Pour le député LR d’Eure-et-Loir, l’échec des Républicains s’explique notamment par leur incapacité à répondre à la mondialisation. Mais, dans la nouvelle configuration parlementaire, entre le RN et la Macronie, ils peuvent incarner une opposition crédible en contraignant la politique du gouvernement dans le bon sens.
Causeur. Aujourd’hui, les Républicains semblent débordés sur leur droite par le RN et sur leur gauche par la Macronie. Quelle sera votre stratégie à l’Assemblée face à la « majorité relative » ?
Olivier Marleix. Nous connaissons une situation inédite dans l’histoire de la Ve République. Pourquoi en sommes-nous là ? Les Français ont voulu délibérément priver Macron d’une majorité et l’obliger à écouter l’Assemblée. C’est un message pour le président, mais cela crée aussi une responsabilité particulière pour les députés. Quelle que soit la colère exprimée par les électeurs, ces derniers attendent qu’on se batte pour eux, que nous soyons utiles, pas stériles. Nous prendrons les textes les uns à la suite des autres et nous défendrons nos idées. Soit ces textes ne correspondent en rien à nos convictions et on ne les votera pas ; soit on arrive à peser suffisamment dessus pour considérer qu’ils contiennent des choses utiles et on les votera. C’est ce qu’on a essayé de faire sur les trois premiers textes. Par exemple, sur le pouvoir d’achat : j’avais écrit au Premier ministre pour lui dire que nous voterions ce texte sous deux conditions. La première était la baisse du prix des carburants qui, en France, comprend entre 55 % et 60 % de taxes. C’est « l’impôt de la France qui se lève tôt », c’est-à-dire le plus injuste. En milieu rural les salariés font en moyenne 40 km par jour pour aller travailler. Deuxième condition : des mesures pour revenir pleinement au « travailler plus pour gagner plus », avec des possibilités de rachat de RTT, l’augmentation du plafond de défiscalisation et l’exonération de charges sociales pour les employeurs. Nous avons obtenu gain de cause, nous avons voté.
Le RN et la Nupes vous font le reproche de coopérer avec Macron.
Quand on regarde les votes, dans 50 % des cas le RN a voté comme nous. Ce petit jeu n’a pas tellement d’intérêt. Et on ne parle que de trois textes. Il n’y a aucune ambiguïté sur le fait que nous sommes des opposants déterminés à la politique d’Emmanuel Macron. Dois-je vous rappeler que j’ai même saisi le procureur sur un éventuel lien entre l’autorisation de la vente d’Alstom et le financement de sa campagne présidentielle ? Je n’ai pas peur de m’opposer ! Mais vu l’état du pays, si on a les moyens d’imposer au gouvernement des mesures utiles pour les Français, on ne va pas s’en priver pour une question de posture !
A lire ensuite: Christine Kelly: «Je suis pour la liberté d’offenser»
Comptez-vous faire de même lorsque l’Assemblée débattra du budget de la France cet automne ?
En tant que parti d’opposition, nous n’avons pas vocation à voter le budget. Le fossé entre la Macronie et nous est trop grand pour qu’il y ait le moindre rapprochement possible. Je reste préoccupé par trois grands échecs du quinquennat Macron. Le premier, en matière financière : notre pays est au bord du précipice avec 3 000 milliards de dettes, des taux d’intérêt qui remontent. Ensuite, il y a un terrible échec en matière de politique énergétique. La lâcheté de Macron sur le nucléaire a affaibli la France de manière scandaleuse. Depuis la Libération, grâce au nucléaire, notre pays avait conquis son indépendance, une première dans son histoire. Aujourd’hui, nous risquons des coupures d’électricité pendant l’hiver. C’est une misère que nous devons au couple Hollande/Macron. Enfin, troisième grand échec, c’est le renoncement total dans le secteur régalien, à la fois sur la politique pénale, la justice – Macron n’a pas changé une virgule aux lois de Mme Taubira – et l’immigration – où nous battons des records avec 277 000 titres de séjour délivrés en 2021, quand la moyenne était de 180 000 sous Sarkozy.
Quelle influence pouvez-vous exercer sur le budget ?
Dans les discussions que j’ai eues avec le Premier ministre et le ministre de l’Économie, j’ai été frappé de voir qu’ils étaient plutôt ouverts sur la façon de dépenser, mais totalement figés sur les propositions d’économies. Macron est fondamentalement social-démocrate : pour lui, tout se termine toujours par de la dépense publique. C’est le bon disciple d’une pensée unique selon laquelle l’ouverture sans limite au grand marché mondial doit s’accompagner de la redistribution. Il avait annoncé la suppression de 130 000 postes de fonctionnaires, finalement il en aura créé un peu plus de 130 000. Regardez les Britanniques ! Pour soutenir le pouvoir d’achat, le gouvernement annonce une réduction de 90 000 emplois publics. En France, on serait incapable d’une telle audace. Nos premiers emprunts de l’après « quoi qu’il en coûte » se font à un taux d’intérêt de 2,4 % ! Les Allemands sont à 1,6 %. 1 % d’augmentation du taux d’intérêt, c’est 40 milliards de plus ! On est à plus de 85 milliards de charge de la dette annuelle supplémentaire. Notre pays est au bord du précipice. Et malgré ce niveau de dépense publique, l’État demeure foncièrement incapable de satisfaire la population en matière de services publics. On a un hôpital qui est au bord de la rupture, une école en échec avec des professeurs épuisés et des forces de l’ordre totalement découragées car il n’y a pas de politique pénale. Non, les désaccords sont trop profonds pour qu’il y ait la moindre chance de trouver le moindre accord de fond entre nous et la Macronie.
La majorité présidentielle prépare un projet de loi sur l’immigration. Vous y serez favorable ?
Il y a un très large consensus dans le pays sur la reprise en main ferme des politiques migratoires. Il suffit de regarder les sondages : 88 % des Français sont favorables à l’expulsion d’étrangers délinquants. 71 % souhaitent une diminution considérable des flux d’immigration sur le territoire national. Il y a aussi une majorité au Parlement pour voter des lois de reprise en main de notre destin. Ce serait une faute historique de la part de Macron de ne pas mettre à profit ce consensus politique qu’il faut accompagner intelligemment par une politique de co-développement totalement refondée avec le continent africain. Le chantier est immense. L’un des scandales est l’immigration sociale : on a des retraités qui n’ont jamais cotisé un euro en France, mais qui viennent dans notre pays pour y toucher une retraite. J’ai essayé d’y mettre fin, il y a cinq ans, en déposant une proposition de loi sur une durée de cotisation minimale. Sur les étrangers délinquants, il y a quarante ans, on en expulsait 5 000 par an, aujourd’hui une centaine. Pourquoi ? Parce qu’on a créé toutes sortes de « protections » liées aux attaches en France, et parce qu’il y a trois niveaux de juridiction. On l’a vu avec l’imam de Tourcoing. Créons une juridiction de première et dernière instance et expulsons !
Il me semble que la possibilité d’appel est constitutionnelle… Si LR et le gouvernement restent aussi intransigeants l’un que l’autre, la situation ne deviendra-t-elle pas ingérable ?
Le plus important pour nous est de nous reconstruire comme une alternative visible à Macron. Les Français attendent maintenant de voir ce que les différents partis d’opposition sont capables de faire. Que feront les 89 députés de Mme Le Pen ? Vont-ils se contenter de brailler avec LFI pendant cinq ans ? Pour nous qui avons vécu un revers terrible à la présidentielle, avec moins de 5 % des voix, la nouvelle configuration de l’Assemblée peut nous donner l’occasion d’être visibles en contraignant la politique du gouvernement dans le bon sens. L’occasion de montrer à la fois en quoi nous sommes une opposition et en quoi nous sommes différents de Macron et du RN.
Mais si on aboutit à une sorte d’enlisement où personne ne peut avancer, que ferez-vous ?
Le président de la République a l’arme de la dissolution entre les mains. Mais c’est un fusil à un coup ! On a connu une période de cinq ans après 1988 où Mitterrand n’avait pas la majorité absolue. Il y avait le 49-3, que Rocard a utilisé 28 fois, mais aujourd’hui cet outil a un usage limité : uniquement une fois par session ordinaire, plus les textes financiers, le financement de la Sécurité sociale. À mes yeux, le 49-3 ne mérite pas le procès en indignité qu’on lui fait. Cela ne me choque pas qu’un gouvernement minoritaire soit contraint de l’employer. Il y aura des motions de censure déposées systématiquement par la Nupes. Nous ne les voterons pas si c’est un jeu systématique, mais nous avons nous-mêmes la faculté d’en déposer une. L’élection présidentielle a eu lieu, son résultat ne me plaît pas, mais on n’est pas au Chili en 1973. Les Français n’ont pas envie de blocage : les partis tenus pour responsables d’un blocage en subiront les conséquences en cas de dissolution.
A lire aussi, Philippe Bilger: Éloge du nouveau pluralisme politique français!
Faut-il vous rappeler que c’est Nicolas Sarkozy qui a drastiquement limité le recours au 49-3 ? En tout cas, votre candidate à la présidentielle était perçue comme insuffisamment distincte de Macron. En quoi les Républicains sont-ils vraiment différents ?
Ce qui fait notre ADN, c’est de croire qu’il ne peut pas y avoir de cohésion nationale sans travail. Une nation ne peut apporter le bonheur à ses concitoyens que si on produit de la richesse ensemble. La question économique est fondamentale aujourd’hui : comment ce pays retrouvera-t-il sa prospérité ? La droite a troublé son identité quand elle a échoué à apporter une réponse aux problèmes économiques créés par la mondialisation. Elle a perdu de vue le fait que la priorité était de protéger nos compatriotes. Comment pourrait-on s’adapter à un marché mondial du travail où on est en concurrence avec un coût du travail de deux euros de l’heure en Chine. Macron, lui, est un adepte sans réserve du marché mondial ; pour lui, les actionnaires n’ont pas de passeport. Mais on ne peut pas demander à un actionnaire américain d’avoir la même considération pour un site de production en France qu’un actionnaire français. L’idée de la mondialisation heureuse est fausse. On ne peut pas s’extraire du marché mondial, mais on peut au moins chercher à s’en protéger.
Le RN prétend aussi protéger les Français contre la mondialisation…
Pour nous, il s’agit de retrouver un équilibre entre la défense de la liberté d’entreprendre – celle de nos entrepreneurs qui produisent et investissent en France – et ce marché mondial qui est devenu injuste et même illibéral. Je résume notre approche en une formule : plus de liberté à l’intérieur (moins de normes, d’impôts) et plus de protection vis-à-vis de l’extérieur. Cela nous distingue de Macron, mais aussi d’un RN qui a un discours de repli national contraire aux intérêts fondamentaux de la France, ceux sur lesquels s’est bâtie notre économie depuis 1945 et dont les principaux moteurs sont l’exportation dans l’aéronautique, la cosmétique ou l’agroalimentaire. Si demain on se fâche avec tout le monde au point de ne plus exporter, je ne vois pas comment on pourra retrouver la prospérité. Quant à la retraite à 60 ans, défendue par le RN, cela ne me paraît pas réalisable économiquement. Je n’ai jamais entendu non plus Marine Le Pen dire qu’il fallait sortir de l’assistanat : elle est même la seule à combattre l’idée des quinze heures d’activité en contrepartie du RSA que j’ai fait inscrire dans le programme des Républicains. En réalité, elle ne veut pas se fâcher avec une partie de ses propres électeurs installés dans l’assistance. Là-dessus, nous avons une grande différence, car nous affirmons que c’est par le travail que passe la production de richesses, à condition d’avoir un véritable État stratège qui valorise le travail.
En France, tous les partis invoquent l’État stratège. En quoi LR est-il plus crédible que les autres ?
Il y a eu une longue période où il était de bon ton de rire grassement lorsqu’un politique prononçait les mots « planification » ou « État stratège ». Le Macron de 2017, c’est le champion de cette France des affaires qui ne veut pas que l’État se mêle de son business… C’est Sarkozy qui est revenu à une vraie politique d’État stratège, en créant le Fonds stratégique d’investissement (FSI), en réformant la fiscalité des sociétés par la suppression de la taxe professionnelle, ou en lançant un crédit impôt recherche. En 2004, il sauve Alstom de la faillite parce qu’il considère que c’est une entreprise essentielle à la souveraineté. Sous Hollande, en revanche, on a vécu une trahison totale : il n’a même pas été capable de nationaliser l’usine sidérurgique de Florange, là où Giscard d’Estaing avait nationalisé Usinor et Sacilor ! Et qui inspirait la politique de Hollande ? Macron !
Les Liquidateurs - Ce que le macronisme inflige à la France et comment en sortir
Price: 19,00 €
27 used & new available from 6,44 €