête, de longilignes jeunes filles qui ne pensent qu’au sexe. Et puis, il y a toujours ce manque de confiance en soi qui ronge le provincial. C’est que l’histoire avait mal commencé pour l’enfant Moix. Il tient à rappeler : « Ce que les femmes devinaient sur mon visage, c’était la matière fécale dont mes ‘’parents’’ l’avaient barbouillé. Ma merde s’accrochait à la figure comme une intorchable glu. Mon enfance se voyait sur moi. » Mais ne pas oublier que Georges Bataille a révélé l’envers du décor : la littérature est du côté du mal. Les descriptions de Moix sont souvent morbides. La bidoche grasse y est omniprésente. La putréfaction la guette, les mouches pullulent. Les abattoirs de Vaugirard n’existent plus, sinon Moix en aurait fait son territoire de repli. Il est en quelque sorte Job sur son fumier, entouré de ses trois amis.

A lire aussi, Thomas Morales: «Le plaisir n’est plus à la mode»

Alors que faire après des études humiliantes et avec un visage qui inquiète ? Dès la première phrase, Moix répond : « Il était temps de devenir écrivain. » Pugnace, le jeune homme va parvenir à faire éditer son premier roman Jubilations vers le ciel. Il en prépare trois exemplaires. Un pour Sollers (Gallimard) ; un pour Bernard-Henri Lévy (Grasset) ; « un pour moi, chez personne. » Après une prière à l’église Saint-Thomas d’Aquin, « les lieux saints sont d’abord faits pour les athées », affirme Moix, Grasset l’édite. Devenir écrivain, dans une époque où la littérature est contrôlée par les fonctionnaires idéologiques, ressemble à une démarche suicidaire de moine-soldat.

Éclater les egos

Le temps des grandes figures, telles Malraux, Morand, Mauriac, est révolu. La civilisation européenne est entrée en agonie et la langue française se meurt dans l’indifférence. Sans oublier que les lecteurs, ceux qui savent lire, se font de plus en plus rares. Moix, malgré tout, a plié sans rompre. Il fait scandale de temps à autre, preuve de la bonne santé de ses écrits. Il dérange car, comme les très bons écrivains, il vampirise ceux qui le côtoient. Ils se retrouvent dans ses romans et ils y apparaissent méconnaissables, ce qui, au fond, les dérange plus que tout. Moix lâche ses phrases comme le boxeur ses coups. Ça éclate les egos. Les féministes vitupèrent, les familles éructent, les salariés de la culture s’étranglent. Le talent de Moix les aplatit. Ils ne peuvent comprendre qu’un bon roman se fait avec la sentine de la vie.

Yann Moix, Paris, Grasset.

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Nos disettes

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Moutarde, conducteurs de bus, assistantes maternelles, médecins… La société française assiste à un surprenant retour de disettes. Concernant la médecine, certaines normes administratives annihilent tout espoir d’un retour à la normale. Démoralisant!


Nous affrontons en France des pénuries de toutes sortes, inédites depuis bien des années. Le grand petit sujet de l’été aura été la disparition de la moutarde, un produit peu coûteux d’un usage quotidien dans toutes les classes de la société. Quand on trouve un pot sur une étagère, aussitôt on l’achète, en souriant de l’aubaine, mais c’est bien rare. Autre disette chronique, celle des autobus parisiens : officiellement ils existent toujours mais il faut les attendre 25 minutes, 40 minutes, 50 minutes même, en pleine semaine pourtant, à des heures de grande activité urbaine. On nous dit que c’est parce qu’il n’y a plus personne pour les conduire. On manque aussi de personnels qualifiés pour s’occuper des petits enfants dans les crèches. On manque de papier pour éditer des livres, de voitures, de matériaux de construction, de main-d’œuvre pour cueillir les fruits et récolter les raisins dans les vignes, d’eau pour arroser les cultures. Nous découvrons tous les jours des pénuries plus ou moins graves.

A lire aussi: Les désarrois du bon élève allemand

Mais ce qui fait jour aussi, c’est la disette en médecins. Spécialistes comme généralistes, ville comme campagne ; même Paris est devenu un désert médical. Il faut attendre, attendre, des mois et des mois, puis finir par aller aux urgences (pour y attendre seulement de nombreuses heures). Les médecins disparaissent de notre environnement : les anciens finissent par prendre leur retraite, les jeunes diffèrent leur installation, attendent en faisant des remplacements. Le système ne les encourage pas à s’installer ; ils ont à faire face aux normes : cet été de jeunes médecins qui voulaient s’installer dans de petites villes ou à la campagne se sont vu opposer comme préalable par les ARS la mise aux normes des locaux en termes d’accessibilité et de sécurité. Ces mises aux normes sont très dispendieuses et les jeunes praticiens ont renoncé à s’installer, préférant continuer un exercice itinérant et moins responsabilisant. La mise en danger des populations par l’absence de médecins ou de soignants implantés est bien plus pénalisante et dangereuse que l’absence de normes ; celles-ci sont des critères théoriques pas toujours en prise avec les conditions réelles ; pour être utiles, elles ne sont pas indispensables dans une situation de réduction de l’accès au soin. Dans les hôpitaux occidentaux, la mise aux normes permanente absorbe une part prédominante des budgets aux dépens de l’investissement technique et du remplacement des matériels obsolètes.

A lire aussi: Le «quiet quitting», tarte à la crème pour managers peu inspirés

La rareté des médecins devient telle que l’HAS (haute autorité de santé) demande aux sociétés savantes de valider des algorithmes décisionnels permettant, devant un symptôme, de se passer de médecins, généralistes comme spécialistes. Ainsi la SFORL a été interrogée sur un algorithme destiné aux pharmaciens d’officine concernant les maux de gorge. Le propos est de permettre aux pharmaciens de prescrire directement, des antiseptiques, des antalgiques ou des antibiotiques, sans examen physique ni prescription médicale. C’est un processus grossier, un mode de prise en charge dégradé, qui risque de laisser passer des infections ou des tumeurs en l’absence d’examen direct compétent. Une société savante ne peut se résoudre à un tel mode de traitement probabiliste et non performant. Mais la réalité du désert médical est présente partout en France. Il est à souhaiter que les pharmaciens acceptant cette responsabilité aient l’intelligence d’orienter au mieux leurs clients d’officine et que les médecins surchargés aient le discernement pour examiner les patients ayant des symptômes signifiants.

Le problème est que le process et les arbres décisionnels (dit autrement, l’intelligence artificielle et les robots) ne remplacent ni l’intelligence clinique ni des années d’études médicales. Comme on ne peut tirer sur les céréales qui ne poussent pas par manque d’eau, pour les faire grandir, on ne peut faire surgir des médecins qui n’ont pas été formés. En attendant, il faut se montrer facilitateur et réaliste pour les médecins diplômés et compétents qui veulent s’installer ; il faut en finir avec une politique de santé et une inefficiente gestion par les normes.

Dernières recherches historiques sur la rafle du Vel d’Hiv

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Drancy © Thomas Padilla/AP/SIPA

Un livre passionnant, de Laurent Joly, a été écrit à l’occasion de la préparation du documentaire de France Télévisions, réalisé par David Korn-Brzoza, et diffusé en juillet dernier, date anniversaire des 80 ans de la rafle du Vel d’Hiv.


« Sans ce projet, je n’aurais sans doute pas entrepris une recherche d’une telle ampleur » déclare Laurent Joly, jeune historien, spécialiste de Vichy et des juifs. Il avait notamment publié en 2018 L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, ouvrage qui dressait un bilan des dernières avancées de la recherche historique, sur un sujet hautement sensible en France. Il le redit dans ce volume présent : « Cette opération si monstrueuse et emblématique demeure pourtant relativement peu connue. » Sans doute parce qu’elle mettait en cause le rôle « proactif » des responsables français de l’époque, et évidemment celui de la police parisienne : « même à Berlin entre 1941 et 1943, on n’arrêta pas autant de victimes en si peu de temps », souligne Laurent Joly.

Grasset

Dès 1940, la chasse aux étrangers avait pu commencer. Les juifs furent contraints de se faire recenser, afin de demeurer dans la « légalité ». Laurent Joly nous précise ainsi que « 115 000 juifs, résidant à Paris et en banlieue, sont répertoriés dans un fichier central et quatre sous-fichiers thématiques ». Ces fichiers seront une arme redoutable le jour où la rafle des juifs sera décidée.

Laurent Joly a constitué son livre essentiellement de témoignages. Il répertorie les divers cas de figures d’arrestation des juifs, et les illustre par des exemples précis, puisés auprès des très rares victimes ayant pu s’échapper avant d’être déportées à Auschwitz, ou celles qui, par miracle, sont revenues de la déportation. Tous ces témoignages, mis les uns à la suite des autres, accentuent un sentiment dramatique qui happe le lecteur et le hante.

Les enfants aussi

Les policiers, munis de leurs fiches, se présentent très tôt, le matin de la rafle, aux logis des juifs qu’ils veulent arrêter. En général, ceux-ci sont des Polonais ou des Allemands qui ont fui leur pays dans les années trente. Certains juifs ont été prévenus, et ont pu aller se réfugier ailleurs, quand c’était possible. La plupart du temps, seuls les hommes ont pris la poudre d’escampette. Les femmes et les enfants sont restés chez eux, personne n’imaginant qu’ils puissent eux-mêmes être arrêtés. C’est pourtant ce qui arrive.

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Car, sans conteste, le plus abominable, et Laurent Joly y revient plusieurs fois, est le sort réservé aux enfants, pour la plupart Français, conséquence d’une organisation floue et approximative de la rafle par les autorités. Les enfants, en particulier, vont servir à faire nombre, pour satisfaire certains quotas exigés par l’occupant allemand (qui, pourtant, au début, ne voulait pas d’enfants). Comme l’écrit Laurent Joly à ce propos : « Même placés sous la pire des férules par l’occupant ce qui était loin d’être le cas en 1942 , jamais les autorités françaises n’auraient dû être amenées à déporter des enfants, dans de telles conditions. Aucune des possibilités qui existaient pour éviter cette tragédie n’a été saisie, Vichy et son administration s’enfermant dans leur logique criminelle. »

Laurent Joly évoque la responsabilité plus que manifeste de Laval, et aussi du jeune René Bousquet, secrétaire général de la Police. Il analyse leur cynisme de « criminels d’État »,en soulignant « leur volonté farouche, l’un comme l’autre, de s’appuyer sur l’armature de l’administration traditionnelle, dont les compétences et l’esprit d’obéissance sont ainsi dévoyés ». Les hommes de Vichy ont fait preuve d’un zèle que même les Allemands ne leur demandaient pas.

Une situation kafkaïenne

Le plus « invraisemblable » peut-être est que cette traque impitoyable va continuer après les 16 et 17 juillet, et ce, malgré la réprobation globale de l’opinion publique. La police française reste à pied d’œuvre. À tel point qu’on semble être confronté ici à une situation proprement kafkaïenne, dans cette obstination si littéralement absurde de poursuivre de pauvres gens qui n’ont rien fait.

Laurent Joly cite beaucoup de lettres clandestines de juifs arrêtés et déportés. Ainsi de Paul Zuckermann, interné à Drancy depuis août 1941, qui, dans une lettre à sa fiancée datant du 14 août 1942, a le pressentiment de la fin d’un monde : « C’est bien la fin d’une civilisation, écrit-il, qui avait pour base la liberté et l’humanité. »

Le livre de Laurent Joly met admirablement à plat cet événement central de l’Occupation en France que fut la rafle du Vel d’Hiv, cette participation de l’État français à la Shoah, et nous permet d’en réévaluer la terrible portée historique.

La Rafle du Vel d’Hiv. Paris, juillet 1942. Laurent Joly. Éd Grasset.

La Rafle du Vél d'Hiv: Paris, juillet 1942

Price: 24,00 €

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