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Fini la rigolade

Coup de rouge, l'humeur d'Olivier Dartigolles


Fini la rigolade
Le chroniqueur Olivier Dartigolles © Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise


Depuis que l’« affaire Legrand-Cohen » a éclaté, la bataille culturelle qui oppose les trois blocs politiques en lice pour gouverner la France a passé un seuil supérieur de violence. Pas vraiment une surprise tant, depuis l’élection présidentielle il y a trois ans, la tonalité du débat public n’a cessé de se polariser et de se radicaliser. J’ai souvenir de la dernière soirée électorale, en juillet 2024. Quand il a été établi que le RN n’obtiendrait pas la majorité absolue à l’Assemblée, ni même une majorité relative forte, j’ai vu sur les plateaux télévisés des mâchoires – y compris des mâchoires de journalistes et de commentateurs – se serrer. « Fini la rigolade »…

La neutralité n’existe pas

La charge contre Thomas Legrand et Patrick Cohen – dont les fautes commises en l’espèce n’ont rien de surprenant puisqu’il ne s’agit que de leur proximité idéologique avec les socialistes – n’en est pas moins sidérante par son intensité. Plus rien ne sera comme avant. Ceux qui veulent en découdre avec l’audiovisuel public, principalement à droite et à l’extrême droite du paysage politique, mais aussi dans une partie de la gauche Insoumise, n’ont pas attendu les « révélations » de L’Incorrect, dont le principal actionnaire est un cadre de Reconquête, pour dézinguer France Inter et France Télévisions. Par le passé, il y a pu y avoir des coups de chauffe, ciblant notamment des humoristes de la Maison ronde – qui n’ont pas toujours été drôles – sans monter pour autant au niveau d’agressivité désormais atteint : celui d’un combat qui ne se joue plus uniquement sur le terrain des idées, mais qui vise carrément à obtenir la disparition pure et simple de l’audiovisuel public.

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Première observation sous la mitraille : la neutralité n’existe pas. Et c’est une très bonne chose. Pour Legrand et Cohen, comme pour des journalistes et éditorialistes qui, du matin au soir, verraient très bien Rachida à la mairie de Paris, Jordan à Matignon et Marine à l’Élysée. Et si cela ne se réalise pas, le prochain coup, c’est pour Sarah ! La grande hypocrisie de ceux qui ont consacré un temps d’antenne vertigineux à l’« affaire Legrand-Cohen », puis aux déclarations de Delphine Ernotte, est de vouloir nous faire croire qu’ils n’ont, eux, pas de « couleur », pas d’intentions, pas d’agenda. C’est faux.

Quand la chose est entendue, il est alors très vite question du financement par nos impôts de l’audiovisuel public. Et cette réalité est en effet à prendre en considération. C’est pourquoi la seule véritable voie nous permettant d’aller vers 2027 dans un climat plus apaisé, avec une arène médiatique de qualité, est de rendre possible un vrai pluralisme sur les écrans et les ondes des médias publics. Cela pourrait-il en être de même de l’autre côté de la barricade ? Je peux en témoigner, cela a été possible. J’espère que cela le sera encore demain.

You are fake news

Et quid de la vérité ? Des faits ? Quand il est par exemple dit qu’Emmanuel Macron alimente l’antisémitisme avec la reconnaissance de l’État de Palestine, je trouve cette accusation détestable, mais il s’agit là de l’expression d’une opinion que l’on peut battre en brèche en expliquant comment la solution à deux États est le seul chemin garantissant la paix et la sécurité pour le peuple israélien et le peuple palestinien. Mais quand la colonisation illégale de la Cisjordanie n’est jamais évoquée et le droit international, jamais convoqué, alors, la mission du service public audiovisuel est d’éclairer cette réalité. Ne pas la taire, comme on le fait ailleurs.

Le mal de l’époque, un mal qui s’est installé et qui progresse à une vitesse vertigineuse, un mal qui est au cœur de l’« affaire Legrand-Cohen » des deux côtés de la ligne de front, tient d’abord en une réalité : l’entre-soi. Dans les médias des gauches, comme dans ceux des droites, chacun baigne aujourd’hui dans son propre écosystème. Les passerelles professionnelles et humaines n’existent qu’au sein de biotopes étanches, qui ont leurs références communes, leurs dîners, leurs contacts. Dans une ambiance d’affrontement de plus en plus haineuse, avec les clapotis permanents du cloaque des réseaux sociaux et leurs algorithmes qui nous dirigent prioritairement vers tout ce qui peut nous conforter dans notre identité, nous avons perdu le sens de l’altérité. La curiosité pour l’autre en ce qu’il a de différent. Pour l’autre dont le discours ne rentre pas dans nos cases.

Tout cela est-il irréversible ? Pour quel avenir ? A-t-on définitivement perdu ce qui peut nous lier les uns aux autres ? Sommes-nous prêts pour prendre ce toboggan, dont on ne sait pas vraiment la destination finale ? Est-il déjà trop tard ?

Octobre 2025 – #138

Article extrait du Magazine Causeur




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Olivier Dartigolles est chroniqueur politique. Il intervient sur Cnews, Sud Radio et La Terre.

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