À l’ONU, Donald Trump a parlé comme un homme du réel. Ses phrases étaient martelées, brutales, mais elles portaient une vérité insupportable : l’Occident se défait de lui-même, il abdique, il se décompose. La réaction fut immédiate : les médias dominants le rangèrent parmi les « fascistes », ce mot magique qui permet de réduire un adversaire au silence, de l’excommunier sans procès. Fasciste, donc inécoutable. Fasciste, donc à abattre.
Le procédé est toujours le même : Tommy Robinson, qui a osé nommer les crimes de certains gangs musulmans en Angleterre, est réduit au statut de pestiféré ; Viktor Orbán, qui a rappelé que la frontière est une condition de survie pour les nations, est voué aux gémonies ; Marine Le Pen, qui incarne l’idée qu’il existe encore un peuple français, est jetée dans la fosse commune des « ennemis de la démocratie ». On ne discute pas avec ces gens-là. On les diabolise. On les extermine symboliquement.
Il n’y a plus de débat. Il n’y a plus que des anathèmes. La démocratie s’est retournée contre elle-même : elle ne supporte plus d’entendre ce qui la contredit. Et c’est dans ce retournement que gît le nouveau fascisme : dans cette manie d’exclure, dans cette compulsion à interdire, dans ce besoin de tuer la parole avant même qu’elle ne soit prononcée.
Car le fascisme n’est plus là où l’on dit qu’il est. Il n’est pas dans ceux qu’on accuse — Trump, Orbán, Le Pen, Robinson — il est dans ceux qui accusent. Il est dans la meute progressiste qui s’arroge le monopole du Bien, dans les journalistes qui lynchent au nom de la morale, dans les étudiants qui brûlent des effigies de leurs professeurs, dans les milices antifascistes qui censurent au nom de l’antifascisme. Plus on élargit le cercle des « fascistes » désignés, plus on banalise le mot, et plus on perd la faculté de reconnaître le vrai fascisme lorsqu’il frappe.
Le fascisme du présent révélé par la violence politique
L’assassinat de Charlie Kirk, figure de la droite radicale américaine, n’est pas un fait divers : c’est un symptôme. Ce meurtre dit la vérité d’une époque où l’adversaire n’a plus le droit d’exister. L’élimination physique, médiatique ou symbolique est devenue la nouvelle norme. Les attentats islamistes en Europe, les intimidations sur les campus, les menaces contre ceux qui ne se plient pas au catéchisme progressiste : tout concourt à créer un climat où la violence remplace la dispute, où la peur supprime la parole.
On ne revient pas aux « extrêmes » : nous assistons au retour d’une structure, d’un mode d’être politique. Le fascisme réinvestit notre temps sous des formes nouvelles.
Le fascisme du passé
Celui du XXe siècle était clair : État total, culte du chef, peuple organique, mythe de l’unité, haine des ennemis intérieurs. Il écrasait la pluralité sous la botte et remplaçait la discussion par le cri.
Le fascisme du présent
Aujourd’hui, le fascisme ne s’avance plus avec des uniformes ni des drapeaux. Il a changé de masque. Il ne célèbre plus la nation, il glorifie la cause : celle des opprimés supposés, celle des minorités sacralisées, celle d’un islam présenté comme la revanche des humiliés. Il ne prêche plus l’unité du peuple, mais l’unanimité de la morale. Il ne parle plus au nom de la patrie, mais au nom de l’Humanité. Toujours la même logique : interdire la coexistence des vérités, abolir le conflit au profit d’une Vérité unique.
On appelle ainsi souvent « fachos » ceux qui osent nommer le danger. Et ceux qui intimident, censurent, menacent au nom de l’antifascisme se vivent comme l’avant-garde du Bien ! Ce n’est pas un paradoxe : c’est le signe que nous sommes entrés dans une ère où le langage lui-même a été retourné comme un gant.
Expériences du réel
J’ai vu cela en Allemagne, quand j’ai réuni, dans des salles de Dresde, des partisans de PEGIDA, le mouvement hostile à l’immigration et à l’islamisation et des personnes favorables à l’accueil massif des réfugiés. Ce n’était pas une alliance, ce n’était pas un compromis: c’était le conflit, nu, exposé, douloureux, mais humain. Or, ce furent les autoproclamés « antifas » qui exigèrent l’interdiction de ces rencontres, lettres de dénonciation à l’appui. Voilà leur méthode : empêcher que la parole circule.
Je l’ai vu encore plus clairement dans les territoires palestiniens, quand j’ai rassemblé clandestinement Israéliens et Palestiniens pour qu’ils se parlent, s’invectivent, hurlent, mais se voient comme des êtres humains. Les rencontres furent interrompues. Des groupes palestiniens menacèrent leurs propres compatriotes de mort. Non pas parce qu’ils disaient telle ou telle chose, mais parce qu’ils osaient parler. Le fascisme, aujourd’hui, se définit par ce refus du dialogue : il ne supporte pas la confrontation verbale. Il condamne à mort ceux qui osent seulement ouvrir la bouche.
Une alliance paradoxale
Ce fascisme contemporain a selon moi deux visages : l’extrême-gauche et l’islamisme. Deux frères ennemis, deux totalitarismes qui se rejoignent dans la haine du pluralisme. L’extrême-gauche croit trouver dans l’islam une armée de substitution pour abattre l’Occident libéral.
Elle fait semblant d’oublier que la religion, naguère opium du peuple, est aujourd’hui sa caution révolutionnaire. Mais cette alliance est un leurre : l’ogre islamiste dévorera sans scrupule ses alliés gauchistes impies, comme il l’a déjà fait ailleurs…
Le défi démocratique
La vraie question n’est pas de neutraliser quelques groupuscules extrémistes. Elle est de savoir si la démocratie a encore la force de se défendre. Une démocratie faible s’excuse, s’incline, subit. Une démocratie forte nomme ses ennemis, accepte le conflit, assume la dureté du monde.
Conclusion : la matrice du refus
Hier comme aujourd’hui, le fascisme n’est pas seulement la violence, il est le refus du conflit.
Le fascisme d’hier abolissait les contradictions sociales au profit d’une unité factice. Le fascisme d’aujourd’hui interdit la parole divergente au nom de la morale. Dans les deux cas, la démocratie est remplacée par la peur et l’unanimité.
Le vrai visage du fascisme, ce n’est donc pas Orbán, Trump ou Le Pen. C’est cette société qui n’accepte plus la dispute, qui ne supporte plus la contradiction, qui interdit la controverse au nom du Bien. Dès que parler devient impossible, c’est la violence qui prend le relais. La démocratie ne peut survivre qu’en faisant exactement l’inverse: en rouvrant l’espace du conflit, en réhabilitant le droit de dire, d’écouter, de se contredire — même dans la douleur.
Le seul antidote au fascisme, quel que soit son masque, est là : dans le courage d’affronter la parole de l’autre. Pasolini l’avait prédit: le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle anti-fascisme.
Trentième anniversaire de l’interdiction du vol de nain en France
Du 13 au 18 octobre 2025, la petite commune de Morsang-sur-Orge (dans l’Essonne) va célébrer le 30e anniversaire d’un arrêt du Conseil d’État, dont elle est à l’origine et estime être sortie grandie en mettant fin à une activité portant atteinte à la dignité humaine !
Pas assez d’heures de vol à l’Assedic
Sans vouloir rapetisser la satisfaction des élus locaux, il faut préciser que cette activité n’était exercée que par un seul homme, de petite taille, 1,14 mètre pour 44 kilos, Manu Wackenheim, surnommé le « Nain volant », alias Mister Skyman, qui casqué et équipé comme un cascadeur, se produisait dans les boîtes de nuit, où des clients au bras long l’envoyaient glisser sur un matelas gonflable…
C’est ainsi que par arrêté municipal, Morsang-sur-Orge a interdit le « lancer de nain », et cet interdit faisant des petits, le seul nain se prêtant à cette discipline s’est retrouvé au chômage. Me Serge Pautot, l’avocat historique de Manu, n’a jamais encaissé que soit interdit un spectacle joué par un seul homme, forcément consentant : « Pourquoi mettre au chômage une personne de petite taille qui avait enfin trouvé un travail ? J’ai vu Manu pleurer, oui, on l’a privé de son travail, de son salaire, de son bonheur, de sa joie de vivre. »
Manu, aujourd’hui âgé de 58 ans, n’a jamais digéré qu’on l’ait cloué au sol, alors que son spectacle de cascadeur était en haut de l’affiche : « Je suis le nain qu’on a empêché de voler. Après l’arrêt du spectacle, je me suis rendu à l’Assedic pour faire valoir mes droits au chômage et là, on m’a déclaré que je n’avais pas cotisé assez longtemps, c’est-à-dire pas assez d’heures de vol ! » Et depuis, trop grand pour être reconnu handicapé, il galère et vit des minimas sociaux…
En octobre, Manu est toutefois invité à Morsang pour participer à un débat, qui prendrait de la hauteur en reconnaissant que la liberté individuelle devrait primer sur l’indignation collective de belles âmes, blanches comme neige, qui s’imaginent que la place des nains (enfin au maximum sept) est uniquement dans les contes de fées…
Deux ans après le 7-Octobre, la supériorité militaire d’Israël ne s’est pas traduite en victoire politique. Le Hamas retient encore des dizaines d’otages, le pays est plus isolé que jamais, et les alliés de Netanyahou affichent des ambitions messianiques alarmantes. Aussi critiquable et critiquée soit-elle, la reconnaissance de la Palestine par la France ouvre un chemin étroit, sinon à la paix, à la politique. Encore faudrait-il des dirigeants capables de l’emprunter.
Mise à jour (1/10/2025): – Lundi, le président américain Donald Trump a donné trois ou quatre jours au Hamas pour accepter son plan de paix « éternelle », faute de quoi il laissera Israël « finir le travail ». – De son côté, de retour de Washington dans son pays, M. Netanyahou devra imposer le fameux plan auprès de ses alliés gouvernementaux les plus radicaux, lesquels entendent toujours vider Gaza de sa population voire annexer la Cisjordanie… • La rédaction
Il y a un an, Israël était dans la situation du roseau de La Fontaine. Un an après le massacre et le choc du 7-Octobre, le pays avait plié, mais n’avait pas rompu. Mieux, il avait riposté. Ses forces de sécurité avaient éliminé l’essentiel des capacités du Hamas ainsi que sa direction – Yahya Sinwaar en tête. Au Liban, elles avaient défait le Hezbollah, neutralisé ses cadres grâce à la glorieuse « opération bipeurs », assassiné son chef Hassan Nasrallah, repoussé ses forces loin de la frontière et réduit ses stocks de missiles. Cette débâcle produisait en quelques semaines un résultat inespéré : la chute d’Assad en Syrie. Tandis que l’Iran, privé de ses deux alliés les plus précieux (le Hezbollah et le Hamas), devait encaisser deux frappes israéliennes, révélant la faillite d’une stratégie de défense nationale patiemment construite à grands frais pendant quatre décennies.
Crédibilité militaire et des services de renseignements retrouvée
On dirait que la loi des rendements marginaux décroissants s’applique aussi à la politique et à la géopolitique. Alors qu’on célèbre le deuxième anniversaire de cette funeste journée, Israël semble avoir perdu la main. Les mauvaises nouvelles se sont accumulées : recrudescence de l’antisémitisme, chasse généralisée à tout ce qui touche à Israël, spectre menaçant de sanctions, voire de ruptures avec des pays alliés, tant en Occident que dans le monde arabe, reconnaissance inconditionnelle de l’État palestinien par la France, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie. Sans oublier évidemment les 48 otages morts et vivants, qui croupissent toujours aux mains du Hamas et de ses alliés.
Sans doute Israël est-il parvenu à renverser la situation et à rétablir la crédibilité de ses forces armées comme de ses services de renseignement. Le pays a également impressionné par sa capacité à soutenir une guerre de longue durée, ainsi que par des prouesses de Tsahal et du Mossad en Iran pendant la guerre de Douze-Jours. La page des échecs du renseignement et de l’armée est à présent tournée. Comme lors de la guerre du Kippour, en octobre 1973, la société israélienne a montré sa résilience et sa capacité à se ressaisir et contre-attaquer avec succès.
Seulement, les prouesses militaires ne se traduisent pas forcément en succès stratégique. En 1973, bien que battue par les armes, l’Égypte avait récupéré le Sinaï, perdu en 1967. De même, en 2025, le Hamas, quoique écrasé en tant que force armée et gouvernementale, a permis à la cause palestinienne de retrouver une place centrale dans la politique mondiale. Entre les mains d’habiles stratèges, les fiascos militaires peuvent se révéler de puissants atouts politiques.
Un pays isolé
Jamais Israël n’a été aussi isolé. Certes, au Moyen-Orient, les alliances officielles et tacites entre l’État hébreu et plusieurs capitales arabes semblent avoir tenu et les gouvernements continuent de résister face aux pressions de leurs opinions publiques, mais les perspectives d’un élargissement de la normalisation se sont éloignées. Et l’entrée officielle du Pakistan dans le jeu par son alliance de défense avec l’Arabie saoudite complique encore la situation. Parallèlement, les relations entre Israël et la Turquie se sont tendues, et le différend sur l’avenir de la Syrie menace désormais de dégénérer en affrontement direct. Quand on se souvient qu’il y a deux ans, Netanyahou devait se rendre à Ankara, suivi d’une visite d’Erdogan à Jérusalem prévue pour la fin 2023 ou le début 2024, on mesure la dégradation. Le voyage de Netanyahou en Chine, planifié fin 2023, appartient aussi à une autre ère. Presque partout en Occident, le drapeau palestinien s’affiche dans les rues et sur les bâtiments publics. Israël a perdu le soutien de l’opinion publique et des médias dans la plupart des pays, quand il n’est pas devenu la figure du Mal. Certains gouvernements, comme ceux de l’Irlande et de l’Espagne, prônent désormais une politique clairement hostile à son encontre. Même aux États-Unis, principal pilier de la sécurité nationale israélienne, les bastions traditionnels du soutien s’érodent.
Cerise amère sur ce gâteau indigeste, la reconnaissance inconditionnelle de la Palestine par des pays majeurs est, en plus d’une défaite diplomatique pour l’État juif, un crève-cœur pour de nombreux juifs dans le monde, singulièrement en France. Pierre Lellouche n’a pas tort d’affirmer que cette reconnaissance revient à délégitimer, voire nazifier Israël aux yeux du monde. Sur le front de la communication, c’est une défaite en rase campagne. Le Hamas ne s’y est pas trompé et s’est hâté de féliciter Emmanuel Macron.
Pour autant, à l’usage, cette décision pourrait avoir aussi des conséquences bénéfiques. Beaucoup de juifs, convaincus que le président français leur veut du mal (sinon, pensent-ils, il n’aurait pas choisi de prononcer son discours « historique » le jour de Rosh ha-Shana), ne se sont pas donné la peine de l’écouter. On ne peut exclure qu’il croie vraiment que le projet franco-saoudien de création d’un État palestinien permettra de mettre fin à la guerre à Gaza, voire au conflit entre deux peuples. En tout cas, le président et son ministre des Affaires étrangères ont été très clairs : la France exige le retour des otages, le désarmement du Hamas et son exclusion de toute solution politique, ainsi qu’une transformation profonde de l’Autorité palestinienne comme condition de son retour au centre de la scène politique. Sur ces bases, on aurait pu envisager un scénario à la libanaise. Contre le Hezbollah, Tsahal a fait un usage mesuré de la force, ouvrant ensuite un espace politique aux forces anti-Hezbollah. Il est vrai qu’à Gaza, on serait bien en peine de trouver des forces anti-Hamas. Il ne s’agit pas d’être naïf. Israël devra maintenir le revolver sur la tempe des candidats au djihad et intervenir à la moindre alerte. Mais sauf à admettre que la poursuite de la guerre est le seul but de la guerre, il faudra bien imaginer un après dans lequel quelqu’un gouvernera Gaza. Et comme Israélien, je prie pour que ce ne soit pas Israël. Qu’il y ait ou pas un État palestinien au bout du chemin, personne n’en sait rien. Rien n’interdit de faire quelques pas.
Mission sacrée
Le problème, c’est que Benyamin Netanyahou ne voit pas les choses ainsi. Et les nombreux Israéliens qui le soutiennent non plus. Bibi est convaincu qu’il est le seul à pouvoir diriger le pays dans ces heures difficiles. Pour lui, c’est l’occasion « d’achever la guerre d’indépendance » et de mettre un terme à la possibilité d’un deuxième État à l’ouest du Jourdain. Il croit que les vieilles questions sans solution peuvent être balayées et les frontières mouvantes redessinées.
Il estime donc avoir pour mission sacrée de garder les rênes du pouvoir, quitte à transformer Israël en démocratie illibérale. Le Premier ministre n’en fait pas mystère, l’avenir qu’il propose à ses concitoyens, ce n’est pas la start-up nation, mais la nation-Sparte, l’État juif contre le reste du monde. CE qui lui vaut l’approbation bruyante de sa base composée de trois groupes : le petit peuple séfarade qui ne veut plus entendre parler des Arabes et le soutient comme s’il était un envoyé de Dieu, les ultra-religieux, qui veulent détruire la Cour constitutionnelle afin d’inscrire dans la loi leur exemption du service militaire, et les religieux messianiques, qui veulent annexer Gaza et la Cisjordanie sans accorder aux Palestiniens de droits civiques. C’est ainsi que la gestion de la guerre contre le Hamas n’est plus un enjeu géopolitique, au même titre que le Liban ou le Yémen, mais le cœur de la stratégie politicienne du Premier ministre israélien. Qui en profite au passage pour oublier sa propre responsabilité. Laquelle n’est pas négligeable. La réalité, c’est que Netanyahou s’est planté dans les grandes largeurs.
Avant le 7-Octobre, il pensait que son rendez-vous avec l’Histoire se jouerait à l’Est et au Nord, dans un affrontement avec l’Iran et le Hezbollah… En 2017, Netanyahou fait une déposition devant une commission de la Knesset et révèle que trois ans plus tôt, « le Hamas a préparé une attaque combinée : un tir massif sur les villes d’Israël, une attaque par la mer et par les airs au moyen de deltaplanes motorisés ainsi qu’une infiltration avec des forces spéciales de l’ordre d’un bataillon, afin d’enlever et de tuer, dans les localités et dans les positions militaires, puis de ramener les captifs et les corps à Gaza. Ils pensaient qu’en nous surprenant, ils pourraient y arriver. » Or, poursuit-il, tandis que les forces de défense et de sécurité israéliennes étaient en train de déjouer cette opération de grande ampleur (très ressemblante à celle du 7-Octobre) avec l’opération Bordure protectrice (été 2014), plusieurs ministres l’ont alors pressé de saisir l’occasion pour occuper la bande de Gaza et éliminer le Hamas. Refus de Netanyahou, qui redoutait les inconvénients : non seulement se posait la question de décider de qui gouvernerait l’enclave, mais surtout celle du coût humain aussi bien dans l’armée israélienne que dans la population palestinienne. Sans oublier les inévitables pressions internationales.
Affiche israélienne présentant les principaux cadres du Hamas éliminés depuis octobre 2023. Emmanuel Macron a salué ces opérations, mais a mis en garde contre les risques d’extension du conflit qu’il juge « contre-productive ». IDF.
Les « yeux sur la balle » (c’est-à-dire sur Téhéran), Netanyahou a choisi de mettre le couvercle sur Gaza. Avec l’aide du Qatar et de l’Égypte – deux intermédiaires concurrents –, son idée était de laisser le Hamas s’embourgeoiser et abandonner de facto la lutte armée. La priorité a alors été réorientée vers le Hezbollah et l’Iran. Les opérations spectaculaires menées depuis ce jour, de l’assassinat de Haniyeh en juillet 2024 dans une chambre de l’hôtel VIP des Gardiens de la révolution à Téhéran, jusqu’à la décapitation de la direction militaire iranienne en juin 2025, sans oublier l’élimination de Nasrallah et l’affaire des bipeurs, témoignent de cette prévalence. Herzi Halevi, qui était le chef d’état-major au moment du 7-Octobre, l’a du reste admis devant les survivants des villages attaqués : « On m’a souvent demandé pourquoi nous avions investi autant face au Hezbollah et pas face au Hamas. Mais nous ne pensions pas que celui-ci se trouvait en position d’initier quelque chose. Il a réussi à nous le dissimuler habilement. »
Depuis le 7-Octobre, Netanyahou s’efforce, non sans un certain succès, de surmonter cette déconvenue stratégique et de retrouver le scénario initial de son « rendez-vous avec l’Histoire ». Seulement, si à Paris, Londres et Berlin, on comprend ses visées concernant l’Iran, ce n’est plus du tout le cas pour ses agissements et intentions à Gaza, qu’on soupçonne d’être dictés par le duo messianique Smotrich-Ben Gvir. Netanyahou affirme à qui veut l’entendre qu’il se sert davantage de ses deux ministres « maléfiques », pour reprendre le mot de Finkielkraut, qu’eux de lui. Mais plus le temps passe depuis le 7-Octobre, moins ce discours est crédible. On a plutôt des raisons de penser que Netanyahou est désormais l’otage de ses extrémistes. La crise humanitaire déclenchée cet été par les ratés dans l’approvisionnement en eau et en nourriture des Gazaouis a enragé les chancelleries. Les Occidentaux sont désormais certains qu’à Gaza, Netanyahou poursuit des calculs politiciens. Dès lors, Israël perd la confiance de ses alliés arabes et occidentaux.
Question explosive, y compris en France
Pour autant, on a tort de proclamer que le Hamas a gagné. Être populaire sur les campus occidentaux, ça ne nourrit pas et ça ne crée pas d’État. En juin 1967, lors de la guerre des Six-Jours, le roi Hussein de Jordanie a commis l’erreur de se joindre à Nasser et d’attaquer aux côtés des Égyptiens malgré les avertissements israéliens. S’en est suivie une défaite, dont les premiers bénéficiaires furent les Palestiniens, qui, en passant sous domination israélienne, ont pu ensuite développer une stratégie d’autodétermination, impossible et impensable sous occupation jordanienne ou égyptienne. Sans le vouloir, l’erreur de Hussein fit la fortune de la cause palestinienne.
Avec le pari fou du 7-Octobre, le Hamas a peut-être commis la même erreur. Si sa défaite militaire a permis de replacer la cause palestinienne à la une de l’agenda mondial et d’en faire une question intérieure explosive en France et ailleurs en Occident, le mouvement terroriste a tiré les marrons du feu de Gaza pour le « bloc central » palestinien, aujourd’hui incarné par l’Autorité palestinienne. Marginalisée depuis le 7-Octobre, celle-ci se retrouve au centre du jeu grâce à ses deux ennemis – Netanyahou et le Hamas. Encore faudrait-il qu’elle se trouve des dirigeants plus présentables que les satrapes richissimes et cacochymes actuels. Mahmoud Abbas ayant mis presque deux ans à condamner le 7-Octobre, il faudrait peut-être chercher des partenaires plus réactifs. Reste à savoir s’il se trouvera des responsables palestiniens pour jouer le jeu de la coexistence ou si, comme le disait le légendaire ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban, l’élite palestinienne se saisira encore de l’occasion de rater une occasion.
Le dernier sondage sur la présidentielle Ifop-Fiducial pour Sud Radio et L’Opinion enrage les Insoumis[1]. Il nous donne un nouvel exemple de la brutalisation de la vie publique par les Insoumis, lesquels ont eu une réaction violente et particulièrement hystérique à cette enquête d’opinion qui place M. Mélenchon en 4ème position à 12 ou 13%.
IFOP.
M. Dabi de l’ « IFLOP » visé par M. Mélenchon
Le général Tapioca dégaine le premier avec un tweet : «Merci à IFLOP pour son sondage « fout la pagaille» au PS et chez les macronistes. Dommage que l’échantillon ne soit pas crédible et que ça se voit Monsieur Dabi. Vos réunions avec Retailleau, vos obsessions islamophobes vous égarent.»
Reprenant servilement cette minable blague du Guide suprême, ses courtisans se transforment ensuite en meute lyncheuse. Les mêmes qui avant-hier relayaient bruyamment un autre sondage IFOP plus favorable – concernant je crois la municipalité d’Avignon -, rivalisent dans la détestation à l’égard de l’ennemi du peuple, en l’occurrence l’ami Dabi dont nous sommes évidemment solidaires.
Sous Staline, tous ces gens auraient prouvé leur fidélité en dénonçant les dissidents. Ils ne traitent pas Dabi de vipère lubrique comme on désignait les traitres à l’URSS, mais de sioniste et d’islamophobe, ce qui ne vaut pas mieux. Et pourrait de surcroît donner des idées à des fanatiques à couteau.
Comment expliquer cette surréaction ? D’abord, c’est une mauvaise passe pour LFI. Non seulement le PS s’est replacé au centre du jeu, mais en plus c’est Raphaël Glucksmann qui a le vent en poupe. Et contrairement au socialiste Olivier Faure, prêt à toutes les compromissions, lui dit qu’il refusera toute entente avec le mouvement mélenchoniste.
La diabolisation en question
Plus généralement, l’image de Mélenchon se dégrade. Ses sympathies pour les dictatures font des vagues jusque dans le Parti (cf. Chikirou et la Chine, « je ne considère pas que la Chine est une dictature »). Surtout, il est l’homme des islamistes en France, comme le montre le livre d’Omar Youssef Souleimane[2], que les Insoumis ont voulu faire interdire. L’obsession palestinienne de LFI est le cache-sexe d’un soutien au Hamas. D’après des documents publiés avant-hier par Israël, la flottille à laquelle participent cinq élus LFI serait organisée par un faux-nez de l’organisation terroriste. Du reste, ces aventures n’intéressent personne.
Seule issue pour Jean-Luc Mélenchon : la stratégie de la tension. Il faut attiser les conflits dans la société française pour se poser en défenseur des jeunes contre la police, des musulmans contre les « islamophobes », des migrants contre l’extrême droite etc.
Reste que diabolisation et imprécation morale sont inopérantes. 13% pour un leader qui ment, insulte, menace les préfets ou attaque la police (et ferait presque ressembler Jean-Marie Le Pen à un radsoc…), cela reste considérable. Cela tient peut-être à notre héritage révolutionnaire-terroriste de 1793. Nous avons une certaine tolérance à la violence de gauche. Dans les rédactions et dans le show-biz, le radical-chic a toujours été très tendance. Et cela explique pourquoi un parti fascistoïde pourrait finalement se retrouver au deuxième tour de la présidentielle.
Cette chronique a été diffusée ce matin sur Sud Radio.
[1]Enquête menée auprès d’un échantillon de 1 127 personnes inscrites sur les listes électorales, extraites d’un échantillon de 1 210 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas ( sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 24 au 25 septembre 2025.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise
Depuis que l’« affaire Legrand-Cohen » a éclaté, la bataille culturelle qui oppose les trois blocs politiques en lice pour gouverner la France a passé un seuil supérieur de violence. Pas vraiment une surprise tant, depuis l’élection présidentielle il y a trois ans, la tonalité du débat public n’a cessé de se polariser et de se radicaliser. J’ai souvenir de la dernière soirée électorale, en juillet 2024. Quand il a été établi que le RN n’obtiendrait pas la majorité absolue à l’Assemblée, ni même une majorité relative forte, j’ai vu sur les plateaux télévisés des mâchoires – y compris des mâchoires de journalistes et de commentateurs – se serrer. « Fini la rigolade »…
La neutralité n’existe pas
La charge contre Thomas Legrand et Patrick Cohen – dont les fautes commises en l’espèce n’ont rien de surprenant puisqu’il ne s’agit que de leur proximité idéologique avec les socialistes – n’en est pas moins sidérante par son intensité. Plus rien ne sera comme avant. Ceux qui veulent en découdre avec l’audiovisuel public, principalement à droite et à l’extrême droite du paysage politique, mais aussi dans une partie de la gauche Insoumise, n’ont pas attendu les « révélations » de L’Incorrect, dont le principal actionnaire est un cadre de Reconquête, pour dézinguer France Inter et France Télévisions. Par le passé, il y a pu y avoir des coups de chauffe, ciblant notamment des humoristes de la Maison ronde – qui n’ont pas toujours été drôles – sans monter pour autant au niveau d’agressivité désormais atteint : celui d’un combat qui ne se joue plus uniquement sur le terrain des idées, mais qui vise carrément à obtenir la disparition pure et simple de l’audiovisuel public.
Première observation sous la mitraille : la neutralité n’existe pas. Et c’est une très bonne chose. Pour Legrand et Cohen, comme pour des journalistes et éditorialistes qui, du matin au soir, verraient très bien Rachida à la mairie de Paris, Jordan à Matignon et Marine à l’Élysée. Et si cela ne se réalise pas, le prochain coup, c’est pour Sarah ! La grande hypocrisie de ceux qui ont consacré un temps d’antenne vertigineux à l’« affaire Legrand-Cohen », puis aux déclarations de Delphine Ernotte, est de vouloir nous faire croire qu’ils n’ont, eux, pas de « couleur », pas d’intentions, pas d’agenda. C’est faux.
Quand la chose est entendue, il est alors très vite question du financement par nos impôts de l’audiovisuel public. Et cette réalité est en effet à prendre en considération. C’est pourquoi la seule véritable voie nous permettant d’aller vers 2027 dans un climat plus apaisé, avec une arène médiatique de qualité, est de rendre possible un vrai pluralisme sur les écrans et les ondes des médias publics. Cela pourrait-il en être de même de l’autre côté de la barricade ? Je peux en témoigner, cela a été possible. J’espère que cela le sera encore demain.
You are fake news
Et quid de la vérité ? Des faits ? Quand il est par exemple dit qu’Emmanuel Macron alimente l’antisémitisme avec la reconnaissance de l’État de Palestine, je trouve cette accusation détestable, mais il s’agit là de l’expression d’une opinion que l’on peut battre en brèche en expliquant comment la solution à deux États est le seul chemin garantissant la paix et la sécurité pour le peuple israélien et le peuple palestinien. Mais quand la colonisation illégale de la Cisjordanie n’est jamais évoquée et le droit international, jamais convoqué, alors, la mission du service public audiovisuel est d’éclairer cette réalité. Ne pas la taire, comme on le fait ailleurs.
Le mal de l’époque, un mal qui s’est installé et qui progresse à une vitesse vertigineuse, un mal qui est au cœur de l’« affaire Legrand-Cohen » des deux côtés de la ligne de front, tient d’abord en une réalité : l’entre-soi. Dans les médias des gauches, comme dans ceux des droites, chacun baigne aujourd’hui dans son propre écosystème. Les passerelles professionnelles et humaines n’existent qu’au sein de biotopes étanches, qui ont leurs références communes, leurs dîners, leurs contacts. Dans une ambiance d’affrontement de plus en plus haineuse, avec les clapotis permanents du cloaque des réseaux sociaux et leurs algorithmes qui nous dirigent prioritairement vers tout ce qui peut nous conforter dans notre identité, nous avons perdu le sens de l’altérité. La curiosité pour l’autre en ce qu’il a de différent. Pour l’autre dont le discours ne rentre pas dans nos cases.
Tout cela est-il irréversible ? Pour quel avenir ? A-t-on définitivement perdu ce qui peut nous lier les uns aux autres ? Sommes-nous prêts pour prendre ce toboggan, dont on ne sait pas vraiment la destination finale ? Est-il déjà trop tard ?
Pas de slogans, pas de pancartes, pas de service d’ordre: seulement une sono, des corps en transe et des nuits qui n’en finissent pas. Pour le journaliste Arnaud Idelon, que Le Monde nous présente également comme « fêtard professionnel » et « programmateur culturel », la rave est peut-être le dernier bastion de la contestation politique. Mais, sérieusement, le dancefloor peut-il vraiment remplacer la rue?
Un samedi soir au fin fond d’une friche industrielle, des centaines de jeunes — et de moins jeunes — se pressent sous un hangar décrépi. Pas de tribune, pas de pancarte, pas de discours. Juste une sono, des lumières stroboscopiques, une basse qui cogne, des corps en transe. À première vue, rien de politique: c’est une fête, une parenthèse hors du réel. Et pourtant, selon Arnaud Idelon dans son essai Boum boum. Politiques du dancefloor, la rave et ses déclinaisons festives constituent peut-être l’espace de contestation le plus vivant de notre époque.
Car la rave n’obéit pas aux codes de la manifestation traditionnelle. Là où la manif défile entre Bastille et République, encadrée par les syndicats, ritualisée, saturée de slogans convenus, la fête techno se déploie dans l’illégalité ou la semi-clandestinité. Elle invente ses propres règles, ses propres lieux, sa propre temporalité. Elle brouille les frontières entre le public et le privé, entre le politique et l’intime. Là où la politique institutionnelle se meurt d’ennui, le dancefloor pulse encore.
Le politique par les corps
Ce qui fait la force d’une rave, ce n’est pas un programme électoral ni un manifeste idéologique. C’est la puissance des corps. Les danseurs, souvent anonymes, anonymisés même dans l’obscurité et le vacarme, expérimentent un rapport collectif inédit : égalité des corps, effacement provisoire des hiérarchies sociales, fusion des différences. Là, sur la piste, peu importe votre diplôme, votre métier, votre capital culturel: ce qui compte, c’est votre capacité à tenir la cadence. Une forme d’utopie égalitaire se réalise, ne serait-ce que le temps d’une nuit.
À l’inverse, la manifestation classique repose sur la visibilité et la mise en scène de l’opinion: pancartes, slogans, médias. Elle exige une hiérarchie (services d’ordre, porte-parole, orateurs). La rave, elle, fonctionne à rebours: pas de chef, pas de discours, pas d’orateurs. Une démocratie sans logos, mais saturée de rythmes.
La nuit contre le jour: la fête comme insoumission
Idelon insiste sur un point : la fête est par essence politique parce qu’elle suspend le temps ordinaire, celui du travail et de la contrainte. Le dancefloor incarne une rébellion contre le « jour », contre le temps réglé de l’économie, contre l’agenda des puissants. Là où la société vous dit : « sois productif, sois utile, sois sage », la rave proclame : « sois libre, sois fou, sois autre ».
Il n’est pas indifférent que ces fêtes soient pour la plupart nocturnes et illégales. Elles cherchent des marges, des interstices, des zones hors contrôle. En cela, elles rejoignent les « zones autonomes temporaires » chères aux penseurs libertaires : des bulles de liberté qui ne durent qu’un instant, mais qui marquent les esprits.
De la subversion au marketing: la rave récupérée
Mais ce pouvoir subversif n’est pas sans ambiguïté. D’abord parce que la fête peut basculer dans la démesure : drogues, excès, accidents. Ensuite parce que, comme toujours, ce qui naît dans la marge finit souvent récupéré par le centre. Le dancefloor underground des années 90 est devenu aujourd’hui un produit culturel rentable. Les festivals électro attirent des sponsors, des collectivités locales, des marques de bière. Le « boum boum » de la subversion devient vite une machine à cash.
De ce point de vue, la rave ne fait pas exception : comme le rock ou le punk avant elle, elle finit absorbée par le marché. On peut même dire que son potentiel politique s’évapore à mesure qu’elle devient un « produit culturel » labellisé par les pouvoirs publics.
Ce que la rave dit au départ — « sortons du système » — se renverse en son contraire : un grand spectacle validé et financé par le système.
Danser n’est pas gouverner
Alors, la rave est-elle plus politique qu’une manif ? Oui, si l’on considère le politique comme ce qui bouscule les habitudes, ce qui invente du commun, ce qui crée des formes inédites de vivre-ensemble. Oui, si l’on mesure la puissance de cette communion des corps contre la froideur bureaucratique des cortèges syndicaux.
Mais non, si l’on pense le politique comme la capacité à durer, à transformer le réel, à inscrire une revendication dans les institutions. La rave est fulgurance, pas réforme. Elle est intensité, pas programme. Elle ouvre des brèches, mais elle ne bâtit pas de murs.
En vérité, elle dit quelque chose de notre époque : la difficulté à inventer des formes politiques durables. Les jeunes Français ont peut-être encore l’énergie de danser, mais plus celle de construire. Ils savent encore refuser par leurs corps, mais plus imposer par leurs idées. Ils cherchent des extases immédiates, mais ils peinent à imaginer tout horizon commun…
Une politique en creux
Peut-être faut-il alors prendre la rave pour ce qu’elle est : un symptôme. Elle nous rappelle que les citoyens, surtout les jeunes, veulent encore du collectif, veulent du rituel, veulent de l’intensité. Mais qu’ils ne la trouvent plus dans les partis, ni dans les syndicats, ni dans les institutions. Alors, ils vont la chercher ailleurs : dans ces hangars, dans ces champs envahis, dans ces nuits sans fin. À cet égard, oui, la rave est peut-être politique — non pas parce qu’elle propose un projet, mais parce qu’elle révèle un manque. Elle montre ce que la démocratie officielle ne sait plus offrir: une expérience sensible de communauté. C’est à ce titre que le dancefloor fait vraisemblablement trembler la République plus sûrement qu’un cortège place de la Bastille… Et c’est pour cela qu’il mérite, au moins le temps d’un livre, d’être pris au sérieux.
L’actrice reproche aux Français un manque d’empathie pour les migrants
Les propos de Marina Foïs sur l’immigration sur RTL font beaucoup jaser. Chesterton dit que le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles. Plein d’idées chrétiennes devenues sottes, désormais, plutôt. Et je suis sympa, je vais seulement vous résumer le galimatias de l’actrice[1]. Marina Foïs aime l’Autre et la différence. Sauf la différence idéologique: l’autre qui pense que la France est menacée par l’immigration massive est un salaud et un facho.
D’ailleurs, affirme la grande démographe, il n’y a pas d’immigration massive. Elle ne comprend pas le manque d’empathie des Français. «Quelqu’un qui arrive, qui a faim, froid et besoin d’un travail, pourquoi il n’aurait pas droit à la même chose que moi ?» s’indigne-t-elle. On suppose qu’elle héberge des malheureux.
Sans le savoir, Mademoiselle Foïs résume l’idéologie multiculti de presque toute la gauche. « L’intégration culturelle je m’en fous, peu importe que les gens pratiquent leur religion et ne mangent pas comme moi » dit-elle encore. Sauf que personne ne pense que pour s’intégrer ou s’assimiler, il faut renoncer à sa religion et manger du porc. S’intégrer c’est intégrer l’égalité des femmes, des homosexuels ou des juifs, ou accepter qu’on se moque de ton dieu. Non : Marina Foïs veut une France MacDo où chacun vient comme il est, avec ses préjugés, ses manies et sa femme en burqa si ça lui chante… Ne nous énervons pas : Foïs nous offre un admirable concentré du discours artiste sur l’immigration.
Les artistes ont bien le droit d’avoir une opinion, me répliquera-t-on. Évidemment oui, même si elle est sosotte. L’ennui, c’est qu’ils ont le droit d’en avoir une seule. Pour faire carrière dans le showbiz, il faut réciter le catéchisme: l’immigration est une chance, le patriarcat règne et « Israël-génocide ». Signataire d’une tribune dénonçant la reconnaissance inconditionnelle de la Palestine et soutenant une solution à deux Etats, Charlotte Gainsbourg a subi un déferlement haineux. En prime, elle est coupable de crime de lèse-gauche : elle incarne l’avocate Gisèle Halimi dans un film sur le procès de l’avortement de 1972 à Bobigny. Résultat: un édito de l’Humanité, une grande pétition et la protestation hier de Serge Halimi, ex-patron du Monde Diplomatique et fils de l’avocate. Sa mère, dit-il, aurait lu cette tribune avec dégoût. C’est possible (elle était extrême-gauchisante), et alors ? Pour avoir le droit de jouer Mme Halimi, il faudrait penser comme elle. Donc, il faut être nazi pour jouer Hitler et homosexuel pour jouer Charlus ? La représentation doit être identique au réel. Les ancêtres idéologiques de Serge Halimi imposaient un art officiel. Lui veut tout simplement interdire l’art. Alors contre les censeurs et les délateurs, vive Queen Charlotte qui me fera peut-être aimer Gisèle Halimi.
Dette, politique, immigration, natalité… Avec Franz-Olivier Giesbert, Alain Minc, Nicolas Pouvreau-Monti. Et le manifeste « foutuiste » d’Éric Naulleau. Découvrez le sommaire de notre numéro d’octobre
Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Pourtant, dans leur présentation de notre dossier, Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques affirment que la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence. Éric Naulleau publie ce qu’on peut appeler son manifeste foutuiste : dans ce vieux pays fatigué, la progression de l’islamisme, du wokisme, du nihilisme et du crétinisme semble inéluctable. Le constat est donc évident : tout est F-O-U-T-U. Pour sa part, Alain Minc, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, défend le système libéral dans les médias comme en économie. Mais il peine à trouver des solutions à la sérieuse crise identitaire que traverse la France. Très remonté contre Emmanuel Macron, il plaide pour l’union des modérés. Mais en cas d’un duel présidentiel entre LFI et le RN, il voterait pour ce dernier en se bouchant le nez. Franz-Olivier Giesbert a connu tous les présidents depuis quarante ans, chroniqué toutes les crises, déploré tous les renoncements. Mais cette fois-ci, c’est plus grave, nous confie-t-il. Les Français sont au bord du gouffre, et leurs élites – dirigeants tétanisés et médias inconscients compris – regardent ailleurs en se perdant en palabres et combines. Nicolas Pouvreau-Monti, co-fondateur et directeur de l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie, nous rappelle que la France est le pays européen qui accueille le plus d’immigrés africains. Le taux de fécondité élevé de ces populations dessine un bouleversement démographique rapide. Et les nombreux défis d’intégration imposés par cette situation ne se résolvent pas d’une génération à l’autre. Quant à l’École, la bienveillance est le nouveau maître-mot de l’Éducation nationale. Sous son diktat, le bien-être des élèves passe avant leur instruction, un véritable « psychosystème » que dénonce Matthieu Grimpret dans son nouveau livre, Bullshit bienveillance, que Jonathan Siksou a lu.
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« Le monopole progressiste sur le pouvoir culturel a vécu ». C’est la leçon que, dans son édito du mois, Elisabeth Lévy tire de l’affaire Legrand-Cohen (racontée dans ce numéro par Didier Desrimais) ainsi que de l’assassinat de Charlie Kirk, devenu le symbole d’une nouvelle droite décomplexée. Mais si nous assistons à un tournant décisif dans la guerre culturelle, il ne faut pas que nous nous abaissions jusqu’à imiter les méthodes déloyales de nos adversaires: « Réclamer des têtes, répondre à la meute par la meute revient à combattre la cancel culture de gauche par une cancel culture de droite ».
Pour Olivier Dartigolles le mal de notre époque, c’est « l’entre-soi » qui règne dans tous les écosystèmes médiatiques, de droite comme de gauche. Ivan Rioufol montre, preuves à l’appui, que Jean-Luc Mélenchon est un allié utile d’Emmanuel Macron. Les deux hommes partagent un même désamour pour le peuple quand ce dernier est trop français. Évoquant la rentrée politique – drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… – Emmanuelle Ménard conclut que, si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune. Jean-Jacques Netter passe en revue des différents actes de folie commis par le gouvernement dans le domaine de l’économie, de la taxe Zucman, qui fera fuir les riches et les capitaux, aux aides versées par l’État qui font de la France le numéro un européen de la dépense sociale. Et Gilles-William Goldnadel écoute chaque jour France Inter afin de mieux dénoncer cette « tentative sournoisede me voir financer malgré moi l’hégémonie d’uneseule idéologie ».
Quel bilan dresser des derniers événements au Proche Orient ? Pour Gil Mihaely, la supériorité militaire d’Israël ne s’est pas traduite en victoire politique. Le Hamas retient encore des dizaines d’otages, le pays est plus isolé que jamais et les alliés de M. Netanyahou affichent des ambitions messianiques alarmantes. Elisabeth Lévy raconte l’histoire bouleversante de Mali Zander. Sa fille, Nova, a été assassinée à l’âge de 23 ans au festival Nova le 7 octobre 2023, mais cette mère en deuil, infirmière-chef à l’hôpital Tel HaShomer de Tel-Aviv, continue de venir en aide aux soldats blessés et aux ex-otages. Une fraternité et une résistance qui sont l’autre face de cette tragédie. Côté britannique, je reviens sur la grande manifestation londonienne du 13 septembre et l’été de grogne générale qui l’a précédée, une grogne alimentée par la crise migratoire et des crises politiques à répétition.
Pierre-Jean Doriel et Alexis Semanne, de l’Institut des Français de l’étranger, montrent comment la France pourrait s’inspirer de pays comme les Pays-Bas, Singapour et Taïwan pour mieux soigner ses malades et à moindre coût. Tout ne va pas nécessairement pour le pire en France. Emmanuel Macron n’a pas pris la pire des décisions en nommant à Matignon un bon connaisseur de l’armée et de l’industrie de la défense. A l’heure où Causeur se demande si le pays est foutu, le secteur militaire incarne peut-être le puissant levier de croissance dont la France a besoin.
Côté culture, Richard Millet a lu L’Affranchi, de notre ami Cyril Bennasar. Le protagoniste est un homme qui refuse de se soumettre à une société de servitudes, du matraquage de l’Urssaf à la propagande immigrationniste en passant par les diktats du néoféminisme. La liberté de ton et l’autodérision de ce roman jubilatoire sont aussi rares que savoureuses. Georgia Ray fait l’éloge d’un ouvrage de Georges Clémenceau publié en 1926 mais jamais réédité. Son Démosthène était consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais avait un caractère largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison. Les historiens Alya Aglan et Julien Jackson publient un volume abondamment illustré des caricatures qu’a inspiré le général de Gaulle, de 1940 à 1970 sur les cinq continents. Selon Julien San Frax, un grand nombre de ces dessins et légendes sont aujourd’hui difficiles à interpréter pour l’œil non averti, mais le travail des deux auteurs permet de les comprendre dans leur contexte en ravivant trente ans d’histoire mondiale à travers la satire et l’irrévérence. Jean Chauvet est d’avis que, entre une savoureuse adaptation de l’affaire Bettencourt, une délicate transposition animée de la vie de Marcel Pagnol et un bel exercice de style autour du À bout de souffle de Godard, l’octobre cinéphile s’annonce radieux. Enfin, vous êtes viandard ? Vous trouvez que l’environnement actuel est hostile aux viandards ? Vous pouvez quand même compter sur une poignée d’excellents bouchers. Emmanuel Tresmontant nous recommande, par exemple, François Guillemin et Vincent Deniau, qui a troqué son maillot de champion de rugby pour un tablier de louchébem.
Rendez-vous ce mercredi 1er octobre dans vos kiosques pour un nouveau numéro de Causeur, bien saignant, comme toujours ! Ou dès maintenant pour les abonnés dans le kiosque numérique.
Plus les taux des crédits immobiliers sont faibles, plus les prix montent et creusent les inégalités de patrimoine.
Le peuple français, la gauche, mais aussi le RN et en vérité 99 % de la classe politique française, tous veulent continuer à dépenser plus, s’endetter plus – c’est ce que l’on fait depuis quarante ans sans avoir été jamais (vraiment) sanctionné. Tous militent, sans le savoir, pour le maintien d’une politique de taux d’intérêt bas, voire nuls. Les taux pratiqués depuis vingt ans par la BCE ont permis tout à la fois à l’État français d’emprunter sans compter… et à ceux qui le pouvaient de s’endetter pour acheter de l’immobilier. Or, le prix d’un appartement se trouve directement indexé aux taux : plus ils sont faibles, plus les prix montent. Les « vieux » sont donc de (virtuels) riches propriétaires, alors que les jeunes ne peuvent plus acquérir un bien, sauf à s’endetter sur trente ans – mieux vaut un emploi stable pour son dossier (fonctionnaire par exemple ?). Les taux bas sont donc le meilleur moyen de creuser les inégalités de patrimoine, car ils font monter le prix de tous les actifs : à l’immobilier s’ajoutent les actions, montres anciennes ou voitures de collection.
Tous ceux qui militent pour des dépenses publiques sans frein veulent ainsi des taux faibles. De façon assez comique, la gauche plébiscite donc le creusement sans fin des inégalités patrimoniales, qu’ils veulent évidemment taxer. Problème : que votre maison vaille 100 000 ou un million d’euros, cela ne vous laisse pas un kopeck pour payer une taxe Zucman à 2 %. Il n’y a que chez nous que la gauche dite de gouvernement se révèle aussi incohérente que d’extrême gauche.
On s’était habitués à ce qu’à la fin, le camp du Bien gagne et parvienne à mettre hors-jeu ses adversaires. Certes, cela fait un bout de temps que, dans le champ politique, l’arme suprême de la supériorité morale ne permet plus aussi bien qu’autrefois de maintenir le couvercle sur la marmite populiste. Il faut tout le talent comique de Hollande (et un brin d’opportunisme, car il paraît qu’il rêve la nuit que Mélenchon le soutient au deuxième tour) pour proférer que LFI fait partie de l’arc républicain et pas le RN. Cependant, comme le savent désormais les Gramsci de comptoir qui pullulent dans tous les camps, les batailles politiques se gagnent d’abord dans les esprits.
France inter: du rififi dans l’hégémonie
Or, le monopole progressiste sur le pouvoir culturel a vécu. Sous les coups de boutoir du réel, et grâce aux escouades de conservateurs, populistes et réacs qui, depuis une quinzaine d’années, sont sortis du placard et n’ont pas la moindre intention d’y retourner. C’est peu dire que la nomenclatura à grande conscience n’a pas digéré que, face à Matthieu Pigasse, George Soros et autres tycoons qui mettent leur fortune (enfin une partie) au service de leur antifascisme d’opérette et de leur volonté de déconstruction, se dressent désormais des Stérin et des Bolloré qui semblent beaucoup s’amuser à épater le bobo, quitte à être extrême droitisés par l’« arc médiatique ». La domination idéologique, c’était mieux quand on pouvait réduire ses contradicteurs au chômage et au silence.
Le résultat de ce travail de sape commencé dans les catacombes médiatiques (dont ce magazine) est qu’on assiste peut-être à un tournant décisif dans la guerre culturelle – Turning Point, c’est justement le nom de l’organisation de Charlie Kirk, devenu le symbole de cette droite décomplexée.
Pour commencer, le chantage au racisme ne marche plus. Même les électeurs de gauche ne craignent pas de déclarer (en tout cas aux sondeurs) ce que n’importe qui voit à l’œil nu, à savoir que beaucoup trop d’immigrés arrivent en Europe au regard de nos capacités d’accueil et d’intégration. Le premier droit que réclament les citoyens, c’est précisément celui de voir ce qu’ils voient et de dire ce qu’ils voient, raison pour laquelle la question migratoire a partie liée avec la défense de la liberté d’expression, comme l’avait compris Kirk. La majorité silencieuse sait que ces flux continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs locales menacent l’identité de leurs vieilles nations. Aussi la foule bien élevée qui a envahi les rues de Londres le 13 septembre était-elle surplombée par une forêt de drapeaux qui n’étaient pas palestiniens mais britanniques, anglais, écossais (voir l’article de Jeremy Stubbs dans notre numéro d’octobre). En France, cette majorité silencieuse ne défile pas, mais elle signe à tour de bras la pétition lancée par Philippe de Villiers pour un référendum sur l’immigration.
Cependant, c’est l’affaire Legrand-Cohen (narrée par Didier Desrimais dans notre nouveau magazine) qui met le feu à la plaine médiatique. Deux journalistes de l’audiovisuel public pincés à manigancer avec deux hiérarques socialistes, c’est cadeau. Le plus marrant, c’est que leur supposé complot visait à mettre sur orbite la candidature Glucksmann – convenons qu’on est assez loin de la Florence des Médicis. En tout cas, Legrand est débarqué en quelques heures. Qui, désormais, rabattra pour le PS « les voix de ce marais centre gauche, centre droit qui écoute France Inter, et en masse » ?
Panique au quartier général
Pour tenter de faire oublier la calamiteuse vidéo, le parti des médias dénonce en chœur une odieuse attaque de l’extrême droite. Sur CNews et Europe 1, on exulte. Les deux nigauds connivents et militants viennent d’offrir à leurs détracteurs la preuve irréfutable qu’ils avaient raison. Ils ont l’air malin avec leurs prêches. « Ceux de qui la conduite offre le plus à rire sont toujours sur autrui les premiers à médire », écrit Molière. De nombreux Français, lassés de payer pour se faire insulter, se sentent vengés. Feu sur le quartier général ! Curieusement, Delphine Ernotte remet une pièce dans la machine, accusant à son tour CNews d’être d’extrême droite et l’érigeant en adversaire principal – ce qui revient à reconnaître ses propres tropismes et à offrir au média honni un brevet d’opposant en chef. Pointe avancée de l’Église progressiste, l’audiovisuel public vient de subir une défaite en rase campagne. Il y a du rififi dans l’hégémonie.
Reste à savoir ce que la galaxie conservatrice fera de ses victoires. Aux États-Unis, la traque vengeresse (mais assez brève) des hérétiques refusant de communier dans l’adoration du martyr n’est pas de bon augure. Réclamer des têtes, répondre à la meute par la meute revient à combattre la cancel culture de gauche par une cancel culture de droite. Qu’ils soient Maga ou décoloniaux, les offensés exigent toujours la censure des offenseurs. On ne peut pas défendre le blasphème quand il vise Mahomet et l’interdire quand il s’attaque à Kirk. Ce qu’il faut exiger, ce n’est pas l’éviction, mais la confrontation, à la loyale, vision du monde contre vision du monde et que le meilleur gagne.
Seulement, le pluralisme est d’abord une affaire de désir, celui de frotter sa cervelle contre celle d’autrui, comme le recommandait Montaigne. Alors que chacun est de plus en plus enclin à n’évoluer que dans sa zone de confort idéologique, et pas seulement à gauche, ce n’est pas gagné. En attendant, alternez une heure de CNews et une heure de France Inter (attention, pas en continu) : soit vous deviendrez fous, soit vous deviendrez sages.
À l’ONU, Donald Trump a parlé comme un homme du réel. Ses phrases étaient martelées, brutales, mais elles portaient une vérité insupportable : l’Occident se défait de lui-même, il abdique, il se décompose. La réaction fut immédiate : les médias dominants le rangèrent parmi les « fascistes », ce mot magique qui permet de réduire un adversaire au silence, de l’excommunier sans procès. Fasciste, donc inécoutable. Fasciste, donc à abattre.
Le procédé est toujours le même : Tommy Robinson, qui a osé nommer les crimes de certains gangs musulmans en Angleterre, est réduit au statut de pestiféré ; Viktor Orbán, qui a rappelé que la frontière est une condition de survie pour les nations, est voué aux gémonies ; Marine Le Pen, qui incarne l’idée qu’il existe encore un peuple français, est jetée dans la fosse commune des « ennemis de la démocratie ». On ne discute pas avec ces gens-là. On les diabolise. On les extermine symboliquement.
Il n’y a plus de débat. Il n’y a plus que des anathèmes. La démocratie s’est retournée contre elle-même : elle ne supporte plus d’entendre ce qui la contredit. Et c’est dans ce retournement que gît le nouveau fascisme : dans cette manie d’exclure, dans cette compulsion à interdire, dans ce besoin de tuer la parole avant même qu’elle ne soit prononcée.
Car le fascisme n’est plus là où l’on dit qu’il est. Il n’est pas dans ceux qu’on accuse — Trump, Orbán, Le Pen, Robinson — il est dans ceux qui accusent. Il est dans la meute progressiste qui s’arroge le monopole du Bien, dans les journalistes qui lynchent au nom de la morale, dans les étudiants qui brûlent des effigies de leurs professeurs, dans les milices antifascistes qui censurent au nom de l’antifascisme. Plus on élargit le cercle des « fascistes » désignés, plus on banalise le mot, et plus on perd la faculté de reconnaître le vrai fascisme lorsqu’il frappe.
Le fascisme du présent révélé par la violence politique
L’assassinat de Charlie Kirk, figure de la droite radicale américaine, n’est pas un fait divers : c’est un symptôme. Ce meurtre dit la vérité d’une époque où l’adversaire n’a plus le droit d’exister. L’élimination physique, médiatique ou symbolique est devenue la nouvelle norme. Les attentats islamistes en Europe, les intimidations sur les campus, les menaces contre ceux qui ne se plient pas au catéchisme progressiste : tout concourt à créer un climat où la violence remplace la dispute, où la peur supprime la parole.
On ne revient pas aux « extrêmes » : nous assistons au retour d’une structure, d’un mode d’être politique. Le fascisme réinvestit notre temps sous des formes nouvelles.
Le fascisme du passé
Celui du XXe siècle était clair : État total, culte du chef, peuple organique, mythe de l’unité, haine des ennemis intérieurs. Il écrasait la pluralité sous la botte et remplaçait la discussion par le cri.
Le fascisme du présent
Aujourd’hui, le fascisme ne s’avance plus avec des uniformes ni des drapeaux. Il a changé de masque. Il ne célèbre plus la nation, il glorifie la cause : celle des opprimés supposés, celle des minorités sacralisées, celle d’un islam présenté comme la revanche des humiliés. Il ne prêche plus l’unité du peuple, mais l’unanimité de la morale. Il ne parle plus au nom de la patrie, mais au nom de l’Humanité. Toujours la même logique : interdire la coexistence des vérités, abolir le conflit au profit d’une Vérité unique.
On appelle ainsi souvent « fachos » ceux qui osent nommer le danger. Et ceux qui intimident, censurent, menacent au nom de l’antifascisme se vivent comme l’avant-garde du Bien ! Ce n’est pas un paradoxe : c’est le signe que nous sommes entrés dans une ère où le langage lui-même a été retourné comme un gant.
Expériences du réel
J’ai vu cela en Allemagne, quand j’ai réuni, dans des salles de Dresde, des partisans de PEGIDA, le mouvement hostile à l’immigration et à l’islamisation et des personnes favorables à l’accueil massif des réfugiés. Ce n’était pas une alliance, ce n’était pas un compromis: c’était le conflit, nu, exposé, douloureux, mais humain. Or, ce furent les autoproclamés « antifas » qui exigèrent l’interdiction de ces rencontres, lettres de dénonciation à l’appui. Voilà leur méthode : empêcher que la parole circule.
Je l’ai vu encore plus clairement dans les territoires palestiniens, quand j’ai rassemblé clandestinement Israéliens et Palestiniens pour qu’ils se parlent, s’invectivent, hurlent, mais se voient comme des êtres humains. Les rencontres furent interrompues. Des groupes palestiniens menacèrent leurs propres compatriotes de mort. Non pas parce qu’ils disaient telle ou telle chose, mais parce qu’ils osaient parler. Le fascisme, aujourd’hui, se définit par ce refus du dialogue : il ne supporte pas la confrontation verbale. Il condamne à mort ceux qui osent seulement ouvrir la bouche.
Une alliance paradoxale
Ce fascisme contemporain a selon moi deux visages : l’extrême-gauche et l’islamisme. Deux frères ennemis, deux totalitarismes qui se rejoignent dans la haine du pluralisme. L’extrême-gauche croit trouver dans l’islam une armée de substitution pour abattre l’Occident libéral.
Elle fait semblant d’oublier que la religion, naguère opium du peuple, est aujourd’hui sa caution révolutionnaire. Mais cette alliance est un leurre : l’ogre islamiste dévorera sans scrupule ses alliés gauchistes impies, comme il l’a déjà fait ailleurs…
Le défi démocratique
La vraie question n’est pas de neutraliser quelques groupuscules extrémistes. Elle est de savoir si la démocratie a encore la force de se défendre. Une démocratie faible s’excuse, s’incline, subit. Une démocratie forte nomme ses ennemis, accepte le conflit, assume la dureté du monde.
Conclusion : la matrice du refus
Hier comme aujourd’hui, le fascisme n’est pas seulement la violence, il est le refus du conflit.
Le fascisme d’hier abolissait les contradictions sociales au profit d’une unité factice. Le fascisme d’aujourd’hui interdit la parole divergente au nom de la morale. Dans les deux cas, la démocratie est remplacée par la peur et l’unanimité.
Le vrai visage du fascisme, ce n’est donc pas Orbán, Trump ou Le Pen. C’est cette société qui n’accepte plus la dispute, qui ne supporte plus la contradiction, qui interdit la controverse au nom du Bien. Dès que parler devient impossible, c’est la violence qui prend le relais. La démocratie ne peut survivre qu’en faisant exactement l’inverse: en rouvrant l’espace du conflit, en réhabilitant le droit de dire, d’écouter, de se contredire — même dans la douleur.
Le seul antidote au fascisme, quel que soit son masque, est là : dans le courage d’affronter la parole de l’autre. Pasolini l’avait prédit: le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle anti-fascisme.
Trentième anniversaire de l’interdiction du vol de nain en France
Du 13 au 18 octobre 2025, la petite commune de Morsang-sur-Orge (dans l’Essonne) va célébrer le 30e anniversaire d’un arrêt du Conseil d’État, dont elle est à l’origine et estime être sortie grandie en mettant fin à une activité portant atteinte à la dignité humaine !
Pas assez d’heures de vol à l’Assedic
Sans vouloir rapetisser la satisfaction des élus locaux, il faut préciser que cette activité n’était exercée que par un seul homme, de petite taille, 1,14 mètre pour 44 kilos, Manu Wackenheim, surnommé le « Nain volant », alias Mister Skyman, qui casqué et équipé comme un cascadeur, se produisait dans les boîtes de nuit, où des clients au bras long l’envoyaient glisser sur un matelas gonflable…
C’est ainsi que par arrêté municipal, Morsang-sur-Orge a interdit le « lancer de nain », et cet interdit faisant des petits, le seul nain se prêtant à cette discipline s’est retrouvé au chômage. Me Serge Pautot, l’avocat historique de Manu, n’a jamais encaissé que soit interdit un spectacle joué par un seul homme, forcément consentant : « Pourquoi mettre au chômage une personne de petite taille qui avait enfin trouvé un travail ? J’ai vu Manu pleurer, oui, on l’a privé de son travail, de son salaire, de son bonheur, de sa joie de vivre. »
Manu, aujourd’hui âgé de 58 ans, n’a jamais digéré qu’on l’ait cloué au sol, alors que son spectacle de cascadeur était en haut de l’affiche : « Je suis le nain qu’on a empêché de voler. Après l’arrêt du spectacle, je me suis rendu à l’Assedic pour faire valoir mes droits au chômage et là, on m’a déclaré que je n’avais pas cotisé assez longtemps, c’est-à-dire pas assez d’heures de vol ! » Et depuis, trop grand pour être reconnu handicapé, il galère et vit des minimas sociaux…
En octobre, Manu est toutefois invité à Morsang pour participer à un débat, qui prendrait de la hauteur en reconnaissant que la liberté individuelle devrait primer sur l’indignation collective de belles âmes, blanches comme neige, qui s’imaginent que la place des nains (enfin au maximum sept) est uniquement dans les contes de fées…
Deux ans après le 7-Octobre, la supériorité militaire d’Israël ne s’est pas traduite en victoire politique. Le Hamas retient encore des dizaines d’otages, le pays est plus isolé que jamais, et les alliés de Netanyahou affichent des ambitions messianiques alarmantes. Aussi critiquable et critiquée soit-elle, la reconnaissance de la Palestine par la France ouvre un chemin étroit, sinon à la paix, à la politique. Encore faudrait-il des dirigeants capables de l’emprunter.
Mise à jour (1/10/2025): – Lundi, le président américain Donald Trump a donné trois ou quatre jours au Hamas pour accepter son plan de paix « éternelle », faute de quoi il laissera Israël « finir le travail ». – De son côté, de retour de Washington dans son pays, M. Netanyahou devra imposer le fameux plan auprès de ses alliés gouvernementaux les plus radicaux, lesquels entendent toujours vider Gaza de sa population voire annexer la Cisjordanie… • La rédaction
Il y a un an, Israël était dans la situation du roseau de La Fontaine. Un an après le massacre et le choc du 7-Octobre, le pays avait plié, mais n’avait pas rompu. Mieux, il avait riposté. Ses forces de sécurité avaient éliminé l’essentiel des capacités du Hamas ainsi que sa direction – Yahya Sinwaar en tête. Au Liban, elles avaient défait le Hezbollah, neutralisé ses cadres grâce à la glorieuse « opération bipeurs », assassiné son chef Hassan Nasrallah, repoussé ses forces loin de la frontière et réduit ses stocks de missiles. Cette débâcle produisait en quelques semaines un résultat inespéré : la chute d’Assad en Syrie. Tandis que l’Iran, privé de ses deux alliés les plus précieux (le Hezbollah et le Hamas), devait encaisser deux frappes israéliennes, révélant la faillite d’une stratégie de défense nationale patiemment construite à grands frais pendant quatre décennies.
Crédibilité militaire et des services de renseignements retrouvée
On dirait que la loi des rendements marginaux décroissants s’applique aussi à la politique et à la géopolitique. Alors qu’on célèbre le deuxième anniversaire de cette funeste journée, Israël semble avoir perdu la main. Les mauvaises nouvelles se sont accumulées : recrudescence de l’antisémitisme, chasse généralisée à tout ce qui touche à Israël, spectre menaçant de sanctions, voire de ruptures avec des pays alliés, tant en Occident que dans le monde arabe, reconnaissance inconditionnelle de l’État palestinien par la France, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie. Sans oublier évidemment les 48 otages morts et vivants, qui croupissent toujours aux mains du Hamas et de ses alliés.
Sans doute Israël est-il parvenu à renverser la situation et à rétablir la crédibilité de ses forces armées comme de ses services de renseignement. Le pays a également impressionné par sa capacité à soutenir une guerre de longue durée, ainsi que par des prouesses de Tsahal et du Mossad en Iran pendant la guerre de Douze-Jours. La page des échecs du renseignement et de l’armée est à présent tournée. Comme lors de la guerre du Kippour, en octobre 1973, la société israélienne a montré sa résilience et sa capacité à se ressaisir et contre-attaquer avec succès.
Seulement, les prouesses militaires ne se traduisent pas forcément en succès stratégique. En 1973, bien que battue par les armes, l’Égypte avait récupéré le Sinaï, perdu en 1967. De même, en 2025, le Hamas, quoique écrasé en tant que force armée et gouvernementale, a permis à la cause palestinienne de retrouver une place centrale dans la politique mondiale. Entre les mains d’habiles stratèges, les fiascos militaires peuvent se révéler de puissants atouts politiques.
Un pays isolé
Jamais Israël n’a été aussi isolé. Certes, au Moyen-Orient, les alliances officielles et tacites entre l’État hébreu et plusieurs capitales arabes semblent avoir tenu et les gouvernements continuent de résister face aux pressions de leurs opinions publiques, mais les perspectives d’un élargissement de la normalisation se sont éloignées. Et l’entrée officielle du Pakistan dans le jeu par son alliance de défense avec l’Arabie saoudite complique encore la situation. Parallèlement, les relations entre Israël et la Turquie se sont tendues, et le différend sur l’avenir de la Syrie menace désormais de dégénérer en affrontement direct. Quand on se souvient qu’il y a deux ans, Netanyahou devait se rendre à Ankara, suivi d’une visite d’Erdogan à Jérusalem prévue pour la fin 2023 ou le début 2024, on mesure la dégradation. Le voyage de Netanyahou en Chine, planifié fin 2023, appartient aussi à une autre ère. Presque partout en Occident, le drapeau palestinien s’affiche dans les rues et sur les bâtiments publics. Israël a perdu le soutien de l’opinion publique et des médias dans la plupart des pays, quand il n’est pas devenu la figure du Mal. Certains gouvernements, comme ceux de l’Irlande et de l’Espagne, prônent désormais une politique clairement hostile à son encontre. Même aux États-Unis, principal pilier de la sécurité nationale israélienne, les bastions traditionnels du soutien s’érodent.
Cerise amère sur ce gâteau indigeste, la reconnaissance inconditionnelle de la Palestine par des pays majeurs est, en plus d’une défaite diplomatique pour l’État juif, un crève-cœur pour de nombreux juifs dans le monde, singulièrement en France. Pierre Lellouche n’a pas tort d’affirmer que cette reconnaissance revient à délégitimer, voire nazifier Israël aux yeux du monde. Sur le front de la communication, c’est une défaite en rase campagne. Le Hamas ne s’y est pas trompé et s’est hâté de féliciter Emmanuel Macron.
Pour autant, à l’usage, cette décision pourrait avoir aussi des conséquences bénéfiques. Beaucoup de juifs, convaincus que le président français leur veut du mal (sinon, pensent-ils, il n’aurait pas choisi de prononcer son discours « historique » le jour de Rosh ha-Shana), ne se sont pas donné la peine de l’écouter. On ne peut exclure qu’il croie vraiment que le projet franco-saoudien de création d’un État palestinien permettra de mettre fin à la guerre à Gaza, voire au conflit entre deux peuples. En tout cas, le président et son ministre des Affaires étrangères ont été très clairs : la France exige le retour des otages, le désarmement du Hamas et son exclusion de toute solution politique, ainsi qu’une transformation profonde de l’Autorité palestinienne comme condition de son retour au centre de la scène politique. Sur ces bases, on aurait pu envisager un scénario à la libanaise. Contre le Hezbollah, Tsahal a fait un usage mesuré de la force, ouvrant ensuite un espace politique aux forces anti-Hezbollah. Il est vrai qu’à Gaza, on serait bien en peine de trouver des forces anti-Hamas. Il ne s’agit pas d’être naïf. Israël devra maintenir le revolver sur la tempe des candidats au djihad et intervenir à la moindre alerte. Mais sauf à admettre que la poursuite de la guerre est le seul but de la guerre, il faudra bien imaginer un après dans lequel quelqu’un gouvernera Gaza. Et comme Israélien, je prie pour que ce ne soit pas Israël. Qu’il y ait ou pas un État palestinien au bout du chemin, personne n’en sait rien. Rien n’interdit de faire quelques pas.
Mission sacrée
Le problème, c’est que Benyamin Netanyahou ne voit pas les choses ainsi. Et les nombreux Israéliens qui le soutiennent non plus. Bibi est convaincu qu’il est le seul à pouvoir diriger le pays dans ces heures difficiles. Pour lui, c’est l’occasion « d’achever la guerre d’indépendance » et de mettre un terme à la possibilité d’un deuxième État à l’ouest du Jourdain. Il croit que les vieilles questions sans solution peuvent être balayées et les frontières mouvantes redessinées.
Il estime donc avoir pour mission sacrée de garder les rênes du pouvoir, quitte à transformer Israël en démocratie illibérale. Le Premier ministre n’en fait pas mystère, l’avenir qu’il propose à ses concitoyens, ce n’est pas la start-up nation, mais la nation-Sparte, l’État juif contre le reste du monde. CE qui lui vaut l’approbation bruyante de sa base composée de trois groupes : le petit peuple séfarade qui ne veut plus entendre parler des Arabes et le soutient comme s’il était un envoyé de Dieu, les ultra-religieux, qui veulent détruire la Cour constitutionnelle afin d’inscrire dans la loi leur exemption du service militaire, et les religieux messianiques, qui veulent annexer Gaza et la Cisjordanie sans accorder aux Palestiniens de droits civiques. C’est ainsi que la gestion de la guerre contre le Hamas n’est plus un enjeu géopolitique, au même titre que le Liban ou le Yémen, mais le cœur de la stratégie politicienne du Premier ministre israélien. Qui en profite au passage pour oublier sa propre responsabilité. Laquelle n’est pas négligeable. La réalité, c’est que Netanyahou s’est planté dans les grandes largeurs.
Avant le 7-Octobre, il pensait que son rendez-vous avec l’Histoire se jouerait à l’Est et au Nord, dans un affrontement avec l’Iran et le Hezbollah… En 2017, Netanyahou fait une déposition devant une commission de la Knesset et révèle que trois ans plus tôt, « le Hamas a préparé une attaque combinée : un tir massif sur les villes d’Israël, une attaque par la mer et par les airs au moyen de deltaplanes motorisés ainsi qu’une infiltration avec des forces spéciales de l’ordre d’un bataillon, afin d’enlever et de tuer, dans les localités et dans les positions militaires, puis de ramener les captifs et les corps à Gaza. Ils pensaient qu’en nous surprenant, ils pourraient y arriver. » Or, poursuit-il, tandis que les forces de défense et de sécurité israéliennes étaient en train de déjouer cette opération de grande ampleur (très ressemblante à celle du 7-Octobre) avec l’opération Bordure protectrice (été 2014), plusieurs ministres l’ont alors pressé de saisir l’occasion pour occuper la bande de Gaza et éliminer le Hamas. Refus de Netanyahou, qui redoutait les inconvénients : non seulement se posait la question de décider de qui gouvernerait l’enclave, mais surtout celle du coût humain aussi bien dans l’armée israélienne que dans la population palestinienne. Sans oublier les inévitables pressions internationales.
Affiche israélienne présentant les principaux cadres du Hamas éliminés depuis octobre 2023. Emmanuel Macron a salué ces opérations, mais a mis en garde contre les risques d’extension du conflit qu’il juge « contre-productive ». IDF.
Les « yeux sur la balle » (c’est-à-dire sur Téhéran), Netanyahou a choisi de mettre le couvercle sur Gaza. Avec l’aide du Qatar et de l’Égypte – deux intermédiaires concurrents –, son idée était de laisser le Hamas s’embourgeoiser et abandonner de facto la lutte armée. La priorité a alors été réorientée vers le Hezbollah et l’Iran. Les opérations spectaculaires menées depuis ce jour, de l’assassinat de Haniyeh en juillet 2024 dans une chambre de l’hôtel VIP des Gardiens de la révolution à Téhéran, jusqu’à la décapitation de la direction militaire iranienne en juin 2025, sans oublier l’élimination de Nasrallah et l’affaire des bipeurs, témoignent de cette prévalence. Herzi Halevi, qui était le chef d’état-major au moment du 7-Octobre, l’a du reste admis devant les survivants des villages attaqués : « On m’a souvent demandé pourquoi nous avions investi autant face au Hezbollah et pas face au Hamas. Mais nous ne pensions pas que celui-ci se trouvait en position d’initier quelque chose. Il a réussi à nous le dissimuler habilement. »
Depuis le 7-Octobre, Netanyahou s’efforce, non sans un certain succès, de surmonter cette déconvenue stratégique et de retrouver le scénario initial de son « rendez-vous avec l’Histoire ». Seulement, si à Paris, Londres et Berlin, on comprend ses visées concernant l’Iran, ce n’est plus du tout le cas pour ses agissements et intentions à Gaza, qu’on soupçonne d’être dictés par le duo messianique Smotrich-Ben Gvir. Netanyahou affirme à qui veut l’entendre qu’il se sert davantage de ses deux ministres « maléfiques », pour reprendre le mot de Finkielkraut, qu’eux de lui. Mais plus le temps passe depuis le 7-Octobre, moins ce discours est crédible. On a plutôt des raisons de penser que Netanyahou est désormais l’otage de ses extrémistes. La crise humanitaire déclenchée cet été par les ratés dans l’approvisionnement en eau et en nourriture des Gazaouis a enragé les chancelleries. Les Occidentaux sont désormais certains qu’à Gaza, Netanyahou poursuit des calculs politiciens. Dès lors, Israël perd la confiance de ses alliés arabes et occidentaux.
Question explosive, y compris en France
Pour autant, on a tort de proclamer que le Hamas a gagné. Être populaire sur les campus occidentaux, ça ne nourrit pas et ça ne crée pas d’État. En juin 1967, lors de la guerre des Six-Jours, le roi Hussein de Jordanie a commis l’erreur de se joindre à Nasser et d’attaquer aux côtés des Égyptiens malgré les avertissements israéliens. S’en est suivie une défaite, dont les premiers bénéficiaires furent les Palestiniens, qui, en passant sous domination israélienne, ont pu ensuite développer une stratégie d’autodétermination, impossible et impensable sous occupation jordanienne ou égyptienne. Sans le vouloir, l’erreur de Hussein fit la fortune de la cause palestinienne.
Avec le pari fou du 7-Octobre, le Hamas a peut-être commis la même erreur. Si sa défaite militaire a permis de replacer la cause palestinienne à la une de l’agenda mondial et d’en faire une question intérieure explosive en France et ailleurs en Occident, le mouvement terroriste a tiré les marrons du feu de Gaza pour le « bloc central » palestinien, aujourd’hui incarné par l’Autorité palestinienne. Marginalisée depuis le 7-Octobre, celle-ci se retrouve au centre du jeu grâce à ses deux ennemis – Netanyahou et le Hamas. Encore faudrait-il qu’elle se trouve des dirigeants plus présentables que les satrapes richissimes et cacochymes actuels. Mahmoud Abbas ayant mis presque deux ans à condamner le 7-Octobre, il faudrait peut-être chercher des partenaires plus réactifs. Reste à savoir s’il se trouvera des responsables palestiniens pour jouer le jeu de la coexistence ou si, comme le disait le légendaire ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban, l’élite palestinienne se saisira encore de l’occasion de rater une occasion.
Le dernier sondage sur la présidentielle Ifop-Fiducial pour Sud Radio et L’Opinion enrage les Insoumis[1]. Il nous donne un nouvel exemple de la brutalisation de la vie publique par les Insoumis, lesquels ont eu une réaction violente et particulièrement hystérique à cette enquête d’opinion qui place M. Mélenchon en 4ème position à 12 ou 13%.
IFOP.
M. Dabi de l’ « IFLOP » visé par M. Mélenchon
Le général Tapioca dégaine le premier avec un tweet : «Merci à IFLOP pour son sondage « fout la pagaille» au PS et chez les macronistes. Dommage que l’échantillon ne soit pas crédible et que ça se voit Monsieur Dabi. Vos réunions avec Retailleau, vos obsessions islamophobes vous égarent.»
Reprenant servilement cette minable blague du Guide suprême, ses courtisans se transforment ensuite en meute lyncheuse. Les mêmes qui avant-hier relayaient bruyamment un autre sondage IFOP plus favorable – concernant je crois la municipalité d’Avignon -, rivalisent dans la détestation à l’égard de l’ennemi du peuple, en l’occurrence l’ami Dabi dont nous sommes évidemment solidaires.
Sous Staline, tous ces gens auraient prouvé leur fidélité en dénonçant les dissidents. Ils ne traitent pas Dabi de vipère lubrique comme on désignait les traitres à l’URSS, mais de sioniste et d’islamophobe, ce qui ne vaut pas mieux. Et pourrait de surcroît donner des idées à des fanatiques à couteau.
Comment expliquer cette surréaction ? D’abord, c’est une mauvaise passe pour LFI. Non seulement le PS s’est replacé au centre du jeu, mais en plus c’est Raphaël Glucksmann qui a le vent en poupe. Et contrairement au socialiste Olivier Faure, prêt à toutes les compromissions, lui dit qu’il refusera toute entente avec le mouvement mélenchoniste.
La diabolisation en question
Plus généralement, l’image de Mélenchon se dégrade. Ses sympathies pour les dictatures font des vagues jusque dans le Parti (cf. Chikirou et la Chine, « je ne considère pas que la Chine est une dictature »). Surtout, il est l’homme des islamistes en France, comme le montre le livre d’Omar Youssef Souleimane[2], que les Insoumis ont voulu faire interdire. L’obsession palestinienne de LFI est le cache-sexe d’un soutien au Hamas. D’après des documents publiés avant-hier par Israël, la flottille à laquelle participent cinq élus LFI serait organisée par un faux-nez de l’organisation terroriste. Du reste, ces aventures n’intéressent personne.
Seule issue pour Jean-Luc Mélenchon : la stratégie de la tension. Il faut attiser les conflits dans la société française pour se poser en défenseur des jeunes contre la police, des musulmans contre les « islamophobes », des migrants contre l’extrême droite etc.
Reste que diabolisation et imprécation morale sont inopérantes. 13% pour un leader qui ment, insulte, menace les préfets ou attaque la police (et ferait presque ressembler Jean-Marie Le Pen à un radsoc…), cela reste considérable. Cela tient peut-être à notre héritage révolutionnaire-terroriste de 1793. Nous avons une certaine tolérance à la violence de gauche. Dans les rédactions et dans le show-biz, le radical-chic a toujours été très tendance. Et cela explique pourquoi un parti fascistoïde pourrait finalement se retrouver au deuxième tour de la présidentielle.
Cette chronique a été diffusée ce matin sur Sud Radio.
[1]Enquête menée auprès d’un échantillon de 1 127 personnes inscrites sur les listes électorales, extraites d’un échantillon de 1 210 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas ( sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 24 au 25 septembre 2025.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise
Depuis que l’« affaire Legrand-Cohen » a éclaté, la bataille culturelle qui oppose les trois blocs politiques en lice pour gouverner la France a passé un seuil supérieur de violence. Pas vraiment une surprise tant, depuis l’élection présidentielle il y a trois ans, la tonalité du débat public n’a cessé de se polariser et de se radicaliser. J’ai souvenir de la dernière soirée électorale, en juillet 2024. Quand il a été établi que le RN n’obtiendrait pas la majorité absolue à l’Assemblée, ni même une majorité relative forte, j’ai vu sur les plateaux télévisés des mâchoires – y compris des mâchoires de journalistes et de commentateurs – se serrer. « Fini la rigolade »…
La neutralité n’existe pas
La charge contre Thomas Legrand et Patrick Cohen – dont les fautes commises en l’espèce n’ont rien de surprenant puisqu’il ne s’agit que de leur proximité idéologique avec les socialistes – n’en est pas moins sidérante par son intensité. Plus rien ne sera comme avant. Ceux qui veulent en découdre avec l’audiovisuel public, principalement à droite et à l’extrême droite du paysage politique, mais aussi dans une partie de la gauche Insoumise, n’ont pas attendu les « révélations » de L’Incorrect, dont le principal actionnaire est un cadre de Reconquête, pour dézinguer France Inter et France Télévisions. Par le passé, il y a pu y avoir des coups de chauffe, ciblant notamment des humoristes de la Maison ronde – qui n’ont pas toujours été drôles – sans monter pour autant au niveau d’agressivité désormais atteint : celui d’un combat qui ne se joue plus uniquement sur le terrain des idées, mais qui vise carrément à obtenir la disparition pure et simple de l’audiovisuel public.
Première observation sous la mitraille : la neutralité n’existe pas. Et c’est une très bonne chose. Pour Legrand et Cohen, comme pour des journalistes et éditorialistes qui, du matin au soir, verraient très bien Rachida à la mairie de Paris, Jordan à Matignon et Marine à l’Élysée. Et si cela ne se réalise pas, le prochain coup, c’est pour Sarah ! La grande hypocrisie de ceux qui ont consacré un temps d’antenne vertigineux à l’« affaire Legrand-Cohen », puis aux déclarations de Delphine Ernotte, est de vouloir nous faire croire qu’ils n’ont, eux, pas de « couleur », pas d’intentions, pas d’agenda. C’est faux.
Quand la chose est entendue, il est alors très vite question du financement par nos impôts de l’audiovisuel public. Et cette réalité est en effet à prendre en considération. C’est pourquoi la seule véritable voie nous permettant d’aller vers 2027 dans un climat plus apaisé, avec une arène médiatique de qualité, est de rendre possible un vrai pluralisme sur les écrans et les ondes des médias publics. Cela pourrait-il en être de même de l’autre côté de la barricade ? Je peux en témoigner, cela a été possible. J’espère que cela le sera encore demain.
You are fake news
Et quid de la vérité ? Des faits ? Quand il est par exemple dit qu’Emmanuel Macron alimente l’antisémitisme avec la reconnaissance de l’État de Palestine, je trouve cette accusation détestable, mais il s’agit là de l’expression d’une opinion que l’on peut battre en brèche en expliquant comment la solution à deux États est le seul chemin garantissant la paix et la sécurité pour le peuple israélien et le peuple palestinien. Mais quand la colonisation illégale de la Cisjordanie n’est jamais évoquée et le droit international, jamais convoqué, alors, la mission du service public audiovisuel est d’éclairer cette réalité. Ne pas la taire, comme on le fait ailleurs.
Le mal de l’époque, un mal qui s’est installé et qui progresse à une vitesse vertigineuse, un mal qui est au cœur de l’« affaire Legrand-Cohen » des deux côtés de la ligne de front, tient d’abord en une réalité : l’entre-soi. Dans les médias des gauches, comme dans ceux des droites, chacun baigne aujourd’hui dans son propre écosystème. Les passerelles professionnelles et humaines n’existent qu’au sein de biotopes étanches, qui ont leurs références communes, leurs dîners, leurs contacts. Dans une ambiance d’affrontement de plus en plus haineuse, avec les clapotis permanents du cloaque des réseaux sociaux et leurs algorithmes qui nous dirigent prioritairement vers tout ce qui peut nous conforter dans notre identité, nous avons perdu le sens de l’altérité. La curiosité pour l’autre en ce qu’il a de différent. Pour l’autre dont le discours ne rentre pas dans nos cases.
Tout cela est-il irréversible ? Pour quel avenir ? A-t-on définitivement perdu ce qui peut nous lier les uns aux autres ? Sommes-nous prêts pour prendre ce toboggan, dont on ne sait pas vraiment la destination finale ? Est-il déjà trop tard ?
Pas de slogans, pas de pancartes, pas de service d’ordre: seulement une sono, des corps en transe et des nuits qui n’en finissent pas. Pour le journaliste Arnaud Idelon, que Le Monde nous présente également comme « fêtard professionnel » et « programmateur culturel », la rave est peut-être le dernier bastion de la contestation politique. Mais, sérieusement, le dancefloor peut-il vraiment remplacer la rue?
Un samedi soir au fin fond d’une friche industrielle, des centaines de jeunes — et de moins jeunes — se pressent sous un hangar décrépi. Pas de tribune, pas de pancarte, pas de discours. Juste une sono, des lumières stroboscopiques, une basse qui cogne, des corps en transe. À première vue, rien de politique: c’est une fête, une parenthèse hors du réel. Et pourtant, selon Arnaud Idelon dans son essai Boum boum. Politiques du dancefloor, la rave et ses déclinaisons festives constituent peut-être l’espace de contestation le plus vivant de notre époque.
Car la rave n’obéit pas aux codes de la manifestation traditionnelle. Là où la manif défile entre Bastille et République, encadrée par les syndicats, ritualisée, saturée de slogans convenus, la fête techno se déploie dans l’illégalité ou la semi-clandestinité. Elle invente ses propres règles, ses propres lieux, sa propre temporalité. Elle brouille les frontières entre le public et le privé, entre le politique et l’intime. Là où la politique institutionnelle se meurt d’ennui, le dancefloor pulse encore.
Le politique par les corps
Ce qui fait la force d’une rave, ce n’est pas un programme électoral ni un manifeste idéologique. C’est la puissance des corps. Les danseurs, souvent anonymes, anonymisés même dans l’obscurité et le vacarme, expérimentent un rapport collectif inédit : égalité des corps, effacement provisoire des hiérarchies sociales, fusion des différences. Là, sur la piste, peu importe votre diplôme, votre métier, votre capital culturel: ce qui compte, c’est votre capacité à tenir la cadence. Une forme d’utopie égalitaire se réalise, ne serait-ce que le temps d’une nuit.
À l’inverse, la manifestation classique repose sur la visibilité et la mise en scène de l’opinion: pancartes, slogans, médias. Elle exige une hiérarchie (services d’ordre, porte-parole, orateurs). La rave, elle, fonctionne à rebours: pas de chef, pas de discours, pas d’orateurs. Une démocratie sans logos, mais saturée de rythmes.
La nuit contre le jour: la fête comme insoumission
Idelon insiste sur un point : la fête est par essence politique parce qu’elle suspend le temps ordinaire, celui du travail et de la contrainte. Le dancefloor incarne une rébellion contre le « jour », contre le temps réglé de l’économie, contre l’agenda des puissants. Là où la société vous dit : « sois productif, sois utile, sois sage », la rave proclame : « sois libre, sois fou, sois autre ».
Il n’est pas indifférent que ces fêtes soient pour la plupart nocturnes et illégales. Elles cherchent des marges, des interstices, des zones hors contrôle. En cela, elles rejoignent les « zones autonomes temporaires » chères aux penseurs libertaires : des bulles de liberté qui ne durent qu’un instant, mais qui marquent les esprits.
De la subversion au marketing: la rave récupérée
Mais ce pouvoir subversif n’est pas sans ambiguïté. D’abord parce que la fête peut basculer dans la démesure : drogues, excès, accidents. Ensuite parce que, comme toujours, ce qui naît dans la marge finit souvent récupéré par le centre. Le dancefloor underground des années 90 est devenu aujourd’hui un produit culturel rentable. Les festivals électro attirent des sponsors, des collectivités locales, des marques de bière. Le « boum boum » de la subversion devient vite une machine à cash.
De ce point de vue, la rave ne fait pas exception : comme le rock ou le punk avant elle, elle finit absorbée par le marché. On peut même dire que son potentiel politique s’évapore à mesure qu’elle devient un « produit culturel » labellisé par les pouvoirs publics.
Ce que la rave dit au départ — « sortons du système » — se renverse en son contraire : un grand spectacle validé et financé par le système.
Danser n’est pas gouverner
Alors, la rave est-elle plus politique qu’une manif ? Oui, si l’on considère le politique comme ce qui bouscule les habitudes, ce qui invente du commun, ce qui crée des formes inédites de vivre-ensemble. Oui, si l’on mesure la puissance de cette communion des corps contre la froideur bureaucratique des cortèges syndicaux.
Mais non, si l’on pense le politique comme la capacité à durer, à transformer le réel, à inscrire une revendication dans les institutions. La rave est fulgurance, pas réforme. Elle est intensité, pas programme. Elle ouvre des brèches, mais elle ne bâtit pas de murs.
En vérité, elle dit quelque chose de notre époque : la difficulté à inventer des formes politiques durables. Les jeunes Français ont peut-être encore l’énergie de danser, mais plus celle de construire. Ils savent encore refuser par leurs corps, mais plus imposer par leurs idées. Ils cherchent des extases immédiates, mais ils peinent à imaginer tout horizon commun…
Une politique en creux
Peut-être faut-il alors prendre la rave pour ce qu’elle est : un symptôme. Elle nous rappelle que les citoyens, surtout les jeunes, veulent encore du collectif, veulent du rituel, veulent de l’intensité. Mais qu’ils ne la trouvent plus dans les partis, ni dans les syndicats, ni dans les institutions. Alors, ils vont la chercher ailleurs : dans ces hangars, dans ces champs envahis, dans ces nuits sans fin. À cet égard, oui, la rave est peut-être politique — non pas parce qu’elle propose un projet, mais parce qu’elle révèle un manque. Elle montre ce que la démocratie officielle ne sait plus offrir: une expérience sensible de communauté. C’est à ce titre que le dancefloor fait vraisemblablement trembler la République plus sûrement qu’un cortège place de la Bastille… Et c’est pour cela qu’il mérite, au moins le temps d’un livre, d’être pris au sérieux.
L'actrice et citoyenne du monde Marina Foïs, au micro de RTL, le 27 septembre 2025. Capture You Tube.
L’actrice reproche aux Français un manque d’empathie pour les migrants
Les propos de Marina Foïs sur l’immigration sur RTL font beaucoup jaser. Chesterton dit que le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles. Plein d’idées chrétiennes devenues sottes, désormais, plutôt. Et je suis sympa, je vais seulement vous résumer le galimatias de l’actrice[1]. Marina Foïs aime l’Autre et la différence. Sauf la différence idéologique: l’autre qui pense que la France est menacée par l’immigration massive est un salaud et un facho.
D’ailleurs, affirme la grande démographe, il n’y a pas d’immigration massive. Elle ne comprend pas le manque d’empathie des Français. «Quelqu’un qui arrive, qui a faim, froid et besoin d’un travail, pourquoi il n’aurait pas droit à la même chose que moi ?» s’indigne-t-elle. On suppose qu’elle héberge des malheureux.
Sans le savoir, Mademoiselle Foïs résume l’idéologie multiculti de presque toute la gauche. « L’intégration culturelle je m’en fous, peu importe que les gens pratiquent leur religion et ne mangent pas comme moi » dit-elle encore. Sauf que personne ne pense que pour s’intégrer ou s’assimiler, il faut renoncer à sa religion et manger du porc. S’intégrer c’est intégrer l’égalité des femmes, des homosexuels ou des juifs, ou accepter qu’on se moque de ton dieu. Non : Marina Foïs veut une France MacDo où chacun vient comme il est, avec ses préjugés, ses manies et sa femme en burqa si ça lui chante… Ne nous énervons pas : Foïs nous offre un admirable concentré du discours artiste sur l’immigration.
Les artistes ont bien le droit d’avoir une opinion, me répliquera-t-on. Évidemment oui, même si elle est sosotte. L’ennui, c’est qu’ils ont le droit d’en avoir une seule. Pour faire carrière dans le showbiz, il faut réciter le catéchisme: l’immigration est une chance, le patriarcat règne et « Israël-génocide ». Signataire d’une tribune dénonçant la reconnaissance inconditionnelle de la Palestine et soutenant une solution à deux Etats, Charlotte Gainsbourg a subi un déferlement haineux. En prime, elle est coupable de crime de lèse-gauche : elle incarne l’avocate Gisèle Halimi dans un film sur le procès de l’avortement de 1972 à Bobigny. Résultat: un édito de l’Humanité, une grande pétition et la protestation hier de Serge Halimi, ex-patron du Monde Diplomatique et fils de l’avocate. Sa mère, dit-il, aurait lu cette tribune avec dégoût. C’est possible (elle était extrême-gauchisante), et alors ? Pour avoir le droit de jouer Mme Halimi, il faudrait penser comme elle. Donc, il faut être nazi pour jouer Hitler et homosexuel pour jouer Charlus ? La représentation doit être identique au réel. Les ancêtres idéologiques de Serge Halimi imposaient un art officiel. Lui veut tout simplement interdire l’art. Alors contre les censeurs et les délateurs, vive Queen Charlotte qui me fera peut-être aimer Gisèle Halimi.
Dette, politique, immigration, natalité… Avec Franz-Olivier Giesbert, Alain Minc, Nicolas Pouvreau-Monti. Et le manifeste « foutuiste » d’Éric Naulleau. Découvrez le sommaire de notre numéro d’octobre
Effondrement de l’Éducation, immigration à jets continus, dette abyssale, cacophonie politique… Beaucoup pensent que la France est foutue et cherchent des coupables. Pourtant, dans leur présentation de notre dossier, Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques affirment que la plupart des crises que nous traversons sont une coproduction gouvernants-gouvernés. Pour avoir une chance de redresser le pays, les Français doivent arrêter de se victimiser et de compter sur l’État-providence. Éric Naulleau publie ce qu’on peut appeler son manifeste foutuiste : dans ce vieux pays fatigué, la progression de l’islamisme, du wokisme, du nihilisme et du crétinisme semble inéluctable. Le constat est donc évident : tout est F-O-U-T-U. Pour sa part, Alain Minc, dont les propos ont été recueillis par Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, défend le système libéral dans les médias comme en économie. Mais il peine à trouver des solutions à la sérieuse crise identitaire que traverse la France. Très remonté contre Emmanuel Macron, il plaide pour l’union des modérés. Mais en cas d’un duel présidentiel entre LFI et le RN, il voterait pour ce dernier en se bouchant le nez. Franz-Olivier Giesbert a connu tous les présidents depuis quarante ans, chroniqué toutes les crises, déploré tous les renoncements. Mais cette fois-ci, c’est plus grave, nous confie-t-il. Les Français sont au bord du gouffre, et leurs élites – dirigeants tétanisés et médias inconscients compris – regardent ailleurs en se perdant en palabres et combines. Nicolas Pouvreau-Monti, co-fondateur et directeur de l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie, nous rappelle que la France est le pays européen qui accueille le plus d’immigrés africains. Le taux de fécondité élevé de ces populations dessine un bouleversement démographique rapide. Et les nombreux défis d’intégration imposés par cette situation ne se résolvent pas d’une génération à l’autre. Quant à l’École, la bienveillance est le nouveau maître-mot de l’Éducation nationale. Sous son diktat, le bien-être des élèves passe avant leur instruction, un véritable « psychosystème » que dénonce Matthieu Grimpret dans son nouveau livre, Bullshit bienveillance, que Jonathan Siksou a lu.
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« Le monopole progressiste sur le pouvoir culturel a vécu ». C’est la leçon que, dans son édito du mois, Elisabeth Lévy tire de l’affaire Legrand-Cohen (racontée dans ce numéro par Didier Desrimais) ainsi que de l’assassinat de Charlie Kirk, devenu le symbole d’une nouvelle droite décomplexée. Mais si nous assistons à un tournant décisif dans la guerre culturelle, il ne faut pas que nous nous abaissions jusqu’à imiter les méthodes déloyales de nos adversaires: « Réclamer des têtes, répondre à la meute par la meute revient à combattre la cancel culture de gauche par une cancel culture de droite ».
Pour Olivier Dartigolles le mal de notre époque, c’est « l’entre-soi » qui règne dans tous les écosystèmes médiatiques, de droite comme de gauche. Ivan Rioufol montre, preuves à l’appui, que Jean-Luc Mélenchon est un allié utile d’Emmanuel Macron. Les deux hommes partagent un même désamour pour le peuple quand ce dernier est trop français. Évoquant la rentrée politique – drapeaux palestiniens, pétition sur l’immigration, chute du gouvernement… – Emmanuelle Ménard conclut que, si elle nous fait parfois rire, c’est le plus souvent jaune. Jean-Jacques Netter passe en revue des différents actes de folie commis par le gouvernement dans le domaine de l’économie, de la taxe Zucman, qui fera fuir les riches et les capitaux, aux aides versées par l’État qui font de la France le numéro un européen de la dépense sociale. Et Gilles-William Goldnadel écoute chaque jour France Inter afin de mieux dénoncer cette « tentative sournoisede me voir financer malgré moi l’hégémonie d’uneseule idéologie ».
Quel bilan dresser des derniers événements au Proche Orient ? Pour Gil Mihaely, la supériorité militaire d’Israël ne s’est pas traduite en victoire politique. Le Hamas retient encore des dizaines d’otages, le pays est plus isolé que jamais et les alliés de M. Netanyahou affichent des ambitions messianiques alarmantes. Elisabeth Lévy raconte l’histoire bouleversante de Mali Zander. Sa fille, Nova, a été assassinée à l’âge de 23 ans au festival Nova le 7 octobre 2023, mais cette mère en deuil, infirmière-chef à l’hôpital Tel HaShomer de Tel-Aviv, continue de venir en aide aux soldats blessés et aux ex-otages. Une fraternité et une résistance qui sont l’autre face de cette tragédie. Côté britannique, je reviens sur la grande manifestation londonienne du 13 septembre et l’été de grogne générale qui l’a précédée, une grogne alimentée par la crise migratoire et des crises politiques à répétition.
Pierre-Jean Doriel et Alexis Semanne, de l’Institut des Français de l’étranger, montrent comment la France pourrait s’inspirer de pays comme les Pays-Bas, Singapour et Taïwan pour mieux soigner ses malades et à moindre coût. Tout ne va pas nécessairement pour le pire en France. Emmanuel Macron n’a pas pris la pire des décisions en nommant à Matignon un bon connaisseur de l’armée et de l’industrie de la défense. A l’heure où Causeur se demande si le pays est foutu, le secteur militaire incarne peut-être le puissant levier de croissance dont la France a besoin.
Côté culture, Richard Millet a lu L’Affranchi, de notre ami Cyril Bennasar. Le protagoniste est un homme qui refuse de se soumettre à une société de servitudes, du matraquage de l’Urssaf à la propagande immigrationniste en passant par les diktats du néoféminisme. La liberté de ton et l’autodérision de ce roman jubilatoire sont aussi rares que savoureuses. Georgia Ray fait l’éloge d’un ouvrage de Georges Clémenceau publié en 1926 mais jamais réédité. Son Démosthène était consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais avait un caractère largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison. Les historiens Alya Aglan et Julien Jackson publient un volume abondamment illustré des caricatures qu’a inspiré le général de Gaulle, de 1940 à 1970 sur les cinq continents. Selon Julien San Frax, un grand nombre de ces dessins et légendes sont aujourd’hui difficiles à interpréter pour l’œil non averti, mais le travail des deux auteurs permet de les comprendre dans leur contexte en ravivant trente ans d’histoire mondiale à travers la satire et l’irrévérence. Jean Chauvet est d’avis que, entre une savoureuse adaptation de l’affaire Bettencourt, une délicate transposition animée de la vie de Marcel Pagnol et un bel exercice de style autour du À bout de souffle de Godard, l’octobre cinéphile s’annonce radieux. Enfin, vous êtes viandard ? Vous trouvez que l’environnement actuel est hostile aux viandards ? Vous pouvez quand même compter sur une poignée d’excellents bouchers. Emmanuel Tresmontant nous recommande, par exemple, François Guillemin et Vincent Deniau, qui a troqué son maillot de champion de rugby pour un tablier de louchébem.
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Plus les taux des crédits immobiliers sont faibles, plus les prix montent et creusent les inégalités de patrimoine.
Le peuple français, la gauche, mais aussi le RN et en vérité 99 % de la classe politique française, tous veulent continuer à dépenser plus, s’endetter plus – c’est ce que l’on fait depuis quarante ans sans avoir été jamais (vraiment) sanctionné. Tous militent, sans le savoir, pour le maintien d’une politique de taux d’intérêt bas, voire nuls. Les taux pratiqués depuis vingt ans par la BCE ont permis tout à la fois à l’État français d’emprunter sans compter… et à ceux qui le pouvaient de s’endetter pour acheter de l’immobilier. Or, le prix d’un appartement se trouve directement indexé aux taux : plus ils sont faibles, plus les prix montent. Les « vieux » sont donc de (virtuels) riches propriétaires, alors que les jeunes ne peuvent plus acquérir un bien, sauf à s’endetter sur trente ans – mieux vaut un emploi stable pour son dossier (fonctionnaire par exemple ?). Les taux bas sont donc le meilleur moyen de creuser les inégalités de patrimoine, car ils font monter le prix de tous les actifs : à l’immobilier s’ajoutent les actions, montres anciennes ou voitures de collection.
Tous ceux qui militent pour des dépenses publiques sans frein veulent ainsi des taux faibles. De façon assez comique, la gauche plébiscite donc le creusement sans fin des inégalités patrimoniales, qu’ils veulent évidemment taxer. Problème : que votre maison vaille 100 000 ou un million d’euros, cela ne vous laisse pas un kopeck pour payer une taxe Zucman à 2 %. Il n’y a que chez nous que la gauche dite de gouvernement se révèle aussi incohérente que d’extrême gauche.
On s’était habitués à ce qu’à la fin, le camp du Bien gagne et parvienne à mettre hors-jeu ses adversaires. Certes, cela fait un bout de temps que, dans le champ politique, l’arme suprême de la supériorité morale ne permet plus aussi bien qu’autrefois de maintenir le couvercle sur la marmite populiste. Il faut tout le talent comique de Hollande (et un brin d’opportunisme, car il paraît qu’il rêve la nuit que Mélenchon le soutient au deuxième tour) pour proférer que LFI fait partie de l’arc républicain et pas le RN. Cependant, comme le savent désormais les Gramsci de comptoir qui pullulent dans tous les camps, les batailles politiques se gagnent d’abord dans les esprits.
France inter: du rififi dans l’hégémonie
Or, le monopole progressiste sur le pouvoir culturel a vécu. Sous les coups de boutoir du réel, et grâce aux escouades de conservateurs, populistes et réacs qui, depuis une quinzaine d’années, sont sortis du placard et n’ont pas la moindre intention d’y retourner. C’est peu dire que la nomenclatura à grande conscience n’a pas digéré que, face à Matthieu Pigasse, George Soros et autres tycoons qui mettent leur fortune (enfin une partie) au service de leur antifascisme d’opérette et de leur volonté de déconstruction, se dressent désormais des Stérin et des Bolloré qui semblent beaucoup s’amuser à épater le bobo, quitte à être extrême droitisés par l’« arc médiatique ». La domination idéologique, c’était mieux quand on pouvait réduire ses contradicteurs au chômage et au silence.
Le résultat de ce travail de sape commencé dans les catacombes médiatiques (dont ce magazine) est qu’on assiste peut-être à un tournant décisif dans la guerre culturelle – Turning Point, c’est justement le nom de l’organisation de Charlie Kirk, devenu le symbole de cette droite décomplexée.
Pour commencer, le chantage au racisme ne marche plus. Même les électeurs de gauche ne craignent pas de déclarer (en tout cas aux sondeurs) ce que n’importe qui voit à l’œil nu, à savoir que beaucoup trop d’immigrés arrivent en Europe au regard de nos capacités d’accueil et d’intégration. Le premier droit que réclament les citoyens, c’est précisément celui de voir ce qu’ils voient et de dire ce qu’ils voient, raison pour laquelle la question migratoire a partie liée avec la défense de la liberté d’expression, comme l’avait compris Kirk. La majorité silencieuse sait que ces flux continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs locales menacent l’identité de leurs vieilles nations. Aussi la foule bien élevée qui a envahi les rues de Londres le 13 septembre était-elle surplombée par une forêt de drapeaux qui n’étaient pas palestiniens mais britanniques, anglais, écossais (voir l’article de Jeremy Stubbs dans notre numéro d’octobre). En France, cette majorité silencieuse ne défile pas, mais elle signe à tour de bras la pétition lancée par Philippe de Villiers pour un référendum sur l’immigration.
Cependant, c’est l’affaire Legrand-Cohen (narrée par Didier Desrimais dans notre nouveau magazine) qui met le feu à la plaine médiatique. Deux journalistes de l’audiovisuel public pincés à manigancer avec deux hiérarques socialistes, c’est cadeau. Le plus marrant, c’est que leur supposé complot visait à mettre sur orbite la candidature Glucksmann – convenons qu’on est assez loin de la Florence des Médicis. En tout cas, Legrand est débarqué en quelques heures. Qui, désormais, rabattra pour le PS « les voix de ce marais centre gauche, centre droit qui écoute France Inter, et en masse » ?
Panique au quartier général
Pour tenter de faire oublier la calamiteuse vidéo, le parti des médias dénonce en chœur une odieuse attaque de l’extrême droite. Sur CNews et Europe 1, on exulte. Les deux nigauds connivents et militants viennent d’offrir à leurs détracteurs la preuve irréfutable qu’ils avaient raison. Ils ont l’air malin avec leurs prêches. « Ceux de qui la conduite offre le plus à rire sont toujours sur autrui les premiers à médire », écrit Molière. De nombreux Français, lassés de payer pour se faire insulter, se sentent vengés. Feu sur le quartier général ! Curieusement, Delphine Ernotte remet une pièce dans la machine, accusant à son tour CNews d’être d’extrême droite et l’érigeant en adversaire principal – ce qui revient à reconnaître ses propres tropismes et à offrir au média honni un brevet d’opposant en chef. Pointe avancée de l’Église progressiste, l’audiovisuel public vient de subir une défaite en rase campagne. Il y a du rififi dans l’hégémonie.
Reste à savoir ce que la galaxie conservatrice fera de ses victoires. Aux États-Unis, la traque vengeresse (mais assez brève) des hérétiques refusant de communier dans l’adoration du martyr n’est pas de bon augure. Réclamer des têtes, répondre à la meute par la meute revient à combattre la cancel culture de gauche par une cancel culture de droite. Qu’ils soient Maga ou décoloniaux, les offensés exigent toujours la censure des offenseurs. On ne peut pas défendre le blasphème quand il vise Mahomet et l’interdire quand il s’attaque à Kirk. Ce qu’il faut exiger, ce n’est pas l’éviction, mais la confrontation, à la loyale, vision du monde contre vision du monde et que le meilleur gagne.
Seulement, le pluralisme est d’abord une affaire de désir, celui de frotter sa cervelle contre celle d’autrui, comme le recommandait Montaigne. Alors que chacun est de plus en plus enclin à n’évoluer que dans sa zone de confort idéologique, et pas seulement à gauche, ce n’est pas gagné. En attendant, alternez une heure de CNews et une heure de France Inter (attention, pas en continu) : soit vous deviendrez fous, soit vous deviendrez sages.