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Cette gauche qui s’entend sur France inter

Thomas Legrand et Patrick Cohen face à la polémique


Cette gauche qui s’entend sur France inter
Le journaliste Thomas Legrand photographié en 2024 © Chang Martin/SIPA

Une vidéo compromettante circule et révèle une certaine connivence politique entre les journalistes Thomas Legrand, Patrick Cohen et deux responsables socialistes.


Je l’avoue, la vidéo Legrand-Cohen m’a emplie d’une allégresse passablement mauvaise. Le camp du Bien pris en flag, ça fait du bien. Que les prêcheurs du Service public se prennent en boomerang leurs sermons déontologiques et leurs mines outragées au point d’obliger la direction de France Inter à réagir, ça n’arrive pas tous les jours. Rappelons leur jubilation à chaque fois qu’ils débusquent une mauvaise blague proférée par un homme de droite. Et imaginons que votre servante se fasse pincer en train de dire qu’elle rêve de tirer les cheveux de Sandrine Rousseau ou de faire rôtir la plante des pieds d’Ersilia Soudais, ce serait un déchaînement de « on vous l’avait bien dit que cette fille était dangereuse ! ». Cela dit, je ne me réjouis pas spécialement des déboires des confrères. Legrand est plutôt un bon gars, un vrai mec de gauche qui a mis ses enfants à l’école publique dans le 9-3 où il réside, tout en reconnaissant que c’est pas facile tous les jours. Son excuse pour le paquet d’âneries qu’il écrit, c’est qu’il croit vraiment lutter contre le fascisme qui vient. Legrand, c’est encore la gauche à l’ancienne, même pas woke sur les bords ni mélenchoniste. Ce n’est pas le plus sectaire, la preuve il a déjà pris un café avec Xavier Bertrand, ce qui devrait lui valoir un brevet de pluralisme. Cependant Legrand est beaucoup moins suspect de tendances droitières que l’insubmersible Patrick Cohen qui lui a succédé à l’édito politique et qui n’a pas la réputation d’être le meilleur camarade de travail du monde. En prime, Cohen a officié près de 20 ans dans des médias privés, autant dire l’antichambre du diable. N’empêche, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. Patco, c’est le mètre-étalon de la bienpensance, le roi de la doxa macronienne débitée en tranches. Mais pour Mélenchon et autres furieux, comme Pierre Jacquemain, impayable patron de la revue Politis, Legrand et Cohen, c’est la même engeance : des sociaux-traitres vendus au grand capital. D’ailleurs, ce samedi, Libération publiait un article sur Giula Foïs. Remerciée par la direction, la papesse du gender fluid et du sexe sans pénétration (là j’invente un peu) s’offusque de la déwokisation de France Inter menée par Adèle Van Reeth. Elle sent une «reprise en main, un étau qui se resserre » et qui menacerait « toutes les thématiques progressistes ». Qu’elle se rassure, ça ne saute pas aux oreilles. Tout de même au moment où la patronne de France Inter fait de véritables efforts pour désidéologiser un brin sa chaîne, se faire choper à fricoter avec des socialistes, c’est ballot.

Ce ne sont donc pas les pires qui se sont faits attraper par la patrouille. Dans le genre plus islamo-gauchiste et plus gaza-fanatique, il y a l’embarras du choix chez les francintériens. Evidemment, le mot d’ordre c’est de défendre les valeureux camarades honteusement attaqués par la méchante extrême droite. Mais à l’intérieur de la forteresse assiégée on doit entendre une autre musique. Non contents d’être droitards ces deux malins sont malchanceux en diable. Ou imprudents. En tout cas, maintenant qu’ils ont fait éclater au grand jour une vérité de polichinelle, ça va être plus compliqué d’expliquer partout que le Service public est le phare de la vertu journalistique. Encore que le journaliste de gauche, ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

On a donc eu droit aux grandes orgues de l’antifascisme dénonçant une méthode digne des années noires. Soyons honnête, le propos volé, ce n’est pas ma tasse de thé. Je ne me rappelle pas que les indignés aient protesté quand Mediapart a diffusé (et même fait admettre en justice) un enregistrement clandestin réalisé par le majordome de Madame Bettencourt, ou des propos volés (dans un café me semble-t-il) à un dirigeant du football français. Je ne sache pas qu’Adèle Van Reeth qui parle de « méthodes illégales et déloyales » ait interdit à ses troupes de citer et commenter les blagues de Depardieu captées et diffusées à son insu. Et pour finir, un internaute a déniché une vidéo où Cohen trouve parfaitement légitime que Laurent Wauquiez ait été enregistré en loucedé par un étudiant de son école de commerce. Je ne vais pas faire un concours de pureté : si un lecteur m’avait apporté cette vidéo, j’aurais évidemment trouvé des accommodements avec mes légères préventions morales pour le diffuser.

Notre jeune et hardie consœur Juliette Briens, auteur de ce scoop magistral, n’a pas engagé des limiers pour traquer le duo, elle a eu une sacrée chance. Un lecteur de l’Incorrect, attablé dans le même bistrot du 7ème arrondissement que les deux journalistes et leurs interlocuteurs socialistes, a entendu et enregistré leur conversation. Pour avoir su en capter toute la saveur, ledit lecteur doit être passablement au fait des manigances politico-médiatiques, peut-être même officie-t-il à l’Assemblée. Même dans les beaux quartiers parisiens, on n’est plus à l’abri des oreilles populistes, tout fout le camp. Ce n’est pas seulement une blague. Cohen et Legrand combattent le populisme, un ennemi sans visage dont ils n’imaginent pas qu’il puisse fréquenter les mêmes bistrots qu’eux. Ils sont habitués à ce qu’autour d’eux, tout le monde pense comme eux.

Reste à savoir ce que nous apprend cette conversation entre deux journalistes du Service public et deux hiérarques socialistes. Pas grand-chose. Des journalistes qui causent avec des politiques et se font engueuler pour leurs papiers, c’est banal. Seulement, si on remplit les blancs, on comprend que, pour se faire pardonner ses méchanteries sur Olivier Faure, Legrand plaide qu’à Paris lui et Cohen s’occupent de Dati (ce qui ne signifie pas qu’ils détiennent sa fille mais qu’ils s’emploient à la faire perdre). Le sous-texte, c’est que ce n’est pas leur pureté idéologique qui est en jeu, mais la personne et le positionnement de Faure. Avouer aussi clairement qu’on est en service commandé, c’est fâcheux. Pour le reste, on savait que les deux lascars n’étaient pas de droite et qu’ils n’aimaient pas Rachida Dati. Du reste, un éditorialiste est payé pour avoir des opinions. En l’occurrence, ce qui chiffonne c’est que, sur une chaîne financée par le contribuable, ils aient peu ou prou tous les mêmes. Cependant, convoquer Baron noir me semble un peu drama queen. En fait de complot, c’est du bavardage d’arrière-salle de gens qui réalisent qu’ils sont en train de perdre la main.

En réalité, le passage le plus croustillant et le plus embarrassant est celui où Legrand déroule sa théorie politique du « marais centre-droit centre-gauche» dont il prétend être le guide spirituel – « ces gens-là écoutent France Inter en masse », plastronne-t-il. Pour lui, le centre de gravité de cette nouvelle version de l’UMPS ne peut pas être Faure, trop mélenchonisé et pas assez ukrainien, mais Glucksmann, qu’il s’efforce de vendre à ses interlocuteurs comme le bon adversaire face au RN (ce qui laisse assez songeur quant à ses capacités d’analyste). Lui fera sa part du boulot en parlant à sa part de marché électorale. En réalité, il joue à l’important, se prend l’espace d’un instant pour le faiseur de roi qu’il n’est pas. Mais il a lâché le morceau : à France Inter, le journalisme c’est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Notez, ça aussi, on l’avait compris.

Ce qui a transformé cette millième francintériade en affaire d’État, sur laquelle chacun se sent tenu de se prononcer, le fait réellement inédit, c’est qu’Adèle Van Reeth a lâché et annoncé illico la suspension à titre conservatoire de Thomas Legrand, qui n’a donc pas officié ce dimanche. Sans doute sert-il de paratonnerre. Le gros gibier, celui qu’il faut protéger à tout prix, c’est Cohen – à qui on ne peut reprocher aucun propos. N’empêche, cette fois, il n’a pas suffi de discréditer le messager en braillant « extrême droite » pour faire oublier le message. Il faut croire que l’hégémonie, ce n’est plus ce que c’était. 



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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