Accueil Culture Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix

Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix

L'écrivain au passé antisémite face à la meute


Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix
Photographe: Hannah Assouline

Avec Orléans et les polémiques incessantes nées de ses écrits et de son passé antisémite, le sulfureux Yann Moix surpasse en scandale André Gide…


En 2010, Yann Moix prenait la défense de Polanski dans La Meute. En 2019 Moix est rattrapé et déchiqueté par cette meute. Comme il l’avait dit à l’époque : « quand quelqu’un a tout le monde contre soi, c’est toujours intéressant d’aller voir. »  Alors je suis allée voir Orléans.

C’est construit comme un diptyque, dedans /dehors. Dedans : le narrateur et ses tortionnaires, dehors les autres.

Yann Moix le graphomane

Je ne m’étendrai pas ici sur l’aspect autobiographique ou pas du récit, il est évident que ma lecture fut brouillée par la polémique mais le style est là: précis, sec et rythmé, le style d’un virtuose, d’un graphomane comme il se définit lui-même dans le roman. Justement c’est là que le bât blesse car je ne voyais que cette virtuosité stylistique, sans réussir à me laisser vraiment émouvoir. Émouvoir par la description des raclées monumentales dont le narrateur est victime avec la régularité d’un métronome: « Ce soir-là je fis choir par mégarde un yaourt nature sur le carrelage de la cuisine. Comme issue d’une science exacte la punition tomba (…) La main de mon père dure comme un soleil vint percuter mon visage (…) Tiré par les cheveux agoni de syllabes furieuses, jeté ensuite sur mon lit. » Le père est tortionnaire en chef, mais il se dessine en creux à travers le personnage de la mère en Folcoche puissance mille, une figure glaçante, celle qui vraisemblablement menait la danse. « Sa cruauté semblait irrévocable. M’aventurant parfois à chercher quelques douceurs auprès de ce corps qui m’avait jadis abrité, j’étais systématiquement arrêté dans mon élan, puis écarté comme un chien, ma naissance était chez ma mère synonyme d’angoisse et de désespoir. » Le petit garçon tombe alors amoureux d’une statuette, une représentation de la Vierge qu’il embrasse de temps en temps. L’homme mûr avouera des années plus tard ne pas pouvoir coucher avec des femmes de son âge. Excusez-moi pour le cliché mais toujours chercher la mère.

La littérature comme échappatoire

Cette première partie, ce dedans qui est un huis clos entre l’auteur et sa souffrance est réussie car on y respire mal. La ville, Orléans, y est décrite comme une nuit d’hiver sans fin, pluvieuse de surcroît. Le temps semble lui-même immobile, à l’image de cette nuit glaciale. L’action est située dans les années 70, mais le chagrin empêche toute nostalgie : « Cette histoire se déroulait au vingtième siècle ; le passé est inutile ; nous ne connaissons que le présent sans cesse accompagné par l’instant »

Nous respirons un peu mieux grâce à la découverte de la littérature et précisément d’André Gide, que Moix considère comme son double solaire idéalisé. Si le grain ne meurt, autre récit autobiographique, mais celui d’un petit garçon heureux et choyé par sa mère, accompagnera toute sa vie le sombre petit garçon martyr d’Orléans. Une autre figure tutélaire, bien différente, est également présente : celle plus austère de Sartre, que le jeune Moix découvre à travers son récit inachevé sur Flaubert : L’idiot de la famille. Tiens tiens… On ne peut s’empêcher de penser au récit autobiographique de Sartre : Les mots, également construit en diptyque : « lire » et « écrire. »

Le goût de Yann Moix pour les auteurs surannés, comme Gide, ou qu’il est de bon ton de détester comme Sartre, disent à mon sens deux choses: qu’il est profondément Français (la preuve en est puisqu’il se vautra un temps dans la plus triste de nos passions: l’antisémitisme) et qu’il ne cherche pas à se faire aimer, même au travers de ses goûts littéraires.

Pas simple avec les femmes

Dehors, la deuxième partie, les autres. Les autres, ce n’est pas l’enfer chez Yann Moix, pas non plus le paradis, mais d’autres vies que la sienne.

Et grâce à l’évocation de ces autres vies, le récit s’aère un peu. D’autres enfants sont malheureux pour d’autres raisons, parce qu’ils sont pauvres, d’autres enfants meurent aussi, morts dont le narrateur aura la preuve des années après : «J’eus la sensation d’être découpé par une hache, Emmanuel Dussutour 1968-1974. A notre fils adoré emporté par la maladie dans sa septième année. »

Eros tutoie sans arrêt Tanathos dans cette deuxième partie, couple infernal et éternel qui fait prendre au récit un air d’éducation sentimentale provinciale et très française. Notamment à travers la figure très Montherlant / Drieu de ce jeune dandy qui avouera avant de mourir son amour au narrateur. La litanie des filles dont il tomba amoureux, toutes décrites à grand renfort de métonymies, est là pour nous rappeler que Moix et les femmes, ce n’est pas simple, elles se confondent toutes, seule émerge Amélie, qui vit avec l’ombre de sa sœur décédée, alter ego féminin. Et la statuette de la vierge qui se laissa embrasser.

La mauvaise réputation

A propos de son récit autobiographique dans lequel il dévoila son homosexualité, Gide le modèle de Moix déclara : « Pour qu’il vaille la peine de se perdre de réputation il faut d’abord se payer une réputation bien établie. »

Il semblerait que Moix avec ce qu’il appelle son roman d’humiliation et la polémique qui fait toujours rage ait dépassé son maitre en matière de réputation.

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