Avec cette nouvelle politique de mobilisation en Russie, la guerre en Ukraine gagne en épaisseur stratégique. Il ne s’agit plus uniquement de l’évolution des rapports de force militaires sur le terrain, dans le Donbass ou les oblasts de Kherson et Zaporijjia. Désormais, avec les récentes déclarations de Vladimir Poutine et de son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, la lutte se déplace aussi dans l’arène politique et sociale, à l’intérieur même de la Russie. L’armée russe est en mauvaise passe: la société et l’économie russes permettront-elles à Poutine de sauver son pouvoir?
Le Kremlin, qui avait envisagé dans un premier temps une guerre menée rapidement et à peu de frais par une partie des forces armées seulement, se voit obligé de mobiliser plus de moyens. Et donc d’impliquer de plus en plus les citoyens de la Fédération de Russie, mais pas uniquement. Le président de la Fédération russe a convoqué les patrons de l’industrie de défense, pour les intégrer également dans un effort de guerre qui s’inscrit de plus en plus dans la durée et mobilise de plus en plus les moyens du pays.
De la part des dirigeants russes, il s’agit là d’un pari considérable. Rapidement, il leur faudra passer à la caisse, et payer chèrement en monnaie politique mais aussi économique, pour avoir, dans quelques mois seulement, des unités de qualité au mieux médiocre. La mobilisation risque en effet de créer et d’accentuer des tensions en Russie, d’alimenter l’opposition à la guerre d’abord, et au régime ensuite. C’est également un prélèvement important sur les forces de travail et de production du pays, qu’il faudra désormais nourrir, loger, vêtir, équiper et soigner.
Les critères de «mobilisation partielle» de Poutine déjà transgressés!
D’un point de vue technique, cette « mobilisation partielle » – notons ici que l’adjectif « partielle » est probablement l’équivalent parfait de l’adjectif « spéciale », utilisé jusqu’à présent dans « opération spéciale » par le régime – devrait probablement permettre d’atteindre le quota fixé des 300 000 personnes mobilisées. Cependant, il est peu probable qu’elle apporte de très bons soldats et des unités opérationnellement efficaces sur le front.
Les autorités russes recrutent en effet de force certains citoyens pour aller combattre en Ukraine, en flagrante violation de la promesse initiale du Kremlin de ne recruter que des personnes ayant une expérience militaire. On peut s’attendre à ce que cette campagne brutale de mobilisation exacerbe le ressentiment à l’égard d’une mesure qui aurait été impopulaire de toute façon, même si elle avait été mise en œuvre aimablement.
Depuis sa déclaration du 21 septembre, le Kremlin n’a pas attendu 24 heures pour transgresser ouvertement ses propres critères de « mobilisation partielle ». Ainsi, après avoir affirmé que la mobilisation ne concernerait que les hommes ayant une expérience militaire antérieure, et se limiterait seulement à ceux inscrits sur les listes de réservistes, le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déclaré le 22 septembre que la pratique consistant à administrer des avis de mobilisation aux manifestants détenus ne contredisait pas la loi de mobilisation datant de la veille… Un étudiant, à l’université de Bouriatie, au nord de la Mongolie, a par ailleurs diffusé des images de la police militaire et de la Rosgvardia (la garde nationale) en train de faire sortir des étudiants de leurs cours, en vue d’une mobilisation, et cela en dépit du fait que le ministre russe de la Défense ait déclaré à plusieurs reprises que les étudiants n’étaient pas mobilisés ! Faut-il en conclure que la bureaucratie russe n’est pas beaucoup plus efficace que la logistique et la gestion de l’armée en Ukraine ? Et, en conséquence, qu’il faut s’attendre à des performances – en termes d’organisation de la mobilisation – du même niveau ?
Les minorités ethniques surmobilisées
Ce cas étonnant des étudiants de Bouriatie témoigne en outre d’un phénomène plus large : le Kremlin mobilise davantage auprès des communautés ethniquement non russes, ainsi que parmi les migrants (notamment ceux issus des anciennes Républiques Soviétiques d’Asie centrale, comme l’Ouzbékistan). Selon des témoignages en provenance d’une petite ville de Bouriatie, les autorités sont parvenues à mobiliser environ 700 hommes sur une population totale de 5 500 personnes. Autre exemple, rapporté par le site de l’Institute for the Study of War, une chaîne Telegram arménienne a indiqué que dans une localité près de Krasnodar (Nord-Caucase), la liste des personnes mobilisées comprenait 90% de résidents d’origine arménienne, bien que ceux-ci ne représentent que 8,5% de la population locale.
À l’intérieur de la Russie, ces mesures prises soudainement ont évidemment surpris. La Douma a voté les lois permettant la mobilisation en quelques heures, à la veille de la déclaration de Poutine, déclaration télévisée probablement enregistrée avant le vote. On ignore si Poutine avait enregistré un autre discours, dans l’hypothèse où la Douma se serait prononcée contre la mobilisation…
Le pouvoir arrivera surement à maitriser rapidement les réactions les plus négatives et les manifestations. Mais, voici qu’un phénomène plus large et plus insidieux semble déjà se propager. Il s’agit, en quelque sorte, d’un « quiet quitting » en version russe – la fameuse « démission silencieuse ». Sous les radars, partir à l’étranger, obtenir une dispense médicale, utiliser son réseau d’amis ou familial sont autant de moyens actuellement employés pour tenter d’échapper à la mobilisation. Tout ce désordre et ces petits reniements silencieux ou dissimulés font furieusement penser à l’ancien régime soviétique. Finalement, avec le retour en force d’un cynisme, de la corruption et de l’égoïsme de l’homo sovieticus, la guerre pourrait effectivement avoir permis à Poutine de restaurer en partie l’Empire rouge…
Du Kurdistan à Téhéran, des manifestations ont éclaté en Iran, suite à la mort en détention d’une étudiante arrêtée par la police des mœurs la semaine dernière. La répression est sévère, et de nombreux manifestants ont déjà été tués. Massoumeh Raouf, Iranienne en exil, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs, analyse la situation et veut croire que le régime est aux abois.
Causeur. Que sait-on exactement des circonstances de la mort de la jeune Mahsa Amini, survenue vendredi dernier ? Qu’est-ce que la police lui reprochait ?
Mahsa Amini, une jeune fille de 22 ans originaire de Saqqez, dans la province du Kurdistan, s’était rendue à Téhéran avec son frère, et elle a été arrêtée par une patrouille du vice le mardi 13 septembre, alors qu’elle sortait de la station de métro Haqqani. La police de mœurs des Mollahs lui reprochait d’être mal voilée. Malgré les efforts de son frère pour empêcher l’arrestation, la malheureuse a été emmenée au service répressif connu sous le nom de « sécurité des mœurs ». Au site Internet IranWire, son frère a déclaré qu’alors qu’il l’attendait à l’extérieur du commissariat, il a vu une ambulance en sortir et l’emmener à l’hôpital. Il dit avoir été alors informé qu’elle avait fait une attaque cardiaque et cérébrale et qu’elle était dans le coma. « Il ne s’est déroulé que deux heures entre son arrestation et son transfert à l’hôpital, a-t-il déclaré, annonçant son intention de porter plainte. Je n’ai rien à perdre. Je ne laisserai pas les choses ainsi sans protester». Cette nouvelle s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux. La photo de Mahsa Amini dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital est devenue virale et a provoqué une vague de colère et de protestation et solidarité avec sa famille. Si bien qu’un groupe de jeunes de Téhéran s’est rapidement rassemblé devant l’hôpital. Le régime a alors tenté d’éviter la vague de protestations en reportant l’annonce officielle de la mort de Mahsa. Le vendredi 16 septembre, les autorités ont finalement annoncé la nouvelle, elle serait selon elles morte d’une crise cardiaque pendant le cours d’éducation dans les locaux de la police morale. Sa famille a rejeté cette affirmation, affirmant que Mahsa était en parfaite santé.
La version de la famille est-elle crédible ?
Des femmes qui avaient également été arrêtées et qui se trouvaient dans la même camionnette que Mahsa Amini ont déclaré qu’elle avait été battue dans la voiture ! Lorsqu’elles sont arrivées au centre de détention de Vozara, Mahsa Amini était donc déjà en mauvais état mais elle était encore consciente. Les agents du centre de détention ont cependant ignoré son état. Quand elle s’est effondrée, elle a été transférée à l’hôpital de Kasra. Les médecins et le personnel de l’hôpital de Kasra ont déclaré que Mahsa Amini ne présentait plus aucun signe de vie et était en état de mort cérébrale à son arrivée à l’hôpital. De plus, les images du scanner divulguées par l’hôpital montrent que Mahsa Amini a été frappée à la tête et a souffert d’une hémorragie cérébrale. Ces documents réfutent l’affirmation absurde du régime !
La révolte actuelle est l’expression d’un ras-le-bol total face à l’oppression, d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu. Elle surgit brusquement, comme une éruption volcanique, par effraction et sans se soucier des codes
Suite à ce meurtre, et suite aux protestations des Téhéranais contre ce crime, les forces de sécurité voulaient enterrer le corps de Mahsa, de nuit, dans sa ville natale à Saqqez. Face à la résistance de la famille, elles ont dû faire marche arrière et l’enterrer aux premières heures du matin samedi dernier. Elles voulaient empêcher la foule d’assister aux funérailles. Dès les premières heures de la matinée, samedi 17 septembre, des agents du renseignement et des forces de sécurité ont bloqué les entrées de Saqqez pour empêcher les gens de participer à la cérémonie funéraire. Mais des milliers de personnes se sont rassemblées dans le cimetière principal en scandant « à bas le dictateur ! », « ce dingue de guide est une honte », « à bas Khamenei !» ou « gouvernement d’exécution, les crimes ça suffit ». Après l’inhumation de Mahsa, les gens ont manifesté devant le gouvernorat local aux cris de « je tuerai celui qui a tué ma sœur » et « ordures, ordures ! ». Ils ont affronté les agents de sécurité et anti-émeutes, les forces répressives ont tiré sur la population et lancé des gaz lacrymogènes, et plusieurs manifestants ont été tués et blessés depuis. Depuis, les manifestations se sont propagées dans toutes les villes d’Iran. Cette colère locale a pris une dimension nationale, et est toujours en cours.
À Babol, nord de l’#Iran, des manifestants ont incendié mercredi le portrait géant du Guide suprême et véritable chef de l’État iranien, l’ayatollah Khamenei. Un geste de défiance inouï en République islamique. La colère après la mort de #MahsaAmini vise désormais le régime. pic.twitter.com/31LKJQJES2
Même si ce drame exceptionnel a abouti à la mort, ce type d’affaires entre la police des mœurs et de jeunes Iraniennes est-il courant ?
Non. Ce n’est pas de tout un cas exceptionnel ! Le meurtre brutal de Mahsa n’est ni le premier ni le dernier crime de ce régime. L’Iran compte des dizaines de millions de filles et de femmes comme Mahsa, opprimées par un régime misogyne. C’est une tragédie à laquelle les femmes iraniennes sont confrontées chaque jour. Réprimer les femmes sous le prétexte du hijab n’est en rien une nouveauté, depuis les débuts de Khomeiny et du fascisme religieux. Mais sous le mandat de Raïssi [le président de la République d’Iran depuis août 2021 NDLR], les violations des droits humains se sont considérablement aggravés. On observe dans le pays une montée de la répression des femmes dans le cadre d’un décret médiéval intitulé « chasteté et voile » qui est le symbole de la répression de tout un peuple. Je me réjouis de la réaction de la société iranienne au meurtre de Mahsa Amini, cela montre que la rage de la nation contre l’ensemble de l’establishment au pouvoir est profonde. C’est une frustration de quatre décennies qui éclate avec force. Nous n’assistons pas à un acte émotionnel temporaire, selon moi.
Le régime a selon vous couvert des agissements répréhensibles de la police. Le régime est-il inquiet ?
Le régime, dirigé par des mollahs, est un régime idéologiquement misogyne. Depuis leur arrivée au pouvoir, les mollahs ont fait des femmes leur cible privilégiée sur lesquelles est édifié tout leur système de répression. Et la police, ce sont les mercenaires du régime : ils appliquent l’ordre et les lois de cette dictature. Le peuple iranien déteste la police et les forces militaires du régime autant qu’il déteste les mollahs.
Quelle est l’ampleur des manifestations actuelles ?
C’est une énorme vague de colère et de révolte nationale qui s’étend depuis le 17 septembre. Avec plus de 8 millions de publications sur les réseaux sociaux, la photo et le nom de Mahsa Amini ont largement circulé et ont été le sujet le plus tendance des derniers jours sur Internet. Mahsa Amini a fait la une des journaux en Iran, et aussi dans le monde. Des personnalités internationales et des artistes ont exprimé leur soutien à Mahsa et à toutes les femmes iraniennes. Même les Nations Unies ont demandé une enquête sur cet assassinat arbitraire. En réaction, le fascisme religieux iranien a coupé Internet et un massacre en silence et à huis clos a commencé. En perturbant et coupant Internet et en fermant les réseaux sociaux, le pouvoir veut empêcher la propagation du soulèvement et l’envoi des informations à l’étranger. Le monde doit condamner cette censure et réclamer un accès libre à internet.
La révolte actuelle est l’expression d’un ras-le-bol total face à l’oppression, d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu. Elle surgit brusquement, comme une éruption volcanique, par effraction et sans se soucier des codes. La résistance et la combattivité des femmes et des jeunes démontrent que le peuple iranien refuse désormais de se taire et que beaucoup sont déterminés à renverser le régime cruel des mollahs. Oui, en Iran, le courage ressemble à une femme qui ne se laisse pas faire!
Du nord au sud, et d’est en ouest, des villes se révoltent. La vague de colère et de protestation s’est propagée à plus de 100 villes dans 28 des 31 provinces d’Iran. Amnesty International a déjà recensé la mort de six hommes, d’une femme et d’un enfant lors des manifestations des 19 et 20 septembre. Des clips et des vidéos des manifestations inondent les réseaux sociaux comme un déluge et ont montré des scènes étonnantes de courage.
Est-ce complètement spontané? Quels sont les groupes à la manœuvre?
C’est une véritable colère du peuple contre la tyrannie des mollahs. La révolution en Iran pourrait bien être en marche. Malgré la répression sanglante, le régime des mollahs n’arrive pas l’étouffer comme avant. Khamenei et son régime sont dans une impasse létale, et ne peuvent pas résoudre les crises croissantes à l’intérieur et l’extérieur du pays. Les étudiants protestataires de Téhéran ont déclaré dans un communiqué : « Le meurtre barbare de Mahsa Amini est le symbole de 44 ans de répression et de sauvagerie. Un jour, les assassins de Mahsa et de toutes les victimes des quatre dernières décennies, qui ont élevé leur palais d’oppression sur le flot du sang du peuple, seront livrés à la justice de la nation »… Malgré la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays. Leurs activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction des symboles de répression du régime. Le rôle de ces unités de résistance dans l’organisation et l’expansion de ce soulèvement est indéniable. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime. Les responsables du régime l’avouent d’ailleurs à demi-mot. Ils savent bien que, au-delà de Mahsa Amini, c’est le régime qui est visé. Mohammad Qalibaf, le président du parlement des mollahs, a déclaré en séance le 20 septembre: « L’ennemi a mis comme à son habitude à l’ordre du jour de créer des troubles et le chaos dans le pays. Malheureusement, certains dans le pays suivent volontairement ou non la direction voulue par l’ennemi. Mais notre cher peuple a montré son intelligence politique et n’a pas coopéré et ne coopérera pas avec les moudjahiddinesqui ont autrefois tué des milliers de gens ordinaires et qui aujourd’hui demandent des comptes pour la mort d’une personne. » Le même jour, le gouverneur de Téhéran, Mohsen Mansouri, a écrit dans la soirée, sur Twitter: « Les principaux éléments des premiers noyaux des rassemblements de ce soir à Téhéran étaient entièrement organisés, entraînés et planifiés pour créer le désordre à Téhéran. Déverser du gasoil sur la voie, lancer des pierres, attaquer la police, mettre le feu à des motos et des poubelles, détruire des biens publics, etc. Ce n’est pas l’affaire des gens ordinaires » …
Vous portez vous-même le voile. Assiste-t-on ces derniers temps à un refus généralisé de porter le voile parmi ces femmes qui manifestent (c’est ce dont certains rêvent en Occident) ?
Ceux qui mettent le feu à leur foulard sont contre l’hijab obligatoire et toutes les lois répressives contre les femmes. Elles veulent la liberté de choix. Ni hijab obligatoire, ni non-hijab obligatoire. Cette question est historique en Iran. Par exemple, pendant la dictature de Reza Chah, ne pas porter le hijab était obligatoire, ce qui a entraîné une forte réaction de la société contre la monarchie.
Je rappelle la position de la résistance iranienne pour l’avenir de l’Iran sur les femmes, qui est résumée dans le plan en 10 points de Maryam Radjavi, présidente de la Résistance iranienne : « Égalité complète des femmes et des hommes dans les droits politiques, sociaux, culturels et économiques. Participation égale des femmes à la direction politique. Abolition de toute discrimination. Droit des femmes de choisir librement leur tenue vestimentaire, leur mariage, leur divorce, leurs études et leur profession. Interdiction de toute exploitation des femmes sous n’importe quel prétexte ». C’est aussi mon point de vue.
Avec la guerre en Ukraine, l’Occident n’est-il pas en train de se détourner du Moyen-Orient, et d’oublier l’inquiétante course à la bombe de Téhéran ?
Je dois reconnaitre que la politique des pays occidentaux envers l’Iran est très décevante, malheureusement. Je ne sais pas combien de temps les pays occidentaux comptent encore faire des compromis avec pareils criminels !
Les Européens comprennent bien la guerre en Ukraine, la Russie a envahi l’Ukraine. Mais ils ne comprennent pas que les mollahs fascistes occupent l’Iran depuis plus de 40 ans. Le régime des mollahs est l’allié de la Russie et un soutien de Poutine dans la guerre en Ukraine. Les peuples d’Iran, d’Ukraine et d’Europe ont donc un ennemi commun. Maintenant que les Ukrainiens résistent, ils sont nos amis et alliés, ils comprennent bien la résistance iranienne. L’Europe et l’Occident devraient adopter une politique ferme vis-à-vis du régime iranien. Même pour l’épineux dossier nucléaire, sans une politique ferme, ils n’iront nulle part. « La Résistance iranienne met en garde la communauté internationale contre toute concession aux mollahs. Cela revient à poignarder dans le dos le peuple iranien, et à se ranger aux côtés d’un régime qui s’effondre » rappellait dernièrement Maryam Radjavi.
La dévaluation du regard et du savoir accélère l’enlaidissement du monde. Au nom du relativisme général, plus rien n’est beau et la laideur a droit de cité. Et au nom de la fonctionnalité, on peut dénaturer notre langue et nos paysages.
Causeur. Avant de parler d’enlaidissement, est-il possible de définir le laid, la laideur ? N’est-ce pas une notion absolument subjective ?
Alain Finkielkraut. Dans son livre L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, Bérénice Levet cite l’association Greenpeace : « Trouver une éolienne moche ou jolie, c’est une histoire de goût personnel et on ne se risquera pas à commenter vos goûts et vos couleurs. Elles attirent le regard car il s’agit de constructions récentes, mais bientôt nous ne les verrons plus, ce n’est qu’une question d’habitude. » Avec ces mots, tout est dit de notre renoncement, de notre capitulation. Le subjectivisme radical est la philosophie de ceux que Renaud Camus appelle « les amis du désastre ». Puisque le beau n’existe pas, la laideur a droit de cité dans le monde. Puisque l’appréciation esthétique est une affaire purement personnelle, les vandales peuvent s’en donner à cœur joie. Ainsi s’efface inexorablement l’opposition millénaire des villes et des campagnes au profit d’une banlieue sans fin. La dévaluation du regard est érigée en victoire sur les préjugés et l’on spécule sur l’habitude pour fermer doucement les yeux de l’humanité récalcitrante. Jeter sur l’enlaidissement du monde le voile de l’accoutumance : voilà l’exaltant programme que se fixe l’écologie officielle.
Parmi les différentes formes d’enlaidissement, celle du paysage est en effet l’une des plus criantes. Pourquoi défigure-t-on nos côtes et nos campagnes, nos plaines et nos montagnes ? Pourquoi laisse-t-on faire ?
Nous vivons à l’ère de la technique. Et la technique, ce ne sont pas seulement des machines et des engins, c’est, comme le dit Heidegger, la manière dont le monde se dévoile à nous. Être, c’est être maniable, manipulable, exploitable. Les beaux paysages, les belles plages, les belles vallées, les belles montagnes sont autant de richesses économiques potentielles. Le tourisme s’en saisit et la dénaturation des sites est la rançon de cette mise en valeur économique. Il faudrait retrouver, pour sauver la beauté, le sens de l’indisponible.
La technique n’a pas toujours été un obstacle à l’esthétique. Voyez les horloges anciennes, les instruments de mesure ou de recherche tels les astrolabes… ce sont des outils scientifiques beaux à regarder.
La technique n’a pas toujours été arraisonnement, un commanditement du monde. Elle l’est devenue. Ce mode d’être de la technique, c’est le lot des modernes que nous sommes. Les exemples que vous citez relèvent de l’artisanat. Nous sommes entrés dans un tout autre monde.
L’enlaidissement est-il en phase avec la déculturation grandissante de notre société ?
Les écrivains, les poètes, les philosophes ou les romanciers nous apprennent à voir. Quand ils s’éclipsent, quand ils ne sont plus enseignés, quand l’enseignement devient l’enseignement de l’ignorance, le regard s’éteint et il n’y a plus d’obstacle aux avancées de la laideur.
Peut-on aussi parler d’enlaidissement de la langue ?
À l’âge de la technique, la langue n’est plus la maison de l’être, c’est un moyen de communication. Elle n’a plus d’existence que fonctionnelle. On cesse de la servir, on s’en sert. Résultat : rabougrissement du vocabulaire, effondrement de la syntaxe, invasion du globish ratifié par les dictionnaires. Il faudrait de toute urgence, à côté de l’écologie de la terre, une écologie de la langue.
Imposer la laideur, est-ce l’apanage des néo-démocraties ?
« Le monde est plein de vertus chrétiennes devenues folles », disait Chesterton. Il faudrait maintenant compléter cette formule, car les vertus chrétiennes ont fait leur temps, c’est au tour des grandes idées démocratiques de devenir folles. La liberté d’expression illimitée qui règne sur les réseaux sociaux se traduit par un déferlement de hargne et de haine. Sous les pavés la plage, disait-on en 1968 et dans les années qui ont suivi. On comptait sur la levée des inhibitions, des tabous et des conventions pour réconcilier les hommes entre eux. Il faut en rabattre, l’idylle n’est pas au rendez-vous : sous les pavés la rage. La fraternité est devenue un principe constitutionnel interdisant au législateur de sanctionner, dès lors qu’elle est désintéressée, l’aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière. Enfin, c’est au nom de l’égalité que s’impose comme philosophie dominante, jusque dans l’école, le relativisme culturel. Tout est égal parce que nous sommes tous égaux. Ainsi ne sait-on plus penser l’admiration comme un accès à la grandeur.
Vous dites « philosophie dominante », ne peut-on pas dire philosophie dictatoriale ?
Pas tout à fait puisque nous sommes encore là. Il existe des pôles de résistance. L’insoumission reste possible. Nous ne vivons pas sous un régime totalitaire.
Peut-on faire un lien avec l’hyper-individualisme de notre époque (le fameux « Venez comme vous êtes » de McDo) ?Il y a un lien, en effet, entre l’amour des formes belles et le souci de l’élégance. Mais aujourd’hui, à Venise ou à Vienne, à Florence ou à Paris, on vient comme on est, en short ou en pantacourt. La magnificence des lieux ne fait plus rougir les avachis. Même quand elle garde son attrait, la beauté a perdu sa force communicative. Sur les pavés, la plage.
N’est-ce pas le révélateur d’un changement de civilisation ? Depuis plusieurs millénaires, notre civilisation gréco-romaine a établi puis entretenu les canons de la beauté (les proportions), qui volent aujourd’hui en éclats, qui ne sont plus la norme.
La technique la plus sophistiquée allant de pair aujourd’hui avec l’ensauvagement des mœurs, je parlerais davantage de décivilisation que de changement de civilisation. L’oreille collée à son téléphone portable ou les yeux rivés sur celui-ci, on ne voit plus l’autre, on ne voit plus rien. Le regard s’efface et avec lui l’amor mundi. Si j’étais président de la République, j’interdirais l’usage des portables dans la rue ou dans les transports. Et si j’étais Pap Ndiaye, je mettrais l’éducation du regard au cœur de l’École. J’aurais contre moi les intellectuels qui ne s’en laissent pas conter, qui font les malins et qui disent avec Gérard Genette que « le sujet esthétique juge l’objet beau parce qu’il l’aime et croit l’aimer parce qu’il est beau [1] », mais j’aurais avec moi toutes les œuvres d’art qui, comme l’écrit Benjamin Olivennes, « offrent à la fois un plaisir des sens et un plaisir de la pensée. La beauté comme connaissance, voilà notre héritage [2]. »
Le garde des Sceaux confond légalité et légitimité, dénonce Philippe Bilger
Dans les entretiens du garde des Sceaux, une fois la phase de stupéfaction dépassée, il y a toujours une idée, une réponse qui font réfléchir.
Stupéfaction en effet d’abord, quand on constate que le ministre, dans ses orientations et sa politique pénales, se trouve aux antipodes de ce que l’avocat défendait. Ce n’est pas interdit mais cela autorise qu’on s’interroge sur la conviction dans l’action au regard de ce contraste absolu. Où est le bon, le vrai, le sincère Eric Dupond-Moretti ?
Ou faut-il considérer que son inconditionnalité à l’égard du président de la République lui a permis des synthèses miraculeuses ?
Le journaliste Timothée Boutry, dans son dialogue avec le garde des Sceaux dans le Parisien, formule une dernière interrogation (sur son attitude au cas où il serait renvoyé devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts) à laquelle il va répliquer de la manière suivante : « J’ai exercé mon droit au silence durant l’instruction en attendant un renvoi quasi-assuré devant la formation de jugement pour y défendre les droits comme tout justiciable. Pour le reste, j’ai toujours dit que je tirais ma légitimité du président de la République et de la Première ministre et de personne d’autre. Cette mise en examen ne m’a jamais empêché de travailler ».
Légalité et légitimité
Chaque fois qu’on met en doute son aptitude à exercer la charge qui lui a été confiée – de manière provocatrice et renouvelée -, Eric Dupond-Moretti ressasse le fait qu’il n’aurait de comptes à rendre qu’au président et à la Première ministre. Il y a dans ce permanent rappel l’expression d’une déférence qui ne peut pas lui nuire : dans le monde de la macronie, il est bien porté de rendre hommage à ces deux personnalités, même si cette flagornerie institutionnelle ne démontre rien.
Parce qu’elle fait une confusion entre légalité et légitimité. La première notion se rapporte au processus qui l’a nommé et, aussi étranges qu’aient été son choix puis son renouvellement, il est irréprochable sur le plan constitutionnel. Le président avait toute latitude pour enjoindre au Premier ministre Jean Castex de prendre dans son gouvernement Éric Dupond-Moretti au mois de juillet 2020 puis d’inviter Elisabeth Borne à le maintenir au mois de mai 2022.
Mais la légitimité renvoie à des exigences infiniment plus complexes qui ne sauraient se satisfaire de la validité apparente des mécanismes de nomination. Elle exige une adhésion, une confiance, une fiabilité, la réussite à des tests en quelque sorte quotidiens. Elle ne dépend plus du président sauf à considérer – et c’est malheureusement le cas – que ce dernier demeure insensible à tout ce qui devrait battre en brèche non pas la légalité de ses choix successifs mais leur pertinence. La légitimité est, contrairement à la légalité tournée vers l’intérieur, consacrée par l’extérieur, par le peuple, par l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs orientations partisanes. C’est la réalité qui doit faire la preuve ou non de la légitimité, et non pas le bon plaisir du président et de la Première ministre. Si on admet que la légitimité n’est pas séparable de données objectives, concrètes et vérifiables, on est contraint d’admettre que cette grâce a été refusée au ministre de la Justice.
Un garde des Sceaux qualifié de « ministre des détenus » par ses adversaires
J’accepte de ne pas retenir à sa charge le fait qu’il a été désigné pour administrer un corps judiciaire qu’avocat il a toujours dénigré, ce qui est pour le moins infiniment paradoxal. Cette aberration est imputable directement au couple présidentiel.
Je mesure ce qu’a eu d’insupportable sa première visite aux condamnés qui l’ont acclamé quand tant de victimes auraient souhaité un geste symbolique de respect et de dignité. On aurait pu espérer une prise de conscience par la suite. Je ne suis pas non plus sans savoir que c’est grâce à un nouveau directeur de cabinet qu’un climat apparent de normalité a été instauré, au moins avec deux organisations syndicales de magistrats. Contre la défiance absolue du premier mandat.
Je n’ose pas supposer que l’hystérie parlementaire anti-RN d’Éric Dupond-Moretti (préférant insulter Julien Odoul, par exemple, plutôt que lui répondre), de même que son obsession épuisante d’avant le pluralisme à l’Assemblée nationale au point de laisser croire qu’il n’avait été mis en place que pour cette foudre haineuse et répétitive, aient pu à elles seules engendrer une quelconque légitimité.
Les enquêtes d’opinion confirment que ce ministre est perçu à son exacte valeur, donc très faible, probablement parce que malgré ses efforts et son souci de s’abriter sous un pouvoir complaisant à son égard il n’est pas parvenu à tromper la majorité des citoyens. Ceux-ci ont compris qu’un exceptionnel avocat dans les cours d’assises avec une philosophie de mansuétude obligatoire n’était pas plausible dans un nouveau rôle nécessitant une rigueur et un humanisme lucide. Pour l’avocat, l’insécurité n’était qu’un sentiment mais malheureusement le ministre a continué à penser cette absurdité.
Faut-il rappeler aussi le fiasco électoral dans les Hauts-de-France qui a révélé son peu de crédit dans l’exercice démocratique et populaire ? Convient-il de souligner qu’il a fallu confier aux Premiers ministres le soin de gérer les affaires sensibles qui auraient mis le garde d’aujourd’hui mal à l’aise face à l’avocat d’hier ? Ce qui manifeste l’entêtement d’autorités qui, malgré cette limitation pratique de son champ d’action, l’ont conservé dans sa fonction. Est-il même besoin de mettre en évidence les probables déconfitures disciplinaires qu’il va subir à cause de sa posture trouble se servant du ministre pour faire payer les haines de l’avocat et de l’indécence de cette juxtaposition de la Cour de justice avec l’honneur formel d’être garde des Sceaux ? Apparemment le président et la Première ministre n’ont pas l’odorat républicain assez développé pour comprendre cette anomalie et y mettre fin.
Alors où est-elle cette légitimité dont Éric Dupond-Moretti se pare par contagion ? Des Etats généraux de la Justice organisés sur le tard et dont il a été contraint de ne pas se mêler pour qu’ils ne soient pas totalement vains ? De ses attitudes scandaleuses face à la Commission d’instruction de la Cour de Justice de la République qui ont donné un très mauvais exemple au justiciable de base, au citoyen ordinaire et de ses attaques contre le Procureur général près la Cour de cassation François Molins ? Manque de chance, celui-ci est respecté, et à juste titre. De sa récente circulaire qu’une volonté répressive anime mais dont l’application se heurtera à des « petites contradictions » ?
Toute la légalité, alors, qu’on voudra pour Éric Dupond-Moretti ministre mais pas l’ombre d’une légitimité. Au contraire la faiblesse d’un pouvoir exprimant sa seule force dans des décrets personnels injustifiables. On peut regretter que le principal intéressé ait l’échine trop souple, contre toutes les impressions suscitées hier par l’avocat tonitruant et emblématique pour certains de ses confrères, pour tirer lui-même les conséquences de son absence de légitimité.
Souiller l’histoire, souiller la mémoire, souiller le paysage – qu’importe, puisque tel est le diktat de l’écologie radicale ? Les éoliennes ne servent presque à rien, sauf à flatter l’idéologie verte en implantant de plus en plus de ces immenses dagues dans le corps de la France.
Si les éoliennes avaient existé dans le monde soviétique, elles auraient nourri l’inspiration des chantres réaliste-socialistes au même titre que les grues, les camions et les hauts fourneaux – symboles du triomphe des plans quinquennaux.
C’est à cela qu’on pense immanquablement en regardant la mer depuis la plage de débarquement d’Arromanches et en imaginant les soixante moulins à vent qui s’élèveront bientôt non loin de là, au large de Courseulles. Les centaines de milliers de visiteurs qui viennent chaque année se recueillir en ce lieu de mémoire les admireront par-dessus les pontons – monuments historiques – qui ont servi, en juin 1944, à former le port artificiel où les navires de guerre sont venus accoster pour chasser l’occupant.
Les millions de tonnes de béton coulé dans la mer pour agripper les énormes mâts, non seulement enverront au chômage les marins-pêcheurs de la région, mais changeront le trajet des courants marins, qui, à leur tour, finiront par modifier la configuration du littoral. On nous expliquera, bien entendu, que c’est le réchauffement climatique, croque-mitaine des temps modernes, qui en est responsable.
C’est aussi au stakhanovisme industrialo-culturel d’autrefois qu’on pense en regardant ces champs encore paisibles d’entre Bayeux et la mer, où d’autres éoliennes vont être érigées malgré les protestations des communes alentour. Elles seront à quelques centaines mètres du Cimetière militaire britannique de Bazenville, troublant de la manière la plus impie le sommeil des soldats morts pour la liberté de la France. Et elles seront au centre d’une ceinture de monuments, accompagnant dans le paysage, de la manière la plus incongrue, des clochers d’églises classées monuments historiques, des tours de châteaux, des murs de fermes fortifiées vieilles de plusieurs siècles.
Elles seront, surtout, inutiles dans une région qui produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme – hideux rappels infligés à tous et en permanence de la victoire d’une idéologie : l’écologie radicale.
Lorsqu’elle était ministre de la Transition écologique, Madame Élisabeth Borne s’insurgeait contre le « développement anarchique de l’éolien » (19 février 2020). « On a malheureusement, ajoutait-elle, laissé des implantations de parcs éoliens […] en co-visibilité avec des monuments historiques. Je ne comprends même pas comment on a pu arriver à ces situations. » On a laissé et on continue, hélas !, à laisser, puisqu’aussi bien le président que Madame Borne elle-même demandent une rapide et substantielle multiplication des parcs éoliens. En dépit d’une opposition grandissante des habitants des zones sur lesquelles s’abat la malédiction.
Mais, en fin de compte, une chose demeure incompréhensible dans ces histoires de construction d’éoliennes. Il s’agit de la terre. Certes, l’agriculteur qui, pour un peu d’argent, accepte de pervertir la terre qui, souvent, a été dans sa famille pendant des générations, en est le propriétaire et peut en faire ce qu’il veut – entre autres, la laisser mourir à l’ombre de ces géants d’acier. Mais l’horizon ne lui appartient pas. Il n’a pas le droit de le corrompre selon son bon vouloir, même si cela devait lui assurer une rente annuelle. (D’ailleurs, les autorités qui l’encouragent à accepter les éoliennes sur ses terres, lui interdiraient formellement de construire au même endroit un immeuble de 50 étages qui ferait, éventuellement, sa fortune.) Non, cet homme qui dévoie sa terre et qui laisse à sa descendance un héritage empoisonné – car il faudra un jour payer le prix exorbitant du démantèlement des mâts, que les sociétés qui les installent n’assument pas –, cet homme n’est pas propriétaire de l’horizon et il n’a moralement pas le droit d’imposer à ses concitoyens un paysage ainsi défiguré.
Et puis, il y a un détail particulièrement croustillant dans ces affaires. Certains habitants dans le voisinage des parcs éoliens se sont vu proposer par les sociétés qui les installent des dédommagements. N’est-ce pas là un aveu explicite, éclatant, que la proximité de ces choses constitue un dommage ? Et, donc, n’est-ce pas pure absurdité, voire malveillance, de continuer dans cette voie qui ne mène à rien ?
À la ville comme à la campagne, fêtons le 23 septembre comme la saison des promesses et des nostalgies brumeuses.
Nous en avons terminé. Il était temps. Nous entrons dans l’ère des pluies fines et des imperméables à doublure tartan, dans la saison des prix littéraires et des abats, des nappes à carreaux et des pébroques récalcitrants qui s’arc-boutent au vent mauvais, des mains gantées et de la buée qui vient délicatement se poser sur les lunettes de nos compagnes. Nous les regardons avec plus d’acuité, nous n’avions pas remarqué sous le soleil dardant d’août cette lueur canaille dans leur regard. Colette avait raison d’affirmer que l’été est la saison la moins intéressante, à la campagne, précisait-elle.
En ville, aussi, les chaleurs annihilent les espaces de fuite, ferment toutes les issues possibles. Le soleil cerne nos visages, freine nos pas, fatigue nos corps alors qu’une froidure automnale ouvre des perspectives nouvelles, nous rend plus sensibles à l’inattendu et que notre esprit se remet en ordre de marche. Il est faux de dire que le printemps annonce une forme de renouveau, c’est en automne que tout se joue, les carrières, les promotions, les chutes, les emballements amoureux et les doux abandons. Un peu de patience, et nous entreverrons les gelées matinales qui donnent à la France, cette hermine de reine déchue et cette permanence poétique qui est bien notre dernier atout dans la mondialisation. Acceptons enfin notre sort de vieille nation fatiguée et splendide, vernissée et craquante, pluvieuse et rêveuse. L’été qui charrie son lot de touristes, d’espadrilles et de bermudas est enfin derrière nous. Nous en sommes débarrassés. Comme nous avons souffert, cette année encore, par tant de relâchements vestimentaires et moraux.
Le besoin de confort n’explique pas tout dans nos comportements erratiques. Le délitement s’était inséré en nous, c’est un mouvement difficile à stopper, il emporte tout avec lui, nos engagements et nos certitudes. Alors que l’automne oblige, contraint, recadre, impose des codes plus stricts et appelle à un peu de discipline dans nos habits comme dans nos comportements. Nous retrouvons un semblant de dignité dans une météo moins clémente, une relation plus équitable avec ses pudeurs et ses tâtonnements. Nous ne sommes plus sous le feu des projecteurs. La fausse promiscuité estivale disparaît au profit d’une courtoisie de bon aloi, les éclats de voix balnéaires sont tamisés par des nuits plus fraîches, une autre vérité se révèle dans nos rapports aux autres. Dans les derniers jours de septembre, les brasseries enfilent déjà leur loden de laine, on ressert des ballons de sauvignon au comptoir et la cochonaille, notre excellence française, se picore à la volée, avec plus de gourmandise. Le gras n’est plus banni, le froid donne faim. Nous avons même des pulsions soudaines de cornichons fortement vinaigrés et de céleri rémoulade, de poêlée de giroles et de gibier sauvage. La perspective d’une frisée aux lardons et de son œuf poché, dans une station normande, nous ferait presque oublier l’immobilité circulatoire parisienne et l’autoroute A13 au ralenti, le dimanche soir.
L’automne ravive nos envies. Les messieurs s’habillent avec plus de pondération, le velours sort des penderies, les souliers se font plus patinés, et les dames séduisent par des drapés plus lourds qui paradoxalement dévoilent des vertus érotiques. L’automne, on se fait beau. Comme dans la nouvelle du recueil Quat’saisons d’Antoine Blondin où nous partageons l’anxiété d’un « futur » lauréat : « La veille, son éditeur lui avait donné de l’argent pour aller chez le coiffeur. À ce signe infaillible, un écrivain, sous toutes les latitudes, reconnaîtra qu’un prix littéraire ne va pas tomber loin ». L’automne, ce sont aussi les fragrances d’enfance et les tristesses provinciales comme l’écrivait Jean-Claude Pirotte dans Un voyage en automne : « J’ai consumé mon enfance au fond d’une province du Nord, en lisant Dickens et Sans famille. Tu sais cela. Il me semble que c’était tous les jours l’automne, et qu’il pleuvait. Et que j’étais orphelin ; ce doit être un sentiment bien commun ». De tous les poètes, c’est l’Italien Vincenzo Cardarelli qui, en 1920, dans Voyages dans le temps donne la définition la plus éclairante de ce sentiment contrasté : « Maintenant, plus d’immobilité possible ; l’air nous entoure de vertiges. Impossible aussi, néanmoins de sortir lors des moments les plus divins. Dans la nature, de façon voilée, quelque chose s’élabore qui a besoin de n’être point vu, de demeurer seul. Et, à son tour notre volonté d’être se replie, émigre ».
Quat’saisons d’Antoine Blondin – Prix Goncourt de la Nouvelle 1975 – La petite vermillon
À Paris, une professeur de lycée a été menacée de mort la semaine dernière, parce qu’elle avait demandé à une élève d’enlever son voile. Après avoir été placé en garde à vue, le frère de l’élève musulmane menaçant est ressorti libre !
Les faits se sont produits vendredi 16 septembre, pendant une sortie scolaire d’élèves de première du Lycée Simone Weil, dans le quartier du Marais, dans le 3e arrondissement de Paris.
La classe se rendait à la Bibliothèque historique de la Ville. Une jeune fille arrive voilée pour la sortie, et, quand l’enseignante lui demande, conformément à la loi, de retirer son voile, elle commence par mettre sa capuche, puis s’énerve et appelle sa mère. Son frère prend alors l’appareil et il menace la prof : « Je vais venir te défoncer, tu vas voir ce qu’il va t’arriver, j’arrive », aurait-il notamment dit. Et il débarque effectivement au lycée, puis retrouve les élèves dans le quartier près du musée. Interpelé par la police, il aurait déclaré: « Si quelqu’un touche au voile de ma sœur je le tue ».
L’individu est sorti libre de sa garde à vue dimanche, et sera jugé à la fin de l’année pour « outrage et menaces sur une personne chargée d’une mission de service public ». Comme ça, il aura le temps de terroriser d’autres enseignants d’ici là.
Islamisme et antisémitisme à l’école : "Il ne faut pas généraliser ces phénomènes", assure le ministre de l’éducation Pap Ndiaye https://t.co/bD8mSJqLCI
Cet incident peu glorieux intervient une semaine seulement après le drame de l’enseignante poignardée à Caen. Un rassemblement de soutien a eu lieu dans la ville, lundi. Professeur devient un métier à risque. On ne sait pas grand-chose de cette affaire normande. Les motivations ou frustrations de l’élève au couteau sont encore inconnues, mais ce drame a une nouvelle fois démontré la désacralisation de la personne du professeur.
Inquiétudes sur la laïcité au ministère
Cependant, même s’il s’est terminé moins gravement, l’incident de Paris est peut-être plus inquiétant encore, du moins plus significatif. Certes, le passage à l’acte a été évité. Mais le Ministère de l’Education vient d’écrire à toutes les académies pour signaler une recrudescence des remises en cause de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école, remises en cause fortement relayées sur les réseaux sociaux. Des militants islamistes, des « Frères », tentent de mettre dans la tête des jeunes musulmans l’idée qu’ils sont victimes de racisme, que l’école est islamophobe, et que donc tout est permis. Un incident comparable a abouti à l’assassinat de Samuel Paty. Et depuis, plusieurs professeurs ont été exfiltrés de leurs établissements tandis que les parents qui menacent ne sont pas toujours sanctionnés.
Tout cela est révélateur de notre impuissance collective. Quand les femmes iraniennes risquent leur vie pour enlever le hidjab, cet étendard de l’islam politique, il se trouve toujours chez nous des politiques, des intellectuels, des féministes en peau de lapin et même le président de la République pour le défendre, ou nous expliquer que le voile islamique c’est comme le fichu de nos grands-mères… Souvenons-nous de l’air enamouré d’Emmanuel Macron devant la « féministe voilée » de Strasbourg juste avant l’élection présidentielle.
Dans l’affaire du lycée Simone Weil, une responsable d’une association de parents d’élèves a tenu à expliquer que l’école devait rester un lieu de tolérance, de bienveillance et de dialogue… Mais bien sûr : tendons la joue gauche ! Et attendons, dans la tolérance, qu’un autre professeur soit assassiné.
Le programme immigrationniste de Jean-Luc Mélenchon reprend les recommandations faites par Terra Nova en 2011. Et si LFI flatte l’islam, c’est qu’elle est la principale religion des immigrés. Ce pari, gagnant dans les urnes, est une bombe pour la France de demain.
Le 10 mai 2011, la fondation Terra Nova publiait une note vouée à connaître un destin retentissant. Intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 [1]? », celle-ci prenait acte de la désaffection grandissante de l’électorat ouvrier classique à l’égard du Parti socialiste et de ses alliés. Elle recommandait à ses dirigeants de travailler à la construction d’une « nouvelle coalition » à vocation majoritaire, baptisée « la France de demain », devant rassembler à la fois les « diplômés », les « jeunes », les urbains… mais aussi « les minorités et les quartiers populaires » – autrement dit les électeurs issus de l’immigration récente.
Cette stratégie n’était pas fondée sur une vue de l’esprit. Le sociologue Vincent Tiberj y affirmait : « L’auto-positionnement des individus révèle un alignement très fort des Français immigrés et de leurs enfants sur la gauche. Le rapport de forces gauche/droite y est extrême, de l’ordre de 80-20, voire 90-10 %. Il se vérifie quelle que soit l’origine nationale, mais il est le plus massif pour les Français d’origine africaine (tant subsaharienne que maghrébine) et se renforce nettement pour la seconde génération par rapport à la première (de l’ordre de 10 points). »
Une telle surreprésentation constitue une opportunité toujours plus évidente pour la gauche, à la fois du fait de l’accélération des flux migratoires depuis la seconde moitié des années 1990 – documentée notamment par Michèle Tribalat – et de la plus forte natalité des populations issues de l’immigration. Entre 1998 et 2018, le nombre de naissances d’enfants dont au moins un des parents est étranger a augmenté de 63,6 %, celui des naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43 %, tandis que les naissances issues de deux parents français diminuaient de 13,7 %[2]. Notons que la France est loin d’être le seul pays concerné par de tels constats. En effet, le vote à gauche de « minorités ethniques » au poids démographique grandissant semble être devenu une constante en Occident. Ainsi, au Royaume-Uni, lors de la dernière élection générale de 2019, l’Institut Ipsos MORI [3] a établi que 64% des électeurs identifiés comme « Black and Minority Ethnic » avaient voté pour le Parti travailliste de Jeremy Corbyn, soit l’exact double de son score global (32 %) ; seuls 20 % d’entre eux avaient choisi le Parti conservateur, soit moitié moins que son résultat national de 43,6 % qui lui a permis de remporter largement le scrutin.
Bien entendu, ce soutien structurel n’est pas « gratuit » ou irrationnel, mais découle de propositions politiques favorables à la poursuite et à l’intensification de l’immigration dans ces pays, ainsi que d’une approche accommodante des enjeux soulevés par la gestion des différences culturelles et religieuses résultant de la sédentarisation des populations immigrées sur le sol des nations occidentales.Dans le contexte français, ce positionnement était assumé sans faux-semblant par Terra Nova, qui résumait ainsi sa « stratégie centrale » : « Pour faire le plein, la gauche doit faire campagne sur ses valeurs socioéconomiques, mais surtout sur la promotion des valeurs culturelles qui rassemblent toutes les composantes de son nouvel électorat. Elle doit dès lors mettre l’accent sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation et avoir un discours d’ouverture sur les différences, et sur une identité nationale intégratrice. » Les naturalisations font même explicitement partie du calcul électoral : « Ce sont entre 500 000 et 750 000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel », écrivait la fondation, toujours dans la note de 2011. Ajoutons que près de 4 millions de personnes ont acquis la nationalité française entre 1982 et 2019 [4].
Une décennie plus tard, l’élection présidentielle du printemps 2022 semble avoir consacré la pertinence objective de cette combinaison. Non plus au bénéfice du PS et de la social-démocratie, mais du candidat Jean-Luc Mélenchon et de son « Union populaire », qui se sont positionnés de manière offensive sur ces thèmes.
Outre les coups d’éclat médiatiques, tels que la présence du mouvement à la controversée « Marche contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019, cette priorité stratégique se retrouvait dans des propositions programmatiques précises sur l’immigration. Citons entre autres : « Régulariser tous les travailleurs et travailleuses sans-papiers [et] les étudiant·es et parents sans-papiers d’enfants scolarisé·es. […] Régulariser automatiquement tout conjoint·e marié·e ou pacsé·e au titre du regroupement familial. […] Dépénaliser le séjour irrégulier et abolir le placement en centres de rétention administrative des enfants et de leurs parents. […] Faciliter l’accès à la nationalité française pour les personnes étrangères [5]. »
Si l’interdiction des statistiques ethniques par la jurisprudence du Conseil constitutionnel [6] limite notre compréhension des résultats de cette stratégie, un faisceau d’indicateurs nous permet néanmoins d’affirmer sa réussite. Concentrons-nous sur deux d’entre eux : 1) le vote des électeurs de confession musulmane – marqueur notable de l’immigration depuis les années 1970 –, tel que suivi par les instituts de sondage ; 2) la confrontation entre les cartes du vote Mélenchon et celles des 0-18 ans d’origine extra-européenne, établies sur la base des données Insee/France Stratégie.
Le vote des électeurs musulmans se porte largement sur Jean-Luc Mélenchon (69 %)
Si l’immigration extra-européenne reçue en France depuis plusieurs décennies n’est pas exclusivement musulmane, il n’en demeure pas moins que « l’islam est, en France, une nouveauté liée à l’histoire migratoire récente », comme le formule Michèle Tribalat [7]. D’après l’enquête Trajectoires & Origines conduite par l’Insee et l’Ined, 94 % des musulmans déclarés âgés de 18 à 50 ans étaient immigrés ou enfants d’immigrés en 2008. Sur les 6 % restants, environ la moitié étaient nés de parents musulmans, probablement des petits-enfants d’immigrés. L’islam constituait par ailleurs la principale religion déclarée par les immigrés et les enfants de deux parents immigrés [8]. Il est donc pertinent de s’intéresser au « vote musulman » pour mesurer l’impact de l’immigration sur les résultats du scrutin.
Le score de Jean-Luc Mélenchon auprès de ce segment religieux est peut-être la donnée la plus marquante de l’élection. Selon le sondage réalisé par l’IFOP [9] en sortie d’urnes, 69 % des votants de confession musulmane ont glissé un bulletin à son nom au premier tour de l’élection présidentielle. Ce score est d’autant plus impressionnant qu’il n’était que de 37 % en 2017.
Notons aussi que les musulmans n’ont pas été plus abstentionnistes que la moyenne : 23 % d’abstention au premier tour, contre 25,1 % sur l’ensemble des inscrits. Au second tour et toujours selon l’IFOP, 85 % des suffrages musulmans se sont portés sur Emmanuel Macron, contre 92 % en 2017 [10].
Au sein d’une même aire urbaine, plus la part de mineurs nés d’immigrés extra-européens est élevée, plus le score de Jean-Luc Mélenchon est fort.
Au-delà des enquêtes sondagières, nous pouvons mobiliser les statistiques publiques relatives au pourcentage d’immigrés dans la population de chaque département, en comparant cela aux résultats électoraux dans ces mêmes aires territoriales.
L’exemple le plus frappant est évidemment la Seine-Saint-Denis, département emblématique de la question migratoire, car 30,7 % de sa population est officiellement « immigrée » au sens strict (née étrangère à l’étranger) d’après le recensement de l’Insee [11]. Or, Jean-Luc Mélenchon y recueille 49 % des voix au premier tour – son record en métropole.
La tendance de vote est similaire dans la plupart des départements d’Île-de-France, où l’immigration est la plus élevée de tout le pays (hors outre-mer), selon les mêmes données Insee : Mélenchon arrive en tête dans le Val-de-Marne, le Val-d’Oise et l’Essonne, et deuxième derrière Emmanuel Macron à Paris, dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines.
Carte 1 : Pourcentage d’enfants d’immigrés extra-européens par commune en 2017
Source : France Stratégie, « La stratégie résidentielle en France » (francestrategie.shinyapps.io)
Nous pouvons analyser cette corrélation plus précisément en observant les résultats au niveau des communes. En effet, grâce aux données Insee/France Stratégie, que nous avions longuement analysées dans un article publié par Causeur en août 2021[12], nous disposons d’informations sur l’immigration dans les 55 plus grandes agglomérations du pays, et notamment sur la part des enfants immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne parmi les 0-18 ans en 2017. Cette donnée peut être comprise comme un indicateur du poids démographique de l’immigration extra-européenne dans ces territoires et mise en relation avec les résultats à l’élection présidentielle.
Dans le département de Seine-Saint-Denis, une concordance frappante semble apparaître : plus la proportion de mineurs nés d’immigrés extra-européens est élevée, plus le score de Mélenchon au premier tour est fort. Prenons les deux communes « extrêmes » du département au regard de la présence extra-européenne, ainsi qu’une commune intermédiaire :
• A Gournay-sur-Marne, où seulement 18% des 0-18 ans étaient nés de parents immigrés extra-européens en 2017 (proportion la plus basse du département ), le score de Mélenchon n’est que de 20% – soit un résultat proche de sa moyenne nationale.
• A Rosey-sous-Bois, commune « intermédiaire » où la part d’enfants d’immigrés extra-européens parmis les 0-18 ans, était de 46% en 2017, Jean-Luc Mélenchon reçoit 39% des voix en 2022.
• A La Courneuve, où cette part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe atteignait 75% (record du département) en 2017, Jean-Luc Mélenchon obtient en 2022 le score considérable de 64% des suffrages exprimés au premier tour. Cette symétrie est particulièrement frappante lorsque l’on analyse côte à côte les cartes 1 et 2.
Nous pouvons même aller plus loin et calculer la corrélation mathématique exacte pour les communes de Seine-Saint-Denis : la première variable étant la part d’enfants immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne parmi les 0-18 ans en 2017 et la seconde variable étant les scores de Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle en 2022. On découvre ainsi une corrélation très élevée, à 91,6 %, restituée dans le graphique 1.
Carte 2 : Pourcentage de suffrages exprimés pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022
Source : » Présidentielle 2022 : raz-de-marée de Mélenchon en Seine-Saint-Denis « , Citoyens.com, 14 avril 2022 – Résultats ministère de l’intérieur.
Graphique 1 : Score de Jean-Luc Mélenchon selon la part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe, dans les communes de Saint-Denis
Calculs et graphique : OID.
Carte 3 : Pourcentage d’enfants d’immigrés extra-européens par commune en 2017 à Marseille
Source : France Stratégie, » La ségrégation résidentielle en France « , ibid.
Graphique 2 : Score de Jean-Luc Mélenchon selon la part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe, dans les arrondissements de Marseille
Calculs et graphique : OID
Carte 4 : Pourcentage de suffrages exprimés pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022, par arrondissement à Marseille
Source : Résultat des élections présidentielles dans les arrondissements de Marseille, ministère de l’Intérieur et des Outre-mer.
On retrouve ces mêmes observations à Marseille, ville où Jean-Luc Mélenchon a obtenu en moyenne 31,2 % des suffrages exprimés. Comparons trois arrondissements-témoins : celui où la présence extra-européenne est la plus forte, la moins forte et un arrondissement intermédiaire.
• Le 7e arrondissement de Marseille est celui dans lequel le pourcentage de mineurs d’ascendance extra-européenne directe était le plus bas de la ville en 2017, à 21 % ; le score de Mélenchon y est de 22 % en 2022, égal à la moyenne nationale.
• Le 13e arrondissement connaît une situation d’entre-deux, où 34 % des 0-18 ans avaient des parents immigrés extra-européens en 2017 ; Mélenchon y recueille un peu plus de 30% des voix.
• Le 3e arrondissement est celui où la part d’enfants d’immigrés extra-européens parmi les 0-18 ans était la plus élevée à Marseille en 2017, à 63 %. C’est aussi là que Jean-Luc Mélenchon réalise son meilleur score dans la ville, avec plus de 58 % des voix.
Si les cartes paraissent parler d’elles-mêmes, il est aussi intéressant de calculer la corrélation exacte pour l’ensemble des arrondissements de Marseille. On obtient une nouvelle corrélation très nette, chiffrée à 88,9 %.
Conclusion
Tous ces constats dressent le portrait d’une élection où le facteur migratoire a joué un rôle déterminant. La « stratégie centrale » de Terra Nova a été pleinement déployée par le candidat Mélenchon, qui ne l’a certes pas revendiquée (car associée par son origine au « social-libéralisme »), mais en a récolté les dividendes. Celle-ci s’appuie sur la dynamique démographique des populations issues de l’immigration, laquelle ne devrait cesser de s’amplifier « naturellement » sans mise en œuvre d’une volonté politique contraire.
Il est cependant permis de s’interroger sur les limites d’un tel positionnement tactique à moyen terme – en particulier sur les contradictions inhérentes à la « France de demain » telle qu’elle est théorisée par le think-tank progressiste. L’IFOP révélait en 2019 [13] que 63 % des personnes de confession musulmane percevaient l’homosexualité comme « une maladie » ou « une perversion sexuelle », contre 10 % chez les « sans-religion ». Une étude de l’Institut Montaigne publiée en 2016 soulignait par ailleurs que les réflexes rigoristes étaient nettement plus fréquents chez les jeunes musulmans que parmi leurs aînés [14].
Sera-t-il possible de faire cohabiter indéfiniment sous un même chapiteau électoral les tenants métropolitains des valeurs progressistes avec des votants de culture musulmane, en rupture marquée sur les sujets dits « sociétaux » ? Ceux-ci feront-ils toujours abstraction de ces considérations dans leur choix électoral, au profit du seul soutien apporté à l’immigration ? Dans le cas contraire, les partis de gauche se trouveront confrontés à un dilemme cornélien : celui de devoir choisir entre leurs minorités.
[1] Olivier Ferrand et Bruno Jeanbart (dir.), Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, Fondation Terra Nova, 10 mai 2011.
[2] Statistiques de l’état civil de l’Insee et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents ». Calculs : OID (www.observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration).
[3] « GE 2019: How did demographics affect the result ? », House of Commons Library, 21 février 2020, UK Parliament.
[4] Calcul OID sur la base des données INSEE.
[5] « Migrations : pour une politique humaniste et réaliste », Les livrets thématiques de l’Avenir en commun, Melenchon2022.fr
[6] Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, « Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » (site du Conseil constitutionnel).
[7] Michèle Tribalat, « Dynamique démographique des musulmans de France », in Commentaire, Hiver 2011-2012, n°136 (www.micheletribalat.fr).
[8] Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.), Trajectoires et Origines, Insee-Ined, 2008.
[9] « Le vote des électorats confessionnels au 1er tour de l’élection présidentielle », 10 avril 2022, Ifop.com.
[10] « Le vote des électorats confessionnels au second tour de l’élection présidentielle », 25 avril 2022, Ifop.com.
[11] « Population immigrée selon les principaux pays de naissance en 2019 : comparaisons régionales et départementales », 27 juin 2022, Insee.fr.
[12] Observatoire de l’immigration et de la démographie, « Immigration et démographie urbaine : les cartes à peine croyables de France Stratégie », Causeur.fr, 24 août 2021.
[13] « Le regard des Français sur l’homosexualité et la place des LGBT dans la société, 24 juin 2019 », Ifop.com.
[14] « Un islam français est possible », Institut Montaigne, septembre 2016.
Les derniers sondages créditent le parti Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni de 24% des intentions de votes lors des prochaines élections générales.
La coalition de droite pourrait obtenir une majorité absolue des sièges, ce qui permettrait à Meloni de devenir la première femme Présidente du Conseil des ministres italien. La possible élection d’une Première ministre issue d’un parti néofasciste, près de 70 ans après la mort de Benito Mussolini, peut surprendre.
Ainsi, à quelques jours du scrutin du 25 septembre, il est légitime de se demander si Meloni peut réellement l’emporter et quels sont les ressorts de son succès.
En tête des sondages et bénéficiant de la coalition de droite
En quelques années, le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni est passé du statut de mouvement marginal ne comptant que quelques parlementaires à la première force politique du pays selon les sondeurs. Lors des élections générales de 2013, le parti ne récolta qu’à peine 2% des voix, en 2018 un peu plus de 4% mais les sondeurs italiens nous prédisent donc que le 25 septembre, près d’un quart des votants choisiront Meloni et FdI.
Fratelli d’Italia est crédité d’un score oscillant entre 23 et 25% et devrait donc arriver en tête de l’élection dimanche. D’autres enseignements peuvent en outre être tirés des nombreux sondages sortis depuis le début de l’année. Le Partito Democratico d’Enrico Letta, parti de centre gauche, arriverait en deuxième position et est crédité de 20 à 23% des suffrages. Suivent la Lega de Matteo Salvini avec entre 12 et 15% des intentions de vote, le Mouvement 5 Étoiles (M5S) crédité de 11/12% des voix et Silvio Berlusconi avec Forza Italia placé entre 7 et 9%.
Ainsi, sauf retournement de situation inattendu, Giorgia Meloni va se retrouver à la tête de la première force politique du pays au soir du 25 septembre. La probable forte abstention ainsi que le mode de scrutin mixte ne sont pas les seuls éléments jouant en la faveur de Meloni. Depuis les années 1960, il est impossible pour un seul parti de gouverner en Italie et les leaders politiques se doivent de former des coalitions afin d’arriver à leurs fins. Le 27 juillet, les différents partis de droite ont décidé de renouveler leur coalition alors que les partis de gauche peinent à s’entendre. Les leaders des trois partis de droite ont déclaré que le chef de file du parti arrivé en tête serait leur candidat naturel au poste de Président du Conseil. Ainsi, en plus d’être créditée de presque 50% des voix, ce qui correspondrait à près de 60% des sièges, la droite apparaît comme la mieux placée pour former le prochain gouvernement et donc diriger le pays seule. Tout cela pourrait profiter à Meloni, dont le mouvement est désormais la figure de proue de la droite italienne et dont la supériorité semble acceptée par Salvini et Berlusconi.
Un contexte italien particulier
Le premier vecteur du succès de Giorgia Meloni repose sur le contexte politique particulier italien. En effet, son parti Fratelli d’Italia a été le seul à ne pas participer à la coalition gouvernementale d’union nationale. Cette situation spécifique a permis à Giorgia Meloni de s’imposer comme principale opposante à Mario Draghi, et explique son ascension rapide comme favorite. Alors que la place de parti contestataire était occupée avant 2021 à droite par la Lega de Matteo Salvini et à gauche par le Mouvement 5 étoiles, le fait que ces deux partis rejoignent la coalition d’union nationale a propulsé le parti de Giorgia Meloni sur le devant de la scène. Fratelli d’Italia est alors devenu l’unique parti perçu comme véritablement anti-système et contestataire et a hérité d’une manne électorale inattendue.
La reconduction d’un gouvernement d’union nationale serait l’un des seuls scénarios permettant de bloquer la route à Giorgia Meloni si son parti arrive en tête dimanche soir. Pourtant, ce dernier semble très improbable, tant les rancœurs entre les différents leaders politiques rendaient toute entente impossible il y a quelques semaines. En effet, après le vote de confiance remporté de justesse par Mario Draghi le 14 juillet, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi ont déclaré ne plus vouloir faire partie d’une coalition impliquant le Mouvement 5 Étoiles. De son côté, Giuseppe Conte du M5S critiquait la politique gouvernementale sur l’Ukraine depuis plusieurs semaines et avait été le premier à déclarer ne pas vouloir voter la confiance.
Les clés du succès Meloni
Le succès de Meloni s’explique donc par son positionnement anti-système et contestataire qu’elle est parvenue à décliner de façon programmatique. Nous pouvons ainsi identifier quatre lignes de force de son programme :
Économiquement convertie aux thèses libérales, elle souhaite une baisse très importante des impôts afin de redynamiser l’économie et rendre leur argent aux Italiens. Ce positionnement économique s’accompagne d’un fort euroscepticisme, puisqu’elle considère que l’Europe entrave l’Italie et que la solidarité européenne présentée en théorie n’est pas au rendez-vous dans les faits. Elle souhaite ainsi renégocier les règles budgétaires en vigueur au sein de l’UE, et compte utiliser l’argent issu du fonds de relance comme elle le souhaite pour aider la population italienne. La troisième caractéristique programmatique est son positionnement anti-immigration assumé. Meloni se montre extrêmement dure et demande la fin de l’immigration de masse en Italie. Elle critique ouvertement l’islamisation de l’Italie et de l’Europe et se montre favorable à la fermeture des ports italiens aux bateaux déposant des migrants. Finalement, c’est sur le volet sociétal que Giorgia Meloni s’illustre, en revendiquant la défense des valeurs traditionnelles et de la civilisation européenne, qui ont fait l’Italie. Elle estime que ces valeurs sont actuellement en danger et défend donc depuis plusieurs années une société conservatrice.
Mais au-delà des axes programmatiques et du positionnement stratégique, c’est l’équation personnelle singulière de Giorgia Meloni qui explique aussi son succès. Meloni est originaire du quartier populaire de la Garbatella dans le sud de Rome, et cette origine modeste est importante dans un contexte de défiance à l’égard des politiques. En effet, ceci lui permet de paraître proche des classes populaires et de leurs préoccupations sachant qu’elle a vécu les mêmes problèmes. Ainsi lorsqu’elle évoque les sujets d’immigration ou de pouvoir d’achat, elle semble plus sincère que la plupart des politiques italiens accusés de déconnexion, et trouve les axes pour faire les liens entre ces phénomènes macroscopiques et le quotidien des Italiens.
Finalement, c’est la rencontre d’un contexte politique inédit, d’un programme résolument antisystème et contestataire et l’équation personnelle de la leader d’extrême droite qui devrait faire de Giorgia Meloni la future patronne de l’Italie.
À l’ONU, face aux menaces russes, Emmanuel Macron dénonce un impérialisme nouveau, place la France dans le camp de la justice et entend convaincre les pays non alignés. Analyse.
Au terme d’une courte déclaration diffusée mercredi à la télévision russe, Vladimir Poutine est sorti de son mutisme pour affirmer sa volonté de poursuivre la guerre. « Les gouvernements de Kherson, Zaporijia, Lougansk et Donetsk ont pris la décision souveraine de se tourner vers nous pour organiser des référendums. Nous allons appuyer leur démarche » a-t-il annoncé.
Ces annexions déguisées qui ne tromperont personne, s’agissant de territoires qui sont toujours pour certains des théâtres de combat dépouillés de dizaines de milliers de leurs habitants déplacés à travers toute l’Europe, répondent à un objectif politique extrêmement clair. La Russie entend faire de ces territoires des conquêtes russes intégrées à sa Fédération, de sorte que les percées ukrainiennes soient désormais assimilées à des incursions sur son sol et non plus à une défense contre une invasion.
Opérations très spéciales
Ce changement de ton était déjà prévisible le 21 février, date à laquelle Vladimir Poutine reconnaissait l’indépendance des deux Républiques de Donetsk et du Donbass sur le modèle de ce qu’il avait fait pour l’Ossétie du Sud. Il admettait alors implicitement que les entités séparatistes avaient le droit légal d’attaquer « l’occupant kiévien ». Prélude à l’invasion, cette reconnaissance unilatérale a permis à la Russie de justifier sa guerre d’annexion en la déguisant en une « opération spéciale » à visée humanitaire, destinée à sauver les populations russophones d’un « génocide » pensée par une junte de néo-nazis et de criminels drogués… Une rhétorique paranoïaque qui incluait aussi l’Occident tout entier, accusé de vouloir fournir des armes nucléaires à l’Ukraine ou encore de chercher à contrôler « la Russie jusqu’à l’Oural » grâce aux bases positionnées en mer Noire, selon l’expression de Vladimir Poutine lui-même.
La Russie pensait-elle subjuguer l’Ukraine en quelques jours en la dépossédant de son gouvernement grâce à une cinquième colonne ? C’est ce que pensent de nombreux observateurs. Difficile à prouver, mais toujours est-il qu’il semblerait étonnant que Moscou ait souhaité s’embourber dans une guerre longue et difficile face à un peuple en armes, animé d’un sentiment national que l’adversité n’a cessé de renforcer au cours des derniers mois. Les difficultés militaires rencontrées sur le terrain, l’armée ukrainienne ayant repris une partie des territoires tombés, à l’image de la ville d’Izyum dans la région de Kharkiv, ont certainement courroucé le chef du Kremlin qui a décidé d’accélérer et n’hésite plus à utiliser la menace de l’arme nucléaire pour faire pression sur les opinions occidentales les plus rétives à la guerre.
Dimitri Medvedev a ainsi surenchéri : « La Russie est prête à utiliser n’importe quelle arme, y compris les armes nucléaires, pour défendre les territoires annexés ». Des mots lourds de sens. Il est étonnant, dans ces circonstances, de continuer à entendre la petite musique de quelques « pacifistes » français qui, hier, n’ont pas eu de mots trop durs pour dénoncer l’escalade dangereuse… vers laquelle nous conduirait non pas la Russie, mais Emmanuel Macron, l’Union européenne et l’OTAN ! Le parallèle avec l’annexion des Sudètes est en l’espèce non seulement tentant mais aussi pertinent. Poursuivant une politique pangermaniste qui n’est pas sans rappeler la politique panslaviste menée par le Kremlin aujourd’hui, Adolf Hitler déclarait le 29 septembre 1938 vouloir « libérer les Allemands des Sudètes de l’oppression tchécoslovaque ». Un casus belli pour Prague qui avait alors requis l’aide de la France et de la Grande-Bretagne.
Las, la suite est connue : Edouard Daladier et Neville Chamberlain signèrent les accords de Munich avalisant l’annexion des Sudètes en échange du renoncement par l’Allemagne à ses revendications territoriales supplémentaires. Winston Churchill eut cette phrase passée à la postérité, « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Ceux qui refusent aujourd’hui ces sanctions économiques prétendument inutiles – notons que la Russie mobilise pourtant toute son énergie à les faire lever – ne comprennent pas que Moscou est entrée dans une dérive sans précédent, une tornade de crimes de guerre et de paranoïa, de cynisme absolu et d’assassinats politiques, de mépris pour les vies de ses propres enfants comme de ceux du reste du monde, et qu’il n’y a pas d’autre alternative.
Que proposent Ségolène Royal, Thierry Mariani ou Florian Philippot ? Que nous prenions « le chemin de la paix » ? Mais laquelle ? Comment ? Des référendums nécessitent des règles pour être valides. Quand bien même nous arrêterions, nous Français, les sanctions et les envois d’armes, la guerre ne s’arrêterait pas et nous en subirions pleinement toutes les conséquences tout en rejoignant le camp des parias. La neutralité n’existe pas à partir du moment où un pays décide seul de s’affranchir de toutes les règles de l’ordre juridique international, à partir du moment où ce même pays nous nargue en Afrique, nous brandit ses missiles nucléaires au visage, et cherche à manipuler toute une partie de notre opinion publique.
« Nouvel » impérialisme ?
Entendre l’Insoumis Didier Maïsto – et tant d’autres – au micro de TV Libertés conspuer Emmanuel Macron à l’ONU mais ne rien dire contre le chantage russe a de quoi donner le tournis. Sans être exempte de défauts, l’allocution d’Emmanuel Macron a au moins placé la France dans le camp de la justice et permis de comprendre que la France était directement menacée par la Russie, au même titre que toute l’Union européenne dont elle entend briser l’unité : « Ce à quoi nous assistons depuis le 24 février dernier est un retour à l’âge des impérialismes et des colonies. La France le refuse et recherchera obstinément la paix. Là-dessus, notre position est claire et c’est au service de cette position que j’assume le dialogue conduit avec la Russie dès avant le déclenchement de la guerre, tout au long des derniers mois, et que je continuerai de l’assumer car c’est ainsi qu’ensemble, nous rechercherons la paix ».
Il est faux de dire que la Russie renoue avec l’âge des impérialismes. De fait, elle n’y a jamais renoncé et la rupture avec l’URSS n’a jamais été faite. Vladimir Poutine est le légataire des Brejnev et des Staline. Il a peut-être renoncé au communisme au profit du capitalisme oligarchique le plus sauvage, mais il n’a pas renoncé au totalitarisme soviétique. Il ne veut pas la paix, il veut soumettre ses voisins et le monde. Il veut un nouvel ordre international, « multipolaire » qui serait surtout le règne de la violence et du chacun pour soi. L’Occident a bien des torts, mais il n’agite pas son arsenal atomique dès qu’il rencontre la plus petite difficulté militaire. Du reste, la Russie commence même à effrayer ses partenaires les plus fidèles parmi les BRICS. Le Premier ministre indien Modi a dit directement à Poutine que l’époque n’était pas à la guerre et la Chine appelle à un cessez-le-feu.
Comment peut-on se dire d’une droite conservatrice et s’associer à un axe aussi baroque que celui formé par la Russie, Cuba, le Venezuela, la Syrie, l’Iran et la Corée-du-Nord ? Ce n’est pas notre monde. Comprenons que nous n’avons jamais voulu la guerre. L’Union européenne a à plusieurs reprises tendu la main à la Russie. Cette dernière n’a jamais été fiable, n’a jamais voulu se démocratiser concrètement, assassinant les opposants, couvrant les forfaits de ses sbires – le vol MH17, probablement abattu par un missile des séparatistes en étant un exemple caractéristique -, s’ingéniant à calomnier la France au Sahel, à corrompre les associations écologistes allemandes anti-nucléaires. Nous avons été faibles. Nous avons été désunis. Peut-être est-il temps d’évoluer et d’admettre que le retour des Empires nous commande d’en être un : soucieux de sa civilisation, indépendant de l’Amérique, farouchement opposé aux régimes autoritaires, capable de répondre par la force à la violence.
Dans L’Âge Global, l’historien britannique Ian Kershaw indiquait que la guerre en Ukraine déclenchée en 2014 avait rappelé que « si une guerre (était) éminemment improbable en Europe parmi les pays qui forment l’Union européenne, elle pourrait bien venir de l’extérieur. Nul ne saurait dire comment peut tourner la rivalité des superpuissances dans l’après-guerre froide. Les relations futures entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie sont néanmoins grosses de conflits possibles, voire d’une guerre nucléaire, qui pourrait le moment venu engloutir l’Europe ». Nous y sommes presque. Ce danger ne doit pourtant pas nous conduire à sortir de l’histoire, plutôt à enfin se décider d’y revenir. Car céder au chantage nous exposerait à être demain esclaves des caprices de tous les dictateurs avides de domination. Si vis pacem, parabellum.
Avec cette nouvelle politique de mobilisation en Russie, la guerre en Ukraine gagne en épaisseur stratégique. Il ne s’agit plus uniquement de l’évolution des rapports de force militaires sur le terrain, dans le Donbass ou les oblasts de Kherson et Zaporijjia. Désormais, avec les récentes déclarations de Vladimir Poutine et de son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, la lutte se déplace aussi dans l’arène politique et sociale, à l’intérieur même de la Russie. L’armée russe est en mauvaise passe: la société et l’économie russes permettront-elles à Poutine de sauver son pouvoir?
Le Kremlin, qui avait envisagé dans un premier temps une guerre menée rapidement et à peu de frais par une partie des forces armées seulement, se voit obligé de mobiliser plus de moyens. Et donc d’impliquer de plus en plus les citoyens de la Fédération de Russie, mais pas uniquement. Le président de la Fédération russe a convoqué les patrons de l’industrie de défense, pour les intégrer également dans un effort de guerre qui s’inscrit de plus en plus dans la durée et mobilise de plus en plus les moyens du pays.
De la part des dirigeants russes, il s’agit là d’un pari considérable. Rapidement, il leur faudra passer à la caisse, et payer chèrement en monnaie politique mais aussi économique, pour avoir, dans quelques mois seulement, des unités de qualité au mieux médiocre. La mobilisation risque en effet de créer et d’accentuer des tensions en Russie, d’alimenter l’opposition à la guerre d’abord, et au régime ensuite. C’est également un prélèvement important sur les forces de travail et de production du pays, qu’il faudra désormais nourrir, loger, vêtir, équiper et soigner.
Les critères de «mobilisation partielle» de Poutine déjà transgressés!
D’un point de vue technique, cette « mobilisation partielle » – notons ici que l’adjectif « partielle » est probablement l’équivalent parfait de l’adjectif « spéciale », utilisé jusqu’à présent dans « opération spéciale » par le régime – devrait probablement permettre d’atteindre le quota fixé des 300 000 personnes mobilisées. Cependant, il est peu probable qu’elle apporte de très bons soldats et des unités opérationnellement efficaces sur le front.
Les autorités russes recrutent en effet de force certains citoyens pour aller combattre en Ukraine, en flagrante violation de la promesse initiale du Kremlin de ne recruter que des personnes ayant une expérience militaire. On peut s’attendre à ce que cette campagne brutale de mobilisation exacerbe le ressentiment à l’égard d’une mesure qui aurait été impopulaire de toute façon, même si elle avait été mise en œuvre aimablement.
Depuis sa déclaration du 21 septembre, le Kremlin n’a pas attendu 24 heures pour transgresser ouvertement ses propres critères de « mobilisation partielle ». Ainsi, après avoir affirmé que la mobilisation ne concernerait que les hommes ayant une expérience militaire antérieure, et se limiterait seulement à ceux inscrits sur les listes de réservistes, le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déclaré le 22 septembre que la pratique consistant à administrer des avis de mobilisation aux manifestants détenus ne contredisait pas la loi de mobilisation datant de la veille… Un étudiant, à l’université de Bouriatie, au nord de la Mongolie, a par ailleurs diffusé des images de la police militaire et de la Rosgvardia (la garde nationale) en train de faire sortir des étudiants de leurs cours, en vue d’une mobilisation, et cela en dépit du fait que le ministre russe de la Défense ait déclaré à plusieurs reprises que les étudiants n’étaient pas mobilisés ! Faut-il en conclure que la bureaucratie russe n’est pas beaucoup plus efficace que la logistique et la gestion de l’armée en Ukraine ? Et, en conséquence, qu’il faut s’attendre à des performances – en termes d’organisation de la mobilisation – du même niveau ?
Les minorités ethniques surmobilisées
Ce cas étonnant des étudiants de Bouriatie témoigne en outre d’un phénomène plus large : le Kremlin mobilise davantage auprès des communautés ethniquement non russes, ainsi que parmi les migrants (notamment ceux issus des anciennes Républiques Soviétiques d’Asie centrale, comme l’Ouzbékistan). Selon des témoignages en provenance d’une petite ville de Bouriatie, les autorités sont parvenues à mobiliser environ 700 hommes sur une population totale de 5 500 personnes. Autre exemple, rapporté par le site de l’Institute for the Study of War, une chaîne Telegram arménienne a indiqué que dans une localité près de Krasnodar (Nord-Caucase), la liste des personnes mobilisées comprenait 90% de résidents d’origine arménienne, bien que ceux-ci ne représentent que 8,5% de la population locale.
À l’intérieur de la Russie, ces mesures prises soudainement ont évidemment surpris. La Douma a voté les lois permettant la mobilisation en quelques heures, à la veille de la déclaration de Poutine, déclaration télévisée probablement enregistrée avant le vote. On ignore si Poutine avait enregistré un autre discours, dans l’hypothèse où la Douma se serait prononcée contre la mobilisation…
Le pouvoir arrivera surement à maitriser rapidement les réactions les plus négatives et les manifestations. Mais, voici qu’un phénomène plus large et plus insidieux semble déjà se propager. Il s’agit, en quelque sorte, d’un « quiet quitting » en version russe – la fameuse « démission silencieuse ». Sous les radars, partir à l’étranger, obtenir une dispense médicale, utiliser son réseau d’amis ou familial sont autant de moyens actuellement employés pour tenter d’échapper à la mobilisation. Tout ce désordre et ces petits reniements silencieux ou dissimulés font furieusement penser à l’ancien régime soviétique. Finalement, avec le retour en force d’un cynisme, de la corruption et de l’égoïsme de l’homo sovieticus, la guerre pourrait effectivement avoir permis à Poutine de restaurer en partie l’Empire rouge…
Du Kurdistan à Téhéran, des manifestations ont éclaté en Iran, suite à la mort en détention d’une étudiante arrêtée par la police des mœurs la semaine dernière. La répression est sévère, et de nombreux manifestants ont déjà été tués. Massoumeh Raouf, Iranienne en exil, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs, analyse la situation et veut croire que le régime est aux abois.
Causeur. Que sait-on exactement des circonstances de la mort de la jeune Mahsa Amini, survenue vendredi dernier ? Qu’est-ce que la police lui reprochait ?
Mahsa Amini, une jeune fille de 22 ans originaire de Saqqez, dans la province du Kurdistan, s’était rendue à Téhéran avec son frère, et elle a été arrêtée par une patrouille du vice le mardi 13 septembre, alors qu’elle sortait de la station de métro Haqqani. La police de mœurs des Mollahs lui reprochait d’être mal voilée. Malgré les efforts de son frère pour empêcher l’arrestation, la malheureuse a été emmenée au service répressif connu sous le nom de « sécurité des mœurs ». Au site Internet IranWire, son frère a déclaré qu’alors qu’il l’attendait à l’extérieur du commissariat, il a vu une ambulance en sortir et l’emmener à l’hôpital. Il dit avoir été alors informé qu’elle avait fait une attaque cardiaque et cérébrale et qu’elle était dans le coma. « Il ne s’est déroulé que deux heures entre son arrestation et son transfert à l’hôpital, a-t-il déclaré, annonçant son intention de porter plainte. Je n’ai rien à perdre. Je ne laisserai pas les choses ainsi sans protester». Cette nouvelle s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux. La photo de Mahsa Amini dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital est devenue virale et a provoqué une vague de colère et de protestation et solidarité avec sa famille. Si bien qu’un groupe de jeunes de Téhéran s’est rapidement rassemblé devant l’hôpital. Le régime a alors tenté d’éviter la vague de protestations en reportant l’annonce officielle de la mort de Mahsa. Le vendredi 16 septembre, les autorités ont finalement annoncé la nouvelle, elle serait selon elles morte d’une crise cardiaque pendant le cours d’éducation dans les locaux de la police morale. Sa famille a rejeté cette affirmation, affirmant que Mahsa était en parfaite santé.
La version de la famille est-elle crédible ?
Des femmes qui avaient également été arrêtées et qui se trouvaient dans la même camionnette que Mahsa Amini ont déclaré qu’elle avait été battue dans la voiture ! Lorsqu’elles sont arrivées au centre de détention de Vozara, Mahsa Amini était donc déjà en mauvais état mais elle était encore consciente. Les agents du centre de détention ont cependant ignoré son état. Quand elle s’est effondrée, elle a été transférée à l’hôpital de Kasra. Les médecins et le personnel de l’hôpital de Kasra ont déclaré que Mahsa Amini ne présentait plus aucun signe de vie et était en état de mort cérébrale à son arrivée à l’hôpital. De plus, les images du scanner divulguées par l’hôpital montrent que Mahsa Amini a été frappée à la tête et a souffert d’une hémorragie cérébrale. Ces documents réfutent l’affirmation absurde du régime !
La révolte actuelle est l’expression d’un ras-le-bol total face à l’oppression, d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu. Elle surgit brusquement, comme une éruption volcanique, par effraction et sans se soucier des codes
Suite à ce meurtre, et suite aux protestations des Téhéranais contre ce crime, les forces de sécurité voulaient enterrer le corps de Mahsa, de nuit, dans sa ville natale à Saqqez. Face à la résistance de la famille, elles ont dû faire marche arrière et l’enterrer aux premières heures du matin samedi dernier. Elles voulaient empêcher la foule d’assister aux funérailles. Dès les premières heures de la matinée, samedi 17 septembre, des agents du renseignement et des forces de sécurité ont bloqué les entrées de Saqqez pour empêcher les gens de participer à la cérémonie funéraire. Mais des milliers de personnes se sont rassemblées dans le cimetière principal en scandant « à bas le dictateur ! », « ce dingue de guide est une honte », « à bas Khamenei !» ou « gouvernement d’exécution, les crimes ça suffit ». Après l’inhumation de Mahsa, les gens ont manifesté devant le gouvernorat local aux cris de « je tuerai celui qui a tué ma sœur » et « ordures, ordures ! ». Ils ont affronté les agents de sécurité et anti-émeutes, les forces répressives ont tiré sur la population et lancé des gaz lacrymogènes, et plusieurs manifestants ont été tués et blessés depuis. Depuis, les manifestations se sont propagées dans toutes les villes d’Iran. Cette colère locale a pris une dimension nationale, et est toujours en cours.
À Babol, nord de l’#Iran, des manifestants ont incendié mercredi le portrait géant du Guide suprême et véritable chef de l’État iranien, l’ayatollah Khamenei. Un geste de défiance inouï en République islamique. La colère après la mort de #MahsaAmini vise désormais le régime. pic.twitter.com/31LKJQJES2
Même si ce drame exceptionnel a abouti à la mort, ce type d’affaires entre la police des mœurs et de jeunes Iraniennes est-il courant ?
Non. Ce n’est pas de tout un cas exceptionnel ! Le meurtre brutal de Mahsa n’est ni le premier ni le dernier crime de ce régime. L’Iran compte des dizaines de millions de filles et de femmes comme Mahsa, opprimées par un régime misogyne. C’est une tragédie à laquelle les femmes iraniennes sont confrontées chaque jour. Réprimer les femmes sous le prétexte du hijab n’est en rien une nouveauté, depuis les débuts de Khomeiny et du fascisme religieux. Mais sous le mandat de Raïssi [le président de la République d’Iran depuis août 2021 NDLR], les violations des droits humains se sont considérablement aggravés. On observe dans le pays une montée de la répression des femmes dans le cadre d’un décret médiéval intitulé « chasteté et voile » qui est le symbole de la répression de tout un peuple. Je me réjouis de la réaction de la société iranienne au meurtre de Mahsa Amini, cela montre que la rage de la nation contre l’ensemble de l’establishment au pouvoir est profonde. C’est une frustration de quatre décennies qui éclate avec force. Nous n’assistons pas à un acte émotionnel temporaire, selon moi.
Le régime a selon vous couvert des agissements répréhensibles de la police. Le régime est-il inquiet ?
Le régime, dirigé par des mollahs, est un régime idéologiquement misogyne. Depuis leur arrivée au pouvoir, les mollahs ont fait des femmes leur cible privilégiée sur lesquelles est édifié tout leur système de répression. Et la police, ce sont les mercenaires du régime : ils appliquent l’ordre et les lois de cette dictature. Le peuple iranien déteste la police et les forces militaires du régime autant qu’il déteste les mollahs.
Quelle est l’ampleur des manifestations actuelles ?
C’est une énorme vague de colère et de révolte nationale qui s’étend depuis le 17 septembre. Avec plus de 8 millions de publications sur les réseaux sociaux, la photo et le nom de Mahsa Amini ont largement circulé et ont été le sujet le plus tendance des derniers jours sur Internet. Mahsa Amini a fait la une des journaux en Iran, et aussi dans le monde. Des personnalités internationales et des artistes ont exprimé leur soutien à Mahsa et à toutes les femmes iraniennes. Même les Nations Unies ont demandé une enquête sur cet assassinat arbitraire. En réaction, le fascisme religieux iranien a coupé Internet et un massacre en silence et à huis clos a commencé. En perturbant et coupant Internet et en fermant les réseaux sociaux, le pouvoir veut empêcher la propagation du soulèvement et l’envoi des informations à l’étranger. Le monde doit condamner cette censure et réclamer un accès libre à internet.
La révolte actuelle est l’expression d’un ras-le-bol total face à l’oppression, d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu. Elle surgit brusquement, comme une éruption volcanique, par effraction et sans se soucier des codes. La résistance et la combattivité des femmes et des jeunes démontrent que le peuple iranien refuse désormais de se taire et que beaucoup sont déterminés à renverser le régime cruel des mollahs. Oui, en Iran, le courage ressemble à une femme qui ne se laisse pas faire!
Du nord au sud, et d’est en ouest, des villes se révoltent. La vague de colère et de protestation s’est propagée à plus de 100 villes dans 28 des 31 provinces d’Iran. Amnesty International a déjà recensé la mort de six hommes, d’une femme et d’un enfant lors des manifestations des 19 et 20 septembre. Des clips et des vidéos des manifestations inondent les réseaux sociaux comme un déluge et ont montré des scènes étonnantes de courage.
Est-ce complètement spontané? Quels sont les groupes à la manœuvre?
C’est une véritable colère du peuple contre la tyrannie des mollahs. La révolution en Iran pourrait bien être en marche. Malgré la répression sanglante, le régime des mollahs n’arrive pas l’étouffer comme avant. Khamenei et son régime sont dans une impasse létale, et ne peuvent pas résoudre les crises croissantes à l’intérieur et l’extérieur du pays. Les étudiants protestataires de Téhéran ont déclaré dans un communiqué : « Le meurtre barbare de Mahsa Amini est le symbole de 44 ans de répression et de sauvagerie. Un jour, les assassins de Mahsa et de toutes les victimes des quatre dernières décennies, qui ont élevé leur palais d’oppression sur le flot du sang du peuple, seront livrés à la justice de la nation »… Malgré la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays. Leurs activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction des symboles de répression du régime. Le rôle de ces unités de résistance dans l’organisation et l’expansion de ce soulèvement est indéniable. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime. Les responsables du régime l’avouent d’ailleurs à demi-mot. Ils savent bien que, au-delà de Mahsa Amini, c’est le régime qui est visé. Mohammad Qalibaf, le président du parlement des mollahs, a déclaré en séance le 20 septembre: « L’ennemi a mis comme à son habitude à l’ordre du jour de créer des troubles et le chaos dans le pays. Malheureusement, certains dans le pays suivent volontairement ou non la direction voulue par l’ennemi. Mais notre cher peuple a montré son intelligence politique et n’a pas coopéré et ne coopérera pas avec les moudjahiddinesqui ont autrefois tué des milliers de gens ordinaires et qui aujourd’hui demandent des comptes pour la mort d’une personne. » Le même jour, le gouverneur de Téhéran, Mohsen Mansouri, a écrit dans la soirée, sur Twitter: « Les principaux éléments des premiers noyaux des rassemblements de ce soir à Téhéran étaient entièrement organisés, entraînés et planifiés pour créer le désordre à Téhéran. Déverser du gasoil sur la voie, lancer des pierres, attaquer la police, mettre le feu à des motos et des poubelles, détruire des biens publics, etc. Ce n’est pas l’affaire des gens ordinaires » …
Vous portez vous-même le voile. Assiste-t-on ces derniers temps à un refus généralisé de porter le voile parmi ces femmes qui manifestent (c’est ce dont certains rêvent en Occident) ?
Ceux qui mettent le feu à leur foulard sont contre l’hijab obligatoire et toutes les lois répressives contre les femmes. Elles veulent la liberté de choix. Ni hijab obligatoire, ni non-hijab obligatoire. Cette question est historique en Iran. Par exemple, pendant la dictature de Reza Chah, ne pas porter le hijab était obligatoire, ce qui a entraîné une forte réaction de la société contre la monarchie.
Je rappelle la position de la résistance iranienne pour l’avenir de l’Iran sur les femmes, qui est résumée dans le plan en 10 points de Maryam Radjavi, présidente de la Résistance iranienne : « Égalité complète des femmes et des hommes dans les droits politiques, sociaux, culturels et économiques. Participation égale des femmes à la direction politique. Abolition de toute discrimination. Droit des femmes de choisir librement leur tenue vestimentaire, leur mariage, leur divorce, leurs études et leur profession. Interdiction de toute exploitation des femmes sous n’importe quel prétexte ». C’est aussi mon point de vue.
Avec la guerre en Ukraine, l’Occident n’est-il pas en train de se détourner du Moyen-Orient, et d’oublier l’inquiétante course à la bombe de Téhéran ?
Je dois reconnaitre que la politique des pays occidentaux envers l’Iran est très décevante, malheureusement. Je ne sais pas combien de temps les pays occidentaux comptent encore faire des compromis avec pareils criminels !
Les Européens comprennent bien la guerre en Ukraine, la Russie a envahi l’Ukraine. Mais ils ne comprennent pas que les mollahs fascistes occupent l’Iran depuis plus de 40 ans. Le régime des mollahs est l’allié de la Russie et un soutien de Poutine dans la guerre en Ukraine. Les peuples d’Iran, d’Ukraine et d’Europe ont donc un ennemi commun. Maintenant que les Ukrainiens résistent, ils sont nos amis et alliés, ils comprennent bien la résistance iranienne. L’Europe et l’Occident devraient adopter une politique ferme vis-à-vis du régime iranien. Même pour l’épineux dossier nucléaire, sans une politique ferme, ils n’iront nulle part. « La Résistance iranienne met en garde la communauté internationale contre toute concession aux mollahs. Cela revient à poignarder dans le dos le peuple iranien, et à se ranger aux côtés d’un régime qui s’effondre » rappellait dernièrement Maryam Radjavi.
La dévaluation du regard et du savoir accélère l’enlaidissement du monde. Au nom du relativisme général, plus rien n’est beau et la laideur a droit de cité. Et au nom de la fonctionnalité, on peut dénaturer notre langue et nos paysages.
Causeur. Avant de parler d’enlaidissement, est-il possible de définir le laid, la laideur ? N’est-ce pas une notion absolument subjective ?
Alain Finkielkraut. Dans son livre L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, Bérénice Levet cite l’association Greenpeace : « Trouver une éolienne moche ou jolie, c’est une histoire de goût personnel et on ne se risquera pas à commenter vos goûts et vos couleurs. Elles attirent le regard car il s’agit de constructions récentes, mais bientôt nous ne les verrons plus, ce n’est qu’une question d’habitude. » Avec ces mots, tout est dit de notre renoncement, de notre capitulation. Le subjectivisme radical est la philosophie de ceux que Renaud Camus appelle « les amis du désastre ». Puisque le beau n’existe pas, la laideur a droit de cité dans le monde. Puisque l’appréciation esthétique est une affaire purement personnelle, les vandales peuvent s’en donner à cœur joie. Ainsi s’efface inexorablement l’opposition millénaire des villes et des campagnes au profit d’une banlieue sans fin. La dévaluation du regard est érigée en victoire sur les préjugés et l’on spécule sur l’habitude pour fermer doucement les yeux de l’humanité récalcitrante. Jeter sur l’enlaidissement du monde le voile de l’accoutumance : voilà l’exaltant programme que se fixe l’écologie officielle.
Parmi les différentes formes d’enlaidissement, celle du paysage est en effet l’une des plus criantes. Pourquoi défigure-t-on nos côtes et nos campagnes, nos plaines et nos montagnes ? Pourquoi laisse-t-on faire ?
Nous vivons à l’ère de la technique. Et la technique, ce ne sont pas seulement des machines et des engins, c’est, comme le dit Heidegger, la manière dont le monde se dévoile à nous. Être, c’est être maniable, manipulable, exploitable. Les beaux paysages, les belles plages, les belles vallées, les belles montagnes sont autant de richesses économiques potentielles. Le tourisme s’en saisit et la dénaturation des sites est la rançon de cette mise en valeur économique. Il faudrait retrouver, pour sauver la beauté, le sens de l’indisponible.
La technique n’a pas toujours été un obstacle à l’esthétique. Voyez les horloges anciennes, les instruments de mesure ou de recherche tels les astrolabes… ce sont des outils scientifiques beaux à regarder.
La technique n’a pas toujours été arraisonnement, un commanditement du monde. Elle l’est devenue. Ce mode d’être de la technique, c’est le lot des modernes que nous sommes. Les exemples que vous citez relèvent de l’artisanat. Nous sommes entrés dans un tout autre monde.
L’enlaidissement est-il en phase avec la déculturation grandissante de notre société ?
Les écrivains, les poètes, les philosophes ou les romanciers nous apprennent à voir. Quand ils s’éclipsent, quand ils ne sont plus enseignés, quand l’enseignement devient l’enseignement de l’ignorance, le regard s’éteint et il n’y a plus d’obstacle aux avancées de la laideur.
Peut-on aussi parler d’enlaidissement de la langue ?
À l’âge de la technique, la langue n’est plus la maison de l’être, c’est un moyen de communication. Elle n’a plus d’existence que fonctionnelle. On cesse de la servir, on s’en sert. Résultat : rabougrissement du vocabulaire, effondrement de la syntaxe, invasion du globish ratifié par les dictionnaires. Il faudrait de toute urgence, à côté de l’écologie de la terre, une écologie de la langue.
Imposer la laideur, est-ce l’apanage des néo-démocraties ?
« Le monde est plein de vertus chrétiennes devenues folles », disait Chesterton. Il faudrait maintenant compléter cette formule, car les vertus chrétiennes ont fait leur temps, c’est au tour des grandes idées démocratiques de devenir folles. La liberté d’expression illimitée qui règne sur les réseaux sociaux se traduit par un déferlement de hargne et de haine. Sous les pavés la plage, disait-on en 1968 et dans les années qui ont suivi. On comptait sur la levée des inhibitions, des tabous et des conventions pour réconcilier les hommes entre eux. Il faut en rabattre, l’idylle n’est pas au rendez-vous : sous les pavés la rage. La fraternité est devenue un principe constitutionnel interdisant au législateur de sanctionner, dès lors qu’elle est désintéressée, l’aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière. Enfin, c’est au nom de l’égalité que s’impose comme philosophie dominante, jusque dans l’école, le relativisme culturel. Tout est égal parce que nous sommes tous égaux. Ainsi ne sait-on plus penser l’admiration comme un accès à la grandeur.
Vous dites « philosophie dominante », ne peut-on pas dire philosophie dictatoriale ?
Pas tout à fait puisque nous sommes encore là. Il existe des pôles de résistance. L’insoumission reste possible. Nous ne vivons pas sous un régime totalitaire.
Peut-on faire un lien avec l’hyper-individualisme de notre époque (le fameux « Venez comme vous êtes » de McDo) ?Il y a un lien, en effet, entre l’amour des formes belles et le souci de l’élégance. Mais aujourd’hui, à Venise ou à Vienne, à Florence ou à Paris, on vient comme on est, en short ou en pantacourt. La magnificence des lieux ne fait plus rougir les avachis. Même quand elle garde son attrait, la beauté a perdu sa force communicative. Sur les pavés, la plage.
N’est-ce pas le révélateur d’un changement de civilisation ? Depuis plusieurs millénaires, notre civilisation gréco-romaine a établi puis entretenu les canons de la beauté (les proportions), qui volent aujourd’hui en éclats, qui ne sont plus la norme.
La technique la plus sophistiquée allant de pair aujourd’hui avec l’ensauvagement des mœurs, je parlerais davantage de décivilisation que de changement de civilisation. L’oreille collée à son téléphone portable ou les yeux rivés sur celui-ci, on ne voit plus l’autre, on ne voit plus rien. Le regard s’efface et avec lui l’amor mundi. Si j’étais président de la République, j’interdirais l’usage des portables dans la rue ou dans les transports. Et si j’étais Pap Ndiaye, je mettrais l’éducation du regard au cœur de l’École. J’aurais contre moi les intellectuels qui ne s’en laissent pas conter, qui font les malins et qui disent avec Gérard Genette que « le sujet esthétique juge l’objet beau parce qu’il l’aime et croit l’aimer parce qu’il est beau [1] », mais j’aurais avec moi toutes les œuvres d’art qui, comme l’écrit Benjamin Olivennes, « offrent à la fois un plaisir des sens et un plaisir de la pensée. La beauté comme connaissance, voilà notre héritage [2]. »
Le garde des Sceaux confond légalité et légitimité, dénonce Philippe Bilger
Dans les entretiens du garde des Sceaux, une fois la phase de stupéfaction dépassée, il y a toujours une idée, une réponse qui font réfléchir.
Stupéfaction en effet d’abord, quand on constate que le ministre, dans ses orientations et sa politique pénales, se trouve aux antipodes de ce que l’avocat défendait. Ce n’est pas interdit mais cela autorise qu’on s’interroge sur la conviction dans l’action au regard de ce contraste absolu. Où est le bon, le vrai, le sincère Eric Dupond-Moretti ?
Ou faut-il considérer que son inconditionnalité à l’égard du président de la République lui a permis des synthèses miraculeuses ?
Le journaliste Timothée Boutry, dans son dialogue avec le garde des Sceaux dans le Parisien, formule une dernière interrogation (sur son attitude au cas où il serait renvoyé devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts) à laquelle il va répliquer de la manière suivante : « J’ai exercé mon droit au silence durant l’instruction en attendant un renvoi quasi-assuré devant la formation de jugement pour y défendre les droits comme tout justiciable. Pour le reste, j’ai toujours dit que je tirais ma légitimité du président de la République et de la Première ministre et de personne d’autre. Cette mise en examen ne m’a jamais empêché de travailler ».
Légalité et légitimité
Chaque fois qu’on met en doute son aptitude à exercer la charge qui lui a été confiée – de manière provocatrice et renouvelée -, Eric Dupond-Moretti ressasse le fait qu’il n’aurait de comptes à rendre qu’au président et à la Première ministre. Il y a dans ce permanent rappel l’expression d’une déférence qui ne peut pas lui nuire : dans le monde de la macronie, il est bien porté de rendre hommage à ces deux personnalités, même si cette flagornerie institutionnelle ne démontre rien.
Parce qu’elle fait une confusion entre légalité et légitimité. La première notion se rapporte au processus qui l’a nommé et, aussi étranges qu’aient été son choix puis son renouvellement, il est irréprochable sur le plan constitutionnel. Le président avait toute latitude pour enjoindre au Premier ministre Jean Castex de prendre dans son gouvernement Éric Dupond-Moretti au mois de juillet 2020 puis d’inviter Elisabeth Borne à le maintenir au mois de mai 2022.
Mais la légitimité renvoie à des exigences infiniment plus complexes qui ne sauraient se satisfaire de la validité apparente des mécanismes de nomination. Elle exige une adhésion, une confiance, une fiabilité, la réussite à des tests en quelque sorte quotidiens. Elle ne dépend plus du président sauf à considérer – et c’est malheureusement le cas – que ce dernier demeure insensible à tout ce qui devrait battre en brèche non pas la légalité de ses choix successifs mais leur pertinence. La légitimité est, contrairement à la légalité tournée vers l’intérieur, consacrée par l’extérieur, par le peuple, par l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs orientations partisanes. C’est la réalité qui doit faire la preuve ou non de la légitimité, et non pas le bon plaisir du président et de la Première ministre. Si on admet que la légitimité n’est pas séparable de données objectives, concrètes et vérifiables, on est contraint d’admettre que cette grâce a été refusée au ministre de la Justice.
Un garde des Sceaux qualifié de « ministre des détenus » par ses adversaires
J’accepte de ne pas retenir à sa charge le fait qu’il a été désigné pour administrer un corps judiciaire qu’avocat il a toujours dénigré, ce qui est pour le moins infiniment paradoxal. Cette aberration est imputable directement au couple présidentiel.
Je mesure ce qu’a eu d’insupportable sa première visite aux condamnés qui l’ont acclamé quand tant de victimes auraient souhaité un geste symbolique de respect et de dignité. On aurait pu espérer une prise de conscience par la suite. Je ne suis pas non plus sans savoir que c’est grâce à un nouveau directeur de cabinet qu’un climat apparent de normalité a été instauré, au moins avec deux organisations syndicales de magistrats. Contre la défiance absolue du premier mandat.
Je n’ose pas supposer que l’hystérie parlementaire anti-RN d’Éric Dupond-Moretti (préférant insulter Julien Odoul, par exemple, plutôt que lui répondre), de même que son obsession épuisante d’avant le pluralisme à l’Assemblée nationale au point de laisser croire qu’il n’avait été mis en place que pour cette foudre haineuse et répétitive, aient pu à elles seules engendrer une quelconque légitimité.
Les enquêtes d’opinion confirment que ce ministre est perçu à son exacte valeur, donc très faible, probablement parce que malgré ses efforts et son souci de s’abriter sous un pouvoir complaisant à son égard il n’est pas parvenu à tromper la majorité des citoyens. Ceux-ci ont compris qu’un exceptionnel avocat dans les cours d’assises avec une philosophie de mansuétude obligatoire n’était pas plausible dans un nouveau rôle nécessitant une rigueur et un humanisme lucide. Pour l’avocat, l’insécurité n’était qu’un sentiment mais malheureusement le ministre a continué à penser cette absurdité.
Faut-il rappeler aussi le fiasco électoral dans les Hauts-de-France qui a révélé son peu de crédit dans l’exercice démocratique et populaire ? Convient-il de souligner qu’il a fallu confier aux Premiers ministres le soin de gérer les affaires sensibles qui auraient mis le garde d’aujourd’hui mal à l’aise face à l’avocat d’hier ? Ce qui manifeste l’entêtement d’autorités qui, malgré cette limitation pratique de son champ d’action, l’ont conservé dans sa fonction. Est-il même besoin de mettre en évidence les probables déconfitures disciplinaires qu’il va subir à cause de sa posture trouble se servant du ministre pour faire payer les haines de l’avocat et de l’indécence de cette juxtaposition de la Cour de justice avec l’honneur formel d’être garde des Sceaux ? Apparemment le président et la Première ministre n’ont pas l’odorat républicain assez développé pour comprendre cette anomalie et y mettre fin.
Alors où est-elle cette légitimité dont Éric Dupond-Moretti se pare par contagion ? Des Etats généraux de la Justice organisés sur le tard et dont il a été contraint de ne pas se mêler pour qu’ils ne soient pas totalement vains ? De ses attitudes scandaleuses face à la Commission d’instruction de la Cour de Justice de la République qui ont donné un très mauvais exemple au justiciable de base, au citoyen ordinaire et de ses attaques contre le Procureur général près la Cour de cassation François Molins ? Manque de chance, celui-ci est respecté, et à juste titre. De sa récente circulaire qu’une volonté répressive anime mais dont l’application se heurtera à des « petites contradictions » ?
Toute la légalité, alors, qu’on voudra pour Éric Dupond-Moretti ministre mais pas l’ombre d’une légitimité. Au contraire la faiblesse d’un pouvoir exprimant sa seule force dans des décrets personnels injustifiables. On peut regretter que le principal intéressé ait l’échine trop souple, contre toutes les impressions suscitées hier par l’avocat tonitruant et emblématique pour certains de ses confrères, pour tirer lui-même les conséquences de son absence de légitimité.
Souiller l’histoire, souiller la mémoire, souiller le paysage – qu’importe, puisque tel est le diktat de l’écologie radicale ? Les éoliennes ne servent presque à rien, sauf à flatter l’idéologie verte en implantant de plus en plus de ces immenses dagues dans le corps de la France.
Si les éoliennes avaient existé dans le monde soviétique, elles auraient nourri l’inspiration des chantres réaliste-socialistes au même titre que les grues, les camions et les hauts fourneaux – symboles du triomphe des plans quinquennaux.
C’est à cela qu’on pense immanquablement en regardant la mer depuis la plage de débarquement d’Arromanches et en imaginant les soixante moulins à vent qui s’élèveront bientôt non loin de là, au large de Courseulles. Les centaines de milliers de visiteurs qui viennent chaque année se recueillir en ce lieu de mémoire les admireront par-dessus les pontons – monuments historiques – qui ont servi, en juin 1944, à former le port artificiel où les navires de guerre sont venus accoster pour chasser l’occupant.
Les millions de tonnes de béton coulé dans la mer pour agripper les énormes mâts, non seulement enverront au chômage les marins-pêcheurs de la région, mais changeront le trajet des courants marins, qui, à leur tour, finiront par modifier la configuration du littoral. On nous expliquera, bien entendu, que c’est le réchauffement climatique, croque-mitaine des temps modernes, qui en est responsable.
C’est aussi au stakhanovisme industrialo-culturel d’autrefois qu’on pense en regardant ces champs encore paisibles d’entre Bayeux et la mer, où d’autres éoliennes vont être érigées malgré les protestations des communes alentour. Elles seront à quelques centaines mètres du Cimetière militaire britannique de Bazenville, troublant de la manière la plus impie le sommeil des soldats morts pour la liberté de la France. Et elles seront au centre d’une ceinture de monuments, accompagnant dans le paysage, de la manière la plus incongrue, des clochers d’églises classées monuments historiques, des tours de châteaux, des murs de fermes fortifiées vieilles de plusieurs siècles.
Elles seront, surtout, inutiles dans une région qui produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme – hideux rappels infligés à tous et en permanence de la victoire d’une idéologie : l’écologie radicale.
Lorsqu’elle était ministre de la Transition écologique, Madame Élisabeth Borne s’insurgeait contre le « développement anarchique de l’éolien » (19 février 2020). « On a malheureusement, ajoutait-elle, laissé des implantations de parcs éoliens […] en co-visibilité avec des monuments historiques. Je ne comprends même pas comment on a pu arriver à ces situations. » On a laissé et on continue, hélas !, à laisser, puisqu’aussi bien le président que Madame Borne elle-même demandent une rapide et substantielle multiplication des parcs éoliens. En dépit d’une opposition grandissante des habitants des zones sur lesquelles s’abat la malédiction.
Mais, en fin de compte, une chose demeure incompréhensible dans ces histoires de construction d’éoliennes. Il s’agit de la terre. Certes, l’agriculteur qui, pour un peu d’argent, accepte de pervertir la terre qui, souvent, a été dans sa famille pendant des générations, en est le propriétaire et peut en faire ce qu’il veut – entre autres, la laisser mourir à l’ombre de ces géants d’acier. Mais l’horizon ne lui appartient pas. Il n’a pas le droit de le corrompre selon son bon vouloir, même si cela devait lui assurer une rente annuelle. (D’ailleurs, les autorités qui l’encouragent à accepter les éoliennes sur ses terres, lui interdiraient formellement de construire au même endroit un immeuble de 50 étages qui ferait, éventuellement, sa fortune.) Non, cet homme qui dévoie sa terre et qui laisse à sa descendance un héritage empoisonné – car il faudra un jour payer le prix exorbitant du démantèlement des mâts, que les sociétés qui les installent n’assument pas –, cet homme n’est pas propriétaire de l’horizon et il n’a moralement pas le droit d’imposer à ses concitoyens un paysage ainsi défiguré.
Et puis, il y a un détail particulièrement croustillant dans ces affaires. Certains habitants dans le voisinage des parcs éoliens se sont vu proposer par les sociétés qui les installent des dédommagements. N’est-ce pas là un aveu explicite, éclatant, que la proximité de ces choses constitue un dommage ? Et, donc, n’est-ce pas pure absurdité, voire malveillance, de continuer dans cette voie qui ne mène à rien ?
À la ville comme à la campagne, fêtons le 23 septembre comme la saison des promesses et des nostalgies brumeuses.
Nous en avons terminé. Il était temps. Nous entrons dans l’ère des pluies fines et des imperméables à doublure tartan, dans la saison des prix littéraires et des abats, des nappes à carreaux et des pébroques récalcitrants qui s’arc-boutent au vent mauvais, des mains gantées et de la buée qui vient délicatement se poser sur les lunettes de nos compagnes. Nous les regardons avec plus d’acuité, nous n’avions pas remarqué sous le soleil dardant d’août cette lueur canaille dans leur regard. Colette avait raison d’affirmer que l’été est la saison la moins intéressante, à la campagne, précisait-elle.
En ville, aussi, les chaleurs annihilent les espaces de fuite, ferment toutes les issues possibles. Le soleil cerne nos visages, freine nos pas, fatigue nos corps alors qu’une froidure automnale ouvre des perspectives nouvelles, nous rend plus sensibles à l’inattendu et que notre esprit se remet en ordre de marche. Il est faux de dire que le printemps annonce une forme de renouveau, c’est en automne que tout se joue, les carrières, les promotions, les chutes, les emballements amoureux et les doux abandons. Un peu de patience, et nous entreverrons les gelées matinales qui donnent à la France, cette hermine de reine déchue et cette permanence poétique qui est bien notre dernier atout dans la mondialisation. Acceptons enfin notre sort de vieille nation fatiguée et splendide, vernissée et craquante, pluvieuse et rêveuse. L’été qui charrie son lot de touristes, d’espadrilles et de bermudas est enfin derrière nous. Nous en sommes débarrassés. Comme nous avons souffert, cette année encore, par tant de relâchements vestimentaires et moraux.
Le besoin de confort n’explique pas tout dans nos comportements erratiques. Le délitement s’était inséré en nous, c’est un mouvement difficile à stopper, il emporte tout avec lui, nos engagements et nos certitudes. Alors que l’automne oblige, contraint, recadre, impose des codes plus stricts et appelle à un peu de discipline dans nos habits comme dans nos comportements. Nous retrouvons un semblant de dignité dans une météo moins clémente, une relation plus équitable avec ses pudeurs et ses tâtonnements. Nous ne sommes plus sous le feu des projecteurs. La fausse promiscuité estivale disparaît au profit d’une courtoisie de bon aloi, les éclats de voix balnéaires sont tamisés par des nuits plus fraîches, une autre vérité se révèle dans nos rapports aux autres. Dans les derniers jours de septembre, les brasseries enfilent déjà leur loden de laine, on ressert des ballons de sauvignon au comptoir et la cochonaille, notre excellence française, se picore à la volée, avec plus de gourmandise. Le gras n’est plus banni, le froid donne faim. Nous avons même des pulsions soudaines de cornichons fortement vinaigrés et de céleri rémoulade, de poêlée de giroles et de gibier sauvage. La perspective d’une frisée aux lardons et de son œuf poché, dans une station normande, nous ferait presque oublier l’immobilité circulatoire parisienne et l’autoroute A13 au ralenti, le dimanche soir.
L’automne ravive nos envies. Les messieurs s’habillent avec plus de pondération, le velours sort des penderies, les souliers se font plus patinés, et les dames séduisent par des drapés plus lourds qui paradoxalement dévoilent des vertus érotiques. L’automne, on se fait beau. Comme dans la nouvelle du recueil Quat’saisons d’Antoine Blondin où nous partageons l’anxiété d’un « futur » lauréat : « La veille, son éditeur lui avait donné de l’argent pour aller chez le coiffeur. À ce signe infaillible, un écrivain, sous toutes les latitudes, reconnaîtra qu’un prix littéraire ne va pas tomber loin ». L’automne, ce sont aussi les fragrances d’enfance et les tristesses provinciales comme l’écrivait Jean-Claude Pirotte dans Un voyage en automne : « J’ai consumé mon enfance au fond d’une province du Nord, en lisant Dickens et Sans famille. Tu sais cela. Il me semble que c’était tous les jours l’automne, et qu’il pleuvait. Et que j’étais orphelin ; ce doit être un sentiment bien commun ». De tous les poètes, c’est l’Italien Vincenzo Cardarelli qui, en 1920, dans Voyages dans le temps donne la définition la plus éclairante de ce sentiment contrasté : « Maintenant, plus d’immobilité possible ; l’air nous entoure de vertiges. Impossible aussi, néanmoins de sortir lors des moments les plus divins. Dans la nature, de façon voilée, quelque chose s’élabore qui a besoin de n’être point vu, de demeurer seul. Et, à son tour notre volonté d’être se replie, émigre ».
Quat’saisons d’Antoine Blondin – Prix Goncourt de la Nouvelle 1975 – La petite vermillon
À Paris, une professeur de lycée a été menacée de mort la semaine dernière, parce qu’elle avait demandé à une élève d’enlever son voile. Après avoir été placé en garde à vue, le frère de l’élève musulmane menaçant est ressorti libre !
Les faits se sont produits vendredi 16 septembre, pendant une sortie scolaire d’élèves de première du Lycée Simone Weil, dans le quartier du Marais, dans le 3e arrondissement de Paris.
La classe se rendait à la Bibliothèque historique de la Ville. Une jeune fille arrive voilée pour la sortie, et, quand l’enseignante lui demande, conformément à la loi, de retirer son voile, elle commence par mettre sa capuche, puis s’énerve et appelle sa mère. Son frère prend alors l’appareil et il menace la prof : « Je vais venir te défoncer, tu vas voir ce qu’il va t’arriver, j’arrive », aurait-il notamment dit. Et il débarque effectivement au lycée, puis retrouve les élèves dans le quartier près du musée. Interpelé par la police, il aurait déclaré: « Si quelqu’un touche au voile de ma sœur je le tue ».
L’individu est sorti libre de sa garde à vue dimanche, et sera jugé à la fin de l’année pour « outrage et menaces sur une personne chargée d’une mission de service public ». Comme ça, il aura le temps de terroriser d’autres enseignants d’ici là.
Islamisme et antisémitisme à l’école : "Il ne faut pas généraliser ces phénomènes", assure le ministre de l’éducation Pap Ndiaye https://t.co/bD8mSJqLCI
Cet incident peu glorieux intervient une semaine seulement après le drame de l’enseignante poignardée à Caen. Un rassemblement de soutien a eu lieu dans la ville, lundi. Professeur devient un métier à risque. On ne sait pas grand-chose de cette affaire normande. Les motivations ou frustrations de l’élève au couteau sont encore inconnues, mais ce drame a une nouvelle fois démontré la désacralisation de la personne du professeur.
Inquiétudes sur la laïcité au ministère
Cependant, même s’il s’est terminé moins gravement, l’incident de Paris est peut-être plus inquiétant encore, du moins plus significatif. Certes, le passage à l’acte a été évité. Mais le Ministère de l’Education vient d’écrire à toutes les académies pour signaler une recrudescence des remises en cause de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école, remises en cause fortement relayées sur les réseaux sociaux. Des militants islamistes, des « Frères », tentent de mettre dans la tête des jeunes musulmans l’idée qu’ils sont victimes de racisme, que l’école est islamophobe, et que donc tout est permis. Un incident comparable a abouti à l’assassinat de Samuel Paty. Et depuis, plusieurs professeurs ont été exfiltrés de leurs établissements tandis que les parents qui menacent ne sont pas toujours sanctionnés.
Tout cela est révélateur de notre impuissance collective. Quand les femmes iraniennes risquent leur vie pour enlever le hidjab, cet étendard de l’islam politique, il se trouve toujours chez nous des politiques, des intellectuels, des féministes en peau de lapin et même le président de la République pour le défendre, ou nous expliquer que le voile islamique c’est comme le fichu de nos grands-mères… Souvenons-nous de l’air enamouré d’Emmanuel Macron devant la « féministe voilée » de Strasbourg juste avant l’élection présidentielle.
Dans l’affaire du lycée Simone Weil, une responsable d’une association de parents d’élèves a tenu à expliquer que l’école devait rester un lieu de tolérance, de bienveillance et de dialogue… Mais bien sûr : tendons la joue gauche ! Et attendons, dans la tolérance, qu’un autre professeur soit assassiné.
Le programme immigrationniste de Jean-Luc Mélenchon reprend les recommandations faites par Terra Nova en 2011. Et si LFI flatte l’islam, c’est qu’elle est la principale religion des immigrés. Ce pari, gagnant dans les urnes, est une bombe pour la France de demain.
Le 10 mai 2011, la fondation Terra Nova publiait une note vouée à connaître un destin retentissant. Intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 [1]? », celle-ci prenait acte de la désaffection grandissante de l’électorat ouvrier classique à l’égard du Parti socialiste et de ses alliés. Elle recommandait à ses dirigeants de travailler à la construction d’une « nouvelle coalition » à vocation majoritaire, baptisée « la France de demain », devant rassembler à la fois les « diplômés », les « jeunes », les urbains… mais aussi « les minorités et les quartiers populaires » – autrement dit les électeurs issus de l’immigration récente.
Cette stratégie n’était pas fondée sur une vue de l’esprit. Le sociologue Vincent Tiberj y affirmait : « L’auto-positionnement des individus révèle un alignement très fort des Français immigrés et de leurs enfants sur la gauche. Le rapport de forces gauche/droite y est extrême, de l’ordre de 80-20, voire 90-10 %. Il se vérifie quelle que soit l’origine nationale, mais il est le plus massif pour les Français d’origine africaine (tant subsaharienne que maghrébine) et se renforce nettement pour la seconde génération par rapport à la première (de l’ordre de 10 points). »
Une telle surreprésentation constitue une opportunité toujours plus évidente pour la gauche, à la fois du fait de l’accélération des flux migratoires depuis la seconde moitié des années 1990 – documentée notamment par Michèle Tribalat – et de la plus forte natalité des populations issues de l’immigration. Entre 1998 et 2018, le nombre de naissances d’enfants dont au moins un des parents est étranger a augmenté de 63,6 %, celui des naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43 %, tandis que les naissances issues de deux parents français diminuaient de 13,7 %[2]. Notons que la France est loin d’être le seul pays concerné par de tels constats. En effet, le vote à gauche de « minorités ethniques » au poids démographique grandissant semble être devenu une constante en Occident. Ainsi, au Royaume-Uni, lors de la dernière élection générale de 2019, l’Institut Ipsos MORI [3] a établi que 64% des électeurs identifiés comme « Black and Minority Ethnic » avaient voté pour le Parti travailliste de Jeremy Corbyn, soit l’exact double de son score global (32 %) ; seuls 20 % d’entre eux avaient choisi le Parti conservateur, soit moitié moins que son résultat national de 43,6 % qui lui a permis de remporter largement le scrutin.
Bien entendu, ce soutien structurel n’est pas « gratuit » ou irrationnel, mais découle de propositions politiques favorables à la poursuite et à l’intensification de l’immigration dans ces pays, ainsi que d’une approche accommodante des enjeux soulevés par la gestion des différences culturelles et religieuses résultant de la sédentarisation des populations immigrées sur le sol des nations occidentales.Dans le contexte français, ce positionnement était assumé sans faux-semblant par Terra Nova, qui résumait ainsi sa « stratégie centrale » : « Pour faire le plein, la gauche doit faire campagne sur ses valeurs socioéconomiques, mais surtout sur la promotion des valeurs culturelles qui rassemblent toutes les composantes de son nouvel électorat. Elle doit dès lors mettre l’accent sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation et avoir un discours d’ouverture sur les différences, et sur une identité nationale intégratrice. » Les naturalisations font même explicitement partie du calcul électoral : « Ce sont entre 500 000 et 750 000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel », écrivait la fondation, toujours dans la note de 2011. Ajoutons que près de 4 millions de personnes ont acquis la nationalité française entre 1982 et 2019 [4].
Une décennie plus tard, l’élection présidentielle du printemps 2022 semble avoir consacré la pertinence objective de cette combinaison. Non plus au bénéfice du PS et de la social-démocratie, mais du candidat Jean-Luc Mélenchon et de son « Union populaire », qui se sont positionnés de manière offensive sur ces thèmes.
Outre les coups d’éclat médiatiques, tels que la présence du mouvement à la controversée « Marche contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019, cette priorité stratégique se retrouvait dans des propositions programmatiques précises sur l’immigration. Citons entre autres : « Régulariser tous les travailleurs et travailleuses sans-papiers [et] les étudiant·es et parents sans-papiers d’enfants scolarisé·es. […] Régulariser automatiquement tout conjoint·e marié·e ou pacsé·e au titre du regroupement familial. […] Dépénaliser le séjour irrégulier et abolir le placement en centres de rétention administrative des enfants et de leurs parents. […] Faciliter l’accès à la nationalité française pour les personnes étrangères [5]. »
Si l’interdiction des statistiques ethniques par la jurisprudence du Conseil constitutionnel [6] limite notre compréhension des résultats de cette stratégie, un faisceau d’indicateurs nous permet néanmoins d’affirmer sa réussite. Concentrons-nous sur deux d’entre eux : 1) le vote des électeurs de confession musulmane – marqueur notable de l’immigration depuis les années 1970 –, tel que suivi par les instituts de sondage ; 2) la confrontation entre les cartes du vote Mélenchon et celles des 0-18 ans d’origine extra-européenne, établies sur la base des données Insee/France Stratégie.
Le vote des électeurs musulmans se porte largement sur Jean-Luc Mélenchon (69 %)
Si l’immigration extra-européenne reçue en France depuis plusieurs décennies n’est pas exclusivement musulmane, il n’en demeure pas moins que « l’islam est, en France, une nouveauté liée à l’histoire migratoire récente », comme le formule Michèle Tribalat [7]. D’après l’enquête Trajectoires & Origines conduite par l’Insee et l’Ined, 94 % des musulmans déclarés âgés de 18 à 50 ans étaient immigrés ou enfants d’immigrés en 2008. Sur les 6 % restants, environ la moitié étaient nés de parents musulmans, probablement des petits-enfants d’immigrés. L’islam constituait par ailleurs la principale religion déclarée par les immigrés et les enfants de deux parents immigrés [8]. Il est donc pertinent de s’intéresser au « vote musulman » pour mesurer l’impact de l’immigration sur les résultats du scrutin.
Le score de Jean-Luc Mélenchon auprès de ce segment religieux est peut-être la donnée la plus marquante de l’élection. Selon le sondage réalisé par l’IFOP [9] en sortie d’urnes, 69 % des votants de confession musulmane ont glissé un bulletin à son nom au premier tour de l’élection présidentielle. Ce score est d’autant plus impressionnant qu’il n’était que de 37 % en 2017.
Notons aussi que les musulmans n’ont pas été plus abstentionnistes que la moyenne : 23 % d’abstention au premier tour, contre 25,1 % sur l’ensemble des inscrits. Au second tour et toujours selon l’IFOP, 85 % des suffrages musulmans se sont portés sur Emmanuel Macron, contre 92 % en 2017 [10].
Au sein d’une même aire urbaine, plus la part de mineurs nés d’immigrés extra-européens est élevée, plus le score de Jean-Luc Mélenchon est fort.
Au-delà des enquêtes sondagières, nous pouvons mobiliser les statistiques publiques relatives au pourcentage d’immigrés dans la population de chaque département, en comparant cela aux résultats électoraux dans ces mêmes aires territoriales.
L’exemple le plus frappant est évidemment la Seine-Saint-Denis, département emblématique de la question migratoire, car 30,7 % de sa population est officiellement « immigrée » au sens strict (née étrangère à l’étranger) d’après le recensement de l’Insee [11]. Or, Jean-Luc Mélenchon y recueille 49 % des voix au premier tour – son record en métropole.
La tendance de vote est similaire dans la plupart des départements d’Île-de-France, où l’immigration est la plus élevée de tout le pays (hors outre-mer), selon les mêmes données Insee : Mélenchon arrive en tête dans le Val-de-Marne, le Val-d’Oise et l’Essonne, et deuxième derrière Emmanuel Macron à Paris, dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines.
Carte 1 : Pourcentage d’enfants d’immigrés extra-européens par commune en 2017
Source : France Stratégie, « La stratégie résidentielle en France » (francestrategie.shinyapps.io)
Nous pouvons analyser cette corrélation plus précisément en observant les résultats au niveau des communes. En effet, grâce aux données Insee/France Stratégie, que nous avions longuement analysées dans un article publié par Causeur en août 2021[12], nous disposons d’informations sur l’immigration dans les 55 plus grandes agglomérations du pays, et notamment sur la part des enfants immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne parmi les 0-18 ans en 2017. Cette donnée peut être comprise comme un indicateur du poids démographique de l’immigration extra-européenne dans ces territoires et mise en relation avec les résultats à l’élection présidentielle.
Dans le département de Seine-Saint-Denis, une concordance frappante semble apparaître : plus la proportion de mineurs nés d’immigrés extra-européens est élevée, plus le score de Mélenchon au premier tour est fort. Prenons les deux communes « extrêmes » du département au regard de la présence extra-européenne, ainsi qu’une commune intermédiaire :
• A Gournay-sur-Marne, où seulement 18% des 0-18 ans étaient nés de parents immigrés extra-européens en 2017 (proportion la plus basse du département ), le score de Mélenchon n’est que de 20% – soit un résultat proche de sa moyenne nationale.
• A Rosey-sous-Bois, commune « intermédiaire » où la part d’enfants d’immigrés extra-européens parmis les 0-18 ans, était de 46% en 2017, Jean-Luc Mélenchon reçoit 39% des voix en 2022.
• A La Courneuve, où cette part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe atteignait 75% (record du département) en 2017, Jean-Luc Mélenchon obtient en 2022 le score considérable de 64% des suffrages exprimés au premier tour. Cette symétrie est particulièrement frappante lorsque l’on analyse côte à côte les cartes 1 et 2.
Nous pouvons même aller plus loin et calculer la corrélation mathématique exacte pour les communes de Seine-Saint-Denis : la première variable étant la part d’enfants immigrés ou enfants d’immigrés d’origine extra-européenne parmi les 0-18 ans en 2017 et la seconde variable étant les scores de Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle en 2022. On découvre ainsi une corrélation très élevée, à 91,6 %, restituée dans le graphique 1.
Carte 2 : Pourcentage de suffrages exprimés pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022
Source : » Présidentielle 2022 : raz-de-marée de Mélenchon en Seine-Saint-Denis « , Citoyens.com, 14 avril 2022 – Résultats ministère de l’intérieur.
Graphique 1 : Score de Jean-Luc Mélenchon selon la part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe, dans les communes de Saint-Denis
Calculs et graphique : OID.
Carte 3 : Pourcentage d’enfants d’immigrés extra-européens par commune en 2017 à Marseille
Source : France Stratégie, » La ségrégation résidentielle en France « , ibid.
Graphique 2 : Score de Jean-Luc Mélenchon selon la part de mineurs d’ascendance extra-européenne directe, dans les arrondissements de Marseille
Calculs et graphique : OID
Carte 4 : Pourcentage de suffrages exprimés pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022, par arrondissement à Marseille
Source : Résultat des élections présidentielles dans les arrondissements de Marseille, ministère de l’Intérieur et des Outre-mer.
On retrouve ces mêmes observations à Marseille, ville où Jean-Luc Mélenchon a obtenu en moyenne 31,2 % des suffrages exprimés. Comparons trois arrondissements-témoins : celui où la présence extra-européenne est la plus forte, la moins forte et un arrondissement intermédiaire.
• Le 7e arrondissement de Marseille est celui dans lequel le pourcentage de mineurs d’ascendance extra-européenne directe était le plus bas de la ville en 2017, à 21 % ; le score de Mélenchon y est de 22 % en 2022, égal à la moyenne nationale.
• Le 13e arrondissement connaît une situation d’entre-deux, où 34 % des 0-18 ans avaient des parents immigrés extra-européens en 2017 ; Mélenchon y recueille un peu plus de 30% des voix.
• Le 3e arrondissement est celui où la part d’enfants d’immigrés extra-européens parmi les 0-18 ans était la plus élevée à Marseille en 2017, à 63 %. C’est aussi là que Jean-Luc Mélenchon réalise son meilleur score dans la ville, avec plus de 58 % des voix.
Si les cartes paraissent parler d’elles-mêmes, il est aussi intéressant de calculer la corrélation exacte pour l’ensemble des arrondissements de Marseille. On obtient une nouvelle corrélation très nette, chiffrée à 88,9 %.
Conclusion
Tous ces constats dressent le portrait d’une élection où le facteur migratoire a joué un rôle déterminant. La « stratégie centrale » de Terra Nova a été pleinement déployée par le candidat Mélenchon, qui ne l’a certes pas revendiquée (car associée par son origine au « social-libéralisme »), mais en a récolté les dividendes. Celle-ci s’appuie sur la dynamique démographique des populations issues de l’immigration, laquelle ne devrait cesser de s’amplifier « naturellement » sans mise en œuvre d’une volonté politique contraire.
Il est cependant permis de s’interroger sur les limites d’un tel positionnement tactique à moyen terme – en particulier sur les contradictions inhérentes à la « France de demain » telle qu’elle est théorisée par le think-tank progressiste. L’IFOP révélait en 2019 [13] que 63 % des personnes de confession musulmane percevaient l’homosexualité comme « une maladie » ou « une perversion sexuelle », contre 10 % chez les « sans-religion ». Une étude de l’Institut Montaigne publiée en 2016 soulignait par ailleurs que les réflexes rigoristes étaient nettement plus fréquents chez les jeunes musulmans que parmi leurs aînés [14].
Sera-t-il possible de faire cohabiter indéfiniment sous un même chapiteau électoral les tenants métropolitains des valeurs progressistes avec des votants de culture musulmane, en rupture marquée sur les sujets dits « sociétaux » ? Ceux-ci feront-ils toujours abstraction de ces considérations dans leur choix électoral, au profit du seul soutien apporté à l’immigration ? Dans le cas contraire, les partis de gauche se trouveront confrontés à un dilemme cornélien : celui de devoir choisir entre leurs minorités.
[1] Olivier Ferrand et Bruno Jeanbart (dir.), Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, Fondation Terra Nova, 10 mai 2011.
[2] Statistiques de l’état civil de l’Insee et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents ». Calculs : OID (www.observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration).
[3] « GE 2019: How did demographics affect the result ? », House of Commons Library, 21 février 2020, UK Parliament.
[4] Calcul OID sur la base des données INSEE.
[5] « Migrations : pour une politique humaniste et réaliste », Les livrets thématiques de l’Avenir en commun, Melenchon2022.fr
[6] Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, « Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » (site du Conseil constitutionnel).
[7] Michèle Tribalat, « Dynamique démographique des musulmans de France », in Commentaire, Hiver 2011-2012, n°136 (www.micheletribalat.fr).
[8] Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.), Trajectoires et Origines, Insee-Ined, 2008.
[9] « Le vote des électorats confessionnels au 1er tour de l’élection présidentielle », 10 avril 2022, Ifop.com.
[10] « Le vote des électorats confessionnels au second tour de l’élection présidentielle », 25 avril 2022, Ifop.com.
[11] « Population immigrée selon les principaux pays de naissance en 2019 : comparaisons régionales et départementales », 27 juin 2022, Insee.fr.
[12] Observatoire de l’immigration et de la démographie, « Immigration et démographie urbaine : les cartes à peine croyables de France Stratégie », Causeur.fr, 24 août 2021.
[13] « Le regard des Français sur l’homosexualité et la place des LGBT dans la société, 24 juin 2019 », Ifop.com.
[14] « Un islam français est possible », Institut Montaigne, septembre 2016.
Les derniers sondages créditent le parti Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni de 24% des intentions de votes lors des prochaines élections générales.
La coalition de droite pourrait obtenir une majorité absolue des sièges, ce qui permettrait à Meloni de devenir la première femme Présidente du Conseil des ministres italien. La possible élection d’une Première ministre issue d’un parti néofasciste, près de 70 ans après la mort de Benito Mussolini, peut surprendre.
Ainsi, à quelques jours du scrutin du 25 septembre, il est légitime de se demander si Meloni peut réellement l’emporter et quels sont les ressorts de son succès.
En tête des sondages et bénéficiant de la coalition de droite
En quelques années, le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni est passé du statut de mouvement marginal ne comptant que quelques parlementaires à la première force politique du pays selon les sondeurs. Lors des élections générales de 2013, le parti ne récolta qu’à peine 2% des voix, en 2018 un peu plus de 4% mais les sondeurs italiens nous prédisent donc que le 25 septembre, près d’un quart des votants choisiront Meloni et FdI.
Fratelli d’Italia est crédité d’un score oscillant entre 23 et 25% et devrait donc arriver en tête de l’élection dimanche. D’autres enseignements peuvent en outre être tirés des nombreux sondages sortis depuis le début de l’année. Le Partito Democratico d’Enrico Letta, parti de centre gauche, arriverait en deuxième position et est crédité de 20 à 23% des suffrages. Suivent la Lega de Matteo Salvini avec entre 12 et 15% des intentions de vote, le Mouvement 5 Étoiles (M5S) crédité de 11/12% des voix et Silvio Berlusconi avec Forza Italia placé entre 7 et 9%.
Ainsi, sauf retournement de situation inattendu, Giorgia Meloni va se retrouver à la tête de la première force politique du pays au soir du 25 septembre. La probable forte abstention ainsi que le mode de scrutin mixte ne sont pas les seuls éléments jouant en la faveur de Meloni. Depuis les années 1960, il est impossible pour un seul parti de gouverner en Italie et les leaders politiques se doivent de former des coalitions afin d’arriver à leurs fins. Le 27 juillet, les différents partis de droite ont décidé de renouveler leur coalition alors que les partis de gauche peinent à s’entendre. Les leaders des trois partis de droite ont déclaré que le chef de file du parti arrivé en tête serait leur candidat naturel au poste de Président du Conseil. Ainsi, en plus d’être créditée de presque 50% des voix, ce qui correspondrait à près de 60% des sièges, la droite apparaît comme la mieux placée pour former le prochain gouvernement et donc diriger le pays seule. Tout cela pourrait profiter à Meloni, dont le mouvement est désormais la figure de proue de la droite italienne et dont la supériorité semble acceptée par Salvini et Berlusconi.
Un contexte italien particulier
Le premier vecteur du succès de Giorgia Meloni repose sur le contexte politique particulier italien. En effet, son parti Fratelli d’Italia a été le seul à ne pas participer à la coalition gouvernementale d’union nationale. Cette situation spécifique a permis à Giorgia Meloni de s’imposer comme principale opposante à Mario Draghi, et explique son ascension rapide comme favorite. Alors que la place de parti contestataire était occupée avant 2021 à droite par la Lega de Matteo Salvini et à gauche par le Mouvement 5 étoiles, le fait que ces deux partis rejoignent la coalition d’union nationale a propulsé le parti de Giorgia Meloni sur le devant de la scène. Fratelli d’Italia est alors devenu l’unique parti perçu comme véritablement anti-système et contestataire et a hérité d’une manne électorale inattendue.
La reconduction d’un gouvernement d’union nationale serait l’un des seuls scénarios permettant de bloquer la route à Giorgia Meloni si son parti arrive en tête dimanche soir. Pourtant, ce dernier semble très improbable, tant les rancœurs entre les différents leaders politiques rendaient toute entente impossible il y a quelques semaines. En effet, après le vote de confiance remporté de justesse par Mario Draghi le 14 juillet, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi ont déclaré ne plus vouloir faire partie d’une coalition impliquant le Mouvement 5 Étoiles. De son côté, Giuseppe Conte du M5S critiquait la politique gouvernementale sur l’Ukraine depuis plusieurs semaines et avait été le premier à déclarer ne pas vouloir voter la confiance.
Les clés du succès Meloni
Le succès de Meloni s’explique donc par son positionnement anti-système et contestataire qu’elle est parvenue à décliner de façon programmatique. Nous pouvons ainsi identifier quatre lignes de force de son programme :
Économiquement convertie aux thèses libérales, elle souhaite une baisse très importante des impôts afin de redynamiser l’économie et rendre leur argent aux Italiens. Ce positionnement économique s’accompagne d’un fort euroscepticisme, puisqu’elle considère que l’Europe entrave l’Italie et que la solidarité européenne présentée en théorie n’est pas au rendez-vous dans les faits. Elle souhaite ainsi renégocier les règles budgétaires en vigueur au sein de l’UE, et compte utiliser l’argent issu du fonds de relance comme elle le souhaite pour aider la population italienne. La troisième caractéristique programmatique est son positionnement anti-immigration assumé. Meloni se montre extrêmement dure et demande la fin de l’immigration de masse en Italie. Elle critique ouvertement l’islamisation de l’Italie et de l’Europe et se montre favorable à la fermeture des ports italiens aux bateaux déposant des migrants. Finalement, c’est sur le volet sociétal que Giorgia Meloni s’illustre, en revendiquant la défense des valeurs traditionnelles et de la civilisation européenne, qui ont fait l’Italie. Elle estime que ces valeurs sont actuellement en danger et défend donc depuis plusieurs années une société conservatrice.
Mais au-delà des axes programmatiques et du positionnement stratégique, c’est l’équation personnelle singulière de Giorgia Meloni qui explique aussi son succès. Meloni est originaire du quartier populaire de la Garbatella dans le sud de Rome, et cette origine modeste est importante dans un contexte de défiance à l’égard des politiques. En effet, ceci lui permet de paraître proche des classes populaires et de leurs préoccupations sachant qu’elle a vécu les mêmes problèmes. Ainsi lorsqu’elle évoque les sujets d’immigration ou de pouvoir d’achat, elle semble plus sincère que la plupart des politiques italiens accusés de déconnexion, et trouve les axes pour faire les liens entre ces phénomènes macroscopiques et le quotidien des Italiens.
Finalement, c’est la rencontre d’un contexte politique inédit, d’un programme résolument antisystème et contestataire et l’équation personnelle de la leader d’extrême droite qui devrait faire de Giorgia Meloni la future patronne de l’Italie.
À l’ONU, face aux menaces russes, Emmanuel Macron dénonce un impérialisme nouveau, place la France dans le camp de la justice et entend convaincre les pays non alignés. Analyse.
Au terme d’une courte déclaration diffusée mercredi à la télévision russe, Vladimir Poutine est sorti de son mutisme pour affirmer sa volonté de poursuivre la guerre. « Les gouvernements de Kherson, Zaporijia, Lougansk et Donetsk ont pris la décision souveraine de se tourner vers nous pour organiser des référendums. Nous allons appuyer leur démarche » a-t-il annoncé.
Ces annexions déguisées qui ne tromperont personne, s’agissant de territoires qui sont toujours pour certains des théâtres de combat dépouillés de dizaines de milliers de leurs habitants déplacés à travers toute l’Europe, répondent à un objectif politique extrêmement clair. La Russie entend faire de ces territoires des conquêtes russes intégrées à sa Fédération, de sorte que les percées ukrainiennes soient désormais assimilées à des incursions sur son sol et non plus à une défense contre une invasion.
Opérations très spéciales
Ce changement de ton était déjà prévisible le 21 février, date à laquelle Vladimir Poutine reconnaissait l’indépendance des deux Républiques de Donetsk et du Donbass sur le modèle de ce qu’il avait fait pour l’Ossétie du Sud. Il admettait alors implicitement que les entités séparatistes avaient le droit légal d’attaquer « l’occupant kiévien ». Prélude à l’invasion, cette reconnaissance unilatérale a permis à la Russie de justifier sa guerre d’annexion en la déguisant en une « opération spéciale » à visée humanitaire, destinée à sauver les populations russophones d’un « génocide » pensée par une junte de néo-nazis et de criminels drogués… Une rhétorique paranoïaque qui incluait aussi l’Occident tout entier, accusé de vouloir fournir des armes nucléaires à l’Ukraine ou encore de chercher à contrôler « la Russie jusqu’à l’Oural » grâce aux bases positionnées en mer Noire, selon l’expression de Vladimir Poutine lui-même.
La Russie pensait-elle subjuguer l’Ukraine en quelques jours en la dépossédant de son gouvernement grâce à une cinquième colonne ? C’est ce que pensent de nombreux observateurs. Difficile à prouver, mais toujours est-il qu’il semblerait étonnant que Moscou ait souhaité s’embourber dans une guerre longue et difficile face à un peuple en armes, animé d’un sentiment national que l’adversité n’a cessé de renforcer au cours des derniers mois. Les difficultés militaires rencontrées sur le terrain, l’armée ukrainienne ayant repris une partie des territoires tombés, à l’image de la ville d’Izyum dans la région de Kharkiv, ont certainement courroucé le chef du Kremlin qui a décidé d’accélérer et n’hésite plus à utiliser la menace de l’arme nucléaire pour faire pression sur les opinions occidentales les plus rétives à la guerre.
Dimitri Medvedev a ainsi surenchéri : « La Russie est prête à utiliser n’importe quelle arme, y compris les armes nucléaires, pour défendre les territoires annexés ». Des mots lourds de sens. Il est étonnant, dans ces circonstances, de continuer à entendre la petite musique de quelques « pacifistes » français qui, hier, n’ont pas eu de mots trop durs pour dénoncer l’escalade dangereuse… vers laquelle nous conduirait non pas la Russie, mais Emmanuel Macron, l’Union européenne et l’OTAN ! Le parallèle avec l’annexion des Sudètes est en l’espèce non seulement tentant mais aussi pertinent. Poursuivant une politique pangermaniste qui n’est pas sans rappeler la politique panslaviste menée par le Kremlin aujourd’hui, Adolf Hitler déclarait le 29 septembre 1938 vouloir « libérer les Allemands des Sudètes de l’oppression tchécoslovaque ». Un casus belli pour Prague qui avait alors requis l’aide de la France et de la Grande-Bretagne.
Las, la suite est connue : Edouard Daladier et Neville Chamberlain signèrent les accords de Munich avalisant l’annexion des Sudètes en échange du renoncement par l’Allemagne à ses revendications territoriales supplémentaires. Winston Churchill eut cette phrase passée à la postérité, « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Ceux qui refusent aujourd’hui ces sanctions économiques prétendument inutiles – notons que la Russie mobilise pourtant toute son énergie à les faire lever – ne comprennent pas que Moscou est entrée dans une dérive sans précédent, une tornade de crimes de guerre et de paranoïa, de cynisme absolu et d’assassinats politiques, de mépris pour les vies de ses propres enfants comme de ceux du reste du monde, et qu’il n’y a pas d’autre alternative.
Que proposent Ségolène Royal, Thierry Mariani ou Florian Philippot ? Que nous prenions « le chemin de la paix » ? Mais laquelle ? Comment ? Des référendums nécessitent des règles pour être valides. Quand bien même nous arrêterions, nous Français, les sanctions et les envois d’armes, la guerre ne s’arrêterait pas et nous en subirions pleinement toutes les conséquences tout en rejoignant le camp des parias. La neutralité n’existe pas à partir du moment où un pays décide seul de s’affranchir de toutes les règles de l’ordre juridique international, à partir du moment où ce même pays nous nargue en Afrique, nous brandit ses missiles nucléaires au visage, et cherche à manipuler toute une partie de notre opinion publique.
« Nouvel » impérialisme ?
Entendre l’Insoumis Didier Maïsto – et tant d’autres – au micro de TV Libertés conspuer Emmanuel Macron à l’ONU mais ne rien dire contre le chantage russe a de quoi donner le tournis. Sans être exempte de défauts, l’allocution d’Emmanuel Macron a au moins placé la France dans le camp de la justice et permis de comprendre que la France était directement menacée par la Russie, au même titre que toute l’Union européenne dont elle entend briser l’unité : « Ce à quoi nous assistons depuis le 24 février dernier est un retour à l’âge des impérialismes et des colonies. La France le refuse et recherchera obstinément la paix. Là-dessus, notre position est claire et c’est au service de cette position que j’assume le dialogue conduit avec la Russie dès avant le déclenchement de la guerre, tout au long des derniers mois, et que je continuerai de l’assumer car c’est ainsi qu’ensemble, nous rechercherons la paix ».
Il est faux de dire que la Russie renoue avec l’âge des impérialismes. De fait, elle n’y a jamais renoncé et la rupture avec l’URSS n’a jamais été faite. Vladimir Poutine est le légataire des Brejnev et des Staline. Il a peut-être renoncé au communisme au profit du capitalisme oligarchique le plus sauvage, mais il n’a pas renoncé au totalitarisme soviétique. Il ne veut pas la paix, il veut soumettre ses voisins et le monde. Il veut un nouvel ordre international, « multipolaire » qui serait surtout le règne de la violence et du chacun pour soi. L’Occident a bien des torts, mais il n’agite pas son arsenal atomique dès qu’il rencontre la plus petite difficulté militaire. Du reste, la Russie commence même à effrayer ses partenaires les plus fidèles parmi les BRICS. Le Premier ministre indien Modi a dit directement à Poutine que l’époque n’était pas à la guerre et la Chine appelle à un cessez-le-feu.
Comment peut-on se dire d’une droite conservatrice et s’associer à un axe aussi baroque que celui formé par la Russie, Cuba, le Venezuela, la Syrie, l’Iran et la Corée-du-Nord ? Ce n’est pas notre monde. Comprenons que nous n’avons jamais voulu la guerre. L’Union européenne a à plusieurs reprises tendu la main à la Russie. Cette dernière n’a jamais été fiable, n’a jamais voulu se démocratiser concrètement, assassinant les opposants, couvrant les forfaits de ses sbires – le vol MH17, probablement abattu par un missile des séparatistes en étant un exemple caractéristique -, s’ingéniant à calomnier la France au Sahel, à corrompre les associations écologistes allemandes anti-nucléaires. Nous avons été faibles. Nous avons été désunis. Peut-être est-il temps d’évoluer et d’admettre que le retour des Empires nous commande d’en être un : soucieux de sa civilisation, indépendant de l’Amérique, farouchement opposé aux régimes autoritaires, capable de répondre par la force à la violence.
Dans L’Âge Global, l’historien britannique Ian Kershaw indiquait que la guerre en Ukraine déclenchée en 2014 avait rappelé que « si une guerre (était) éminemment improbable en Europe parmi les pays qui forment l’Union européenne, elle pourrait bien venir de l’extérieur. Nul ne saurait dire comment peut tourner la rivalité des superpuissances dans l’après-guerre froide. Les relations futures entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie sont néanmoins grosses de conflits possibles, voire d’une guerre nucléaire, qui pourrait le moment venu engloutir l’Europe ». Nous y sommes presque. Ce danger ne doit pourtant pas nous conduire à sortir de l’histoire, plutôt à enfin se décider d’y revenir. Car céder au chantage nous exposerait à être demain esclaves des caprices de tous les dictateurs avides de domination. Si vis pacem, parabellum.