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Fantômes de Goya

« L’Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière », un documentaire de José-Luis Lopez-Linares, en salles


Fantômes de Goya
© Epicentre Films

Un documentaire posthume et éblouissant où Jean-Claude Carrière perce les mystères de Goya…


Au seuil de mourir âgé de 89 ans en 2021, le célèbre écrivain, parolier, metteur en scène et acteur Jean-Claude Carrière, en outre scénariste et vieux complice de Luis Buñuel (Journal d’une femme de chambre, Belle de Jour, Le Charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir) ou de Jacques Deray (La Piscine), lui qui a écrit pour Juliette Gréco, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau et tant d’autres, lui le compagnon de cœur de Jean-Luc Godard, de Louis Malle, de Jean-Paul Rappeneau, en se glissant dans les ombres fuligineuses du peintre de Saturne dévorant ses fils, de la Maja nue ou de Tres de Mayo, nous démontre, avec Les ombres de Goya, que rien n’a plus de prix que la pénétration d’un regard singulier, nourri d’érudition personnelle et d’intelligence critique. Sur un artiste du calibre de Goya, qu’ajouter qui n’ait été dit déjà ? Justement, cela.

Epicentre Films

Un voyage de cœur

Aux antipodes du documentaire pesamment didactique, ou pire encore, de la vogue du docu-fiction mollasson dont le formatage télévisuel nous abreuve aujourd’hui jusqu’à la nausée, l’intense délectation procurée par ce film tient à celle, contagieuse, que prend Jean-Claude Carrière à nous emporter dans son périple, de Saragosse à Séville, de Madrid à Bordeaux, sur les traces du génial peintre et graveur espagnol né en 1746 et mort en 1828. Voyage dans l’espace géographique, de la Chartreuse d’Aula Dei, à Saragosse, décorée par Goya en 1773-1774 au village natal de l’artiste, Fuendetodos, jusqu’aux incomparables salles du musée du Prado, en passant par la basilique de Nuestra senora del Pilar, où Goya, en 1780/1781 réalisa les fresques de la coupole Regina Martyrium… Mais également voyage dans le temps, à travers la remémoration de ses intercesseurs sur le chemin de l’art : Bunuel (Aragonais comme Goya et auteur, dans sa jeunesse, d’un scénario à lui consacré), Carlos Saura (le cinéaste de Cria cuervos)… 

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Voyage de cœur et d’esprit, également, auprès de Michel Cassé, par exemple, qui nous parle de la mécanique cantiques, du peintre-sculpteur Guillermo Pérez Villalta, qui commente merveilleusement pour nous la toile La Prairie de Saint-Isidore, du graveur Pascual Adolfo Lopez Salueña, qu’on voit au travail : riche enseignement sur l’élaboration des fameuses gravures dont, comme l’observe Jean-Claude Carrière avec justesse,  « chacune pose une question à celui qui la regarde » ou encore du claveciniste et musicologue Luis Antonio Gonzalez, pour évoquer le séjour de Goya à Bologne… Sans compter l’ami peintre et cinéaste Julian Schnabel qui, devant l’objectif, debout en tablier de travail blanc, disserte devant le gigantesque portrait de Maria Luisa de Parmes, reine d’Espagne, dont l’original est conservé au Prado et dont il a magistralement réalisé la copie qui lui sert ici de toile de fond à l’écran !

« J’ai toujours été poussé par la curiosité. Et la sympathie », confie Jean-Claude Carrière, critique « amateur » si pertinent dans sa connaissance sensible, intime, viscérale pourrait-on dire, de l’œuvre et de l’artiste. En témoigne, devant la caméra, sa veuve d’origine iranienne, jeune et magnifique de simplicité. Sympathie hautement communicative, que son époux disparu inspire au spectateur, pris à témoin dans cette quête du sens et dans cet ultime pèlerinage en abyme qui, à distance de toute cuistrerie, joint sa parole post-mortem à celle des savants, telle Charlotte-Chastel Rousseau, conservatrice de la peinture hispanique au Musée du Louvre.

Envoutante sonorité plastique

La Société des Amis du Louvre, notons-le au passage, a été bien inspirée de soutenir l’excellent travail du réalisateur José Luis Lopez-Linares, à qui l’on doit déjà Le Mystère Jérôme Bosch (2016). Tout, dans L’Ombre de Goya, est un régal. Depuis les extraits de films qui, sous les auspices du créateur des « Caprices » ou des « Désastres de la guerre », jalonnent cette circulation de Manet à Velasquez ou de Picasso au Greco, jusqu’à ces morceaux choisis des Goyescas de Granados dont l’envoûtante sonorité pianistique nous accompagne dans ces contrées énigmatiques où « le sommeil de la raison engendre les monstres ».      

« L’Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière ». Documentaire de José-Luis Lopez-Linares. Espagne, France, couleur, 2021. Durée: 1h30. En salles, le 21 septembre.




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