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Isabelle Saporta: « J’ai un vrai problème avec la disneylandisation de Paris »

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Isabelle Saporta se présente avec Gaspard Gantzer comme l’alternative face au duel annoncé entre Anne Hidalgo et Benjamin Griveaux. L’ancienne journaliste revient sur son parcours et nous expose son programme axé sur l’écologie. Elle voit en Gaspard Gantzer une « troisième voie » pour la mairie de Paris, pas moins.


Martin Pimentel. Face à Anne Hidalgo, Benjamin Griveaux et probablement Rachida Dati et Cédric Villani, est-ce que Gaspard Gantzer a des chances de l’emporter à Paris ?

Isabelle Saporta. Oui, j’y crois vraiment. Je me lance dans une bataille car j’ai envie de la gagner, et je veux y mettre toutes mes forces. Si on se lance dans la bataille en pensant qu’on va la perdre, ce n’est même pas la peine d’y aller. Et, d’ailleurs, on ne va pas la gagner pour nous, on va la gagner pour les Parisiennes et les Parisiens, parce qu’on a un beau projet, enthousiasmant, et qu’on a envie de changer leur vie. Au début c’est toujours comme ça, on a l’impression qu’il y a des pôles un peu dominants qui se partagent l’affiche, mais je pense qu’à la fin, ce sont les idées qui vont gagner, celles de personnalités qui seront un peu en rupture avec le monde politique traditionnel.

Il y a un moment où on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, où l’on décide de s’en saisir soi-même. Je vais essayer

Peu avant les élections européennes, où Europe Ecologie Les Verts (EELV) a fait un joli score, vous avez annoncé être en couple avec Yannick Jadot. S’ensuit la polémique que l’on connaît. Après un été où vous avez été assez discrets, voilà que vous avez annoncé au mois d’août que vous alliez seconder Gaspard Gantzer pour la mairie de Paris. Les coups d’éclat, ça semble être votre truc. Est-ce que Yannick Jadot vous encourage dans cette démarche auprès de M. Gantzer ?

Non, je n’aime pas les coups d’éclat ! Mais, je reconnais avoir une personnalité un peu volcanique. Je me suis effectivement affichée avec mon compagnon le soir de cette victoire parce que j’étais très fière de lui, et que c’est une campagne où on s’est beaucoup battu tous les deux. J’étais très fière d’être là.

Mais cette campagne pour Paris est toute autre : c’est une campagne municipale, de proximité, et c’est pour moi mes premiers pas en politique. Gaspard Gantzer est venu me voir dès la fin du mois de juin et m’a proposé cette idée de tandem. J’avoue que je n’étais pas du tout préparée, même s’il m’a rappelé que je voulais rentrer en politique lorsque j’ai quitté RTL, et qu’il m’en offrait la possibilité. Je n’ai pas répondu « oui » tout de suite. J’ai voulu réfléchir. J’ai posé des milliards de questions à Gaspard Gantzer, pour savoir jusqu’où il était prêt à aller sur les cantines, la vie au quotidien, la végétalisation de la ville, la lutte contre la canicule, bref surtout les projets écologiques. Quand j’ai été sûre que l’on parlait la même langue, j’ai eu envie d’y aller.

Bon, mais avec Yannick Jadot des Verts [qui vont présenter un autre candidat NDLR], y a-t-il eu des discussions compliquées ?

Vous savez comment ça se passe dans un couple ! Au début, il n’était pas forcément enchanté par cette perspective, mais il l’est maintenant car il est fier de moi, et, effectivement, j’avais besoin de cet engagement politique, qui ne pouvait pas se faire ailleurs que là. Il est à mes côtés.

Vous dites dans l’Opinon qu’Anne Hidalgo est comptable de la gestion de la ville depuis 20 ans. De votre côté, vous revendiquez une « parole libre » et donc votre fibre écolo. Vous avez fait Sciences Po Paris mais vous êtes « une bleue » en politique. De son côté, Gaspard Gantzer n’a jamais été élu non plus, même si Emmanuel Macron avait essayé de le parachuter pour les législatives, auxquelles il avait renoncé. Tout ceci étant rappelé, est-ce que ce n’est pas un peu prétentieux de vous présenter d’ores et déjà comme la « troisième voie » ?

Isabelle Saporta. Prétentieux ou ambitieux ? C’est très différent. Je pense que c’est très ambitieux. On a une ambition folle pour les Parisiennes et les Parisiens: cette ambition, c’est de changer notre façon de vivre au quotidien. Je rappelle qu’au fond Gaspard Gantzer a toujours fait de la politique, car il a été au plus près de Delanoë pendant 5 ans. De mon côté, j’ai pour ma part commencé à écrire mes livres et faire mes enquêtes il y a presque 20 ans maintenant. J’ai écrit des enquêtes de terrain qui étaient très politiques, parce qu’elles aspiraient à changer les choses. La question, c’est avant tout: est-ce qu’il y a un moment où comme moi on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, ou est-ce qu’on décide de s’en saisir soi-même ? Je vais essayer. Je ne vous dis pas que je réussirai tout, mais au moins je vais essayer.

Vous quittez là vos sujets de prédilection, l’agriculture, le vin et la ruralité, pour vous lancer dans la capitale. Mais vous n’abandonnez pas votre fibre écolo. Actuellement, concernant le problème des retombées de plomb autour de Notre-Dame, est-ce que vous estimez que les autorités ont été défaillantes ?

Parfaitement défaillantes. Cela me touche particulièrement que vous abordiez ce sujet, car je pense que c’est ce scandale qui a achevé de me décider à rentrer en politique cet été. J’ai eu l’impression de revivre tout ce que j’ai déjà vécu sur les pesticides, le nucléaire, et plus largement sur toutes les questions où c’est à chaque fois la même histoire : les autorités se renvoient la balle. Là, on est le 2 septembre et Anne Hidalgo a fait un message très touchant pour souhaiter la bonne rentrée à tout le monde, mais pas un mot sur l’angoisse des parents. Rien, elle se planque, il n’y a pas d’autres termes. M. Blanquer, pareil: « Je crois que la mairie a fait ce qu’il faut, l’agence régionale de santé aussi ». L’agence régionale de santé a dit qu’elle pensait avoir fait tout ce qu’il fallait, mais qu’elle n’en était pas tout à fait certaine ; la préfecture, pareil. Le ministre de la Culture a été alerté neuf fois sur les dangers du plomb, mais rien. On est là avec des autorités qui ne font pas face et qui ne prennent pas leurs responsabilités. Il n’y aurait pas eu la chercheuse Annie Thébaud-Mony pour dénoncer ce problème, il n’y aurait pas eu les « Robin des Bois », il n’y aurait pas eu Mediapart, on n’en aurait pas entendu parler, et on aurait dit que tout allait très bien. Comme tout allait très bien avec le nuage de Tchernobyl. Je suis vraiment très en colère.

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie

Vous êtes du quartier ? Où résidez-vous dans Paris ?

Non, je vis dans le XIVème, j’y suis née, et j’ai peur pour mes enfants, mais ce n’est pas que moi : tous les Parisiens sont concernés. En tant que mère de famille, je suis chamboulée par cette affaire.

Comment Gaspard Gantzer compte-t-il s’y prendre pour recouvrir le périphérique?

Non, on ne veut pas le recouvrir ! Ne serait-ce que parce qu’il y a des endroits où il est en hauteur. On veut carrément « le foutre en l’air », même si le terme est grossier. On veut le faire disparaître, sous des végétaux notamment. Il fait trente-cinq kilomètres, soit un arrondissement entier qu’on pourrait récupérer pour faire des espaces verts (quarante hectares), et pourquoi pas des maraîchages, des cultures bios, et aussi des logements sociaux, des habitations, des bureaux, des boutiques… Il faut faire vivre ce périphérique.

Mais, alors, comment va-t-on rentrer dans Paris ?

On ne va pas le faire en deux jours, mais en quinze ans. Nous organiserons un referendum ouvert sur Paris et tout le Grand Paris. Il faudra bien sûr beaucoup plus de transports publics que nous n’en avons à présent. Mais il faudra aussi réfléchir à cette rocade de l’A86, repenser nos transports. J’entends ce que vous dites sur le fait que c’est compliqué. Mais la question que je vous pose, c’est: est-ce que l’on continue à n’avoir aucune ambition pour Paris, comme on n’en a aucune pour la France, avec des gens qui sont capables de nous faire des projets à six mois près, ou est-ce qu’on a des gens qui rêvent en grand et veulent faire des projets qui changent radicalement notre manière de vivre dans les années qui viennent ? Je préfère avoir un peu, – enfin, beaucoup -, d’ambition.

On veut tendre la main au Grand Paris, à la banlieue parisienne, car on est tous Parisiens. L’idée, c’est d’abattre le mur. J’ai envie de rêver en grand.

La candidature de M. Gantzer est-elle une candidature de gauche ?

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie. Soit on est capable de repenser nos transports publics, notre alimentation, notre industrie et nos commerces par ce prisme écologique, soit pas. La question est celle-là. Si j’avais une personnalité de droite aussi écolo que Jean-Louis Borloo avec qui discuter, lui qui a lancé le Grenelle sur l’environnement en 2007 et qui a essayé de transformer la France, je n’aurais pas hésité non plus, c’est évident.

Anne Hidalgo veut en permanence augmenter le nombre de millions de touristes qui rentrent à Paris. J’ai vu que, dernièrement, Gaspard Gantzer pestait contre le tourisme de masse à Paris. Comment comptez-vous limiter l’afflux touristique ? Et qu’est-ce que vous pensez tous les deux d’Airbnb ?

Gaspard Gantzer a pris des positions très fortes. Concernant Airbnb, que des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts veuillent profiter d’un mois d’été pour sous-louer leurs appartements, ça peut être compréhensible. Mais dans ce cas ce n’est pas 120 jours, c’est 30 maximum. Avec Airbnb on assiste à un dévoiement au fond, de ces loyers trop chers. Airbnb fonctionne car on ne peut plus payer son appartement.

Moi, j’ai aussi un vrai problème avec la « disneylandisation » de Paris. On a vu avec la grande enquête sur les prix de l’immobilier que ne peuvent se payer des appartements à Paris seulement les gens qui ont des résidences secondaires qui ne sont en fait que des placements de luxe, où, de surcroît, ils ne mettent pas les pieds. On voit des quartiers entiers qui se vident de leur population. Il manque 1500 élèves dans les écoles parisiennes ! 12000 personnes quittent Paris chaque année. Les classes vont fermer comme dans les villages de France car on a décidé de faire de la capitale soit un Disneyland de luxe pour des personnalités qui peuvent se payer des appartements hors de prix, soit un Disneyland un peu cheap pour les multitudes de cars qui s’amassent dans Paris. Luxe d’un côté. Massification de l’autre. Ces cars créent une pollution énorme, et les gens ne visitent pas vraiment, ne s’arrêtent pas, un peu comme à Venise avec ses bateaux-immeubles. Paris ne peut pas être ça ! Je trouve ça dramatique.

Contrairement à Anne Hidalgo, ma priorité, c’est le quotidien des Parisiennes et des Parisiens, pas le tourisme. Pourquoi ne fait-on rien pour réfléchir à quelque chose qui sorte des sentiers battus du tourisme ?

Il y a effectivement des salariés pour qui c’est impossible de travailler à Paris et d’y vivre ; est-ce que M. Gantzer a quelque chose à leur dire ?

Il va falloir qu’on revoie toute notre politique, à commencer par la création de logements. Les familles ne peuvent plus rester à Paris, la ville doit donc contribuer à aider les gens qui veulent acheter. On va faire en sorte que la ville prête à taux zéro à tous les acheteurs potentiels qui sont dans les classes moyennes. On a un vrai problème à Paris : il y a 19000 logements pour les étudiants alors qu’il y en a plus de 300.000. Il y a un déficit colossal de logements sociaux. Or, vu ce qu’on gagne, plus des deux tiers des Parisiens pourraient y prétendre. Donc, il va falloir construire, on ne va pas se mentir. 12000 personnes quittent la capitale chaque année, ça ne peut pas continuer ainsi.

Que propose M. Gantzer sur les aspects sécuritaires? Des Parisiens sont ulcérés au nord de Paris, dans des quartiers proches du périphérique avec les problèmes de drogue, la « colline » du crack ou les migrants que l’on y rencontre. Il y a des habitants qui pensent que le quartier de La Chapelle n’est plus vivable. Qu’est-ce que propose votre programme ?

Avec Gaspard Gantzer, nous avons toujours défendu une police municipale à Paris. Nous n’avons pas découvert tout d’un coup de façon électoraliste que la question sécuritaire était importante, suivez mon regard…

Il va falloir qu’il y ait plus de présence policière dans ces quartiers, car il n’est pas pensable qu’une femme seule n’ose plus s’y promener la nuit. Il va falloir aussi traiter les problèmes de crack, du point de vue sanitaire comme sécuritaire. Chaque personne doit être suivie de façon sanitaire pour sortir de son addiction. Cela veut dire investir beaucoup de moyens, c’est évident. Il en faudra dans les métros aussi, en trouvant des accords avec la RATP, parce que cette ubérisation permanente de la société n’est plus possible. Il y a une semaine, à 9h du matin, à Réaumur-Sébastopol, j’ai failli me faire piquer mon portable: je me suis presque faite agresser par deux hommes ! Il n’y a jamais personne dans les métros, ni dehors la nuit, les gens « ont la trouille », ce n’est plus tenable.

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Causeur “censuré” par les GAFA

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Ah les “gentils” GAFA ! 

Leurs algorithmes, leurs modérateurs, la foultitude de rusées interfaces qu’ils s’emploient chaque jour à développer pour trouver de quoi gagner leur modeste croûte sur le dos des utilisateurs captifs. Sans oublier, bien sûr…  leur goût quasi-maniaque pour la censure. Hier, c’est Causeur qui en a fait les frais. Une première? Même pas

La rédaction – l’armée de graphistes qu’elle emploie, surtout –  aurait dû se montrer plus prudente pour septembre. Cela sera-t-il la “Une” tapageuse de trop ? Celle reléguant votre magazine préféré dans le sinistre cimetière relativement étendu des titres de presse disparus?

Nous venions de “booster” notre dernière publication sur le « F » de GAFA – Facebook, pour les intimes – la publication? un innocent concours visant à signaler aux amis du journal qu’un nouveau magazine était parvenu à sortir de l’imprimerie pour la rentrée, contre toute attente. Malgré un bouclage pénible qui avait lui-même été précédé du retour en catastrophe de collaborateurs partis aux quatre coins du monde dépenser les économies d’une année de dur labeur… 

Le drame donc. Le méchant coup du sort : “Diffusion impossible. Créez une publication avec les images mises à jour”. Après notre étonnement, et après avoir épuisé tous les recours envisageables auprès des équipes informatiques sur le pont, ce message d’explication : “Votre publicité n’est pas diffusée car elle comprend une image montrant des corps trop dénudés ou complètement nus (y compris schémas médicaux représentant les organes externes de reproduction, des seins ou des fesses).”

Ici personne n’avait pourtant été émoustillé par Homo Sapiens et ses amis. Quant aux “organes externes de reproduction”, on les cherche toujours sur notre dessin. Alors? Algorithme et censeurs de Facebook, Elisabeth Lévy : c’est pas Larry Flynt !

La dernière Une de Causeur déplait à Facebook
La dernière Une de Causeur déplait à Facebook.

Climatoscepticisme: « J’estime qu’il est normal que des gens qui sont sceptiques nous posent des questions »

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Faut-il présenter Jean Jouzel ? Climatologue et glaciologue auréolé de prix, voilà trente ans qu’il alerte le monde sur le réchauffement climatique. Passionné et courtois, le scientifique a eu l’amabilité de répondre à mes questions. Selon lui, ce sont les pays qui feront une transition vers une société
sobre en carbone qui réussiront économiquement


Alexis Brunet : Monsieur Jouzel, la forêt a brûlé en Sibérie, elle brûle encore en Amazonie et en Afrique. Est-ce que cela vous soulève le cœur ? 

Jean Jouzel : [Après un bref instant d’hésitation] Oui. Les incendies en Sibérie ont été très marquants. Posée de cette façon là, il y a deux façons de réagir à cette question. En tant que citoyen, je suis très attaché à la nature et cela me marque, me soulève le cœur comme vous dites. En tant que climatologue, je pense qu’il faut souligner que certains de ces feux sont d’une certaine façon utiles. Les brûlis peuvent avoir une utilité dans certaines régions.

Il faut toujours être prudent, mais on voit bien qu’il y a une part de ces incendies dont l’objectif est clairement de déforester pour placer de l’agriculture, ce qui est encouragé d’une certaine façon par Bolsorano. Même si la déforestation n’est pas la première composante des émissions de gaz à effets de serre, ses conséquences sont loin d’être négligeables.

Il faut aussi se poser la question de savoir quelle est la part des feux d’origine naturelle, liés à des orages principalement. En Sibérie c’est un peu le cas. Mais il y a aussi des feux intentionnels, au Brésil en particulier. Dans le cas de ces feux, on vise ensuite à faire de l’agriculture, du soja dont une partie serait utilisée chez nous. A chaque fois que ça brûle, il y a des émissions de gaz carbonique. Les émissions des incendies qui ont sévi en Sibérie depuis le début de l’année correspondraient environ aux émissions de la France chaque année. Quand on fera le bilan des feux en Amazonie à la fin de l’année, ça risque probablement d’être du même ordre. C’est donc loin d’être négligeable. Ces feux influent sur les climats locaux et aussi à l’échelle planétaire. Je veux bien reconnaître la souveraineté d’un pays sur sa forêt mais quand on déforeste, ce sont tous les pays de la planète qui sont concernés. C’est loin d’être neutre. Je pense que la souveraineté demande réflexion à partir du moment où des actions qu’on laisse conduire voire qu’on encourage dans son pays, ont des conséquences planétaires. Dans la mesure où elles influent sur le climat mondial, c’est quand même normal que toutes ces discussions et même une certaine intrusion aient lieu en Amazonie. 

A lire aussi: L’Amazonie, bûcher des vanités présidentielles

Pour qu’on comprenne bien, si demain la moitié de l’Amazonie du Brésil disparaissait, quelles seraient les conséquences sur le reste de la planète ? 

Ça accélérerait le réchauffement climatique de façon quand même importante. Actuellement, la déforestation compte entre 10% et 15% des émissions de CO2 selon les années. Concernant les émissions de gaz à effets de serre, pratiquement 80% sont liées au gaz carbonique. Dans ces 80%, environ 80% sont liés à notre utilisation des combustibles fossiles. La part de la déforestation au Brésil s’était décélérée sous Lula. Là avec Bolsonaro, il y a clairement une influence politique et une stratégie qui fait qu’elle augmente à nouveau. Il faut toujours être prudent, mais on voit bien qu’il y a une part de ces incendies dont l’objectif est clairement de déforester pour placer de l’agriculture, ce qui est encouragé d’une certaine façon par Bolsorano. Même si la déforestation n’est pas la première composante des émissions de gaz à effet de serre, ses conséquences sont loin d’être négligeables.

À lire: Couper des arbres tue des gorilles, pas forcément le climat

Concernant les émissions de gaz à effets de serre justement, vous dites que les émissions de CO2 sont largement responsables du réchauffement climatique, mais il y a quand même des scientifiques comme le physicien François Gervais, le chimiste Jean-Claude Bernier et le physicien Pierre Darriulat qui ont signé une tribune l’année dernière estimant que le réchauffement climatique a ralenti depuis 20 ans, et ceci malgré le triplement des émissions de CO2 ces cinquante dernières années. Qu’est-ce que vous leur répondriez ? 

Je leur réponds qu’au contraire, le réchauffement climatique actuel est celui que nous anticipions dans les premières projections des rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il ne faut pas regarder année après année, mais décennie après décennie. De façon très claire, la décennie qui va se terminer rapidement maintenant va être la plus chaude. Depuis cinq ou six décennies maintenant, chaque décennie est plus chaude que la précédente. De plus, les cinq dernières années ont été les plus chaudes que nous ayons connues depuis 150 ans. 2019 le sera également. Surtout, le point important pour moi, c’est que dans l’augmentation du chauffage qui est due à l’effet de serre, il n’y a que 1% de l’énergie supplémentaire qui est utilisée par l’atmosphère. 93% de cette énergie vont dans l’océan. Le meilleur test de la réalité du réchauffement climatique, c’est de regarder dans l’océan. Là, l’élévation du niveau de la mer est vraiment un indicateur extrêmement clair de la réalité du réchauffement climatique. Cette élévation du niveau de la mer est d’environ 3 millimètres chaque année. Un tiers de cette élévation est lié à la dilatation de l’océan : l’océan se réchauffe et se dilate. Environ les deux tiers sont liés à la fonte des glaces, à la fonte des glaciers continentaux et des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland.

Ce sont les pays qui feront une transition vers une société sobre en carbone qui réussiront économiquement 

On a quand même l’impression qu’il n’y a pas vraiment de consensus scientifique sur ce sujet…

Si, il y a consensus. Sur les chiffres de l’élévation du niveau de la mer, je ne pense pas que les personnes que vous m’avez citées les contestent. Dans cette élévation du niveau de la mer, on a une double indication du réchauffement climatique : le réchauffement de l’océan et la fonte des glaces. Ce que je veux dire de façon très claire, c’est que quand on regarde l’évolution du climat telle qu’on l’avait envisagée il y a une trentaine d’années, ce que l’on vit aujourd’hui est vraiment ce qui était anticipé. D’une part, sur le rythme du réchauffement climatique, de l’ordre d’entre un et deux dixièmes de degrés par décennies. Et aussi, par la perception de certains événements climatiques, par exemple les vagues de chaleurs.  Les climats que l’on vit aujourd’hui étaient déjà projetés il y a trente ans. Il faut donc prendre ces projections au sérieux. Concernant la banquise, elle diminue depuis 50 ans même si elle a augmenté pendant un certain temps autour de l’Antarctique. Là, elle diminue à nouveau de façon très claire. Il suffit de regarder les données publiées par le National Snow and Ice Data Center, par exemple, sur lesquelles tout le monde s’appuie. Il suffit d’aller voir sur leur site. Ces données existent, elles sont accessibles pour tout le monde, tout le monde peut voir comment elles ont été obtenues, on ne peut pas les manipuler. Et il faut regarder non année par année mais à l’échelle des décennies.

Il y a un point sur lequel tout le monde semble d’accord, c’est qu’il faut pérenniser les énergies fossiles pour les générations à venir. Mais selon une étude du Manhattan Institute qui vient de sortir, il sera impossible de se passer des énergies fossiles d’ici 2050. Que faudrait-il faire concrètement pour changer cela, selon vous ? 

Je ne connais pas spécifiquement cette étude mais on voit bien la difficulté de le faire, c’est très clair. Cette affirmation ne me choque pas. Le dernier rapport du GIEC dit que ce sera difficile même si les énergies renouvelables se développaient. Il faut préciser quand même que l’électricité ne représente que 20 à 30% de l’énergie. Les énergies renouvelables pourraient subvenir à la moitié des énergies planétaires à horizon 2050 et certains pays tablent aussi sur le nucléaire. Mais pour atteindre les objectifs fixés pour 2050, il faudrait changer complètement de mode de développement, ce qui est toute la difficulté. On peut donc aussi envisager d’utiliser le minimum de combustibles fossiles et de piéger le CO2 à la sortie. Concernant la France, la loi sur la neutralité carbone pour l’horizon 2050 est tout à fait ambitieuse. Le CO2 représente entre trois quarts et 80% des émissions. Mais une partie des gaz à effet de serre résulte également du méthane, du protoxyde d’azote, dont une partie résulte de la production agricole ou de l’alimentation au sens large. Donc même si on éliminait complètement l’utilisation d’énergies fossiles ou qu’on l’utilisait avec piégeage et stockage du CO2, la neutralité carbone devrait tenir compte de l’ensemble des gaz à effets de serre. Il y a en France des puits de CO2 qui représentent un peu moins de 10% des émissions. L’idée des scénarios en France est d’augmenter ces puits de carbone pour contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre liés aux combustibles fossiles, au méthane et au protoxyde d’azote. Ça c’est dans la loi. La réalité est qu’on est déjà en retard sur la feuille de route pluriannuelle de l’énergie. Il y aussi les questions liées à notre façon de se déplacer, de se nourrir, de se loger. Ça, c’est la vie de tous les jours.

À lire: « Négationnisme climatique », ça ne vous choque pas?

Justement, au delà des postures idéologiques de l’écologie, que certains voient même comme une nouvelle religion, n’est-ce pas à chacun de nous de prendre ses responsabilités et de changer ses habitudes ? 

Je pense que si on veut lutter contre le réchauffement climatique, qui est une des composantes de l’écologie, il faut s’intéresser à nos façons de nous déplacer, de nous loger, de nous nourrir. Cela représente quand même plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre en France. C’est vrai que chacun d’entre nous est concerné directement par ces émissions. Le premier rôle des Etats et des gouvernants, c’est d’être présent sur la scène internationale. Ça a quand même été le cas avec l’Accord de Paris, même s’il n’est pas suffisamment ambitieux. Emmanuel Macron a repris le flambeau d’une certaine façon et se sent porteur de l’Accord de Paris. C’est son rôle. Le deuxième rôle des Etats, c’est de fixer des objectifs pour son propre pays et de mettre en place des outils pour les respecter. C’est le cas de la loi pour la transition énergétique pour la croissance verte. Elle existe, elle est ambitieuse. Mon regret à ce sujet est d’ailleurs qu’il n’y ait pas vraiment d’équivalent pour la partie agricole. Regardons maintenant nos façons de se nourrir, de se loger et de se déplacer. Pour nos façons de se déplacer par exemple, et le fait de prendre les transports en communs, une responsabilité importante se situe à mon avis au niveau des régions. Il y a beaucoup de décisions qui se prennent à ce niveau en terme de mobilité et d’urbanisme. Les élus locaux et régionaux ont une importance à ce sujet, y compris dans les petites communes. Toujours concernant la mobilité, il faut des développements technologiques, il faut des entreprises, donc c’est aussi beaucoup d’activité économique. Les entreprises ont un rôle à jouer très important. L’éducation est très importante également. Je crois qu’à ce niveau ça s’améliore.

J’ai trois mots clés pour lutter contre le réchauffement climatique. Le premier, c’est l’efficacité énergétique dans tous les domaines. Par exemple, dans la loi sur la transition énergétique en France, il est inscrit que la France vise à diminuer par deux sa consommation d’énergie à l’horizon 2050. Derrière cet objectif, il y a aussi l’idée de ne pas nuire à l’activité économique. En gros, c’est quand même l’idée d’utiliser deux fois moins d’énergie pour assurer un développement attendu de la France. Le deuxième mot clé pour moi, c’est la sobriété. L’efficacité énergétique c’est faire la même chose en utilisant moins d’énergie, ce qui est très bien, mais la sobriété, c’est un peu faire attention à ce qu’on fait. S’il n’y a pas de sobriété des populations, s’il n’y a pas un regard de chacun d’entre nous sur ce qu’on fait, je ne crois pas qu’on y arrivera. Et il y aussi le troisième mot clé, les investissements. La transition énergétique est synonyme de dynamisme économique. La transition énergétique peut créer entre 600 000 et 900 000 emplois entre 2020 et 2050 en France. Au niveau français, il faudrait des investissements supplémentaires de l’ordre de 2% par an. Je crains qu’on ne réussisse pas vraiment la transition énergétique s’il n’y a pas d’investissements supplémentaires. Pourtant, je pense que ce sont les pays qui feront une transition vers une société sobre en carbone qui réussiront économiquement.

À lire: Climat: les missionnaires de l’Apocalypse

Il y a des climatosceptiques parmi les lecteurs de Causeur. Qu’est-ce que vous auriez à leur dire ? 

Le scepticisme est tout à fait légitime.

Les résultats qu’ont met sur la table nous amènent à un profond changement de notre mode de développement. Si on accepte la réalité du réchauffement climatique dans sa continuité, on débouche sur la nécessité de l’importance d’un changement de mode de développement rapide et important. Ce sont des questions essentielles pour nos civilisations. J’estime qu’il est normal que des gens qui sont sceptiques nous posent des questions. Le scepticisme fait lui même partie de l’approche scientifique. Dans ces cas là, il faut regarder les arguments et les données, il faut prendre son temps. Le GIEC a pris beaucoup de temps avant d’établir ses constats. Mais c’est aussi un peu aux climatosceptiques de regarder les faits. A un moment, il a fallu que les gens arrêtent de dire que la Terre est plate. Il faut donc regarder la réalité. Reste qu’on a le droit de parler, la parole et la liberté d’expression sont extrêmement importantes.

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Que les députés pro-PMA donnent leur sperme d’abord!

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Les députés et personnalités en faveur de la PMA pour toutes devraient montrer l’exemple et passer à la banque du sperme!


Actuellement, les CECOS pratiquant des Inséminations Artificielles avec Donneur – qui font partie des Procréations Médicalement Assistées sans en être la seule pratique – manquent de donneurs de sperme bénévoles pour répondre aux nombreuses demandes de couples constitués d’une femme et d’un homme, ce dernier étant dans l’impossibilité de féconder son épouse ou compagne. L’ouverture d’une telle pratique, qui sera peut-être un droit dans la future loi en discussion – mais sans doute déjà virtuellement adoptée – va augmenter très sensiblement le nombre de demandes. D’où l’inquiétude d’un certain nombre de professionnels, et le questionnement de citoyens parmi lesquels l’auteur de ces lignes. Où trouvera-t-on la précieuse semence, devant être fournie bénévolement et gratuitement à toute femme qui en fera la demande ?

Puisque vous êtes favorables, apportez votre propre contribution

Or il existe un moyen très simple d’en fournir de grandes quantités. Les partisans de l’adoption d’une loi « PMA pour toutes » du sexe masculin sont très nombreux (députés, personnalités politiques, du spectacle, du monde intellectuel etc.). Sauf à être atteints eux-mêmes de stérilité, tous ces hommes ont la capacité de fournir sans trop se fatiguer de quoi alimenter les banques de sperme. Allons plus loin, si l’on en croit un sondage BVA publié le 23 juillet et cité par Orange, 65% des français seraient favorables à la « PMA pour toutes », avec une moyenne légèrement supérieure pour les femmes. Cela représente tout de même au bas mot dix millions d’hommes pouvant donner leur sperme. Sachant que, actuellement, le sperme d’un donneur peut être utilisé pour la fécondation de dix receveuses, cela fait un potentiel de cent millions de naissances. Aucun risque de pénurie !

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La campagne annoncée pour susciter des volontaires pourraient donc utiliser cet argument : « Puisque vous êtes favorable, apportez votre propre contribution ». Une telle campagne aurait une portée d’autant plus grande que les promoteurs affairés de la loi donneraient eux-mêmes le bon exemple. Messieurs Touraine, Mesnier, Chiche et autres sont attendus à la banque du sperme. Selon Médiapart qu’on dit toujours bien renseigné, ils n’hésitent pas à « faire du lobbying interne » auprès de leurs collègues de la majorité, afin de faire taire les voix dissonantes comme celle de Madame Agnès Thill.

Ah ! ça aurait de l’allure, un cortège de députés défilant pour apporter leur modeste contribution à la cause qu’ils défendent avec ferveur. Et ce serait encore plus fort si ces donateurs généreux et cohérents obtenaient de voir figurer, en tête de leur cohorte, celui qui a fait de cette loi une promesse de campagne présidentielle, comme ils le répètent à l’envie, ce qui est contesté. Une telle présence ne ferait d’ailleurs que renforcer la posture jupitérienne de leur chef, car le dieu gréco-romain ne s’était pas privé de féconder les déesses, nymphes ou autres mortelles.

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Malaises dans la filiation

Allez-y, messieurs ! Vivez la riche expérience de vous retrouver seul dans une pièce, au fond d’un laboratoire, avec un petit récipient en verre et une pile de revues suggestives, et la consigne de ne ressortir qu’après avoir déposé dans ledit récipient les quelques gouttes de liquide que votre corps aura facilement produit par une méthode ancestrale, largement utilisée bien qu’elle soit condamnée par certaines morales religieuses. Avant de sortir de la pièce, vous n’échapperez pas à une pensée : ce don minuscule va contribuer à faire naître un être humain, qui sera porteur de la moitié de votre code génétique. Cet humain, vous ne le connaîtrez pas, ni ne connaîtrez celle qui va le porter neuf mois et l’éduquer seule ou avec sa compagne. Mais lui pourra vous connaître, quelques dix huit ans plus tard ; il ou elle pourra venir tirer votre sonnette et vous dire ceci : « pendant toute mon enfance, je me suis posé une question obsédante : qui est mon père ? Maintenant, j’ai la réponse : c’est toi, et je te demande, ou exige, que tu assumes cette paternité ». Peut-être cela n’arrivera pas car les filles et garçons nés des suites de votre don n’en éprouveront pas le besoin, mais vous vivrez avec cette possibilité pendue au-dessus de votre tête. Et si vous en avez, vos enfants aussi. Ajoutons que la probabilité pour qu’elle devienne réalité sera d’autant plus grande que vous serez un homme connu, riche ou célèbre. Qui résistera, en apprenant qu’il est l’enfant  de Zeus, à l’envie d’exiger de lui une place sur l’Olympe ? Certains préféreront ne pas savoir afin de pouvoir fantasmer sur la personnalité de leur géniteur. Une telle situation ne peut se produire dans la pratique actuelle de l’insémination artificielle avec don de sperme. En effet, à supposer que l’anonymat soit – illégalement – contourné et qu’un enfant conçu de cette façon retrouve le donneur, ce dernier pourra répondre de la manière la plus simple : « Tu as un père, c’est cet homme qui a demandé l’aide pour pouvoir avoir un enfant avec ta mère et à qui j’ai accepté de donner un peu de mon liquide séminal, sous l’autorité des médecins. Mais ce n’est pas moi ».

Avoir le courage de son opinion

Peut-être ce qui précède explique-t-il pourquoi les zélotes de la « PMA pour toutes » préfèrent que l’insémination en question soit faite avec le sperme d’un autre homme, plutôt qu’avec le leur. Au tréfonds d’eux-mêmes, dans ce que l’on peut appeler l’instinct, l’inconscient, ou le réalisme, ils savent que les trois ou quatre centimètres cubes qu’ils auront déposés dans le flacon du CECOS ne sont pas qu’une simple excrétion de leur corps, mais contiennent un code complexe qui est une partie essentielle de leur être, qu’ils ont reçu de ceux qui les ont conçus, une signature, une clef indispensable pour engendrer la vie humaine, et que donner cette signature, c’est faire un terrible chèque en blanc sans limite de validité et dont on ne sait pas l’usage qui pourra en être fait.

Alors, messieurs les défenseurs de la « bonne cause », prenez un temps de réflexion personnelle, recueillez, le cas échéant, l’avis de votre compagne et de vos enfants et agissez de manière cohérente ! Si, en votre âme et conscience, vous persistez dans le soutien à la « PMA pour toutes », ayez le courage de votre opinion : allez donner votre sperme dans un CECOS, publiquement, en affirmant sans ambiguïté qu’il permettra à une femme d’avoir un enfant sans contact avec un homme, et réclamez que, lorsqu’ils auront atteint la majorité, les fruits de votre don pourront connaître votre identité et prendre contact avec vous. Votre courage m’inspirera le respect et, si vous êtes nombreux, peut-être reverrai-je ma position sur le sujet.  Si vous ne vous sentez pas capable de faire ce geste – ces gestes car il faut plusieurs dons – et de le dire sur la place publique, ne culpabilisez pas, aucune cause ne peut vous obliger à donner un morceau de vous-même. Mais, dans ce cas, abandonnez ce projet de loi et laissez les femmes désireuses d’avoir un enfant trouver elles-mêmes l’homme qui en assumera la paternité, en recourant au besoin aux services d’un médecin si elles ne souhaitent, ou ne peuvent, accepter la semence masculine au cours d’un rapport sexuel.

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Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix

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Avec Orléans et les polémiques incessantes nées de ses écrits et de son passé antisémite, le sulfureux Yann Moix surpasse en scandale André Gide…


En 2010, Yann Moix prenait la défense de Polanski dans La Meute. En 2019 Moix est rattrapé et déchiqueté par cette meute. Comme il l’avait dit à l’époque : « quand quelqu’un a tout le monde contre soi, c’est toujours intéressant d’aller voir. »  Alors je suis allée voir Orléans.

C’est construit comme un diptyque, dedans /dehors. Dedans : le narrateur et ses tortionnaires, dehors les autres.

Yann Moix le graphomane

Je ne m’étendrai pas ici sur l’aspect autobiographique ou pas du récit, il est évident que ma lecture fut brouillée par la polémique mais le style est là: précis, sec et rythmé, le style d’un virtuose, d’un graphomane comme il se définit lui-même dans le roman. Justement c’est là que le bât blesse car je ne voyais que cette virtuosité stylistique, sans réussir à me laisser vraiment émouvoir. Émouvoir par la description des raclées monumentales dont le narrateur est victime avec la régularité d’un métronome: « Ce soir-là je fis choir par mégarde un yaourt nature sur le carrelage de la cuisine. Comme issue d’une science exacte la punition tomba (…) La main de mon père dure comme un soleil vint percuter mon visage (…) Tiré par les cheveux agoni de syllabes furieuses, jeté ensuite sur mon lit. » Le père est tortionnaire en chef, mais il se dessine en creux à travers le personnage de la mère en Folcoche puissance mille, une figure glaçante, celle qui vraisemblablement menait la danse. « Sa cruauté semblait irrévocable. M’aventurant parfois à chercher quelques douceurs auprès de ce corps qui m’avait jadis abrité, j’étais systématiquement arrêté dans mon élan, puis écarté comme un chien, ma naissance était chez ma mère synonyme d’angoisse et de désespoir. » Le petit garçon tombe alors amoureux d’une statuette, une représentation de la Vierge qu’il embrasse de temps en temps. L’homme mûr avouera des années plus tard ne pas pouvoir coucher avec des femmes de son âge. Excusez-moi pour le cliché mais toujours chercher la mère.

La littérature comme échappatoire

Cette première partie, ce dedans qui est un huis clos entre l’auteur et sa souffrance est réussie car on y respire mal. La ville, Orléans, y est décrite comme une nuit d’hiver sans fin, pluvieuse de surcroît. Le temps semble lui-même immobile, à l’image de cette nuit glaciale. L’action est située dans les années 70, mais le chagrin empêche toute nostalgie : « Cette histoire se déroulait au vingtième siècle ; le passé est inutile ; nous ne connaissons que le présent sans cesse accompagné par l’instant »

Nous respirons un peu mieux grâce à la découverte de la littérature et précisément d’André Gide, que Moix considère comme son double solaire idéalisé. Si le grain ne meurt, autre récit autobiographique, mais celui d’un petit garçon heureux et choyé par sa mère, accompagnera toute sa vie le sombre petit garçon martyr d’Orléans. Une autre figure tutélaire, bien différente, est également présente : celle plus austère de Sartre, que le jeune Moix découvre à travers son récit inachevé sur Flaubert : L’idiot de la famille. Tiens tiens… On ne peut s’empêcher de penser au récit autobiographique de Sartre : Les mots, également construit en diptyque : « lire » et « écrire. »

Le goût de Yann Moix pour les auteurs surannés, comme Gide, ou qu’il est de bon ton de détester comme Sartre, disent à mon sens deux choses: qu’il est profondément Français (la preuve en est puisqu’il se vautra un temps dans la plus triste de nos passions: l’antisémitisme) et qu’il ne cherche pas à se faire aimer, même au travers de ses goûts littéraires.

Pas simple avec les femmes

Dehors, la deuxième partie, les autres. Les autres, ce n’est pas l’enfer chez Yann Moix, pas non plus le paradis, mais d’autres vies que la sienne.

Et grâce à l’évocation de ces autres vies, le récit s’aère un peu. D’autres enfants sont malheureux pour d’autres raisons, parce qu’ils sont pauvres, d’autres enfants meurent aussi, morts dont le narrateur aura la preuve des années après : «J’eus la sensation d’être découpé par une hache, Emmanuel Dussutour 1968-1974. A notre fils adoré emporté par la maladie dans sa septième année. »

Eros tutoie sans arrêt Tanathos dans cette deuxième partie, couple infernal et éternel qui fait prendre au récit un air d’éducation sentimentale provinciale et très française. Notamment à travers la figure très Montherlant / Drieu de ce jeune dandy qui avouera avant de mourir son amour au narrateur. La litanie des filles dont il tomba amoureux, toutes décrites à grand renfort de métonymies, est là pour nous rappeler que Moix et les femmes, ce n’est pas simple, elles se confondent toutes, seule émerge Amélie, qui vit avec l’ombre de sa sœur décédée, alter ego féminin. Et la statuette de la vierge qui se laissa embrasser.

La mauvaise réputation

A propos de son récit autobiographique dans lequel il dévoila son homosexualité, Gide le modèle de Moix déclara : « Pour qu’il vaille la peine de se perdre de réputation il faut d’abord se payer une réputation bien établie. »

Il semblerait que Moix avec ce qu’il appelle son roman d’humiliation et la polémique qui fait toujours rage ait dépassé son maitre en matière de réputation.

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Islam: le « libre choix » des fillettes de se voiler

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Une vidéo, partagée par le groupe féministe Les Algériennes, révèle parfaitement bien les mécanismes et les ressorts invisibles qui sous-tendent le voilement des femmes musulmanes, tout en exposant la problématique du « libre choix ».


J’ignore qui est cette enfant, je ne connais ni son identité ni le contexte exact de la diffusion de cette vidéo. D’après les quelques informations que j’ai pu glaner, c’est le père qui a diffusé la vidéo.

Confiance en soi troublante

La petite fille doit avoir entre huit et onze ans. Elle parle de manière assurée et semble totalement à l’aise face à la caméra. Son visage respire la détermination, son regard déborde d’un mélange d’aplomb et d’effronterie infantile.

Encore plus que la confiance en soi ou l’assurance, cette frêle et mignonne enfant s’exprime avec autorité: elle emploie le ton docte et supérieur de celui qui pense détenir la vérité. Elle sait poser sa voix, et jouer avec les inflexions, je la trouve bien plus éloquente que nombre d’adultes.

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Dans cette vidéo, elle s’adresse aux internautes, elle affirme vouloir comprendre les critiques dirigées contre la pudeur (Sotra), elle se demande pourquoi les vidéos qui propagent l’indécence (Tabarouj) ne font pas réagir, tandis que celles qui traitent de pudeur sont décriées. Je pense qu’elle doit faire référence au voilement des petites filles ou au Niqab.

« Cela ne vous paraît pas honteux de voir une moutabarija (femme indécente) s’afficher, au contraire, cela vous attire ! » déplore-t-elle à 0,17 minute. J’ai maintes fois entendu prononcé le mot moutabarija, souvent par des islamistes, rarement par des enfants.

L’opposition sémantique pudeur (sotra) et l’indécence (tabarouj) est un axe fondamental dans la dialectique des islamistes. Selon leur vision binaire, les femmes se divisent en deux catégories: les vertueuses (voilées) et les indécentes (toutes les autres). J’ai beau savoir que certaines idéologies n’hésitent pas à utiliser les enfants, il me paraît toujours choquant d’entendre proférer ce genre de notion par une bouche innocente. 

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La première fois que j’avais entendu ce mot moutabarija, c’était en Algérie dans les années 90. Au départ, le terme désignait les femmes jugées habillées de manière provocante (jupe courte ou décolleté). Ensuite, la signification a évolué pour s’étendre à toutes les femmes qui ne se couvrent pas la tête, voire celles qui portent un voile estimé non conforme à la charia. 

Dans la vidéo, la petite fille s’adresse ensuite aux femmes non voilées : « Toi, la moutabarijaa, lorsque tu me vois, ne ressens-tu pas de la jalousie (dans le sens premier de vergogne, honte de soi) en me voyant, moi enfant, porter un voile? Ne te dis-tu pas, elle est mieux que moi, elle est plus jeune que moi et porte le jilbab (le voile réglementaire des extrémistes) ? »

Propagande islamiste sur les réseaux sociaux
Propagande islamiste sur les réseaux sociaux

Les femmes “Chupa chups”

Cette formulation simpliste est d’une efficacité redoutable: elle a grandement contribué au voilement des femmes, une sorte de benchmarking de la vertu ; les femmes qui portent le voile sont plus vertueuses que celles qui ne le portent pas, celles qui ne le portent pas sont par conséquence des femmes légères qui ne devraient pas se plaindre si elles sont importunées, voire violées.

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Cette représentation manichéenne est largement relayée par les islamistes. S’il y avait une seule image pour incarner cette conception ça serait celle de la sucette, qui sans son emballage se retrouve couverte de mouches à merde (les hommes), contre celle qui se préservent et restent « propres » en gardant l’emballage. Lorsque Hani Ramadan, le frère de Tarik, compare les femmes non voilées à une pièce de deux euros qui passe d’une main à l’autre, et les femmes qui le sont à une «perle dans un coquillage» il n’invente rien, c’est une rhétorique somme toute classique ; l’idée ici est de sous-entendre que la femme non voilée est dénuée de valeur, contrairement à celle qui « fait le choix » de se voiler.

Hiérarchie parmi les femmes

On a sans doute injecté dans l’esprit de cette petite fille que la pureté islamique au féminin, s’affiche et s’incarne dans le port du voile réglementaire, à plus forte raison si la voilée n’est pas encore nubile.

L’enfant est ainsi pure parmi les pures. J’imagine sans peine qu’on lui répète que son choix la rend unique et spéciale. La femme en devenir se retrouve ainsi au-dessus de toutes les autres femmes, y compris celles censées représenter l’autorité.

J’ai déjà pu observer cette caractéristique chez certaines voilées zélées, notamment dans les années 90, à l’époque où j’étais encore étudiante à l’université algérienne. Certaines jeunes femmes qui faisaient partie des cercles salafistes nous prenaient de haut. Nous étions les égarées… des filles de mauvaise vie… parce qu’on s’habillait à l’occidentale et qu’on se mélangeait aux hommes.

Pas honte d’être “moutabarija”

Moi la moutabarija, j’écris ce texte avec colère. Pas contre la jeune fille bien sûr! Mais contre ceux qui l’utilisent pour servir leurs intérêts. Je n’éprouve aucune jalousie, et encore moins une quelconque honte de moi en voyant une enfant ensevelie dans un long tissu sombre. J’éprouve seulement une immense tristesse. Grandir avec l’idée que son corps et ses cheveux sont si monstrueux qu’il faille les cacher est triste, grandir en pensant que son corps est un danger qui menace l’équilibre de la société aussi.

Un bout de tissu c’est finalement facile à enlever. En revanche, rien n’est plus tenace qu’une idée martelée dans un jeune esprit en formation. 

Vers 0.38 minute la petite dit: « Depuis que je suis petite je veux porter le jillbab… Personne ne m’y a forcée, papa ne m’a jamais demandé de le porter, c’était ma volonté, et maintenant, grâce à Allah, je suis pudique. Vous connaissez les paroles d’Allah, c’est lui-même qui dit : « Apprenez-leur à sept ans, et battez-les à dix. » Dieu n’a pas évoqué la prière seulement, il parle aussi de plein d’autres choses, comme la pudeur… Normalement une femme devrait être pudique et se couvrir, cela ne pourrait que la compléter, l’embellir. »

Violence divine

L’argument du libre choix est plus que fallacieux. D’une part, elle affirme que son choix est volontaire et que le désir de se voiler est présent chez elle depuis toujours, de l’autre, elle se réfère aux prescriptions religieuses en invoquant un hadith, qu’elle confond au passage avec une sourate. De manière quasi-directe, elle justifie d’une éventuelle violence ou coercition employée dans le but de la convaincre de son « libre choix ». Puisque ce choix est dicté par l’autorité suprême, à savoir Allah, quel espace de liberté reste-t-il ?

L’expression de son visage à 0.49 minute m’a intriguée. J’ai revu plusieurs fois le film et je pensais d’abord à du mépris ou à de la fierté. Je pense finalement que c’était de la colère. Peut-être contre la nature du monde qu’on lui impose? Ou contre les femmes indécentes?… Bien sûr ce n’est là que ma perception et mon intuition.

Je tiens à rappeler que l’apparition du voile dans le paysage social des pays arabo-musulmans ne s’est pas faite de manière spontanée. D’ailleurs, si vous observez une photo d’une foule du Caire, d’Alger ou de Kaboul datant des années 70, vous remarquerez que les femmes sont majoritairement têtes nues. Trente ans plus tard, le ratio s’est inversé, la proportion de celles qui portent le foulard constitue la large majorité.

En ce qui concerne l’Algérie, la décennie noire a joué un rôle prépondérant dans l’expansion du voile. Les Algériennes se sont mises à revêtir le hijab par peur. Katia Bengana, une lycéenne de 17 ans, et Amel Zenoune, une étudiante en droit, à peine plus âgée, furent assassinées parce qu’elles refusaient de mettre le voile. 

Cette vidéo est précieuse. C’est à la fois une confession et une recette des ressorts psychologiques utilisés pour la promotion et la propagation du voile. Si un “choix individuel” peut impacter ainsi une grande partie de la société, peut-on alors toujours le considérer comme un choix individuel ?

Triste rentrée scolaire au Cameroun

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Fin 2016, des revendications ont émergé afin de demander au gouvernement de prendre en compte les spécificités et les besoins de la population anglophone camerounaise située dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. En les privant de rentrée scolaire, des milices terroristes s’en prennent maintenant aux enfants.


Fin 2016, un mouvement séparatiste a initié une vague de violences terroristes visant toutes les couches de la société. Les militaires, les policiers, les chefs d’entreprises et les ouvriers furent pris pour cible par ceux qui se font appeler les « Ambazoniens ».

Le Cameroun est un pays africain à majorité francophone, seule 20% de la population y est anglophone. Ce particularisme est issu du passé colonial du pays et des conditions de sa décolonisation. Au moment de son indépendance, le pays était totalement francophone. Cependant, lorsque le Nigeria voisin s’est libéré du joug britannique, l’une de ses régions, le Southern Cameroon, a choisi lors d’un référendum organisé par les Nations Unies en 1961 de voter à plus de 70% pour son intégration dans le Cameroun.

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Minorité anglophone

L’écart linguistique, héritage de l’époque coloniale européenne, est devenu un enjeu politique et le prétexte pour les milices séparatistes d’organiser la terreur de sa propre population qu’elle tient en otage.

Carte du Cameroun. En bleu, la région dont des terroristes anglophones réclament l'indépendance
Carte du Cameroun. En bleu, la région dont des terroristes anglophones réclament l’indépendance

Malgré les menaces, les mutilations et les assassinats dont sont victimes les enfants camerounais, les autorités luttent afin de permettre aux écoliers de retourner en cours. Depuis trois ans, les terroristes ont mis à sac, détruit ou incendié plus de 174 écoles.

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Alors même que le gouvernement et les responsables anglophones modérés – représentant l’immense majorité de la population de ces régions – discutent et cherchent un terrain d’entente et d’accord, les miliciens séparatistes s’évertuent à saboter toute possibilité de paix.

Peur d’aller à l’école

Face à une telle situation, les forces armées camerounaises – et plus particulièrement le BIR (Bataillon d’Intervention Rapide) -, sont déployées pour lutter contre le terrorisme et apporter une aide humanitaire indispensable.

Un rapport de Human Rights Watch publié en 2018 n’hésite pas à comparer les exactions commises par les sécessionnistes camerounais à celles de groupes tels que Boko Haram ou les talibans afghans. Les témoignages recueillis afin de constituer ce document sont édifiants. Une enseignante raconte la manière dont les terroristes sont intervenus dans son école en menaçant de mutiler et de tuer, enfants et enseignants, et la manière dont ils sont parfois passés à l’acte.

De crainte pour leur vie ou ne pouvant plus se rendre en classe, les enfants sont alors souvent livrés à eux-mêmes et désertent les écoles des régions sécessionnistes. Les terroristes prétendent lutter pour les anglophones du Cameroun et exigent une indépendance que la majorité de la population concernée refuse. Selon des données de l’ONU, 30 000 élèves sont sortis du système scolaire camerounais depuis 2016.

Dénoncer le terrorisme des séparatistes ambazoniens

Avec la rentrée des classes qui aura lieu le 2 septembre, les regards se tournent vers les régions anglophones camerounaises où de nombreuses écoles ne rouvriront pas leurs portes cette année. Un véritable exil intérieur en direction de Douala et de Yaoundé s’est spontanément organisé afin de mettre à l’abri les familles.

Face à cette situation dramatique, la population camerounaise désespère de voir un sursaut de la communauté internationale afin de dénoncer clairement le terrorisme des séparatistes « ambazoniens ».

De leur côté, les autorités camerounaises tentent de sécuriser la rentrée des classes mais elles observent que, bien souvent, les donneurs d’ordres séparatistes – bien souvent en exil – envoient paisiblement leurs enfants dans les meilleures écoles des grandes capitales européennes tandis qu’au même moment, ils incitent les petits Camerounais à prendre les armes ou à se prostituer pour faire vivre leurs familles.

Le syndicat

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Notre chroniqueur Driss Ghali, expatrié à São Paulo, nous fait découvrir son « syndicat », un groupe d’hommes brésiliens avec lequel il passe son matin au café, dans la mégalopole brésilienne.


Le soleil a beau se lever, les oiseaux ont beau gazouiller, la journée, la vraie, commence lorsque je prends mon café, bien serré. Ce moment décisif a lieu entre 8h et 9h du matin, toujours au même endroit et entourés des mêmes amis. Vinicius, Manoel, Wilson et moi, franco-marocain installé au Brésil depuis sept ans, formons le noyau dur des clients du Café Palermo, un petit bijou situé à quelques encablures du centre-ville de São Paulo. Nous prenons notre relation tellement au sérieux que nous avons formé le premier syndicat de clients du quartier ou peut-être même de la ville, qui sait ?

syndicat-sao-paoloPalermo est un petit établissement qui compte une demi-douzaine de tables, réunies en demi-cercle autour d’un comptoir en verre. La décoration oscille entre le sicilien et le tropical et fait alterner, jusqu’à l’épuisement, le rouge « volcan » et le vert « brésil ».  L’ensemble est sauvé de la débâcle, de justesse, par la végétation qui fait écran avec la rue. 

Mes amis brésiliens

Mes amis ont plus de soixante-dix ans, j’en ai quarante, ils sont Brésiliens, je ne le suis pas mais nous avons le même amour pour le café, les journaux et la politique. Jadis et ce jadis n’est pas très lointain, nos conversations tournaient invariablement autour des femmes. Nous en parlions beaucoup même mais nous ne faisions qu’effleurer le sujet à force de nous enthousiasmer pour la surface et rien que la surface. Nous restions attablés, le temps qu’il fallait, à admirer les passantes. Moi, caché derrière mon ordinateur, et mes amis, dissimulés derrière des lunettes de soleil. Tout a changé depuis mon mariage, devoir de réserve oblige. 

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Notre président, le chef du syndicat, se nomme Vinicius. Il a 72 ans mais tout le monde lui donne la cinquantaine, sans hésiter. Ancien champion de natation, Vinicius a le physique d’une vedette de télénovela: le teint halé et les épaules larges. Le vice-président est Manoel, un magistrat à la retraite, toujours vêtu à quatre épingles, chaussures en peau de crocodile, gourmette en or, la crinière teinte en roux. Le secrétaire-général est Wilson, un administrateur de société qui passe sa vie au téléphone à donner des ordres à je ne-sais-qui. Ma femme m’assure qu’il lave de l’argent pour le compte de personnes louches. Officiellement, Wilson est dans l’industrie du jus d’orange. Je ne serais pas surpris si la Police Fédérale le cueille un jour, au saut du lit ou même à table en notre compagnie. 

Alessandra, Daisy, Gabriella…

Quant à moi, eh bien mon rôle dans le syndicat est celui de goûteur professionnel chargé de sélectionner le grain le plus digne de notre corporation. Mes camarades et moi prenons cette mission très au sérieux, nous voyons loin voire très loin : une déclaration d’utilité publique pour services rendus à l’agriculture brésilienne et au bon goût. Un peu de beauté dans un monde qui a perdu le sens du Beau et du Vrai. 

Les femmes ont joué un rôle crucial dans la formation de notre syndicat puisque l’intérêt que nous leur portions (j’insiste sur l’imparfait) nous a rapproché en dépit de nos différences.

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Chaque matin, c’est le même défilé, aussi prévisible que notre routine quotidienne. Avec l’assentiment unanime du syndicat, j’ai attribué des noms d’emprunt à ces vedettes sans gloire qui font partie de nos vies. La plus matinale est Daisy, une brune à la peau claire. Elle s’arrête invariablement à 8h tapantes pour prendre son jus « detox ». Elle porte toujours des vêtements de sport aux couleurs fluorescentes : rose, orange ou fuchsia. Comment quitter du regard ses leggins et tops minimalistes… et ses longs cheveux noirs et brillants ? Moi, je lui donne 25 ans, Manoel me contredit et lui attribue dix ans de plus, je m’incline volontiers devant le professionnel de l’identification judiciaire.

A partir de 08h15, nous attendons le passage imminent d’Alessandra, l’étoile filante aux cheveux dorés. Alessandra ou « Alé » pour les intimes (et au Brésil on est vite intime de tout le monde ou l’on croit l’être) a les yeux bleus et la peau extrêmement blanche. C’est une hipster, une de plus, qui se déplace à vélo pour sauver la planète. Elle s’est fait tatouer une sorte de reptile menaçant qui s’étend du thorax jusqu’à la cuisse. Cette seconde peau verdâtre ne sied pas à autant d’innocence et nous rappelle que nous sommes au royaume du diable. Pauvres mortels soumis au malin et à ses tentations.

Un peu plus tard, Gabriela descend la rue flanquée de deux spitzs nains, constamment en état d’ébullition. Gabriela est ma préférée. Noire yoruba, cheveux courts bouclés, elle a le charme distant et intemporel d’une Rama Yade. Une beauté qui pose des limites d’entrée de jeu, élégante et sereine. Quelle est son histoire ? Que fait-elle dans la vie ? Manoel croit l’avoir déjà croisée au tribunal de commerce, Wilson dans la salle d’attente d’un dermatologue réputé, moi en rêve… 

Daisy, Alé et Gabriela font partie du passé. Je vous l’ai dit, je suis un homme marié maintenant. 

Le président me présente Eduardo

Je vous ai caché quelque chose d’important : Vinicius, le président, est homosexuel, il vient de me l’annoncer, quel choc! Je n’ai rien soupçonné en quatre ans de fréquentation quasi quotidienne et plus de mille cafés pris ensemble. C’est à croire que nous n’avons jamais parlé de choses sérieuses et utiles. 

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Le mois dernier, il m’a présenté à Eduardo, un jeune homme qui venait de descendre d’une grosse cylindrée Yamaha. Eduardo étudie la médecine vétérinaire, il veut devenir odontologue pour animaux sauvages. Sa passion: soigner les jaguars qui se font renverser en tentant de traverser les autoroutes de la région. 

Depuis le coming out du président, nos trois muses sont orphelines, elles ne peuplent plus nos conversations. Nous en tiennent-elles rigueur ? Impossible de le savoir.  

Tous les journaux sont de gauche à São Paulo

Grâce à Vinicius, j’ai ouvert les yeux sur une nouvelle dimension de l’amour, celui qui peut exister entre deux hommes ou deux femmes. Le vrai amour, pas le sexe. Sous mes yeux, Vinicius et Eduardo sont unis par un lien tendre et solidaire. Un amour noble qui n’a pas besoin de caresses ni de baisers en public. Les choses vraies n’ont pas besoin de sauter aux yeux, elles existent tout simplement.  

Si Vinicius vit l’amour, Manoel lui s’engouffre dans la luxure ou plutôt dans la recherche de la luxure. Veuf et sans enfants, il s’est découvert une passion pour les jeunes filles qui travaillent dans les magasins de fringue des alentours. Une passion ou plutôt une maladie compulsive. Manoel est capable de vous planter au beau milieu d’une conversation pour courir après un joli minois qui vient de descendre du bus. Plus elles sont jeunes (j’ose croire qu’elles ont plus de 18 ans) et sans le sou, plus elles ont de chance de l’intéresser.

Aux dernières nouvelles, Manoel est enfermé chez lui de peur de se faire casser la gueule par un mari jaloux. Le calvaire dure depuis une semaine. Le mari cocu passe ses journées devant l’immeuble de notre ami, adossé à sa voiture tout en jouant à Candy Crush. Wilson, le casque bleu de l’équipe, a entamé les négociations avec le jeune homme. Il paraît que l’affaire peut se régler par le versement de mille dollars cash et la livraison de denrées alimentaires à une ONG caritative. Encore un miracle réalisé par la société civile… 

La vie continue. Nous parlons politique à défaut de parler de femmes. Nous nous passons le journal de mains en mains. Tous les journaux sont de gauche à São Paulo, absolument tous. Nous nous infligeons cette lecture quotidienne pour nous moquer des états d’âmes des journalistes qui ont décrété en chœur que le Brésil était devenu une dictature fasciste, machiste, raciste et homophobe. Vinicius, avec son physique de Cary Grant, lit l’édito à voix haute et fronce les sourcils à chaque fois que son héros, Bolsonaro, est mis en cause. Autant dire qu’il s’arrête à chaque paragraphe pour maudire la mère du rédacteur en chef.  

Até amanhã, à demain

Lorsque mon père m’avait rendu visite en 2013, il avait noté tous les serveurs étaient de couleur alors que les clients avaient la peau claire. Pour qui vit ici, ce genre de choses est imperceptible. On s’habitue à payer un euro le café et trois euros le jus d’orange alors que le garçon qui vous sert émarge à 250 euros. Vivre dans un pays émergent nécessite de se blinder, de s’emmurer derrière le déni car autrement on ne sort plus de chez soi de peur de participer d’une économie qui ne tourne pas rond. Nous sommes désensibilisés pour notre propre bien : comment maintenir la paix civile si le garçon se rend compte que la retraite versée à Manoel frise les 6000 euros net ?  Je ne sais plus si le mot juste est désensibilisé ou bien abruti

Manoel, Vinicius, Wilson et moi sommes tellement blindés que nous ne remarquons même plus que nous n’avons plus d’amis « progressistes ». Nous avons coupé les ponts avec tous ceux qui ne pensent pas comme nous. Eux aussi, je dois dire. Gilberto, le syndic de mon immeuble, un jeune avocat de gauche tendance écolo, ne m’adresse plus la parole depuis le jour où j’ai signalé à la mairie la disparition de l’arbre qui embellissait l’entrée de l’immeuble. Arrivé sur les lieux, les services municipaux ont constaté que l’arbre, un spécimen d’Ypê de deux mètres de haut, a été arraché en pleine nuit par le concierge. Ordre du syndic Gilberto qui, sur les réseaux sociaux, est un fervent défenseur de l’Amazonie et de la biodiversité.

Il est déjà 09h, je dois y aller, il faut travailler. Je quitte Palermo avec une pensée pour Manoel, otage de son désir ; pour Vinicius, l’athlète olympique qui nage en plein bonheur conjugal et Wilson, le roi du jus d’orange. Je passe en caisse et fais semblant de ne pas apercevoir Gilberto, le syndic, qui prend son café et m’ignore superbement. Bientôt, je serai devant mon ordinateur et penserai déjà à demain et au rituel qui m’attend. Je suis certain que Gilberto ressent la même chose. Chacun dans sa bulle, chacun avec les siens.

(Des noms de personnes ou de lieux ont été changés)  

Gradins: conformisme et bienséance exigés par la Ligue de football

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Des voix s’élèvent et s’indignent! Les propos entendus en tribunes des matches de football, certes peu amènes, sont injustement et immédiatement taxés d’ « homophobie » par les organisateurs, les politiques et les médias.


On parle d’interdire certains mots dans les stades de foot, au motif qu’ils feraient allusion à des pratiques que l’orthodoxie sexuelle réprouve. Mardi 20 août, un grand quotidien sportif faisait état du combat acharné que mènent des associations de lutte contre les discriminations, en collaboration avec la Ligue de Football Professionnel, pour éradiquer des arènes toute grossièreté de ce genre. Depuis la reprise des championnats début août, deux matches ont été interrompus en raison des chants peu amènes à l’égard des minorités sexuelles qu’auraient entonné des spectateurs pourtant réputés pour leur coquetterie. Roxana Maracineanu, Ministre des sports, Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat aux Affaires subabdominales et même le Président ont trouvé mot à dire, il faut interdire. Homophobie toujours, quelques miettes de plus dans la cage aux folles.

La ligue, la ligue, on…

On aurait, en fait, proposé à la Ligue une sodomie. L’homme de la rue apprend ainsi dans cette affaire que le supporter aime à copuler avec des institutions, et que celles-ci sont parfois gay. Les censeurs sont de toute évidence du genre algorithmique: ils répondent au signal plutôt qu’à l’ensemble, au mot pris indépendamment de son contexte. Ils travaillent comme les robots régulateurs d’internet, programmés pour réagir aux termes d’une arborescence dont la racine est « homophobie ». Entendent-ils un mot qui ait quelque trait à l’uranisme qu’il leur prend aussitôt le désir de faire taire. Leur bêtise prend donc la forme d’inventaires, et les voilà qui prépareraient déjà la liste des mots à proscrire.

A lire aussi, Jean-François Derec: « Enculé » est-il une insulte homophobe?

Bien inspiré, un type écrit en substance ce commentaire sur le forum web du susdit quotidien : Interdisez des mots, ils en inventeront d’autres. Bien vu bonhomme, comme quoi la sagesse trouve à se nicher partout. Pasolini déplorait l’uniformisation du langage sous l’effet du développement du nouveau régime industriel bourgeois et de la culture de masse, et la disparition des dialectes luxuriants des ragazzi des rues. Dans les Ecrits corsaires : « […] la fausse expressivité du slogan constitue le nec plus ultra de la nouvelle langue technique qui remplace le discours humaniste. Elle symbolise la vie linguistique du futur, c’est-à-dire d’un monde inexpressif, sans particularismes ni diversités de cultures, un monde parfaitement normalisé et acculturé […] un monde de mort. » Et plus loin la « fossilisation du langage » qui fait parler les étudiants comme des livres, et perdre aux enfants du peuple « toute inventivité argotique ».

Bienséance en milieu spectaculaire

Il n’est pas certain que les slogans des ultras, tout empreints comme tout un chacun de culture de masse, soient identifiables aux expressions fleuries des gamins des périphéries pasoliniennes. L’adoption d’une liste des termes contraires à la bienséance en milieu spectaculaire pourrait toutefois constituer leur chance et la nôtre. 

A lire aussi, David Desgouilles: Ligue 1: quels chants homophobes?

Gageons qu’ils inventeront en effet d’autres mots, un nouvel argot pour parer à l’hygiénisme de ces voyous qui voudraient assainir et policer le langage. Sans le savoir, par leur manie prohibitive, les censeurs de la Haute autorité des festivités correctes pourraient réveiller une puissance créative longtemps engoncée dans le conformisme du temps. Souhaitons que promptement tombe la liste.

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Jean-Pierre Marielle, le bonheur au coin de la rue

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Thomas Morales consacre une série d’été à l’immense Jean-Pierre Marielle (1932-2019), récemment disparu (8/8).


Marielle était l’acteur du doute et du remariage, y-aurait-il une vie après cette verdeur furibonde ? Il s’accrochait pourtant à mesure qu’il vieillissait. Il restait dans la course. C’était à la fois foireux et d’une banalité somptueuse. Le quadra des années 70 était lui aussi à la lisière de son destin, à la bascule des temps. « Quand le vin est tiré, il faut le boire », c’est ce que nous enseignait le Marquis de Pontcallec en ce dimanche des Rameaux de 1719. Marielle tente de retenir maladroitement cette jeunesse qui s’échappe, qui se fait la malle. Encore un peu de plaisir, Monseigneur, implore-t-il, encore un peu de mignonnerie et de langueurs. L’homme des années 70 n’était pas rassasié de cet éden mirifique, il voulait encore des victuailles et des cons ruisselants.

Austérité connaît pas

C’était un indécrottable plaisantin et libertin, l’austérité était un mot qu’il ignorait, un mot de politiciens et de dialecticiens. Une éraflure sur une carrosserie étincelante. Son appétit ne connaissait pas de limite. Il voulait jouir, encore une minute Monsieur le bourreau, s’il vous plaît. Marielle était cet intrépide détrousseur de dot et dépuceleur émérite, qui est convaincu que les temps funestes voileront bientôt l’horizon, alors jouissons, trinquons et égarons-nous dans la moiteur d’une touffe indisciplinée. Le stupre avait trouvé son bonimenteur extatique. Marielle nous était proche et cependant inqualifiable. Il n’avait pas la raideur d’un Rochefort, la bure d’un Lonsdale, la martialité militaire d’un Cremer, son image populaire sans promiscuité honteuse, intriguait sans repousser. On était attiré par son statut et personne n’aurait souhaité rompre cette barrière entre l’artiste et le public.

Familier, pas hautain pour un écu, avec néanmoins cette distance qui s’imposait naturellement, nous n’avions pas envie de briser cette confiance. Il était l’ami de la famille, l’oncle breton qui fait valser les contingences matérielles, qui se moque du quand dira-t-on et qui laisse une trainée incohérente et indispensable à notre survie. Il semait de l’intelligence enjouée. Cet inadapté colérique comblait nos manques. Il était la lumière dans la nuit quand l’aigreur commence à prendre racine, quand la rancœur travestit l’humour, quand la vie s’effrite tout simplement.

Les monstres sacrés du Conservatoire

Cette amitié inventée avec lui, calmait nos irritations, nos blessures, il était le baume sur les malheurs du monde. Il les atténuait en surface et nous amenait à réfléchir autrement, à envisager les événements d’une façon désaxée. Il n’était pas dans les couloirs de la moralité. Il cabotait à la marge, dans les interstices, dans les méandres. Si nous nous sentions si proches de lui, c’était aussi par son sens de la camaraderie. Chevaliers du Palais-Royal, tous les copains du Conservatoire formaient une famille d’adoption, celle qui vous poursuit jusqu’au linceul. L’amitié était sacrée chez lui, nous étions jaloux de leurs pudeurs respectives. Tous ces monstres aujourd’hui sanctifiés, ces acteurs tutélaires, avaient été des étudiants inconscients, inconsistants, fauchés, juste animés par le désir farouche de monter sur scène, d’embraser ce métier si difficile et ingrat. La Nouvelle vague se permit même le luxe suprême et décadent de se passer de ses services. Le croyez-vous ? C’était, selon lui, une histoire de rencontres, des comédiens plus roublards ou inspirés que d’autres arrivent à saisir les coupe-files, à court-circuiter les lenteurs d’une profession hasardeuse. Dans les années 60, il avait été magistralement ignoré par des binoclards inquisiteurs, qui auraient dû essuyer leurs verres correcteurs. Comment purent-ils ignorer cet acteur plus que prometteur, diabolique et magnétique ?

Entre le nanar et la comédie à grosses claques

Par la suite, il se rattrapa avec le souci de toujours gagner sa vie convenablement. Les artistes qui ont le sens du garde-manger nous sont plus accessibles ; moins hermétiques. Eux aussi, doivent payer leur loyer et leur facture d’électricité, nous sommes moins seuls à la fin du mois. Alors Marielle a navigué entre le nanar et la comédie à grosses claques, il s’est frayé un chemin chaotique, ne refusant aucun rôle. Aujourd’hui, la plus infâme de ses potacheries est surévaluée par sa présence homérique. Il vous transcende un navet en un spectacle d’art et essai, en une pyrotechnie mirobolante. Oui, on aura tout vu ! Il croisait en échappement libre sur le cinéma français depuis soixante ans. Qu’allons-nous devenir ? Par sa subtilité et sa fougue, il réussissait à enluminer l’insipidité, à repousser les infamies. Parce qu’il était inclassable et inaltérable, on le suivait n’importe où, à la pointe du Finistère ou dans le Marais Poitevin, à Honfleur ou en Afrique-Occidentale-Française.

Il vampirisait la connerie

Nous ne prenions rien au sérieux et ses interprétations nous traçaient la voie caillouteuse de la rédemption. Dans ma province alanguie, parfois agaçante et cadenassée, il était la clé de toutes mes agonies. Je savais qu’à chaque fois que je sentirais mes forces s’amenuiser, mon entrain s’embourber dans la mélasse du monde connecté, Marielle, mon sauveur, serait là. Il vampirisait la connerie, il annihilait les douleurs intimes, par une pirouette, il ferait miroiter une bêtise, désacraliserait les puissants, nous distillerait un peu d’espoir. Et ça, quand on vient de franchir le seuil de la quarantaine, c’est un bien inestimable.

Aujourd’hui, j’entends son timbre sonner, sa munificence s’étaler sur mon lecteur de DVD et je suis un homme heureux.


Jean-Pierre Marielle brouille les cartes (7/8)

Jean-Pierre Marielle héros des Trente glorieuses (6/8)

Jean-Pierre Marielle, l’altruiste du 5 à 7 (5/8)

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Jean-Pierre Marielle, le swing du VRP (1/8)

Isabelle Saporta: « J’ai un vrai problème avec la disneylandisation de Paris »

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Isabelle Saporta ©Philip Conrad / Photo12 / AFP

Isabelle Saporta se présente avec Gaspard Gantzer comme l’alternative face au duel annoncé entre Anne Hidalgo et Benjamin Griveaux. L’ancienne journaliste revient sur son parcours et nous expose son programme axé sur l’écologie. Elle voit en Gaspard Gantzer une « troisième voie » pour la mairie de Paris, pas moins.


Martin Pimentel. Face à Anne Hidalgo, Benjamin Griveaux et probablement Rachida Dati et Cédric Villani, est-ce que Gaspard Gantzer a des chances de l’emporter à Paris ?

Isabelle Saporta. Oui, j’y crois vraiment. Je me lance dans une bataille car j’ai envie de la gagner, et je veux y mettre toutes mes forces. Si on se lance dans la bataille en pensant qu’on va la perdre, ce n’est même pas la peine d’y aller. Et, d’ailleurs, on ne va pas la gagner pour nous, on va la gagner pour les Parisiennes et les Parisiens, parce qu’on a un beau projet, enthousiasmant, et qu’on a envie de changer leur vie. Au début c’est toujours comme ça, on a l’impression qu’il y a des pôles un peu dominants qui se partagent l’affiche, mais je pense qu’à la fin, ce sont les idées qui vont gagner, celles de personnalités qui seront un peu en rupture avec le monde politique traditionnel.

Il y a un moment où on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, où l’on décide de s’en saisir soi-même. Je vais essayer

Peu avant les élections européennes, où Europe Ecologie Les Verts (EELV) a fait un joli score, vous avez annoncé être en couple avec Yannick Jadot. S’ensuit la polémique que l’on connaît. Après un été où vous avez été assez discrets, voilà que vous avez annoncé au mois d’août que vous alliez seconder Gaspard Gantzer pour la mairie de Paris. Les coups d’éclat, ça semble être votre truc. Est-ce que Yannick Jadot vous encourage dans cette démarche auprès de M. Gantzer ?

Non, je n’aime pas les coups d’éclat ! Mais, je reconnais avoir une personnalité un peu volcanique. Je me suis effectivement affichée avec mon compagnon le soir de cette victoire parce que j’étais très fière de lui, et que c’est une campagne où on s’est beaucoup battu tous les deux. J’étais très fière d’être là.

Mais cette campagne pour Paris est toute autre : c’est une campagne municipale, de proximité, et c’est pour moi mes premiers pas en politique. Gaspard Gantzer est venu me voir dès la fin du mois de juin et m’a proposé cette idée de tandem. J’avoue que je n’étais pas du tout préparée, même s’il m’a rappelé que je voulais rentrer en politique lorsque j’ai quitté RTL, et qu’il m’en offrait la possibilité. Je n’ai pas répondu « oui » tout de suite. J’ai voulu réfléchir. J’ai posé des milliards de questions à Gaspard Gantzer, pour savoir jusqu’où il était prêt à aller sur les cantines, la vie au quotidien, la végétalisation de la ville, la lutte contre la canicule, bref surtout les projets écologiques. Quand j’ai été sûre que l’on parlait la même langue, j’ai eu envie d’y aller.

Bon, mais avec Yannick Jadot des Verts [qui vont présenter un autre candidat NDLR], y a-t-il eu des discussions compliquées ?

Vous savez comment ça se passe dans un couple ! Au début, il n’était pas forcément enchanté par cette perspective, mais il l’est maintenant car il est fier de moi, et, effectivement, j’avais besoin de cet engagement politique, qui ne pouvait pas se faire ailleurs que là. Il est à mes côtés.

Vous dites dans l’Opinon qu’Anne Hidalgo est comptable de la gestion de la ville depuis 20 ans. De votre côté, vous revendiquez une « parole libre » et donc votre fibre écolo. Vous avez fait Sciences Po Paris mais vous êtes « une bleue » en politique. De son côté, Gaspard Gantzer n’a jamais été élu non plus, même si Emmanuel Macron avait essayé de le parachuter pour les législatives, auxquelles il avait renoncé. Tout ceci étant rappelé, est-ce que ce n’est pas un peu prétentieux de vous présenter d’ores et déjà comme la « troisième voie » ?

Isabelle Saporta. Prétentieux ou ambitieux ? C’est très différent. Je pense que c’est très ambitieux. On a une ambition folle pour les Parisiennes et les Parisiens: cette ambition, c’est de changer notre façon de vivre au quotidien. Je rappelle qu’au fond Gaspard Gantzer a toujours fait de la politique, car il a été au plus près de Delanoë pendant 5 ans. De mon côté, j’ai pour ma part commencé à écrire mes livres et faire mes enquêtes il y a presque 20 ans maintenant. J’ai écrit des enquêtes de terrain qui étaient très politiques, parce qu’elles aspiraient à changer les choses. La question, c’est avant tout: est-ce qu’il y a un moment où comme moi on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, ou est-ce qu’on décide de s’en saisir soi-même ? Je vais essayer. Je ne vous dis pas que je réussirai tout, mais au moins je vais essayer.

Vous quittez là vos sujets de prédilection, l’agriculture, le vin et la ruralité, pour vous lancer dans la capitale. Mais vous n’abandonnez pas votre fibre écolo. Actuellement, concernant le problème des retombées de plomb autour de Notre-Dame, est-ce que vous estimez que les autorités ont été défaillantes ?

Parfaitement défaillantes. Cela me touche particulièrement que vous abordiez ce sujet, car je pense que c’est ce scandale qui a achevé de me décider à rentrer en politique cet été. J’ai eu l’impression de revivre tout ce que j’ai déjà vécu sur les pesticides, le nucléaire, et plus largement sur toutes les questions où c’est à chaque fois la même histoire : les autorités se renvoient la balle. Là, on est le 2 septembre et Anne Hidalgo a fait un message très touchant pour souhaiter la bonne rentrée à tout le monde, mais pas un mot sur l’angoisse des parents. Rien, elle se planque, il n’y a pas d’autres termes. M. Blanquer, pareil: « Je crois que la mairie a fait ce qu’il faut, l’agence régionale de santé aussi ». L’agence régionale de santé a dit qu’elle pensait avoir fait tout ce qu’il fallait, mais qu’elle n’en était pas tout à fait certaine ; la préfecture, pareil. Le ministre de la Culture a été alerté neuf fois sur les dangers du plomb, mais rien. On est là avec des autorités qui ne font pas face et qui ne prennent pas leurs responsabilités. Il n’y aurait pas eu la chercheuse Annie Thébaud-Mony pour dénoncer ce problème, il n’y aurait pas eu les « Robin des Bois », il n’y aurait pas eu Mediapart, on n’en aurait pas entendu parler, et on aurait dit que tout allait très bien. Comme tout allait très bien avec le nuage de Tchernobyl. Je suis vraiment très en colère.

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie

Vous êtes du quartier ? Où résidez-vous dans Paris ?

Non, je vis dans le XIVème, j’y suis née, et j’ai peur pour mes enfants, mais ce n’est pas que moi : tous les Parisiens sont concernés. En tant que mère de famille, je suis chamboulée par cette affaire.

Comment Gaspard Gantzer compte-t-il s’y prendre pour recouvrir le périphérique?

Non, on ne veut pas le recouvrir ! Ne serait-ce que parce qu’il y a des endroits où il est en hauteur. On veut carrément « le foutre en l’air », même si le terme est grossier. On veut le faire disparaître, sous des végétaux notamment. Il fait trente-cinq kilomètres, soit un arrondissement entier qu’on pourrait récupérer pour faire des espaces verts (quarante hectares), et pourquoi pas des maraîchages, des cultures bios, et aussi des logements sociaux, des habitations, des bureaux, des boutiques… Il faut faire vivre ce périphérique.

Mais, alors, comment va-t-on rentrer dans Paris ?

On ne va pas le faire en deux jours, mais en quinze ans. Nous organiserons un referendum ouvert sur Paris et tout le Grand Paris. Il faudra bien sûr beaucoup plus de transports publics que nous n’en avons à présent. Mais il faudra aussi réfléchir à cette rocade de l’A86, repenser nos transports. J’entends ce que vous dites sur le fait que c’est compliqué. Mais la question que je vous pose, c’est: est-ce que l’on continue à n’avoir aucune ambition pour Paris, comme on n’en a aucune pour la France, avec des gens qui sont capables de nous faire des projets à six mois près, ou est-ce qu’on a des gens qui rêvent en grand et veulent faire des projets qui changent radicalement notre manière de vivre dans les années qui viennent ? Je préfère avoir un peu, – enfin, beaucoup -, d’ambition.

On veut tendre la main au Grand Paris, à la banlieue parisienne, car on est tous Parisiens. L’idée, c’est d’abattre le mur. J’ai envie de rêver en grand.

La candidature de M. Gantzer est-elle une candidature de gauche ?

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie. Soit on est capable de repenser nos transports publics, notre alimentation, notre industrie et nos commerces par ce prisme écologique, soit pas. La question est celle-là. Si j’avais une personnalité de droite aussi écolo que Jean-Louis Borloo avec qui discuter, lui qui a lancé le Grenelle sur l’environnement en 2007 et qui a essayé de transformer la France, je n’aurais pas hésité non plus, c’est évident.

Anne Hidalgo veut en permanence augmenter le nombre de millions de touristes qui rentrent à Paris. J’ai vu que, dernièrement, Gaspard Gantzer pestait contre le tourisme de masse à Paris. Comment comptez-vous limiter l’afflux touristique ? Et qu’est-ce que vous pensez tous les deux d’Airbnb ?

Gaspard Gantzer a pris des positions très fortes. Concernant Airbnb, que des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts veuillent profiter d’un mois d’été pour sous-louer leurs appartements, ça peut être compréhensible. Mais dans ce cas ce n’est pas 120 jours, c’est 30 maximum. Avec Airbnb on assiste à un dévoiement au fond, de ces loyers trop chers. Airbnb fonctionne car on ne peut plus payer son appartement.

Moi, j’ai aussi un vrai problème avec la « disneylandisation » de Paris. On a vu avec la grande enquête sur les prix de l’immobilier que ne peuvent se payer des appartements à Paris seulement les gens qui ont des résidences secondaires qui ne sont en fait que des placements de luxe, où, de surcroît, ils ne mettent pas les pieds. On voit des quartiers entiers qui se vident de leur population. Il manque 1500 élèves dans les écoles parisiennes ! 12000 personnes quittent Paris chaque année. Les classes vont fermer comme dans les villages de France car on a décidé de faire de la capitale soit un Disneyland de luxe pour des personnalités qui peuvent se payer des appartements hors de prix, soit un Disneyland un peu cheap pour les multitudes de cars qui s’amassent dans Paris. Luxe d’un côté. Massification de l’autre. Ces cars créent une pollution énorme, et les gens ne visitent pas vraiment, ne s’arrêtent pas, un peu comme à Venise avec ses bateaux-immeubles. Paris ne peut pas être ça ! Je trouve ça dramatique.

Contrairement à Anne Hidalgo, ma priorité, c’est le quotidien des Parisiennes et des Parisiens, pas le tourisme. Pourquoi ne fait-on rien pour réfléchir à quelque chose qui sorte des sentiers battus du tourisme ?

Il y a effectivement des salariés pour qui c’est impossible de travailler à Paris et d’y vivre ; est-ce que M. Gantzer a quelque chose à leur dire ?

Il va falloir qu’on revoie toute notre politique, à commencer par la création de logements. Les familles ne peuvent plus rester à Paris, la ville doit donc contribuer à aider les gens qui veulent acheter. On va faire en sorte que la ville prête à taux zéro à tous les acheteurs potentiels qui sont dans les classes moyennes. On a un vrai problème à Paris : il y a 19000 logements pour les étudiants alors qu’il y en a plus de 300.000. Il y a un déficit colossal de logements sociaux. Or, vu ce qu’on gagne, plus des deux tiers des Parisiens pourraient y prétendre. Donc, il va falloir construire, on ne va pas se mentir. 12000 personnes quittent la capitale chaque année, ça ne peut pas continuer ainsi.

Que propose M. Gantzer sur les aspects sécuritaires? Des Parisiens sont ulcérés au nord de Paris, dans des quartiers proches du périphérique avec les problèmes de drogue, la « colline » du crack ou les migrants que l’on y rencontre. Il y a des habitants qui pensent que le quartier de La Chapelle n’est plus vivable. Qu’est-ce que propose votre programme ?

Avec Gaspard Gantzer, nous avons toujours défendu une police municipale à Paris. Nous n’avons pas découvert tout d’un coup de façon électoraliste que la question sécuritaire était importante, suivez mon regard…

Il va falloir qu’il y ait plus de présence policière dans ces quartiers, car il n’est pas pensable qu’une femme seule n’ose plus s’y promener la nuit. Il va falloir aussi traiter les problèmes de crack, du point de vue sanitaire comme sécuritaire. Chaque personne doit être suivie de façon sanitaire pour sortir de son addiction. Cela veut dire investir beaucoup de moyens, c’est évident. Il en faudra dans les métros aussi, en trouvant des accords avec la RATP, parce que cette ubérisation permanente de la société n’est plus possible. Il y a une semaine, à 9h du matin, à Réaumur-Sébastopol, j’ai failli me faire piquer mon portable: je me suis presque faite agresser par deux hommes ! Il n’y a jamais personne dans les métros, ni dehors la nuit, les gens « ont la trouille », ce n’est plus tenable.

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Causeur “censuré” par les GAFA

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Photo: Jenny Kane/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22367386_000003

Ah les “gentils” GAFA ! 

Leurs algorithmes, leurs modérateurs, la foultitude de rusées interfaces qu’ils s’emploient chaque jour à développer pour trouver de quoi gagner leur modeste croûte sur le dos des utilisateurs captifs. Sans oublier, bien sûr…  leur goût quasi-maniaque pour la censure. Hier, c’est Causeur qui en a fait les frais. Une première? Même pas

La rédaction – l’armée de graphistes qu’elle emploie, surtout –  aurait dû se montrer plus prudente pour septembre. Cela sera-t-il la “Une” tapageuse de trop ? Celle reléguant votre magazine préféré dans le sinistre cimetière relativement étendu des titres de presse disparus?

Nous venions de “booster” notre dernière publication sur le « F » de GAFA – Facebook, pour les intimes – la publication? un innocent concours visant à signaler aux amis du journal qu’un nouveau magazine était parvenu à sortir de l’imprimerie pour la rentrée, contre toute attente. Malgré un bouclage pénible qui avait lui-même été précédé du retour en catastrophe de collaborateurs partis aux quatre coins du monde dépenser les économies d’une année de dur labeur… 

Le drame donc. Le méchant coup du sort : “Diffusion impossible. Créez une publication avec les images mises à jour”. Après notre étonnement, et après avoir épuisé tous les recours envisageables auprès des équipes informatiques sur le pont, ce message d’explication : “Votre publicité n’est pas diffusée car elle comprend une image montrant des corps trop dénudés ou complètement nus (y compris schémas médicaux représentant les organes externes de reproduction, des seins ou des fesses).”

Ici personne n’avait pourtant été émoustillé par Homo Sapiens et ses amis. Quant aux “organes externes de reproduction”, on les cherche toujours sur notre dessin. Alors? Algorithme et censeurs de Facebook, Elisabeth Lévy : c’est pas Larry Flynt !

La dernière Une de Causeur déplait à Facebook
La dernière Une de Causeur déplait à Facebook.

Climatoscepticisme: « J’estime qu’il est normal que des gens qui sont sceptiques nous posent des questions »

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Jean Jouzel lors de l'inauguration du 13e forum sur la météo et le climat à l'Hotel de Ville à Paris, le 26 mai 2016. ISAHARSIN/SIPA/1605280213

Faut-il présenter Jean Jouzel ? Climatologue et glaciologue auréolé de prix, voilà trente ans qu’il alerte le monde sur le réchauffement climatique. Passionné et courtois, le scientifique a eu l’amabilité de répondre à mes questions. Selon lui, ce sont les pays qui feront une transition vers une société
sobre en carbone qui réussiront économiquement


Alexis Brunet : Monsieur Jouzel, la forêt a brûlé en Sibérie, elle brûle encore en Amazonie et en Afrique. Est-ce que cela vous soulève le cœur ? 

Jean Jouzel : [Après un bref instant d’hésitation] Oui. Les incendies en Sibérie ont été très marquants. Posée de cette façon là, il y a deux façons de réagir à cette question. En tant que citoyen, je suis très attaché à la nature et cela me marque, me soulève le cœur comme vous dites. En tant que climatologue, je pense qu’il faut souligner que certains de ces feux sont d’une certaine façon utiles. Les brûlis peuvent avoir une utilité dans certaines régions.

Il faut toujours être prudent, mais on voit bien qu’il y a une part de ces incendies dont l’objectif est clairement de déforester pour placer de l’agriculture, ce qui est encouragé d’une certaine façon par Bolsorano. Même si la déforestation n’est pas la première composante des émissions de gaz à effets de serre, ses conséquences sont loin d’être négligeables.

Il faut aussi se poser la question de savoir quelle est la part des feux d’origine naturelle, liés à des orages principalement. En Sibérie c’est un peu le cas. Mais il y a aussi des feux intentionnels, au Brésil en particulier. Dans le cas de ces feux, on vise ensuite à faire de l’agriculture, du soja dont une partie serait utilisée chez nous. A chaque fois que ça brûle, il y a des émissions de gaz carbonique. Les émissions des incendies qui ont sévi en Sibérie depuis le début de l’année correspondraient environ aux émissions de la France chaque année. Quand on fera le bilan des feux en Amazonie à la fin de l’année, ça risque probablement d’être du même ordre. C’est donc loin d’être négligeable. Ces feux influent sur les climats locaux et aussi à l’échelle planétaire. Je veux bien reconnaître la souveraineté d’un pays sur sa forêt mais quand on déforeste, ce sont tous les pays de la planète qui sont concernés. C’est loin d’être neutre. Je pense que la souveraineté demande réflexion à partir du moment où des actions qu’on laisse conduire voire qu’on encourage dans son pays, ont des conséquences planétaires. Dans la mesure où elles influent sur le climat mondial, c’est quand même normal que toutes ces discussions et même une certaine intrusion aient lieu en Amazonie. 

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Pour qu’on comprenne bien, si demain la moitié de l’Amazonie du Brésil disparaissait, quelles seraient les conséquences sur le reste de la planète ? 

Ça accélérerait le réchauffement climatique de façon quand même importante. Actuellement, la déforestation compte entre 10% et 15% des émissions de CO2 selon les années. Concernant les émissions de gaz à effets de serre, pratiquement 80% sont liées au gaz carbonique. Dans ces 80%, environ 80% sont liés à notre utilisation des combustibles fossiles. La part de la déforestation au Brésil s’était décélérée sous Lula. Là avec Bolsonaro, il y a clairement une influence politique et une stratégie qui fait qu’elle augmente à nouveau. Il faut toujours être prudent, mais on voit bien qu’il y a une part de ces incendies dont l’objectif est clairement de déforester pour placer de l’agriculture, ce qui est encouragé d’une certaine façon par Bolsorano. Même si la déforestation n’est pas la première composante des émissions de gaz à effet de serre, ses conséquences sont loin d’être négligeables.

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Concernant les émissions de gaz à effets de serre justement, vous dites que les émissions de CO2 sont largement responsables du réchauffement climatique, mais il y a quand même des scientifiques comme le physicien François Gervais, le chimiste Jean-Claude Bernier et le physicien Pierre Darriulat qui ont signé une tribune l’année dernière estimant que le réchauffement climatique a ralenti depuis 20 ans, et ceci malgré le triplement des émissions de CO2 ces cinquante dernières années. Qu’est-ce que vous leur répondriez ? 

Je leur réponds qu’au contraire, le réchauffement climatique actuel est celui que nous anticipions dans les premières projections des rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il ne faut pas regarder année après année, mais décennie après décennie. De façon très claire, la décennie qui va se terminer rapidement maintenant va être la plus chaude. Depuis cinq ou six décennies maintenant, chaque décennie est plus chaude que la précédente. De plus, les cinq dernières années ont été les plus chaudes que nous ayons connues depuis 150 ans. 2019 le sera également. Surtout, le point important pour moi, c’est que dans l’augmentation du chauffage qui est due à l’effet de serre, il n’y a que 1% de l’énergie supplémentaire qui est utilisée par l’atmosphère. 93% de cette énergie vont dans l’océan. Le meilleur test de la réalité du réchauffement climatique, c’est de regarder dans l’océan. Là, l’élévation du niveau de la mer est vraiment un indicateur extrêmement clair de la réalité du réchauffement climatique. Cette élévation du niveau de la mer est d’environ 3 millimètres chaque année. Un tiers de cette élévation est lié à la dilatation de l’océan : l’océan se réchauffe et se dilate. Environ les deux tiers sont liés à la fonte des glaces, à la fonte des glaciers continentaux et des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland.

Ce sont les pays qui feront une transition vers une société sobre en carbone qui réussiront économiquement 

On a quand même l’impression qu’il n’y a pas vraiment de consensus scientifique sur ce sujet…

Si, il y a consensus. Sur les chiffres de l’élévation du niveau de la mer, je ne pense pas que les personnes que vous m’avez citées les contestent. Dans cette élévation du niveau de la mer, on a une double indication du réchauffement climatique : le réchauffement de l’océan et la fonte des glaces. Ce que je veux dire de façon très claire, c’est que quand on regarde l’évolution du climat telle qu’on l’avait envisagée il y a une trentaine d’années, ce que l’on vit aujourd’hui est vraiment ce qui était anticipé. D’une part, sur le rythme du réchauffement climatique, de l’ordre d’entre un et deux dixièmes de degrés par décennies. Et aussi, par la perception de certains événements climatiques, par exemple les vagues de chaleurs.  Les climats que l’on vit aujourd’hui étaient déjà projetés il y a trente ans. Il faut donc prendre ces projections au sérieux. Concernant la banquise, elle diminue depuis 50 ans même si elle a augmenté pendant un certain temps autour de l’Antarctique. Là, elle diminue à nouveau de façon très claire. Il suffit de regarder les données publiées par le National Snow and Ice Data Center, par exemple, sur lesquelles tout le monde s’appuie. Il suffit d’aller voir sur leur site. Ces données existent, elles sont accessibles pour tout le monde, tout le monde peut voir comment elles ont été obtenues, on ne peut pas les manipuler. Et il faut regarder non année par année mais à l’échelle des décennies.

Il y a un point sur lequel tout le monde semble d’accord, c’est qu’il faut pérenniser les énergies fossiles pour les générations à venir. Mais selon une étude du Manhattan Institute qui vient de sortir, il sera impossible de se passer des énergies fossiles d’ici 2050. Que faudrait-il faire concrètement pour changer cela, selon vous ? 

Je ne connais pas spécifiquement cette étude mais on voit bien la difficulté de le faire, c’est très clair. Cette affirmation ne me choque pas. Le dernier rapport du GIEC dit que ce sera difficile même si les énergies renouvelables se développaient. Il faut préciser quand même que l’électricité ne représente que 20 à 30% de l’énergie. Les énergies renouvelables pourraient subvenir à la moitié des énergies planétaires à horizon 2050 et certains pays tablent aussi sur le nucléaire. Mais pour atteindre les objectifs fixés pour 2050, il faudrait changer complètement de mode de développement, ce qui est toute la difficulté. On peut donc aussi envisager d’utiliser le minimum de combustibles fossiles et de piéger le CO2 à la sortie. Concernant la France, la loi sur la neutralité carbone pour l’horizon 2050 est tout à fait ambitieuse. Le CO2 représente entre trois quarts et 80% des émissions. Mais une partie des gaz à effet de serre résulte également du méthane, du protoxyde d’azote, dont une partie résulte de la production agricole ou de l’alimentation au sens large. Donc même si on éliminait complètement l’utilisation d’énergies fossiles ou qu’on l’utilisait avec piégeage et stockage du CO2, la neutralité carbone devrait tenir compte de l’ensemble des gaz à effets de serre. Il y a en France des puits de CO2 qui représentent un peu moins de 10% des émissions. L’idée des scénarios en France est d’augmenter ces puits de carbone pour contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre liés aux combustibles fossiles, au méthane et au protoxyde d’azote. Ça c’est dans la loi. La réalité est qu’on est déjà en retard sur la feuille de route pluriannuelle de l’énergie. Il y aussi les questions liées à notre façon de se déplacer, de se nourrir, de se loger. Ça, c’est la vie de tous les jours.

À lire: « Négationnisme climatique », ça ne vous choque pas?

Justement, au delà des postures idéologiques de l’écologie, que certains voient même comme une nouvelle religion, n’est-ce pas à chacun de nous de prendre ses responsabilités et de changer ses habitudes ? 

Je pense que si on veut lutter contre le réchauffement climatique, qui est une des composantes de l’écologie, il faut s’intéresser à nos façons de nous déplacer, de nous loger, de nous nourrir. Cela représente quand même plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre en France. C’est vrai que chacun d’entre nous est concerné directement par ces émissions. Le premier rôle des Etats et des gouvernants, c’est d’être présent sur la scène internationale. Ça a quand même été le cas avec l’Accord de Paris, même s’il n’est pas suffisamment ambitieux. Emmanuel Macron a repris le flambeau d’une certaine façon et se sent porteur de l’Accord de Paris. C’est son rôle. Le deuxième rôle des Etats, c’est de fixer des objectifs pour son propre pays et de mettre en place des outils pour les respecter. C’est le cas de la loi pour la transition énergétique pour la croissance verte. Elle existe, elle est ambitieuse. Mon regret à ce sujet est d’ailleurs qu’il n’y ait pas vraiment d’équivalent pour la partie agricole. Regardons maintenant nos façons de se nourrir, de se loger et de se déplacer. Pour nos façons de se déplacer par exemple, et le fait de prendre les transports en communs, une responsabilité importante se situe à mon avis au niveau des régions. Il y a beaucoup de décisions qui se prennent à ce niveau en terme de mobilité et d’urbanisme. Les élus locaux et régionaux ont une importance à ce sujet, y compris dans les petites communes. Toujours concernant la mobilité, il faut des développements technologiques, il faut des entreprises, donc c’est aussi beaucoup d’activité économique. Les entreprises ont un rôle à jouer très important. L’éducation est très importante également. Je crois qu’à ce niveau ça s’améliore.

J’ai trois mots clés pour lutter contre le réchauffement climatique. Le premier, c’est l’efficacité énergétique dans tous les domaines. Par exemple, dans la loi sur la transition énergétique en France, il est inscrit que la France vise à diminuer par deux sa consommation d’énergie à l’horizon 2050. Derrière cet objectif, il y a aussi l’idée de ne pas nuire à l’activité économique. En gros, c’est quand même l’idée d’utiliser deux fois moins d’énergie pour assurer un développement attendu de la France. Le deuxième mot clé pour moi, c’est la sobriété. L’efficacité énergétique c’est faire la même chose en utilisant moins d’énergie, ce qui est très bien, mais la sobriété, c’est un peu faire attention à ce qu’on fait. S’il n’y a pas de sobriété des populations, s’il n’y a pas un regard de chacun d’entre nous sur ce qu’on fait, je ne crois pas qu’on y arrivera. Et il y aussi le troisième mot clé, les investissements. La transition énergétique est synonyme de dynamisme économique. La transition énergétique peut créer entre 600 000 et 900 000 emplois entre 2020 et 2050 en France. Au niveau français, il faudrait des investissements supplémentaires de l’ordre de 2% par an. Je crains qu’on ne réussisse pas vraiment la transition énergétique s’il n’y a pas d’investissements supplémentaires. Pourtant, je pense que ce sont les pays qui feront une transition vers une société sobre en carbone qui réussiront économiquement.

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Il y a des climatosceptiques parmi les lecteurs de Causeur. Qu’est-ce que vous auriez à leur dire ? 

Le scepticisme est tout à fait légitime.

Les résultats qu’ont met sur la table nous amènent à un profond changement de notre mode de développement. Si on accepte la réalité du réchauffement climatique dans sa continuité, on débouche sur la nécessité de l’importance d’un changement de mode de développement rapide et important. Ce sont des questions essentielles pour nos civilisations. J’estime qu’il est normal que des gens qui sont sceptiques nous posent des questions. Le scepticisme fait lui même partie de l’approche scientifique. Dans ces cas là, il faut regarder les arguments et les données, il faut prendre son temps. Le GIEC a pris beaucoup de temps avant d’établir ses constats. Mais c’est aussi un peu aux climatosceptiques de regarder les faits. A un moment, il a fallu que les gens arrêtent de dire que la Terre est plate. Il faut donc regarder la réalité. Reste qu’on a le droit de parler, la parole et la liberté d’expression sont extrêmement importantes.

Climatologue et membre de l’Académie des Sciences, Jean Jouzel vient de
publier Climats passés, climats futurs aux éditions du CNRS.

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Que les députés pro-PMA donnent leur sperme d’abord!

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Image: Pixabay

Les députés et personnalités en faveur de la PMA pour toutes devraient montrer l’exemple et passer à la banque du sperme!


Actuellement, les CECOS pratiquant des Inséminations Artificielles avec Donneur – qui font partie des Procréations Médicalement Assistées sans en être la seule pratique – manquent de donneurs de sperme bénévoles pour répondre aux nombreuses demandes de couples constitués d’une femme et d’un homme, ce dernier étant dans l’impossibilité de féconder son épouse ou compagne. L’ouverture d’une telle pratique, qui sera peut-être un droit dans la future loi en discussion – mais sans doute déjà virtuellement adoptée – va augmenter très sensiblement le nombre de demandes. D’où l’inquiétude d’un certain nombre de professionnels, et le questionnement de citoyens parmi lesquels l’auteur de ces lignes. Où trouvera-t-on la précieuse semence, devant être fournie bénévolement et gratuitement à toute femme qui en fera la demande ?

Puisque vous êtes favorables, apportez votre propre contribution

Or il existe un moyen très simple d’en fournir de grandes quantités. Les partisans de l’adoption d’une loi « PMA pour toutes » du sexe masculin sont très nombreux (députés, personnalités politiques, du spectacle, du monde intellectuel etc.). Sauf à être atteints eux-mêmes de stérilité, tous ces hommes ont la capacité de fournir sans trop se fatiguer de quoi alimenter les banques de sperme. Allons plus loin, si l’on en croit un sondage BVA publié le 23 juillet et cité par Orange, 65% des français seraient favorables à la « PMA pour toutes », avec une moyenne légèrement supérieure pour les femmes. Cela représente tout de même au bas mot dix millions d’hommes pouvant donner leur sperme. Sachant que, actuellement, le sperme d’un donneur peut être utilisé pour la fécondation de dix receveuses, cela fait un potentiel de cent millions de naissances. Aucun risque de pénurie !

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La campagne annoncée pour susciter des volontaires pourraient donc utiliser cet argument : « Puisque vous êtes favorable, apportez votre propre contribution ». Une telle campagne aurait une portée d’autant plus grande que les promoteurs affairés de la loi donneraient eux-mêmes le bon exemple. Messieurs Touraine, Mesnier, Chiche et autres sont attendus à la banque du sperme. Selon Médiapart qu’on dit toujours bien renseigné, ils n’hésitent pas à « faire du lobbying interne » auprès de leurs collègues de la majorité, afin de faire taire les voix dissonantes comme celle de Madame Agnès Thill.

Ah ! ça aurait de l’allure, un cortège de députés défilant pour apporter leur modeste contribution à la cause qu’ils défendent avec ferveur. Et ce serait encore plus fort si ces donateurs généreux et cohérents obtenaient de voir figurer, en tête de leur cohorte, celui qui a fait de cette loi une promesse de campagne présidentielle, comme ils le répètent à l’envie, ce qui est contesté. Une telle présence ne ferait d’ailleurs que renforcer la posture jupitérienne de leur chef, car le dieu gréco-romain ne s’était pas privé de féconder les déesses, nymphes ou autres mortelles.

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Malaises dans la filiation

Allez-y, messieurs ! Vivez la riche expérience de vous retrouver seul dans une pièce, au fond d’un laboratoire, avec un petit récipient en verre et une pile de revues suggestives, et la consigne de ne ressortir qu’après avoir déposé dans ledit récipient les quelques gouttes de liquide que votre corps aura facilement produit par une méthode ancestrale, largement utilisée bien qu’elle soit condamnée par certaines morales religieuses. Avant de sortir de la pièce, vous n’échapperez pas à une pensée : ce don minuscule va contribuer à faire naître un être humain, qui sera porteur de la moitié de votre code génétique. Cet humain, vous ne le connaîtrez pas, ni ne connaîtrez celle qui va le porter neuf mois et l’éduquer seule ou avec sa compagne. Mais lui pourra vous connaître, quelques dix huit ans plus tard ; il ou elle pourra venir tirer votre sonnette et vous dire ceci : « pendant toute mon enfance, je me suis posé une question obsédante : qui est mon père ? Maintenant, j’ai la réponse : c’est toi, et je te demande, ou exige, que tu assumes cette paternité ». Peut-être cela n’arrivera pas car les filles et garçons nés des suites de votre don n’en éprouveront pas le besoin, mais vous vivrez avec cette possibilité pendue au-dessus de votre tête. Et si vous en avez, vos enfants aussi. Ajoutons que la probabilité pour qu’elle devienne réalité sera d’autant plus grande que vous serez un homme connu, riche ou célèbre. Qui résistera, en apprenant qu’il est l’enfant  de Zeus, à l’envie d’exiger de lui une place sur l’Olympe ? Certains préféreront ne pas savoir afin de pouvoir fantasmer sur la personnalité de leur géniteur. Une telle situation ne peut se produire dans la pratique actuelle de l’insémination artificielle avec don de sperme. En effet, à supposer que l’anonymat soit – illégalement – contourné et qu’un enfant conçu de cette façon retrouve le donneur, ce dernier pourra répondre de la manière la plus simple : « Tu as un père, c’est cet homme qui a demandé l’aide pour pouvoir avoir un enfant avec ta mère et à qui j’ai accepté de donner un peu de mon liquide séminal, sous l’autorité des médecins. Mais ce n’est pas moi ».

Avoir le courage de son opinion

Peut-être ce qui précède explique-t-il pourquoi les zélotes de la « PMA pour toutes » préfèrent que l’insémination en question soit faite avec le sperme d’un autre homme, plutôt qu’avec le leur. Au tréfonds d’eux-mêmes, dans ce que l’on peut appeler l’instinct, l’inconscient, ou le réalisme, ils savent que les trois ou quatre centimètres cubes qu’ils auront déposés dans le flacon du CECOS ne sont pas qu’une simple excrétion de leur corps, mais contiennent un code complexe qui est une partie essentielle de leur être, qu’ils ont reçu de ceux qui les ont conçus, une signature, une clef indispensable pour engendrer la vie humaine, et que donner cette signature, c’est faire un terrible chèque en blanc sans limite de validité et dont on ne sait pas l’usage qui pourra en être fait.

Alors, messieurs les défenseurs de la « bonne cause », prenez un temps de réflexion personnelle, recueillez, le cas échéant, l’avis de votre compagne et de vos enfants et agissez de manière cohérente ! Si, en votre âme et conscience, vous persistez dans le soutien à la « PMA pour toutes », ayez le courage de votre opinion : allez donner votre sperme dans un CECOS, publiquement, en affirmant sans ambiguïté qu’il permettra à une femme d’avoir un enfant sans contact avec un homme, et réclamez que, lorsqu’ils auront atteint la majorité, les fruits de votre don pourront connaître votre identité et prendre contact avec vous. Votre courage m’inspirera le respect et, si vous êtes nombreux, peut-être reverrai-je ma position sur le sujet.  Si vous ne vous sentez pas capable de faire ce geste – ces gestes car il faut plusieurs dons – et de le dire sur la place publique, ne culpabilisez pas, aucune cause ne peut vous obliger à donner un morceau de vous-même. Mais, dans ce cas, abandonnez ce projet de loi et laissez les femmes désireuses d’avoir un enfant trouver elles-mêmes l’homme qui en assumera la paternité, en recourant au besoin aux services d’un médecin si elles ne souhaitent, ou ne peuvent, accepter la semence masculine au cours d’un rapport sexuel.

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Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix

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Photographe: Hannah Assouline

Avec Orléans et les polémiques incessantes nées de ses écrits et de son passé antisémite, le sulfureux Yann Moix surpasse en scandale André Gide…


En 2010, Yann Moix prenait la défense de Polanski dans La Meute. En 2019 Moix est rattrapé et déchiqueté par cette meute. Comme il l’avait dit à l’époque : « quand quelqu’un a tout le monde contre soi, c’est toujours intéressant d’aller voir. »  Alors je suis allée voir Orléans.

C’est construit comme un diptyque, dedans /dehors. Dedans : le narrateur et ses tortionnaires, dehors les autres.

Yann Moix le graphomane

Je ne m’étendrai pas ici sur l’aspect autobiographique ou pas du récit, il est évident que ma lecture fut brouillée par la polémique mais le style est là: précis, sec et rythmé, le style d’un virtuose, d’un graphomane comme il se définit lui-même dans le roman. Justement c’est là que le bât blesse car je ne voyais que cette virtuosité stylistique, sans réussir à me laisser vraiment émouvoir. Émouvoir par la description des raclées monumentales dont le narrateur est victime avec la régularité d’un métronome: « Ce soir-là je fis choir par mégarde un yaourt nature sur le carrelage de la cuisine. Comme issue d’une science exacte la punition tomba (…) La main de mon père dure comme un soleil vint percuter mon visage (…) Tiré par les cheveux agoni de syllabes furieuses, jeté ensuite sur mon lit. » Le père est tortionnaire en chef, mais il se dessine en creux à travers le personnage de la mère en Folcoche puissance mille, une figure glaçante, celle qui vraisemblablement menait la danse. « Sa cruauté semblait irrévocable. M’aventurant parfois à chercher quelques douceurs auprès de ce corps qui m’avait jadis abrité, j’étais systématiquement arrêté dans mon élan, puis écarté comme un chien, ma naissance était chez ma mère synonyme d’angoisse et de désespoir. » Le petit garçon tombe alors amoureux d’une statuette, une représentation de la Vierge qu’il embrasse de temps en temps. L’homme mûr avouera des années plus tard ne pas pouvoir coucher avec des femmes de son âge. Excusez-moi pour le cliché mais toujours chercher la mère.

La littérature comme échappatoire

Cette première partie, ce dedans qui est un huis clos entre l’auteur et sa souffrance est réussie car on y respire mal. La ville, Orléans, y est décrite comme une nuit d’hiver sans fin, pluvieuse de surcroît. Le temps semble lui-même immobile, à l’image de cette nuit glaciale. L’action est située dans les années 70, mais le chagrin empêche toute nostalgie : « Cette histoire se déroulait au vingtième siècle ; le passé est inutile ; nous ne connaissons que le présent sans cesse accompagné par l’instant »

Nous respirons un peu mieux grâce à la découverte de la littérature et précisément d’André Gide, que Moix considère comme son double solaire idéalisé. Si le grain ne meurt, autre récit autobiographique, mais celui d’un petit garçon heureux et choyé par sa mère, accompagnera toute sa vie le sombre petit garçon martyr d’Orléans. Une autre figure tutélaire, bien différente, est également présente : celle plus austère de Sartre, que le jeune Moix découvre à travers son récit inachevé sur Flaubert : L’idiot de la famille. Tiens tiens… On ne peut s’empêcher de penser au récit autobiographique de Sartre : Les mots, également construit en diptyque : « lire » et « écrire. »

Le goût de Yann Moix pour les auteurs surannés, comme Gide, ou qu’il est de bon ton de détester comme Sartre, disent à mon sens deux choses: qu’il est profondément Français (la preuve en est puisqu’il se vautra un temps dans la plus triste de nos passions: l’antisémitisme) et qu’il ne cherche pas à se faire aimer, même au travers de ses goûts littéraires.

Pas simple avec les femmes

Dehors, la deuxième partie, les autres. Les autres, ce n’est pas l’enfer chez Yann Moix, pas non plus le paradis, mais d’autres vies que la sienne.

Et grâce à l’évocation de ces autres vies, le récit s’aère un peu. D’autres enfants sont malheureux pour d’autres raisons, parce qu’ils sont pauvres, d’autres enfants meurent aussi, morts dont le narrateur aura la preuve des années après : «J’eus la sensation d’être découpé par une hache, Emmanuel Dussutour 1968-1974. A notre fils adoré emporté par la maladie dans sa septième année. »

Eros tutoie sans arrêt Tanathos dans cette deuxième partie, couple infernal et éternel qui fait prendre au récit un air d’éducation sentimentale provinciale et très française. Notamment à travers la figure très Montherlant / Drieu de ce jeune dandy qui avouera avant de mourir son amour au narrateur. La litanie des filles dont il tomba amoureux, toutes décrites à grand renfort de métonymies, est là pour nous rappeler que Moix et les femmes, ce n’est pas simple, elles se confondent toutes, seule émerge Amélie, qui vit avec l’ombre de sa sœur décédée, alter ego féminin. Et la statuette de la vierge qui se laissa embrasser.

La mauvaise réputation

A propos de son récit autobiographique dans lequel il dévoila son homosexualité, Gide le modèle de Moix déclara : « Pour qu’il vaille la peine de se perdre de réputation il faut d’abord se payer une réputation bien établie. »

Il semblerait que Moix avec ce qu’il appelle son roman d’humiliation et la polémique qui fait toujours rage ait dépassé son maitre en matière de réputation.

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Islam: le « libre choix » des fillettes de se voiler

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Vidéo Facebook d'une jeune fille plaidant pour le port du voile

Une vidéo, partagée par le groupe féministe Les Algériennes, révèle parfaitement bien les mécanismes et les ressorts invisibles qui sous-tendent le voilement des femmes musulmanes, tout en exposant la problématique du « libre choix ».


J’ignore qui est cette enfant, je ne connais ni son identité ni le contexte exact de la diffusion de cette vidéo. D’après les quelques informations que j’ai pu glaner, c’est le père qui a diffusé la vidéo.

Confiance en soi troublante

La petite fille doit avoir entre huit et onze ans. Elle parle de manière assurée et semble totalement à l’aise face à la caméra. Son visage respire la détermination, son regard déborde d’un mélange d’aplomb et d’effronterie infantile.

Encore plus que la confiance en soi ou l’assurance, cette frêle et mignonne enfant s’exprime avec autorité: elle emploie le ton docte et supérieur de celui qui pense détenir la vérité. Elle sait poser sa voix, et jouer avec les inflexions, je la trouve bien plus éloquente que nombre d’adultes.

A lire aussi: La fessée, non. Le voilement des fillettes, oui !

Dans cette vidéo, elle s’adresse aux internautes, elle affirme vouloir comprendre les critiques dirigées contre la pudeur (Sotra), elle se demande pourquoi les vidéos qui propagent l’indécence (Tabarouj) ne font pas réagir, tandis que celles qui traitent de pudeur sont décriées. Je pense qu’elle doit faire référence au voilement des petites filles ou au Niqab.

« Cela ne vous paraît pas honteux de voir une moutabarija (femme indécente) s’afficher, au contraire, cela vous attire ! » déplore-t-elle à 0,17 minute. J’ai maintes fois entendu prononcé le mot moutabarija, souvent par des islamistes, rarement par des enfants.

L’opposition sémantique pudeur (sotra) et l’indécence (tabarouj) est un axe fondamental dans la dialectique des islamistes. Selon leur vision binaire, les femmes se divisent en deux catégories: les vertueuses (voilées) et les indécentes (toutes les autres). J’ai beau savoir que certaines idéologies n’hésitent pas à utiliser les enfants, il me paraît toujours choquant d’entendre proférer ce genre de notion par une bouche innocente. 

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La première fois que j’avais entendu ce mot moutabarija, c’était en Algérie dans les années 90. Au départ, le terme désignait les femmes jugées habillées de manière provocante (jupe courte ou décolleté). Ensuite, la signification a évolué pour s’étendre à toutes les femmes qui ne se couvrent pas la tête, voire celles qui portent un voile estimé non conforme à la charia. 

Dans la vidéo, la petite fille s’adresse ensuite aux femmes non voilées : « Toi, la moutabarijaa, lorsque tu me vois, ne ressens-tu pas de la jalousie (dans le sens premier de vergogne, honte de soi) en me voyant, moi enfant, porter un voile? Ne te dis-tu pas, elle est mieux que moi, elle est plus jeune que moi et porte le jilbab (le voile réglementaire des extrémistes) ? »

Propagande islamiste sur les réseaux sociaux
Propagande islamiste sur les réseaux sociaux

Les femmes “Chupa chups”

Cette formulation simpliste est d’une efficacité redoutable: elle a grandement contribué au voilement des femmes, une sorte de benchmarking de la vertu ; les femmes qui portent le voile sont plus vertueuses que celles qui ne le portent pas, celles qui ne le portent pas sont par conséquence des femmes légères qui ne devraient pas se plaindre si elles sont importunées, voire violées.

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Cette représentation manichéenne est largement relayée par les islamistes. S’il y avait une seule image pour incarner cette conception ça serait celle de la sucette, qui sans son emballage se retrouve couverte de mouches à merde (les hommes), contre celle qui se préservent et restent « propres » en gardant l’emballage. Lorsque Hani Ramadan, le frère de Tarik, compare les femmes non voilées à une pièce de deux euros qui passe d’une main à l’autre, et les femmes qui le sont à une «perle dans un coquillage» il n’invente rien, c’est une rhétorique somme toute classique ; l’idée ici est de sous-entendre que la femme non voilée est dénuée de valeur, contrairement à celle qui « fait le choix » de se voiler.

Hiérarchie parmi les femmes

On a sans doute injecté dans l’esprit de cette petite fille que la pureté islamique au féminin, s’affiche et s’incarne dans le port du voile réglementaire, à plus forte raison si la voilée n’est pas encore nubile.

L’enfant est ainsi pure parmi les pures. J’imagine sans peine qu’on lui répète que son choix la rend unique et spéciale. La femme en devenir se retrouve ainsi au-dessus de toutes les autres femmes, y compris celles censées représenter l’autorité.

J’ai déjà pu observer cette caractéristique chez certaines voilées zélées, notamment dans les années 90, à l’époque où j’étais encore étudiante à l’université algérienne. Certaines jeunes femmes qui faisaient partie des cercles salafistes nous prenaient de haut. Nous étions les égarées… des filles de mauvaise vie… parce qu’on s’habillait à l’occidentale et qu’on se mélangeait aux hommes.

Pas honte d’être “moutabarija”

Moi la moutabarija, j’écris ce texte avec colère. Pas contre la jeune fille bien sûr! Mais contre ceux qui l’utilisent pour servir leurs intérêts. Je n’éprouve aucune jalousie, et encore moins une quelconque honte de moi en voyant une enfant ensevelie dans un long tissu sombre. J’éprouve seulement une immense tristesse. Grandir avec l’idée que son corps et ses cheveux sont si monstrueux qu’il faille les cacher est triste, grandir en pensant que son corps est un danger qui menace l’équilibre de la société aussi.

Un bout de tissu c’est finalement facile à enlever. En revanche, rien n’est plus tenace qu’une idée martelée dans un jeune esprit en formation. 

Vers 0.38 minute la petite dit: « Depuis que je suis petite je veux porter le jillbab… Personne ne m’y a forcée, papa ne m’a jamais demandé de le porter, c’était ma volonté, et maintenant, grâce à Allah, je suis pudique. Vous connaissez les paroles d’Allah, c’est lui-même qui dit : « Apprenez-leur à sept ans, et battez-les à dix. » Dieu n’a pas évoqué la prière seulement, il parle aussi de plein d’autres choses, comme la pudeur… Normalement une femme devrait être pudique et se couvrir, cela ne pourrait que la compléter, l’embellir. »

Violence divine

L’argument du libre choix est plus que fallacieux. D’une part, elle affirme que son choix est volontaire et que le désir de se voiler est présent chez elle depuis toujours, de l’autre, elle se réfère aux prescriptions religieuses en invoquant un hadith, qu’elle confond au passage avec une sourate. De manière quasi-directe, elle justifie d’une éventuelle violence ou coercition employée dans le but de la convaincre de son « libre choix ». Puisque ce choix est dicté par l’autorité suprême, à savoir Allah, quel espace de liberté reste-t-il ?

L’expression de son visage à 0.49 minute m’a intriguée. J’ai revu plusieurs fois le film et je pensais d’abord à du mépris ou à de la fierté. Je pense finalement que c’était de la colère. Peut-être contre la nature du monde qu’on lui impose? Ou contre les femmes indécentes?… Bien sûr ce n’est là que ma perception et mon intuition.

Je tiens à rappeler que l’apparition du voile dans le paysage social des pays arabo-musulmans ne s’est pas faite de manière spontanée. D’ailleurs, si vous observez une photo d’une foule du Caire, d’Alger ou de Kaboul datant des années 70, vous remarquerez que les femmes sont majoritairement têtes nues. Trente ans plus tard, le ratio s’est inversé, la proportion de celles qui portent le foulard constitue la large majorité.

En ce qui concerne l’Algérie, la décennie noire a joué un rôle prépondérant dans l’expansion du voile. Les Algériennes se sont mises à revêtir le hijab par peur. Katia Bengana, une lycéenne de 17 ans, et Amel Zenoune, une étudiante en droit, à peine plus âgée, furent assassinées parce qu’elles refusaient de mettre le voile. 

Cette vidéo est précieuse. C’est à la fois une confession et une recette des ressorts psychologiques utilisés pour la promotion et la propagation du voile. Si un “choix individuel” peut impacter ainsi une grande partie de la société, peut-on alors toujours le considérer comme un choix individuel ?

Triste rentrée scolaire au Cameroun

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La moto est l'instrument de transport incontournable au Cameroun ©Mario FOURMY/SIPA Numéro de reportage: 00890187_000030

Fin 2016, des revendications ont émergé afin de demander au gouvernement de prendre en compte les spécificités et les besoins de la population anglophone camerounaise située dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. En les privant de rentrée scolaire, des milices terroristes s’en prennent maintenant aux enfants.


Fin 2016, un mouvement séparatiste a initié une vague de violences terroristes visant toutes les couches de la société. Les militaires, les policiers, les chefs d’entreprises et les ouvriers furent pris pour cible par ceux qui se font appeler les « Ambazoniens ».

Le Cameroun est un pays africain à majorité francophone, seule 20% de la population y est anglophone. Ce particularisme est issu du passé colonial du pays et des conditions de sa décolonisation. Au moment de son indépendance, le pays était totalement francophone. Cependant, lorsque le Nigeria voisin s’est libéré du joug britannique, l’une de ses régions, le Southern Cameroon, a choisi lors d’un référendum organisé par les Nations Unies en 1961 de voter à plus de 70% pour son intégration dans le Cameroun.

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Minorité anglophone

L’écart linguistique, héritage de l’époque coloniale européenne, est devenu un enjeu politique et le prétexte pour les milices séparatistes d’organiser la terreur de sa propre population qu’elle tient en otage.

Carte du Cameroun. En bleu, la région dont des terroristes anglophones réclament l'indépendance
Carte du Cameroun. En bleu, la région dont des terroristes anglophones réclament l’indépendance

Malgré les menaces, les mutilations et les assassinats dont sont victimes les enfants camerounais, les autorités luttent afin de permettre aux écoliers de retourner en cours. Depuis trois ans, les terroristes ont mis à sac, détruit ou incendié plus de 174 écoles.

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Alors même que le gouvernement et les responsables anglophones modérés – représentant l’immense majorité de la population de ces régions – discutent et cherchent un terrain d’entente et d’accord, les miliciens séparatistes s’évertuent à saboter toute possibilité de paix.

Peur d’aller à l’école

Face à une telle situation, les forces armées camerounaises – et plus particulièrement le BIR (Bataillon d’Intervention Rapide) -, sont déployées pour lutter contre le terrorisme et apporter une aide humanitaire indispensable.

Un rapport de Human Rights Watch publié en 2018 n’hésite pas à comparer les exactions commises par les sécessionnistes camerounais à celles de groupes tels que Boko Haram ou les talibans afghans. Les témoignages recueillis afin de constituer ce document sont édifiants. Une enseignante raconte la manière dont les terroristes sont intervenus dans son école en menaçant de mutiler et de tuer, enfants et enseignants, et la manière dont ils sont parfois passés à l’acte.

De crainte pour leur vie ou ne pouvant plus se rendre en classe, les enfants sont alors souvent livrés à eux-mêmes et désertent les écoles des régions sécessionnistes. Les terroristes prétendent lutter pour les anglophones du Cameroun et exigent une indépendance que la majorité de la population concernée refuse. Selon des données de l’ONU, 30 000 élèves sont sortis du système scolaire camerounais depuis 2016.

Dénoncer le terrorisme des séparatistes ambazoniens

Avec la rentrée des classes qui aura lieu le 2 septembre, les regards se tournent vers les régions anglophones camerounaises où de nombreuses écoles ne rouvriront pas leurs portes cette année. Un véritable exil intérieur en direction de Douala et de Yaoundé s’est spontanément organisé afin de mettre à l’abri les familles.

Face à cette situation dramatique, la population camerounaise désespère de voir un sursaut de la communauté internationale afin de dénoncer clairement le terrorisme des séparatistes « ambazoniens ».

De leur côté, les autorités camerounaises tentent de sécuriser la rentrée des classes mais elles observent que, bien souvent, les donneurs d’ordres séparatistes – bien souvent en exil – envoient paisiblement leurs enfants dans les meilleures écoles des grandes capitales européennes tandis qu’au même moment, ils incitent les petits Camerounais à prendre les armes ou à se prostituer pour faire vivre leurs familles.

Le syndicat

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Photo: Driss Ghali

Notre chroniqueur Driss Ghali, expatrié à São Paulo, nous fait découvrir son « syndicat », un groupe d’hommes brésiliens avec lequel il passe son matin au café, dans la mégalopole brésilienne.


Le soleil a beau se lever, les oiseaux ont beau gazouiller, la journée, la vraie, commence lorsque je prends mon café, bien serré. Ce moment décisif a lieu entre 8h et 9h du matin, toujours au même endroit et entourés des mêmes amis. Vinicius, Manoel, Wilson et moi, franco-marocain installé au Brésil depuis sept ans, formons le noyau dur des clients du Café Palermo, un petit bijou situé à quelques encablures du centre-ville de São Paulo. Nous prenons notre relation tellement au sérieux que nous avons formé le premier syndicat de clients du quartier ou peut-être même de la ville, qui sait ?

syndicat-sao-paoloPalermo est un petit établissement qui compte une demi-douzaine de tables, réunies en demi-cercle autour d’un comptoir en verre. La décoration oscille entre le sicilien et le tropical et fait alterner, jusqu’à l’épuisement, le rouge « volcan » et le vert « brésil ».  L’ensemble est sauvé de la débâcle, de justesse, par la végétation qui fait écran avec la rue. 

Mes amis brésiliens

Mes amis ont plus de soixante-dix ans, j’en ai quarante, ils sont Brésiliens, je ne le suis pas mais nous avons le même amour pour le café, les journaux et la politique. Jadis et ce jadis n’est pas très lointain, nos conversations tournaient invariablement autour des femmes. Nous en parlions beaucoup même mais nous ne faisions qu’effleurer le sujet à force de nous enthousiasmer pour la surface et rien que la surface. Nous restions attablés, le temps qu’il fallait, à admirer les passantes. Moi, caché derrière mon ordinateur, et mes amis, dissimulés derrière des lunettes de soleil. Tout a changé depuis mon mariage, devoir de réserve oblige. 

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Notre président, le chef du syndicat, se nomme Vinicius. Il a 72 ans mais tout le monde lui donne la cinquantaine, sans hésiter. Ancien champion de natation, Vinicius a le physique d’une vedette de télénovela: le teint halé et les épaules larges. Le vice-président est Manoel, un magistrat à la retraite, toujours vêtu à quatre épingles, chaussures en peau de crocodile, gourmette en or, la crinière teinte en roux. Le secrétaire-général est Wilson, un administrateur de société qui passe sa vie au téléphone à donner des ordres à je ne-sais-qui. Ma femme m’assure qu’il lave de l’argent pour le compte de personnes louches. Officiellement, Wilson est dans l’industrie du jus d’orange. Je ne serais pas surpris si la Police Fédérale le cueille un jour, au saut du lit ou même à table en notre compagnie. 

Alessandra, Daisy, Gabriella…

Quant à moi, eh bien mon rôle dans le syndicat est celui de goûteur professionnel chargé de sélectionner le grain le plus digne de notre corporation. Mes camarades et moi prenons cette mission très au sérieux, nous voyons loin voire très loin : une déclaration d’utilité publique pour services rendus à l’agriculture brésilienne et au bon goût. Un peu de beauté dans un monde qui a perdu le sens du Beau et du Vrai. 

Les femmes ont joué un rôle crucial dans la formation de notre syndicat puisque l’intérêt que nous leur portions (j’insiste sur l’imparfait) nous a rapproché en dépit de nos différences.

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Chaque matin, c’est le même défilé, aussi prévisible que notre routine quotidienne. Avec l’assentiment unanime du syndicat, j’ai attribué des noms d’emprunt à ces vedettes sans gloire qui font partie de nos vies. La plus matinale est Daisy, une brune à la peau claire. Elle s’arrête invariablement à 8h tapantes pour prendre son jus « detox ». Elle porte toujours des vêtements de sport aux couleurs fluorescentes : rose, orange ou fuchsia. Comment quitter du regard ses leggins et tops minimalistes… et ses longs cheveux noirs et brillants ? Moi, je lui donne 25 ans, Manoel me contredit et lui attribue dix ans de plus, je m’incline volontiers devant le professionnel de l’identification judiciaire.

A partir de 08h15, nous attendons le passage imminent d’Alessandra, l’étoile filante aux cheveux dorés. Alessandra ou « Alé » pour les intimes (et au Brésil on est vite intime de tout le monde ou l’on croit l’être) a les yeux bleus et la peau extrêmement blanche. C’est une hipster, une de plus, qui se déplace à vélo pour sauver la planète. Elle s’est fait tatouer une sorte de reptile menaçant qui s’étend du thorax jusqu’à la cuisse. Cette seconde peau verdâtre ne sied pas à autant d’innocence et nous rappelle que nous sommes au royaume du diable. Pauvres mortels soumis au malin et à ses tentations.

Un peu plus tard, Gabriela descend la rue flanquée de deux spitzs nains, constamment en état d’ébullition. Gabriela est ma préférée. Noire yoruba, cheveux courts bouclés, elle a le charme distant et intemporel d’une Rama Yade. Une beauté qui pose des limites d’entrée de jeu, élégante et sereine. Quelle est son histoire ? Que fait-elle dans la vie ? Manoel croit l’avoir déjà croisée au tribunal de commerce, Wilson dans la salle d’attente d’un dermatologue réputé, moi en rêve… 

Daisy, Alé et Gabriela font partie du passé. Je vous l’ai dit, je suis un homme marié maintenant. 

Le président me présente Eduardo

Je vous ai caché quelque chose d’important : Vinicius, le président, est homosexuel, il vient de me l’annoncer, quel choc! Je n’ai rien soupçonné en quatre ans de fréquentation quasi quotidienne et plus de mille cafés pris ensemble. C’est à croire que nous n’avons jamais parlé de choses sérieuses et utiles. 

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Le mois dernier, il m’a présenté à Eduardo, un jeune homme qui venait de descendre d’une grosse cylindrée Yamaha. Eduardo étudie la médecine vétérinaire, il veut devenir odontologue pour animaux sauvages. Sa passion: soigner les jaguars qui se font renverser en tentant de traverser les autoroutes de la région. 

Depuis le coming out du président, nos trois muses sont orphelines, elles ne peuplent plus nos conversations. Nous en tiennent-elles rigueur ? Impossible de le savoir.  

Tous les journaux sont de gauche à São Paulo

Grâce à Vinicius, j’ai ouvert les yeux sur une nouvelle dimension de l’amour, celui qui peut exister entre deux hommes ou deux femmes. Le vrai amour, pas le sexe. Sous mes yeux, Vinicius et Eduardo sont unis par un lien tendre et solidaire. Un amour noble qui n’a pas besoin de caresses ni de baisers en public. Les choses vraies n’ont pas besoin de sauter aux yeux, elles existent tout simplement.  

Si Vinicius vit l’amour, Manoel lui s’engouffre dans la luxure ou plutôt dans la recherche de la luxure. Veuf et sans enfants, il s’est découvert une passion pour les jeunes filles qui travaillent dans les magasins de fringue des alentours. Une passion ou plutôt une maladie compulsive. Manoel est capable de vous planter au beau milieu d’une conversation pour courir après un joli minois qui vient de descendre du bus. Plus elles sont jeunes (j’ose croire qu’elles ont plus de 18 ans) et sans le sou, plus elles ont de chance de l’intéresser.

Aux dernières nouvelles, Manoel est enfermé chez lui de peur de se faire casser la gueule par un mari jaloux. Le calvaire dure depuis une semaine. Le mari cocu passe ses journées devant l’immeuble de notre ami, adossé à sa voiture tout en jouant à Candy Crush. Wilson, le casque bleu de l’équipe, a entamé les négociations avec le jeune homme. Il paraît que l’affaire peut se régler par le versement de mille dollars cash et la livraison de denrées alimentaires à une ONG caritative. Encore un miracle réalisé par la société civile… 

La vie continue. Nous parlons politique à défaut de parler de femmes. Nous nous passons le journal de mains en mains. Tous les journaux sont de gauche à São Paulo, absolument tous. Nous nous infligeons cette lecture quotidienne pour nous moquer des états d’âmes des journalistes qui ont décrété en chœur que le Brésil était devenu une dictature fasciste, machiste, raciste et homophobe. Vinicius, avec son physique de Cary Grant, lit l’édito à voix haute et fronce les sourcils à chaque fois que son héros, Bolsonaro, est mis en cause. Autant dire qu’il s’arrête à chaque paragraphe pour maudire la mère du rédacteur en chef.  

Até amanhã, à demain

Lorsque mon père m’avait rendu visite en 2013, il avait noté tous les serveurs étaient de couleur alors que les clients avaient la peau claire. Pour qui vit ici, ce genre de choses est imperceptible. On s’habitue à payer un euro le café et trois euros le jus d’orange alors que le garçon qui vous sert émarge à 250 euros. Vivre dans un pays émergent nécessite de se blinder, de s’emmurer derrière le déni car autrement on ne sort plus de chez soi de peur de participer d’une économie qui ne tourne pas rond. Nous sommes désensibilisés pour notre propre bien : comment maintenir la paix civile si le garçon se rend compte que la retraite versée à Manoel frise les 6000 euros net ?  Je ne sais plus si le mot juste est désensibilisé ou bien abruti

Manoel, Vinicius, Wilson et moi sommes tellement blindés que nous ne remarquons même plus que nous n’avons plus d’amis « progressistes ». Nous avons coupé les ponts avec tous ceux qui ne pensent pas comme nous. Eux aussi, je dois dire. Gilberto, le syndic de mon immeuble, un jeune avocat de gauche tendance écolo, ne m’adresse plus la parole depuis le jour où j’ai signalé à la mairie la disparition de l’arbre qui embellissait l’entrée de l’immeuble. Arrivé sur les lieux, les services municipaux ont constaté que l’arbre, un spécimen d’Ypê de deux mètres de haut, a été arraché en pleine nuit par le concierge. Ordre du syndic Gilberto qui, sur les réseaux sociaux, est un fervent défenseur de l’Amazonie et de la biodiversité.

Il est déjà 09h, je dois y aller, il faut travailler. Je quitte Palermo avec une pensée pour Manoel, otage de son désir ; pour Vinicius, l’athlète olympique qui nage en plein bonheur conjugal et Wilson, le roi du jus d’orange. Je passe en caisse et fais semblant de ne pas apercevoir Gilberto, le syndic, qui prend son café et m’ignore superbement. Bientôt, je serai devant mon ordinateur et penserai déjà à demain et au rituel qui m’attend. Je suis certain que Gilberto ressent la même chose. Chacun dans sa bulle, chacun avec les siens.

(Des noms de personnes ou de lieux ont été changés)  

Gradins: conformisme et bienséance exigés par la Ligue de football

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Ligue 1 Nantes Montpellier, le 31 août © LOIC VENANCE / AFP

Des voix s’élèvent et s’indignent! Les propos entendus en tribunes des matches de football, certes peu amènes, sont injustement et immédiatement taxés d’ « homophobie » par les organisateurs, les politiques et les médias.


On parle d’interdire certains mots dans les stades de foot, au motif qu’ils feraient allusion à des pratiques que l’orthodoxie sexuelle réprouve. Mardi 20 août, un grand quotidien sportif faisait état du combat acharné que mènent des associations de lutte contre les discriminations, en collaboration avec la Ligue de Football Professionnel, pour éradiquer des arènes toute grossièreté de ce genre. Depuis la reprise des championnats début août, deux matches ont été interrompus en raison des chants peu amènes à l’égard des minorités sexuelles qu’auraient entonné des spectateurs pourtant réputés pour leur coquetterie. Roxana Maracineanu, Ministre des sports, Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat aux Affaires subabdominales et même le Président ont trouvé mot à dire, il faut interdire. Homophobie toujours, quelques miettes de plus dans la cage aux folles.

La ligue, la ligue, on…

On aurait, en fait, proposé à la Ligue une sodomie. L’homme de la rue apprend ainsi dans cette affaire que le supporter aime à copuler avec des institutions, et que celles-ci sont parfois gay. Les censeurs sont de toute évidence du genre algorithmique: ils répondent au signal plutôt qu’à l’ensemble, au mot pris indépendamment de son contexte. Ils travaillent comme les robots régulateurs d’internet, programmés pour réagir aux termes d’une arborescence dont la racine est « homophobie ». Entendent-ils un mot qui ait quelque trait à l’uranisme qu’il leur prend aussitôt le désir de faire taire. Leur bêtise prend donc la forme d’inventaires, et les voilà qui prépareraient déjà la liste des mots à proscrire.

A lire aussi, Jean-François Derec: « Enculé » est-il une insulte homophobe?

Bien inspiré, un type écrit en substance ce commentaire sur le forum web du susdit quotidien : Interdisez des mots, ils en inventeront d’autres. Bien vu bonhomme, comme quoi la sagesse trouve à se nicher partout. Pasolini déplorait l’uniformisation du langage sous l’effet du développement du nouveau régime industriel bourgeois et de la culture de masse, et la disparition des dialectes luxuriants des ragazzi des rues. Dans les Ecrits corsaires : « […] la fausse expressivité du slogan constitue le nec plus ultra de la nouvelle langue technique qui remplace le discours humaniste. Elle symbolise la vie linguistique du futur, c’est-à-dire d’un monde inexpressif, sans particularismes ni diversités de cultures, un monde parfaitement normalisé et acculturé […] un monde de mort. » Et plus loin la « fossilisation du langage » qui fait parler les étudiants comme des livres, et perdre aux enfants du peuple « toute inventivité argotique ».

Bienséance en milieu spectaculaire

Il n’est pas certain que les slogans des ultras, tout empreints comme tout un chacun de culture de masse, soient identifiables aux expressions fleuries des gamins des périphéries pasoliniennes. L’adoption d’une liste des termes contraires à la bienséance en milieu spectaculaire pourrait toutefois constituer leur chance et la nôtre. 

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Gageons qu’ils inventeront en effet d’autres mots, un nouvel argot pour parer à l’hygiénisme de ces voyous qui voudraient assainir et policer le langage. Sans le savoir, par leur manie prohibitive, les censeurs de la Haute autorité des festivités correctes pourraient réveiller une puissance créative longtemps engoncée dans le conformisme du temps. Souhaitons que promptement tombe la liste.

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Jean-Pierre Marielle, le bonheur au coin de la rue

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jean pierre marielle films
Jean-Pierre Marielle. Auteurs : L2nis/MPP/SIPA. Numéro de reportage : 00905031_000005

Thomas Morales consacre une série d’été à l’immense Jean-Pierre Marielle (1932-2019), récemment disparu (8/8).


Marielle était l’acteur du doute et du remariage, y-aurait-il une vie après cette verdeur furibonde ? Il s’accrochait pourtant à mesure qu’il vieillissait. Il restait dans la course. C’était à la fois foireux et d’une banalité somptueuse. Le quadra des années 70 était lui aussi à la lisière de son destin, à la bascule des temps. « Quand le vin est tiré, il faut le boire », c’est ce que nous enseignait le Marquis de Pontcallec en ce dimanche des Rameaux de 1719. Marielle tente de retenir maladroitement cette jeunesse qui s’échappe, qui se fait la malle. Encore un peu de plaisir, Monseigneur, implore-t-il, encore un peu de mignonnerie et de langueurs. L’homme des années 70 n’était pas rassasié de cet éden mirifique, il voulait encore des victuailles et des cons ruisselants.

Austérité connaît pas

C’était un indécrottable plaisantin et libertin, l’austérité était un mot qu’il ignorait, un mot de politiciens et de dialecticiens. Une éraflure sur une carrosserie étincelante. Son appétit ne connaissait pas de limite. Il voulait jouir, encore une minute Monsieur le bourreau, s’il vous plaît. Marielle était cet intrépide détrousseur de dot et dépuceleur émérite, qui est convaincu que les temps funestes voileront bientôt l’horizon, alors jouissons, trinquons et égarons-nous dans la moiteur d’une touffe indisciplinée. Le stupre avait trouvé son bonimenteur extatique. Marielle nous était proche et cependant inqualifiable. Il n’avait pas la raideur d’un Rochefort, la bure d’un Lonsdale, la martialité militaire d’un Cremer, son image populaire sans promiscuité honteuse, intriguait sans repousser. On était attiré par son statut et personne n’aurait souhaité rompre cette barrière entre l’artiste et le public.

Familier, pas hautain pour un écu, avec néanmoins cette distance qui s’imposait naturellement, nous n’avions pas envie de briser cette confiance. Il était l’ami de la famille, l’oncle breton qui fait valser les contingences matérielles, qui se moque du quand dira-t-on et qui laisse une trainée incohérente et indispensable à notre survie. Il semait de l’intelligence enjouée. Cet inadapté colérique comblait nos manques. Il était la lumière dans la nuit quand l’aigreur commence à prendre racine, quand la rancœur travestit l’humour, quand la vie s’effrite tout simplement.

Les monstres sacrés du Conservatoire

Cette amitié inventée avec lui, calmait nos irritations, nos blessures, il était le baume sur les malheurs du monde. Il les atténuait en surface et nous amenait à réfléchir autrement, à envisager les événements d’une façon désaxée. Il n’était pas dans les couloirs de la moralité. Il cabotait à la marge, dans les interstices, dans les méandres. Si nous nous sentions si proches de lui, c’était aussi par son sens de la camaraderie. Chevaliers du Palais-Royal, tous les copains du Conservatoire formaient une famille d’adoption, celle qui vous poursuit jusqu’au linceul. L’amitié était sacrée chez lui, nous étions jaloux de leurs pudeurs respectives. Tous ces monstres aujourd’hui sanctifiés, ces acteurs tutélaires, avaient été des étudiants inconscients, inconsistants, fauchés, juste animés par le désir farouche de monter sur scène, d’embraser ce métier si difficile et ingrat. La Nouvelle vague se permit même le luxe suprême et décadent de se passer de ses services. Le croyez-vous ? C’était, selon lui, une histoire de rencontres, des comédiens plus roublards ou inspirés que d’autres arrivent à saisir les coupe-files, à court-circuiter les lenteurs d’une profession hasardeuse. Dans les années 60, il avait été magistralement ignoré par des binoclards inquisiteurs, qui auraient dû essuyer leurs verres correcteurs. Comment purent-ils ignorer cet acteur plus que prometteur, diabolique et magnétique ?

Entre le nanar et la comédie à grosses claques

Par la suite, il se rattrapa avec le souci de toujours gagner sa vie convenablement. Les artistes qui ont le sens du garde-manger nous sont plus accessibles ; moins hermétiques. Eux aussi, doivent payer leur loyer et leur facture d’électricité, nous sommes moins seuls à la fin du mois. Alors Marielle a navigué entre le nanar et la comédie à grosses claques, il s’est frayé un chemin chaotique, ne refusant aucun rôle. Aujourd’hui, la plus infâme de ses potacheries est surévaluée par sa présence homérique. Il vous transcende un navet en un spectacle d’art et essai, en une pyrotechnie mirobolante. Oui, on aura tout vu ! Il croisait en échappement libre sur le cinéma français depuis soixante ans. Qu’allons-nous devenir ? Par sa subtilité et sa fougue, il réussissait à enluminer l’insipidité, à repousser les infamies. Parce qu’il était inclassable et inaltérable, on le suivait n’importe où, à la pointe du Finistère ou dans le Marais Poitevin, à Honfleur ou en Afrique-Occidentale-Française.

Il vampirisait la connerie

Nous ne prenions rien au sérieux et ses interprétations nous traçaient la voie caillouteuse de la rédemption. Dans ma province alanguie, parfois agaçante et cadenassée, il était la clé de toutes mes agonies. Je savais qu’à chaque fois que je sentirais mes forces s’amenuiser, mon entrain s’embourber dans la mélasse du monde connecté, Marielle, mon sauveur, serait là. Il vampirisait la connerie, il annihilait les douleurs intimes, par une pirouette, il ferait miroiter une bêtise, désacraliserait les puissants, nous distillerait un peu d’espoir. Et ça, quand on vient de franchir le seuil de la quarantaine, c’est un bien inestimable.

Aujourd’hui, j’entends son timbre sonner, sa munificence s’étaler sur mon lecteur de DVD et je suis un homme heureux.


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