L’éditorial d’octobre d’Elisabeth Lévy
On s’était habitués à ce qu’à la fin, le camp du Bien gagne et parvienne à mettre hors-jeu ses adversaires. Certes, cela fait un bout de temps que, dans le champ politique, l’arme suprême de la supériorité morale ne permet plus aussi bien qu’autrefois de maintenir le couvercle sur la marmite populiste. Il faut tout le talent comique de Hollande (et un brin d’opportunisme, car il paraît qu’il rêve la nuit que Mélenchon le soutient au deuxième tour) pour proférer que LFI fait partie de l’arc républicain et pas le RN. Cependant, comme le savent désormais les Gramsci de comptoir qui pullulent dans tous les camps, les batailles politiques se gagnent d’abord dans les esprits.
France inter: du rififi dans l’hégémonie
Or, le monopole progressiste sur le pouvoir culturel a vécu. Sous les coups de boutoir du réel, et grâce aux escouades de conservateurs, populistes et réacs qui, depuis une quinzaine d’années, sont sortis du placard et n’ont pas la moindre intention d’y retourner. C’est peu dire que la nomenclatura à grande conscience n’a pas digéré que, face à Matthieu Pigasse, George Soros et autres tycoons qui mettent leur fortune (enfin une partie) au service de leur antifascisme d’opérette et de leur volonté de déconstruction, se dressent désormais des Stérin et des Bolloré qui semblent beaucoup s’amuser à épater le bobo, quitte à être extrême droitisés par l’« arc médiatique ». La domination idéologique, c’était mieux quand on pouvait réduire ses contradicteurs au chômage et au silence.
Le résultat de ce travail de sape commencé dans les catacombes médiatiques (dont ce magazine) est qu’on assiste peut-être à un tournant décisif dans la guerre culturelle – Turning Point, c’est justement le nom de l’organisation de Charlie Kirk, devenu le symbole de cette droite décomplexée.
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Pour commencer, le chantage au racisme ne marche plus. Même les électeurs de gauche ne craignent pas de déclarer (en tout cas aux sondeurs) ce que n’importe qui voit à l’œil nu, à savoir que beaucoup trop d’immigrés arrivent en Europe au regard de nos capacités d’accueil et d’intégration. Le premier droit que réclament les citoyens, c’est précisément celui de voir ce qu’ils voient et de dire ce qu’ils voient, raison pour laquelle la question migratoire a partie liée avec la défense de la liberté d’expression, comme l’avait compris Kirk. La majorité silencieuse sait que ces flux continus s’ajoutant aux millions de descendants d’immigrés qui n’ont pas tous adopté les mœurs locales menacent l’identité de leurs vieilles nations. Aussi la foule bien élevée qui a envahi les rues de Londres le 13 septembre était-elle surplombée par une forêt de drapeaux qui n’étaient pas palestiniens mais britanniques, anglais, écossais (voir l’article de Jeremy Stubbs dans notre numéro d’octobre). En France, cette majorité silencieuse ne défile pas, mais elle signe à tour de bras la pétition lancée par Philippe de Villiers pour un référendum sur l’immigration.
Cependant, c’est l’affaire Legrand-Cohen (narrée par Didier Desrimais dans notre nouveau magazine) qui met le feu à la plaine médiatique. Deux journalistes de l’audiovisuel public pincés à manigancer avec deux hiérarques socialistes, c’est cadeau. Le plus marrant, c’est que leur supposé complot visait à mettre sur orbite la candidature Glucksmann – convenons qu’on est assez loin de la Florence des Médicis. En tout cas, Legrand est débarqué en quelques heures. Qui, désormais, rabattra pour le PS « les voix de ce marais centre gauche, centre droit qui écoute France Inter, et en masse » ?
Panique au quartier général
Pour tenter de faire oublier la calamiteuse vidéo, le parti des médias dénonce en chœur une odieuse attaque de l’extrême droite. Sur CNews et Europe 1, on exulte. Les deux nigauds connivents et militants viennent d’offrir à leurs détracteurs la preuve irréfutable qu’ils avaient raison. Ils ont l’air malin avec leurs prêches. « Ceux de qui la conduite offre le plus à rire sont toujours sur autrui les premiers à médire », écrit Molière. De nombreux Français, lassés de payer pour se faire insulter, se sentent vengés. Feu sur le quartier général ! Curieusement, Delphine Ernotte remet une pièce dans la machine, accusant à son tour CNews d’être d’extrême droite et l’érigeant en adversaire principal – ce qui revient à reconnaître ses propres tropismes et à offrir au média honni un brevet d’opposant en chef. Pointe avancée de l’Église progressiste, l’audiovisuel public vient de subir une défaite en rase campagne. Il y a du rififi dans l’hégémonie.
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Reste à savoir ce que la galaxie conservatrice fera de ses victoires. Aux États-Unis, la traque vengeresse (mais assez brève) des hérétiques refusant de communier dans l’adoration du martyr n’est pas de bon augure. Réclamer des têtes, répondre à la meute par la meute revient à combattre la cancel culture de gauche par une cancel culture de droite. Qu’ils soient Maga ou décoloniaux, les offensés exigent toujours la censure des offenseurs. On ne peut pas défendre le blasphème quand il vise Mahomet et l’interdire quand il s’attaque à Kirk. Ce qu’il faut exiger, ce n’est pas l’éviction, mais la confrontation, à la loyale, vision du monde contre vision du monde et que le meilleur gagne.
Seulement, le pluralisme est d’abord une affaire de désir, celui de frotter sa cervelle contre celle d’autrui, comme le recommandait Montaigne. Alors que chacun est de plus en plus enclin à n’évoluer que dans sa zone de confort idéologique, et pas seulement à gauche, ce n’est pas gagné. En attendant, alternez une heure de CNews et une heure de France Inter (attention, pas en continu) : soit vous deviendrez fous, soit vous deviendrez sages.





